M. le président. Dans la suite de notre discussion, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d'intervention générale et celui de l'explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Else Joseph. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Else Joseph. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette mission est importante, car elle concerne les budgets des programmes « Création », « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », « Soutien aux politiques du ministère de la culture » et « Patrimoines ».
Au regard de l'importance du programme et de ses enjeux, qui ont pris de l'ampleur, le programme « Création » doit retenir notre attention. Les voyants sont au rouge et nous sommes profondément inquiets. Il y a quelques mois, lorsque nous discutions du budget de cette année, nous redoutions de devoir tirer la sonnette d'alarme ; malheureusement, nous devons aujourd'hui le faire.
La situation de nos festivals est déjà préoccupante : 10 % d'entre eux ont disparu. La question de la survie de ceux qui restent est posée. La commission de la culture a organisé une table ronde pour que des solutions soient trouvées sans porter préjudice à leur identité.
Madame la ministre, il y a plus qu'urgence, il y a péril en la demeure, pour reprendre une expression familière en matière de patrimoine. Comment, face à l'explosion des coûts de l'énergie et des cachets des artistes, aider nos festivals à repenser leur modèle économique sans se sacrifier ? Les festivals doivent se repenser, assurément, se réajuster, certainement, mais ni se renier ni disparaître.
Viennent ensuite les différents programmes récemment engagés dans la création. Nous sommes également inquiets à ce sujet, car la création est souvent mise à l'épreuve face à des formes de censure, comme nous l'avons vu récemment.
Concernant le plan Mieux produire, mieux diffuser, nous serons vigilants sur le dialogue qu'il implique avec les collectivités territoriales.
J'en viens au pass Culture, dont on dit tant de choses.
Concernant sa part individuelle, on pouvait déplorer la surreprésentation de certains achats, comme les mangas ou les plateformes de streaming. Je n'ai rien contre, mais l'accès à la culture ne doit pas être une entrée dans la monoactivité.
Cependant, des jeunes sont devenus des usagers réguliers des librairies. Or la lecture n'est pas un privilège, c'est un droit. Je sais aussi que le pass Culture a permis la diversification des usages et l'accès des milieux populaires à de nouvelles activités.
Même si je suis contre la politique du chéquier – je l'ai dit à plusieurs reprises –, il me paraît impossible d'arrêter net le pass Culture, ce qui est la volonté de certains, car des actions sont engagées. En outre, je suis convaincue que la lecture reste un magnifique outil pour détourner les jeunes des écrans. Dans ce contexte, faut-il abandonner net ce dispositif, qui a donné des résultats ?
En ce qui concerne sa part collective, il faut saluer les efforts de réorientation, même si les critiques subsistent, en particulier en raison de coupes brutales opérées dans certains fonds.
La question du patrimoine reste toujours au premier plan et, comme la rapporteure pour avis, je suis très inquiète à ce sujet.
Le volet concernant les monuments historiques est fragilisé, alors que les besoins sont considérables dans les territoires. Beaucoup d'opérations sont compromises, alors que les communes sont fortement sollicitées. Il n'y a aucune visibilité pour les années à venir. C'est un très mauvais signal envoyé aux territoires, notamment pour la restauration de notre patrimoine, dont nos églises. Il faut envoyer des signaux forts aux communes.
Les différents plans sont promis à être reconduits, mais ils portent sur plusieurs années, ce qui complique les choses.
Que dire des actions des Drac en province, qui sont compromises par la dégradation des crédits déconcentrés, avec, dans certains cas, des consignes de limitation des dépenses d'entretien ?
Je déplore, madame la ministre, que l'effondrement des crédits du patrimoine soit essentiellement absorbé par les monuments historiques. C'est un mauvais signal, une vraie rupture.
Évidemment, la ruralité est une préoccupation pour nous tous. L'objectif du plan Culture et ruralité est ambitieux, car il concerne le patrimoine immatériel, mais je regrette la faible communication dont il fait l'objet. Ce patrimoine est un atout pour le combat culturel français.
