PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée
Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée.
La parole est à M. le Premier ministre. (Mme Solanges Nadille applaudit.)
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de me présenter devant vous accompagné de neuf membres du Gouvernement mobilisés pour lutter contre le narcotrafic et la criminalité organisée.
Ce fléau constitue un véritable défi de société. Il concerne l'ensemble des services de l'État et, plus largement, il touche tous les Français : États, collectivités, entreprises et citoyens, nous sommes tous concernés et nous devons tous mener ce combat collectif.
Ce débat devant la représentation nationale doit nous permettre d'interroger les actions qui ont été menées, ce qui a été réussi et ce qu'il reste encore à faire.
Nous le devons à nos concitoyens victimes du narcotrafic ainsi qu'à leurs familles qui vivent dans la peur. L'assassinat de Mehdi Kessaci, il y a quelques semaines, nous l'a rappelé brutalement et durement.
Ce débat est aussi l'occasion d'envoyer un message aux réseaux criminels qui organisent le narcotrafic : on ne les lâchera pas, on les traquera.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le phénomène du narcotrafic n'est pas nouveau, mais il a considérablement muté. La consommation explose : 3,7 millions de Français ont déjà consommé de la cocaïne. Son marché a dépassé en valeur celui du cannabis, avec pourtant 900 000 consommateurs quotidiens, sans oublier la forte hausse des drogues de synthèse, de plus en plus consommées par nos jeunes.
Le trafic de drogue est estimé à 6,8 milliards d'euros en 2025, soit trois fois plus qu'en 2010, et touche désormais l'ensemble du territoire, des plus petites communes rurales jusqu'aux territoires ultramarins, en passant par les centres urbains. Il menace la tranquillité publique et met en péril notre santé publique, en particulier celle des jeunes, exposés à une consommation toujours plus importante et à un âge toujours plus précoce.
Le narcotrafic est de plus en plus connecté à des filières et à des réseaux criminels internationaux, obligeant nos services à s'adapter en permanence à ces nouvelles routes de la drogue. Au sein de ces réseaux, il mobilise des trafiquants de plus en plus jeunes auxquels on demande de mener des actions de plus en plus violentes.
La lutte contre le narcotrafic est une guerre de mouvement. Les réseaux contre lesquels nous luttons évoluent et adaptent leurs modes d'action en permanence. Nous devons, nous aussi, nous adapter pour les combattre.
Ma conviction est qu'il faut une rupture. Cette rupture ne peut prendre que deux formes : soit la dépénalisation, soit la mobilisation générale. Le Gouvernement opte, évidemment, pour la seconde solution et vous propose la mobilisation générale.
Combattre différemment, c'est ne plus tolérer la drogue dans la société. Pour cela, il faut envoyer un message très fort, un message politique. Le vote qui suivra ce débat en constitue l'occasion.
Ne plus tolérer la drogue, c'est d'abord le dire. Tel est le sens de la politique de prévention portée par le Gouvernement : dire à nos concitoyens, dès le plus jeune âge, que la drogue n'est pas tolérable, car elle est dangereuse. Il faut une prise de conscience, car s'il y a moins de demandes, il y aura moins d'offres. Il est toujours utile de rappeler cette évidence : il y a des trafiquants, car il y a des consommateurs ; il y a une offre, car il y a une demande.
En matière de répression, nous devons combattre le narcotrafic avec le même niveau d'engagement et de détermination que celui avec lequel nous luttons contre le terrorisme, quitte à nous inspirer de son cadre juridique – nous y reviendrons.
Cette mobilisation est un combat avant tout politique, mais il doit aussi être culturel, sanitaire, éducatif, diplomatique et, en fin de chaîne, répressif. Il doit concerner l'ensemble des services de l'État, mais plus largement toute la société.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce combat, vous avez déjà agi avec l'adoption de la loi du 13 juin dernier. Cette loi est inédite dans notre histoire par les moyens nouveaux qu'elle octroie. Si beaucoup de mesures sont d'application immédiate, je vous confirme qu'une vingtaine de textes réglementaires seront pris dès les prochaines semaines pour que cette loi s'applique en totalité et conformément au calendrier qui avait été fixé.
