Les travaux de notre commission d'enquête, puis la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, que Nathalie Goulet et moi-même avons présentée,...

M. Michel Canévet. Excellent texte !

M. Raphaël Daubet. ... ont précisément eu pour but de combler cet angle mort, en sus des dispositions propres à la loi sur le narcotrafic. Il faudra que la navette parlementaire poursuive rapidement son cours, mais nous devrons aller plus loin encore, en nous inscrivant dans une logique de prévention des schémas de blanchiment.

M. Michel Canévet. C'est vrai !

M. Raphaël Daubet. Mes chers collègues, la lutte contre le narcotrafic ne se gagnera pas uniquement sur le terrain pénal. Nous aurons gagné le combat lorsque le crime cessera d'être rentable. C'est à ce prix que la République pourra reprendre durablement l'avantage ! (Applaudissements sur des travées des groupes GEST, UC et INDEP. – MM. Thani Mohamed Soilihi et Hussein Bourgi applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – M. Jérémy Bacchi applaudit également.)

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous nous retrouvons ce soir pour ce qui paraît être un point d'étape du processus engagé avec la commission d'enquête sur le narcotrafic dont j'avais demandé la création il y a deux ans, avec mes collègues des Bouches-du-Rhône Marie-Arlette Carlotti et Jérémy Bacchi.

Si le narcotrafic touche l'ensemble de notre territoire, des zones rurales aux outre-mer, Marseille et sa région semblent être, hélas ! un laboratoire avancé de cette criminalité organisée.

Notre assemblée s'est saisie du sujet. Elle a mené des travaux de qualité, sous l'impulsion du président et du rapporteur de la commission d'enquête, notre ancien collègue Jérôme Durain et le sénateur Étienne Blanc. Le rapport issu de cette commission d'enquête comportait trente-cinq propositions, que le texte adopté au printemps dernier avait vocation à traduire dans la loi.

Cette loi reflète une approche réellement novatrice de la répression du narcotrafic : viser le haut du spectre ; taper au portefeuille ; lutter contre le blanchiment ; apporter une attention particulière aux points d'entrée des produits ; créer un statut des repentis ; et réorganiser nos institutions judiciaires en créant le tant attendu parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco).

Nous avons soutenu les grandes mesures de ce texte, mais nous avons, dès les premières discussions, alerté sur le besoin d'y consacrer des moyens.

Il y a quelques années, nous avions créé une juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), auquel le Pnaco se substitue. Je ne ferai offense à personne en disant que la machine n'a que trop peu fonctionné, en raison d'un manque de soutien à la fois politique, matériel et financier et de ressources humaines insuffisantes.

La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic a été adoptée il y a peu, mais il est déjà visible que sa mise en œuvre patine. Il faut dire que la réforme précipitée de la police judiciaire n'a pas aidé… Pour notre part, nous continuons à plaider pour une réelle revalorisation de la filière investigation, et, en particulier, de l'investigation financière.

Avant de venir nous demander ce qu'il faudrait faire de plus, le Gouvernement ferait mieux de s'atteler à faire paraître les décrets prévus par la loi ! Sur les trente-deux décrets nécessaires à la bonne application de celle-ci, les journalistes ne recensaient récemment que cinq décrets publiés, relatifs à la création de quartiers de haute sécurité et au Pnaco.

Mesdames, messieurs les ministres, voilà déjà un levier à actionner, et vite ! Il est temps de publier ces décrets, et notamment celui qui a trait au statut des repentis ! Action !

Par ailleurs, nous estimons que le traitement du blanchiment doit être amélioré. À cet effet, la piste de la criminalisation de ces infractions doit être étudiée. La coordination des tribunaux judiciaires avec les tribunaux de commerce doit également être renforcée. En outre, les prérogatives des greffes de ces derniers doivent être accrues pour qu'ils puissent, sous l'autorité des magistrats, mieux vérifier l'identité des dirigeants, des actionnaires et des bénéficiaires des entreprises, notamment lorsqu'il s'agit de ressortissants étrangers, et mieux tracer les flux financiers.

