M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je souhaite clarifier plusieurs points.
Tout d’abord, et c’est très important, la France n’a pas aujourd’hui de difficulté pour lever de l’argent. Je rappelle que, en 1983, une décision de cet ordre avait été prise parce que notre pays s’était retrouvé en manque de financements, à cause d’un certain nombre de dispositions fiscales, budgétaires et économiques mises en œuvre. Il avait donc été procédé à un emprunt forcé.
L’enjeu que pose le président Kanner est différent. C’est un enjeu non pas de liquidité pour l’État, mais de cohésion nationale.
M. Patrick Kanner. De justice fiscale !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il envisage une contribution des ménages les plus aisés au financement des grands défis du moment – notre défense, par exemple –, plutôt que ces derniers soient financés par le marché financier – j’essaie de suivre votre logique, monsieur le président Kanner.
Je le répète, la France parvient à se financer au taux de 3,4 %, ces derniers jours encore. Là n’est donc pas le sujet. Il s’agit de trouver une forme de cohésion nationale autour de grands objectifs.
Néanmoins, ce que vous proposez me pose deux difficultés. D’une part, doit-on appliquer ce dispositif de manière forcée ? D’autre part, doit-on l’appliquer sans aucune rémunération ?
Il existe aujourd’hui un produit d’épargne réglementée : le livret A, rémunéré à 1,7 %, c’est-à-dire à strictement la moitié du taux d’emprunt sur les marchés pour notre dette. Cela signifie – je l’ajoute au passage – que le logement social se finance pour deux fois moins cher que l’État.
On pourrait imaginer, en reprenant un peu l’idée que vient d’exposer le rapporteur général, un emprunt pour mobiliser l’épargne des plus fortunés ou d’autres personnes volontaires – pour la défense, par exemple –, à un taux semblable à celui du livret A.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Plus élevé !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ou plus élevé, en effet.
Le taux d’emprunt sur le marché est de 3,4 %. Si l’on arrivait à emprunter moins cher, cela permettrait de financer les grands besoins nationaux à un taux de rendement moins élevé.
Cette proposition a été largement discutée. Le dispositif, tel qu’il est présenté aujourd’hui, ne me semble pas abouti, mais je voulais éclairer le débat. Encore une fois, l’idée d’un emprunt qui serait lancé aujourd’hui ne saurait être liée à un problème de financement. Ce pourrait être un outil de cohésion, de mobilisation de l’épargne de personnes souhaitant contribuer à l’effort national, qu’elles soient très fortunées ou non, d’ailleurs.
L’outil que vous proposez, monsieur Kanner, est différent de celui que je viens d’esquisser sur deux points.
Tout d’abord, le dispositif que vous proposez est obligatoire, et non volontaire.
Ensuite, il n’est pas du tout rémunéré, même à un taux bien inférieur à celui du marché, même au taux du livret A.
Notre débat sur un tel dispositif pourrait être plus ouvert s’il n’y avait pas ces deux différences très importantes entre ce que vous proposez et ce que nous pourrions envisager. Mais je vous laisse en débattre, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je serai donc défavorable à ces propositions, même si le débat ouvert par le président Patrick Kanner est intéressant dans le moment particulier que nous vivons. En effet, on pourrait imaginer, autour de grands enjeux, notamment de défense nationale, des dispositifs innovants qui ne seraient ni confiscatoires ni anticonstitutionnels.
J’émets donc un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements, ainsi que sur le sous-amendement n° I-2757.
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour explication de vote.
M. Jean-Raymond Hugonet. Hier, lors de la discussion générale, j’ai écouté attentivement, comme d’habitude, les propos du président de notre commission des finances, Claude Raynal, qui appelait avec sagesse au sens du compromis et à la hauteur de vue…
Or, dès les amendements tendant à insérer un article additionnel après l’article 3, nous arrive un amendement « météorite », comme le disait M. le rapporteur général : voilà que le groupe socialiste nous sort l’emprunt obligatoire ! J’ai dû me pincer pour y croire… C’est Le Kolkhoze fleuri, cette affaire ! C’est incroyable. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Que l’on s’entende bien : la taxe Zucman, qui a été démasquée comme étant une supercherie fiscale, a explosé en vol. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Et vous proposez désormais ce qui n’est rien d’autre qu’un racket.