Toutefois, les réseaux criminels du narcotrafic ne cessent de se transformer. C'est une guerre de mouvement, vous disais-je. C'est pourquoi le Gouvernement présentera au premier semestre 2026 des mesures législatives pour adapter encore notre arsenal à cette menace, avec notamment l'alignement des réductions de peine et du régime de la libération conditionnelle des narcotrafiquants sur celui des terroristes. Le garde des sceaux, ministre de la justice, abordera ce point.
Ce combat politique a aussi son volet budgétaire. Il faut y mettre des moyens. Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit le renfort de 700 enquêteurs supplémentaires dans la police judiciaire. Par ailleurs, plus de 850 agents seront recrutés dans l'administration pénitentiaire, lorsque le budget sera adopté.
Ce combat politique est enfin à mener pour responsabiliser les consommateurs. Comme le chef de l'État l'a annoncé hier, le Gouvernement prévoit de durcir les sanctions à l'encontre de ceux qui consomment. Le ministre de l'intérieur détaillera cette proposition.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre le narcotrafic est un combat sociétal. Le combat ne peut pas être uniquement régalien : il exige également de la part du Gouvernement des réponses sociales et éducatives devant obéir à une logique de prévention efficace.
Cet enjeu est central, en particulier pour protéger les plus jeunes. Le combat contre le narcotrafic doit être mené autour des établissements scolaires, en lien avec les collectivités locales, les élus locaux et les polices municipales. Actuellement, la moyenne d'âge des trafiquants mis en cause est de 21 ans ! Il faut casser cette spirale qui aspire trop de nos jeunes dans la toxicomanie et la délinquance. L'éducation nationale sera donc particulièrement mobilisée sur ce sujet. Le ministre vous exposera les dispositifs prévus.
Le combat doit être aussi sanitaire. La ministre de la santé reviendra sur l'ensemble des dispositifs envisagés dès l'année prochaine, en particulier pour la santé mentale des personnes qui consomment des drogues. La santé des jeunes générations est trop importante pour l'avenir de la nation et appelle dès aujourd'hui une action résolue.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le combat contre le narcotrafic est aussi un combat économique. Il doit être mené dans le monde du travail, où le coût social des drogues est estimé à 7,7 milliards d'euros. Il est source d'arrêts et d'accidents du travail, ainsi que de pertes de productivité pour les entreprises. Le ministre du travail et des solidarités défendra, lui aussi, des mesures législatives qu'il déclinera dans le futur texte.
Le combat que mènera le Gouvernement est également un combat financier. La lutte contre le blanchiment doit être une priorité. Nous proposerons la création d'une procédure administrative de saisie des biens somptuaires sur le modèle de la lutte antiterroriste. La ministre de l'action et des comptes publics est mobilisée sur ce volet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, lutter contre le narcotrafic est un combat diplomatique. Face à des réseaux internationaux, agir seul serait absolument inefficace. Nous devons a minima agir entre pays européens pour avoir des résultats, en harmonisant nos règles à vingt-sept pour réprimer de façon efficace et uniforme les trafics, mais aussi en coordonnant mieux nos services d'enquête, en protégeant mieux nos frontières, en particulier nos ports et nos aéroports. C'est la mission que porte le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Mieux protéger nos frontières, c'est aussi être capable d'intercepter les bateaux qui transitent dans nos eaux territoriales sur les routes de la drogue. La marine nationale a déjà saisi 83 tonnes de drogue en 2025, en particulier dans nos outre-mer – c'est un record. Ses moyens seront aussi renforcés pour poursuivre ce combat. La ministre déléguée auprès de la ministre des armées et la ministre des outre-mer y reviendront.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le combat doit engager l'ensemble de la société française. C'est pourquoi j'appelle le Parlement à envoyer un message très clair de mobilisation à travers son vote.