En ce qui concerne le plan en faveur du logement en ruralité, il ne bénéficie qu'à des propriétaires-bailleurs en zone peu dense. Il conviendrait de l'ouvrir aux centres-bourgs ruraux, qui sont en effet une priorité des pouvoirs publics.
Pour finir, madame la ministre, parlons du Fonpeps, qui représente de l'emploi et permet la consolidation d'une filière. Le montant qui lui est attribué n'est pas suffisant. Par conséquent, j'ai déposé un amendement, comme un grand nombre de mes collègues, pour le relever de 35 millions à 60 millions d'euros.
Ce budget n'est pas acceptable en l'état. Madame la ministre, je l'ai dit hier, je compte sur vous, je connais votre détermination à gagner des arbitrages. Nous voterons les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Mikaele Kulimoetoke.
M. Mikaele Kulimoetoke. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cours des huit dernières années, le secteur de la culture a bénéficié d'un soutien sans précédent, avec une hausse de son budget de près de 1 milliard d'euros.
Avec un montant global de 3,7 milliards d'euros de crédits pour 2026, la mission « Culture » subit la première baisse de son budget depuis un certain temps. Elle prend part de façon importante à l'effort de maîtrise des déficits.
Le programme 131 « Création » traduit des orientations stratégiques essentielles : le soutien à la diversité et au renouvellement de l'offre artistique, le renforcement de la place de la culture au cœur des territoires ruraux ou encore le soutien à l'emploi artistique.
Les crédits de ce programme connaissent une hausse de près de 1 % en autorisations d'engagement et une diminution d'environ 3 % en crédits de paiement. Je rappelle que la création a été l'un des principaux bénéficiaires de la hausse des crédits engagés au cours des dernières années, de l'ordre de 25 %.
Cette hausse a eu plusieurs effets, notamment l'accompagnement de l'essor du spectacle vivant que l'on observe depuis un certain temps. Pour la troisième année consécutive, la fréquentation des spectacles vivants poursuit sa progression. Deuxième secteur culturel après l'audiovisuel en poids économique, le spectacle vivant continue de rassembler un public toujours plus nombreux. Dans les festivals, d'année en année, le public est au rendez-vous.
Pour autant, les festivals sont encore trop nombreux à rencontrer des difficultés financières. Le baromètre élaboré par le ministère de la culture a montré que, sur l'année 2024, 46 % des festivals répondant à l'enquête étaient en déficit. Leur survie est parfois menacée, en particulier dans les territoires ruraux, où ils jouent pourtant un rôle majeur en matière d'accès à la culture. La concertation mise en place de janvier à juin derniers sur l'avenir des festivals devrait apporter de premières réponses, mais, à long terme, leur modèle économique devra probablement être repensé.
Enfin, le programme prévoit le financement du plan Mieux produire, mieux diffuser, destiné au spectacle vivant et aux arts visuels, grâce à une dotation de près de 15 millions d'euros. Ce plan reçoit un accueil favorable du secteur et a bénéficié d'une augmentation de ses crédits depuis 2024 ; on ne peut que la saluer.
Pour ce qui est du patrimoine, des projets emblématiques ont pu voir le jour au cours des dernières années : la restauration de Notre-Dame de Paris, l'ouverture de la Cité internationale de la langue française ou encore la création des manufactures nationales. Toutefois, il reste beaucoup à faire. Les besoins pour la protection, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine sont immenses, et nous savons combien les Français y sont attachés.
Dans le projet de loi de finances pour 2026, les crédits alloués au patrimoine participent de façon importante à l'effort de redressement des comptes publics, avec une diminution de l'ordre de 20 % en autorisations d'engagement. En parallèle, les crédits d'investissement des opérateurs sont réduits de moitié. Au regard des enjeux qui entourent la protection du patrimoine, ces diminutions ne doivent pas nuire au financement des opérations de restauration et de réhabilitation.
