Modernisation des institutions de la Ve République

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, modifié par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.

Au nom de tous, je tiens à remercier M. Fillon d'être venu lui-même présenter ce texte extrêmement important. (Applaudissements à droite et sur divers bancs du centre) Nous allons veiller à ce que ce débat se déroule dans une grande dignité, comme il est de règle dans cette enceinte.

Discussion générale

M. François Fillon, Premier ministre.  - (Applaudissements à droite et sur la plupart des bancs au centre) Le Sénat est une arène politique.

M. Jean-Louis Carrère.  - Vous êtes le torero ?

M. François Fillon, Premier ministre.  - Les rivalités y sont d'ordinaire légitimes mais aujourd'hui vous êtes invités à débattre d'une cause supérieure. Au-delà des partis, des alternances, de toutes nos oppositions, la Constitution de la République est notre loi fondamentale. La réformer n'est pas une question de majorité ou d'opposition mais de responsabilité vis-à-vis des Français et de la démocratie dont nous avons la passion. Réformer la Constitution, c'est une occasion rare et donc précieuse. Qui d'entre nous peut jurer qu'elle se représentera à lui ?

En 1973, Georges Pompidou avait tenté d'instaurer le quinquennat : il portait son projet au nom des évolutions de la société, il comprenait ses changements avec lucidité et il en tirait les conséquences avec courage. Ce projet fut adopté par le Parlement à une courte majorité mais il ne put réunir les trois cinquième au Congrès. Entre les deux, un certain nombre de parlementaires avaient trouvé d'excellents arguments pour rester en retrait de cette réforme, les uns estimant qu'elle allait trop loin et les autres pas assez. L'occasion précieuse fut ainsi perdue et, treize ans plus tard, le cycle des cohabitations s'enclenchait pour se briser sous le choc du 21 avril 2002. Cet épisode doit nous inspirer. A ceux de mes amis qui craignent les évolutions proposées, je leur demande si la situation actuelle est si favorable au fonctionnement de notre démocratie pour n'en rien changer. A ceux qui, dans l'opposition, rêvent d'une autre réforme, je leur demande s'ils veulent refuser une amélioration de notre démocratie au nom d'un autre projet improbable.

M. François Fillon, Premier ministre.  - Chacun est invité à peser ses responsabilités.

Il y a cinquante ans, après avoir sauvé l'honneur de la France, le général de Gaulle redressait celui de la République. Comme nombre d'entre vous, je défends les atouts de la Ve République. Sa force s'est éprouvée au feu des crises dont celles de la guerre d'Algérie ou de la décolonisation. Sa stabilité a fait de la France une nation moderne et respectée dans le monde.

Le Gouvernement est attaché à la Ve République, mais pour en prolonger l'esprit et l'efficacité, il vous demande d'en recréer les équilibres. Vous savez comment la pratique politique a altéré l'exercice de vos droits, et ramené la question institutionnelle au premier plan de notre réflexion. Vous savez comment l'élection du Président de la République au suffrage universel, le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, ont érodé les traits originels du parlementarisme rationalisé. Vous savez, et je sais, moi aussi, qui ai été longtemps parlementaire, quel carcan pèse sur les épaules des Chambres.

Certains me demandent, hors de ces enceintes, si l'affaiblissement du Parlement n'a pas ses avantages. Je ne le crois pas. Un Parlement faible n'est pas le gage d'un Gouvernement fort. Un État est respecté lorsqu'il rend des comptes à un Parlement renforcé.

Rien n'obligeait le pouvoir exécutif, dans la position assez commode qui est la sienne, à proposer une révision institutionnelle dont les avancées bénéficieront d'abord au Parlement. Rien, sauf l'engagement pris par le Président de la République de rénover notre démocratie.

M. Jean-Louis Carrère.  - Façon de parler !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Je suis convaincu que vous apporterez à ce projet la hauteur de vues et l'esprit de responsabilité qu'il exige. Vous ferez, en conscience, un choix pour l'avenir. A entendre les différents groupes et les différentes sensibilités, les voies de cet avenir sont naturellement nombreuses. Certains prônent un régime exclusivement parlementaire. D'autres, dont je fus, défendent l'idée d'un régime présidentiel.

M. Pierre Fauchon.  - Bravo !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Certains militent pour des changements de scrutin, d'autres pour la fin complète du cumul des mandats, d'autre encore pour le droit de vote des étrangers. Bref, les propositions sont nombreuses et chaque conviction est sincère, chaque thèse a ses arguments. Mais aujourd'hui, le moment est venu d'aller à l'essentiel et de nous accorder sur un compromis innovant et réaliste. Innovant, parce que l'ampleur du projet qui vous est soumis le place au tout premier rang des révisions envisagées depuis 1962. Réaliste, parce que tout aventurisme, tout risque de dérive institutionnelle ont été écartés du projet.

Il n'est pas facile de trouver le bon chemin entre l'audace et le réalisme mais je crois que nous y sommes parvenus, grâce à la concertation. Je veux exprimer une gratitude particulière au groupe d'experts de tous bords, présidé par l'ancien Premier ministre Édouard Balladur, qui a défini les premières lignes du projet. Je veux aussi saluer la commission des lois présidée par M. Hyest, qui a examiné ce texte avec pragmatisme et ouverture. (Marques d'ironie sur certains bancs socialistes) Dans un esprit d'écoute et de rassemblement, j'ai entendu les principaux responsables politiques, pour examiner avec eux les propositions susceptibles de réunir le consensus. La revalorisation du rôle du Parlement était au coeur de leurs demandes : c'est elle qui est consacrée par ce projet.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Première nouvelle !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Renforcer les prérogatives du Parlement, ce n'est pas renouer avec les errements d'un régime d'assemblée pour lequel je n'ai aucune complaisance. Le texte de 1958 a été conçu pour tirer l'exécutif des ornières de ce régime impuissant. Nous n'y retomberons pas. Ce texte est dominé par une logique d'efficacité gouvernementale : nous n'en braderons pas les outils. Le recours au vote bloqué, la maîtrise de la procédure pour les lois de finances, l'encadrement strict de la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement seront intangibles.

La rénovation de notre pacte économique et social engagée depuis un an n'est pas dissociable de cette nécessaire revalorisation du Parlement.

M. François Fillon, Premier ministre.  - Pour qu'une société de confiance s'instaure, il faut que cette confiance renaisse d'abord entre les élus et les citoyens. Pour qu'une culture de la responsabilité prenne racine dans le pays, il faut, au sommet, responsabiliser les pouvoirs eux-mêmes. Pour raviver les couleurs de l'identité nationale, votre Assemblée doit être libre de les brandir. Pour dégager des consensus face aux grands défis de notre temps, il faut pouvoir les bâtir ici.

Aujourd'hui, notre démocratie se réinvente à tous les niveaux. Les collectivités locales poursuivent leur essor. Les réseaux et les associations relaient à une échelle inédite les revendications et les propositions du terrain. L'Europe, quant à elle, déploie ses législations et ses règles communautaires. Peu à peu, ces pouvoirs nouveaux serrent de près notre démocratie parlementaire, ils la soumettent à un jeu de concurrence qui n'est pas sans incidences sur le fonctionnement de notre République. Si vous n'incarnez pas la souveraineté nationale, si vous ne relayez pas les débats qui agitent la société française, si vous ne les arbitrez pas, qui le fera ? Nous avons besoin d'un Parlement influent et écouté, mais aussi du bicaméralisme et de la pondération qu'il garantit. Nous avons besoin d'une forte représentation des territoires et des collectivités, dans leur variété et dans leur richesse : les qualités propres du Sénat devront s'exprimer plus librement. (Applaudissements à droite et sur divers bancs au centre)

M. Alain Gournac.  - Très bien !

M. Jean-Guy Branger.  - Alors n'y touchez pas !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Voilà pourquoi cette réforme institutionnelle est nécessaire.

Les mesures proposées étendent le champ de l'intervention parlementaire, elles apportent des précisions importantes à la définition des prérogatives présidentielles, elles défendent l'individu et le citoyen.

Elles vont profondément transformer vos modes de travail comme ceux du Gouvernement. La reconnaissance de la liberté du Parlement de fixer son ordre du jour, arrêté par sa Conférence des Présidents, est une des mesures emblématiques de son émancipation, les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale conservant le régime spécifique que leur originalité réclame. Cette règle existe dans toutes les démocraties modernes. L'autre symbole de son émancipation est l'encadrement du recours à l'article 49-3, restreint à la loi de finances et à un seul autre texte par session. Je veux rassurer ceux qui s'inquiètent : cette disposition ne prive pas le Gouvernement de sa capacité à gouverner. L'usage du 49-3 s'est progressivement dévoyé : à l'origine instrument à usage exceptionnel destiné à encadrer une majorité rétive, il s'est imposé comme un outil de lutte contre l'obstruction parlementaire. Nous devons tirer toutes les conséquences de l'instauration du quinquennat, qui conforte le fait majoritaire et présidentiel. Quant à l'obstruction parlementaire, c'est un sujet dont doivent se saisir les règlements des deux assemblées ; le président Accoyer a tracé quelques pistes, je ne doute pas que le Sénat fera de même.

La qualité du travail législatif sera confortée par la reconnaissance d'un rôle plus affirmé des commissions, dont le nombre sera porté à huit, le champ de compétences de chacune d'entre elles limité et l'effectif réduit. Le texte débattu en séance sera désormais le leur. Cette innovation majeure étend la responsabilité législative bien au-delà du droit d'amendement ; elle contraint le Gouvernement à s'impliquer avec davantage de courage et de précision dans la défense de sa propre rédaction. Le même souci de qualité justifie l'allongement du délai d'examen des textes, dont une analyse scrupuleuse garantira la rigueur et l'autorité.

Nous avons eu il y a quelques semaines un débat sur l'Afghanistan, dont nous nous devions de tirer les conséquences. Avec le texte, le Gouvernement sera tenu d'informer le Parlement dans les trois jours de tout engagement de troupes françaises sur un théâtre d'opérations, et une autorisation parlementaire sera nécessaire pour prolonger un tel engagement au-delà de quatre mois.

Le Gouvernement accueille avec intérêt la proposition qui l'obligerait à assortir chaque projet de loi d'une étude d'impact poussée. L'évaluation fait déjà partie de la pratique de ce Gouvernement ; elle sera systématisée et approfondie et votre propre rôle dans l'évaluation des politiques publiques sera conforté par un ordre du jour réservé spécifique.

L'Assemblée nationale a apporté au texte des modifications significatives  -elle a adopté 107 amendements, dont une vingtaine de l'opposition ; je ne doute pas que le Sénat enrichisse encore le projet de loi. Parmi les points d'accord figurent le référendum d'initiative populaire ou l'octroi aux commissions chargées des nominations d'un droit de veto à la majorité qualifiée. Un amendement voté dans l'autre chambre crée la possibilité de voter des lois de programmation pluriannuelles engageant les finances publiques sur des trajectoires vertueuses ; cet exemple, qui prouve la volonté d'ouverture du Gouvernement, doit encourager le Sénat.

L'Assemblée nationale a d'autre part modifié l'article 88-5 afin d'inscrire dans la Constitution la consultation automatique du peuple pour les élargissements les plus significatifs de l'Union européenne. Je sais que beaucoup d'entre vous doutent de la nécessité de cette disposition ; j'ai eu l'occasion de m'exprimer sur ce point à titre personnel, mon sentiment est proche du vôtre. Il faut intégrer dans notre réflexion cet outil nouveau qu'est le référendum d'initiative populaire. Sur ce sujet délicat, j'attends des débats ouverts ; le Gouvernement écoutera tout le monde.

Parce que le succès du dialogue parlementaire dépend des garanties apportées à l'opposition, le Gouvernement est décidé à lever les obstacles constitutionnels qui interdisaient l'octroi de droits particuliers aux partis non majoritaires ; il compte sur votre confiance et votre sens de l'intérêt commun.

Le rééquilibrage ne s'arrête pas là. Le Président de la République a voulu que les prérogatives du chef de l'État soient plus étroitement définies : limiter l'exercice à deux mandats, pour faire primer le souci d'agir sur celui de durer ; soumettre au droit de regard du Parlement des nominations qui relevaient jusqu'à présent de sa décision souveraine ; encadrer le recours à l'article 16 et soumettre son application à un contrôle renforcé du Conseil constitutionnel ; restreindre l'exercice du droit de grâce aux cas individuels. C'est aller plus loin que jamais, c'est resserrer au plus juste les garde-fous de ce que M. Badinter identifiait comme une tendance de la Ve République à la monocratie.

M. Robert Badinter.  - Absolument.

M. François Fillon, Premier ministre.  - C'est donner au Parlement les garanties les plus poussées de sincérité, de respect et de vigilance.

Au vu de ces garanties, je crois très acceptable, et d'autant plus légitime, que le Président se voit reconnaître le droit d'intervenir sans vote devant le Congrès. L'encadrement très strict du droit de message tire son origine de circonstances historiques aujourd'hui dépassées. Notre démocratie mérite aujourd'hui plus de confiance, plus de clarté dans l'échange. Le projet conserve à cette intervention présidentielle un caractère exceptionnel.

Le projet de réforme renforce enfin le pouvoir et la protection des citoyens. L'initiative populaire est un des traits d'une démocratie vivante. Une proposition du comité Balladur recommande l'instauration d'un référendum d'initiative populaire. Le Gouvernement est acquis à ce principe, dont les modalités restent soumises à votre réflexion. Les risques de dérives ne nous ont pas échappé et nous serons attentifs aux propositions d'encadrement que vous formulerez, qui ont vocation à figurer dans la loi organique qui organisera la procédure.

La création d'un Défenseur des droits des citoyens est une autre avancée notable. Dans le prolongement de l'excellent travail du Médiateur de la République et d'autres autorités indépendantes, ce Défenseur tirera de son ancrage constitutionnel une autorité morale et une efficacité plus grandes.

La possibilité, pour chaque citoyen, d'être entendu quand il s'estime lésé par un service public se passe d'argument. Un même pragmatisme suggère d'introduire dans la culture juridique française l'exception d'inconstitutionnalité.

M. Robert Badinter.  - Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Les juridictions françaises savent d'ores et déjà écarter l'application d'une loi qu'elles jugent non conforme à une convention internationale ; elles montreront désormais le même scrupule vis-à-vis de cette norme première qu'est notre Constitution. Il est difficile d'expliquer à nos concitoyens qu'on peut invoquer un texte international, mais pas notre Constitution. Cette réappropriation par les citoyens de notre loi fondamentale ne peut vous laisser insensible. Je veux dire à mon ami Adrien Gouteyron qu'il ne faut pas craindre un gouvernement des juges ; grâce au filtrage des requêtes, le Conseil constitutionnel ne sera saisi que des contestations les plus sérieuses, celles qu'il n'a pas eu l'occasion d'examiner dans le cadre du recours parlementaire. Cette réforme aura des vertus pédagogiques, qui incitera chacun d'entre nous à être encore plus attentif au respect de notre texte constitutionnel. L'autorité et la légitimité de la loi en seront confortées ; et c'est notre État de droit et notre démocratie qui en sortiront renforcés.

Le projet organise en dernier lieu la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). L'évolution du rôle dévolu à I'autorité judiciaire dans une démocratie moderne recommande que le Président de la République cesse d'en assurer la présidence. Il la transmettra au Premier président de la Cour de cassation ou à son procureur général. Pour garantir son indépendance et son ouverture, des personnalités qualifiées seront appelées à y siéger. Beaucoup d'entre vous ont souhaité que la parité soit maintenue en matière disciplinaire. Le Gouvernement sera ouvert à cette préoccupation.

Les questions que ce projet nous pose sont sans détours. Serons-nous à la hauteur de l'occasion historique qui s'offre à nous ? Sommes-nous capables de dépasser nos logiques d'affrontement pour faire aboutir un projet où prime l'intérêt général ? Refuserons-nous un texte qui renforce le poids du Parlement et les droits du citoyen ?

M. Jean-Louis Carrère.  - La ficelle est un peu grosse !

M. François Fillon, Premier ministre.  - Ceux qui le feront devront s'en expliquer clairement. Nul ne doit s'y tromper : un pouvoir que vous ne saisirez pas sera saisi par d'autres. Un pouvoir dont le Parlement hésiterait à s'investir, les démagogues, les prétendus experts et les slogans de la rue s'en empareront. La Constitution de la Ve République est le coeur de notre patrimoine politique ; hésiter à la faire évoluer, c'est renoncer à la faire vivre.

Le projet qui vous est soumis porte la marque de la créativité que le peuple français attend de nous. II porte aussi la marque de la raison. Les droits que ce projet dépose devant vous sont nombreux et importants. A vous de les juger, de les adopter puis de les utiliser. A vous de saisir l'occasion historique de donner un nouveau souffle à notre République. La France mérite que des institutions rénovées l'animent. Vous avez aujourd'hui le pouvoir d'élargir les sources de sa démocratie.