Puisque le narcotrafic et la criminalité organisée touchent l'ensemble de la société, la réponse doit venir de l'ensemble des acteurs, publics comme privés. Les collectivités, les entreprises et les associations ont un rôle à jouer.
Mais il y a aussi le rôle des parents. L'éducation nationale ne peut pas tout. Nous comptons aussi sur leur responsabilité pour protéger leurs enfants.
Enfin, les consommateurs doivent être responsabilisés et aidés pour renoncer à la drogue. L'État les accompagnera et les soutiendra.
Ce qui serait dramatique pour l'avenir de la nation, c'est de ne rien faire. Que le débat ait lieu, qu'il soit suivi d'un vote et que ce vote soit lui-même suivi d'actions ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a moins d'un an, comme le rappelait à l'instant M. le Premier ministre, vous adoptiez à une très grande majorité sur les travées de cet hémicycle la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Les propositions de loi transpartisanes se font assez rares dans le champ régalien pour que cette adoption mérite d'être soulignée !
Dans le cadre d'une discussion très respectueuse et constructive, la représentation nationale avait clairement signifié que la lutte contre le narcotrafic ne relevait plus d'un clivage entre la gauche et la droite, mais était une question de vie ou de mort.
Le diagnostic est posé avec une grande transparence et beaucoup d'objectivité. Nul ne peut contester ni ignorer dans cette assemblée que, pour la seule année dernière, nous avons connu 367 homicides ou tentatives d'homicide entre délinquants, le plus souvent sur fond de trafic de stupéfiants : 110 personnes ont été tuées et 341 ont été blessées.
Dans le même temps, nous observons une explosion des saisies de cocaïne – cela vient d'être rappelé – et de drogues de synthèse. Le nombre de points de deal a baissé de manière significative dans notre pays : il convient de nous en réjouir et de féliciter les forces de sécurité intérieure.
Le nombre de personnes mises en cause a ainsi augmenté de 7 % en 2024 par rapport à 2023, tendance qui se poursuit en 2025 à un rythme extrêmement soutenu. Sur les 500 000 amendes forfaitaires délictuelles verbalisées, 40 % concernent l'usage de stupéfiants.
Ce constat nous oblige. Il traduit la mobilisation constante des forces de sécurité intérieure sur la voie publique, en matière de renseignement, ainsi qu'en police judiciaire et administrative, pour démanteler les trafics.
Face au narcotrafic, l'État se mobilise résolument depuis désormais une décennie.
Certaines de mes responsabilités passées m'amènent à rappeler qu'en 2015, sous le quinquennat de François Hollande, le gouvernement alors en fonction avait expérimenté à Marseille une méthode particulièrement innovante d'échanges accélérés de renseignements pour lutter contre les trafics. C'est dans ce cadre qu'ont été créées les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), aujourd'hui généralisées à l'ensemble du territoire national. Cette dynamique a pris naissance, dès 2015, à Marseille.
En 2018, a été créé l'Office anti-stupéfiants (Ofast), dans une logique qui a toujours été celle du Président de la République depuis 2017 : décloisonner les services afin qu'ils travaillent mieux ensemble et obtiennent des résultats. À cette époque, l'Ofast avait donc été désigné comme chef de file de la lutte contre les stupéfiants.
Se sont ensuite succédé les stratégies de pilonnage des points de deal, visant à démanteler les réseaux là où le trafic minait le plus le quotidien de nos concitoyens. Puis ont été conduites les opérations « place nette », engagées par Gérald Darmanin, et les opérations « ville à sécurité renforcée », instaurées par Bruno Retailleau.
L'ensemble de ces dispositifs sont encore mis en œuvre et le Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre, s'attache à les faire vivre, sans inventer de stratégie nouvelle ni donner un nouveau coup de menton. Il s'agit simplement pour nous d'avancer et d'obtenir des résultats. Il n'y a aucune rupture dans l'action de ce gouvernement, mais il existe, au contraire, une volonté d'intensifier notre action.
