M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur le cœur opérationnel de cette mission, l’administration territoriale de l’État, et, plus particulièrement sur les moyens humains qui lui sont dédiés.

Après plus d’une décennie de réduction continue des effectifs, la création de 50 ETP en 2026 constitue un signal positif. Pour cette raison, la commission des lois a émis un avis favorable sur les crédits de la mission.

Cependant, cet avis est assorti de réserves majeures, qui sont même de véritables avertissements dans la perspective des exercices à venir. Ces évolutions budgétaires demeurent en effet largement insuffisantes au regard des fragilités accumulées par l’État territorial ces dernières années.

Les tensions restent aujourd’hui particulièrement vives dans les services les plus exposés. Je pense notamment à ceux qui sont chargés des titres de séjour : les délais de délivrance se sont allongés de plus de 25 % en 2024.

Les plans de renfort se succèdent et se ressemblent, mais ils sont loin de pallier les insuffisances du schéma d’emplois. Pas moins de 430 contrats infra-annuels doivent ainsi être conclus chaque année, simplement pour garantir le fonctionnement courant des services de délivrance des titres. Cette dépendance chronique aux renforts temporaires n’est plus l’expression d’une souplesse de gestion ; elle est devenue le symptôme d’une administration gérant en permanence l’urgence et la pénurie. C’est bien là toute la fragilité de notre administration territoriale, qui est pourtant si indispensable.

Cette situation pèse directement sur l’attractivité des services, laquelle est fortement dégradée. Les trois quarts des préfectures connaissent ainsi des taux de vacance de poste supérieurs à 3 %.

À cela s’ajoutent des dysfonctionnements concrets, quotidiens, qui nourrissent chez les agents un véritable sentiment de déclassement.

La mise en place des secrétariats généraux communs départementaux, à laquelle j’ai souhaité porter une attention toute particulière, en offre une illustration éclairante. Certes, une forme de stabilisation semble enfin se dessiner après cinq années d’existence. Mais il est pour le moins surprenant de constater la persistance de difficultés élémentaires de gestion. Dans les services des ressources humaines, par exemple, les agents ne disposent toujours pas d’une interface informatique unique pour accomplir leurs missions.

L’état de la formation continue est un autre révélateur tout aussi préoccupant. En quelques années, le volume des formations proposées aux agents du ministère et de l’administration déconcentrée a diminué d’un tiers. Dans ce contexte, la hausse de 5 % des crédits prévue pour 2026 ne doit pas faire illusion : elle ne traduit en rien un réel investissement dans la montée en compétences ; elle correspond simplement à un ajustement des coûts logistiques.

En définitive, mes chers collègues, les évolutions budgétaires prévues pour 2026 relèvent avant tout d’un expédient nécessaire. Elles ne sauraient, en l’état, être assimilées à un véritable renforcement de l’État territorial, en dépit du vernis du discours ministériel.

Si nous acceptons, cette année, d’accorder au Gouvernement le bénéfice du doute, nous ne pourrons durablement nous satisfaire d’un simple effort de rattrapage, l’État territorial demeurant l’un des piliers de l’action publique de proximité dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Annie Le Houerou et MM. Marc Laménie et Michel Masset applaudissent également.)

Organisation des travaux

M. le président. Mes chers collègues, avant de donner la parole aux orateurs des groupes, et pour la bonne information de tous, je vous indique que onze amendements sont à examiner sur cette mission.

La conférence des présidents a fixé la durée maximale de la discussion à une heure et quinze minutes. Au-delà, conformément à l’organisation de nos travaux décidée par la conférence des présidents et en accord avec la commission des finances, la suite de l’examen de cette mission sera reportée à demain, dimanche.

Administration générale et territoriale de l’État (suite)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Audrey Linkenheld.

Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ». Celle-ci traite à la fois du fonctionnement de notre démocratie et de la présence de l’État dans les territoires.

Elle rassemble, en effet, trois programmes portant respectivement sur le financement de l’administration territoriale, la vie politique et le pilotage et le support des politiques du ministère de l’intérieur.

Dans un contexte de nécessaire redressement des finances publiques, on pourrait se satisfaire que la mission AGTE affiche malgré tout une hausse globale de ses crédits : +7,13 % en autorisations d’engagement et +3,41 % en crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2025.