Comme l’a dit Mme la ministre, que soit lancé un emprunt d’État, pourquoi pas ? La réflexion est ouverte. Mais un emprunt contraint, c’est parfaitement inacceptable !
J’entends parler du consentement à l’impôt… Mais ce dont les Français ne veulent plus aujourd’hui, et cela qu’ils soient « très très riches », très riches, un peu moins riches ou pas riches du tout, c’est que leur contribution arrose le sable ! (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Guy Benarroche. Il ne faut donc pas d’hôpital !
M. Yannick Jadot. Et pas d’école !
M. le président. Laissez parler votre collègue !
M. Jean-Raymond Hugonet. Or c’est ce qui se passe depuis trop longtemps. Ces systèmes alambiqués ne servent à rien et ils seront balayés rapidement, que cela vous plaise ou non !
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.
M. Vincent Capo-Canellas. Je rejoins le rapporteur général, le sujet n’est pas mûr. Nous avons connu, par le passé, des grands emprunts, mais ils étaient accompagnés d’un certain nombre d’éléments destinés à créer la confiance et à en expliquer le sens.
Mme la ministre a eu raison de rappeler que notre pays n’avait pas de problème d’accès aux marchés, que la signature de la France restait solide – il faut qu’elle le demeure. L’État n’a pas besoin de faire appel aux particuliers parce qu’il aurait des difficultés à se financer par ailleurs ; il est nécessaire d’être clair sur ce point.
Une communication s’impose donc, de même qu’il est indispensable de recueillir l’avis d’un certain nombre d’experts, de créer les conditions de la confiance et d’expliquer le sens d’un tel emprunt. Il me semble que, de ce point de vue, les circonstances et une forme d’improvisation depuis mardi dernier nous conduisent à prendre le risque de dévoyer ce qui peut, en fin de compte, s’avérer être une belle idée. Cet emprunt permet également de faire contribuer un certain nombre de grandes fortunes autrement que par l’impôt ; il peut donc présenter aussi cet intérêt.
Nous sommes prêts à examiner ce genre de proposition, mais pas maintenant et pas de cette façon, d’autant que nous examinons un sous-amendement dont la commission n’a pas pu prendre connaissance. On est en train de passer d’un emprunt forcé non rémunéré à un emprunt qui serait rémunéré et dont les conditions de versement seraient aménagées : nous sommes vraiment dans l’improvisation la plus totale !
Par conséquent, nous ne voterons pas ces amendements et ce sous-amendement. Nous pouvons réfléchir à l’idée d’un emprunt, mais dans un cadre tout à fait différent, car le sujet est sérieux.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Le rapporteur général affirme qu’il s’agit d’un amendement « amateur » – il n’a pas dit loufoque –, d’une « météorite » qui ne respecterait pas les traditions du Parlement. (M. le rapporteur général le confirme.)
J’aimerais vous lire, mes chers collègues, les propos d’un rapporteur général que vous connaissez tous, Philippe Marini. Il ne parlait pas de l’emprunt Mauroy de 1983, puisqu’il a rédigé son rapport en juillet 2009, après la crise de 2008. On peut y lire, à la page 74, que l’emprunt obligatoire est « un moyen de financement qui pourrait se révéler utile ».
Je vous épargnerai la lecture des passages qu’il consacre au sujet, mais je reprendrai les trois avantages qu’il voyait dans cet emprunt. Premièrement, il est « conforme à l’exigence de solidarité dont doivent témoigner les contribuables les plus aisés en temps de crise ». Deuxièmement, il institue une « source de recettes aisément identifiable pour l’État, comme pour le citoyen ». Troisièmement, il « serait prélevé sans coûts administratifs excessifs ».
Je me permets de citer un paragraphe : « Il convient de bien réaliser que, dans le contexte actuel de très faible inflation, un emprunt obligatoire non rémunéré ou dont la rémunération serait inférieure à 1 % l’an ne représenterait qu’un “sacrifice” très modique pour les intéressés, sachant qu’ils bénéficieraient de la meilleure garantie possible de récupération de leur capital. » Le rapporteur général concluait, en caractères gras, que « prétendre que cette opération serait assimilable à un impôt supplémentaire serait, par conséquent, contraire à la réalité économique ».