Nous serons vigilants quant au financement du fonds de sûreté consacré à la sécurisation des sites patrimoniaux. Vous l'avez annoncé, madame la ministre, à la suite du cambriolage du musée du Louvre ; nous aurons l'occasion d'en débattre.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants défendra un amendement, adopté en commission à l'Assemblée nationale, visant à augmenter les crédits alloués au château de Chambord. L'aile François Ier du deuxième château le plus visité de France requiert des travaux urgents. Nous comptons sur votre mobilisation pour permettre d'engager rapidement ces travaux.
J'évoquerai enfin l'un des dispositifs phares du programme 361 : le pass Culture. Dans ce projet de loi de finances, les crédits pour le financement de son volet individuel s'élèvent à 127,5 millions d'euros. L'année 2025 est celle de l'entrée en vigueur de la réforme du dispositif, désormais recentré sur les jeunes de 17 et 18 ans et réduit à un montant de 150 euros par personne.
Quatre ans après sa création, le pass Culture s'est imposé comme un véritable outil d'émancipation culturelle et d'égal accès à la culture. Une réduction draconienne de ces crédits, comme l'a notamment proposé la commission des finances, menacerait gravement sa survie. De son côté, le groupe RDPI défendra au contraire un amendement visant à rehausser ses crédits.
Sous réserve des quelques mesures correctives que nous appelons de nos vœux, le groupe RDPI votera les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Adel Ziane. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe UC.)
M. Adel Ziane. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget de la culture devrait traduire une ambition collective : garantir l'accès de tous aux œuvres, à la création et à l'émancipation culturelle.
Or le projet qui nous est présenté pour 2026 se lit d'abord comme une liste de retraits. C'est un budget que l'on doit décrire en soustractions : moins pour la création, moins pour la transmission, moins pour l'égalité d'accès.
En effet, les crédits de la mission accusent une baisse générale de 170 millions d'euros, passant de 3,918 milliards d'euros à 3,748 milliards, soit une baisse de 4,34 %, après une stagnation en 2025. J'insiste d'autant plus sur ce point que, selon la trajectoire pluriannuelle que l'on nous annonce, une nouvelle baisse est prévue pour 2027.
Cette contraction n'est pas marginale ; c'est une érosion structurelle de la présence de l'État dans les territoires, qui fragilise ceux qui en sont les acteurs.
J'en veux pour preuve le programme 131 « Création » : les crédits reculent cette année de 1,043 milliard à 1,009 milliard d'euros, soit une baisse de 3,25 % après une diminution en 2025 et avant une nouvelle diminution de 4,58 % prévue pour 2027.
L'action consacrée au spectacle vivant recule de 3,67 %, alors même qu'elle subit encore les effets de la crise sanitaire, de l'inflation et de la hausse continue des coûts de l'énergie.
Quant au soutien à l'emploi artistique, il chute de près de 7 %.
En l'état, ce budget affaiblit un écosystème déjà sous tension. Vous le savez tous, dans vos territoires, la situation de compagnies, de collectifs, de lieux intermédiaires, d'équipes techniques et d'artistes n'a jamais été aussi précaire. Leur dire aujourd'hui que l'État se retire davantage procède d'une forme d'irresponsabilité.
C'est pourquoi le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain proposera plusieurs amendements pour réparer ce que ce budget fragilise.
Je pense notamment à notre proposition, portée par Karine Daniel, de réabonder le Fonpeps, afin que son financement corresponde aux besoins réels d'un secteur en tension. Sécuriser l'emploi artistique, c'est sécuriser la création elle-même.
Le deuxième pilier fragilisé concerne la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture. Ce programme 361 recule de 38 millions d'euros, passant de 760 millions à 722 millions, soit une baisse d'environ 5 %.
Cette baisse est principalement imputée sur l'action 02 « Soutien à la démocratisation et à l'éducation artistique et culturelle », un levier majeur d'égalité qui, tombant de 102 millions en 2025 à 82 millions en 2026, perd 20 millions.
Madame la ministre, comment parler de démocratisation de l'offre culturelle lorsque l'un de ses principaux outils est ainsi amputé deux années de suite ?
Le groupe SER, via un amendement de Sylvie Robert, propose de rétablir les crédits de l'éducation artistique et culturelle à son niveau de 2024, afin de permettre à chaque enfant, dans tous les territoires, de mieux y accéder.