Pourtant, cette progression est surtout conjoncturelle. En effet, le programme 232 « Vie politique », dont les crédits évoluent en fonction du calendrier électoral, absorbe 60 % de la hausse des crédits de la mission, en raison des élections municipales et sénatoriales de l’année à venir.

Si l’on neutralise ce programme, les moyens du reste de la mission AGTE diminuent en réalité de 0,7 %, soit 72 millions d’euros en moins. Cela représente un écart de plus de 10 % avec la trajectoire prévue pour 2026 par la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi). Cet effort pèse clairement sur les fonctions pilotage et support.

Oui, le programme 354, qui concentre l’essentiel de l’action des préfectures et des sous-préfectures, connaît, lui, une progression sensible de 2,4 % de ses crédits, due principalement à la hausse des dépenses d’investissement orientées vers l’immobilier et la modernisation numérique.

Ce sont là des efforts nécessaires, notamment pour augmenter la résilience numérique de l’État territorial, mais la logique générale est plus réparatrice que consolidatrice.

En ce qui concerne les moyens humains, il est regrettable que l’augmentation des effectifs ne comble pas les déficits cumulés sur dix ans et répare à peine les situations difficiles résultant des contractions antérieures.

La création de 50 ETP est annoncée pour 2026. C’est mieux que le schéma d’emplois de 2025, mais un tel progrès reste très insuffisant, car ces renforts ont surtout deux objets.

Il s’agit, d’une part, d’accompagner l’entrée en vigueur, en janvier 2026, de la nouvelle condition de maîtrise minimale de la langue française pour l’attribution d’une carte de séjour pluriannuelle. Faute d’un accompagnement efficient, cette mesure va mécaniquement accroître le nombre de demandes de renouvellement temporaire à traiter.

Ces renforts sont destinés, d’autre part, à la montée en charge des centres d’expertise et de ressources des titres (CERT), qui sont déjà sous tension, à l’heure où se profile le remplacement du permis de conduire à trois volets.

Alors que le nombre de ses missions augmente, l’agence France Titres sera rapidement confrontée, à n’en pas douter, à un problème de soutenabilité. Les rapporteures spéciale et pour avis le disent clairement : la contractualisation et l’externalisation fragilisent la santé financière et opérationnelle de ses services.

J’en viens au programme 232 « Vie politique », qui connaît, comme à chaque fin de cycle municipal et sénatorial, une forte hausse de ses crédits : en l’espèce, +200 %.

Cette hausse s’explique notamment par l’explosion du coût de l’acheminement de la propagande électorale, qui a crû de 25 % depuis 2020. Elle s’explique aussi par les conséquences de la loi PLM (loi du 11 août 2025 visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille) et par le renforcement des missions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

Il y a là, toutefois, une contradiction notable avec l’évolution à la baisse des crédits de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dont l’activité dépend aussi du cycle électoral. Nous aurons l’occasion d’en reparler la semaine prochaine, à propos d’autres missions.

Il est à noter également – notre collègue Cécile Cukierman l’a souligné et nous le faisons chaque année – que la subvention pour frais d’assemblée électorale versée par l’État aux communes reste insuffisante, faute d’être réévaluée depuis 2006. Ce remboursement ne couvrirait en effet que 6 % du total des dépenses effectives, ce qui justifie pleinement la proposition de loi de mes collègues socialistes Éric Kerrouche et Sebastien Pla visant à mieux indemniser et à simplifier l’organisation des élections pour les communes.

Le parent pauvre de la mission AGTE est le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur ». Il est le seul à connaître une baisse de ses crédits et celle-ci est significative : le décrochage est de 17 % par rapport à la Lopmi.

Ce décrochage tient notamment à l’achèvement de l’opération Universeine, mais révèle un désengagement global. Or ce programme finance les affaires juridiques et le contentieux, les secrétariats généraux, la transformation numérique et le fonds interministériel de prévention de la délinquance.

C’est sur ce dernier point que le signal est particulièrement préoccupant : la baisse des crédits, qui est de 10 millions d’euros, marque un véritable désarmement de la prévention de la délinquance. Chacun sait pourtant qu’il s’agit d’un des leviers les plus efficaces à long terme pour renforcer la sécurité et lutter en amont contre le narcotrafic, qui mine nos territoires urbains et ruraux.

