(M. Xavier Iacovelli remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli

vice-président

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, « la drogue est une gangrène qui menace chaque pays touché par son trafic », disait le président Jacques Chirac en 2003. Vingt ans plus tard, force est de constater que cette gangrène a fortement progressé.

Le narcotrafic est non pas une délinquance parmi d'autres, mais l'axe majeur de la criminalité organisée. Structuré, financiarisé et violent, il s'enracine dans nos territoires, s'adapte en permanence à l'action publique et conteste, par la force, l'autorité même de l'État.

Longtemps cantonné à quelques quartiers ou à certaines grandes métropoles, il s'étend aujourd'hui aux villes moyennes, aux zones périurbaines, aux territoires les plus ruraux, aux collèges, aux lycées, et même aux vestiaires des stades. Les coups de feu ne sont plus exceptionnels. Pour certains de nos concitoyens, ils deviennent presque un bruit de fond. Voilà le moment de bascule que nous vivons.

Notre groupe tient à saluer l'implication des pouvoirs publics. Les forces de sécurité intérieure, les douanes, l'Office anti-stupéfiants (Ofast) et les magistrats spécialisés sont pleinement mobilisés. Les quantités de drogue saisies atteignent des niveaux inédits. Des records sont battus en mer, dans les ports, sur nos routes, dans nos aéroports.

La marine nationale est en pointe : en 2025, elle a saisi plus de 83 tonnes de drogue, d'une valeur globale de 3,6 milliards d'euros. C'est 70 % de plus qu'en 2024 !

Mais ces saisies, aussi nécessaires soient-elles, révèlent surtout l'ampleur du phénomène. Elles ne sont pas le signe d'un trafic maîtrisé, mais celui d'un trafic industrialisé. Les milliers de points de deal, la permanence des flux, la rapidité de reconstitution des réseaux montrent que nous avons affaire non pas à une criminalité contenue, mais à une véritable économie parallèle, installée et internationale.

Cette économie criminelle s'appuie sur les nouvelles technologies : les cryptomonnaies pour dissimuler l'argent ; les messageries cryptées pour organiser le trafic à l'échelle internationale. Les enquêtes l'ont montré : ce sont des millions de messages échangés, des milliers d'acteurs impliqués, bien au-delà des capacités humaines traditionnelles de traitement.

Les réseaux sont fragmentés et spécialisés. Ils fonctionnent selon une forme de taylorisme criminel : logisticiens, collecteurs, blanchisseurs, ou encore distributeurs. Les flux sont continus, les quantités fractionnées, les responsabilités diluées.

Des progrès majeurs ont été réalisés par les services d'enquête, notamment s'agissant des messageries cryptées. Nos agents devraient cependant bénéficier de moyens plus importants si nous voulons faire tomber les réseaux.

Cette sophistication technologique bouleverse profondément notre rapport au temps pénal. Elle permet aux réseaux de survivre aux arrestations, de se reconstituer rapidement et, parfois, de poursuivre leurs activités malgré l'incarcération de leurs chefs.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez pris le problème à bras-le-corps, et nous saluons votre action.

Derrière les trafics, derrière ces flux et ces chiffres, il y a une réalité humaine, tragique et brutale : la drogue fait des victimes, parmi ceux qui la vendent et parmi les consommateurs.

Elle fait aussi des victimes parmi celles et ceux qui n'avaient rien demandé. J'ai ainsi une pensée pour Socayna, cette étudiante en médecine fauchée par une balle perdue alors qu'elle se trouvait dans sa chambre.

J'ai aussi une pensée pour tous nos concitoyens dont le quotidien est dominé par la peur et la violence du trafic.

J'ai une pensée, enfin, pour celles et ceux qui osent dire non et qui refusent la loi du silence, comme le frère, lâchement assassiné, d'Amine Kessaci.

Parce que les profits explosent, parce que les enjeux financiers sont devenus colossaux, il n'y a pas que les produits qui sont importés ; les méthodes le sont aussi. En Europe, nous voyons désormais poindre la violence des cartels latino-américains : armes de guerre, règlements de compte en pleine rue, et des mineurs, parfois âgés d'à peine 14 ans, utilisés comme tueurs à gages… Cette violence n'est pas une dérive ; elle est un outil assumé de gestion, de domination et de conquête des territoires.