Voilà la haute et belle responsabilité qui est la vôtre. (Applaudissements prolongés à droite et sur la plupart des bancs au centre)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois.  - Même s'il a moins d'intérêt pour les médias que l'anniversaire de telle ou telle vedette du spectacle...

M. Bernard Frimat.  - Jaloux !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - ...le cinquantenaire de la Constitution de la Ve République mérite mieux que des colloques, pour indispensables qu'ils soient.

A ceux qui ont vécu cette période ou s'intéressent à l'histoire, cette Constitution qui a résisté aux crises politiques et aux alternances électorales apparaît étonnement efficace, après une IVe République instable et incapable de surmonter la décolonisation.

M. Yannick Bodin.  - Alors gardons-là.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Mais, loin d'être une réponse circonstantielle à la crise qui l'avait vu naître, et grâce à la prescience du Général de Gaulle et des autres « pères fondateurs », notre Constitution a traversé cinq décennies et fait de la France une démocratie moderne. L'adhésion de nos concitoyens à leurs institutions transcende les clivages politiques, même si quelques-uns rêvent d'une VIe République -l'imagination constitutionnelle est inépuisable et permet à certains de se faire un peu de publicité...

M. Jean-Louis Carrère.  - Jaloux !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Faut-il rouvrir le « laboratoire constitutionnel » permanent qui a marqué notre histoire politique depuis 1789 ? Certes non, mais deux réformes importantes ont eu une influence sensible sur l'équilibre de nos institutions et le moment est venu d'en tirer toutes les conséquences. L'élection au suffrage universel direct du Président de la République après 1962 et le fait majoritaire lié au mode de scrutin choisi en 1958 pour les élections législatives ont renforcé le pouvoir exécutif : c'est le parlementarisme rationalisé, qui a ouvert la voie à une présidentialisation du régime. Depuis 1958, les impulsions politiques sont données pour l'essentiel par le chef de l'État, situation confortée par l'instauration du quinquennat et l'élection des députés à la suite immédiate de la présidentielle.

La tentation est grande de prôner par conséquent un régime présidentiel... Il est sage, pour préserver l'avenir, de ne pas toucher aux équilibres prévus par la Constitution au sein de l'exécutif : on ne peut que suivre l'Assemblée nationale, qui a supprimé l'article 8 du projet de loi et maintenu les prérogatives du Premier ministre en matière de défense nationale. Conformément aux engagements du candidat à la Présidence de la République, la présente réforme constitutionnelle est la plus importante depuis 1958. Si elle est adoptée, elle constituera le meilleur gage de la pérennité du lien entre les Français et la Ve République.

Il ne s'agit pas de la première révision, mais de la vingt-troisième ! Le rythme des révisions va s'accélérant, puisqu'il y en a eu dix-sept depuis 1992...

Voix à gauche.  - Il est temps que ça s'arrête.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - ... il est vrai souvent pour adapter notre loi fondamentale aux traités européens. La réforme de 1995, le parti socialiste s'en souvient, visait déjà à moderniser le fonctionnement du Parlement ; elle avait soulevé des espoirs mais n'a pas eu de grands résultats... La présente réforme vise quant à elle, essentiellement, à rééquilibrer les institutions en renforçant le Parlement et à mieux assurer les droits du citoyen. Elle a été préparée de façon exemplaire par le comité de réflexion présidé par Edouard Balladur et nourrie plus anciennement par les réflexions du comité Vedel comme par celles du Parlement. Continuité heureuse ! De nombreuses propositions font aussi écho aux recommandations formulées en 2002 par le groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale présidé par notre ancien collègue Daniel Hoeffel et plus récemment par la mission d'information sur les Parlements des pays européens, emmenée par MM. Gélard et Peyronnet. (M. Badinter se montre dubitatif)

Je veux souligner d'abord la cohérence de la démarche. Notre commission des lois vous proposera de préserver deux acquis essentiels de la Ve République : la plasticité du texte constitutionnel concernant les relations au sein de l'exécutif, et l'efficacité des institutions. Nous nous sommes longuement interrogés sur la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement, concluant que l'article 49.3 était un élément de stabilité.

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Très bien.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - L'occasion était tentante, sans doute, de revenir sur des sujets, certes importants, tels que le statut des langues régionales, l'égalité entre hommes et femmes, la décentralisation, la frontière entre la loi et le règlement. Même si nous pouvons adopter nombre de dispositions votées à l'Assemblée nationale, je vous invite à la sobriété en ce domaine, pour garder à la Constitution son caractère de texte régulateur de nos institutions et de notre démocratie. La Constitution n'est pas la loi organique, qui n'est pas la loi simple, qui n'est pas le règlement... Je n'insisterai pas sur la limitation des pouvoirs de nomination du Président de la République, ni sur le nombre des mandats présidentiels, l'adresse au Congrès. Ce sont des éléments importants. Mais le coeur de la réforme est bien le renforcement effectif des droits du Parlement et une meilleure garantie des droits et des libertés.

Dans la droite ligne des travaux de l'Assemblée nationale, la commission des lois vous proposera de conforter les droits du Parlement en matière de contrôle et d'évaluation de la loi et des politiques publiques, d'améliorer les conditions de présentation des projets de loi et surtout de mieux organiser les travaux parlementaires. Notre objectif est de garantir effectivement -et non pas seulement en apparence- le droit d'initiative du Parlement, je songe en particulier aux droits de l'opposition. L'examen en première lecture du texte de la commission va bouleverser la routine parlementaire et ne sera pas sans effet sur les relations entre l'exécutif et le législatif. Nous l'appelions de nos voeux. A nous d'en tirer toutes les conséquences dans notre règlement. Parmi les droits du Parlement, il y a celui de voter les résolutions. L'Assemblée nationale a craint qu'il ne nuise à l'équilibre de nos institutions : toutes les craintes sont dans la nature, mais celle-ci ne nous paraît pas fondée, pour peu que le vote de résolutions soit encadré et ne permette pas de mettre en cause l'action du Gouvernement. Cela nous évitera sans doute des lois mémorielles. Il existe déjà des résolutions dans le domaine européen, pourquoi refuser de les étendre à d'autres sujets ? Nous rechercherons également le point d'équilibre dans l'exercice du droit d'amendement, en préservant l'autonomie des Assemblées.

Un des volets essentiel du projet vise à assurer une meilleure garantie des droits et libertés : participation, dans le respect du pluralisme, des partis politiques à la vie démocratique ; institution d'un référendum d'initiative populaire, ou plutôt d'initiative parlementaire soutenue par une pétition de citoyens, à condition que soit prévu un contrôle de constitutionnalité a priori avant le référendum ; exception d'inconstitutionnalité sous forme de motion préjudicielle renvoyée au Conseil constitutionnel -il s'agit de la troisième tentative à ce sujet, peut-être sera-ce la bonne !

M. Robert Badinter.  - On va voir.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Quant à un défenseur des droits, nous aurons à en préciser les compétences car les autorités administratives indépendantes se multiplient depuis quelques années...

Arrêtons-nous sur le volet européen. Nous souscrivons largement à la révision proposée -dans la perspective de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Quant à la réforme du CSM, pour répondre au malaise créé par les affaires judiciaires récentes et lever tout soupçon de corporatisme du corps judiciaire, la commission souscrit à la réforme, à condition que la procédure disciplinaire soit aménagée pour respecter le principe paritaire.

Ambitieuse réforme, de nature à revivifier nos institutions ! Le Parlement, s'il s'y engage résolument, pourra exercer la plénitude de ses attributions. Reste un point dont certains en font un préalable -c'est leur droit, mais nous ne sommes pas obligés de les suivre. Pour des raisons que nous avons quelque mal à comprendre, certains affirment que le Sénat constitue au mieux « un défi à la démocratie », au pire « un déni de démocratie ». Si l'on veut faire du Sénat un clone de l'Assemblée nationale... (Protestations à gauche)

MM. Bernard Frimat et Jean-Pierre Sueur.  - Personne ne demande cela !

M. Robert Bret.  - Mauvaise foi !

M. Jean-Pierre Bel.  - On peut vous expliquer ce qu'il en est.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - ... en l'élisant sur des critères purement démographiques, on nie sa spécificité, à savoir l'élection au suffrage universel indirect par les représentants des collectivités locales. Le débat engagé a créé un doute sérieux sur le maintien de cette spécificité. Mais M. le ministre chargé des relations avec le Parlement entendu par la commission des lois nous a rassurés.

Je ne vais pas relire ses propos.

M. Charles Pasqua.  - Mais si, relisez !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.  - C'est très intéressant !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Je relis donc : «  le texte précise que le Sénat représente les collectivités locales en tenant compte de la population afin que le mode d'élection des sénateurs ne conduise pas à une disproportion excessive du poids de certaines collectivités territoriales au regard de leur population, sans aboutir pour autant à ce que les sénateurs ne soient plus élus essentiellement par les élus ». C'est ce qu'avait tenu à préciser la commission des lois, contrairement à ce qu'on entend dans le tapage médiatique repris en choeur par le microcosme parisien, qui n'a jamais compris la réalité des territoires. (Marques d'approbation à droite, protestations à gauche)

M. Jean-Louis Carrère.  - Je découvre que j'appartiens au microcosme parisien.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Rien n'interdit de faire évoluer le corps électoral du Sénat en tenant mieux compte de la population, ce que MM. de Rohan et de Raincourt et moi-même même avions proposé en 1999. Nous n'y sommes pour rien si cette proposition, votée au Sénat, a fait l'objet d'une fin de non-recevoir de la part du Gouvernement de l'époque. (Marques d'approbation à droite)

M. Charles Pasqua.  - Des noms !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Si ce changement peut être compris comme un moyen d'inscrire le mode de scrutin dans la Constitution, mieux vaut ne pas modifier l'article 24, puisque l'ajout « en tenant compte de la population » énonce une évidence, conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. On nous a assez reproché d'inscrire dans la Constitution ce qui relève de la jurisprudence !

M. Henri de Raincourt.  - Il a raison !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Je fais remarquer incidemment à nos collègues qu'ils devraient retirer tous leurs amendements sur l'élection des députés, pour ne pas encourir le même reproche. (Rires à droite) Sa spécificité donne au Sénat une autonomie qui irrite parfois le pouvoir, et qui fait de lui le défenseur des libertés fondamentales. Cette autonomie est précieuse à une époque de pensée unique. Nous devrions tous la défendre.

Souhaitons que ce projet de loi, qui révise profondément notre Constitution tout en préservant ses grands équilibres, puisse aboutir pour le plus grand bien de la démocratie française. C'est une occasion précieuse, que nous ne devons pas manquer ; et je suis persuadé qu'au terme de la navette parlementaire, nous aurons élaboré un texte qui constituera une réelle modernisation de nos institutions. (Applaudissements sur les bancs UMP et la plupart des bancs au centre)

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.  - (Applaudissements à droite) Par un hasard du calendrier, le Sénat commence l'examen de ce projet de révision de la Constitution de 1958 la veille du 18 juin, et c'est pour moi l'occasion de rendre hommage au libérateur de la France, qui nous a légué cette Constitution à laquelle nous sommes fondamentalement attachés. (Vifs applaudissements à droite et sur de nombreux bancs au centre) Mais par souci d'équité, et devant six de ses anciens ministres de gauche, je souhaite également rendre hommage à François Mitterrand, qui a scrupuleusement respecté la lettre et l'esprit d'une Constitution qu'il avait à l'origine combattue.

M. Henri de Raincourt.  - C'est vrai !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis.  - C'est la preuve que c'était une bonne Constitution. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs au centre) Issue des propositions du comité Balladur, cette révision constitutionnelle s'annonce comme une réforme profonde. Son principal objectif est de rééquilibrer nos institutions en revalorisant le rôle du Parlement. S'il est un domaine où la notion de rééquilibrage prend tout son sens, c'est bien celui de la politique des affaires étrangères et de défense. L'expression de « domaine réservé » a toujours été récusée par le général de Gaulle ; elle résulte d'une pratique favorisée par le président de l'Assemblée nationale de l'époque, mais elle n'est pas dans la Constitution. Mais il faut bien admettre que, dans le domaine de la politique étrangère et de défense, l'exécutif prédomine traditionnellement.

Non que le Parlement soit dépourvu de moyens pour contrôler l'action du Gouvernement ; mais la volonté de préserver l'unité de la politique étrangère et le relatif consensus qui prévalait sur ces questions ont conduit les parlementaires à s'imposer une certaine retenue. Cet équilibre est remis en cause aujourd'hui par l'aspiration de l'opinion à une transparence accrue et à un débat public sur ces affaires, et ce débat doit avoir lieu dans les assemblées. D'ailleurs le temps n'est plus pour l'exécutif à la conquête de prérogatives qui lui seraient disputées par un Parlement ombrageux. Soyons clair : c'est à l'exécutif, et en particulier, au Président de la République, qu'il incombe de conduire la politique étrangère et de défense de la France ! Mais celle-ci sera d'autant mieux comprise et acceptée par nos concitoyens qu'elle aura été débattue au sein des assemblées. Le projet de loi constitutionnelle renforce sensiblement les prérogatives du Parlement dans ce domaine. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères et de la défense a souhaité se saisir pour avis de ce projet de loi ; elle a adopté plusieurs amendements visant à conforter le rôle du Parlement.

En matière de défense, l'une des principales nouveautés du projet de loi tient à la création d'une procédure de contrôle parlementaire sur les interventions des forces armées à l'étranger. Il s'agit d'un mécanisme à double détente. En cas d'intervention des forces armées à l'étranger, le Parlement devra être informé par le Gouvernement dans un délai de trois jours et il pourra éventuellement débattre de cette intervention, sans toutefois pouvoir se prononcer par un vote. Au-delà de quatre mois, la prolongation d'une intervention sera soumise à un vote d'autorisation du Parlement. Tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale, le dispositif proposé me paraît satisfaisant : il préserve l'équilibre entre la nécessité d'associer le Parlement et celle de ne pas empiéter sur les prérogatives de l'exécutif, afin de ne pas nuire à l'efficacité des interventions militaires.

Notre commission n'aurait pas accepté que les interventions militaires à l'étranger soient soumises à l'autorisation préalable du Parlement : un tel système risquerait de paralyser l'action de nos forces. Il n'existe d'ailleurs pas chez nos partenaires, à l'exception des Allemands, pour des raisons historiques. Faudrait-il attendre de réunir le Parlement pour procéder à l'évacuation en urgence de nos ressortissants d'un pays en crise ? Ce serait irresponsable vis-à-vis de nos compatriotes et de nos militaires, et cela risquerait de fragiliser les responsabilités internationales de notre pays. Il est vrai que le texte laisse une certaine marge d'appréciation au Gouvernement. Je souhaite que le débat sur cet article permette de préciser la notion d'intervention des forces armées à l'étranger, et la distinction entre les interventions devant donner lieu à une information du Parlement et les autres. Le texte ne précise pas non plus le point de départ du délai de trois jours pour l'information du Parlement. Est-ce la date de la décision d'intervenir ou bien le jour à partir duquel les troupes sont déployées sur le terrain ? Compte tenu du décalage souvent important entre ces deux dates, par exemple à l'occasion de l'opération Eufor au Tchad et en République centrafricaine, cette question n'est pas sans importance. La discussion de cet article pourrait permettre de préciser ce point ; mais je voudrais proposer au ministre de la défense de réunir un groupe de travail auquel participeraient les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

J'avoue avoir été heurté par la phrase qui dispose qu'« en cas de refus du Sénat, le Gouvernement peut demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement sur la prolongation de l'intervention ». Notre commission a adopté un amendement prévoyant que « la prolongation de l'intervention au-delà de quatre mois est autorisée en vertu d'une loi ». L'Assemblée nationale aurait le dernier mot en cas de divergence entre les deux Chambres mais la rédaction est plus respectueuse du Sénat. Toutefois, contrairement à la procédure législative ordinaire, le droit d'amendement ne s'appliquerait pas : comme le précise l'exposé des motifs du projet de loi, l'acte d'autorisation « ne saurait s'accompagner d'aucune condition concernant les modalités opérationnelles d'engagement des troupes ».

Le projet renforce également le contrôle du Parlement sur la politique étrangère et européenne. Il prévoit d'étendre le champ des textes européens devant être transmis par le Gouvernement au Parlement, de reconnaître la faculté pour chacune des assemblées d'adopter des résolutions sur tout document émanant de l'Union européenne, de constitutionnaliser et de modifier la dénomination des délégations pour l'Union européenne. Dans sa version initiale, le texte reconnaissait également aux Assemblées le droit de voter des résolutions. L'Assemblée nationale a supprimé cette disposition, estimant qu'elle ne permettait pas de revaloriser le Parlement et qu'elle pourrait même être dangereuse pour l'équilibre de nos institutions. Notre commission a estimé au contraire que le vote de résolutions pourrait être utile, à condition d'encadrer strictement ses conditions de mise en oeuvre. Cela permettrait en effet de revaloriser le rôle de la loi, et d'éviter la multiplication de lois purement déclaratoires comme les lois mémorielles.

