Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement de repli tend à conserver l’esprit de l’impôt minimum sur les très hauts patrimoines, en abaissant cependant le taux de prélèvement à 1 %.
L’objectif est simple : proposer un compromis plus que raisonnable et qui paraît largement acceptable quand sept prix Nobel d’économie appellent à instaurer un tel mécanisme.
Il est difficile, en outre, d’imaginer une proposition plus modérée ! Les travaux académiques et les données de l’administration fiscale le démontrent : au sommet de la pyramide sociale, l’impôt réellement payé, après optimisation, devient proportionnellement inférieur à celui des classes moyennes ou même supérieures.
Ce décalage nourrit le sentiment d’un défaut d’équité. Aussi, cet amendement de repli vise à conserver l’esprit de la taxe Zucman, en s’appuyant sur une assiette identique.
M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour présenter l’amendement n° I-1640 rectifié bis.
M. Michel Masset. Mes chers collègues, nous vous proposons également d’instaurer cette taxe avec un taux, plus bas, de 1 %. Vous le voyez, le RDSE ne manque pas d’idées ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Sans grande surprise, la commission a émis un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
Nombre des arguments auxquels je pourrai recourir pour vous répondre ont déjà été présentés, de manière plus détaillée, lorsque cette mesure a été examinée, au Sénat, au sein de la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches. C’est notre collègue Emmanuel Capus qui les avait alors vaillamment et brillamment défendus.
Notre rapporteur avait notamment beaucoup souligné le risque juridique d’inconstitutionnalité d’une telle contribution. Depuis lors, d’ailleurs, le Conseil d’État a confirmé que ce risque était avéré dans l’avis qu’il a rendu sur ce sujet à la demande du Gouvernement.
Un tel dispositif ne vise-t-il pas plutôt à répondre au sentiment d’urgence provoqué par la dérive des comptes publics ? Cette situation ne devrait-elle pas plutôt nous inciter à réorienter, voire à simplifier la fiscalité ? C’est une démarche que nous avons bien du mal à adopter, comme en témoigne, d’ailleurs, cette proposition. Après la CDHR et la CEHR, faudra-t-il employer toutes les lettres de l’alphabet ? (Sourires.)
Au-delà de ce trait d’humour, la problématique est réelle. Sans doute devrions-nous chercher à simplifier la fiscalité, tant pour les ménages que pour les entreprises, et à élargir ou recomposer les assiettes, plutôt que de miser sur une petite réserve de gens très riches, auxquels certains voudraient demander beaucoup, si ce n’est trop. Or, vous le savez, je ne suis pas de ceux-là.
J’ai entendu les critiques formulées lors de l’examen de l’article 3. Il faut commencer par lutter contre certains abus et fraudes. Nous nous y sommes déjà employés. C’est une démarche importante, que nous devons privilégier.
Prenons garde également aux signaux que nous envoyons en matière de mobilisation des capitaux. Il est important que la France retrouve une attractivité pour les investissements, en particulier étrangers. Ne soyons pas naïfs : nous n’avons pas rencontré le succès escompté en matière de réindustrialisation, pour de multiples raisons que je ne développerai pas maintenant.
Rappelons que la France est déjà le pays de l’OCDE où les impôts sont les plus lourds et la dépense publique la plus élevée. Il est difficile de ne pas y voir un problème de modèle : on ne peut pas avoir beaucoup d’impôts et une dépense publique excessive, d’autant plus quand le niveau de croissance est relativement faible.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. L’avis du Gouvernement repose sur trois arguments.
Premièrement, on entend souvent que les ménages les plus riches de notre pays paieraient moins d’impôts que les ménages les plus pauvres. Je veux tordre le cou à cette idée. En effet, cela signifierait que les ménages les plus pauvres seraient contributeurs nets au système fiscal. Or c’est faux : actuellement, environ 40 % des ménages sont des contributeurs nets, tandis que 60 % sont des bénéficiaires nets.
Les ménages du premier décile paient en effet beaucoup d’impôts, puisque leur revenu est faible et qu’ils contribuent à la TVA par la consommation. Mais ils reçoivent aussi des prestations et des transferts monétaires !
Mme Sophie Primas. Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Le débat public laisse penser que des Français très modestes paieraient tellement d’impôts qu’ils seraient contributeurs nets au système fiscal. Or ce n’est pas vrai.