Dans la lutte contre les trafics, les ports sont l'un des points névralgiques. Celui de Rotterdam a engagé une sécurisation massive. Celui d'Anvers reste fortement sous tension. En France, le port du Havre a besoin de moyens supplémentaires pour faire face à la pression criminelle croissante.

Les dockers sont menacés. Les agents pénitentiaires sont intimidés. La corruption devient un levier stratégique. En effet, le narcotrafic ne peut prospérer sans blanchiment massif des profits, sans infiltration de l'économie légale, sans pressions, sans enlèvements, sans exécutions ciblées. Tant que l'argent du crime circulera plus vite que nous ne le saisissons, nous laisserons aux réseaux un avantage décisif…

Il y a enfin l'éléphant dans la pièce : les consommateurs. Sans eux, il n'y a pas de trafic de drogue. Et je veux d'emblée le dire, la responsabilité pénale n'est pas incompatible avec la prévention et les soins.

Nous ne pouvons pas détourner le regard. Le modèle propre aux Pays-Bas, pays tenté par la distinction entre drogues dures et douces, a montré ses limites et prouvé son impuissance. La banalisation de l'usage, la tolérance implicite et l'hypocrisie collective nourrissent directement les réseaux criminels.

Qu'on le veuille ou non, la consommation finance directement l'évasion de Mohamed Amra, les attaques contre les prisons, les enlèvements et les assassinats... Derrière l'ecstasy en rave party, derrière le rail de coke en boîte de nuit, il y a des chambres de torture et des exécutions ! Les consommateurs portent une très lourde responsabilité !

Le changement d'échelle du narcotrafic que nous connaissons aujourd'hui est lié à une substance en particulier : la cocaïne. Un kilo de cette drogue s'achète environ 1 000 euros en Amérique latine et se revend jusqu'à 60 000 euros en Europe. En 2023, plus de 1 million de Français ont consommé au moins une fois de la cocaïne, près de deux fois plus qu'en 2017. Une telle rentabilité a pour corollaire des capitaux criminels considérables ; elle alimente une violence sans frein et transforme le trafic de drogue en une industrie internationale.

Comme si le tableau n'était pas assez sombre, nous devons garder à l'esprit que nous ne sommes pas encore confrontés à ce que connaissent d'autres pays, notamment les États-Unis : je pense au fentanyl, à ses ravages sanitaires et ses milliers de morts. Les signaux faibles existent et il serait dangereux de les ignorer. Il faut agir rapidement et fermement !

Ce que je veux dire par là, ce n'est absolument pas que la justice est laxiste. Avec un taux d'occupation carcérale de 136 %, il serait injuste et inefficace de mettre en cause les magistrats.

Ce n'est pas la justice qui est défaillante ; c'est la promesse qui lui est faite et qui n'est pas encore tenue. Tant que nous ne créerons pas de nouvelles places de prison réellement sécurisées, tant que l'incarcération ne coupera pas les réseaux, nous ne pourrons pas exiger davantage de ceux qui rendent la justice.

Face à une économie criminelle mondialisée, notre réponse doit être globale : pénale, financière, technologique, sans angle mort. La lutte contre le narcotrafic exige des moyens, et, surtout, du courage.

Quand nous regardons ce qui se passe chez nos voisins en Europe, nous n'avons ni à nous féliciter ni à rougir ; mais nous voyons bien que la solution miracle n'existe pas encore.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra, bien sûr, l'initiative du Gouvernement. Cette bataille de longue haleine, nous ne pouvons pas nous permettre de la perdre ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a encore quelques années, le narcotrafic était perçu comme un phénomène périphérique : un problème de quartiers, un sujet pour les grandes métropoles, un angle mort de l'action publique tant qu'il restait contenu.