C’est pourquoi, afin de corriger autant que faire se peut ces insuffisances sur des sujets clefs, le groupe socialiste a déposé différents amendements : maintien du FIPD ; renforcement des moyens humains en préfecture ; réarmement territorial ; hausse du nombre d’inspecteurs du permis de conduire. Nous verrons quel sort leur sera réservé.

À ce stade, notre groupe a prévu de s’abstenir sur le vote des crédits de la mission AGTE, considérant la situation budgétaire générale et le réarmement seulement palliatif du programme 354. Il faudrait au contraire intervenir en profondeur sur la capacité de l’État à agir, à se moderniser et à accompagner les collectivités. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – MM. Marc Laménie et Michel Masset applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.

M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un chiffre résume bien les difficultés rencontrées par l’État territorial – il a été évoqué tout à l’heure : en 2024, les délais de traitement des demandes de titre de séjour ont augmenté de 27 % pour les premières demandes et de 25 % pour les renouvellements.

C’est d’autant plus inacceptable que l’on sait, grâce à l’excellent rapport de Mme la rapporteure spéciale, que les services de l’administration territoriale ont longtemps souffert d’un épuisement chronique des effectifs : alors que les besoins ont augmenté entre 2010 et 2020, 14 % des postes ont été supprimés.

Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit la création de seulement 50 ETP pour les préfectures, ce qui est totalement insuffisant au regard du retard accumulé et des besoins réels.

De plus, ce déficit d’effectifs s’accompagne d’une précarisation des recrutements, d’une perte de sens pour de nombreux agents et d’un manque de reconnaissance inquiétant de leur mission pourtant essentielle.

Ces agents tirent d’ailleurs la sonnette d’alarme quant à leurs conditions de travail, à l’attractivité de leurs métiers et à la capacité de ces services à remplir leur rôle.

Le recours aux agents contractuels au sein de l’administration déconcentrée ne cesse de croître, année après année, pour atteindre 16 % en 2025. Cette tendance est particulièrement notable dans les services chargés des étrangers, dont les effectifs sont à 39 % contractualisés.

En somme, on précarise en masse et, au bout du compte, c’est aussi l’usager qui paie. Travailleurs, étudiants, familles, personnes fragiles ou handicapées, toutes ces personnes se voient retirer d’un seul coup des droits fondamentaux : accès à l’emploi, au logement, aux aides sociales ou encore à la santé. Cette dynamique est constitutive d’un recul des droits et d’une atteinte manifeste au principe de continuité du service public.

Il ne suffit plus de reconnaître le problème ; il faut agir. Nous ne pouvons plus accepter que des vies soient suspendues en raison d’une administration fragilisée. Nous ne pouvons plus accepter que l’on sacrifie des droits essentiels sur l’autel des réductions budgétaires. Nous ne pouvons plus accepter non plus que l’on précarise toujours davantage les agents de notre service public.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – M. Michel Masset applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Administration générale et territoriale de l’État » est d’une portée fondamentale, puisqu’elle recouvre l’action de l’État dans les territoires.

Elle englobe également le financement des temps de respiration démocratique que sont les élections, au travers de son programme 232 « Vie politique ».

J’aborderai en premier lieu ce dernier, avant d’évoquer les graves problèmes que rencontrent les services des préfectures, et auxquels les deux autres programmes de la mission, 216 et 354, ne répondent pas.

Deux échéances électorales se profilent en 2026, les municipales et les sénatoriales, sauf nouvelle surprise ou grenade dégoupillée que l’on nous jetterait dans les jambes pour voir comment nous nous en sortons…

Les crédits du programme 232 sont donc dotés cette année de 300 millions d’euros. Nous sommes ravis de voir que le Gouvernement a pris en compte, comme le rappelait notre rapporteure pour avis, l’augmentation du nombre de scrutins dans les villes de Paris, Lyon et Marseille, dont le surcoût est estimé à 15 millions d’euros.

Lors de l’examen du projet de loi PLM, et dans le cadre du recours que nous avions déposé devant le Conseil constitutionnel, nous avions notamment critiqué un défaut d’évaluation du dispositif. Il nous a toujours été répondu, alors, qu’un tel surcoût n’existait pas. Il est pourtant bien pris en compte dans le présent projet de budget ; comment ne pas voir l’ironie de ce changement de cap ?

