M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C'est inscrit comme cela dans la loi !

M. Étienne Blanc. Et leur publication est annoncée d'ici trois, quatre ou six mois !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C'est vous qui avez fixé ces dates !

M. Étienne Blanc. Le Gouvernement ne peut pas rester dans cette contradiction qui consiste, d'une part, à saluer les mérites d'une loi qu'il juge fort utile et, d'autre part, à procrastiner et tergiverser, en témoigne le peu d'empressement – je le regrette – à adopter ces décrets d'application…

Madame la ministre de l'action et des comptes publics, durant tout le long débat budgétaire, vous avez fait preuve de constance – il faut vous reconnaître cette qualité – dans votre discours sur la faiblesse de nos finances publiques.

En France, le narcotrafic représente un chiffre d'affaires de 7 milliards à 8 milliards d'euros France.

Or l'État a saisi 117 millions d'euros d'avoirs criminels en 2023 : ce sont donc 6 milliards à 7 milliards d'euros qui se sont évaporés sous les yeux d'un gouvernement impuissant et impécunieux.

Vous avez là, madame la ministre, des moyens considérables pour doter la marine, la gendarmerie, la police ou encore la douane des outils matériels et humains qui leur manquent si cruellement, ce qui provoque parfois chez eux un découragement compréhensible.

Nous pourrions aller bien plus loin dans la litanie des manques, des lacunes et des incohérences dans une lutte contre un fléau qui gangrène la société française. C'est un sujet qui ne saurait tolérer plus longtemps les atermoiements de l'exécutif et encore moins ces insupportables campagnes de communication, à l'instar de celle qui a eu lieu hier à Marseille.

Quelle idée que de déclarer que le montant de l'amende forfaitaire délictuelle pour consommation de stupéfiants serait rehaussé à 500 euros, quand on sait que moins de la moitié de son produit est actuellement recouvrée !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, et M. Laurent Nunez, ministre. C'est faux !

M. Étienne Blanc. Sur un tel montant, vous n'en récupérerez pas même 10 % !

Ces campagnes de communication nous lassent. Nous attendons des actes. Nous ne voulons plus de discours ! Le Président de la République aurait été mieux inspiré de nous expliquer comment les 50 % qui manquent dans les caisses de l'État seraient recouvrés…

Agitation médiatique, poudre aux yeux ! Mais on ne peut pas traiter aussi légèrement de sujets aussi graves.

Monsieur le Premier ministre, nous écrivions, avec Jérôme Durain, dans notre rapport, que la France était au bord du gouffre. Ces mots n'étaient pas excessifs : le phénomène nous échappe.

À la fin de nos travaux, nous avons pris connaissance d'une déclaration d'une délégation de magistrats mexicains venus en France dans le cadre d'un échange avec l'École nationale de la magistrature.

Ils avaient mis en garde : si la France n'est pas un narco-État, toute une série de signes – meurtres, violences corruption – doit vous inquiéter. Au Mexique, ont-ils expliqué, les choses ont commencé comme cela, et la réaction s'est bien trop fait attendre. Et aujourd'hui, c'est un narco-État.

Ces magistrats nous ont exhortés à armer la France face à une guerre qui doit dire son nom – une guerre terrible, qui gangrène notre pays.

C'est notre devoir pour la France, bien sûr, mais aussi pour cette jeunesse perdue, celle qui « chouffe », qui « deale », qui « charbonne », qui « salafe », qui surveille et qui maintenant assassine, rançonne, menace et sombre dans le crime.

Les 600 pages de rapport que nous avons rédigées expliquent pourquoi et comment nous en sommes arrivés là. Mais elles n'ont pu entrer dans le détail de ces drames humains qui s'étalent dans la presse de nos quotidiens régionaux.

Celui, par exemple, de ce gosse de quinze ans, enlevé par une bande rivale à Marseille dans les quartiers nord, attaché à une chaise au fond d'une cave obscure, lardé d'une cinquantaine de coups de couteau et brûlé vif au chalumeau, avant que son corps, démembré, soit rendu aux siens. La vidéo de son martyr a circulé sur les réseaux sociaux pour intimider et faire peur. C'est cela, la réalité du narcotrafic.