Et puis il y a tout ce qui n'est pas dans ce texte, y compris des mesures primordiales pour lutter contre le nec plus ultra de l'économie libérale mondialisée que constitue le narcotrafic.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, il est urgent d'en faire une grande cause nationale, et nous regrettons qu'aucune initiative n'ait émergé en ce sens.

De même, des dispositifs de prévention doivent être mis en œuvre à destination des consommateurs en général, mais aussi des personnes en situation de grande précarité, car elles sont les cibles privilégiées des trafiquants lorsqu'ils cherchent des petites mains pour gonfler les effectifs du « lumpenprolétariat » de cette industrie.

Aucune campagne d'information n'a été mise en place pour prévenir la consommation de drogues, la première embauche ou l'entrée dans le trafic ! Rien n'a été fait en matière de parcours de soins et de prise en charge des addictions ! Aucune réflexion n'a été menée sur l'intérêt de légaliser ou de dépénaliser certains usages. En somme, aucune politique de santé publique n'a été déployée !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Oh, tout de même !

M. Guy Benarroche. Rien n'a été décidé sur le volet économique et social, dont il a pourtant été question au cours des travaux de la commission d'enquête, et ce alors qu'il s'agit d'un levier majeur de la lutte contre le narcotrafic ! Rien n'a émergé dans le domaine de la politique de la ville, de la lutte contre la précarité, du logement, ou encore de l'insertion par l'école et le travail !

Et rien n'a été fait en matière d'accompagnement et de traitement social des victimes du narcotrafic et de leurs familles ! C'est pourtant l'une des demandes fortes dont nous ont fait part les familles que nous avons fait auditionner, mes collègues des Bouches-du-Rhône et moi-même. Nous avons voulu introduire un article à cet effet dans le texte, mais, faute d'engagement du Gouvernement, nous nous sommes heurtés à l'article 40 de la Constitution. Monsieur le Premier ministre, engagez-vous !

Nous avons entendu les annonces du Président de la République sur le relèvement du montant des amendes forfaitaires délictuelles (AFD). La position de mon groupe sur ces amendes est constante : cet outil est, au mieux, inefficace.

Nous en avons assez de voir le délai pour accéder à un juge s'allonger encore et encore à cause du manque de moyens de la justice ! La Défenseure des droits avait alerté en 2023, considérant que le mécanisme de l'AFD dérogeait au principe de l'opportunité des poursuites, au droit d'accès au juge, aux droits de la défense, et au principe de l'individualisation des peines.

Le Président a également remis sur la table le sujet de la culpabilité des consommateurs en fustigeant ceux qui alimentent le narcotrafic et les morts qui vont avec, car ce serait « festif » d'acheter de la cocaïne. Mais la consommation ne crée pas l'offre ! Alors que la cocaïne serait en passe de devenir la première drogue dans notre pays, croire que la consommation est motivée par son caractère festif relève de la pure méconnaissance…

Comme le rappelait la semaine dernière le président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), la consommation de cocaïne touche toutes les professions et tous les milieux. Elle ne concerne pas que les jeunes d'une certaine catégorie sociale…

Le Président de la République a également affirmé avoir « remis des moyens » policiers, déclarant que 500 policiers de plus étaient déployés, soit « 300 policiers net ». Personne ne peut vérifier ce chiffre. Or il est important que les maires puissent connaître le nombre de policiers nationaux dans leurs territoires.

Il a rappelé que son action avait permis de diviser par deux le nombre de points de deal. On dirait un préfet de la Belle Époque qui se féliciterait d'avoir réduit les accidents de calèche par son contrôle accru des attelages… Les modalités de distribution ont changé ! Elles se sont diversifiées. Les systèmes de livraison dits « Uber shit » se sont développés partout sur notre territoire.