Aujourd'hui, cette illusion s'est dissipée. Le narcotrafic n'est plus une menace diffuse : il est omniprésent. Il touche à notre sécurité, à notre jeunesse, à notre santé publique. Il porte atteinte à l'intégrité de l'action publique et se répand partout sur notre territoire.

Si nous débattons ce soir, c'est parce que la République est directement défiée et que le Gouvernement a choisi d'y répondre sans détourner le regard.

Pour mesurer l'ampleur de cette menace, il faut d'abord regarder ce qui l'alimente : la consommation.

Comme l'ont révélé les travaux de la commission d'enquête sénatoriale menés par notre ancien collègue Jérôme Durain et par Étienne Blanc, qui est présent ici et que je salue, nous faisons face à un double mouvement préoccupant : l'émergence de nouveaux produits dévastateurs, à bas coût, et la banalisation des drogues dites dures.

La cocaïne en est l'illustration la plus frappante. Vous l'avez rappelé, mesdames, messieurs les ministres, les saisies atteignent des records année après année. Derrière ces chiffres, il y a une réalité brutale : près de 1,1 million de Français ont consommé de la cocaïne en 2023, presque deux fois plus qu'en 2017.

Il nous faut assumer une vérité parfois dérangeante. Le consommateur est un maillon du système. Il finance la violence, alimente la corruption et rend possible l'enrôlement des plus jeunes.

La réponse doit être ferme. Les amendes forfaitaires délictuelles, lorsqu'elles sont recouvrées, constituent un outil pertinent. Je salue, à cet égard, l'implication des ministères de l'intérieur et de la justice, de Bercy, ainsi que celle des ministres présents dans notre hémicycle – leur présence atteste de l'importance accordée par le Gouvernement à cette lutte. La proposition du Président de la République d'augmenter le montant de ces amendes marque notre volonté de mettre fin à cette banalisation.

Mais la répression seule ne suffit pas. La consommation est aussi un enjeu de santé publique, de prévention et de prise en charge des addictions. C'est à cette condition que nous tarirons durablement la demande.

Cette économie criminelle prospère avant tout grâce à l'enrôlement de nos jeunes. Les réseaux recrutent, ruinent des trajectoires de vie et compromettent leur avenir. Quand on propose de 150 à 200 euros par jour à un adolescent, le recrutement devient tragiquement simple. Les trafiquants exploitent la vulnérabilité, la précarité et l'absence de perspectives.

En 2023, les individus mis en cause pour trafic de stupéfiants étaient à 19 % des mineurs. L'enrôlement des mineurs, érigé en circonstance aggravante par la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, doit trouver toute sa traduction dans la réponse pénale. Protégeons davantage nos jeunes en renforçant leur accompagnement, et ce pour les éloigner durablement de logiques les conduisant à la délinquance.

Pour asseoir leur domination, les réseaux ont durci leurs méthodes : intimidation, ultraviolence, fusillades, assassinats ciblés, racket. L'actualité récente nous l'a rappelé avec brutalité.

À Marseille, on retrouve dans l'assassinat de Mehdi Kessaci, frère du militant associatif Amine Kessaci, tous les marqueurs d'un crime d'intimidation, d'une barbarie sans nom. J'ai une pensée émue pour la famille Kessaci, ses proches, et toutes celles et tous ceux qui refusent de céder à cette logique criminelle.

Cette violence frappe l'ensemble du territoire, avec une intensité particulière dans les outre-mer. Les espaces maritimes ont besoin de dispositifs à la hauteur. Certes, la gendarmerie et la marine accomplissent un travail remarquable, mais il faut renforcer les moyens, autrement dit les effectifs et les équipements, pour traquer les trafiquants ; il faut aussi leur donner un cadre juridique adapté.

Je pense aux Antilles, où le trafic s'accompagne d'une circulation accrue d'armes lourdes et d'une pénétration du narcotrafic dans le tissu social et familial, à la Polynésie française sur l'axe Amérique du Sud-Australie, et à la Guyane, où le phénomène des mules touche toutes les strates de la société. Dans ce département, le dispositif « 100 % contrôle » a permis de ralentir le trafic, mais il mobilise massivement les forces de l'ordre.