Alors, de grâce, moins de mots, moins de communication, moins d'esbroufe. Menez cette bataille pour la sécurité des Français. Menez-la, surtout, pour tenter de sauver une jeunesse perdue. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, GEST, SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat aborde une nouvelle fois la question du narcotrafic : ce piège, dont nous voulons sortir la France, semble se refermer chaque jour un peu plus sur notre pays, dans nos villes comme dans nos campagnes, dans l'Hexagone comme dans les outre-mer.

Il menace à la fois la sécurité de nos concitoyens, la cohésion sociale de nos territoires et, à terme, peut-être, les fondements même de notre État de droit.

L'assassinat, il y a quelques jours à Marseille, de Mehdi Kessaci nous l'a tragiquement rappelé. Je veux avoir, encore une fois, une pensée pour Amine et toute sa famille.

La question du narcotrafic se pose donc à nouveau au Parlement, quelques mois après le vote d'une proposition de loi transpartisane, largement co-construite ici même après une longue commission d'enquête sénatoriale.

Sollicité par le groupe Socialistes et apparentés de l'Assemblée nationale, le Gouvernement nous demande ce soir notre avis sur la nécessité de renforcer encore notre cadre juridique, nos dispositifs de prévention et les moyens mobilisés contre le narcotrafic.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat sera, comme précédemment, au rendez-vous de la lutte contre le narcotrafic et contre la criminalité organisée.

Nous l'avons montré à l'occasion de la commission d'enquête présidée par notre ancien collègue Jérôme Durain, qui a également été co-rapporteur, avec Étienne Blanc, dont je salue l'intervention précédente, de la proposition de loi adoptée à l'unanimité par cet hémicycle.

La commission d'enquête sénatoriale avait fourni un diagnostic extrêmement complet, rigoureux et documenté sur le narcotrafic. Ce travail parlementaire, que nous défendons fièrement, a permis de dépasser les impressions, les postures et les réactions émotionnelles pour établir des constats solides, fondés sur des auditions nombreuses, des déplacements de terrain et une analyse approfondie des mécanismes criminels.

Le narcotrafic est devenu une réalité nationale diffuse, qui s'inscrit dans le quotidien de millions de nos concitoyens. Ce n'est plus un phénomène périphérique ou cantonné à quelques quartiers ou villes identifiés de longue date.

Cette diffusion territoriale s'accompagne d'une transformation profonde des modes opératoires. Le narcotrafic s'est ubérisé. Il utilise les réseaux sociaux pour recruter, vendre, livrer. Il s'appuie sur des messageries cryptées, des circuits logistiques discrets et des plateformes numériques qui permettent de contourner les dispositifs classiques de contrôle.

Les différentes interventions ministérielles le montrent à leur façon : les menaces liées au narcotrafic sont diverses, à la fois sécuritaires, sanitaires, sociales, économiques et même démocratiques, puisqu'elles pèsent aussi sur nos magistrats et fonctionnaires.

Lorsqu'un territoire bascule, lorsque la loi du plus fort remplace la loi de la République, lorsque l'État recule dans le quotidien des citoyens, c'est toute la confiance collective qui se fissure.

Ce constant est vrai en métropole comme dans nos territoires ultramarins, qui ont besoin d'un soutien tout particulier, tant ils sont devenus des zones de rebond stratégiques sur les routes internationales de la drogue.

Ce diagnostic étant rappelé, que convient-il de faire ?

Le Gouvernement nous pose une première question : faut-il renforcer encore le cadre juridique ? Il n'y a pas de raison, en soi, de s'y opposer.

Cependant, avant de renforcer encore ce cadre, il nous importe que la législation actuelle soit vraiment mise en œuvre. Cela suppose donc déjà d'appliquer pleinement la loi votée il y a six mois.

Le directeur de l'Ofast nous a exposé hier quelques chiffres, que le ministre de l'intérieur a confirmés ce soir et qui montrent des progrès. En outre, la création du Pnaco est bien engagée, comme l'a confirmé le garde des sceaux.

De même, l'amélioration des outils pour suivre l'argent, saisir et confisquer les avoirs criminels est actée, ainsi que des dispositifs spécifiques visant les têtes de réseaux.

Les pouvoirs nouveaux donnés aux préfets commencent à être utilisés, en lien avec les maires et les bailleurs sociaux, contre les trafiquants d'hyperproximité et le blanchiment via certains commerces de proximité.

Enfin, la création de quartiers pénitentiaires dédiés aux trafiquants les plus puissants n'est pas passée inaperçue – la disposition ne figurait d'ailleurs pas dans le texte initial de la proposition de loi.