La formulation de la question que vous posez, monsieur le Premier ministre, est révélatrice. Vous parlez de la menace que représentent le narcotrafic et la criminalité organisée pour notre pacte républicain. Nous pensons plutôt que l'abandon du pacte républicain a marqué le commencement de la spirale infernale de la criminalité organisée.

Le pacte républicain, c'est l'égalité des chances ! Ce sont des services publics partout et pour tous, des hôpitaux qui ont les moyens de fonctionner, une médecine qui soigne et mène de réelles politiques de prévention, une école forte, qui permet à chacun de se réaliser et de s'élever, une aide sociale à l'enfance (ASE) qui protège mieux les plus fragiles qui lui sont confiés.

Le pacte républicain suppose le soutien aux centres sociaux et aux missions locales sur le terrain, le déploiement des policiers nationaux au contact de la population, des transports qui désenclavent les territoires oubliés de la République, une politique de la ville qui fonctionne, une politique de rénovation urbaine à hauteur des besoins du terrain, et une politique de logement plus stratégique et soutenue.

Au-delà de cette vision globale de la prévention, nous avons défendu et continuons de défendre le besoin d'un accompagnement rapide et spécifique des familles menacées et endeuillées par le narcotrafic. Certaines associations, dont celle de mon ami et camarade Amine Kessaci et de sa maman, Conscience, s'efforcent d'assumer cette mission avec les faibles moyens qui sont les leurs, et que vous ne cessez de réduire année après année.

Nous le savons, le recrutement des réseaux du crime organisé se nourrit de l'exclusion sociale, qui commence par le décrochage scolaire. À défaut d'une politique globale qui freinerait le délitement de l'école, il convient donc de porter une attention particulière à ce décrochage scolaire.

Nous avons parlé de grande cause nationale, car nous considérons que, dans les écoles, il est aussi nécessaire d'alerter sur les dangers de l'enrôlement insidieux des réseaux de narcotrafic que d'intervenir sur la sécurité routière. Il convient de dépeindre la réalité, qui est loin des clichés sur l'argent facile, et de mettre en garde contre les modes de recrutement des criminels, les dangers physiques et vitaux, et les risques pénaux associés au trafic, et ce dès l'école primaire, monsieur le Premier ministre !

La grande cause nationale doit également contribuer à ce que l'on porte une attention particulière à la prévention sanitaire.

Enfin, notre groupe proposera une convention citoyenne, ainsi qu'un nouveau cycle de réunions de la conférence nationale des présidents des tribunaux judiciaires, des tribunaux de commerce, des procureurs de la République, des commissaires de police et des douaniers.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, il convient de remettre l'humain – les habitants – au cœur de la réflexion, et d'écouter non seulement les associations, qui, même à bout de souffle, luttent sur le terrain, mais aussi les victimes et leurs proches.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Guy Benarroche. Oui, la répression est nécessaire, mais il faut également penser une prévention globale et réparer enfin le pacte républicain, qui est attaqué par le narcotrafic, en luttant contre les vulnérabilités des personnes qui tombent dans les griffes de ces réseaux criminels ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Hussein Bourgi et Raphaël Daubet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Je me dois de répondre rapidement à certains propos qui ont été tenus.

Tout d'abord, je ferai remarquer au Sénat, comme je l'ai fait tout à l'heure à l'Assemblée nationale, que si nous n'avons pas pris certains décrets, c'est parce que les parlementaires eux-mêmes en ont décidé autrement. Nous avons d'ailleurs déjà eu un débat intéressant au sujet de l'effectivité des décrets d'application.

Monsieur le sénateur Blanc, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est vous qui avez fixé dans la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic des dates d'échéance pour les décrets. C'est pourtant inhabituel…

Par ailleurs, nous sommes empêchés de faire paraître certains décrets, car vous avez souhaité que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) émette un avis au préalable. Bruno Retailleau, alors ministre de l'intérieur, et moi-même avions pourtant expliqué, lors de l'examen du texte, qu'il valait mieux ne pas demander l'avis de la commission pour l'ensemble de ces décrets. En effet, vous savez bien que celle-ci met entre cinq et six mois à se prononcer.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n'est jamais de votre faute !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il est donc quelque peu malvenu de reprocher au Gouvernement de ne pas avoir publié les décrets.