D'autres solutions existent : les Pays-Bas et la Belgique utilisent des scanners corporels pour détecter la cocaïne. Les élus guyanais, notamment notre collègue Marie-Laure Phinéra-Horth, demandent leur installation sur les lignes sensibles. Mesdames, messieurs les ministres, cette demande appelle une réponse rapide de votre part.

Face à une telle menace, nous avons choisi d'agir. La loi sur le narcotrafic, fruit d'un travail parlementaire transpartisan, en est le parfait exemple. Elle renforce le pouvoir d'action de la justice et de l'État : fermetures administratives des lieux liés à la criminalité, prolongation des gardes à vue des mules, lutte contre le blanchiment.

Vous l'avez rappelé, mesdames, messieurs les ministres, l'argent est le nerf de la guerre. Frapper au cœur des réseaux, c'est les frapper au portefeuille. Le travail des services de police et de renseignement pour traquer l'argent sale est excellent, et je veux le saluer. Mais nous devons aller plus loin, taper plus fort encore, avec davantage de saisies et sous contrôle du juge.

La création du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) traduit un changement de paradigme. Par sa spécialisation et son articulation avec l'état-major interministériel, ce parquet permet d'adapter l'action publique à une menace diffuse et structurée.

Cette lutte doit aussi être menée derrière les murs de nos prisons. Le drame d'Incarville a révélé de graves failles. Les mesures du protocole d'Incarville et de la loi sur le narcotrafic, notamment l'anonymisation des agents, sont essentielles.

L'isolement des grands narcotrafiquants au sein des quartiers de lutte contre la criminalité organisée constitue une rupture indispensable pour empêcher les têtes de réseau de continuer à œuvrer depuis leur lieu de détention. Cet enfermement hermétique, sans téléphone portable, fondé sur un régime strict, est la bonne méthode.

Mes chers collègues, la situation est alarmante, mais il n'y a pas de fatalité ! Oui, il nous faut renforcer notre cadre juridique, nos dispositifs de prévention et nos moyens, pour que nos outils répondent à une menace qui évolue sans cesse. C'est une question non pas seulement de sécurité, mais aussi de souveraineté.

Dans ce combat, nous devons protéger celles et ceux qui font vivre l'autorité publique au quotidien : forces de l'ordre, magistrats, agents pénitentiaires, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), élus locaux. Face à ceux qui imposent peur, corruption et violence, la République ne doit pas céder ! Elle peut compter sur notre engagement.

Au nom du groupe RDPI, je réaffirme notre soutien résolu à l'action du Gouvernement dans cette lutte déterminée ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Jérémy Bacchi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l'issue de l'examen de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, notre groupe a fait un choix clair, celui de la responsabilité, en votant ce texte.

Nous l'avons fait parce que la situation est grave, parce que les trafics de stupéfiants ne cessent de s'étendre, parce que les réseaux criminels se structurent, se professionnalisent et se financiarisent, et parce que, dans de nombreux territoires de la République, l'emprise mafieuse a pris une ampleur incontrôlable. Je pense évidemment à Marseille, mais aussi à bien d'autres villes.

Les narcotrafiquants ont d'ailleurs franchi un cap supplémentaire avec le meurtre immonde de Mehdi Kessaci. Nous assistons à un basculement : nous sommes confrontés à une menace qui va crescendo, jusqu'au chaos…

Nous avons voté ce texte, car nous savons que l'inaction aurait été une faute. Mais nous l'avons aussi voté en conscience, en acceptant que certains sujets majeurs ne soient pas traités, non parce qu'ils seraient secondaires, mais parce qu'un compromis politique avait été trouvé pour en permettre l'adoption.

Aujourd'hui, mes chers collègues, nous sommes à un moment décisif. Car si le traitement de ces sujets continue d'être repoussé dans le temps, si nous persistons à considérer ces questions comme périphériques, alors, il faut le dire clairement, cette loi sera insuffisante. Elle ne permettra pas de sortir durablement la France du piège du narcotrafic.