Alors en quoi est-ce un amendement d’amateur ? En quoi serait-il loufoque de le soumettre ici à votre appréciation ? Nous cherchons des recettes ; c’est une voie, une solution, qui paraît raisonnable.
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour explication de vote.
M. Thierry Cozic. Les échanges que nous avons sur l’emprunt obligatoire me semblent essentiels. Ce débat est sain, utile et nécessaire. Je ne suis pas surpris de constater qu’il suscite des discussions animées dans l’hémicycle. C’est aussi une force, car ces discussions témoignent de la vitalité de notre vie politique et du rôle majeur que joue le Sénat dans ce type de débat.
Cela étant dit, avant de poursuivre, je me permettrai de rappeler quelques chiffres. En 2026, la France empruntera, selon l’Agence France Trésor, 310 milliards d’euros sur les marchés financiers, devenant ainsi le plus grand emprunteur de la zone euro.
La charge des intérêts de la dette publique française augmente rapidement, on le sait, et atteindra plus de 59 milliards d’euros en 2026.
Le besoin de financement primaire de l’État, autrement dit son déficit, est prévu à 5,4 % du PIB en 2025, soit près de 116 milliards d’euros.
Devant ces montants vertigineux, aucune mesure ne saurait être écartée pour réduire un déficit aussi colossal, creusé notamment par les 62 milliards d’euros de cadeaux fiscaux consentis par Emmanuel Macron chaque année depuis huit ans. C’est le désarmement fiscal opéré par le Gouvernement qui a plongé le pays dans la situation si critique que nous connaissons aujourd’hui.
Pour redonner à l’État les moyens d’agir et d’investir, notre groupe a donc proposé ce mécanisme d’emprunt obligatoire, ciblé sur quelques milliers de foyers français parmi les plus aisés. Nous voterons bien sûr ces amendements, ainsi que le sous-amendement.
Avant le vote, je voudrais tirer le principal enseignement de notre débat : le groupe socialiste a pris ses responsabilités. Comme nous l’avons toujours fait, nous nous sommes efforcés de trouver des solutions et d’ouvrir de nouvelles perspectives de réflexion pour rendre à la puissance publique sa capacité d’agir et tenter de retisser, au moins partiellement, un pacte social gravement déchiré par huit ans de macronisme et de politiques fiscales plus injustes les unes que les autres.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Madame la ministre, je voudrais répondre à mon tour au qualificatif d’« amateur ». Pour moi, les amateurs sont ceux qui ont mis notre pays au bord de la faillite, pour reprendre une expression familière.
Aujourd’hui, la dette atteint 3 400 milliards d’euros, soit 115 % du PIB. Par conséquent, par égard pour nos concitoyens, tout est bon à prendre pour corriger cette situation, notamment pour éviter que la charge de ce désastre ne soit portée par celles et ceux qui n’en sont en rien responsables.
Notre philosophie est simple. Elle consiste à dire aux plus fortunés, précisément les 0,05 % de contribuables visés par les amendements, qu’ils doivent contribuer aux politiques publiques dans un élan de patriotisme fiscal ; peut-être faut-il viser certaines politiques prioritaires : vous avez mentionné la défense, madame la ministre, je pourrais évoquer l’hôpital public ou l’éducation nationale.
Je suis également sensible au propos de M. Capo-Canellas lorsqu’il dit que cette piste mérite d’être examinée.
M. Vincent Capo-Canellas. Mais pas comme cela et pas maintenant !
M. Patrick Kanner. L’emprunt obligatoire n’est pas l’alpha et l’oméga des solutions, mais il constitue une piste. Nous avons ouvert une porte. Peut-être n’irons-nous pas jusqu’au bout, mais cette piste mérite au moins d’être étudiée.
Le sous-amendement déposé par Grégory Blanc tend à préciser que, s’il y a un emprunt forcé, obligatoire, que j’appelle pour ma part une contribution exceptionnelle restituable, une rémunération, même modeste, sera prévue.
Je rappelle que les familles concernées placent aujourd’hui leur argent à des taux allant de 4 % à 7 %, ce qui est un fait constaté. L’emprunt proposé serait moins rémunéré.