Je veux souligner, comme l’a fait notre rapporteure spéciale, l’importance des enjeux associés au coût de la propagande liée aux élections, mais surtout aux montants manifestement insuffisants, et non mis à jour depuis 2006, des frais d’assemblée électorale versés aux communes pour couvrir les charges afférentes à l’ouverture des bureaux de vote.

Nous aurons l’occasion d’en discuter lorsque nous examinerons les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » : l’État n’est vraiment pas sincère dans l’évaluation des compensations dues aux collectivités.

Le programme 216 apparaît trop focalisé sur les investissements numériques. Si ceux-ci sont évidemment nécessaires, nous restons persuadés qu’ils doivent accompagner les agents dans leur travail, mais non se faire au détriment de l’emploi d’agents et au prix d’une réduction toujours plus importante des capacités d’accueil du public.

Les chiffres présentés dans le rapport spécial quant à l’accueil dans les sous-préfectures sont édifiants : sur 223 sites, 58 ne reçoivent plus aucun usager. Près de 25 % de ces lieux, qui ont été pensés pour être à la portée des citoyens, leur sont désormais fermés ; c’est une aberration. Nous avons souvent déploré une forme d’abandon des services publics ; elle est là !

La Cour des comptes observe que le recul des emplois permanents de fonctionnaires a été compensé par le recours à des contrats courts, à des vacataires ou à des services civiques qui, en définitive, ont coûté plus cher aux administrations.

Résultat : la continuité du service public et la qualité de la gestion administrative en ont pâti. « Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage » : voilà qui résume la politique des derniers gouvernements.

La diminution du nombre d’ETP alourdit de manière considérable la charge de travail des agents, ce qui emporte des conséquences très lourdes pour les usagers.

Je prends souvent l’exemple des étrangers qui, du fait de ces déficits chroniques de personnel, peinent à obtenir des rendez-vous dans les délais requis, donc à faire valoir leurs droits, et engagent souvent des contentieux qui, à leur tour, pèsent sur les juridictions administratives. En effet, 40 % des affaires enregistrées concernent le contentieux du droit des étrangers.

Les préfectures sont un outil important de l’action publique de l’État : elles font l’interface avec nos concitoyens ou avec toute personne étrangère voulant mettre à jour sa situation administrative. Nous regrettons qu’un élément si essentiel de l’égalité républicaine ne soit pas pris au sérieux dans ce budget.

La question du lien avec les citoyens est aussi une préoccupation importante de notre groupe. Conscients des problèmes liés à l’illectronisme, nous avons souvent poussé pour que soient ouverts davantage de lieux d’accueil du public et de guichets dans les préfectures.

Trop de gens font face à des murs électroniques et ne peuvent faire aboutir leurs démarches. Cela crée une réelle rupture du principe d’égalité devant le service public.

Depuis des années, nous reprochons aux différents gouvernements de mener une politique que je qualifie de « recentralisation déconcentrée du pouvoir ».

Ce phénomène est perçu de tous. Pour preuve, une mission d’information du Sénat a été créée il y a maintenant plus d’un an pour traiter du sujet. À mon grand regret, elle ne s’est jamais réunie. Cela ne fait que confirmer la nécessité de repenser la réponse aux besoins de service public dans l’ensemble de nos territoires.

Au vu des crédits proposés et sauf améliorations majeures qui pourraient découler de nos discussions et de l’adoption de nos amendements, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne pourra que rejeter ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Ian Brossat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la promesse républicaine ne se joue pas seulement dans les grandes lois ou dans les grands discours.

Elle repose, très prosaïquement, sur un rendez-vous obtenu en préfecture, sur un dossier instruit à temps ou sur un maire qui sait à qui s’adresser pour monter un projet.

Tel est bien l’objet de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » : s’assurer que l’État tient encore sa promesse de proximité et d’appui aux territoires.

Le projet de loi de finances consacre une progression globale des crédits de la mission dans un contexte budgétaire très contraint.

Hélas ! cette hausse est en partie mécanique, portée par l’organisation des élections municipales et sénatoriales de 2026. À périmètre constant et hors programme 232 « Vie politique », la mission reste sous tension et les marges de manœuvre sont encore trop limitées.