J'en viens maintenant à un point extrêmement important : le rôle des collectivités territoriales.
Madame la ministre, vous nous aviez annoncé, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, un plan d'urgence de 40 millions d'euros pour soutenir les collectivités. À notre connaissance, il n'apparaît nulle part ; aucune action n'a été fléchée en ce sens dans ce PLF, alors que ce sont pourtant elles qui portent l'essentiel de l'action culturelle de proximité : les bibliothèques, les musées territoriaux, les conservatoires, les cinémas, les projets d'éducation artistique et culturelle, etc.
L'année dernière, nous avions souligné, en commission et dans cet hémicycle, les dangers des baisses de budgets pour les collectivités territoriales et les risques qu'elles entraînaient mécaniquement pour la culture.
Vous nous aviez répondu que, pour les collectivités, ce choix serait politique, qu'il leur appartenait de faire des arbitrages et d'en décider. Ce choix politique a été fait dans certaines régions ; ainsi, dans la région Pays de la Loire où, en 2025, une baisse de 60 % des crédits consacrés à la culture a été décidée par la présidente de région, soit environ 82 millions d'euros.
Chacun a pu ainsi constater combien cette manière de sabrer les dépenses de la culture affaiblissait fortement le tissu culturel de la région, mais également l'ensemble de son écosystème économique et touristique, puisque chaque festival, que ce soit dans une ville ou un village, participe à la dynamique économique locale à travers notamment les recettes d'hôtellerie et de restauration. Cela a, de fait, nui à l'attractivité de la région et de nombreux maires ont fait remonter ces difficultés.
C'est pourquoi nous vous aiderons, madame la ministre, à tenir vos engagements, puisque Sylvie Robert et les autres membres du groupe socialiste ont déposé un amendement visant à créer un véritable fonds d'urgence pour les collectivités, afin qu'elles puissent exercer pleinement leurs compétences culturelles. L'État tiendrait ainsi sa parole.
Nous proposerons également de compléter les crédits du plan Culture et ruralité qui, pour l'instant, relève plutôt d'une annonce symbolique et ne correspond pas aux réalités de terrain.
Pour ce qui concerne les crédits du programme 175 « Patrimoines », Marie-Pierre Monier y reviendra en détail dans quelques instants. Je tiens d'ores et déjà à souligner que la stagnation des crédits consacrés aux musées n'est pas soutenable, alors que tous les responsables d'établissement nous alertent quant à la fragilité de leurs moyens, en particulier en matière de conservation, mais aussi, bien sûr, comme l'a rappelé le rapporteur spécial Vincent Éblé, en matière de sécurité face aux nouvelles menaces.
Madame la ministre, nous considérons que, en matière de culture, « moins » n'est pas un projet. Moins de moyens, c'est moins de créations, moins de pratiques, moins de droits culturels, moins de récits communs pour la Nation, alors que notre pays en a aujourd'hui énormément besoin.
En janvier 2024, lors de votre passation de pouvoir, vous aviez déclaré : « Chacun sait que j'aime me battre, et je serai donc toujours là pour défendre l'exception culturelle ». Madame la ministre, à la lecture de ce budget – et c'est un constat partagé par les orateurs qui m'ont précédé –, nous avons le sentiment que les armes ont été rendues. La volonté affichée doit trouver une concrétisation. J'espère que nous pourrons, à travers nos amendements, apporter des éléments de correction.
En l'état, le groupe SER votera contre les crédits de la mission « Culture ». (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias. (Vifs applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. Pierre Ouzoulias. Merci, mes chers collègues, il est difficile de résister à l'émotion. (Nouveaux applaudissements.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes très chers collègues, effondrement : ce mot, utilisé par notre rapporteure pour avis pour décrire l'évolution du budget du patrimoine, je l'utiliserai aussi pour caractériser l'ensemble des politiques publiques culturelles.
Cet effondrement ne survient pas avec cette proposition de budget ; il est le résultat d'un abandon progressif des ambitions que s'était données ce ministère à sa création et d'une externalisation de ses missions vers des opérateurs qui les mettent en œuvre de façon de plus en plus autonome et sous le contrôle d'une tutelle de plus en plus absente.