M. Henri de Raincourt.  - Très bien !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis.  - Il convient cependant d'encadrer strictement cette procédure, afin qu'elle ne soit pas dévoyée. C'est pourquoi notre commission a proposé de rétablir le droit pour les assemblées de voter des résolutions, tout en considérant que les conditions et limites de ce droit devraient être fixées par une loi organique. De plus, toute proposition de résolution mettant en cause, directement ou indirectement, la responsabilité du Gouvernement ou de l'un de ses membres serait irrecevable.

J'évoquerai enfin la procédure d'autorisation de ratification des traités d'adhésion à l'Union européenne. Depuis la révision constitutionnelle de 2005, toute nouvelle adhésion, sauf celle de la Croatie, doit faire l'objet d'un référendum dans notre pays. Cette disposition visait surtout à éviter que le débat sur la Turquie n'interfère avec le référendum sur la Constitution européenne, avec le succès que l'on sait ! Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire qu'il ne serait pas indispensable de consulter les Français par référendum sur l'adhésion de pays comme la Norvège, qui ne suscite aucun débat dans l'opinion. Ce dispositif pourrait entraîner une succession de référendums, sur l'adhésion du Monténégro ou de la Macédoine, dont on peut présager qu'ils se solderaient par une faible participation.

Le comité Balladur a donc proposé un autre mécanisme, repris dans le texte initial du projet de loi, lequel prévoyait que tout projet autorisant la ratification d'un projet d'adhésion devait être adopté dans des termes identiques par les deux assemblées, puis soumis, sur décision du Président de la République, soit au référendum soit au Congrès. Le recours au référendum restait donc la procédure de droit commun mais, comme avant 2005, le Président de la République conservait la faculté d'en décider autrement. La procédure restait plus contraignante que pour la ratification des autres traités, puisque la majorité des trois cinquièmes était requise, en cas de ratification par le Congrès, comme pour une révision constitutionnelle.

Ce mécanisme a suscité toutefois de vives critiques à l'Assemblée nationale au motif qu'il ne rendra plus obligatoire l'organisation d'un référendum dans le cas d'une éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne. A l'initiative de sa commission des lois, un amendement a été adopté qui prévoit que les futures adhésions à l'Union relèveront de la procédure de droit commun applicable à la ratification des traités et accords internationaux, la seule exception concernant les États dont la population représente plus de 5 % de celle de l'Union européenne, dont l'adhésion resterait soumise à la procédure du référendum.

L'essence même des dispositions de nature constitutionnelle n'est-elle pas cependant de poser des principes à caractère général ? Or, il est clair que cette rédaction vise à réserver un traitement particulier à la Turquie, seule, parmi tous les pays candidats, à répondre à ce critère des 5 %.

Inscrire dans la Constitution, c'est-à-dire dans la plus haute norme juridique, une disposition visant directement un pays ami et allié, sans le nommer, c'est à l'évidence porter un grave préjudice à nos relations diplomatiques avec ce pays, dont les autorités et l'opinion publique ne manqueraient pas d'être extrêmement sensibles à l'adoption d'une disposition perçue comme discriminatoire à leur encontre. (Marques d'approbation sur plusieurs bancs)

M. Gérard Delfau.  - C'est vrai !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis.  - Au moment où la France va assurer la présidence de l'Union européenne et où elle a fait du projet d'Union pour la méditerranée l'une de ses priorités, ce serait un mauvais signal adressé non seulement à la Turquie mais aussi à nos partenaires européens et, plus largement, à l'ensemble des pays du pourtour méditerranéen.

Cette disposition, de surcroît, n'est-elle pas anachronique ? Depuis le 3 octobre 2005, des négociations d'adhésion ont été engagées entre l'Union européenne et la Turquie. Cette décision a été prise par le Conseil des ministres, à l'unanimité, ce qui signifie que la France l'a pleinement acceptée.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Bien sûr ! Nous savions tout cela, à l'époque !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis.  - Depuis cette date, les négociations avancent lentement. Sur trente-cinq chapitres, seuls six ont été ouverts et un seul est provisoirement clos, tandis que trois ont été gelés à la demande de la France. En outre, ces discussions sont conduites sur la base d'un « cadre de négociations », qui précise que « ces négociations sont un processus ouvert dont l'issue ne peut être garantie à l'avance ».

Ainsi, l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne est une question qui se posera au mieux dans une dizaine d'années et nul ne peut prétendre connaître l'issue des négociations. Il est clair que la Turquie ne remplit pas, à l'heure actuelle, les conditions pour devenir membre de l'Union européenne.

Mais la question n'est pas aujourd'hui de se prononcer pour ou contre l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Elle est de savoir si nous maintenons dans la Constitution l'obligation de procéder à un référendum pour un seul pays.

La disposition introduite par les députés est également inutile : dans le dispositif proposé par le comité Balladur, le Président de la République conserve la faculté de consulter les Français par référendum sur toute nouvelle adhésion. En outre, le référendum d'initiative populaire, introduit par l'Assemblée nationale, donne aux citoyens un moyen de pression fort pour demander l'organisation d'un référendum.

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis.  - Enfin, alors que le principal objectif de la révision constitutionnelle vise la revalorisation du rôle du Parlement, l'adoption de cette disposition revient à reconnaître une sorte de supériorité de la voie référendaire sur la voie parlementaire. Surtout, elle aboutit à diminuer les prérogatives du Président de la République, élu au suffrage universel direct, en restreignant la liberté offerte au chef de l'État de choisir entre l'une ou l'autre voie.

Pour ces raisons, la commission des affaires étrangères et de la défense a adopté à l'unanimité un amendement visant à rétablir le texte initial du projet de loi constitutionnelle, tel qu'il avait été proposé par le comité constitutionnel.

Le projet de loi qui nous est soumis préserve un équilibre : il renforce le rôle du Parlement dans le respect des prérogatives de l'exécutif. C'est la raison pour laquelle votre commission a émis un avis favorable à son adoption. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

Rappel au Règlement

M. Robert Bret.  - Merci, monsieur le président, de me donner la parole une heure après ma demande... Mon intervention est relative à l'organisation de nos travaux et au travail des commissions. « Il n'y a plus de traité de Lisbonne en cas de « non » irlandais », affirmiez-vous, monsieur le Premier ministre, jeudi soir, sur un plateau de télévision. Eh bien le peuple irlandais a voté « non ». Il a rejoint les peuples français et hollandais dans le refus d'une Europe antidémocratique et éloignée des préoccupations des populations -quel pouvoir d'achat ? quelles conditions de travail ? quelle retraite ? quels soins ? quelle éducation ? Aujourd'hui, on s'apprête à entamer l'examen d'une révision constitutionnelle d'importance. Plusieurs dispositions ont trait à l'intégration du traité de Lisbonne dans notre Constitution, je pense en particulier à l'article 35 du projet de loi. En outre, le texte soumis au débat ne permet pas de poser la question du devenir de l'article 88-1 de la Constitution, qui permet l'intégration du traité après la ratification par l'ensemble des États membres. Est-il possible de légiférer constitutionnellement comme si de rien n'était ? Est-il possible de nier longtemps cette réalité : le traité de Lisbonne est mort. De deux choses l'une : ou le Gouvernement propose des amendements d'abrogation ou le Sénat suspend ses travaux pour analyser les conséquences du vote irlandais sur notre droit. (M. Karoutchi s'exclame) Chacun connaît aujourd'hui l'étroite imbrication entre normes de droit interne et norme européenne. Réviser la Constitution sans écarter les dispositions relatives au traité de Lisbonne, c'est ouvrir la porte à la confusion, tant juridique que politique. La Convention de Vienne de 1969 pose, en l'article 24 de sa section III qu'« un traité entre en vigueur dès que le consentement à être lié par le traité été établi par tous les États ayant participé à la négociation. » Cessons de tourner autour du pot. Cessons de mépriser la parole du peuple en la réduisant à une péripétie. Cessons de fouler aux pieds cette essence de la démocratie qu'est le suffrage universel. Je demande que la commission des lois examine, avant la discussion générale, les conséquences sur notre constitution du référendum irlandais. C'est une question fondamentale, que l'on ne peut balayer d'un revers de main. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC ; MM. Charles Gauthier et Carrère applaudissent aussi)

Discussion générale (Suite)

M. Jean-Pierre Bel.  - Nous en avons rapporté à plusieurs reprises la preuve : nous étions disponibles pour une réforme de notre Constitution, qui a aujourd'hui cinquante ans d'âge. Lorsque le processus de révision a débuté, nous n'avons pas rechigné à vous communiquer nos travaux, nos rapports, et même une proposition de loi qui jetait les bases d'une nouvelle République. C'est que nous envisagions, quant à nous, non une simple modification institutionnelle mais bien l'instauration d'une nouvelle pratique du pouvoir plus respectueuse de la diversité, du pluralisme et de l'échange démocratique, alors que la Ve République s'épuise dans la concentration des pouvoirs, la dévalorisation du Parlement et l'irresponsabilité présidentielle.

La démocratie est l'horizon de toute réforme politique d'envergure. C'est dire combien notre désillusion est grande ! Comment, alors qu'un consensus existait, avez-vous pu nous mener dans cette impasse ?

A quelles pesanteurs, à quels freins se heurte aujourd'hui la démocratie dans notre République ?

D'abord un Parlement contesté dans sa représentativité, abaissé par la présidentialisation, bridé par le Gouvernement, étiolé par la mise à l'écart de l'opposition, étouffé par une majorité souvent godillot, qui ne joue plus son rôle au sein de nos institutions. (M. Gournac proteste) Ensuite, véritable déni de démocratie, une assemblée, dans un régime bicaméral, où l'alternance n'est pas possible ; où, quel que soit le résultat des scrutins municipaux, cantonaux, régionaux, il est inscrit en lettres d'or que la majorité ne bougera pas, que la droite sera à tout jamais inamovible et que le Sénat pourra, tel un monarque de droit divin, s'opposer aux réformes voulues par le peuple à l'occasion des élections présidentielles ou législatives qui ont lieu, elles, au suffrage universel direct.

A ces anomalies criantes, qui justifiaient une réforme ambitieuse, quelles réponses avez-vous apportées ? Des propositions décevantes, voire inquiétantes, qui ne sont pas à la hauteur. Votre réforme, qui prétend toucher à tout, ne touche à rien. Le déficit démocratique reste inchangé. Votre majorité sénatoriale a même eu la velléité de faire, au lieu de pas en avant, des pas en arrière, en gravant dans le marbre de la Constitution les privilèges inacceptables qu'elle s'accordait à elle-même. Nous avons échappé à la glaciation même si nous n'en sommes pas tout à fait sortis. Où l'on espérait une véritable revalorisation des droits du Parlement, de la place de l'opposition, où l'on vous attendait pour remédier à l'anomalie des modes de scrutin qui empêchent l'alternance dans une assemblée et une véritable représentativité dans l'autre, vous répondez par une réforme en trompe-l'oeil qui s'apparente à un marché de dupes.

Pourquoi cette réforme, monsieur le Premier ministre, passe-t-elle si mal ? Parce qu'elle renforce, d'abord, le rôle du Président de la République au détriment de celui du Premier ministre ; parce qu'elle renforce, ensuite, la majorité au détriment de l'opposition ; parce qu'elle renforce, enfin, les pouvoirs d'obstruction du Sénat au détriment de l'Assemblée nationale, élue au suffrage universel.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Nous aussi !

M. Jean-Pierre Bel.  - Elle ne passe pas enfin parce que, quelles que soient vos déclarations, elle va consacrer, sur un sujet qui réclamerait la contribution de tous, la victoire d'un camp contre un autre.

Alors, le groupe socialiste, même s'il reste attentif à la suite des travaux de nos assemblées, ne peut souscrire en l'état à un texte qui manque de lisibilité et aggrave le déséquilibre démocratique. Monsieur le Premier ministre, si, comme vous le dites, vous voulez vraiment des institutions rénovées et démocratisées, il vous reste beaucoup de chemin à faire, il faut convaincre votre majorité, il vous faut de l'audace. A vous d'apporter la démonstration que, parce que vous allez changer d'attitude, vous êtes prêt pour ce grand rendez-vous de l'histoire de notre République. Les socialistes vous attendent, vous les trouverez ouverts mais sans complaisance parce qu'il en va de notre démocratie et de notre République. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; M. Renar applaudit aussi)

M. Henri de Raincourt.  - (Applaudissements à droite) M de Rohan a fait référence au 18 juin 1940, je rappellerai pour ma part le 16 juin 1946...

M. Jean-Louis Carrère.  - Et le 17 juin ?

M. Henri de Raincourt.  - ...où, à Bayeux, le général de Gaulle esquissa l'architecture de notre Ve République. Grâce à lui, la France bénéficie depuis cinquante ans d'une Constitution qui a doté notre pays d'institutions efficaces et qui ont fait la preuve de leur adaptabilité. Consultés à plusieurs reprises, les électeurs ont approuvé cette organisation équilibrée, solide et souple et qui a permis à notre pays de retrouver sa dignité. Soutenue massivement par le peuple français, la Constitution de la Ve République a été vivement combattue, à l'origine, par certaines formations politiques.

M. Alain Gournac.  - Eh oui !

M. Henri de Raincourt.  - Elles dénonçaient la tyrannie de l'exécutif et l'effacement du Parlement.

M. Charles Gautier.  - C'est encore vrai !

M. Henri de Raincourt.  - Nous n'avons pas oublié ce qu'écrivait l'auteur du Coup d'État permanent qui, heureusement, par la suite, s'est glissé avec délice, gourmandise et efficacité dans les habits présidentiels. Ce sont souvent les mêmes qui, depuis un an, s'émeuvent de la grande activité du Président de la République. Pourtant, il avait prévenu qu'il serait un président acteur et engagé dans la réalisation de son programme.

Notre groupe, attaché à la permanence de nos institutions, a une légitimité certaine à donner son point de vue lorsqu'il s'agit de les modifier. Par principe, nous considérons qu'il faut y regarder de près avant de modifier notre loi fondamentale. Sa force, c'est son équilibre, qu'il ne faut pas rompre. Plus un texte de révision constitutionnelle serait dense, plus il chercherait alors à toucher, parfois dans le détail, aux règles du jeu actuelles, plus il fragiliserait ce bel édifice. Une Constitution, c'est un socle, admis par tous, sur lequel chacun peut s'appuyer et se reconnaître. C'est aussi un code qui définit les règles du vivre ensemble. Notre Constitution a été modifiée vingt-trois fois depuis 1958. Mais trois modifications déterminantes ont jalonné son parcours : en 1962, l'élection du Président de la République au suffrage universel ; en 1974, la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou soixante sénateurs ; en 2000, l'instauration du quinquennat.

Aujourd'hui, les élections législatives suivent de peu l'élection présidentielle. C'est un changement considérable qui renforce l'influence du Président de la République. Était-ce l'objectif recherché par les auteurs de cette réforme ? Ce n'est pas sûr... On n'en a pas encore mesuré toutes les répercussions. Le temps politique de l'exécutif s'étant accéléré, il convient de l'équilibrer par une revalorisation du rôle du Parlement. Le Président de la République l'a bien compris en déclarant, lors de son discours du 14 janvier 2007, qu'il voulait une « démocratie irréprochable ». « La démocratie irréprochable, ce n'est pas une démocratie où les nominations se décident en fonction des connivences et des amitiés mais en fonction des compétences. C'est celle dans laquelle l'État est impartial... La démocratie irréprochable, ce n'est pas une démocratie où l'exécutif est tout et le Parlement rien, c'est une démocratie où le Parlement contrôle l'exécutif et a les moyens de le faire. La démocratie irréprochable, c'est un président qui s'explique devant le Parlement ».

M. Jean-Louis Carrère.  - Fouquet's !

M. Henri de Raincourt.  - « Notre démocratie n'a pas besoin d'une nouvelle révolution constitutionnelle, on change trop notre Constitution. Nous devrons changer radicalement nos comportements pour aller vers davantage d'impartialité, d'équité, d'honnêteté, de responsabilité, de transparence ». Il me semble que nous pourrions tous nous retrouver sur cette ligne raisonnable...

M. Jean-Louis Carrère.  - Au Fouquet's !

M. Henri de Raincourt.  - ....sans que quiconque ait à se renier. Notre société a connu, depuis un demi-siècle, de profondes mutations. L'Europe n'est plus seulement un horizon mais un acteur puissant du quotidien. Depuis vingt-cinq ans, la décentralisation a transformé notre vie locale. L'action politique s'est inversée : autrefois, décidée par le haut, elle avait vocation à s'appliquer uniformément et sans discussion ; nos compatriotes veulent dorénavant être écoutés, associés et entendus et, contrairement à une idée reçue, ils ne se désintéressent pas de la manière dont s'exerce le pouvoir dans notre pays. Ils souhaitent davantage de transparence, de débat, de simplicité, de lisibilité et d'efficacité. Ces évolutions doivent nécessairement se traduire dans le fonctionnement de nos institutions et c'est tout l'enjeu de cette réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République.