Cet effort de patriotisme fiscal ne saurait être balayé de la sorte, par des propos qui semblent injustes au regard de l’objectif recherché.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Les initiateurs de l’amendement me diront si je me trompe : je me suis d’abord dit qu’il s’agissait d’un emprunt sur ceux qui provoquent la dette, et j’ai trouvé que le dispositif était intéressant. Mais j’estime qu’il ne faut pas laisser l’action publique se financiariser. Un tel mécanisme pourrait donc, à mon sens, être extrêmement dangereux, en faisant entrer les marchés dans le financement de cette action publique.
Pour ma part, je pense que c’est la fiscalité qui doit financer l’action publique. C’est un sujet dont nous pouvons débattre, monsieur Kanner.
Par ailleurs, nous avons des doutes, d’abord sur le fait que cet emprunt n’est pas affecté.
M. Olivier Rietmann. Eh oui !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. On ne peut pas !
M. Pascal Savoldelli. Nous pouvons nous accorder à gauche, et même au-delà de la gauche, sur des affectations. Mais comme on nous parle d’économie de guerre, j’ai le sentiment que le produit de cet emprunt serait affecté au surarmement : sur ce point, nous ne sommes pas d’accord, y compris au sein de la gauche. Il est donc indispensable de prévoir une affectation claire.
Enfin, je veux attirer votre attention sur un point sur lequel nous sommes, je le crois, d’accord. Si, pendant quatre ans, l’emprunt est rendu obligatoire, cela nous fera gagner du temps pendant quatre lois de finances sur la taxation des ultrariches, car on nous sortira le « parasol » de l’emprunt obligatoire.
Souvenez-vous du débat que nous avons eu tout à l’heure sur le capital, que l’on orienterait, que l’on écraserait, que l’on mettrait à mal… Avec un emprunt obligatoire de quatre ans à taux zéro, nous sommes tranquilles : il n’y aura pas de révolution fiscale pour le grand capital !
Au regard des doutes que je viens d’exprimer, nous nous abstiendrons, mais ce n’est pas une fin de non-recevoir.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Je n’étais pas non plus très « fan » du dispositif lorsqu’il a été proposé, mais on ne peut tout de même pas parler de racket s’agissant d’une contribution que l’on restituera aux plus hauts patrimoines ! Il faut raison garder.
J’ai bien compris que la maison des milliardaires était ici très bien gardée, que l’on considérait que leur emprunter de l’argent pour le leur rendre quelques années plus tard revenait à un racket complet.
Je tiens donc à vous alerter, mes chers collègues : nous ne parvenons même plus à faire contribuer, par un dispositif qui est somme toute assez soft, les plus hauts patrimoines de ce pays.
On nous explique maintenant que l’on emprunte facilement, alors que, pendant des semaines et des semaines, on nous a répété que la charge de la dette devenait insupportable, qu’elle allait devenir le premier budget de notre pays et que la France allait être mise sous tutelle.
Et lorsqu’on trouve un système pour faire contribuer les plus riches, en leur empruntant en quelque sorte, mais évidemment avec un taux d’intérêt plus faible, on nous explique que ce n’est pas envisageable puisque, finalement, notre pays emprunte sans problème. Tout va très bien, madame la marquise ! Il faudrait mettre un peu de cohérence dans ce que l’on raconte…
Le dispositif proposé permet temporairement d’emprunter un peu d’argent aux plus hauts patrimoines. Par conséquent, pourquoi ne pas le voter, l’améliorer pendant la navette, avant de le tester ?
En tout cas, il faut faire attention aux propos qui sont tenus, parce que ce n’est même pas la taxe Zucman…
M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, pour explication de vote.
M. Alexandre Ouizille. Je m’inscrirai dans le sillage des propos de M. Dossus. Les mots ont un sens. Lorsque, monsieur Hugonet, vous vous tenez le front en parlant de « racket » alors que le Sénat est en train de débattre d’un impôt, vous dévaluez cette maison. Vous dévaluez le Parlement lorsque vous agissez ainsi ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Rietmann. C’est un impôt alors ?
M. Alexandre Ouizille. Monsieur le rapporteur général, lorsque nous cherchons par tous les moyens un compromis – et c’en est un, puisque nous sommes tout de même très en deçà d’une contribution fiscale –, on nous dit que c’est un dispositif « météorite », « insuffisant », « amateur ».