Je tiens à votre disposition toutes les données permettant de comparer les revenus avant transfert, les impôts totaux, les prestations monétaires et les effets redistributifs de notre système fiscal et social. Si on ne prend pas tout cela en compte, on répète de grosses bêtises.
Deuxièmement, comment sont calculées les valorisations des entreprises dont fait parfois mention la presse ? Elles sont obtenues à partir de la dernière levée de fonds. Si un acquéreur offre 1 million d’euros pour acheter 1 % d’une entreprise, la presse et le débat public en déduisent que 100 % de l’entreprise vaut 100 millions d’euros. Mais personne n’a jamais vu ces 100 millions d’euros ! Ce n’est pas parce que 1 % de l’entreprise vaut 1 million d’euros qu’il existe un acquéreur susceptible d’acheter l’intégralité de l’entreprise pour 100 millions d’euros… Ce calcul est donc une extrapolation réalisée sur la dernière levée de fonds.
C’est la raison pour laquelle les licornes valent des milliards d’euros, quand bien même personne n’imagine que leurs fondateurs empocheraient une telle somme dans le cas où l’entreprise était vendue.
Cette extrapolation se fait à partir de toutes petites parties de capital, qui peuvent intéresser des acquéreurs prêts à payer cher pour entrer dans l’entreprise. Mais n’imaginons pas que des milliards d’euros se promènent dans l’économie et que des acquéreurs sont prêts à acheter des entreprises à de tels montants. Cela n’existe pas !
Troisièmement, nous avons déjà largement débattu de la constitutionnalité du dispositif proposé. Je puis vous relire l’avis du Conseil d’État, que le Gouvernement a sollicité sur la taxe proposée par la députée Estelle Mercier à l’Assemblée nationale, qui était similaire aux dispositifs que vous proposez, dans de moindres proportions.
Trois éléments doivent être pris en compte pour juger de la constitutionnalité d’une telle taxe : son taux, la présence ou non d’un plafond et le fait de viser, ou non, des biens professionnels.
Tout d’abord, il est démontré aujourd’hui par la jurisprudence que le Conseil constitutionnel a toujours considéré qu’un taux de prélèvement supérieur à 0,5 % était de l’ordre du confiscatoire. Seuls des taux, sans plafonnement, inférieurs ou égaux à 0,5 % peuvent donc être envisagés.
Ensuite, quand le taux est élevé – c’était le cas de l’ISF –, un plafond de revenus, sur la base du patrimoine, est prévu lorsque le taux est supérieur à 0,5 %.
Enfin, entre 1981 et 1983, l’impôt sur les grandes fortunes (IGF) a inclus les biens professionnels. Mais cette mesure a été retirée avant d’être appliquée ! En effet, il était impossible d’imposer les biens professionnels.
Pour résumer, tout d’abord, cessons de dire que les ménages les plus pauvres paient plus d’impôts que les plus riches : ils sont bénéficiaires nets de notre système fiscal et social !
Ensuite, les valorisations sont des extrapolations sur les dernières levées de fonds. Personne ne recevrait un montant égal à la valeur de son entreprise en la vendant.
Enfin, en raison de son taux, de l’absence de plafond et de l’inclusion de biens professionnels, il apparaît, d’après la jurisprudence, que le Conseil constitutionnel censurerait l’instauration d’un tel impôt.
Ces trois arguments devraient vous permettre de comprendre pour quelles raisons le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Isabelle Florennes et M. Vincent Delahaye applaudissent également.)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Mes chers collègues, le débat n’est ni technique ni fiscal : il est politique. (M. Olivier Rietmann proteste.)
Nous sommes pourtant d’accord sur deux faits essentiels. D’une part, les inégalités sociales, dans notre pays, n’ont jamais été aussi importantes. D’autre part, le sentiment d’injustice fiscale n’a jamais été aussi fort.
Les faits sont là. Vous connaissez, comme nous, le peuple français : vous savez que ce sont là les ferments d’une crise sociale et politique majeure, qu’il faut résoudre !
Mme Sophie Primas. C’est vous qui la nourrissez !