Notre groupe souscrit aux grandes orientations de cette révision. Nous apprécions le travail de la commission des lois et de son rapporteur, Jean-Jacques Hyest, qui n'a pas ménagé ses efforts pour redonner au Sénat la place qui lui revient. (Applaudissements à droite) Nous approuvons la volonté de réformer les relations entre le chef de l'État et le Parlement. Actuellement, ces relations sont placées sous le signe de l'interdit puisque l'article 18 de la Constitution dispose que le Président de la République « communique avec les deux assemblées du Parlement par des messages qu'il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat ». Comment justifier aujourd'hui le maintien d'une prohibition désuète qui remonte à 1875 alors que le chef de l'État peut s'exprimer dans tous les parlements étrangers, de même qu'il peut parler directement aux Français par l'intermédiaire de tous les médias ? Il semble opportun de lui permettre d'intervenir devant le Parlement réuni en Congrès dans la mesure où les conditions de solennité et de dignité sont respectées.

Le grand bénéficiaire de cette réforme sera incontestablement le Parlement car elle renforce son rôle et celui de l'opposition. Aucune autre réforme de cette ampleur n'a été proposée jusqu'à ce jour. Une place plus grande nous est accordée dans l'élaboration de la loi et dans la maîtrise de la procédure législative. La fonction de contrôle est reconnue dans sa plénitude.

M. Jean-Louis Carrère.  - Ce n'est pas vrai !

M. Henri de Raincourt.  - Mais si ! L'évaluation des politiques publiques figure désormais parmi nos missions et nous pourrons mieux contrôler l'application des lois. Le Parlement pourra désormais s'exprimer sur les interventions des forces armées françaises à l'étranger autrement que par le biais de débats généraux ou lors de la discussion budgétaire. En outre, toutes les propositions d'actes européens, sans plus aucune restriction, seront transmises aux assemblées et pourront faire l'objet de résolution.

Cette révision sera l'occasion de repenser les relations et les méthodes de travail entre l'exécutif et le législatif et, pour nous, l'occasion de réfléchir sur nos modes de fonctionnement, sur la place des groupes politiques au sein du Sénat et, par là-même, sur notre règlement. Le débat politique doit retrouver le chemin de l'hémicycle parlementaire sans être rongé par l'excitation médiatique.

L'article 9 du projet de loi précise que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales « en tenant compte de leur population ». Cette définition n'est pas pleinement satisfaisante. Le Sénat, dont les pouvoirs ont été restaurés par la Constitution de la Ve République, a toujours veillé à représenter à la fois la population et les territoires. Un pays comme la France puise aussi son équilibre et sa cohésion nationale dans la diversité de ses deux Chambres et c'est grâce au mode d'élection du Sénat que les sénateurs peuvent effectivement refléter et exprimer la diversité des collectivités territoriales françaises. Le suffrage est certes indirect, mais il est universel : les sénateurs sont élus par les élus locaux. Si le projet de loi constitutionnelle venait à dénaturer la singularité du Sénat, il y aurait là une véritable anomalie démocratique. (Rires à gauche) Il faut préserver ce qui fait la force du bicamérisme, à savoir la spécificité du mode d'élection des sénateurs. L'amendement de notre rapporteur permet, par le retour à la rédaction actuelle de l'article 24 de la Constitution, de préserver cette spécificité.

Pour autant, le Sénat n'est pas figé. Il a démontré, il y a peu, sa capacité d'auto-réforme. En 2003, sa majorité a été à l'initiative d'une réforme courageuse : réduction de la durée du mandat sénatorial à six ans, renouvellement par moitié tous les trois ans, abaissement de l'âge d'éligibilité, scrutin proportionnel à quatre sièges...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Avant, c'était trois !

M. Robert Bret.  - Vous ne connaissez que la marche arrière.

M. Henri de Raincourt.  - ...augmentation du nombre de sénateurs afin d'accompagner les évolutions démographiques du pays sans sacrifier la représentation des départements à faible population. Si le Sénat doit poursuivre son évolution, il doit veiller à sauvegarder nos équilibres institutionnels et territoriaux et à jouer pleinement son rôle de complémentarité et de modération - et, à en juger par ce que j'entends, on pourrait en douter... Le Sénat ne saurait être un enjeu politicien étranger à son rôle institutionnel. Par le sérieux de son travail et son sens aigu des responsabilités, il vaut mieux que cela.

La dernière dimension de ce projet de loi consiste à conférer de nouveaux droits à nos concitoyens.

M. Jean-Louis Carrère.  - Provocation !

M. Henri de Raincourt.  - La modernisation de nos institutions serait inachevée si elle ne favorisait pas une démocratie plus vivante, une démocratie plus ouverte aux citoyens. Comme le soulignait le Président de la République, notre loi fondamentale n'a pas seulement pour vocation d'organiser le fonctionnement des institutions, elle reconnaît également aux citoyens des droits qui doivent évoluer au rythme des sociétés.

Le projet de loi constitutionnelle répond à cette attente en conférant à nos compatriotes de nombreux droits nouveaux dont l'exception d'inconstitutionnalité qui existe dans toutes les grandes démocraties. La réforme des institutions est une chance historique pour la Ve République ; saisissons-la. Si, par malheur, elle échouait, il n'est pas certain qu'elle se représenterait avant longtemps.

Le Président de la République le soulignait à Épinal, le 12 juillet 2007 : « les institutions, ce sont les points fixes des sociétés humaines ; c'est le pont entre le passé et l'avenir ; c'est tout ce qui permet que les énergies, les volontés, les imaginations se complètent et s'additionnent au lieu de se disperser et de se contrarier ».

La Constitution, voilà notre guide. C'est dans cet esprit que notre Assemblée doit mener ses travaux, animée par le seul souci de servir la République, la France et les Français. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Au moment où vous voulez poursuivre votre révision de la Constitution, le non irlandais devrait vous amener à réfléchir sur les rapports entre les citoyens et leurs institutions. La construction européenne actuelle est tout un symbole : elle se fait sans les peuples, pour la bonne raison qu'elle tourne le dos à leurs aspirations. Dans trois pays, le peuple a été consulté en 2005 sur le traité constitutionnel ; deux dirent non alors que leurs parlements avaient dit oui. Les chefs d'État n'en ont eu cure ; ils décident de ne pas consulter leurs peuples que les parlementaires désavouent en votant le traité de Lisbonne. Le gouvernement irlandais est obligé de consulter : il est désavoué par les citoyens. Allez-vous persister ? Le Président de la République, bientôt président de l'Union européenne, va-t-il escamoter le non irlandais comme il a escamoté les non français et néerlandais ?

Comment s'étonner que ne cesse de se creuser la distance entre les citoyens et ceux qui sont censés les représenter ? En avril, moins d'un an après l'élection présidentielle, 71 % des Français estimaient que les politiques ne se préoccupaient pas de leur opinion. D'ailleurs, ils se sont massivement abstenus aux élections municipales et cantonales et, qui plus est, vous avez été sanctionnés. Cette crise de la représentation politique est dangereuse pour la démocratie. La seule question qui vaille, au moment de débattre d'une réforme de la Constitution, est de savoir si cette réforme répond à cette crise. Est-elle une avancée démocratique ? Le seul fait que le Président de la République n'ait pas jugé bon de consulter le peuple sur sa réforme -dont le ministre chargé des relations avec le Parlement estime qu'elle est la plus importante depuis 1958- en dit long.

La Constitution est la loi fondamentale qui unit les citoyens. Elle ne saurait être la propriété de quelques experts -désignés par le seul Président de la République- et de la classe politique. Vous affirmez que le candidat Sarkozy avait annoncé ses intentions. Il a dit alors beaucoup de choses, par exemple sur le pouvoir d'achat -on voit ce qu'il en est. Sur les institutions, il disait le 14 janvier 2007, au congrès de l'UMP : « Notre démocratie n'a pas besoin d'une nouvelle révolution constitutionnelle. On change trop notre Constitution. Mais nous devons changer radicalement nos comportements pour aller vers davantage d'impartialité, d'équité, d'honnêteté, de responsabilité, de transparence ». Je vous laisse juge de son comportement. Ce qui est certain, c'est qu'il a quelque chose à voir avec l'hyperprésidence, qu'il a souhaité constitutionnaliser, une fois élu.

Quant à la transparence, je vous laisse juge aussi : au moment même où le Parlement débat de la réforme des institutions, où ne figure aucune indication sur les modes de scrutins, le Gouvernement concocte sans aucune transparence une modification du mode de scrutin régional et législatif et un redécoupage...

M. Guy Fischer.  - Un charcutage !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - ... des circonscriptions qui semble devoir être encore plus favorable à la majorité, en tout cas au bipartisme. La feuille de route du Président de la République au comité Balladur était claire et les 77 propositions en sont sorties conforme: un présidentialisme inspiré de la Constitution américaine, mais assorti des pouvoirs exorbitants que confère la Constitution de 1958 au Président de la République française, et agrémenté d'un parlementarisme rationalisé à la britannique, sans les inconvénients pour l'exécutif. Autrement dit : un Président de la République seul véritable chef de l'exécutif, doté d'une majorité qui lui doit son élection -le comité Balladur prévoyait d'ailleurs qu'elle soit élue le même jour !- majorité dont il est aussi le chef, comme il est le chef du parti majoritaire, s'adressant directement au Parlement, disposant donc d'un pouvoir d'injonction à la représentation nationale...

M. Ivan Renar.  - « Oui chef ! »

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - ... alors qu'il est irresponsable et qu'il dispose du domaine réservé, du droit de dissolution, de l'article 16. Dérive bonapartiste, monarchie présidentielle comme le craignait M. Mazeaud en 1993, à propos du quinquennat.

Certes, vous avez dû composer avec votre majorité et gommer quelques aspects dès l'avant-projet, notamment ceux qui tendaient à supprimer le Premier ministre. Mais l'économie générale reste la même, sauf qu'ont disparu les propositions du comité Balladur visant à introduire une dose de proportionnelle dans les scrutins, à démocratiser l'élection sénatoriale ou limiter le cumul des mandats. Après passage à l'Assemblée nationale, la confusion des pouvoirs demeure mais le parti majoritaire est conforté dans sa surreprésentation.

Alors, vous agitez un leurre : cette réforme constituerait un renforcement des pouvoirs du Parlement que les parlementaires, toutes opinions confondues, seraient bien ingrats de refuser. Le ministre chargé des relations avec le Parlement a même qualifié ces dispositions de « révolutionnaires ». Il y a des limites à la méthode Coué et je constate que vous avez du mal à convaincre. L'ordre du jour ? En guise de partage, deux semaines par mois pour le Gouvernement, une pour le Parlement, dont un jour pour l'opposition. Et voilà votre statut de l'opposition !

Le travail en commission ? Votre objectif est clair : réduire le débat en séance publique et remettre en cause le droit d'amender. Le projet instaure un véritable 49-3 de la majorité présidentielle. Le rapporteur propose de rejeter la limitation de l'utilisation du 49-3 ? Le fait est que le Gouvernement n'en aura plus besoin. Le droit de résolution ? Il n'ajoute aucun pouvoir au Parlement, on voit ce qu'il en est en matière européenne. Les débats thématiques non plus, on peut d'ailleurs se demander s'ils ne sont pas un moyen de contourner la responsabilité du Gouvernement. L'intervention du Parlement dans les nominations présidentielles ? En exigeant une majorité des trois cinquièmes, vous la rendez inopérante.

En réalité, le projet ne touche en rien au déséquilibre structurel des pouvoirs inscrits dans la Constitution de 1958 -que nos prédécesseurs communistes n'ont pas votée- déséquilibre accentué par l'élection du Président de la République au suffrage universel et aggravé par le quinquennat et l'inversion du calendrier que nous n'avons pas votés non plus. Votre projet organise une rationalisation non démocratique de la décision politique, accentuant le bipartisme et le fait majoritaire issu de la présidentielle, rendant illusoire la séparation de pouvoirs. Il tourne le dos aux exigences démocratiques en ignorant les évolutions désormais largement soutenues par la population : la proportionnelle ; la limitation du cumul des mandats ; le vote des immigrés aux élections locales ; l'initiative citoyenne.

Pourtant, le respect du pluralisme et donc la représentativité du Parlement sont constitutifs de la « démocratie irréprochable », annoncée par le Président de la République, que Mme la Garde des sceaux se plaît à relayer dans ses propos. Le Parlement n'est absolument pas représentatif de la société : moyenne d'âge de 60 ans, 18 % de femmes ; 1 % d'ouvriers ; surreprésentation des professions libérales et des fonctionnaires ; absence de toute diversité d'origine. Le cumul des mandats et les modes de scrutin en sont largement responsables. Ici la majorité sénatoriale atteint des sommets en refusant toute évolution du mode de scrutin sénatorial. Vous avez renoncé à constitutionnaliser l'impossibilité d'élargir le corps électoral ; mais vous avez renoncé aussi à tenir compte de la population. Donc, retour à la case départ ! C'est un cas unique en démocratie : une assemblée législative, dotée de pouvoirs de veto, toujours à droite, quel que soit le choix des électeurs. Que représente le Sénat si ce n'est la population des collectivités locales ? Les édifices ? Les terres ? Les propriétés ? On se le demande !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Le projet ignore l'aspiration à une démocratie plus citoyenne qui se manifeste pourtant au niveau des collectivités territoriales. Les députés ont réintroduit le référendum d'initiative populaire du comité Balladur censuré par le Gouvernement. Mais sa mise en oeuvre est si restrictive qu'elle est quasi impossible et il est plutôt d'initiative parlementaire.

Vous répondez par une nouveauté pour les citoyens : l'exception d'inconstitutionnalité. Soit. Mais avec un Conseil constitutionnel inchangé ce n'est pas une avancée démocratique. En tout état de cause, le contrôle de constitutionnalité doit renvoyer les dispositions litigieuses au vote du Parlement. Le projet ignore le respect des droits des citoyens sans lequel il n'y a pas de droit. L'expérience du droit au logement opposable que vous avez concédé et que l'État ne peut assurer, aurait dû vous alerter. Vous répondez par le « Défenseur des droits » en renvoyant à plus tard ses compétences et son champ d'intervention. Est-il bien raisonnable de demander aux parlementaires de s'engager en aveugle ? Sur trente-cinq articles, vous renvoyez au moins quinze fois à la loi organique ; par contre, vous fixez très précisément le nombre de députés et de sénateurs.

Ce projet ignore aussi une question essentielle : le respect du pluralisme dans les médias, gage pourtant d'une démocratie irréprochable ! Il ignore la nécessaire implication des citoyens et de leurs représentants dans les choix européens. Vous ne proposez aucun pouvoir réel du Parlement sur les mandats des représentants du Gouvernement dans les négociations européennes. Pire, la majorité veut revenir sur l'obligation de référendum en matière d'évolution de la construction européenne. Fort heureusement, la commission des lois n'a pas été convaincue par Mme Dati et a rejeté le dispositif de l'article 11 qui permet la rétroactivité de la loi, y compris pénale. Nous prenons acte qu'elle a supprimé la présence du ministre de la justice lors des séances des formations du CSM en matière de nomination ou de discipline, ainsi que l'insertion dans le domaine de la loi de la répartition des litiges entre juges judiciaires et administratifs. Mais rien de cela ne change la nature du projet de loi.

Vous l'avez compris, notre opposition à cette réforme est globale ; on pourrait dire frontale pour répondre au ministre chargé des relations avec le Parlement.

La seule réponse à la défiance envers les politiques, c'est de donner plus de pouvoirs aux citoyens et des pouvoirs réels au Parlement. Nous sommes résolument pour un régime parlementaire -reconnu, je le rappelle, comme le plus démocratique- avec des élections à la proportionnelle, un Parlement qui retrouve ses prérogatives en matière de budget, d'utilisation des forces armées, de politique européenne. Nous sommes pour le respect du pluralisme tel qu'il existe dans la société et donc pour la reconnaissance des droits et moyens des groupes politiques. Nous sommes pour le droit de vote des résidents étrangers, pour la reconnaissance de la démocratie participative, pour un droit d'initiative législative des citoyens et des collectivités locales. Nous sommes pour des droits réels pour les salariés et leurs représentants, tant sur les conditions de travail que sur les choix des entreprises, question jamais abordée et pourtant au coeur d'une démocratie moderne.

Vous l'avez compris, notre groupe, comme à l'Assemblée Nationale, votera contre votre réforme qui va à l'encontre des exigences démocratiques de notre temps.

Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré en décembre que le vote de cette réforme supposait un consensus en sa faveur. Or, ce consensus n'existe pas. Y aura-t-il des marchandages pour gagner les quelques voix nécessaires pour réformer la loi fondamentale du pays ? Je n'ose le penser ! (Applaudissements sur les bancs CRC et sur une partie des bancs socialistes)

M. Jean-Michel Baylet.  - Depuis sa promulgation le 4 octobre 1958, la Constitution de la Ve République a fait l'objet de nombreuses révisions, mais rarement d'une réforme profonde. Cinquante ans après, le moment est venu de lui donner un nouveau souffle.