À cet égard, le Premier ministre et le Président de la République l'ont annoncé : une action résolue sera engagée à l'encontre des consommateurs. La consommation de drogue alimente le trafic : cette évidence impose une réponse extrêmement sévère et répressive à l'égard des consommateurs.
L'amende forfaitaire délictuelle a démontré son efficacité, avec un taux de recouvrement proche de 56 %. Le Gouvernement proposera de la porter de 200 à 500 euros et d'en améliorer le recouvrement, notamment par le recours aux moyens de la direction générale des finances publiques. Nous pourrons également utiliser les dispositifs actuellement ouverts aux agents de contrôle des transports, qui peuvent bénéficier de droits de communication auprès des impôts ou des services sociaux pour obtenir des adresses postales qui nous permettront d'améliorer le taux de recouvrement.
L'augmentation de l'amende forfaitaire délictuelle en matière d'action sur les consommateurs n'épuise pas les projets du Gouvernement. Nous menons notamment une réflexion sur les permis de conduire et sur les actions qui pourraient être menées en la matière, en termes de police administrative, à l'encontre de ceux qui consomment en permanence des stupéfiants.
Le dernier volet du dispositif est celui qui a été adopté en juin 2025. La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic est pleinement opérationnelle. Ainsi, l'état-major interministériel de lutte contre la criminalité organisée (Emco), installé à la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) et inauguré en mai dernier par le Président de la République, réunit quatorze services qui échangent ainsi en continu des informations relatives aux trafics de stupéfiants.
Par ailleurs, les outils que vous avez souhaité donner aux préfets en matière de police administrative fonctionnent également à plein régime, qu'il s'agisse des interdictions de paraître ou des injonctions adressées aux bailleurs afin d'engager des procédures d'expulsion de délinquants. À ce jour, plus de 1 500 interdictions de paraître ont été prononcées sur l'ensemble du territoire national, 166 injonctions ont été adressées aux bailleurs et 63 saisines du juge judiciaire ont été engagées en vue d'expulsions. L'interdiction de paraître constitue un instrument particulièrement efficace pour éloigner les trafiquants des quartiers gangrenés par les trafics.
J'y insiste, cette lutte contre le narcotrafic passe également par des moyens. Le projet de loi de finances pour 2026 – j'ai eu l'occasion de le souligner, lorsque le budget de mon ministère a été examiné – prévoit une augmentation importante des crédits alloués à la filière judiciaire, avec la création de 700 emplois, dont 300 spécifiquement fléchés vers la lutte contre la criminalité organisée. Ces effectifs, très attendus, constituent une avancée significative pour lutter contre le narcotrafic.
Voilà ce que je voulais vous dire en propos préliminaire. Je serai prêt, évidemment, à répondre tout à l'heure à l'ensemble de vos questions. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à dire, après M. le Premier ministre et M. le ministre de l'intérieur, le plaisir qui est le mien d'évoquer la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, texte issu du Sénat.
Je remercie tout particulièrement Étienne Blanc, qui en fut l'un des principaux instigateurs, à la suite de la mission qu'il a conduite avec Jérôme Durain, que je salue également. J'ai une pensée pour François-Noël Buffet, qui nous a accompagnés dans l'élaboration de ce texte, largement amendé à la fois grâce au travail des parlementaires et à celui du Gouvernement.
Le premier point que je souhaite aborder concerne le régime carcéral instauré par la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
En quatre mois, un nouveau régime pénitentiaire a été mis en place, validé par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel. Les soixante-six recours engagés contre l'État ont échoué.
