M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le monde du travail n'est pas épargné par le fléau de la drogue, bien au contraire.

Les conduites addictives au travail, c'est-à-dire la consommation d'alcool, de médicaments, de psychotropes, de cocaïne ou encore de cannabis, constituent un enjeu croissant de santé, de sécurité et de maintien dans l'emploi.

Les médecins du travail évaluent à 7 % la proportion de salariés qui souffrent d'une addiction au cannabis : c'est deux points de plus qu'il y a quinze ans.

Or la prise de drogue renforce considérablement les risques en matière de sécurité au travail, pour celui qui consomme comme pour celles et ceux qui l'entourent. Elle se traduit par une baisse d'attention, des accidents potentiellement mortels, des tensions entre collègues, une désorganisation du travail et, pour les salariés en question, un risque accru de décrochage professionnel, donc de spirale négative vers la précarité.

Oui, la drogue détruit socialement les gens et peut les conduire à la rue, et ce dans tous les territoires – les métropoles et leurs zones périurbaines, comme les villes moyennes et la ruralité.

Le coût social des drogues est estimé à 7,7 milliards d'euros, mais le coût humain est primordial.

Concernant la santé des travailleurs, le ministère du travail et des solidarités prend le sujet très au sérieux, en particulier sous l'angle de la prévention.

Le cinquième plan Santé au travail, qui doit être publié au premier semestre prochain, proposera de renforcer l'accompagnement des employeurs et de mobiliser davantage encore les services de prévention et de santé au travail pour sensibiliser les salariés. Nous proposerons aussi d'améliorer la prise en charge des salariés consommateurs de stupéfiants.

Il y a un lien entre drogue et santé mentale, sur deux aspects au moins : soit la drogue est une fausse solution face à un problème, soit elle est un facteur aggravant. La santé mentale au travail est un axe que nous devons renforcer, en nous appuyant sur la charte de l'Alliance pour la santé mentale, soutenue par le Gouvernement, et sur le déploiement des formations aux premiers secours en santé mentale.

La prévention suppose aussi une part de contrôle, qui doit être exercée avec fermeté.

Les employeurs peuvent déjà, si le règlement intérieur de leur entreprise le prévoit et pour des postes qui le justifient, organiser des dépistages inopinés. S'y soustraire, pour les salariés, est passible de sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement.

Dans le cadre du plan Santé au travail, nous souhaitons être encore plus clairs et inscrire dans le code du travail une interdiction générale et absolue de travailler sous l'emprise de substances psychotropes.

Mais prévenir, c'est aussi nous donner les moyens de protéger les publics vulnérables du risque de tomber dans la drogue. L'enjeu est particulièrement fort pour les jeunes qui connaissent des difficultés sociales comme économiques : ils sont une cible facile pour les narcotrafiquants.

Dans le projet de loi de finances, nous renforçons les moyens alloués aux établissements d'insertion professionnelle et sociale pour les jeunes en décrochage. En fin de parcours, après neuf mois de prise en charge, 70 % de ces jeunes trouvent un travail. Aucun autre dispositif n'est aussi efficace.

Pour le ministère du travail et des solidarités, les priorités sont claires : protéger les travailleurs des risques liés à la consommation de drogue, mieux accompagner les employeurs et les acteurs de la prévention et lutter contre les risques qui entraînent le décrochage social, notamment pour les jeunes.

La lutte contre le narcotrafic est notre affaire à tous. Le monde du travail et des solidarités se mobilisera pleinement au service de cette grande cause. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, l'école n'est malheureusement pas à l'abri du narcotrafic, en tout cas de celui qui a lieu dans son environnement, et de toutes les conséquences délétères qu'il emporte.

Il ne s'agit plus de faits isolés aux abords de quelques établissements : c'est bien une logique d'emprise progressive et structurée qui finit par resserrer ses liens autour des élèves et de leurs parents et par mettre l'école sous pression.

Je veux partager avec vous deux chiffres relatifs à l'évolution entre 2022 et 2025, tirés de « Faits établissement », c'est-à-dire l'application par laquelle les chefs d'établissement nous font remonter les faits graves ou anormaux. Premièrement, les signalements liés à la détention et à la consommation de stupéfiants ont augmenté de 16 % en trois ans. Deuxièmement, les signalements liés au trafic dans les établissements ou à leurs abords ont augmenté de 56 %.