Cette lutte ne saurait être uniquement répressive et se limiter à l'aval du phénomène. Elle doit être globale, cohérente et déterminée. Nous devons désormais élaborer un nouveau véhicule législatif pour traiter le fléau.

Je veux d'abord aborder la question absolument centrale du blanchiment de l'argent issu de ce trafic. Le narcotrafic est avant tout une économie criminelle et mondialisée, une économie qui génère des flux financiers colossaux, une économie qui ne prospère que parce que l'argent peut être blanchi, investi, dissimulé et recyclé.

Soyons lucides : sans blanchiment, il n'y a pas de trafic à grande échelle. Sans blanchiment, les réseaux ne peuvent ni se développer, ni se structurer, ni corrompre.

Or ce blanchiment ne se fait pas dans le vide, si je puis dire. Il s'opère à travers des circuits financiers, bancaires, immobiliers et commerciaux parfaitement identifiables, parfois avec la complaisance, la négligence, ou encore la complicité d'acteurs économiques puissants.

Les banques ne peuvent pas être éternellement les grandes absentes de ce débat. Lorsque certaines ferment les yeux sur des flux manifestement suspects, lorsqu'elles considèrent que les amendes sont un coût acceptable, lorsqu'elles préfèrent la rentabilité au respect de la loi, elles deviennent des maillons essentiels de la chaîne criminelle.

On ne peut pas, d'un côté, afficher – à juste titre – une fermeté sans concession à l'égard des trafiquants, et, de l'autre, faire preuve d'une indulgence persistante envers ceux qui permettent à l'argent sale de circuler. Il nous faut renforcer considérablement la justice financière, les moyens d'enquête des services spécialisés, les contrôles bancaires et les sanctions. Il faut que les moyens de lutte contre le blanchiment soient perçus comme un risque réel. Ils doivent devenir dissuasifs. Les faits de blanchiment doivent donc faire systématiquement l'objet de poursuites.

Cette question du blanchiment me conduit à évoquer l'aspect international du trafic de drogue, qui est par essence transnational. Les drogues consommées en France sont produites ailleurs. Les profits générés ici sont blanchis là-bas, et inversement.

La France ne peut pas prétendre lutter efficacement contre ce phénomène sans une stratégie internationale ambitieuse et cohérente. Cela suppose de renforcer la coopération judiciaire et policière, mais aussi de fixer des exigences politiques claires vis-à-vis des pays producteurs et des États complaisants.

La lutte contre le narcotrafic doit devenir un enjeu diplomatique de premier plan. Sans cela, nos efforts nationaux resteront fragiles, contournables et insuffisants.

J'en viens maintenant à la question primordiale de la prévention sanitaire et de la santé publique.

La consommation de drogues progresse et les situations de dépendance s'aggravent. Les usagers sont de plus en plus jeunes, de plus en plus nombreux, de plus en plus isolés. Et pourtant, la réponse sanitaire demeure dramatiquement sous-dimensionnée : les structures de soins sont saturées et les structures de prévention manquent de moyens.

On ne réduira pas durablement l'emprise des trafiquants sans une politique de santé publique ambitieuse, assumée et à laquelle – j'y insiste – on consacrera des moyens.

Or, dans le projet de loi de finances pour 2026, les moyens du ministère de la santé sont en diminution. Les personnes malades et les soignants sont, d'année en année, toujours plus abandonnés.

Ainsi, l'expérimentation des haltes soins addictions (HSA) n'est pas pérennisée. Elle est prolongée uniquement de deux ans, dans deux villes seulement, et sous-financée. Pourtant, les trois évaluations, respectivement menées par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et l'inspection générale des affaires sociales (Igas), concluent toutes à la pertinence et à l'efficacité du dispositif. En outre, le Gouvernement diminue les crédits alloués à la Mildeca, alors que son rôle est primordial.

L'exécutif annonce aussi vouloir mettre l'accent sur la prévention au travers de l'éducation nationale, mais il supprime dans le même temps 4 000 postes d'enseignants.