Tout cela va globalement dans le bon sens, de même que les actions supranationales présentées par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères en novembre 2025 et rappelées ce soir.

Il n'en reste pas moins que six mois après sa publication, seulement 14 % des 37 décrets nécessaires à l'application complète de la loi sont publiés. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce taux.

Notre priorité est d'aller plus vite dans l'application de ces dispositions. Ainsi, notre débat aura sans doute la vertu de donner un petit coup d'accélérateur, si j'en crois les annonces qui ont été faites.

J'ai aussi entendu quelques propositions nouvelles – certaines plus que d'autres… Je ne doute pas que nous ayons l'occasion de les examiner plus en profondeur.

Pour notre part, nous avons aussi des propositions à faire.

J'ai ainsi déposé avec plusieurs sénateurs de mon groupe une proposition de loi visant à encadrer l'utilisation de véhicules surpuissants par des conducteurs inexpérimentés, car ce phénomène entretient un lien étroit avec le trafic de stupéfiants.

Il existe un autre lien, trop souvent invisibilisé : celui entre narcotrafic, proxénétisme et violences faites aux femmes.

La proposition de loi visant à renforcer la lutte contre l'exploitation sexuelle à l'ère de la cyberprostitution déposée par Laurence Rossignol souligne avec force ce phénomène. De nombreuses victimes de la prostitution sont contraintes à la consommation de drogues pour supporter la violence prostitutionnelle. Les réseaux de proxénétisme et les réseaux de drogues sont ainsi profondément imbriqués.

Il y a là matière à renforcer encore le cadre juridique et j'invite le gouvernement à s'y pencher.

La ligne de conduite de notre groupe est toujours la même : nous sommes favorables à employer les moyens nécessaires pour réduire l'asymétrie entre les narcotrafiquants et nos forces de sécurité et de justice, à condition, néanmoins, de ne pas porter atteinte à l'équilibre précaire entre sécurité et liberté.

Ce qui peut advenir de certains fichiers sensibles montre bien qu'il vaut mieux être précautionneux !

Bien sûr, quand il est question d'outils technologiques sophistiqués ou de techniques spéciales d'investigation, il n'est pas toujours aisé de placer le curseur au bon endroit. Mais nous devons nous laisser guider par la boussole qu'a rappelée le Conseil constitutionnel : l'efficacité ne saurait justifier un affaiblissement durable de l'État de droit.

J'en viens à la deuxième question posée par le Gouvernement.

Pour le groupe SER, la priorité est en effet d'améliorer la prévention. En effet, la lutte contre le narcotrafic ne se résume pas à la lutte contre les narcotrafiquants. Cette lutte ne sera efficace que si l'on s'intéresse aussi aux produits et à ceux qui les consomment. Ainsi, notre groupe ne croit pas que réprimer davantage les consommateurs ou chercher à tout prix les responsabiliser constitue une solution.

La commission d'enquête Blanc-Durain concluait que, pour « gagner la bataille culturelle », il fallait répondre à l'enjeu de la prévention. C'est aussi notre point de vue, ainsi que je l'avais défendu ici même, au nom de mon groupe, à l'occasion de la discussion générale sur la proposition de loi Narcotrafic.

Des enfants de plus en plus jeunes sont recrutés comme guetteurs, livreurs ou pire. Cette réalité est le résultat d'un cumul de vulnérabilités : décrochage scolaire, précarité sociale, désaffiliation familiale, problème de santé mentale ou encore absence de perspectives.

La prévention doit passer par des campagnes plus percutantes.

Le rapport Blanc-Durain soulignait ce paradoxe : « L'État fait beaucoup moins d'efforts de prévention contre la consommation de drogues que contre le tabac ou l'alcool. Une telle inertie est incompréhensible. […] Il est essentiel d'adapter le discours aux publics visés et d'éviter l'écueil de la moralisation. »

À cet égard, nous ne sommes pas certains que l'annonce du Président de la République sur le rehaussement de 200 à 500 euros de l'amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs réponde tout à fait à cette recommandation, surtout quand on en connaît le taux de recouvrement…

Il faut sincèrement et collectivement se demander comment parler des drogues et s'adresser avec justesse à tous ceux qui sont tentés d'en consommer, que ce soit, pour certains, à des fins récréatives ou, pour d'autres, pour répondre à des difficultés personnelles ou professionnelles, comme l'a souligné le ministre du travail.