Ces situations n'ont plus de caractéristiques géographiques ou sociologiques particulières, puisqu'elles touchent aussi bien les métropoles que les territoires ruraux et, dans les trois quarts des cas, se situent hors réseau d'éducation prioritaire, ce qui signifie qu'il n'y a pas de corrélation avec celui-ci.

Les conséquences sont connues : un climat scolaire dégradé, une réussite scolaire en chute libre, avec notamment un absentéisme beaucoup plus important des élèves, et in fine une école qui se retrouve devoir être le refuge et le bouclier des élèves et qui parfois se sent comme un sanctuaire assiégé.

C'est exactement ce que j'observais ce lundi matin, avec le ministre de l'intérieur, auprès des équipes du collège Champollion du quartier des Grésilles à Dijon.

Ce collège, comme vous le savez, a été partiellement incendié dans la nuit de vendredi à samedi dernier, dans un quartier marqué par le combat des services de police et de justice contre le narcotrafic. Ses équipes se sont immédiatement mobilisées et, dès lundi matin, elles étaient sur site, unies, debout. Je tiens solennellement à rendre hommage à ces femmes et à ces hommes, qui font tout simplement que l'école tient, au service des élèves et des familles : elle tient pour refuser la fatalité du narcotrafic et permettre à chacun de s'en sortir.

Ce refus est, bien sûr, adossé à une politique de prévention claire, à la fois aux abords de l'école – j'en ai parlé pour ce qui concerne la sécurité – et, surtout, dans son enceinte, puisque notre mission est évidemment de prévenir.

Prévenir, c'est d'abord accueillir nos élèves et les extraire de l'influence insidieuse des narcotrafiquants, en les accueillant en sécurité dans nos murs.

Prévenir, c'est aussi instruire. À cet égard, je veux reprendre l'expression d'une des professeurs de Champollion, que j'ai rencontrée lundi matin : « Nous faisons en sorte que les élèves soient sur des chaises de classe pour qu'ils ne finissent pas sur les chaises des guetteurs. »

Prévenir, c'est également lutter contre les conduites addictives, non seulement par les enseignements, mais aussi par une prise en charge par la santé scolaire, à travers notre réseau de 8 000 infirmières et 9 000 psychologues qui repèrent et orientent vers la médecine de ville. Vous savez que, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, nous allons renforcer ces professions à hauteur de 300 équivalents temps plein (ETP).

Tels sont les éléments que je souhaitais partager avec vous. Je me tiens évidemment à votre disposition pour la suite des débats. Je veux vous assurer de la constance avec laquelle l'école s'engage elle aussi pour que les enfants ne soient pas, un jour, la proie des narcotrafiquants. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Mathieu Darnaud et Mme Muriel Jourda applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la France est submergée par le narcotrafic et la criminalité organisée qui l'accompagne.

Tous les territoires de la République sont désormais concernés, comme le Premier ministre l'a rappelé. Les conséquences ravageuses de ce phénomène menacent à la fois la santé publique et la sécurité de nos compatriotes.

Avec la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, fruit de travaux parlementaires engagés au Sénat, la France s'est dotée, pour lutter contre ce fléau, d'un arsenal, constitué notamment d'un état-major interministériel, d'un parquet anti-criminalité organisée et d'autres outils.

Face à la mondialisation accélérée des trafics, la guerre contre les trafiquants appelle une action internationale sans relâche, traitant des causes du problème.

Éradiquer le mal à la racine, telle est la mission que le Premier ministre a confiée à mon ministère, qui entend s'engager pleinement dans cette bataille.

Cet engagement se traduit par la multiplication des accords de coopération sécuritaire avec les pays de production, de transit comme de rebond ; par le renforcement de nos effectifs dans les pays concernés – effectifs du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, mais également personnels en provenance du ministère de l'intérieur, des armées, de la justice ou encore des douanes que nous accueillons au sein de nos postes diplomatiques – ; par l'orientation de l'aide au développement pour financer des projets de culture de substitution, de renforcement de la sécurité des ports ou encore de lutte contre le blanchiment d'argent ; enfin, par un régime de sanctions internationales contre les criminels.

Nous avons lancé, il y a quelques semaines, à Bruxelles, la création d'un régime de sanctions dédié qui nous permettra d'interdire l'accès au territoire européen aux criminels réfugiés à l'étranger et impliqués dans des trafics de drogue et d'armes ou la traite d'êtres humains et de geler leurs actifs.

