M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants. Mesdames, messieurs les sénateurs, comme m'y a invitée la ministre, je vous livre quelques précisions sur le cadre européen et international de notre action.
Ma première remarque portera sur le constat stratégique qui, à vous écouter, est très largement partagé, ce qui n'est pas complètement anodin : vos différents propos se rejoignent souvent.
Ainsi, monsieur le sénateur Perrin, vous avez tout à fait raison de dire qu'il faut prendre au sérieux ce que disent les autres, qu'ils soient nos alliés ou nos adversaires, nos compétiteurs. Dans le monde actuel, les gens ont tendance à dire ce qu'ils font et à faire ce qu'ils disent.
Monsieur le sénateur Temal, un changement de paradigme est en cours, et une brutale accélération a en effet eu lieu à cet égard cette année ; mais on ne saurait dire qu'il a été totalement ignoré dans les différentes revues nationales stratégiques qui se sont succédé. Je précise d'ailleurs que dans le cadrage géopolitique de la LPM figure justement la question des partenariats et des alliances, qui ne sont plus considérés comme extérieurs à cette loi ; au contraire, le partage entre ce qui relève de notre cœur de souveraineté et ce qui relève de dépendances consenties, tel que l'a évoqué le Premier ministre, a été structurant dans les débats et devra le rester dans la suite de vos travaux sur l'ajustement et l'adaptation de la LPM.
Monsieur le sénateur Malhuret, vous avez entièrement raison d'évoquer une dialectique de volontés. Mon constat sera toutefois un peu moins sévère que le vôtre sur l'inertie européenne depuis le début de la guerre en Ukraine.
La dimension informationnelle et hybride du conflit a été largement abordée, dans tous les domaines. Je rappelle qu'au début de la guerre en Ukraine les médias russes RT et Sputnik émettaient encore en Europe sans que personne, à part la France, semble s'en émouvoir. Des progrès considérables ont été accomplis, notamment via la Facilité européenne pour la paix (FEP). La France y a beaucoup contribué, vous le savez, et nos alliés de l'Est en ont largement bénéficié lorsqu'ils étaient très mobilisés, au début du conflit, en matière de soutien à l'Ukraine.
Cependant, vous avez raison : le rapport de forces entre l'Europe et la Russie n'est pas forcément déséquilibré, à condition que nous prenions conscience des atouts technologiques, économiques et militaires considérables qui sont les nôtres ; pour pouvoir « jouer » ces atouts, il faut simplement que nous nous voyions nous-mêmes tels que nous sommes.
Monsieur le sénateur Lemoyne, vous avez rappelé notre long combat pour l'autonomie stratégique européenne. Il est sans doute triste d'avoir eu raison un peu tôt, mais ce n'est pas une raison pour abandonner. Nous disions à raison qu'il fallait que l'Europe réduise ses dépendances, et ce dès le sommet de Versailles, au lendemain de l'invasion.
En outre, l'hybridation de la guerre a été très bien anticipée, en particulier pour ce qui est du rapport à la vérité.
À ce sujet, madame la sénatrice Cukierman, vous avez mentionné le sacrifice de nos enfants. Or s'il y a un pays, aujourd'hui, qui non seulement sacrifie sa jeunesse, mais l'instrumentalise grâce à la propagande, en la transformant en arme de guerre – et cela vaut également pour les enfants ukrainiens qui sont enlevés –, c'est bien la Russie. Attention à ne pas nous confondre avec ceux qui instrumentalisent les enfants ; d'une manière générale, la pédagogie et le rapport à la vérité sont des enjeux d'une importance cruciale.
Pour ce qui est du cadre européen, vous avez raison de souligner que l'on a avancé tant sur l'instrument Safe que sur le programme Edip. Toutefois, Safe reste un mécanisme reposant sur l'endettement financier des États membres.
C'est pourquoi vous nous entendez si souvent insister, au ministère des armées, sur le fait que la défense est une compétence nationale ; mais cela ne signifie pas que nous ne voulons pas travailler avec les Européens. C'est même le contraire : nous disons simplement que nous devons être moteurs, parce que la France est une puissance nucléaire. Du reste, en ce domaine, nous nous sommes considérablement rapprochés du Royaume-Uni, notamment dans le cadre de la déclaration de Northwood, qui met l'accent sur la coordination à l'échelle européenne. Au fond, la France doit assumer un rôle de leader en matière de réarmement conventionnel de l'Europe, en agissant toutefois dans le cadre d'une coalition, orientation que le Premier ministre avait engagée lorsqu'il était ministre des armées.
Pour avancer, l'Europe doit changer : elle doit faire évoluer ses modalités d'action. Près de dix ans après le discours de la Sorbonne, il est assez logique qu'elle commence à tirer les conclusions de ce qui, depuis, a marché ou non.