La juxtaposition de ces politiques culturelles ne saurait constituer une politique nationale.
Longtemps, les actions du ministère de la culture ont eu un bénéfique effet d'entraînement sur celles des collectivités. Ce levier est grippé.
Les directions régionales des affaires culturelles ont de moins en moins de moyens pour représenter l'État culturel en région, alors que les collectivités ont toujours plus de difficultés budgétaires pour soutenir seules leurs propres politiques. Leur désinvestissement accompagne aujourd'hui celui de l'État et menace un réseau d'institutions très fragilisées.
Pourtant, des sommes importantes ont été investies. Ainsi, le pass Culture aurait bénéficié d'environ 1 milliard d'euros de crédits depuis 2019. Sa part collective a sans doute été profitable, mais pourquoi ne pas avoir organisé ce soutien avec les Drac dans le cadre d'une politique cohérente et articulée avec celles des collectivités ?
Sur l'arbre des politiques culturelles nationales, ce greffon élyséen n'a jamais pris. Il est temps d'arrêter l'expérience et je voterai l'amendement de suppression de sa part individuelle, proposé par le rapporteur général de la commission des finances.
Plus fondamentalement, ce dispositif me semble symptomatique d'une évolution idéologique des politiques d'accès à la culture, qui rompt avec les missions historiques du ministère chargé de ce secteur. André Malraux avait conçu les maisons de la culture comme un instrument d'éducation accompagnant ses usagers vers des pratiques culturelles nouvelles pour eux. Il considérait la culture comme un instrument d'émancipation, une pratique qui bouleverse, dérange et émerveille. À rebours de cette conception, le pass Culture s'adresse, lui, à un consommateur qui, en fonction de son capital acquis et socialement déterminé, achète des productions aux « machines à rêves ».
Prophétiquement, André Malraux pensait que notre civilisation allait connaître un conflit majeur entre, « d'une part, les grands moyens de communication des masses, au service des instincts, avec leurs puissantes techniques d'assouvissement », qu'il décrivait comme des « machines à rêves », et, « de l'autre, des moyens d'expression aussi étendus, […] au service des images de l'homme que nous ont transmises les siècles, et de celle que nous devons léguer à nos successeurs ». Il estimait que le « grand combat intellectuel de notre siècle [avait] commencé » et que « la culture [était] devenue l'autodéfense de la collectivité, la base de la création, et l'héritage de la noblesse du monde ».
Ce dialogue constant entre le patrimoine continûment réinterprété et les œuvres de création constituait pour lui la spécificité de la culture, de son ministère et de ses missions.
Cet équilibre est rompu dans ce projet de budget. Le patrimoine subit une baisse draconienne de ses moyens, alors que les besoins des musées, des bibliothèques et des monuments historiques sont considérables. Les grandes institutions patrimoniales, comme le musée du Louvre ou la Bibliothèque nationale de France, sont victimes de leur gigantisme et doivent bénéficier en urgence d'investissements massifs pour leur permettre de continuer de recevoir des visiteurs, dont le nombre est bien supérieur à celui pour lequel ils ont été conçus.
À côté de ces grandes machines parisiennes, auxquelles sont de plus en plus consacrés les crédits du ministère, le chantier de la préservation du patrimoine non classé, et plus particulièrement des édifices religieux, est à l'arrêt. Laissé au bon vouloir de Bercy, le financement des CAUE a été amputé de 1,5 milliard d'euros. Alors qu'ils apportent une aide très précieuse aux maires, plusieurs d'entre eux vont ainsi disparaître.