En effet, le parlementarisme rationalisé, qui devait assurer la stabilité Gouvernementale, a fini par transformer en mythe la séparation des pouvoirs si chère à Montesquieu. Le fait majoritaire, l'élection du Président de la République par tous les Français, puis l'instauration du quinquennat et l'inversion du calendrier électoral ont achevé d'accentuer la nature présidentielle du régime. Lorsqu'un régime présidentiel dispose d'un exécutif à deux têtes -l'une élue par le peuple et l'autre responsable devant le Parlement-, il faut remédier à cette anomalie conceptuelle.

Le projet de loi constitutionnelle est-il à la mesure du défi ? Je crains que les conditions ne soient pas réunies pour que notre démocratie s'épanouisse davantage. Votre réforme est bien timide, aux yeux des radicaux de gauche engagés sur cette question depuis vingt ans, car malgré ses avancées, il ne va pas jusqu'à supprimer les verrous judicieusement posés par les constituants de 1958 pour museler les assemblées parlementaires.

Il aurait fallu aller plus loin, pour qu'une VIe République assure l'équilibre de nos institutions. Dans cet esprit, nous avions déposé en 2000 une proposition de loi au Sénat et à l'Assemblée nationale afin qu'une Constitution prenne en compte les aspirations des Français, rationalise les procédures parlementaires et rende aux citoyens le pouvoir dont ils peuvent légitimement s'estimer privés. Notre vision audacieuse, que j'ai défendue devant le comité Balladur, tend vers un régime présidentiel accompagné d'une stricte séparation des pouvoirs.

Dans cette perspective, nous avons déposé une série d'amendements pour supprimer cette dyarchie au sommet de l'État, une exception parmi les démocraties occidentales.

L'instauration d'un régime présidentiel suppose un renforcement substantiel des pouvoirs du Parlement : nous voulons donc abolir la dissolution et la motion de censure. Le Parlement devrait maîtriser son ordre du jour et voter les lois sans procédure d'urgence ni 49-3. La représentation nationale devrait aussi donner son accord à certaines nominations effectuées par le Président de la République. Nous proposerons donc une modification à l'article 4.

Restauré dans ses droits, le Parlement doit aussi garantir le pluralisme. C'est pourquoi nous proposerons une autre rédaction de l'article 24 sur les droits des groupes, parce que la distinction entre majorité et opposition ne recouvre plus la réalité parlementaire. En outre, une dose de proportionnelle pour l'élection des députés permettrait aux citoyens d'être représentés dans la diversité de leurs opinions. Sur ce thème, les amendements de la commission des lois destinés à empêcher toute alternance au Sénat sont une provocation. Ils ont été retirés, mais le régime électoral du Sénat reste en débat. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Les radicaux de gauche seront intransigeants sur ce point. Il en ira de même à l'article 33, affublé de critères démographiques qui visent la Turquie. Nous ferons tout pour revenir sur ses petits calculs indignes.

Enfin, la Constitution doit rester à l'abri de toute transaction circonstancielle ou partisane. Je pense notamment à la laïcité, fragilisée alors qu'elle devrait être un principe intangible. (Applaudissements sur certains bancs au centre et sur les bancs socialistes) Pour les radicaux de gauche, la laïcité ne saurait être à géométrie variable. C'est pourquoi nous souhaitons rappeler ses principes avant l'article premier : elle est définie dans la loi du 9 décembre 1905, dans la loi de la République !

Les députés radicaux de gauche se sont abstenus. Leur président, Gérard Charasse, a parlé d'une abstention positive. La vérité oblige à dire qu'hormis l'heureuse initiative concernant la Turquie, les amendements de la commission des lois nous ont beaucoup choqués. Comme nous voulons rester confiants, nous nous abstiendrons, mais dans un esprit négatif de prudence.

M. Philippe Marini.  - Quelle subtilité !

M. Jean-Michel Baylet.  - J'espère que le texte évoluera d'ici le Congrès afin que nous puissions enfin doter la France d'une Constitution moderne et plus démocratique. (Applaudissements sur certains bancs au centre et sur certains bancs socialistes)

M. Michel Mercier.  - « Notre démocratie a aujourd'hui besoin de voir ses institutions modernisées et rééquilibrées » a écrit le Président de la République dans la lettre de mission envoyée à M. Balladur lorsqu'il l'a chargé de présider le comité de réflexion constitutionnelle, ajoutant que cela passe par la fixation de certaines limites au pouvoir du Président de la République, par le rééquilibrage des pouvoirs du Parlement, par la revalorisation de la fonction parlementaires, par l'organisation d'une vie politique plus représentative de la diversité de l'opinion et par le renforcement des droits des citoyens. Lorsqu'il lui a remis son rapport, l'ancien Premier ministre a estimé notamment que les institutions de la Ve République ne fonctionnaient pas de manière pleinement satisfaisante, qu'il fallait davantage encadrer les attributions du chef de l'État et desserrer l'étau du parlementarisme rationalisé, d'où les grandes lignes d'une réforme devant rendre ses institutions plus démocratiques.

Partageant cette opinion, notre groupe s'est engagé dans ce débat avec confiance, et même enthousiasme, tant il soutenait les annonces faites par le chef de l'État et l'exposé des motifs du projet de loi. Nous attendions beaucoup de ce rééquilibrage pour aboutir à Une République moderne, selon le titre d'un livre célèbre quand nous étions jeune étudiants.

Les institutions seront plus équilibrées avec un Président de la République qui gouverne tout en étant encadré. Il doit gouverner car il est élu par les citoyens, même si la Constitution dit un peu autre chose. Lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964, le général de Gaulle a déclaré que le Président de la République était « la clef de voûte de nos institutions ».

Nous sommes d'accord pour limiter à deux le nombre de mandats et pour encadrer les nominations, en attendant une véritable codécision. Nous sommes d'accord à propos des pouvoirs spéciaux et des opérations limitées. Ces mesures sont intéressantes, d'autant plus que d'autres dispositions libèrent le Parlement de son carcan. Comme l'a dit M. Balladur : « il faut sortir de l'étau du parlementarisme rationalisé ».

A une époque, nous avons eu besoin de ce parlementarisme rationnalisé. Mais aujourd'hui, pour sauver le régime parlementaire, nous devons ouvrir les portes et les fenêtres. Nous approuvons les mesures relatives à l'ordre du jour, aux pouvoirs du Parlement en matière d'évaluation des lois et des politiques publiques. Nous souhaitons en revanche que le droit de résolution, supprimé par l'Assemblée nationale, soit rétabli par le Sénat. Ce droit est en effet essentiel dans un régime parlementaire et il ne faut pas le confondre avec le droit d'interpellation. D'ailleurs, le Président de la République n'a-t-il pas dit à M. Balladur que le Parlement devrait avoir le droit d'adopter une résolution susceptible d'influencer le Gouvernement ?

Cette révision pourrait être l'occasion de construire une République plus démocratique, plus respectueuse des suffrages de nos concitoyens. Comme vous le dites dans l'exposé des motifs, monsieur le Premier ministre, un Parlement renforcé est un Parlement plus représentatif. Pour nous, cela signifie que le Parlement doit respecter les suffrages qui se sont exprimés. Le pluralisme doit être garanti par la Constitution, ce qui impliquerait que tous les groupes politiques aient les mêmes droits. (Applaudissements sur les bancs UC-UDF, du RDSE, du groupe CRC et sur certains bancs socialistes). C'est fondamental ! Nous ne pouvons accepter qu'au détour d'une phrase alambiquée, on organise un bipartisme réducteur. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs)

M. Jean-Michel Baylet.  - Il a raison !

M. Jean-Louis Carrère.  - C'est le parti unique qu'ils veulent !

M. Michel Mercier.  - Le respect du pluralisme doit être total : il en va de la considération que nous devons aux Français qui nous ont élus. La démocratie ne doit pas seulement être une affaire d'élus entre eux, car elle concerne tous nos concitoyens.

Nous nous félicitons que les Français aient accès à la justice constitutionnelle et que le Parlement voie ses liens avec les institutions européennes renforcé. S'agissant de l'adhésion de nouveaux États membres à l'Union, nous souhaiterions en revanche en revenir au texte du Gouvernement.

Mais l'essentiel n'est pas là : si nous étions confiants au départ, nous nous inquiétons que la commission des lois ait rejeté tous nos amendements.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous n'êtes pas les seuls !

M. Michel Mercier.  - Nous sommes désormais moins enthousiastes. S'agissant des dispositions relatives au pluralisme et à la représentation, au Sénat, nous considérons que le texte du Gouvernement est bon et qu'il faudrait en rester là. Nous souhaitons que tous les groupes parlementaires aient les mêmes droits et les mêmes responsabilités. (M. Arthuis applaudit)

Un exemple : par la voie de l'action ou de l'exception, on ouvre le recours en constitutionnalité à tout le monde. Ne pensez-vous pas, monsieur le Premier ministre, que les groupes parlementaires devraient avoir eux aussi le droit de saisir le Conseil constitutionnel ? Ne serait-ce pas plus équilibré et démocratique de le prévoir ?

Parlementaires, nous espérons dans ce débat : qu'il soit l'occasion d'obtenir des avancées. Mais, pour l'instant, nous n'en voyons pas et nous attendons du Gouvernement qu'il fasse plus que nous écouter. Il faut que les intentions affichées par le Premier ministre, par le Président de la République et par M. Balladur au début du processus deviennent réalité mais, de grâce, n'en arrivons pas, de reculades en reculades, à une réformette ou au statu quo ! Nous voulons une vraie réforme : les institutions, le Parlement, le Gouvernement, les citoyens y trouveraient leur compte ! (Applaudissements au centre)

M. Bernard Frimat.  - Qui, parmi nous, oserait prétendre que la modification de nos institutions est une attente prioritaire des Français ?

M. Jean-Louis Carrère.  - Il fait fuir le Premier ministre ! (Sourires)

M. Bernard Frimat.  - Assommés par la flambée des prix du pétrole et des produits alimentaires, inquiets pour leur avenir et, pour les plus fragiles d'entre eux, forcés de choisir entre se loger, se nourrir, ou se soigner, les Français ont d'autres préoccupations. Ils sont néanmoins les premiers concernés car un débat sur les institutions, c'est d'abord un débat sur la démocratie.

C'est avec objectif de faire progresser la démocratie que les parlementaires socialistes ont abordé cette révision constitutionnelle. A l'issue de la première lecture, les députés socialistes ont voté contre, compte tenu de la modestie des avancées et des refus multiples opposés à leurs propositions. Il appartient donc au Gouvernement et à la majorité d'accepter au Sénat des modifications significatives. Faute de cela, nous serions contraints de voter comme nos collègues députés.

Je reconnais volontiers qu'il faut une solide dose d'optimisme pour attendre un progrès démocratique de ce débat, mais ne ratons pas l'occasion de vérifier si, comme il a été dit lors de la campagne présidentielle, « ensemble tout devient possible ».

Laissons de côté le terme flou de « modernisation », il est trop souvent l'habillage utilisé pour dissimuler les régressions sociales les plus importantes. Attaquons-nous plutôt au déficit démocratique dont souffrent les institutions de la Ve République.

Le quinquennat a, de fait, renforcé les pouvoirs du Président. Le projet de révision initial prévoyait la possibilité, pour le Président, de venir s'exprimer devant le Congrès, l'Assemblée nationale ou le Sénat. Cette modification institutionnelle a été qualifiée par Mme Elisabeth Zoller, professeur à Paris II et directrice du centre de droit américain, de changement de régime. La Ve République basculerait alors dans un régime consulaire digne de l'An VIII, le Président cumulant ses pouvoirs d'arbitrage, le droit de dissolution de l'Assemblée nationale et une capacité d'exprimer devant le Parlement, en tant que législateur en chef, son programme de gouvernement. Mme Zoller estime donc qu'il faut mettre en place, à l'instar du système américain, des contrepoids permettant de « tempérer les effets d'une tyrannie toujours possible de la majorité ».

Les pouvoirs du Président sont suffisamment étendus pour refuser leur extension. En conséquence, déplacer neuf cents parlementaires au château de Versailles...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Quel symbole !

M. Bernard Frimat.  - ... et ce pour écouter le Président est sans doute une modernisation si les autobus remplacent les carrosses, mais il ne s'agit nullement d'une avancée démocratique. En revanche, l'encadrement du pouvoir de nomination du Président peut être considéré comme tel. Encore faut-il qu'il ne s'agisse pas d'un trompe-l'oeil.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Eh oui !

M. Bernard Frimat.  - Donner aux parlementaires un droit de veto à la majorité des trois cinquièmes, c'est autoriser toutes les nominations qui recueilleraient 40 % d'avis favorables, ce qui n'a pas grand sens quand on dispose de la majorité. Si la majorité des trois cinquièmes était requise pour les nominations, la personne nommée bénéficierait d'une reconnaissance majeure, ce qui démontrerait que notre démocratie respecte le pluralisme d'opinion.

Il convient également de s'interroger sur le temps de parole du Président. La règle des trois tiers était acceptable quand les interventions du Président étaient un évènement. Elle ne l'est plus quand celles-ci relèvent de notre quotidien. Nous ne voulons pas contraindre d'une quelconque façon la liberté d'expression du Président, mais mettre un terme au déni de démocratie dont sont victimes toutes les composantes de l'opposition.

Le rapport Balladur a fait des propositions en ce sens ; il importe que le Gouvernement évolue sur le sujet. Il nous revient de faire cesser le caractère grotesque d'une situation qui voit, pendant des semaines de campagne électorale, les temps de parole pesés à la seconde près, mais perdurer une inégalité audiovisuelle flagrante et permanente.

Dans l'exposé des motifs, le Gouvernement dit sa volonté de revaloriser le Parlement. Mais une révision constitutionnelle ne peut se limiter à améliorer la technique parlementaire. Vous en convenez d'ailleurs, monsieur le ministre, dans le même exposé des motifs, en souhaitant surmonter les contraintes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui « a eu pour effet d'interdire toute évolution du corps électoral sénatorial dans le sens d'un équilibre plus juste en termes démographiques entre petites, moyennes et grandes communes ». Même si la modification de l'article 24 que vous proposiez était en deçà du rapport Balladur, elle permettait une évolution démocratique dont vous fixiez même le terme, 2011. Mais cette seule perspective a glacé d'effroi les sénateurs de l'UMP ; l'idée même de perdre, peut-être, un jour, la majorité leur a été insupportable. Et ils ont trouvé un moyen de vider votre proposition de tout son sens, afin que rien ne change au Sénat quels que soient les choix politiques exprimés par le peuple aux élections locales. (Applaudissements sur les bancs socialistes) La première tentative de ces serruriers a été de verrouiller le corps électoral actuel en le constitutionnalisant, interdisant de ce fait toute évolution, même mineure. En apparence, ils y ont renoncé ; mais c'est une illusion : leur nouvelle proposition revient à préserver la situation actuelle, qui ne tient pas compte de la population -situation, monsieur le ministre, que vous disiez vouloir corriger. Il vous appartient donc de dire si vous approuvez ce mépris du suffrage universel, cette négation de la démocratie...

M. Josselin de Rohan.  - Oh là là !

M. Bernard Frimat.  - ...contre votre volonté d'améliorer la représentativité du Parlement.

Revaloriser le Parlement, c'est aussi garantir le droit constitutionnel d'amendement, qui est la liberté d'expression individuelle de chaque parlementaire, qu'il appartienne à la majorité ou à l'opposition. Nous ne pouvons accepter que ce droit soit régi par le seul règlement de chaque assemblée ; nous refusons de remettre entre les mains de la majorité UMP le pouvoir de décider quelle liberté surveillée elle daignera nous concéder.

Un mot enfin du droit de vote aux élections locales des étrangers qui vivent chez nous depuis plusieurs années. Ces femmes et ces hommes, dont les enfants sont souvent devenus français, sont des acteurs de la vie locale ; ils participent par leurs impôts au financement des collectivités locales ; beaucoup d'entre eux animent des associations. Les esprits ont évolué : le temps est venu du courage politique et, pour la France, de rejoindre le camp des démocraties les moins frileuses.

C'est d'abord du Gouvernement que dépend le sort de la révision constitutionnelle. A lui de donner des signes d'écoute qui permettraient, sans le recours à de petits arrangements politiciens médiocres, de réunir la majorité des trois cinquièmes. La balle est dans son camp. Il lui appartient que ce camp soit celui du progrès démocratique de nos institutions. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Raffarin.  - (Applaudissements à droite) Nous vivons un moment grave de notre vie démocratique. Le sujet est d'une extrême sensibilité. La Constitution est le lien indestructible entre la France et les Français, c'est elle qui leur permet de faire vivre la France, c'est la chance pour eux d'être à la fois héritiers et bâtisseurs de la France. Toucher au marbre de la Constitution n'est jamais anodin. Notre débat ne saurait donc être ramené à une suite d'améliorations d'articles de la Constitution. Son objet est la Constitution, mais son sujet, c'est la France.