M. Pierre Ouzoulias. Vous évoquez la constitutionnalité de la taxe Zucman. Laissez-moi vous lire l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui, permettez-moi de le dire, forme l’identité de la France : « Pour l’entretien de la force publique […] une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
Actuellement, nous ne respectons pas l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. (M. Jean-Raymond Hugonet fait un signe de dénégation.)
Mme Sophie Primas. Mais si !
M. Pierre Ouzoulias. Si la taxe Zucman n’est pas la solution pour y remédier, faites-nous des propositions pour que nous nous conformions enfin à cet article.
M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, pour explication de vote.
M. Alexandre Ouizille. Madame la ministre, continuons à faire preuve d’honnêteté. Vous dites en effet la vérité : le système fiscal français est redistributif, puisque 60 % des Français en sont bénéficiaires nets, et c’est heureux.
Je m’inscris dans le sillage des propos qui viennent d’être prononcés. Madame la ministre, reconnaissez-vous que, depuis plusieurs années, nous assistons à une nouvelle concentration des patrimoines, qui met en danger la classe moyenne patrimoniale, alors que celle-ci était le grand acquis de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la fin des années 1970 ? L’augmentation massive des revenus du capital par rapport aux revenus du travail, dans une période de croissance limitée, est devenue un problème que nous devons régler.
Je rejoins donc les propos de notre collègue Ouzoulias : si la taxe Zucman ne vous convient pas, que proposez-vous dans ce budget pour répondre à cette question fondamentale, qui abîme le corps social et qui empêche ce pays d’avancer ? Alors que la France a l’égalité pour principe identitaire, une bulle s’est installée au sommet de la pyramide sociale. Comment remédier à ce problème ? Madame la ministre, j’attends votre réponse.
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour un rappel au règlement.
M. Emmanuel Capus. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 36, alinéa 3, ainsi que sur l’article 54 du règlement intérieur du Sénat, qui concerne la proclamation des votes. Nous débattons des articles additionnels après l’article 3 : il est donc important que nous sachions si l’article 3 a été adopté.
Lorsque vous avez procédé au vote sur l’article 3, monsieur le président, la majorité sénatoriale n’a pas levé la main – sans doute par distraction. Vous avez donc proclamé que l’article n’était pas adopté, ce qui était bien normal : bien plus de mains se sont levées pour rejeter cet article plutôt que pour l’adopter . La captation vidéo le montrera sans doute.
Vous vous êtes repris ensuite, mais ce n’est pas très clair. Vous ne pouvez pas proclamer l’adoption de l’article en corrigeant le vote de vos collègues qui n’ont pas voté : nous sommes assez nombreux à avoir constaté que les oppositions étaient majoritaires. Peut-être pourrions-nous faire une seconde délibération, même s’il est un peu tard pour cela.
Il y a en tout cas un vrai problème pour la clarté des débats : quand un bras n’est pas levé, le vote n’est pas comptabilisé ! On ne peut pas changer un vote.
L’article n’a pas pu être adopté, faute de majorité.
M. Michel Canévet. Si !
M. Emmanuel Capus. C’est la raison pour laquelle je vous demande une clarification. D’ailleurs, notre collègue Dossus a justifié la présentation de son amendement n° I-1498 par le rejet de l’article 3 par la majorité.
On ne peut pas débattre de ces articles additionnels sans savoir ce qui a réellement été voté plus tôt.
M. le président. Mon cher collègue, l’article 3 a été adopté.
M. Emmanuel Capus. Non !
M. Roger Karoutchi. On ne peut pas contester la décision de la présidence !
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.
M. Yannick Jadot. J’ignore si le niveau d’inégalité dans notre pays est le plus élevé que nous n’ayons jamais connu. Cependant, selon l’Insee, c’est le plus haut depuis trente ans, ce qui est déjà considérable.
Nous ne proposons pourtant pas de revenir au taux d’imposition qui prévalait pendant la période des Trente Glorieuses ! Pourtant, puisque cette période est associée au progrès social et économique,…
Mme Sophie Primas. À la croissance ! À la création de richesse !
M. Yannick Jadot. … ainsi qu’à un niveau de fiscalité garantissant une plus forte redistribution, nous pourrions nous en inspirer. Mais personne ne le propose !
Vous dites qu’il y a trop de prélèvements en France. Je vous invite à vous intéresser au niveau du Smic dans notre pays. La France est le pays de l’OCDE qui a le moins augmenté le salaire minimum dans les dix dernières années. D’après l’Office européen de statistiques, Eurostat, chez tous nos voisins immédiats, le salaire minimum a progressé de 35 %, contre 25 % dans notre pays.