Reconnaître cette réalité, ce n'est pas forcément rouvrir le débat sur la dépénalisation ou la légalisation, même si cela viendra un jour. Au contraire, c'est accepter d'échanger sans tabou ni a priori pour explorer toutes les solutions pour sortir du piège du narcotrafic.

Il faut plus de prévention, de réduction des risques, de prise en charge médicale et sociale, de dispositifs comme les haltes soins addictions, sauvées dans le PLFSS grâce la force parlementaire, mais qu'il faudra étendre. Je regrette que cela n'ait pas été mentionné explicitement par le Gouvernement.

Prévenir, c'est agir d'un point de vue sanitaire, mais aussi investir dans l'éducation, l'insertion, l'apprentissage, l'emploi, le logement, la mobilité.

Il nous faut une politique publique globale, structurée, continue, inscrite dans le temps long, articulée autour du sanitaire, du social, du sociétal, et associant nos collectivités locales.

Quand la République propose un horizon, la tentation qu'offre le narcotrafic s'amenuise. La présence, ce soir, de tous les ministres concernés par ces sujets nous apparaît plutôt un bon signe.

Puisque le modèle a fonctionné pour le volet répressif, qui constitue le premier acte de notre lutte commune contre le narcotrafic, nous vous proposons de l'appliquer aussi au volet de la prévention, qui en forme le deuxième acte.

Le Parlement, en particulier le Sénat, s'honorerait à lancer rapidement une commission d'enquête sur la prévention et l'accompagnement dans le cadre de ce deuxième acte. Nous pourrions ainsi poser un diagnostic et partager des recommandations.

Certes, un tel travail prendrait sans doute six mois. Mais c'est finalement à cette échéance que l'ensemble des décrets d'application de la loi de juin 2025 auront été publiés et, espérons-le, que de nouvelles habitudes de coopération et de coordination auront été prises définitivement.

C'est à l'aune de ces travaux que nous saurions quelles mesures législatives ou réglementaires sont utiles.

À cet égard, il faudra inclure dans la prévention les produits stupéfiants connus, mais également les autres produits, non classés comme tels, à commencer par le protoxyde d'azote, dont la consommation explose, notamment chez les jeunes.

Dans la proposition de loi visant à réserver la vente de protoxyde d'azote aux seuls professionnels qu'elle a récemment déposée, notre collègue Marion Canalès, très investie, au sein de la commission des affaires sociales, sur ces questions, tire les leçons de la réalité que j'ai décrite. Puisque les textes précédents sur le sujet n'ont pas montré d'effets, elle demande l'interdiction de ce produit qui fait des ravages depuis bien trop longtemps.

Le garde des sceaux et le ministre de l'intérieur ont eux aussi fait récemment des annonces à ce sujet. Quel que soit le véhicule juridique choisi, nous devons enfin nous donner les moyens de combattre le fléau du « proto » et éviter que ne se reproduisent des accidents tragiques comme celui qui a coûté la vie du jeune Mathis à Lille il y a quelques semaines.

J'en viens à la troisième et dernière question que nous pose le Gouvernement.

Oui, nous avons besoin de moyens, et nous sommes évidemment favorables à en mobiliser davantage. Nous l'avions dit à l'occasion de l'examen de la proposition de loi Narcotrafic et nous n'avons cessé de le répéter durant les débats budgétaires ces dernières semaines.

Nos amendements visant à mieux doter encore la justice ou la police ont été rejetés, mais ils reflètent clairement notre position.

C'était aussi le cas des propositions émises dans le cadre du PLFSS ou du PLF pour lutter contre les addictions, soutenir la réduction des risques et conforter des structures comme la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et, plus largement, toutes celles qui œuvrent tous les jours dans nos quartiers, dans nos villages : les associations, les centres sociaux, les clubs de sport, les éducateurs en tout genre.

Pour avoir une chance réelle d'éviter que le piège du narcotrafic ne se referme très vite sur notre pays, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, répond favorablement aux questions posées par le Gouvernement dans ce débat en application de l'article 50-1 de la Constitution.

Nous souscrivons à une grande partie des solutions esquissées.

Souscrire à des esquisses, ce n'est ni tout accepter ni annoncer par avance des votes favorables aux textes de loi qui nous seraient soumis.