Pour les collectivités, cette défaillance de l'État est le prodrome de son désengagement dans le patrimoine qui ne lui appartient pas. Les missions du ministère de la culture ont besoin d'être repensées et non pas uniformément amputées, comme le propose ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918, Claude Monet écrivait à Georges Clemenceau : « Cher et grand ami, je suis à la veille de terminer deux panneaux décoratifs que je veux signer le jour de la Victoire et viens vous demander de les offrir à l'État, par votre intermédiaire ; c'est peu de choses, mais c'est la seule manière que j'ai de prendre part à la Victoire. » C'étaient Les Nymphéas, que le monde entier aujourd'hui peut contempler au musée de l'Orangerie à Paris. Il avait commencé à les peindre dès le début de la guerre, alors que son fils était mobilisé sur le front. Puis il les a offerts à la France, une fois la paix revenue.
À l'heure où le budget de la défense est devenu le premier budget de l'État, où le retour du service militaire est annoncé, je m'interroge : quels « Nymphéas » offrirons-nous aux générations futures ? Et je me désole de voir le ministère de la culture aujourd'hui relayé à l'arrière-plan de la politique gouvernementale, ce qui prive le pays d'un puissant facteur de paix et d'une catharsis en ces temps troublés.
Clairement, 2025 restera une année noire pour la culture, une année marquée par la diminution, voire la suppression totale des budgets culturels dans certaines collectivités, une augmentation des attaques contre la liberté d'expression artistique, une fragilisation des secteurs audiovisuels et du cinéma et la réduction des moyens alloués à la création originale.
C'est assez rare pour être souligné, la commission de la culture a voté contre les crédits de la culture prévus pour l'an prochain. Nous avons tous fait le constat que les moyens alloués au ministère de la culture ne lui permettraient pas de remplir correctement les missions que la loi lui confie, à savoir, d'abord, la préservation du patrimoine culturel.
Je pense bien sûr à la sécurité des musées, qui nous a beaucoup mobilisés ces derniers temps, après le cambriolage du Louvre, et, plus largement, à la préservation de notre remarquable patrimoine et de nos musées en région, qu'il faut rénover, sécuriser, mais aussi réveiller. Ces derniers sont souvent oubliés. Aussi, je me réjouis de la rénovation du musée Bonnat-Helleu à Bayonne, dit le petit Louvre, dans laquelle l'État a pris sa part.
M. Max Brisson. Très bien !
Mme Monique de Marco. Cela dit, c'est une exception, tant le déséquilibre entre, d'une part, les régions et, d'autre part, l'Île-de-France et Paris persiste. Selon une estimation de la Cour des comptes, l'État consacre en moyenne 200 euros par an et par habitant à la culture en Île-de-France contre 22 euros dans les régions. Un rééquilibrage serait nécessaire. Il s'agit d'une question d'équité. Malheureusement, nous craignons que la baisse des crédits du programme 175 « Patrimoines » ne concerne en premier lieu les dépenses d'investissement dans les territoires et les crédits d'intervention des Drac.
J'en viens à un constat récent : les augmentations des prix d'accès aux institutions culturelles, et cela ne concerne pas que les musées, constituent un obstacle à l'accès à la culture. Pour beaucoup de personnes ne pouvant bénéficier de réduction ou de gratuité, les prix d'accès au musée, au cinéma, au théâtre, au concert ou dans les festivals sont devenus dissuasifs.
Les prix d'accès aux fondations d'art me dérangent également. Comment expliquer que des institutions qui bénéficient de réduction d'impôt à hauteur de 66 % pratiquent des tarifications aussi élevées, sachant que les bénéfices sont privatisés ?
La politique de l'éducation artistique et culturelle est, elle aussi, sérieusement fragilisée par la diminution de la part collective du pass Culture. Nos travaux parlementaires ont permis de montrer les limites de sa part individuelle, dont les effets éducatifs sont à relativiser. Je regrette que sa mise en œuvre se traduise par une simple incitation à – j'assume ce terme – la consommation culturelle.
Il serait temps, à mon sens, de réinventer un nouveau modèle.
Les écoles d'art territoriales restent dans une situation difficile. Elles ne peuvent plus équilibrer leur budget et ont, pour certaines d'entre elles, épuisé leur fonds de roulement, ce qui contraint leur politique d'aide en direction des étudiants boursiers.