Enfin, pour ne citer que ce point, on réduit drastiquement les moyens des associations, alors même que la politique de prévention de notre pays repose beaucoup sur leur travail.

La sécurité est un droit fondamental, mais la santé l'est tout autant. Les opposer serait une erreur politique et stratégique.

J'insiste également avec force sur l'importance de la protection de l'enfance. Aujourd'hui, plus de 350 000 mineurs et jeunes majeurs relèvent de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Chacun sait ici que ces enfants sont devenus les cibles privilégiées des réseaux mafieux, qu'il s'agisse de trafic de stupéfiants ou de prostitution. Sur les 15 000 mineurs en situation de prostitution, 80 % sont des jeunes filles prises en charge par l'ASE.

Combien d'enfants enrôlés par ces réseaux se retrouvent impliqués dans le trafic de stupéfiants ? Ils sont recrutés, exploités, souvent sous la contrainte, et parfois dans les foyers censés les protéger. Cette situation indigne constitue un échec collectif et révèle un abandon organisé.

Comment prétendre lutter contre le narcotrafic si nous laissons ces enfants sans protection ? Comment peut-on parler de fermeté alors qu'on laisse prospérer ce vivier de main-d'œuvre pour les mafias ? La protection de l'enfance n'est pas un sujet annexe, mais une condition indispensable de l'efficacité de notre action.

Sans un soutien massif aux départements, sans un renforcement de l'ASE, sans des professionnels en nombre suffisant et reconnus, nos lois resteront des proclamations sans effet réel.

Mes chers collègues, partout où l'État recule, les mafias progressent. Partout où les services publics s'affaiblissent, les trafiquants s'installent !

L'an dernier, nous avons pris notre part de responsabilité en votant ce texte. Aujourd'hui, la responsabilité, c'est d'aller au bout de la démarche, d'assumer une approche globale avec de véritables moyens, de traiter enfin les questions du blanchiment, du rôle des acteurs financiers, de la santé publique et de la protection de l'enfance. Sans cela, le piège du narcotrafic continuera de se refermer sur nous. Avec cela, nous pourrons réellement commencer à faire reculer cette menace ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)

M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avons tous la même analyse de la loi sur le narcotrafic de 2025 : ce texte était essentiel, attendu et urgent.

Cette loi a constitué une étape importante : elle a renforcé les capacités d'enquête, clarifié les compétences juridictionnelles et consolidé l'arsenal pénal contre les réseaux criminels. Nous attendons désormais les décrets d'application manquants.

Dans la foulée, la commission d'enquête sur la délinquance financière et la criminalité organisée que j'ai eu l'honneur de présider, et dont notre excellente collègue Nathalie Goulet était rapporteur, a permis de déplacer le regard du législateur – et j'espère du Gouvernement ! – sur l'enjeu que constituent le blanchiment et le crime financier.

Nous avons compris que le narcotrafic n'était pas seulement une chaîne logistique de produits illicites. C'est une économie intégrée, structurée et rationnelle dont la finalité n'est pas la violence, mais l'accumulation, la sécurisation et la transformation de flux financiers massifs. « Faire du fric », voilà l'objectif à tous les étages des réseaux criminels !

Notre sujet n'était donc pas le narcotrafic en tant que tel, mais le devenir de l'argent issu de l'ensemble des activités criminelles organisées : stupéfiants, traite des êtres humains, contrefaçon, trafic d'espèces protégées, œuvres d'art. La diversification est incroyable, mais tous ces trafics ont un point commun : ils n'ont de sens que s'ils contribuent à enrichir les criminels.

Le blanchiment est un point de passage obligé de tous les trafics.

M. Michel Canévet. C'est un point d'entrée !

M. Raphaël Daubet. Ce truisme a plusieurs conséquences majeures.

Première conséquence : le crime financier est celui qui vient ouvrir une brèche dans l'économie légale. Le trafic se fait plus ou moins à l'écart de la société, entre dealers et consommateurs, mais le blanchiment, lui, s'engouffre dans le monde légal. Cela représente entre 38 milliards et 58 milliards d'euros par an en France, ce qui est énorme, d'autant que l'État n'en récupère que 2 %... Autrement dit, l'écrasante majorité des profits criminels se cristallise dans l'économie légale.