Comme je l'ai annoncé lorsque je me suis rendu, voilà quelques semaines, aux côtés du Président de la République, en Amérique latine et dans les Caraïbes, c'est sur cette région que porte le premier axe de nos efforts. De fait, c'est dans cette région qu'est produite l'ensemble de la cocaïne qui déferle dans les rues des villes et des villages de France, où elle est désormais consommée par plus d'un million de personnes.

La production, en pleine explosion, est localisée principalement en Colombie, au Pérou et en Bolivie. Elle transite vers l'Europe via l'Équateur, le Brésil, le Panama, le Venezuela, le plateau des Guyanes et les Caraïbes. Nos territoires ultramarins sont évidemment en première ligne.

Le deuxième axe de nos efforts porte sur l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Le garde des sceaux en a parlé il y a quelques instants.

C'est au Maghreb qu'est produit l'essentiel du cannabis importé en France. Par ailleurs, de nombreux narcotrafiquants y sont réfugiés. L'enjeu est d'obtenir des extraditions, des judiciarisations sur place ou des saisies d'actifs appartenant à ces criminels.

Le Maroc est aussi un pays de rebond pour la cocaïne, tandis que certains pays du Golfe constituent des points de grande vigilance pour le blanchiment d'argent issu du narcotrafic.

Le troisième axe de nos efforts concerne les pays des Balkans occidentaux, que nous voulons inciter à durcir leur réglementation en matière de lutte contre la criminalité organisée. La coalition créée sous les auspices de la Communauté politique européenne nous permettra de les amener à prendre des mesures touchant à l'ensemble des dimensions de la lutte contre la criminalité organisée.

Enfin, nous ferons du narcotrafic une priorité de la présidence française du G7, car un fléau de dimension mondiale nécessite une coordination et une réponse mondiales. Nous porterons des initiatives en matière de renseignement, de résilience des infrastructures, de lutte contre les trafics en mer et les flux financiers illicites.

Le Premier ministre l'a dit, la lutte contre le narcotrafic est un combat qui s'inscrit dans la durée. Il va nous falloir adapter les moyens de l'État pour faire face à un adversaire en train de muter. Ce combat nécessite des moyens indispensables, qui ont d'ailleurs été intégrés au projet de loi de finances pour 2026.

Soyez donc assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, de la pleine mobilisation du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, face à la menace grave que font peser le narcotrafic et la criminalité organisée sur notre pacte républicain, la réponse de l'État doit être totale, cohérente et déterminée, sans angle mort.

Mais, chacun le sait ici, le narcotrafic s'adapte vite ; l'État doit donc toujours avoir un temps d'avance. Depuis ma nomination, mon action a été structurée autour de trois priorités pour reprendre l'avantage.

La première priorité est l'argent, carburant de ces organisations criminelles. Couper l'argent, c'est couper le moteur du narcotrafic. C'est pourquoi nous renforçons la lutte contre le blanchiment et la saisie des avoirs criminels.

La coopération est resserrée et opérationnelle, notamment au sein de l'Emco, cité par Laurent Nunez.

La mobilisation des services sous mon autorité – Tracfin, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et l'Office national anti-fraude (Onaf) – est totale pour traquer l'argent sale partout où il se cache, en ciblant davantage les montages complexes, notamment les circuits internationaux.

Les résultats sont là : les déclarations de soupçon ont augmenté de plus de 90 % depuis 2020, et cette tendance devrait encore s'accentuer grâce à la loi de juin dernier, qui assujettit notamment à certaines obligations de nouvelles professions comme les loueurs et vendeurs de voitures de luxe et de yachts.

Nous devons cependant aller plus loin, en particulier dans le secteur non financier, pour que chaque euro blanchi devienne un risque et ne soit jamais une opportunité.

Les moyens de Tracfin ont également été renforcés dès 2025, ils continueront de l'être. Dès janvier prochain, la nouvelle procédure de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants, le Gaban, entrera en vigueur. Elle permettra que l'argent soit immobilisé avant même qu'il ne puisse disparaître ou s'évaporer.

La deuxième priorité est l'adaptation de nos méthodes et de nos moyens. Les trafiquants ayant industrialisé leurs pratiques, l'État doit moderniser les siennes, d'abord en renforçant massivement les capacités de contrôle, avec plus de scanners dans les ports – à Marseille, au Havre, à Dunkerque, à Fort-de-France –, plus de capacités dans les aéroports, un scanning de tous les flux postaux et routiers, en accordant une attention particulière aux outre-mer, qui, nous le savons, sont en première ligne des trafics.