En ce qui concerne mon ministère, celui de la justice, il ne nous reste qu'un décret à finaliser, celui qui a trait au statut des repentis. À ce sujet, vous conviendrez qu'il n'est pas aisé de construire en six mois, certes avec l'aide du service interministériel d'assistance technique (Siat), une « filiale », si je puis dire, permettant une totale anonymisation des personnes qui parlent.

Il convient de trouver à ces dernières des lieux où se cacher, y compris à l'étranger, de leur trouver une identité de couverture, ainsi parfois qu'à leur famille, de leur procurer un logement, voire de leur faire subir des opérations de chirurgie esthétique pour qu'elles ne soient pas reconnues…

Six mois, c'est cinq fois moins de temps qu'il en a fallu à l'Italie pour mettre en application l'article 41-bis de leur règlement pénitentiaire et leur statut des repentis.

Ceux qui considèrent qu'il est possible de faire beaucoup plus vite seraient sans doute les premiers à nous reprocher d'être allés trop vite si un repenti se faisait éliminer par l'organisation criminelle à laquelle il appartenait, et de n'avoir pas su garantir l'anonymat de la personne.

Il est donc important de rappeler que c'est le Parlement qui a fixé des dates d'échéance et requis des avis de la Cnil. Nous ne faisons en réalité que respecter votre volonté.

En outre, nous avons été extrêmement rapides pour mettre en place le Pnaco et les mesures relatives au régime carcéral. À ce propos, je regrette, monsieur Blanc, que vous n'ayez pas souligné que la question du régime carcéral avait été oubliée dans le texte initial. Vous l'aviez certes mentionné dans le rapport que vous avez soumis au président Larcher, mais vous n'avez pas inclus de dispositions sur le régime carcéral dans le texte de loi qui en est issu.

Pourtant, chacun sait bien qu'une grande partie des difficultés que nous rencontrons en dépendent, comme l'ont relevé, et je les en remercie, les sénatrices Linkenheld et Florennes. Nous avons mis en place très rapidement un régime carcéral extrêmement efficace, que vous avez vous-même visité.

Vous auriez pu, dans le tableau très noir que vous venez de dresser, évoquer ce sujet majeur, mais les quinze minutes de temps de parole qui vous étaient imparties étaient sans doute insuffisantes pour le faire…

Par ailleurs, monsieur le sénateur Blanc, madame la sénatrice Linkenheld, l'AFD n'est pas ce que vous croyez. Le ministre de l'intérieur vous communiquera certainement des chiffres concernant le taux de recouvrement. (M. le ministre de l'intérieur acquiesce.)

Monsieur Blanc, vous avez été maire de Divonne-les-Bains, Mme Linkenheld est une grande élue locale, dans ce magnifique département qu'est le Nord, et j'ai moi-même été maire. Nous savons très bien qu'avant l'instauration de cette amende les policiers et les gendarmes, lorsqu'ils appréhendaient quelqu'un en possession de cannabis, se contentaient souvent de prendre le joint, de le jeter par terre, de l'écraser et de dire à la personne de partir. De tels faits n'étaient jamais judiciarisés, sauf lorsque d'autres faits répréhensibles étaient constatés.

En ce sens, la création de l'AFD a été très importante.

Tout d'abord, elle constitue une amende pénale, qui donne lieu à une inscription au casier judiciaire. Cela permet par exemple au ministère de la justice de refuser à des consommateurs de passer le concours de l'École nationale de la magistrature (ENM), ce qui n'était pas le cas auparavant.