Souscrire à des esquisses, c'est se tenir prêt, comme nous l'avons toujours fait, avec exigence et vigilance, sans perdre de vue le double impératif de vivre en sécurité et en liberté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

Mme Isabelle Florennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux, avant toute chose, rendre hommage aux femmes et aux hommes qui, chaque jour, sont en première ligne face au narcotrafic : policiers, gendarmes, douaniers et magistrats.

Leur engagement et leur courage permettent à notre pays de tenir face à un phénomène dont l'emprise s'étend chaque année sur notre territoire. Et s'il y a bien un mot qui décrit ce que nous sommes en train de subir, c'est celui de submersion.

Submersion, parce que les routes par lesquelles la drogue arrive dans notre pays sont innombrables.

Submersion, parce que les moyens d'introduire ces produits sont de plus en plus diversifiés et sophistiqués.

Submersion, enfin, parce que les modes de distribution et de vente n'ont jamais été aussi nombreux et rapides.

Le narcotrafic n'est plus cantonné aux grandes métropoles : cela fait bien longtemps qu'il a gagné les villes moyennes, les petites communes et, désormais, les zones les plus rurales.

Entre 2010 et 2023, la valeur économique du trafic a bondi de 189 %. En treize ans, elle est passée de 2,3 milliards à 6,8 milliards d'euros. Le trafic, aujourd'hui, s'infiltre partout.

Source d'une violence décuplée, il se transforme sous l'effet d'une numérisation et d'une ubérisation qui illustrent, de façon glaçante, la rationalité économique de ces réseaux criminels.

Pourtant, nous nous sommes pleinement impliqués sur ces questions. Les travaux de la commission d'enquête sur le narcotrafic et la loi qui en est issue sont une success story sénatoriale.

Toutefois, sans vision stratégique d'ensemble de la lutte contre les fraudes et le blanchiment, les travaux législatifs restent décousus et les structures travaillent encore trop souvent en silos.

Nous l'avons dit le 5 novembre 2025 à l'occasion de l'examen de la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, adoptée à l'unanimité : cinq textes parcellaires nous ont été soumis en moins de six mois, sans qu'aucun permette véritablement de s'attaquer au fond du blanchiment, dans un mikado législatif consistant à bouger un peu, sans toucher à l'ensemble, en ne changeant surtout rien.

Cette politique des petits pas législatifs n'est pas conforme aux besoins de la lutte contre la fraude et la criminalité organisée. Les travaux de la commission d'enquête menée sur l'initiative du groupe Union Centriste sont sans appel : il faut changer de méthode et instituer une culture nouvelle, celle d'une vision globale des infractions et une appréhension financière d'ensemble.

Les trafiquants sont opportunistes et ne s'interdisent rien. Cessons de répéter qu'il faut frapper les criminels au portefeuille, quand nous ne recouvrons que 2 % des avoirs criminels !

Comment être crédibles quand la plateforme d'identification des avoirs criminels (Piac) ne dispose même pas de toutes les licences nécessaires pour accéder aux données essentielles ?

Comment être efficaces quand, au sein d'un même ministère, des services utilisent des outils de décryptage de la blockchain incompatibles entre eux, ce qui empêche tout échange de données entre deux étages d'un même bâtiment ?

Nous venons d'ailleurs d'apprendre que le ministère de l'intérieur a fait l'objet d'un piratage la semaine passée. Cela est regrettable ; heureusement, monsieur le ministre, vos services ont réussi à interpeller un suspect.

Comment affirmer que notre stratégie est opérationnelle, alors qu'un certain nombre de décrets d'application de la loi du 13 juin 2025 ne sont toujours pas publiés ?

Il faut absolument renforcer et réarmer nos procédures de saisie et de confiscation.

Par exemple, l'enquête patrimoniale doit être menée pendant l'enquête judiciaire, mais aussi après le jugement. Le criminel ne doit plus pouvoir continuer à profiter de l'argent de son crime – comme ce trafiquant qui investit dans l'immobilier à Dubaï en cryptoactifs, avec son portable, depuis sa cellule des Baumettes !

Concernant les cryptoactifs, 100 % des dossiers de criminalité organisée font désormais mention de l'usage de cryptomonnaies, totalement ou partiellement. C'est pourquoi il faut renforcer l'efficacité de la police, de la gendarmerie comme du droit.

Dans de nombreux cas, les criminels disposent, entre eux, de véritables systèmes comptables et maîtrisent parfaitement les mécanismes et les ficelles.