Nous connaissons les mérites de la Constitution du 4 octobre 1958 ; elle a marqué une rupture salutaire dans notre histoire constitutionnelle, en faisant la synthèse entre un régime parlementaire, symbole de démocratie moderne, et l'existence d'un exécutif fort, gage d'efficacité et d'unité. Si une très large majorité de Français est attachée à la Ve République, c'est qu'elle en a apprécié les mérites. La Constitution de 1958 a permis, pendant cinquante ans, de garantir la stabilité, de préserver la démocratie lors des épreuves, de rendre possible l'alternance, d'accompagner la construction européenne et la décentralisation, de traverser les cohabitations. Les Français se sont approprié leurs institutions, qui ne sont ni de droite ni de gauche : la Ve république est devenue le patrimoine commun de la Nation. Voilà pourquoi nous sommes si nombreux à y être attachés.

En tant que Premier ministre trois ans durant, j'ai pu mesurer le caractère inestimable de ses règles fondatrices, dont quatre me paraissent immuables et d'abord la légitimité populaire du Président, celle qui nous a permis, en 2002, d'écarter l'extrémisme grâce au sursaut républicain.

M. Jean-Louis Carrère.  - Grâce aux socialistes !

M. Jean-Pierre Raffarin.  - C'est elle qui fait du Président l'homme en charge de l'essentiel.

La deuxième de ces règles est la dualité de l'exécutif : unis dans l'action, les deux rôles institutionnels ne peuvent être confondus. Parce que le Premier ministre est nommé par le Président, sa loyauté est l'essentiel de sa légitimité ; parce que son gouvernement peut être renversé par l'Assemblée nationale, il ne peut être privé de son rôle de chef de la majorité parlementaire. L'un peut dissoudre, l'autre être censuré. Avec le président Chirac, j'ai vécu cet équilibre de manière apaisée parce que chacune des deux fonctions étaient par l'autre respectée. Peut-être, pour un Premier ministre, y a-t-il avantage à travailler avec un président qui a été Premier ministre... (Rires sur les bancs socialistes)

L'efficacité de l'action publique est la troisième règle. La Ve République a offert à l'exécutif les leviers de l'efficacité pour remédier à l'impuissance politique. On peut les modifier pourvu que celle-ci, dans un pays aussi difficile à gouverner que la France, n'en soit pas renforcée. On peut contester les choix politiques de chacun ; mais si j'ai pu réaliser l'essentiel du projet présidentiel de 2002, je le dois aussi à nos institutions et à notre Constitution. Je saisis l'occasion pour dire merci à celle qui ne m'a jamais manqué : la majorité sénatoriale. (Applaudissements à droite ; rires à gauche)

Enfin, quatrième règle, la séparation des pouvoirs. Ce principe fondateur doit être sans cesse protégé, car il est fragile dans notre société de globalisation, de centralisation et de médiatisation. La démocratie représentative est bousculée par certaines illusions de la démocratie participative, mais la complexité de la société appelle à davantage d'expertise, de confrontation et de régulation. De toutes les institutions, c'est le Parlement qui peut et doit être renforcé pour mieux équilibrer l'exercice des pouvoirs. En de multiples occasions, je pense par exemple aux lois bioéthiques, il a montré sa maîtrise de la complexité. Ceux qui ont entendu Mme Hermange et M. About dans le débat récent sur les addictions peuvent en témoigner.

Notre Constitution donne aux différents pouvoirs la force nécessaire pour faire aboutir les réformes difficiles, trancher les débats fondamentaux et programmer l'action publique. Si une adaptation de notre gouvernance est nécessaire, c'est que l'on ne gouverne plus aujourd'hui un pays comme la France comme il y a cinquante ans. En 1958, le général de Gaulle expliquait aux Français que c'était « pour le peuple que nous sommes, au siècle et dans le monde où nous sommes, qu'a été établi le projet de Constitution ». Les Français ont changé, les temps ont changé, le monde n'a plus rien à voir avec ce qu'il était dans les années 1960. (MM. Carrère et Mélenchon marquent ostensiblement leur lassitude)

Au-delà des profonds mouvements qui agitent nos sociétés, liés à la confrontation des cultures et des technologies, un phénomène politique s'affirme : la personnalisation du pouvoir. Même les pays qui ont un régime parlementaire personnalisent leurs campagnes électorales -qu'on se souvienne du dernier débat entre M. Schroeder et Mme Merkel, ou du parcours de M. Blair. En France, l'élection présidentielle au suffrage universel et le quinquennat accélèrent cette évolution -ce qui n'est pas étranger à ce que certains appellent l'hyper présidence. Dans le monde, les opinions publiques identifient les grands pays en désignant leur leader. Ce processus très anglo-saxon nous interpelle. Comment oublier que la Chambre des communes, le Bundestag et le Congrès des États-Unis sont des assemblées parlementaires parmi les plus puissantes ? Dans une démocratie, le leadership d'un exécutif fort doit avoir pour contrepartie un pouvoir parlementaire renforcé, davantage écouté et mieux légitimé.

C'est pourquoi je suis dans le camp des réformateurs, pour éviter toute dérive vers ce que M. Badinter a appelé, pour la dénoncer, la monocratie.

Mais, fait significatif, c'est précisément celui que l'on accuse de tous les excès de la personnalisation du pouvoir qui propose une réforme visant à mieux équilibrer nos institutions. Je salue la lucidité et l'initiative de notre Président de la République pour encadrer Ies pouvoirs de sa fonction et élargir ceux du Parlement. C'est notre devoir d'oser cette réforme ! Je le dis à tous nos collègues qui craignent un trop fort mouvement de rééquilibrage : les seules limites à ne pas franchir sont la primauté de l'institution présidentielle et le parlementarisme rationalisé -et soyons attentifs au risque d'éclatement qu'il y aurait à inscrire les langues régionales dans notre Constitution. (Très bien ! à droite)

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Enfin ! Nous y voilà !

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Les défenseurs de la Ve République ne pourraient accepter une limitation de l'article 49.3 sans en contrepartie un strict encadrement du pouvoir d'obstruction. Je comprends les réserves de M. de Rohan : la dissuasion n'a de valeur qu'imprévisible. Mais aujourd'hui, l'enjeu est de transformer une relation de loyauté en un partenariat de liberté. La concordance des temps des mandats présidentiel et législatif a ouvert la voie à un véritable gouvernement de législature qu'appelait déjà de ses voeux Pierre Mendès-France. Si la réforme est adoptée, nous devrons inventer un nouveau rôle pour le Parlement. Nous avons besoin d'un régime parlementaire fondé sur des rapports plus équilibrés entre le Gouvernement et le Parlement : partage de l'ordre du jour, renforcement du rôle des commissions permanentes et augmentation de leur nombre, comité chargé des affaires européennes proposé par MM. Hyest, de Rohan, Gélard, Haenel et Mercier... Nous avons également besoin de mieux reconnaître le rôle de l'opposition. Notre pays a besoin de pacifier son débat démocratique pour progresser sur la voie des réformes. Afin de préserver l'harmonie au sein de notre Assemblée, nous devrions décréter que les principales décisions concernant le fonctionnement du Sénat seront prises d'un commun accord.

Nous avons besoin d'un régime parlementaire qui reconnaisse au Parlement une véritable capacité d'initiative législative -ce qui nécessitera de le doter d'une véritable capacité prospective propre. Notre horizon n'est plus la session, nos initiatives prendront le rythme quinquennal. Les Français n'acceptent plus que les réformes soient préparées dans l'ombre des cabinets ministériels ou sur la foi de rapports d'experts très éloignés du quotidien, ils ne veulent plus de réformes idéologiques ou sans égards pour le dialogue social. Nous avons besoin de la force positive des syndicats pour conduire les réformes !

Selon Alain Finkielkraut, être moderne c'est être mécontent : n'ayons pas peur de la modernité. C'est la force du Sénat de savoir qu'il a le devoir d'être libre et responsable.

M. Ivan Renar.  - Bernard Thibaud, président du Sénat !

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Un Sénat libre et indépendant est une garantie pour le Gouvernement, une assemblée unique, comme le disait Victor Hugo, c'est un océan gouverné par la tempête ! Notre proposition relative aux conditions de l'élargissement de l'Union européenne à la Turquie est la marque de la sagesse sénatoriale. Voilà pourquoi nous avons besoin d'un bicamérisme renforcé. (Lazzi à gauche) J'ajoute que, pour l'image du Sénat, je crois moins à la communication de l'institution qu'à la valorisation du travail des sénateurs.

M. Jean-Louis Carrère.  - Discours de campagne !

M. Jean-Pierre Raffarin.  - La nouvelle Ve République devra prendre forme au Sénat : les libertés nouvelles devront être pleinement exercées ! Au-delà des textes, ce sont nos pratiques, notre état d'esprit, qui doivent évoluer. La modernisation du Sénat est déjà en cours, le Président du Sénat avait engagé une auto-réforme avec le soutien de mon Gouvernement. Jamais, sans doute, le besoin de Sénat n'a été aussi criant : le Sénat est l'irrévocable Édit de Nantes de la République, selon la forte expression de Maurice Schumann. Soyons clairs, le Sénat n'est pas une monnaie d'échange pour le Congrès et les sénateurs de la majorité ne céderont à aucune pression. (« Très bien ! » à droite) Nous savons ce que nous pouvons changer...

M. Bernard Frimat.  - Rien !

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Nous savons aussi ce que nous devons préserver. Notre position est ferme -mais pas fermée. Le Président de la République a fait des propositions que nous approuvons. Serons-nous les seuls parlementaires au monde à dire non à des libertés ainsi proposées ? Allons-nous refuser de tempérer le pouvoir présidentiel, d'évaluer l'action publique, d'anticiper davantage les attentes de la société et d'injecter de la prospective dans le processus législatif ? Notre vote nous engage gravement. Nous nous fixons un objectif : inventer le Parlement du XXIe siècle. Le défi n'est pas mince : je ne le crains pas. « La France vient du fond des âges, elle vit, les siècles l'appellent », c'est pourquoi seul l'immobilisme pourrait l'atteindre. Je vous propose donc de relever ce défi. Depuis qu'à cette tribune Victor Hugo nous a dit : « Sénateurs, montrez que vous êtes nécessaires »...

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Pitié, Jean-Pierre...

M. Jean-Pierre Raffarin.  - ... nous sommes toujours face à la nécessité de gagner la confiance des Français, par et pour le service de la France. (Vifs applaudissements à droite)

M. Guy Fischer.  - Quatre petites heures de discussion générale pour un projet de loi constitutionnelle jugé par ses auteurs comme le plus important depuis 1958, c'est bien peu. Où est le grand débat national, démocratiquement nécessaire dès que l'on touche à l'équilibre de nos institutions ? Des opérations se trament à l'heure actuelle pour gagner quelques voix à Versailles. Où est le référendum tout aussi nécessaire, comme en 1958, comme en 1962, comme en 1969, comme en 2000 ? Mme Borvo Cohen-Seat a évoqué l'absence de rééquilibrage et même la dérive présidentialiste -certains professeurs de droit constitutionnel évoquent même une dérive consulaire, en référence au jeune Bonaparte.

Une chose est certaine, ce texte ne répond pas à l'attente, plus forte à chaque consultation, des Français : rapprocher le citoyen de ses représentants et des centres de décisions européens. Le projet constitutionnel ne fait qu'effleurer le sujet ; pire, il impose un traité, celui de Lisbonne, désormais caduc ! Ainsi s'accumulent dans notre Constitution les vestiges des défunts traités. Comment commencer ce débat sans tirer les leçons de la crise institutionnelle européenne et évoquer la hiérarchie des normes, nationales et européennes ?

Rien n'est prévu pour restaurer le lien entre institution et citoyen, sinon une initiative parlementaire s'appuyant sur une démarche populaire extrêmement encadrée. La démocratie participative reste lettre morte. L'idée d'une représentation proportionnelle avancée à plusieurs reprises par Nicolas Sarkozy est à présent repoussée d'un revers de main, alors que 81 % des Français y sont favorables. Plus question non plus du droit de vote des étrangers. M. Karoutchi affirme que cette réforme n'est « ni de gauche, ni de droite ». (M. le ministre le confirme) Pas de gauche, j'en conviens ! Le combat des forces qui portent l'espérance des plus faibles, des exploités, n'a pas d'écho dans un texte qui concentre les pouvoirs dans la main d'un seul homme et brise le débat parlementaire.

La conception et la construction de ce texte sont fondées sur une hypocrisie fondamentale. On nous répète que la réforme restaurera les droits du Parlement et bridera le pouvoir exécutif. Depuis un an, Nicolas Sarkozy agite un leurre ; il a été relayé par M. Balladur et le Gouvernement. Véritable campagne d'intoxication ! Parmi les porte-parole et les ministres, Mme Dati fait fort -« le pouvoir législatif sort profondément renforcé »- mais c'est M. Karoutchi -une « révolution attendue depuis des décennies par tous les groupes parlementaires »- qui décroche le prix du meilleur vendeur. Le ministre a même indiqué que le texte allait « rendre à chaque parlementaire un vrai rôle, une vraie identité et lui donner une vraie influence dans l'élaboration des lois ». Bref, plus c'est gros, mieux ça passe ! (M. Carrère applaudit)

M. Jean-Claude Carle.  - C'est un spécialiste qui le dit...

M. Guy Fischer.  - Mais quel mépris à l'égard des assemblées... Le président de l'Assemblée nationale, ne voulant pas être en reste, a vu dans votre réforme « une chance historique de renforcer les pouvoirs du Parlement ». Mais pourquoi ne pas avoir fait confiance au Parlement pour élaborer cette révision le concernant, affirmez-vous, en premier lieu ?

Comme l'indiquait le professeur Sur, spécialiste du droit constitutionnel : « Qu'une commission nommée par l'exécutif octroie des droits nouveaux au Parlement a quelque chose de paradoxal, presque d'indécent ».

Il a proposé une formule très pertinente : « ce prétendu renforcement du Parlement n'est que la salade qui entoure le rôti ». (Rires à gauche) Le « rôti », c'est la présidentialisation du régime, mise en place selon la politique de l'artichaut, feuille par feuille. Ce projet est trompeur, beaucoup aujourd'hui s'en rendent compte. La baudruche se dégonfle au fil des semaines. M. Hyest ne masque d'ailleurs pas grand-chose dans son rapport, et il expose sans sourciller comment les droits des parlementaires sont presque réduits à néant. La primauté du débat en commission, la restriction du droit d'amendement et les nouvelles modalités de fixation de l'ordre du jour constituent une agression voilée mais extrêmement violente contre la démocratie parlementaire.

Le travail en commission nous est présenté comme une panacée. J'attache une grande importance à ce travail préparatoire, mais il doit demeurer un prélude à la séance publique, qui est le lieu naturel de la confrontation d'idées, de la présentation des propositions des groupes politiques et des parlementaires. Limiter le travail législatif au débat en commission, c'est mettre à mal le pluralisme, car seuls les groupes importants peuvent s'y assurer une présence forte et régulière. C'est également un coup porté à la transparence, car les commissions subissent la pression des lobbies, véritables fléaux. Le fait de discuter en séance publique sur la base du texte élaboré en commission et non plus du projet gouvernemental est présenté comme une avancée démocratique. C'est un mensonge. Il s'agit en fait d'un tour de passe-passe destiné à modifier profondément la nature du débat en séance publique. Faisons le lien avec l'article 18 du projet, qui stipule que le droit d'amendement s'exerce en séance publique ou en commission. Le « ou » est fondamental : on pourra ainsi contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, depuis 1990, donne à chaque parlementaire le droit d'amender en séance publique. Le but poursuivi est clair : vous voulez étendre la pratique de la procédure simplifiée, qui interdit aux parlementaires de débattre sur un texte. Cette procédure est aujourd'hui limitée à des textes dont l'impact politique est faible, comme les conventions internationales ; tout groupe parlementaire peut d'ailleurs s'y opposer. Ce qui nous est proposé aujourd'hui, c'est de généraliser cette procédure et de retirer aux groupes la possibilité de s'y opposer en renvoyant la décision à la Conférence des Présidents, donc à la majorité.

Vous prévoyez, monsieur le rapporteur, une loi organique qui précisera la portée de ce nouveau dispositif ; mais son contour reste flou. Elle aurait dû être déjà élaborée et présentée aujourd'hui aux parlementaires. Avec une franchise inquiétante, M. Hyest évoque la possibilité d'une adoption complète des textes de lois en commission, tout en affirmant que les Français ne sont pas encore prêts à cette évolution.