Ensuite, elle permet d'effectuer des contrôles de police, auxquels les agents n'auraient pas pu procéder sans cela, et donc de trouver, parfois, autre chose que de la drogue. Par exemple, les policiers peuvent découvrir des armes blanches ou s'apercevoir que la personne contrôlée est en situation irrégulière… Sans cette amende, les policiers ne pourraient pas réaliser de contrôles d'initiative ; ils seraient obligés d'attendre les réquisitions du procureur de la République.

J'ajoute que vous vous apercevrez dans quelques instants que le recouvrement de ces amendes est bien plus important que vous le prétendez.

À cet égard, sachez que le projet de loi de finances pour 2026 comporte une disposition très importante, qui permet à la ministre des comptes publics – qui nous écoute, de là où elle se trouve – et à moi-même de mettre directement en relation la direction générale des finances publiques (DGFiP) et les commissaires de justice pour recouvrer les amendes. C'est la première fois qu'une telle mesure est adoptée.

Je regrette qu'à l'époque la rapporteure de la proposition de loi sur le narcotrafic ne se soit pas ralliée à notre position, à Bruno Retailleau et à moi-même. Des obstacles nous empêchant de juger plus rapidement auraient pu être levés.

Chacun peut constater que les dossiers relatifs à la criminalité organisée, notamment à Paris et à Marseille, révèlent des liens entre trafic de drogue, proxénétisme – vous avez eu raison de le souligner, madame Linkeheld – et bien d'autres trafics encore. Le Sénat avait initialement proposé de créer un parquet national anti-stupéfiants ; de notre côté, nous avons beaucoup insisté pour en faire un parquet national anti-criminalité organisée, car de nombreux types de délinquances se rejoignent autour du dieu argent.

Pour accélérer le traitement des dossiers, nous avons proposé de simplifier les procédures, ce que vous avez refusé de faire. Nous sommes tout de même parvenus à introduire une mesure de simplification concernant les demandes de remises en liberté – qui nous avait valu de longues discussions au Sénat – lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.

Les magistrats nous disent aussi qu'ils sont souvent mis en difficulté par des manœuvres dilatoires : des personnes en détention provisoire sont parfois remises en liberté pour une mauvaise date ou une signature oubliée. Ces pratiques ne concernent sans doute qu'une infime partie des avocats pénalistes, mais elles existent.

Je regrette, monsieur Blanc, que vous ne l'ayez pas mentionné non plus, car il s'agit de l'un des écueils les plus souvent déplorés par la profession. Encore récemment, un syndicat de magistrats a fait publier une tribune dans laquelle il déplore la stratégie de rupture qui est parfois adoptée par la défense, dont le but ultime est de faire sortir une personne de détention provisoire et d'éviter un procès.

En deux ans, le nombre de personnes détenues pour des faits de criminalité organisée a augmenté de 42 %. Actuellement, 19 500 personnes sont détenues dans les prisons françaises pour de tels faits. Plus de 5 000 procès en lien avec la criminalité organisée sont en attente d'audiencement. Cela s'explique surtout par la paupérisation réelle dont avait fait l'objet le ministère de la justice avant que nous accédions aux responsabilités…

En 2016, M. Urvoas lui-même évoquait une institution judiciaire « en voie de clochardisation ». Pour autant, je constate que le ministère de la justice n'a pas vu les effectifs de magistrats progresser entre 2012 et 2017, alors que la France comptait huit fois moins de procureurs et de magistrats par habitant que les grands pays qui nous entourent, par exemple l'Allemagne, l'Italie ou la Grande-Bretagne.

Il est très important de simplifier la procédure pénale, car il ne faut pas que la forme l'emporte sur le fond. Je proposerai donc de traiter enfin cette question à l'occasion de l'examen du projet de loi visant à assurer une sanction utile, rapide et effective (Sure), qui ne portera pas spécifiquement sur le narcotrafic, mais aura trait à l'audiencement criminel.