Les cryptomonnaies n'ont pas remplacé le cash : les méthodes s'additionnent et se complètent. Il faut rappeler, d'ailleurs, que les cryptoactifs sont des valeurs traçables, contrairement à ce que l'on croit souvent, à la différence du cash.

Cette réalité nous conduit naturellement à un autre volet essentiel de la lutte contre la criminalité organisée : le blanchiment.

Je tiens ici à saluer le travail de ma collègue Nathalie Goulet, très engagée sur cette question, qui regrette de ne pouvoir être présente ce soir. Sa proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment adoptée le mois dernier vise précisément à prévenir fraudes, en particulier la lutte contre les entreprises éphémères.

La société éphémère est en effet le véritable cheval de Troie de la criminalité organisée : 20 à 25 milliards d'euros de fraude à la TVA chaque année, et rien ne semble l'arrêter.

On nous dit qu'il ne faut pas ralentir la création d'entreprises ni entraver la liberté du commerce, et que « les délinquants changeront de méthode ».

Résultat : faute de définition claire, des milliers d'entreprises créées chaque année n'ont d'autre vocation que le blanchiment, le carrousel TVA, le dumping économique sur nos territoires ou la fraude aux Urssaf.

Inutile de s'émouvoir devant la multiplication de certaines enseignes, telles que les kebabs ou les barbiers : il faut au contraire une véritable acculturation aux mécanismes de blanchiment.

Blanchir est en effet devenu un métier, un service : c'est pourquoi il faut s'attaquer aux acteurs du blanchiment et surtout mettre en place une politique d'ensemble avec les services, et non avec les experts ou pseudo-experts ni les multiples services de conformité qui n'échangent qu'entre eux, en oubliant les hommes et les femmes de terrain.

La délinquance financière ne constitue pas seulement une infraction économique : elle est devenue un levier stratégique du crime organisé, un facteur de fragilisation des institutions démocratiques et un puissant moteur de distorsion du modèle républicain.

Cette guerre contre le narcotrafic et le blanchiment passe aussi par une plus grande fermeté dans nos prisons.

Trop longtemps, nous avons fermé les yeux sur les objets introduits illégalement en détention – téléphones portables, drones, projectiles – qui permettent à de nombreux trafiquants de continuer à diriger leur réseau depuis leur cellule et même, parfois, de commanditer des assassinats.

Cela passe par une lutte sans complaisance contre la corruption, où qu'elle se niche : dans l'administration pénitentiaire, dans la sphère politique ou dans le secteur industriel.

Vous l'avez bien compris, monsieur le garde des sceaux. C'est pourquoi je tiens à saluer la création, grâce à vous, de deux prisons de haute sécurité, l'une à Condé-sur-Sarthe et l'autre à Vendin-le-Vieil.

Enfin, n'oublions pas les maires, auxquels nous pouvons donner une feuille de route, car ils sont en première ligne : il leur est ainsi possible d'user du droit de préemption lorsque des locaux vacants sont susceptibles d'être utilisés pour ouvrir un commerce connu pour être un blanchisseur.

De même, ils peuvent inscrire des contraintes dans les cahiers des charges des marchés, par exemple l'interdiction de produits de contrefaçon.

Enfin, il leur incombe de former les polices municipales pour repérer les changements d'affectation ou les commerces éphémères.

Avec mes collègues du groupe Union Centriste, je vous propose d'adopter une position encore plus volontariste, après le réveil et le sursaut qu'a permis le travail sur le narcotrafic, pour étendre cette démarche ferme et volontaire à l'ensemble de la criminalité organisée. Nous devrions notamment donner de nouveaux moyens à nos services pour lutter contre le blanchiment, mère de tous les vices.

Par ailleurs, les moyens alloués à la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), dont l'une des missions essentielles est la lutte contre la fraude et les grands trafics internationaux, augmenteront de 3,6 % en 2026 par rapport à 2025 et ses moyens humains seront renforcés.

Ce signal doit être poursuivi et amplifié si nous voulons réellement nous donner les moyens de gagner face à ce fléau.

Le groupe Union Centriste propose, par ailleurs, la création d'un groupe de suivi des textes et enjeux de la criminalité organisée, à la suite des deux commissions d'enquête menées, l'une, sur le narcotrafic, par Étienne Blanc et Jérôme Durain, l'autre, sur la délinquance financière, par Nathalie Goulet et Raphaël Daubet.

Notre engagement ne saurait faiblir sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, Les Républicains, INDEP et SER.)

(M. Xavier Iacovelli remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)