Cela donne une idée de ce à quoi vont servir nos débats. Car vous nous emmenez exactement là où vous nous avez emmenés s’agissant du projet de loi de financement de la sécurité sociale : nous débattons ici, puis il y aura une commission mixte paritaire qui sera non conclusive, et tout sera jeté à la poubelle. Si cela vous amuse de procéder ainsi, c’est tout de même bien triste !
Je m’adresse ensuite à nos collègues du groupe centriste qui, visiblement, sont un peu plus raisonnables (Mme Christine Lavarde ironise.) et essaient de comprendre que nous tentons de trouver un point de compromis. Je vous dis juste une chose : si vous écartez ces amendements, les règles budgétaires, et notamment celle de l’entonnoir, feront que nous ne reviendrons pas sur le sujet. Vous avez donc aussi une responsabilité dans le moment présent.
Enfin, je veux dire à nos collègues communistes que je comprends leurs doutes. Ce dispositif est évidemment beaucoup moins satisfaisant qu’une imposition, puisque, dans quelques années, nous rendrons une partie de l’argent qui nous a été prêté. Néanmoins, cela permet de gagner sur les taux d’intérêt.
Dans la situation actuelle, il faut prendre tout ce qui peut être pris. J’appelle donc chacun à faire preuve de responsabilité.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour explication de vote.
Mme Christine Lavarde. Cette discussion est très intéressante. Au moment où nous parlons d’un emprunt obligataire obligatoire, un autre pays dans le monde est en train de faire la même chose : il s’agit de la Guinée, qui lance un appel public à l’épargne pour une durée de cinq ans, avec un taux d’intérêt annuel de 11 %.
Mes chers collègues, j’ai lu l’exposé des motifs de vos amendements : je ne vois pas à quoi va servir cet argent ni la raison pour laquelle vous voulez mettre en place cet emprunt.
La Guinée, quant à elle, a énoncé explicitement les motifs – intéressants – pour lesquels elle lançait un emprunt : l’État guinéen poursuit une stratégie visant à élargir sa base d’investisseurs, à renforcer son marché intérieur des capitaux et à structurer davantage son accès futur aux financements extérieurs.
Je donne ainsi raison à M. Savoldelli qui dit que l’emprunt sert à financiariser les services publics et l’économie, mais, au moins, une stratégie est affichée par l’État guinéen. Avec l’emprunt que vous proposez, je le redis, on ne sait pas où va aller l’argent.
Voilà les raisons pour lesquelles nous ne pourrons pas voter ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Je souhaite apporter de la clarté, car j’entends parler d’un emprunt obligatoire, puis d’un impôt, qui permettra de réduire le déficit. Mais cela ne va en aucun cas réduire le déficit ! Certes, le différentiel de taux d’intérêt entre le taux du marché et un taux nul, ou légèrement supérieur à zéro, permettra une petite économie, mais qui ne réduira en rien le déficit.
Pour atteindre cet objectif, il faudrait s’attaquer à nos dépenses publiques et restructurer en profondeur la façon dont nous délivrons aujourd’hui le service public. Telle doit être notre priorité.
Je comprends l’idée que vous souhaitez avancer, mes chers collègues, mais je ne comprends pas comment le mécanisme va fonctionner. Surtout, j’y insiste, l’emprunt proposé ne permettra pas de réduire le déficit.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour explication de vote.
M. Grégory Blanc. Pour certains d’entre nous, il faut baisser la qualité et le niveau du service public.
Pour ma part, j’invite chacun à lire les rapports de la Cour des comptes, qui sont extrêmement clairs. D’ici à 2031, année qui marquera le pic d’endettement, nous serons confrontés à une hausse considérable des intérêts de la dette.
À cette date, il faudra que nous dégagions entre 180 milliards et 200 milliards d’euros si nous intégrons les objectifs suivants : réduire le déficit primaire, respecter nos engagements militaires, adapter notre pays au réchauffement climatique et faire face au vieillissement de notre population.
Il faudra sûrement, à un moment donné, que nos services publics gagnent en efficience ; pour cela, nous devrons avoir un débat sur le sujet et mener des réformes structurelles. Cependant, nous n’échapperons pas à une réflexion sur la fiscalité, sur la façon dont les uns et les autres devront faire des efforts, notamment ceux qui ont des revenus plus importants.