Si nous augmentions les salaires, nous n’aurions pas besoin de réaliser autant de redistribution.
Enfin, j’en suis certain, nous pouvons nous accorder sur les trois critères qui garantissent une bonne politique publique : l’équité, l’efficacité et l’exemplarité.
L’équité en matière d’impôt est affirmée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, reprise dans notre Constitution.
L’efficacité me paraît garantie, dans le contexte actuel, s’agissant d’une taxe qui permet de récupérer entre 15 milliards et 20 milliards d’euros ! (M. Vincent Delahaye et Mme Sophie Primas protestent.)
M. Roger Karoutchi. Allons donc !
M. Yannick Jadot. On peut trouver cette mesure juste ou injuste, mais elle est efficace.
M. Olivier Rietmann. Non, elle n’est pas efficace !
Mme Sophie Primas. Elle est efficace une seule année !
M. Yannick Jadot. Enfin, notre pays a besoin d’exemplarité. Mon objectif n’est pas de dire que tous les maux de la société sont liés aux ultrariches. Mais si les citoyens des classes populaires et moyennes constatent que les plus riches ne sont pas exemplaires, alors, le contrat social est rompu.
Mme Sophie Primas. Vous raisonnez à l’envers !
M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann, pour explication de vote.
M. Olivier Rietmann. Mes chers collègues, permettez-moi de rétablir la vérité sur deux éléments.
L’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme que chacun doit contribuer au fonctionnement de l’État. Mais ce texte garantit les droits de l’homme et du citoyen : en quoi une personne morale, donc une entreprise, est-elle concernée ? (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Vous faites une confusion qui alimente encore davantage ce sentiment d’inégalité !
M. Pierre Ouzoulias. Oh non, vous ne pouvez pas dire cela !
M. Olivier Rietmann. Examinons les faits. Cher Yannick Jadot, je veux bien que l’on augmente les salaires : mais chaque fois que l’on ponctionne une entreprise, ce sont des salaires en moins qui sont distribués !
Mme Sophie Primas. Tout à fait !
M. Olivier Rietmann. C’est une évidence : ce sont des vases communicants !
M. Yannick Jadot. Pour l’instant, ce sont les dividendes qui explosent !
M. Olivier Rietmann. Chaque fois que nous alourdissons la contribution d’une entreprise, de quelque manière que ce soit, nous l’empêchons d’augmenter les salaires !
Chaque fois que vous frappez une entreprise, ce sont les femmes et les hommes qui y travaillent que vous touchez. (M. Yannick Jadot proteste.) Oui, l’inégalité existe. Mais examinons les écarts de revenus entre les plus riches et les plus défavorisés de notre pays : avant redistribution, en moyenne, chaque année, les premiers gagnent 130 000 euros, les seconds 6 980 euros. L’écart est d’un à dix-huit. Après redistribution, l’écart est seulement d’un à trois : les revenus des plus riches atteignent en moyenne 74 000 euros, ceux des plus pauvres 25 000 euros.
De grâce, n’alimentons pas ce sentiment d’inégalité, quotidiennement, sur tous les plateaux et toutes les antennes. Ce sentiment existe, il est vrai, mais il est nourri par votre discours. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Grégory Blanc. Ce n’est pas un sentiment !
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour explication de vote.
M. Thierry Cozic. Monsieur Rietmann, la taxe Zucman, telle qu’elle est présentée, ne cible pas les entreprises.
M. Yannick Jadot. Tout à fait !
M. Thierry Cozic. Elle vise les personnes physiques, soit 1 800 foyers. C’est une taxe différentielle de 2 % sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros. (M. Olivier Rietmann proteste.)
Mme Sophie Primas. Mais sur le patrimoine constitué dans des entreprises !
M. Thierry Cozic. Il me semble donc qu’il y a une erreur dans le débat.
Nous voulons seulement de la justice fiscale. J’ai cherché des données chiffrées. En France, plus on est riche, moins on paie d’impôts en proportion. Ce n’est pas moi qui le dis : de nombreuses études indépendantes le montrent.