Indépendamment de la posture américaine à laquelle plusieurs d'entre vous ont fait référence, l'Otan reste une alliance militaire indispensable, ne serait-ce que parce qu'elle l'est, indispensable, fondamentale, pour nos alliés européens. Il faut donc poursuivre nos efforts pour créer ce pilier européen de l'Otan qu'a évoqué la ministre. Tel est le sens de la coalition des volontaires : c'est une forme de prise en main des Européens par eux-mêmes via la question des garanties de soutien et de sécurité offertes à l'Ukraine. Il est essentiel que nous allions au bout de cette logique, car c'est ainsi que se construira la défense de l'Europe.
En effet, nous le répétons inlassablement : il n'y a pas d'opposition entre la construction du pilier européen de l'Otan et la défense européenne telle qu'elle se conçoit au sein des institutions européennes.
M. le sénateur Gontard a fait référence aux engagements pris dans le cadre de l'Otan, exprimés en pourcentage du PIB. Vous connaissez notre scepticisme quant aux raisonnements qui s'appuient sur les pourcentages : ce qui compte, en définitive, c'est le nombre de bateaux, de forces et de troupes que nous sommes capables de mobiliser réellement pour défendre le continent européen. Cela dit, dans le comptage qui a été négocié au moment du sommet de l'Otan à La Haye, les questions de résilience, comme on dit – certains n'aiment pas ce mot –, sont bien prises en compte ; or la résilience inclut tout le champ de l'hybridité, et il reviendra aux États membres de décider de les inclure ou non dans le décompte. Comme l'a rappelé le Premier ministre, la défense nationale dépasse le seul budget du ministère des armées, et ces mesures seront bien intégrées au périmètre, vous pouvez en être assurés.
Enfin, monsieur le sénateur Temal, nous avons construit de nombreux partenariats stratégiques avec le Sud, dont certains sont très solides, notamment avec l'Inde et, plus récemment, avec l'Indonésie et avec les Émirats arabes unis. L'expression de « partenariat stratégique » a parfois été galvaudée : dans un monde devenu beaucoup plus transactionnel qu'auparavant, nous avons certes été conduits à signer des partenariats stratégiques à tout-va.
Là encore, l'enjeu est celui d'une dépendance consentie, ou d'une construction commune, avec de grands partenaires du Sud qui ne s'opposent pas du tout, bien au contraire, au rôle de puissance que l'Europe doit se forger dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Marc Laménie applaudissent également.)
Vote sur la déclaration du Gouvernement
M. le président. À la demande du Gouvernement, le Sénat est appelé à se prononcer par un vote sur la déclaration portant sur la stratégie de défense nationale, les moyens supplémentaires et les efforts industriels à engager.
Conformément à l'article 39, alinéa 6, du règlement, il va être procédé au scrutin public ordinaire dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement ; aucune explication de vote n'est admise.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 126 :
| Nombre de votants | 345 |
| Nombre de suffrages exprimés | 326 |
| Pour l'adoption | 307 |
| Contre | 19 |
Le Sénat a approuvé la déclaration du Gouvernement.
5
Organisation des travaux
M. le président. Mes chers collègues, dans l'éventualité où nous aurions terminé à vingt heures, ce mercredi 17 décembre, l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour réservé au groupe Les Indépendants – République et Territoires, la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote sur cette déclaration, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée, pourrait débuter à vingt et une heures trente.
Il n'y a pas d'observation ?…
Il en est ainsi décidé.
6
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour un rappel au règlement.
Mme Cécile Cukierman. Le scrutin étant public, il ne devrait pas y avoir de mystère sur les votes. Or il me semble avoir relevé, sur l'affichage de la répartition des votes dans l'hémicycle, deux points rouges, correspondant à des votes contre, en plus de ceux retraçant la position unanime des sénateurs du groupe CRCE-K.
Sauf erreur, le groupe que je préside compte dix-huit sénateurs ; en ajoutant à ces dix-huit voix deux votes contre, cela devrait faire au total vingt votes contre, et non dix-neuf. Je vous rassure, monsieur le Premier ministre, cela ne change rien au résultat final !
Si j'ai perdu un membre de mon groupe pendant le week-end – c'est tout à fait possible, la liberté étant ce qu'elle est de nos jours (Sourires.) –, j'aimerais que l'on m'en informe.
M. le président. Ma chère collègue, je vous rassure, vous n'avez pas perdu un membre de votre groupe ce week-end. En ma qualité de président de séance, je n'ai tout simplement pas pris part au vote, par tradition : ceci explique cela.
M. Rachid Temal. Le président Ouzoulias voulait voter oui, mais il n'a pas osé ! (Sourires.)
Une voix sur les travées du groupe SER. Va-t-en-guerre ! (Nouveaux sourires.)
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 16 décembre 2025 :
À quatorze heures trente :
Proposition de résolution européenne, en application de l'article 73 quinquies C du règlement, visant à demander au Gouvernement français de saisir la Cour de justice de l'Union européenne pour empêcher la ratification de l'accord avec le Mercosur, présentée par MM. Jean-François Rapin, Cédric Perrin et Mme Dominique Estrosi Sassone (texte de la commission n° 157, 2025-2026) ;
Proposition de loi visant à intégrer les centres experts en santé mentale dans le code de la santé publique, présentée par M. Alain Milon et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 204, 2025-2026).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
JEAN-CYRIL MASSERON