Le droit d'amendement est également attaqué par la mise en place d'un véritable 49-3 parlementaire. En effet, les motivations de l'article 18 sont claires. Voici ce qu'on lit dans le rapport du comité Balladur, dont cet article est inspiré : « la principale proposition du comité est de donner à la Conférence des Présidents de chaque assemblée la charge de fixer une durée programmée de discussion pour l'examen des propositions de lois. Cela suppose que le temps de la discussion, y compris celui consacré aux motions de procédure, à la discussion générale et à celle des articles, soit réparti entre les groupes politiques. Une fois écoulé le temps de la discussion, celle-ci serait close et l'on en viendrait au vote. En cas de besoin, la Conférence des Présidents pourrait décider qu'il y a lieu de prolonger le débat en accord avec le Gouvernement ». Cette tentation de réduire le débat démocratique est grave. Le prétendu renforcement des droits du Parlement est en réalité un renforcement du fait majoritaire. Les droits de l'opposition seront foulés au pied par une Conférence des Présidents acquise au pouvoir exécutif. Pour le Président de la République et l'UMP, rehausser les droits du parlement c'est étouffer le droit d'amendement et la séance publique. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Louis Carrère.  - Très bien ! Mais de toute façon, nos collègues de la majorité n'écoutent pas !

M. Guy Fischer.  - J'évoquerai enfin la nouvelle organisation de l'ordre du jour. Il s'agit d'un recul programmé de la séance publique dédiée au travail législatif. Faire la loi est la prérogative première de la représentation nationale depuis la Révolution française ; mais ce principe républicain est aujourd'hui remis en cause. Deux semaines seraient consacrées à l'examen des textes du Gouvernement et à des débats thématiques, une semaine au contrôle et une journée serait consentie aux groupes non majoritaires. Mais le Parlement doit être totalement maître de son ordre du jour !

S'il souhaite légiférer quatre semaines sur quatre pour répondre aux besoins du peuple, il en a le droit, il en a le pouvoir, il en a le devoir. Le Gouvernement impose au Parlement un véritable corset, dont le Président de la République peut resserrer les liens selon son bon vouloir et les exigences de l'heure, avec la complicité du groupe majoritaire des deux assemblées. (Protestations à droite) On comprend mieux la volonté de l'UMP de conserver la maîtrise du Sénat contre vents et marées, contre la volonté populaire.

La véritable ambition du pouvoir en place, c'est de changer le régime, de porter un coup masqué à la démocratie. Les sénateurs du groupe CRC refusent cette rupture d'équilibre au profit du Président de la République et au détriment du pluralisme et du débat démocratique. Ils voteront contre ce texte sans hésitation. (Applaudissements sur les bancs communistes et socialistes)

M. Nicolas Alfonsi.  - Ce projet de révision constitutionnelle est d'une ampleur sans précédent, et il est malaisé d'en prendre une vue d'ensemble. Au-delà du terme commode mais ambigu de « modernisation », ce texte a deux objectifs principaux : rééquilibrer les institutions en faveur du Parlement et renforcer la protection des droits fondamentaux. Sur ce dernier point, nous approuvons la création d'un Défenseur des citoyens, avec certaines réserves au sujet de son champ de compétence et de la concurrence avec les autorités indépendantes déjà en place. Nous sommes également favorables à l'amélioration du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, sous réserve de son caractère paritaire, à la possibilité ouverte aux justiciables de contester la constitutionnalité des lois, par une procédure de renvoi préjudiciel au Conseil constitutionnel...

M. Michel Charasse.  - C'est ce que voulait François Mitterrand !

M. Nicolas Alfonsi.  - ...au principe d'égal accès des hommes et des femmes aux fonctions publiques ou privées et à l'affirmation selon laquelle les langues régionales appartiennent au patrimoine de la République, même si son inscription dans l'article premier peut surprendre.

S'agissant du rééquilibrage entre les pouvoirs publics, il faut soutenir les mesures renforçant les pouvoirs du Parlement. Mais ce renforcement n'est-il pas illusoire ? Certes il est temps de desserrer l'étau du parlementarisme rationalisé, et nous approuvons la meilleure répartition de l'ordre du jour, la discussion en séance sur la base des textes adoptés en commission, l'augmentation du nombre des commissions permanentes, l'assouplissement du droit d'amendement, l'allongement du délai d'examen des textes. Nous sommes également favorables à la faculté de consulter pour avis le Conseil d'État au sujet des propositions de lois, à l'amélioration du contrôle et de l'évaluation des politiques publiques, notamment par des résolutions sur des actes communautaires, à l'obligation d'informer le Parlement des interventions des forces armées à l'étranger et à la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel au sujet de la durée d'exercice par le Président de la République des pouvoirs exceptionnels prévus par l'article 16.

Mais la modification des responsabilités au sein du pouvoir exécutif suscite davantage de perplexité. D'une part, la modification du rôle du Premier ministre dans le domaine de la défense nationale ne s'impose pas. D'autre part, le changement du mode de communication du Président de la République avec le Parlement appelle une appréciation nuancée. Le droit d'accès du Président de la République aux assemblées rompt avec une longue tradition parlementaire héritée des débuts de la IIIe République, pleinement justifiée par l'absence de responsabilité du Président devant l'Assemblée nationale.

M. Michel Charasse.  - Cela date de Thiers !

M. Nicolas Alfonsi.  - Mais la révision proposée n'a apparemment pour objet que de moderniser le droit de message. D'ailleurs, le Président est appelé à s'exprimer dans l'enceinte de parlements étrangers, et des chefs d'État étrangers se sont déjà exprimés devant le parlement français. Est-ce un argument suffisant pour rompre avec une longue tradition et pour mettre en place un dispositif qui risque de faire sortir le Président de son rôle d'arbitre et de porter atteinte à son crédit ?

Sans doute, l'inconvénient que représente l'intervention, sans débat ni vote, du Président de la République devant l'Assemblée nationale, alors que seul le Gouvernement est responsable devant elle, a été atténué puisqu'il est désormais prévu que le Président de la République ne peut prendre la parole que devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Est-ce à dire que le Congrès devrait être convoqué une fois par an ? A tout moment ? Une chose est sûre, il lui faudrait s'habituer à se réunir à Versailles pour ne pas voter ! Troublante innovation quand on sait que jusqu'à ce jour les congrès à Versailles se concluaient toujours par un vote.

M. Jean-Louis Carrère.  - À la lanterne !

M. Nicolas Alfonsi.  - Nul ne peut prévoir la pratique institutionnelle qui résulterait d'une telle disposition... Et que penser de cette acclimatation aux institutions de la Ve République de dispositions inspirées du régime présidentiel américain -adresse au Congrès, interdiction d'exercer plus de deux mandats présidentiels, avis parlementaire sur les nominations considérées comme les plus importantes ?

Certaines mesures, enfin, inutiles ou incertaines, entretiennent le doute et appellent des réserves. Certaines dispositions du projet recouvrent des mesures de convenance dont la justification objective n'a pas été exposée avec suffisamment de clarté. Ainsi du droit de retour automatique au Parlement de ministres démissionnaires, qui, déjà envisagée puis abandonnée en 1974, outre qu'elle ne répond pas à l'esprit de la Ve République, serait sans effet sur la stabilité gouvernementale, mais pas sans conséquence sur l'instabilité ministérielle au sein du Gouvernement.

D'autres mesures s'apparentent à un trompe-l'oeil. Ainsi, la limitation des conditions dans lesquelles le Gouvernement peut engager sa responsabilité sur un texte devant l'Assemblée nationale constitue-t-elle un réel renforcement des droits du Parlement, alors que cette responsabilité n'a été mise en jeu qu'à trois reprises depuis dix ans. Est-ce donc par cette rupture profonde avec la tradition de la Ve République que s'augmentera, aux yeux de l'opinion, le crédit du Parlement ? De même, le référendum d'initiative mixte, difficilement praticable, constitue-t-il un réel progrès ?

Enfin, la Constitution ne saurait comporter de mesures de circonstances. A force de faire, défaire, puis refaire la Constitution au gré de l'évolution de nos réflexions sur l'élargissement et en particulier sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, il est alors à craindre que les détenteurs du pouvoir constituant ne se déterminent plus qu'en fonction des convictions politiques du moment.

M. Gérard Delfau.  - Très bien !

M. Nicolas Alfonsi.  - Nous avons apprécié les efforts du président Hyest pour parfaire ou modifier le texte adopté par l'Assemblée Nationale, à l'exception du scrutin sénatorial, sur lequel nous exprimons nos plus expresses réserves. Si notre commission des lois a ainsi amélioré ce texte pour le moins baroque, bien des réserves demeurent. Vous connaissez les sensibilités différentes qui s'expriment au sein de notre groupe, et qui viennent encore de s'enrichir : ouvert à la discussion et ne nourrissant aucun préjugé, il se déterminera, à la fin du débat, en fonction des améliorations qui lui seront apportées. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et sur quelques bancs à gauche)

M. Nicolas About.  - Dans la grande révision constitutionnelle qui nous est présentée dans le but de moderniser les institutions de la Ve République, un point, central, nous concerne plus directement : la rénovation des méthodes de travail du Parlement. Si j'interviens donc en qualité de président de la commission des affaires sociales, ne concluez pas du fait que je n'aborde pas l'ensemble des autres dispositions que je les tiens pour négligeables.

Cette révision présente, pour nous, deux intérêts majeurs. D'abord, elle vient affirmer solennellement que le rôle du Parlement consiste, parallèlement à sa mission la plus sacrée de législateur, à exercer sa puissance de contrôle de l'action du Gouvernement. Ce n'est certes pas une innovation. Nous effectuons depuis longtemps cette tâche difficile, qui mobilise du temps, de l'énergie et des moyens, notamment humains, bien que ceux-ci demeurent encore réduits au regard de l'ampleur de la tâche. C'est dans cet objectif que nous avons créé, au sein de la commission des affaires sociales, une mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la Mecss, qui fait désormais -je puis le dire sans immodestie puisque c'est à son président Alain Vasselle qu'elle le doit- figure d'expert dans le monde austère des finances sociales. Je suis très satisfait du choix que nous avons fait de mêler étroitement vote des lois -la loi de financement de la sécurité sociale pour ce qui nous concerne ici- et organe de contrôle : on sait ainsi comment et quoi contrôler avec pertinence, tout en préparant, sur un mode prospectif, les réformes à venir. C'est pourquoi je ne doute pas qu'après voir obtenu la reconnaissance de la Mecss en loi organique, notre Assemblée s'emploiera à réaffirmer officiellement son existence dans notre règlement intérieur, appelé à être profondément remanié à l'issue de la révision. D'autant que la procédure pratique d'examen des textes devrait rompre avec les habitudes solidement ancrées acquises depuis 1958. La rupture qui sera, pour nous, la plus sensible, tient au fait qu'il nous est proposé de débattre désormais en séance publique sur le texte issu des travaux de la commission saisie au fond. C'est là une revendication ancienne, répondant à un souci de respect du travail parlementaire. Il en découlera néanmoins un certain nombre de difficultés techniques qu'à n'en pas douter nous saurons résoudre dans notre Règlement, mais sur lesquelles nous avons encore besoin, madame la ministre, d'éclaircissements. Je pense notamment aux modalités pratiques d'application de l'article 40, à l'ardente nécessité d'une présence renforcée au stade du débat en commission, afin d'être assuré de bien rendre compte de la diversité de ses opinions et de la majorité qui s'en dégagera, à la rigueur et à la sérénité qui doivent présider à l'adoption de son texte dès lors qu'il fera foi en séance publique... Des amendements ont été présentés sur ce point, y compris par moi-même, et je ne doute pas que nous en tirions les éléments nécessaires à notre réflexion. Je souhaite aussi que les nouveaux délais d'examen qui, nous dit le texte du projet de loi, devraient nous être accordés pour laisser aux parlementaires le temps de travailler, soient considérés comme une règle impérieuse et respectés.

Soyez assurés de mon souci de faire en sorte que notre norme constitutionnelle reflète les préoccupations de notre société dans la diversité de ses composantes, se préoccupe de l'égalité des chances et de la bonne gestion des finances publiques. (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP et du centre.)

M. Robert Badinter.  - Je m'associerais volontiers aux propos liminaires du président de Rohan, qui a salué la mémoire du grand homme que fut le fondateur de notre Ve République. Jamais nous n'aurons assez de reconnaissance envers celui qui a sauvé l'honneur de la France face à l'immonde régime de Vichy. Je suis sensible au fait qu'il ait rappelé que François Mitterrand, devenu Président de la République, avait scrupuleusement respecté la Constitution, comme c'était son devoir de républicain. Mais je rappelle qu'il disait volontiers que si avant lui, la Constitution était dangereuse, après lui, elle le redeviendrait... (M. Carrère applaudit)

Quelles brillantes perspectives n'avait-on pas d'abord ouvertes en annonçant cette révision constitutionnelle. Si l'on en croit la lettre de mission du comité Balladur, il ne s'agissait de rien moins que de « redéfinir les relations entre les différents membres de l'exécutif » -entendez, le Président de la République et le Premier ministre-, d'« encadrer les pouvoirs du Président de la République par de réels contre-pouvoirs », de « régulariser les rapports entre le Parlement et l'exécutif », de « s'interroger sur l'opportunité de reconnaître dans la Constitution l'existence d'un véritable pouvoir judiciaire », sur la nécessité, quant aux modes de scrutin, qui « ont à l'évidence un effet majeur sur l'équilibre des institutions, de « s'interroger sur l'opportunité d'introduire une dose de représentation proportionnelle au niveau national pour les élections législatives ou sénatoriales » ! Bref, un grand souffle réformateur allait passer sur la Constitution de la Ve République. (Rires à gauche) C'était exactement ce que Napoléon, de retour de l'île d'Elbe, avait demandé à Benjamin Constant. On en connaît le produit : ce fut le texte étriqué de l'acte additionnel aux Constitutions de l'Empire que Chateaubriand se plaisait à appeler ironiquement la Benjamine. Appellera-t-on celle-ci l'Édouardienne, ce qui aurait un joli parfum anglais qui conviendrait bien à son auteur ? Mais tant de propositions du comité Balladur ont disparu en cours de route, ou ont été altérées, qu'il serait sans doute préférable de lui rechercher un sobriquet par référence à son inspirateur. La Nicolette ? Ce serait charmant... mais le fossé est si large entre les proclamations de départ et les dispositions que nous aurons à l'arrivée que ce sera une révision qui aura fait « pschitt », selon un mot cher à Jacques Chirac...

En matière constitutionnelle, la portée d'une réforme ne se mesure pas au nombre mais à l'importance des règles adoptées et il suffit parfois de modifier un seul article pour changer la nature des institutions : ce fut le cas lorsque le général de Gaulle fit voter la réforme de 1962.

Dans le texte proposé, les dispositions sont nombreuses, mais il n'est pas porté remède au défaut majeur de nos institutions : l'hyper puissance du Président de la République. Depuis 1962, depuis l'instauration de son élection au suffrage universel -disposition à laquelle les Français sont aujourd'hui si attachés qu'il paraît démocratiquement impossible d'y porter atteinte-, nous vivons sous le régime de l'omnipotence d'un homme -peut-être demain d'une femme- élu certes par le peuple mais qui, pendant son mandat, jouit de pouvoirs supérieurs à ceux de tout chef d'État ou de gouvernement dans les autres démocraties occidentales. Comme l'a dit tout à l'heure le Premier ministre, un tel régime est une monocratie, le gouvernement d'un seul. Le meilleur commentaire en a été fait par le Général de Gaulle lui-même dans sa célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964 : «L'autorité indivisible de l'État est confiée toute entière au Président par le peuple qui l'a élu, il n'en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire qui ne soit conférée et maintenue par lui ». Cette écrasante omniprésence du Président ne s'efface qu'en cas de cohabitation. Or la réforme de 2000, en instaurant le quinquennat et en faisant se succéder élections présidentielle et législatives, a écarté, hormis circonstances extraordinaires, toute cohabitation.

C'est cette conjonction de l'élection directe par le peuple, et de la maîtrise de la majorité présidentielle à l'Assemblée nationale qui assure au président français sa surpuissance. Il n'y a pas, comme aux États-Unis, d'autonomie réelle du pouvoir législatif. Le président américain ne peut pas dissoudre la Chambre des représentants ni le Sénat, La séparation des pouvoirs n'est pas là-bas une formule, c'est une réalité. Alors qu'en France, le Président de la République, véritable aigle à deux têtes, est le maître souverain de l'exécutif nommant et renvoyant à sa guise les ministres, y compris le Premier, il contrôle en même temps politiquement le pouvoir législatif via le principal parti dont il est le chef. « Cy veut le Roi, cy veut la loi » disait l'adage de l'Ancien Régime. Le président français, via la majorité présidentielle, est en fait le principal législateur français.

Si on y ajoute le pouvoir de nomination aux grands emplois de l'État, on a la mesure d'un pouvoir présidentiel sans équivalent et d'autant plus grand qu'il s'exerce sans que la responsabilité politique du Président soit jamais engagée en cours de mandat par ses décisions. Ainsi l'échec du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen n'a eu aucune conséquence politique. Par un paradoxe constitutionnel unique en France, le Président peut tout et il n'est responsable de rien. On ne peut mieux définir la monocratie à la française.