Le groupe RDSE est particulièrement attentif au renforcement de l’État territorial. De ce point de vue, nous prenons acte des efforts consentis sur le programme 354 « Administration territoriale de l’État » : les crédits progressent et des emplois sont de nouveau créés après des années de contraction.

Voilà une respiration bienvenue pour les services préfectoraux, quoique maigre au regard d’un passé récent marqué par une perte importante d’effectifs dans l’administration déconcentrée.

Entre 2010 et 2020, plusieurs milliers de postes ont été supprimés dans les préfectures et les sous-préfectures, ce qui a affecté directement les services comme les usagers.

Sur le terrain, pour les administrations, cela s’est traduit par un fonctionnement en flux tendu et un recours massif aux contractuels et aux vacataires, notamment dans les services des étrangers et dans les centres d’expertise et de ressources des titres.

L’administration territoriale souffre désormais d’un déficit d’attractivité, d’un sentiment de perte de sens et d’une paupérisation qui touche notamment les moyens de l’action sociale.

J’insiste sur un point : derrière ces chiffres, il y a la qualité du service rendu et des situations humaines et économiques qui se bloquent.

Lorsque la réponse apportée est principalement la dématérialisation sans accompagnement suffisant, on crée une nouvelle fracture, celle de la précarité numérique, qui est plus forte encore dans la ruralité.

En ce qui concerne les investissements numériques, le groupe RDSE soutient naturellement la volonté de moderniser les systèmes d’information, de sécuriser les titres, de développer l’identité numérique et de refondre les grands systèmes comme l’immatriculation des véhicules.

Nous savons que ces projets ont un coût d’entrée élevé et que leurs gains ne seront visibles qu’à moyen terme. Toutefois, la dématérialisation ne saurait être la réponse unique. Elle doit s’accompagner d’une présence physique identifiée et d’un accompagnement humain, notamment pour les publics les plus fragiles.

Aux yeux des élus locaux que nous rencontrons, cet accompagnement de l’État territorial est essentiel. Il suppose des équipes formées, des outils robustes, mais aussi une organisation lisible, donc des référents de proximité identifiés.

Aussi, parce que l’évolution de ce budget témoigne, malgré tout, d’un effort léger en faveur de la préfectorale, le groupe RDSE devrait voter pour l’adoption des crédits de cette mission.

Nous restons néanmoins vigilants ; nous attendons des prochaines lois de finances qu’elles prévoient une trajectoire de réarmement de l’État local. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord ma collègue Anne-Sophie Patru de m’avoir laissée intervenir sur cette mission que j’aime beaucoup : chaque année, ou presque, je suis inscrite au nom de mon groupe ; nous sommes le plus souvent en petit comité, tard le soir ou tôt le matin, en l’occurrence ce samedi matin, et l’occasion est propice à faire passer quelques messages. (Sourires.)

J’ai lu avec attention le rapport de notre rapporteure spéciale. Après chassé pendant des années les dysfonctionnements de l’Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (Agdref), je me réjouis d’y lire que l’Administration numérique pour les étrangers en France (Anef) se met en ordre de marche. C’est en tout cas ce que j’apprends à la page 63.

Voilà qui facilitera aussi le travail de Marie-Carole Ciuntu, notre excellente rapporteure spéciale des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », que nous aborderons très prochainement.

Je souhaite dire un mot d’un autre sujet, celui du CIPDR, le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Vous savez, monsieur le ministre, combien son rôle est important.

Il est d’ailleurs rafraîchissant qu’un nouveau ministre soit au banc. Cela m’évite d’avoir l’impression de radoter. (M. le ministre sourit.) C’est important, vous savez !…

Je répète les mêmes choses année après année et, comme Barbara, je pourrais chanter :

« Chaque fois qu’on parle d’amour,

« Chaque fois qu’on aime d’amour,

« C’est avec “ jamais ” et “ toujours ”,

« On refait le même chemin,

« En ne se souvenant de rien. »

(Sourires. – MM. Jean-Luc Brault et Pierre Jean Rochette applaudissent.)

Mme Cécile Cukierman. Vous auriez pu chanter la chanson !