Il faut aussi plus de présence en mer, ce qui implique le renforcement de la garde côtière douanière, en complément de la Marine nationale. C'est une nécessité opérationnelle au vu des saisies – cela a été mentionné à l'instant par Alice Rufo.

Cette modernisation a un coût : 5 millions d'euros pour un scanner fixe. Cependant, le coût de l'inaction serait bien plus élevé.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier devant vous les douaniers, qui ont déjà saisi 29 tonnes de cocaïne en 2025, pour un montant de 2 milliards d'euros qui ne se retrouvent pas dans les circuits de blanchiment.

Notre troisième priorité est de défendre la probité des agents publics. La corruption, nous le savons, est une attaque directe contre la République. Protéger nos agents et renforcer la prévention ne peut se faire sans un meilleur mécanisme de signalement et de sanctions, quand celles-ci s'avèrent nécessaires.

Mais, je veux le dire, protéger les agents, c'est aussi leur donner la capacité de sortir de l'engrenage, de pouvoir se signaler et de se sentir autorisés à le faire. Le plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2025-2029 doit donc être pleinement mis en œuvre dans toutes les administrations à risque.

Pour conclure, je veux dire que le narcotrafic est une priorité pour les Français. Les administrations de Bercy y prennent toute leur part, sans naïveté et sans relâche. Face aux narcotrafiquants, la République ne cède pas : elle se défend. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans les outre-mer, nous le savons bien, la lutte contre le narcotrafic ne commence pas dans les prétoires. Elle commence sur une piste d'aéroport à Cayenne, sur une vedette en mer des Caraïbes, sur une côte des Antilles, loin de l'Hexagone.

Ce que nos forces interceptent là-bas n'est pas principalement destiné à y rester. Les outre-mer sont un point de passage, un point d'impact, mais aussi un rempart.

Cette réalité, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'avez regardée en face. Le rapport d'information de Victorin Lurel et de Philippe Bas, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer présidée par Micheline Jacques, décrit sans détour la place centrale du narcotrafic et appelle à un véritable choc régalien. Vous y soulignez la nécessité de densifier les forces, de renforcer les coopérations policières et judiciaires avec nos partenaires régionaux et de faire de la diplomatie des outre-mer un levier stratégique contre des réseaux internationaux.

Les faits confirment pleinement vos analyses. Les outre-mer sont aujourd'hui traversés par les grandes routes mondiales de la drogue, dans la Caraïbe, mais aussi désormais dans le Pacifique, au large de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.

Ce qui est bloqué en Guyane, en Martinique ou en Guadeloupe n'arrivera pas à Marseille, à Lyon ou à Paris.

En 2025, 35,2 tonnes de cocaïne ont été saisies en haute mer dans la zone caraïbe, contre 28,3 tonnes l'an dernier. Il y a dix ans, on parlait de quelques tonnes seulement… Cette progression dit l'ampleur du phénomène, mais elle dit aussi l'intensité de l'action conduite par l'État, grâce à nos forces armées, à la douane, aux unités spécialisées et, bien sûr, en coordination étroite avec nos partenaires internationaux dans le respect du droit de la mer.

Mais il faut être lucide : les outre-mer ne sont pas seulement des zones d'interception. Ce sont aussi des territoires exposés, parfois durement frappés. La consommation d'Ice en Polynésie française, les phénomènes de trafic local et de rebond vers l'Hexagone et, surtout, la situation aux Antilles, où le taux d'homicide est cinq fois supérieur à la moyenne nationale, appellent une réponse ferme et durable.

C'est tout le sens des moyens engagés : radars de surveillance maritime en Martinique et en Guadeloupe, drones de longue autonomie, aéronefs de la douane dotés de capacités de détection renforcées, contrôles systématiques à l'aérien en Guyane, dont l'efficacité n'est plus à démontrer.

Je pense aussi à l'effort porté sur les ports et les aéroports, avec le déploiement de scanners en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion.

Cependant, frapper les flux ne suffira pas : il faut démanteler les réseaux, assécher les financements et empêcher l'enracinement d'organisations criminelles. Le renforcement de la Jirs de Fort-de-France et l'action de l'Ofast et de la police judiciaire s'inscrivent dans cette logique.

La répression seule ne suffira pas. La prévention, l'insertion et les alternatives à l'argent de la drogue sont indispensables si nous voulons obtenir des résultats durables.