Ce régime a permis l'ouverture de deux prisons de haute sécurité, à Vendin-le-Vieil et à Condé-sur-Sarthe, afin d'y placer, dans des conditions respectueuses des droits de l'homme et de l'État de droit, mais proportionnées à leur dangerosité – comme en atteste notamment la terrible affaire Amra –, des personnes impliquées dans la criminalité organisée. Ces personnes se trouvent désormais coupées non seulement des flux financiers considérables dont elles disposaient, mais également de leurs réseaux corruptifs et structures criminelles.
À cet égard, je souhaite souligner – et je sais pouvoir compter sur l'unanimité du Sénat – le courage des agents publics, singulièrement de ceux du ministère de la justice, qui subissent des menaces. Quinze magistrats se trouvent actuellement sous menace de mort ; plusieurs bénéficient d'une protection. Jusqu'à une période récente, de telles mesures concernaient exclusivement les magistrats antiterroristes. Elles s'appliquent désormais à des magistrats de Marseille, procureurs de la République ou juges d'instruction, mais également au procureur général de Douai, que je tiens à saluer ici, dont la tête a été mise à prix, il y a quinze jours, sur les réseaux sociaux, pour 200 000 euros, et qui vit aujourd'hui sous protection policière.
Tel est aussi le cas d'agents pénitentiaires. Je pense, à cet instant précis, à ceux qui ont été assassinés à Incarville, à leurs familles, à ceux qui ont été blessés, ainsi qu'à plusieurs agents pénitentiaires exposés à des risques majeurs. Je pense également au directeur de détention adjoint de la prison des Baumettes, qui vit encore sous protection policière, ainsi qu'aux greffiers, eux aussi confrontés à des menaces ou à des tentatives de corruption.
Ce régime carcéral, inspiré de l'article 41 bis de la loi pénitentiaire italienne, fonctionne désormais efficacement. Il nous permet de couper les liens criminels et d'écarter durablement les individus les plus dangereux, qui, depuis leurs cellules, continuaient à commander des assassinats, à diriger leurs trafics et à organiser le blanchiment d'argent.
Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne la création du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Votre proposition de loi prévoyait initialement un parquet anti-stupéfiants. Je remercie les rapporteurs d'avoir accepté son élargissement à l'ensemble de la criminalité organisée.
En quatre mois, les décrets d'application ont été publiés. Une circulaire instituera des juges de l'application des peines spécialisés en matière de criminalité organisée et une circulaire pénale précisera les missions confiées à ce Pnaco. Le procureur national, une femme, a été désigné : Mme Vanessa Perrée, actuelle cheffe de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), prendra ses fonctions le 5 janvier prochain au tribunal de Paris, conformément à la volonté du législateur.
Ce parquet comptera, à son lancement, une trentaine de magistrats et permettra également de renforcer les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et les pôles infra-Jirs. Une centaine de magistrats supplémentaires par rapport aux annonces de mon prédécesseur, Éric Dupond-Moretti, sera affectée à la lutte contre la criminalité organisée, non seulement au sein du Pnaco, mais aussi au niveau des Jirs et des infra-Jirs.
Le troisième point que je veux souligner concerne l'importance de la dimension internationale. La criminalité organisée, comme l'a rappelé M. le Premier ministre, repose sur des ramifications internationales majeures, qu'il s'agisse du blanchiment des capitaux, de l'approvisionnement en drogue, des moyens de communication ou des laboratoires, qui relèvent désormais d'une véritable démarche criminelle en recherche et développement (R&D).
Des progrès restent nécessaires, mais les dernières avancées avec les Émirats arabes unis sont significatives. Depuis le 1er janvier, quatorze extraditions ont été obtenues, alors qu'elles étaient bloquées depuis plus de quatre ans et que nous n'avions obtenu aucune extradition.
Par ailleurs, les premières saisies et confiscations ont été réalisées par les autorités émiriennes il y a 48 heures : plus d'une trentaine d'appartements ont été saisis et confisqués à Dubaï dans un dossier marseillais impliquant un narcotrafiquant qui gérait, depuis sa prison, le blanchiment de son argent. C'est la première fois que les Émirats arabes unis collaborent avec nous à ce niveau. Quand on sait le rôle qu'a pu jouer Dubaï comme « paradis » pour les narcotrafiquants, c'est un très bon signe.