En 1996, les plus fortunés contribuaient à hauteur de 80 milliards d’euros, soit 6,4 % du PIB. En 2024, cette contribution atteignait 1 228 milliards d’euros, soit 42 % du PIB : c’est quatorze fois plus !
Aussi, contrairement à ce que prétend le discours victimaire entretenu par les libéraux, la fiscalité du capital en France est loin d’être spoliatrice. Elle ne représente qu’environ 10 % de nos prélèvements obligatoires.
La comparaison avec les pays de l’OCDE montre que la France n’a rien d’un enfer fiscal, comme on l’entend souvent dans cet hémicycle, notamment pour les détenteurs de capital. La fiscalité du capital ne pèse qu’à hauteur de 6,3 % des recettes fiscales : c’est un niveau comparable à celui de l’Allemagne et inférieur à celui de la plupart des pays développés – la Norvège, la Suède, l’Irlande ou les États-Unis taxent, proportionnellement, davantage le capital que la France.
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.
Mme Ghislaine Senée. J’ai le sentiment que tout le monde se braque sur la taxe Zucman, qui est d’ailleurs très mal nommée : c’est non pas une taxe, mais un impôt plancher.
Mme Sophie Primas. Non, madame !
Mme Ghislaine Senée. Tous ceux qui ne contribuent pas à hauteur d’au moins 2 % doivent ajuster leur versement d’impôt pour se mettre en conformité avec l’article 13 de la Constitution, selon lequel on paie ses impôts à hauteur de ses moyens.
Nous vivons dans un monde bouleversé : le patrimoine des 500 plus grandes fortunes françaises s’établit à 1 228 milliards d’euros et représente 42 % du PIB.
M. Olivier Rietmann. Mais ce n’est pas de l’argent mobilisable !
Mme Ghislaine Senée. Il y a huit ans, ce n’était pas le cas. Les fortunes ont explosé !
Je suis donc tout à fait d’accord avec mon collègue Yannick Jadot : nous avons un devoir d’exemplarité. Face à de telles fortunes, on ne peut pas s’arrêter aux arguments invoqués par la ministre sur la redistribution. Pour une fortune de 100 millions d’euros, la taxe Zucman consisterait à prélever 2 millions d’euros : c’est beaucoup, mais qu’est-ce que cela représente, sur une telle fortune ? Il est incompréhensible pour les Français que vous défendiez un tel écart de richesse.
Si l’on gagne un euro toutes les secondes, en onze jours, on obtient 1 million d’euros. Mais pour obtenir 1 milliard d’euros, il faut trente et un ans.
Comment accepter que certains détiennent plus de 180 milliards d’euros de richesses ? C’est incompréhensible !
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.
M. Michel Canévet. Ce débat est récurrent : nous l’avons déjà eu il y a quelques mois. Nous avons l’impression que certaines personnes, dans notre pays, gagneraient beaucoup d’argent, sans payer autant d’impôts qu’ils le devraient.
M. Thomas Dossus. Ce n’est pas qu’une impression !
M. Michel Canévet. Pour ma part, je constate, fort heureusement, que de nombreux propriétaires d’actifs significatifs sont des contributeurs tout aussi significatifs ! Nous devons en tenir compte.
Le cas de l’une des principales fortunes françaises, qui figure au palmarès mondial, est souvent cité. Mais le groupe que cette personne préside contribue à un niveau considérable au versement de l’impôt sur les sociétés !
Ce n’est pas parce qu’un groupe de sociétés a une valeur extrêmement importante, parce que son activité prospère et que le cours des actions augmente, qu’il faut considérer que tout cet argent se trouve dans la poche de leurs propriétaires, qui sont d’ailleurs souvent dispersés. Au contraire, quand l’argent est placé dans les entreprises, il sert à les faire fonctionner et à les valoriser.
C’est en fait la question du stock qui est soulevée. Si le groupe Union Centriste est d’accord pour taxer les flux – les revenus –, nous ne comprenons pas pourquoi nous devrions taxer les stocks. En effet, il se pourrait bien que les personnes que nous souhaiterions imposer n’aient même pas les moyens de s’acquitter des sommes considérables que nous leur demanderions !
Certains ont fait référence aux prix Nobel d’économie. Lundi dernier, nous avons reçu, sur l’invitation de Louis Vogel, le lauréat 2025, Philippe Aghion. Celui-ci l’a dit clairement : la taxe Zucman empêcherait le développement de l’intelligence artificielle en France ! (MM. Yannick Jadot et Thomas Dossus ironisent.)