Les outre-mer, vous l'avez compris, sont aux avant-postes. Ils encaissent les chocs en premier et protègent l'ensemble du territoire national. Le budget qui est soumis au Parlement répond à cette exigence. C'est une question de sécurité nationale et de responsabilité républicaine. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. Étienne Blanc. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, personne ne vous croirait si vous disiez, ce soir, au Sénat, que la concordance des dates entre le débat qui nous réunit et le déplacement du Président de la République hier à Marseille relève du cas fortuit ou du pur hasard. (Sourires.)

Personne ne vous croirait non plus si vous prétendiez que cet échange ne relève pas d'une vaste opération de communication voulue par un exécutif aujourd'hui dépassé par la vague du narcotrafic, une vague qui submerge désormais la France, celle de la métropole comme de l'outre-mer, des zones urbaines comme des territoires ruraux.

M. Étienne Blanc. Pour démontrer que l'État, dans cette dernière décennie, n'a pas été à la hauteur, on peut rappeler que c'est bien ici, au Sénat, que fut décidée, en application de l'article 51-2 de notre Constitution, sur l'initiative du groupe Les Républicains, alors présidé par Bruno Retailleau, la création d'une commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.

Vous voyez, monsieur le Premier ministre, que c'est bien le Parlement, et non le Gouvernement comme celui-ci le dit hélas trop souvent, qui aura éveillé les consciences sur ce sujet crucial !

Les Républicains considéraient qu'il était temps d'ouvrir les yeux sur une activité criminelle considérable. J'ai eu l'honneur, en ma qualité de rapporteur, de remettre, avec mon excellent collègue Jérôme Durain, le rapport de cette commission d'enquête au président Larcher le 7 mai 2024.

Qu'avions-nous écrit à l'époque ? Le constat pourrait se résumer en trois chiffres saillants.

Le premier est le chiffre d'affaires du commerce des drogues. En 2023, on l'estimait à environ 6 milliards d'euros ; on l'évalue, en cette fin 2025, proche de 8 milliards d'euros. Monsieur le garde des sceaux, cette somme représente 80 % de votre budget !

Le deuxième chiffre est le nombre de délinquants qui vivent de cette activité, totalement ou partiellement. Ce chiffre avoisine désormais 250 000. Mettons-le en rapport avec le nombre de policiers et de gendarmes qui assurent la sécurité des Français : ils sont environ 255 000. Il y a donc autant d'agents qui leur courent après qu'il y a de narcotrafiquants !

Le troisième chiffre, enfin, est sans doute le plus effrayant : en 2023, la France a déploré 451 victimes d'homicides ou de tentatives d'homicide liés au narcotrafic.

Les 600 pages de notre rapport ont eu le mérite d'expliquer dans le détail comment fonctionne cette entreprise criminelle, mais nous avons aussi dénoncé et même stigmatisé les lacunes des moyens matériels et juridiques dont dispose l'État pour tenter d'y remédier.

Le président du Sénat nous a demandé, à Jérôme Durain et moi-même, de préparer un texte pour donner une suite à ce rapport, auquel il avait trouvé du sens. Ce texte, vous l'avez rappelé – c'est une exception, mais c'est aussi un signe –, fut adopté à l'unanimité par le Sénat et promulgué au mois de juin après le passage à l'Assemblée nationale.

Posons-nous la question : pourquoi aura-t-il fallu attendre une initiative parlementaire – en l'occurrence, sénatoriale – pour que le narcotrafic soit enfin considéré comme un péril pour la nation ?

Durant les dix dernières années, les gouvernements successifs furent d'une passivité désolante, passivité que vous voudriez effacer aujourd'hui – nous le comprenons bien, monsieur le Premier ministre – en venant ce soir devant le Sénat accompagné par pas moins de neuf membres du Gouvernement – excusez du peu –, comme si le nombre voulait démontrer la force d'une volonté politique, dont, à titre personnel, je me permets toutefois de douter !

Mais ne boudons pas notre plaisir : nous sommes heureux d'accueillir ce conseil des ministres délocalisé au Palais du Luxembourg… (Sourires.)

Je voudrais que nous profitions de cette vaste opération de communication gouvernementale pour sortir de cette insupportable pratique politique, devenue une habitude, qui fait de tout sujet sur lequel le Gouvernement communique un sujet considéré comme réglé.