Cette coopération doit désormais s'étendre, conformément à la demande du Premier ministre et du Président de la République, au Maroc, à l'Algérie, à la Tunisie, ainsi qu'à certains pays d'Asie du Sud-Est, notamment la Thaïlande.
Je me tiens, avec M. le ministre de l'intérieur et l'ensemble des ministres présents, à la disposition des parlementaires pour répondre à leurs questions. Je remercie une nouvelle fois le Sénat de son soutien constant et unanime à la proposition de loi portée par MM. Durain et Blanc dans la lutte contre le narcotrafic. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Étienne Blanc. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les drogues sont un lent et invasif poison pour la santé des Français.
Parler de narcotrafic sans parler de prévention n'aurait pas de sens. Il ne peut en effet y avoir de légèreté quand 450 000 adultes ont consommé de la cocaïne dans l'année, quand 750 000 adultes ont consommé de l'ecstasy (MDMA) dans l'année, quand 5 millions d'adultes ont consommé du cannabis dans l'année !
En 2023, 14,6 % des adultes de 18 à 64 ans ont déjà consommé au moins une fois une drogue illicite autre que le cannabis, soit une hausse de 50 % par rapport à 2017.
Cette banalisation de la consommation a des conséquences concrètes pour notre système de santé. Les passages aux urgences ont explosé : ceux liés à la cocaïne ont été multipliés par trois depuis 2012.
La drogue a aussi des conséquences sur nos familles. Elle les enferme dans un engrenage fait de sentiments d'impuissance, de déni, de culpabilité silencieuse qui ronge peu à peu les liens. Ces réalités, sur le coût humain et sanitaire, doivent s'imprimer dans nos représentations.
C'est pourquoi le Gouvernement souhaite agir en mettant la prévention et l'accès aux soins au cœur de la bataille. J'insisterai sur quatre piliers.
Le premier pilier consiste à faire prendre conscience des risques. Chaque Français doit les connaître : le risque de perdre rapidement le contrôle ; les risques encourus par nos jeunes ; les risques pour la santé mentale, la consommation de cannabis, par exemple, multipliant par deux la survenue de psychoses ; les risques cardiovasculaires, les risques pour les fonctions cognitives.
Ces risques peuvent se manifester dès la première prise. Afin que chaque Français dispose de cette information, une grande campagne nationale de prévention sera déployée au premier trimestre 2026. Elle combinera marketing social et actions de terrain.
Le deuxième pilier est l'amélioration de l'offre. Consultations jeunes consommateurs (CJC), travail alternatif payé à la journée (Tapaj), centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa), centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), médecine de ville, hôpital : l'offre existe, mais manque de lisibilité et d'efficacité.
Une évaluation des parcours de prise en charge et de l'articulation ville-hôpital est en cours pour que nous puissions avancer. L'objectif est double : efficacité et lisibilité.
Le troisième pilier est la meilleure intégration des stupéfiants dans la prévention, surtout auprès des enfants et des adolescents. Je vous annonce que nous souhaitons généraliser le dispositif Unplugged. L'enjeu est d'armer les enfants et les adolescents pour dire non, pour gérer leurs émotions et pour mieux se connaître. Testé en France et en Europe, ce programme a démontré son efficacité pour réduire le risque de consommer des substances addictives.
Je veux ensuite transformer chaque contact avec un professionnel de santé en une opportunité d'avoir un impact direct sur le sujet. D'abord, en généralisant la question de l'usage des stupéfiants dans Mon Bilan Prévention. Ensuite, en adoptant la démarche Making Every Contact Count (Mecc) dans 100 établissements de santé prioritaires. Il s'agit concrètement d'utiliser chaque interaction pour interroger les patients sur leurs habitudes et opérer des changements vers des modes de vie favorables à la santé.