Sans remettre en question les droits de la défense, je souhaite simplifier la procédure pénale, pour régler les problèmes de forme qui « embolisent » complètement les chambres d'instruction. J'espère que je serai suivi par le Sénat sur ce point, car il s'agit de l'un des problèmes les plus importants auxquels nous sommes confrontés dans la lutte que nous menons contre le narcotrafic.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur. Je répondrai tout d'abord à quatre questions qui ont été posées au cours du débat, puis je vous livrerai une réflexion personnelle, qui sera moins celle du ministre de l'intérieur que celle d'un haut fonctionnaire qui a la prétention d'avoir un peu d'expérience sur ces sujets pour les avoir traités pendant vingt ans. Je dresserai un panorama plus global, afin d'appeler à la modestie et à l'humilité, car ces dossiers en exigent beaucoup.

Monsieur le sénateur Blanc, vous m'avez demandé comment nous allions recouvrer l'amende forfaitaire délictuelle. Actuellement, le taux de recouvrement est de 53 %. En neutralisant les pertes liées aux envois par voie postale, par exemple parce que l'adresse n'est pas la bonne, ce taux pourrait même atteindre 62 %.

L'une des pistes que nous étudions est de faire profiter les policiers des mêmes droits que certains corps de contrôle, notamment les contrôleurs des transports en commun, qui peuvent vérifier l'adresse postale qui leur a été communiquée en croisant les informations qu'ils ont recueillies avec celles que détient l'administration fiscale.

Une autre piste, mentionnée à l'instant par Gérald Darmanin, est de mobiliser les commissaires des finances publiques pour améliorer le recouvrement.

Avant la création de l'AFD, sous le quinquennat de François Hollande, nous appliquions l'amende douanière. À Saint-Ouen, nous étions parvenus à éradiquer des points de deal rien qu'en notifiant de telles amendes aux personnes qui venaient acheter. Je suis donc assez confiant sur l'intérêt de l'AFD.

Ensuite, vous avez été plusieurs à nous interroger sur l'organisation d'une campagne de communication. Nous sommes tous d'accord pour mener des campagnes les plus offensives possible, et le Premier ministre a annoncé dans sa déclaration que nous le ferions.

Par ailleurs, monsieur le sénateur Benarroche, vous avez critiqué le fait que le Président de la République se soit félicité de ce que le nombre de points de deal ait été divisé par deux. Il n'empêche que c'est une réalité ! Il y en avait 160 il y a trois ans, il n'y en a plus que 80… (M. Guy Benarroche proteste.)

Vous avez parfaitement raison de dire que c'est en partie dû aux livraisons « Uber shit ». Cela ne nous a pas échappé. Lorsque j'étais préfet de police et que le ministre de l'intérieur était Gérald Darmanin, ce dernier avait demandé la création de groupes consacrés à ce type de livraison. Ces groupes travaillent sur les réseaux sociaux, effectuent des contrôles sur la voie publique et démantèlent des réseaux « Uber shit ». Du reste, il s'agit bien souvent des mêmes réseaux que ceux qui dealent sur la voie publique. Nous avons donc bien tenu compte de cette dimension.

Enfin, nous avons toujours veillé – et le Président de la République a surveillé cela de très près – à maintenir les effectifs de police à Marseille, voire à les faire progresser. Le nombre d'agents des services de police menant des investigations judiciaires n'a cessé de croître. C'est extrêmement important.

De manière plus générale, monsieur le sénateur Blanc, cela vous choquera peut-être, mais je vous le dis avec beaucoup d'humilité et de modestie, nous n'avons pas découvert la question avec votre rapport. J'ai un peu d'expérience comme haut fonctionnaire. J'ai travaillé sur ces sujets sous le quinquennat de François Hollande, sous les deux quinquennats d'Emmanuel Macron, et même un peu avant 2012.

Très honnêtement, monsieur le sénateur, le rapport qui a été fait par le Sénat est évidemment un plus. Il apporte une stratification supplémentaire dans un ensemble de strates héritées du passé. En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, nous ne cessons d'apprendre de ce qui a été fait dans le passé. Nous tirons profit des expériences passées pour faire toujours mieux.