Si de notre débat de ce soir pouvaient émerger des propositions concrètes, une amplification des mesures, des dispositions réalistes et crédibles, alors il aura été utile. Sinon, il ne restera que du vent…

Pour ma part, je voudrais suggérer ou aborder quelques mesures.

Monsieur le ministre de l'intérieur, vous qui êtes en charge de l'organisation des prochaines élections municipales, quel dispositif concret allez-vous préparer pour que soient écartées les candidatures de proches des réseaux de narcotrafiquants ?

Ceux-ci ont bien compris que ce sont les maires qui décident de l'installation des caméras, qui attribuent les logements sociaux dans les quartiers sensibles, qui ont autorité sur la police municipale et qui financent les associations dans les quartiers. Les narcotrafiquants l'ont compris et veulent s'insérer dans le processus électoral. Donner à des narcotrafiquants le moindre pouvoir dans ces domaines serait terriblement dangereux !

Pouvez-vous nous dire précisément comment vous allez écarter ce risque, alors que – je suis désolé de le rappeler – vos fichiers ont été pillés par des réseaux dont les narcotrafiquants sont sans doute proches ?

Madame la ministre de la santé, l'administration pléthorique de l'avenue Duquesne fut capable de réaliser de vastes campagnes de lutte contre le tabac qui détruit les poumons et contre l'alcool qui détruit le foie, mais pourquoi n'a-t-elle rien fait ou si peu contre les drogues qui détruisent les cerveaux ?

Quand, comment et avec quels moyens lancerez-vous vos administrations dans une puissante campagne de communication et de sensibilisation sur ce sujet épineux ?

Monsieur le ministre de l'éducation nationale, j'ai tenu, à Clermont-Ferrand, devant les maires du département du Puy-de-Dôme, une réunion sur le narcotrafic. L'adjoint à la sécurité du maire de la ville est intervenu pour nous révéler que, à l'occasion d'un déplacement dans une école primaire – je dis bien une école primaire ! –, la directrice de cette école lui a appris que des enfants, dans la cour de récréation, confectionnaient des petites enveloppes de papier dans lesquelles ils inséraient des feuilles de platane séchées pour « jouer » au deal de cannabis…

Qu'allez-vous faire concrètement – et quand – pour remplir votre responsabilité essentielle d'éducateur de la jeunesse de notre pays, sachant qu'un grand nombre de nos lycéens nous ont dit, à la fin de nos travaux, que jamais, dans leur cursus scolaire, on ne leur avait parlé de la drogue !

Madame la ministre des outre-mer, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Saint-Martin sont devenues des zones de rebond. Les narcotrafiquants, désormais, y stockent des quantités considérables de cocaïne. Ils les protègent par la violence des armes avant qu'elles soient acheminées vers le golfe de Guinée ou les ports européens.

Les forces navales, dont nous avons auditionné les représentants, ont besoin de frégates, de vedettes, d'hélicoptères, de marins et de pilotes pour surveiller la vaste zone des Caraïbes, qui est infestée par la drogue, ainsi que l'océan Atlantique. Que ferez-vous concrètement pour répondre aux cris de détresse de ces élus d'outre-mer ?

Je les ai rencontrés à l'occasion de la dernière assemblée générale des maires de France. Ils n'avaient qu'un mot à la bouche : « Ne nous abandonnez pas » !

Monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, les entreprises criminelles contre lesquelles vous devez vous battre sont devenues de puissantes multinationales. Leur siège et leurs collaborateurs sont dispersés sur l'ensemble de la planète, tout comme leurs avoirs criminels.

Que ferez-vous, seul ou avec l'Europe, aux côtés de nos alliés américains ou d'autres pays encore, pour faire céder les pays refuges que nous connaissons – Émirats arabes unis, Maroc, Algérie et tant d'autres ?

Oui, ces pays doivent céder sur les extraditions, sur la confiscation des avoirs criminels et sur l'échange de renseignements. Dans un contexte – hélas ! – de perte d'influence de la France dans le monde, nous attendons avec impatience vos réponses.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez accompagné sans ambiguïté les travaux législatifs du Sénat, en qualité de ministre de l'intérieur, puis dans le cadre de vos fonctions actuelles.

Comment pouvez-vous expliquer devant la Haute Assemblée que les décrets d'application sur le nouveau statut des repentis, sur les infiltrés, sur les indicateurs ou encore sur l'anonymisation des procédures ne soient pas encore signés ?