Je souhaite, en parallèle, que nous ouvrions la réflexion sur le développement de métiers de santé publique entièrement dédiés à la prévention et à l'« aller-vers ».
Le quatrième pilier est le renforcement de nos dispositifs de veille et d'alerte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre les drogues touche au cœur de nos enjeux économiques, sécuritaires, démocratiques et, bien sûr, sanitaires.
Elle s'inscrit pleinement dans les priorités que je porte pour 2026 : protéger la santé de nos enfants, renforcer la santé mentale et garantir un meilleur accès aux soins. Vous pouvez compter sur mon engagement. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en complément de ce qui a déjà été dit, je voudrais ajouter que les décisions que vous avez prises au travers de la loi de programmation militaire commencent à produire des résultats.
Cette loi, sous l'autorité du Premier ministre, a porté une attention particulière à l'outre-mer, et nous en voyons les effets en matière de capacité de nos armées, singulièrement de notre marine, à lutter contre les différentes formes de trafic, notamment le narcotrafic.
Les résultats commencent à se manifester. Au mois d'août dernier, le troisième des six patrouilleurs outre-mer de nouvelle génération a été livré à La Réunion. Il porte, madame la ministre des outre-mer, le nom d'un Compagnon de la Libération né à Saint-Louis de La Réunion, ce qui n'est pas anodin. Il dispose d'une capacité de surveillance et d'un rayon d'action accrus, ce qui est évidemment essentiel.
Je confirme que tous les patrouilleurs seront livrés d'ici à 2027 et que nous renouvelons également nos moyens aériens. Un premier Falcon 50 a été livré à Tahiti en avril et a effectué sa première patrouille la semaine dernière dans la zone économique exclusive de Wallis-et-Futuna. S'y ajoutent les avions de surveillance et d'intervention maritime, avec une tranche optionnelle de cinq Albatros qui a été notifiée en septembre 2025, ce qui permettra à terme de disposer de douze avions au total, dont huit seront livrés d'ici à 2030.
Ces premiers résultats doivent être poursuivis dans le cadre de la programmation militaire, car cette stratégie fonctionne. La preuve en est que, depuis le début de l'année 2025, comme le Premier ministre l'a rappelé, plus de 83 tonnes ont été saisies, soit deux fois plus que l'année précédente.
Cela est évidemment lié à l'augmentation de la consommation et des flux de cocaïne vers l'Europe, mais aussi à la structuration de notre renseignement et à l'expertise de notre marine nationale – vous la connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs –, dont je salue le caractère dual dans l'action et l'amélioration permanente de son expérience en la matière.
Ayant rencontré récemment les forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi), j'ai pu constater l'importance de leur action dans cette région.
Enfin, ces résultats sont aussi évidemment liés aux évolutions législatives, dont celle qui nous a permis, grâce à vous, de ne plus avoir à rapporter l'intégralité d'une cargaison de drogue saisie pour instruire la procédure judiciaire – un échantillon suffit désormais –, ce qui a renforcé les capacités opérationnelles de nos armées.
Cette évolution nous permet de continuer d'affaiblir les filières, d'augmenter le préjudice causé aux organisations criminelles et d'affirmer la souveraineté de la France sur ses espaces maritimes.
J'ajoute, pour ce qui concerne nos armées, que, en matière de coopération internationale, dans le cadre de ce qui a été fait dans le Pacifique Sud avec le South Pacific Defence Ministers' Meeting (SPDMM), de ce que nous devons développer davantage sur le plateau des Guyanes et de ce que nous faisons dans le sud de l'océan Indien, la France a une expertise particulière liée à la spécificité de sa puissance maritime et de l'action de l'État en mer.
Je pense que nous avons largement les moyens, fondés sur cette expérience, de développer un véritable leadership en matière de coopération sous-régionale et internationale. (MM. Ludovic Haye et Marc Laménie applaudissent.)