Soyez donc bien conscients des risques d’une telle mesure.
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour explication de vote.
Mme Florence Blatrix Contat. J’ai entendu dire que la redistribution fonctionne en France. C’est vrai, et on peut en être fiers. Pour autant, elle n’empêche pas l’augmentation des inégalités et de la pauvreté.
J’ai aussi entendu dire que la gauche répand le sentiment d’injustice fiscale. Mais ce sont les faits qui en sont responsables : les 0,01 % les plus riches contribuent deux fois moins que les millionnaires. Les faits sont là : cela n’a rien d’un sentiment.
Mes collègues l’ont dit : le patrimoine des 500 plus grandes fortunes est passé de 200 milliards d’euros dans les années 2010 à 1 200 milliards d’euros aujourd’hui.
S’il existe un tel stock, c’est bien parce que nous avons finalement échoué à imposer correctement les flux. Quand les flux s’accumulent dans des holdings, ils aboutissent à une concentration de patrimoine, qu’il est difficile de taxer. Et c’est ainsi que l’on assiste à un évitement de l’impôt.
Or la taxe Zucman a plusieurs mérites : c’est la raison pour laquelle nous avions déposé des amendements de repli, l’an dernier, dont l’un visait à fixer le taux à 0,5 %. Tout d’abord, elle repose sur une assiette importante, ce qui devrait contribuer à rétablir une forme de justice. Ensuite, elle permet de faire contribuer ceux qui échappent à l’impôt, en proportion, par rapport au reste de nos concitoyens. Enfin, elle garantit le respect d’un principe constitutionnel qui figure dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je me trompe peut-être, mais je trouve que l’on n’arrive pas ici à distinguer le chef d’entreprise et l’entreprise, à moins que l’on ne veuille pas le faire.
Les 500 premières fortunes françaises, dont la richesse cumulée, qui était de 124 milliards d’euros, est passée à 1 128 milliards d’euros, ne sont pas, pour une grande partie d’entre eux, des chefs d’entreprise. Ce ne sont pas des patrons, et ils ne dirigent pas d’entreprises !
Tout d’abord, cet impôt plancher concernera les personnes dont la fortune dépasse les 100 millions d’euros. C’est lorsque l’on dépasse ce montant que l’on commence à verser des actions aux multinationales…
Nous avons en ce moment un débat de nature politique : cet argent profite-t-il à l’économie réelle, c’est-à-dire, au sein de l’économie de marché, aux besoins des entreprises, à l’activité économique, à l’emploi et aux qualifications ? Mais tel n’est pas le cas en l’occurrence, puisque les personnes visées par cet impôt ne sont pas des patrons. Nous ne voulons pas combattre les entreprises !
Ensuite, concernant le prétendu caractère confiscatoire de cette taxe, le débat est là encore politique. Ceux qui possèdent 100 millions d’euros – un montant qui constitue tout de même une solide assise financière – ne seront pas concernés. Cet impôt n’est donc pas forcément confiscatoire….
Enfin, lorsque l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été instauré, en 1989 – toute notre jeunesse ! (Sourires.) –, durant neuf mois des spécialistes de la Constitution n’ont cessé de dire qu’il s’agissait d’un impôt inconstitutionnel. Ce sont la force du politique et la force sociale qui ont montré que l’ISF était constitutionnel.
Je ne comprends donc pas l’argument de l’inconstitutionnalité, d’autant que les personnes possédant moins de 100 millions d’euros ne seront pas touchées par la taxe. (MM. Olivier Rietmann et Roger Karoutchi manifestent leur impatience.)
Il faut donc distinguer ce qui relève du domaine du débat politique, du débat constitutionnel et de la justice sociale !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Tout d’abord, je le répète, les personnes dont parle M. Savoldelli ne possèdent pas 100 millions d’euros : elles détiennent des parts dans une entreprise dont une partie a été valorisée, par exemple si 1 % de l’entreprise a été acheté pour une valeur de 1 million d’euros.
Prenons le cas du fondateur d’une entreprise qui détient 25 % de celle-ci. Son compte en banque n’est pas crédité de 25 millions d’euros !