Je rejoins ce que disait notre collègue Alexandre Ouizille. Le rapporteur général nous parle d’une proposition « météorite ». Mais le budget n’a été déposé que le 14 octobre dernier et nous n’avons eu que quelques semaines pour y travailler. Il faut que, dans la situation actuelle, nous soyons capables de trouver un compromis, de dégager un budget, d’assurer une certaine stabilité.
Si nous voulons de la stabilité, il faut aussi que nous soyons capables d’adresser un signal à nos compatriotes en disant que, d’une façon ou d’une autre, une contribution doit être apportée par les plus hauts revenus et les plus hauts patrimoines de notre pays.
En l’occurrence, nous proposons simplement un emprunt obligatoire et, comme le disait Thomas Dossus, l’argent sera rendu. Pourtant même cela, vous le refusez ! Cela pose tout de même une difficulté et en dit long sur votre volonté d’aboutir à un compromis.
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.
M. Emmanuel Capus. C’est la journée des horreurs ! Prorogation de la CDHR, proclamation de la taxe sur les holdings alors que ceux qui ont voté pour étaient minoritaires, proposition d’un emprunt forcé – pardon, d’un emprunt volontaire obligatoire… Il faut revenir aux fondamentaux !
Monsieur Jadot, vous ne cessez de dire « liberté, égalité, fraternité » et de citer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Souvenez-vous de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé », sauf en cas de « nécessité publique » – je ne vois pas laquelle est visée ici – et « sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».
Or, mais peut-être ai-je mal compris, il s’agit d’un emprunt non rémunéré. Il est donc totalement inconstitutionnel, puisqu’il est contraire à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui a valeur constitutionnelle. Je ne comprends même pas pourquoi nous débattons !
Nous ne pouvons pas priver quelqu’un de sa propriété privée, des intérêts de son bien, s’il n’est pas indemnisé. C’est la base ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.) Nous ne pouvons évidemment pas voter un tel dispositif !
Je ne sais pas, ou plutôt je crains de savoir, qui a pu vous conseiller ce dispositif, mais honnêtement ce n’est pas une bonne idée.
M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann, pour explication de vote.
M. Olivier Rietmann. La droite sénatoriale n’est pas contre l’emprunt. Le premier d’entre nous, le général de Gaulle, à la fois en tant que président du conseil et Président de la République, a lancé de grands emprunts, mais il prenait soin d’expliquer la raison de cette méthode et de fédérer autour de lui l’ensemble du peuple français. Jamais il n’aurait eu l’idée de faire une proposition ainsi « bidouillée » au bout d’une table, sur une serviette !
J’ai eu du mal à comprendre s’il s’agissait d’une contribution fiscale, d’un équilibre fiscal, de justice fiscale ou d’un emprunt. Or un emprunt doit comporter, cela a été relevé par des collègues, une affectation.
Nous ne sommes donc pas contre l’emprunt. Parlons-en, mais pas sur un coin de table, un vendredi soir ! Cela peut être utile, encore que, comme l’a dit Mme la ministre, la France n’a pas spécialement de difficultés à emprunter.
Surtout, à quoi servira cet emprunt, ainsi que l’a fait remarquer si intelligemment notre collègue Pascal Savoldelli ? Nous ne sommes peut-être pas forcément d’accord sur l’affectation que vous voulez lui donner. La preuve, vous n’êtes pas non plus d’accord entre vous ! Par conséquent, débattons-en, prenons le temps, avant d’envisager de mettre en place un tel mécanisme.
Je rejoins notre collègue Pascal Capus… (Sourires.)
M. Yannick Jadot. Son prénom lui appartient ! C’est un droit inaliénable !
M. Olivier Rietmann. Pardonnez-moi, mon cher collègue. Vous parliez d’un prétendu « emprunt », forcé, sans rétribution, ciblant une certaine classe… Je regarde la définition : cela s’appelle de la réquisition…
M. Yannick Jadot. De Gaulle en a fait !
M. Olivier Rietmann. En d’autres temps !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Mes chers collègues, à force de vous enflammer, vous finissez par perdre de vue un certain nombre de repères. Je souhaite revenir sur deux idées qui ont été développées et qui sont fausses.
Premièrement, la non-affectation, qui serait un oubli ou le signe d’un désaccord. Non ! Elle tient au fait que, si une affectation avait été prévue, l’amendement relèverait de l’article 40 de la Constitution.