C'est ce que nous faisons depuis 2015. Vous avez forcément vu le film BAC Nord, dont l'intrigue se déroule en 2012. Il montre bien qu'à cette époque, à Marseille, la brigade anticriminalité (BAC) et la police judiciaire travaillaient sur les mêmes dossiers, sans aucune coordination. Cela ne pouvait pas fonctionner !

Lorsque Bernard Cazeneuve était ministre de l'intérieur, il a mandaté un – plus ou moins – jeune préfet de police pour expérimenter une nouvelle méthode, qui a été par la suite généralisée sur tout le territoire national sous le quinquennat de François Hollande. Depuis lors, les services travaillent mieux ensemble et ont gagné en efficacité.

Ensuite, sous le premier quinquennat du président Macron, nous avons créé l'Office anti-stupéfiants (Ofast) pour qu'il joue le rôle de chef de file et évite un fonctionnement en silo – car il est toujours préférable que les services se parlent.

Vous conviendrez, monsieur Blanc, que votre propos était très offensif à l'encontre du Gouvernement. Nous travaillons sur ces sujets depuis dix ans. Oui, c'est compliqué. Oui, il faut s'adapter en permanence au trafic. Oui, nous voyons bien que les réseaux sont de plus en plus structurés et s'étendent désormais sur tout le territoire national.

Mais on ne peut pas dire, comme vous l'avez fait, que rien n'a été fait pendant dix ans… Je vous le dis avec modestie : ce n'est tout simplement pas vrai que rien n'a été fait au cours de la dernière décennie en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants !

Quoi qu'il en soit, je salue le travail qui a été réalisé par le Sénat. La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, qui s'inspire du rapport de la commission d'enquête sénatoriale, nous donne des outils exceptionnels. Je le reconnais bien volontiers.

L'idée du Président de la République de placer la lutte contre le trafic de stupéfiants au même niveau que la lutte contre le terrorisme et de calquer les dispositifs comme le Pnaco et l'état-major de lutte contre la criminalité organisée (Emco) sur leurs équivalents en matière de terrorisme sera également extrêmement bénéfique.

J'ai le sens de l'intérêt général, et je pense que tout ce qui a été fait par les gouvernements successifs en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants a été positif. Ce gouvernement s'inscrira dans la même démarche pour faire toujours mieux et toujours plus.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale. La question de la prévention a été évoquée par plusieurs d'entre vous.

Je le dirai simplement : oui, nous devons mener une politique de prévention à la fois ambitieuse et adaptée.

Ambitieuse, parce qu'elle ne l'a probablement pas été assez jusqu'à présent. À cet égard, la ministre de la santé vous a parlé de tout ce que nous mettions en place ensemble.

Adaptée, parce que les messages doivent être passés très tôt. En effet, ce que perçoit le regard de l'enfant des comportements dans son environnement, y compris de ceux de ses parents, recouvre une dimension prescriptive.

Par ailleurs, il faut savoir viser juste. Nous avons toujours abordé la question de la prévention contre les drogues à travers le seul prisme de la santé publique, en disant qu'elles sont dangereuses. Or il convient également de faire comprendre aux jeunes, par les discours que nous leur délivrons, que la consommation de drogue finance un circuit criminel. Objectivement, c'est quelque chose que nous n'expliquions qu'assez peu jusqu'à récemment.

Nous effectuerons ce travail de prévention.

Pour conclure, je vous invite à considérer l'école comme un corps, auquel les tentacules du narcotrafic ne pourront pas s'accrocher si nous faisons tous bloc autour de lui. Autrement dit, la prévention n'est pas que l'affaire de l'école : les parents, les collectivités territoriales, les élus locaux et les associations doivent également jouer un rôle. En effet, je vous confirme que nous ne réglerons pas le problème tout seuls.

En revanche, si nous faisons tous bloc autour de l'école et de ses personnels et que nous ne laissons rien passer, alors nous progresserons en matière de prévention et nous desserrerons la pression qu'exerce le narcotrafic sur l'institution scolaire.