Ce que nous avons observé, audition après audition, c'est une interpénétration croissante entre économie licite et économie criminelle. Le blanchiment se fait non plus uniquement par dissimulation, mais par normalisation. Des entreprises qui existent juridiquement, et qui ont parfois une activité légale réelle, servent aussi à recycler des fonds d'origine illicite.

C'est là que le risque démocratique apparaît et que l'État de droit recule.

Deuxième conséquence : le crime financier implique de développer une vision globale du phénomène criminel et d'insuffler une culture de la lutte contre l'argent sale à tous les niveaux de la société, dans toutes les administrations et dans tous les territoires, et ce en gardant à l'esprit que c'est la corruption qui devient un risque systémique.

Nous avons montré que les atteintes à la probité étaient l'instrument par lequel les entreprises criminelles s'immisçaient progressivement dans l'économie, y compris dans les marchés publics. Ce constat n'est plus seulement le nôtre ; il est désormais confirmé par la Cour des comptes dans un rapport récent, et par l'inspection générale de la police nationale (IGPN), qui observe une hausse préoccupante des consultations illégales. La contrepartie est souvent difficile à prouver, mais le résultat est le même : une corruption diffuse, à bas bruit, quotidienne, qui fragilise en profondeur l'intégrité de l'action publique.

Nous avons proposé une approche par les risques permettant d'identifier les secteurs, les territoires et les fonctions les plus exposés. Nous préconisons de renforcer le cadre pénal, d'alourdir les peines encourues en matière de corruption et d'étendre les obligations de prévention prévues dans la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II.

Le Gouvernement a adopté, il y a un mois, un plan de lutte contre la corruption comptant trente-six mesures. Je me réjouis de cette nouvelle, même si je m'inquiète des moyens qui lui seront alloués.

Troisième conséquence : tant que les trafiquants pourront jouir de leur patrimoine pendant et après la prison, ils continueront de prendre des risques et considéreront leur peine d'emprisonnement comme un accident du travail qui ne les empêche pas de s'enrichir.

En fait, malgré un arsenal juridique que l'on pourrait imaginer robuste, la lutte contre le blanchiment souffre d'un manque structurel de stratégie. Nous faisons face à un empilement de dispositions – sur les plans préventif, déclaratif, répressif –, qui n'a pas de véritable cohérence d'ensemble.

Sur le plan préventif, le dispositif repose largement sur les obligations déclaratives des professions assujetties à Tracfin. Ce cadre est indispensable, mais son efficacité est profondément aléatoire : certaines professions jouent le jeu, mais d'autres pas vraiment, voire pas du tout.

Sur le plan répressif, l'arsenal est théoriquement puissant – présomption de blanchiment, saisies, confiscations –, mais sa mise en œuvre reste entravée par plusieurs limites majeures.

Première limite : le cloisonnement des services. Les données sont trop fragmentées entre les administrations fiscale, douanière, judiciaire et financière.

Deuxième limite : le déficit d'enquêteurs spécialisés. Les dossiers économiques et financiers sont longs, techniques, exigeants, et ne suscitent plus les vocations. Il est clairement ressorti de nos auditions que la réforme de la police judiciaire de 2023 avait aggravé cette situation.

Troisième limite : le retard technologique. Le blanchiment contemporain exploite pleinement les cryptoactifs, les mécanismes d'opacification, les montages juridiques complexes. Or l'État, lui, reste contraint par des outils parfois obsolètes et des capacités de traitement des données insuffisantes.

Enfin, la coopération internationale est un défi majeur, car les réseaux criminels n'ont pas de frontières. Je salue, à cet égard, les bonnes nouvelles qui nous viennent des Émirats arabes unis.

La loi de 2025 a principalement été pensée en aval, une fois que l'infraction est caractérisée. Or le blanchiment se joue en amont, dans les zones grises du droit économique, dans les interstices de la régulation, au travers de la création de structures juridiquement licites, mais économiquement toxiques.