Mme Nathalie Goulet. Je ne chante pas assez bien…

Mme Nathalie Goulet. Avant d’en venir au CIPDR, je veux souligner, parmi les sujets relevant de cette mission, quelques dysfonctionnements importants. Le rapport évoque largement la modernisation et la transformation numérique des services. Or il n’existe toujours aucun lien entre le service des étrangers et les organismes de sécurité sociale.

Résultat, certaines personnes – mettons qu’il s’agisse d’un travailleur américain ou canadien, mais peu importe, je pourrais prendre un tout autre exemple – dont le titre de séjour et le contrat de travail sont arrivés à expiration, dont les droits à séjourner et à travailler en France sont donc périmés, voient néanmoins leur carte Vitale rester en service.

Sur ce point précis, un rapport de 2023 de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) nous apprend que 250 000 à 500 000 personnes dont le titre de séjour est périmé continuent à bénéficier de la sécurité sociale française.

De la même façon, la Cour des comptes, à la page 72 du rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale pour 2021, note un écart très important entre le répertoire national interrégimes des bénéficiaires de l’assurance maladie (Rniam) et le recensement de la population française par l’Insee.

À la page 43 du rapport de certification pour 2023, ce diagnostic est conforté, en dépit, est-il précisé, des actions réalisées depuis lors, qui ont abouti depuis 2021 à la fermeture de 768 000 droits ouverts à tort. Il reste « un excédent d’environ 2,5 millions d’assurés ne répondant pas aux conditions du droit à la protection universelle maladie (PUMa) » : on reste loin du compte !

Ce dysfonctionnement est tout à fait dommageable.

Mon inquiétude est d’autant plus grande, monsieur le ministre, que nous passerons prochainement à l’allocation sociale unique, synonyme d’automatisation d’un certain nombre de prestations. Si la base des bénéficiaires n’est pas à jour, nous allons évidemment créer un aimant à fraudeurs !

Cette affaire de connexion entre le service des étrangers et nos organismes de sécurité sociale est éminemment importante. Je le répète sous toutes les latitudes et sur tous les tons, et il va bien falloir un jour regarder tout cela d’assez près !

Il faut régler un autre problème, qui concerne également cette mission, mais aussi votre ministère, monsieur le ministre : celui des personnes qui sont domiciliées chez un tiers. Un petit coup d’intelligence artificielle pourrait y pourvoir. Vous voyez ce dont je veux parler, mes chers collègues : on habite physiquement ici ou là tout en étant administrativement domicilié ailleurs, chez tonton, tata, marraine ou mamie fortunée, pour les besoins de la cause, et notamment des prestations sociales ! Voilà un système que notre budget ne peut tout simplement plus supporter.

Je vous encourage donc à étudier ce qu’il est possible de faire en ce domaine. Je suis évidemment très partisane de la fusion entre carte nationale d’identité et de la carte Vitale. Gabriel Attal avait commencé à y travailler, sur le modèle belge de la Banque carrefour de la sécurité sociale. Que la carte d’identité tienne lieu de carte de soins, il faudra bien un jour y venir ; en tout état de cause, ces travaux doivent reprendre.

Autre sujet : le numérique. La Cour des comptes a notamment relevé, dans un récent référé, l’obsolescence du parc informatique ; y remédier est indispensable. Il y va de la protection des données : France Travail, les caisses d’allocations familiales (CAF) ou d’autres opérateurs ont subi des piratages massifs. La porosité de nos systèmes d’information doit être évidemment vérifiée.

La minute qui me reste sera consacrée au CIPDR. La commission des lois avait organisé un certain nombre de contrôles des politiques de lutte contre la radicalisation. Le fonctionnement du CIPDR mérite vraiment d’être revu.

À cet égard, je ne suis pas sûre que la fusion avec la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ait été une bonne idée ; sans doute faudra-t-il retravailler l’architecture de ces politiques.

Monsieur le ministre, pour conclure, je tiens à remercier l’ensemble des services que vous représentez aujourd’hui. J’ai une pensée particulière pour ceux qui protègent l’ensemble des lieux de culte face aux attaques multiples et variées et pour ceux qui luttent contre les ingérences de plus en plus importantes des Frères musulmans. Un récent sondage a montré combien la jeunesse française était sensible à cette influence ; c’est très inquiétant. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)