Dans ce tableau sombre, je souhaite toutefois saluer le plan pour le renforcement de la scène française d'art contemporain, qui deviendra peut-être à terme le prolongement de la loi Toubon pour les arts visuels. Ce plan a pour but de valoriser le travail des plasticiens vivant en France dans les institutions, notamment au travers de leurs politiques d'acquisition.
Madame la ministre, mes chers collègues, je ne peux terminer cette intervention sans évoquer un sujet sur lequel je travaille depuis plusieurs mois : la continuité de revenus des artistes auteurs. À cet égard, j'ai d'ailleurs déposé une proposition de loi qui sera discutée au Sénat la semaine prochaine.
Tous les artistes, tous les auteurs ont été un jour confrontés à des variations de revenus et certaines branches professionnelles sont touchées plus que d'autres par la précarité, en raison de l'absence de rémunération ou de la faible rémunération de leurs périodes de travail précédant la diffusion. Je pense notamment aux métiers des arts plastiques et aux auteurs. Madame la ministre, je vous demande de porter une attention toute particulière à ce problème de continuité des revenus des artistes auteurs avant cette discussion législative, la semaine prochaine.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox.
M. Aymeric Durox. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget de la culture présenté par le Gouvernement pour l'année 2026 est incohérent et inadapté.
Madame la ministre, alors que vous étiez venue parader l'an dernier avec une augmentation inédite de votre budget, et notamment des crédits alloués à la restauration de notre patrimoine, vous voilà désormais dans une posture bien plus délicate, avec une baisse de vos crédits de 260 millions d'euros.
Ce budget est incohérent et inadapté, car, alors que nous avons assisté à une longue et insupportable suite de vols spectaculaires mettant en lumière l'absence d'investissements dans la sécurité de nos musées, vous ne réagissez pas à la hauteur de la menace.
La galerie du Muséum d'histoire naturelle, les musées de Langres, Limoges, Mialet, Sarran, sans oublier l'humiliation mondiale causée par le cambriolage du musée du Louvre, qui n'a entraîné ni limogeage ni démission de la présidente-directrice du premier musée du monde. Tous ces événements en seulement quelques mois démontrent que le Gouvernement est incapable de protéger nos collections et nos trésors nationaux. Voilà quelques jours encore, nous apprenions que des fuites d'eau avaient endommagé plusieurs centaines d'ouvrages, alors que la direction s'était aménagé de nouveaux cabinets de toilette. On pourrait en rire si cela n'était pas aussi pathétiquement dramatique, madame la ministre.
Le seul préjudice estimé du vol commis au Louvre s'élève à 88 millions d'euros : c'est exactement ce montant que je proposerai d'investir, par voie d'amendement, pour éviter que de tels actes ne se reproduisent. Un chiffre symbolique, mais qui dit tout : cet argent aurait dû être investi avant qu'il ne soit dérobé. Il s'agit donc de réparer par la prévention ce que votre inaction a coûté à la Nation.
En outre, les crédits alloués au patrimoine baissent dramatiquement de 58 millions d'euros. Cette contraction concerne principalement les dépenses d'investissement, divisées par près de deux, et traduit un recentrage de la politique patrimoniale sur la gestion courante, au détriment de la restauration.
Vous justifiez cette évolution par la fin du cycle de financement des grands chantiers liés à Notre-Dame de Paris, ce qui peut en partie expliquer le repli des crédits. Néanmoins, cette baisse généralisée dépasse largement l'ajustement ponctuel attendu et elle met en péril l'entretien d'un patrimoine national déjà très dégradé, notamment hors des grandes capitales régionales.
De nombreux édifices – églises rurales, châteaux communaux, fortifications ou bâtiments publics classés – se détériorent faute de moyens suffisants. Or leur restauration représente un enjeu culturel, économique et territorial majeur : elle soutient l'emploi artisanal local, dynamise le tourisme et entretient le lien entre les générations.
Ce sera l'objet de mon second amendement.
Enfin, le pass Culture est raboté, ce qui éloigne encore davantage les jeunes issus des classes populaires de la culture et creusant encore les inégalités entre les élèves.
Madame la ministre, ce budget étant hors sujet, il est impossible de le voter.