La vraie question dès lors, à propos de ce projet de révision est : réduit-il effectivement la prédominance excessive du pouvoir présidentiel ? La réponse est hélas pour l'essentiel négative. Ce n'est pas un rééquilibrage de la Constitution qu'on vous demande de voter, c'est tout au plus un lifting ! Le projet conserve l'essentiel des pouvoirs du Président. Laissons de côté l'accessoire : le renoncement aux grâces collectives. Il n'est pas obligé d'exercer ce droit mais pourquoi inscrire dans la Constitution que nul ne le pourra plus alors que ces grâces, face à la surpopulation pénale et aux canicules de l'été, sont souvent la seule façon d'éviter des explosions carcérales ?

Oublions la légère modification des conditions de mise en oeuvre de l'article 16. Nous avons l'État de siège et l'État d'urgence et ces dispositions suffisent à la sûreté républicaine.

Même inutilité pour la limitation à deux du nombre des mandats successifs : cette disposition avait déjà été débattue en 2000 mais écartée : pourquoi se priver dans des périodes très graves pour le pays -en cas de guerre par exemple- d'un bon Président qui aurait la confiance des Français ? Et en temps ordinaire, tels que sont les Français, il est douteux qu'ils accordent leurs suffrages trois fois consécutives à un même président...

Reste la véritable innovation : la prise de parole du Président devant le Parlement réuni en Congrès, suivie d'un débat hors sa présence. Il y a plus là que la volonté de mettre en scène l'éloquence présidentielle. En s'exprimant devant le Parlement réuni, le Président apparaîtra physiquement comme chef de la majorité parlementaire : c'est elle qui applaudira longuement les bons passages et se lèvera pour l'ovation finale. Elle approuvera ainsi spectaculairement le programme d'action du Président et, du coup, le rôle traditionnel du Premier ministre comme chef de la majorité parlementaire sera effacé aux yeux de tous. Ce sera la « présidence impériale » se montrant en majesté à Versailles.

Quant au pouvoir de nomination à certaines hautes fonctions, le Président avait annoncé que le Parlement y serait dorénavant associé et le comité Balladur avait prévu qu'une commission parlementaire serait constituée pour donner son avis sur les projets de nomination. Mais par un admirable tour de passe-passe, le projet voté par l'Assemblée stipule que le Président ne peut passer outre un avis négatif de cette commission... s'il a recueilli une majorité des trois-cinquièmes. Exit alors toute possibilité de recherche d'un consensus sur ces nominations et l'opposition, comme toujours, demeure sans recours.

Que le Parlement débatte à partir du rapport adopté par les commissions, qu'il bénéficie d'une maîtrise partielle de l'ordre du jour -un cheval pour la majorité, une alouette pour l'opposition-, que le droit d'amendement s'exerce plus librement, ce sont de petites avancées. Mais peu importe quand le pouvoir qui compte vraiment, c'est le pouvoir du Président qui s'exerce au Parlement à travers la majorité dont il est le chef. Les deux mains, celle de l'exécutif et celle du législatif obéissent au même cerveau, celui du Président. C'est cela, la monocratie. Une volonté réelle de rééquilibrage passe par la reconnaissance de droits nouveaux à l'opposition. Est-ce le cas ? On nous promet un statut de l'opposition mais on n'indique nulle part que la présidence de certaines commissions lui serait confiée, ni que l'ordre du jour sera plus avantageux pour elle... Et que dire du maintien de l'article 49-3 dont on pensait qu'il allait enfin disparaître, hors lois de finances et de financement, mais qui réapparaît dans le texte de l'Assemblée nationale ?

Sur le changement de la loi électorale, nous n'avons pas d'annonce précise et, à propos du Sénat, il n'est question que de maintenir la situation actuelle, telle que l'a interprétée le Conseil constitutionnel. Mais, au lieu de la constitutionnalisation explicite de la décision du Conseil constitutionnel, on préfère plus habilement une constitutionnalisation implicite de cette interprétation qui a pour effet d'interdire à vue humaine tout changement de majorité au Sénat. Comme le pouvoir de révision constitutionnelle passe par l'accord de la majorité sénatoriale, celle-ci pourra s'opposer à toute modification que voudrait la gauche majoritaire à l'Assemblée nationale. C'est quasiment à perpétuité que la majorité sénatoriale entend condamner les forces de gauche à rester minoritaires au Sénat. Cela conduit l'opposition à rester éternellement telle. Belle avancée démocratique !

Les droits des citoyens doivent avoir une importance particulière en démocratie ; je me réjouis bien sûr des avancées sur ce terrain.

J'éprouve une satisfaction personnelle à voir acceptée l'exception d'inconstitutionnalité. J'en ai été l'instigateur dès 1989 et j'avais réussi à convaincre François Mitterrand qui était trop attaché à la souveraineté parlementaire pour s'y montrer spontanément favorable. Le filtre que j'avais prévu devait éviter la surcharge du corps judiciaire et le pénétrer de l'importance des principes constitutionnels. J'espère que cette disposition sera adoptée. Il me semble me souvenir que le Sénat lui avait opposé deux fois son veto...

Quand je regarde la réalité de cette révision, au-delà des proclamations et des annonces, je retrouve le mot sublime que Tommaso de Lampedusa prête à Tancrède Falconeri dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». (Vifs applaudissements à gauche)

M. Josselin de Rohan.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) En cinquante ans, notre Constitution a été révisée vingt-trois fois. Cette révision-ci est justifiée par la volonté de rééquilibrer les pouvoirs au profit du législatif. Le parlementaire que je suis ne peut que s'en réjouir, mais une disposition de ce projet de loi remet en cause l'équilibre de la Constitution, d'une manière à la fois contestable et dangereuse : il s'agit de la réforme proposée de l'article 49-3.

Sa mise en place, en 1958, devait remédier à un défaut majeur des républiques antérieures : dans la pratique, les majorités se disloquaient avant le vote à la majorité absolue qui était censé les renverser et le gouvernement démissionnait sans attendre que la confiance lui ait été explicitement refusée. L'exécutif était ainsi privé des moyens de gouverner sans que personne n'ait pris la responsabilité directe de sa chute. C'est à l'initiative conjointe de Pierre Pflimlin et de Guy Mollet, forts de leur expérience d'anciens présidents du Conseil, que l'article 49-3 fut introduit dans la Constitution. Son objectif était double : il s'agissait de contraindre une majorité craintive ou rétive à accepter un texte qu'elle ne voulait pas mais que le gouvernement jugeait indispensable ; cet article devait aussi donner à l'exécutif les moyens de mettre un terme à la pratique d'obstruction dénommée filibuster, qui retarde le vote des lois et peut ainsi bloquer l'action du gouvernement.

Michel Debré considérait l'article 49-3 comme l'ultima ratio. Son abus démontre la faiblesse d'un gouvernement à qui manque la pleine confiance de sa majorité, et il donne du parlementarisme une image caricaturale.

La motion de censure est le pendant et la réplique de cet article : il est normal que l'opposition dénonce la politique qu'elle réprouve. Chacun est ainsi amené à prendre ses responsabilités.

L'utilisation excessive du 49-3 par certains gouvernements a conduit à le mettre en cause. Il a été utilisé 39 fois entre juin 1988 et avril 1993, dont 28 fois par le gouvernement Rocard.

Que nous propose-t-on ? D'encadrer cet article qui, hors lois de finances et de financement, ne pourrait être utilisé qu'une seule fois dans l'année. Ce serait dangereux pour le gouvernement, qui serait privé d'une arme dont la puissance réside dans sa capacité dissuasive ; or, comme l'a dit tout à l'heure M. Raffarin, une arme qui ne peut servir qu'une fois est dépourvue de crédibilité. De plus, l'expérience montre que les majorités parlementaires ne sont pas toujours solides. Celle de 1967 ne tenait qu'à une voix, celle de 1988 à guère plus, et si devait être réintroduite la représentation proportionnelle, rêvée par certains, reviendrait le temps des majorités improbables, des alliances douteuses et des coalitions instables. Conjuguée avec les autres dispositions de ce texte, la restriction de l'usage du 49-3 conduirait une majorité frileuse ou frondeuse à paralyser l'exécutif. Le Gouvernement devrait négocier pied à pied, pendant une session de sept mois. L'issue de ce combat n'est pas douteuse : l'inertie, l'attentisme, l'inaction guetteraient un gouvernement étrillé, avec en prime le discrédit.

Les rédacteurs du projet de loi ont tenté de désamorcer la critique, mais au prix d'une demi-mesure : il ne s'agit pas de rafistoler le 49-3 mais de le conserver ou de le supprimer. Je voterai donc l'amendement de la commission, en espérant que sa rédaction ne fera pas les frais d'un compromis ultérieur, mais sans beaucoup d'illusions...

En d'autres enceintes, d'aucuns objecteraient que le Sénat n'aurait pas à se prononcer sur une disposition qui ne le concerne pas. Quoi, je pourrais avoir un avis en tant que citoyen mais pas en tant que sénateur ! Il s'agit du Parlement et de l'équilibre des institutions : dès lors, aucune disposition du projet de loi ne saurait nous être étrangère. Nous sommes une assemblée constituante !

M. Jean-Louis Carrère.  - Très bien !

M. Josselin de Rohan.  - Cette réforme me fait penser à ce qu'avait dit le général de Gaulle en évoquant le Gouvernement dans la Constitution de 1946 : il estimait n'y avoir vu ni le mot, ni la chose. Je souhaite que l'on conserve le mot sans altérer la chose, car au moment où j'approche de mon soir, je ne veux pas revoir le temps de ma jeunesse où la République était inexistante, absente et discréditée ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Pierre Fauchon.  - Constatant que ce projet de loi comportait des dispositions multiples en apparence disparates, M. Alfonsi a parlé de texte fourre-tout et baroque, comme si le baroque n'était pas un grand style digne de considération. Pourtant, la réforme institutionnelle ne manque pas de cohérence. Elle tend à rééquilibrer notre démocratie en faveur du Parlement et -plus timidement, mais il faut vivre avec son temps- en faveur des citoyens.

Certes, le projet de loi fournit une nouvelle occasion de confrontation droite gauche et suscite des réactions contradictoires unissant dans un même combat conservateur le fétichisme des uns avec la surenchère des autres. Mais ne perdons pas de vue qu'il offre une occasion unique et inespérée de réanimer profondément notre vie politique, après une longue période d'enlisement qui a débouché sur l'impuissance des pouvoirs publics. Rappelez-vous ces manifestations de rue qui, il n'y a pas si longtemps, ont remplacé une opposition inexistante : elles furent élevées à la dignité de contre-pouvoir malgré leur caractère partiel et irresponsable. Giraudoux, déjà, avait écrit De pleins pouvoirs à sans pouvoirs.

Saluons cette entreprise opportune qui donnera peut-être à nos institutions le tempérament qui leur manque depuis l'élection du Président de la République au suffrage universel. Il est inutile de rappeler que ce phénomène a eu de profondes conséquences pour notre vie politique. Il a débouché sur un affaissement du Parlement, dont l'absentéisme est parfois le visage le plus visible et, il y a quelques jours, le plus affligeant.

Mais, tout en saluant la démarche et en contribuant à l'améliorer, est-il permis de douter qu'elle suffise à désenliser la vie publique ? Elle n'aborde pas l'épineuse question du cumul des mandats, dont nul ne parle.

M. Jean-Pierre Bel.  - Le suffrage universel règle cette question !

M. Pierre Fauchon.  - Bel exemple de convergence !

Je crains non pas un pschitt, mais le poids de la routine. En fait, nul ne sait par avance le résultat d'une réforme : lorsque M. Giscard d'Estaing a réformé la Constitution afin que soixante parlementaires puissent saisir le Conseil constitutionnel, il a suscité le scepticisme des milieux politiques, alors que cette disposition a profondément influencé notre République. Je souhaite une réforme plus radicale. Vous devinez que je songe à un régime présidentiel. Ce projet de loi nous en rapproche, mais sans franchir l'étape décisive, bien que le Premier ministre ne cache pas qu'elle aurait sa préférence.

Cette solution mettrait fin à la pseudo responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale, qui ne garantit que l'affaiblissement du Parlement. Elle ne changerait guère la vie de l'exécutif, mais assurerait au pouvoir législatif une confiance plus féconde que la loyauté. Ne devant plus disposer d'une majorité homogène, l'Assemblée nationale pourrait mieux refléter le pluralisme de l'opinion. En allégeant le poids des clivages partisans, on éviterait les affrontements stériles entre groupes, en faveur de majorités d'idées.

De bons esprits s'inquiéteront des risques de blocage induits par ce système, car notre tempérament conduit à l'affrontement plus qu'à la composition. Il faudrait donc imaginer un régime présidentiel à la française. Dans cet esprit, avec quelques amis, nous vous soumettrons des amendements, non dans l'espoir de bousculer les choses dans l'immédiat, mais afin d'élever le débat en vue d'une étape ultime mettant fin à la confusion paralysante dont la présente réforme aura du mal à nous sortir. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)

M. Pierre Mauroy.  - La Constitution de la Ve République aura cinquante ans le 4 octobre, une longévité record parmi les quinze constitutions françaises depuis 1789. Ses institutions ont eu le mérite de s'adapter à des contextes politiques et sociaux très différents. Elles ont survécu à vingt-trois modifications constitutionnelles et permis par trois fois la cohabitation d'un Président de la République et d'un Premier ministre de bords opposés. Je m'associe aux hommages que plusieurs orateurs ont rendus au général de Gaulle et à François Mitterrand, le premier pour avoir élaboré cette Constitution, le second pour l'avoir maintenue.

Pourquoi une nouvelle réforme ? À l'évidence, une modification institutionnelle ne peut résoudre la crise politique qui persiste depuis des années en France et en Europe, mais elle peut y contribuer. Les socialistes acceptent donc le principe, mais pas le texte dont nous débattons, qui est d'ailleurs loin de recueillir le soutien de la majorité. D'autres orateurs ont exposé les raisons des parlementaires socialistes. Je me bornerai donc à la présidentialisation accentuée du régime et au Sénat.

La révision de 1962 qui a instauré l'élection du Président de la République au suffrage universel direct a donné un tour présidentiel incontestable à nos institutions, bien que le Gouvernement reste responsable devant l'Assemblée nationale. Mais le fait majoritaire, puis le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral ont accentué les pouvoirs du Président de la République, puisque celui-ci cumule en pratique les fonctions de chef de l'État et celles de Premier ministre. Alors, de grâce, n'allons pas plus loin !

Or, l'article 7 du projet de loi, loin d'être anodin, modifie la nature de nos institutions, car il permet au Président de la République de « prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. » Il y a là une évolution emblématique vers le régime présidentiel, avec une personnalisation du pouvoir, que l'actuel chef de l'État applique d'ailleurs par anticipation. (Sourires)

Certains, de droite ou de gauche, souhaitent un régime présidentialiste à la française. J'y suis opposé, comme la majorité des socialistes.

C'est pourquoi nous défendrons tout à l'heure, comme l'ont fait les députés socialistes, un amendement de suppression de l'article 7 du projet.

Le régime présidentiel ne correspond ni à l'histoire politique de notre pays, ni au souhait des Français qui se souviennent que la seule expérience que la France ait connue de 1848 à 1851 a abouti au coup d'État du 2 décembre 1851 et à l'instauration du Second Empire. Et je ne parle pas des pleins pouvoirs accordés à Pétain qui ont mis fin au régime parlementaire : cela est hors normes.

Enfin, la tradition républicaine française ne permet pas d'importer un système à l'américaine, dont les règles d'équilibre entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire sont très différentes des nôtres.

Dès lors, qu'apporterait la venue du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès ? Nicolas Sarkozy explique que « puisque le Président gouverne, il doit être responsable ». Certes, mais devant qui ? Comme le Gouvernement a renoncé à faire du chef de l'État le chef de l'exécutif en ne modifiant pas l'article 20 de la Constitution, cette venue n'a pas de sens. Il ne peut pas être responsable devant le Parlement alors que lui-même est doté de la même légitimité que celle des parlementaires, celle du suffrage universel direct. Aucune des deux légitimités ne pouvant être supérieure à l'autre, le Président de la République ne peut être responsable que devant les seuls électeurs. Cette prise de parole du Président devant le Congrès ne ferait qu'ajouter à la confusion entre les deux têtes de l'exécutif, dont les rapports sont parfois difficiles, voire signeraient la fin de la fonction de Premier ministre telle que l'a conçue la Constitution. Or cette dualité n'a pas si mal marché depuis cinquante ans. Moi-même, je ne m'en suis pas plaint lorsque j'ai exercé la fonction qui fut la mienne : l'harmonie régnait entre le Président et le Premier ministre. Je ne sais pas ce qu'en pense aujourd'hui M. Fillon. (Sourires) Peut-être nous fera-t-il un jour des confidences... Quoi qu'il en soit, il faut conserver cette dualité qui a autorisé une souplesse de fonctionnement, le plus souvent favorable au Président, lequel tire sa force de la fonction d'arbitre que lui confie l'article 5 de la Constitution et qui le place au-dessus des contingences politiciennes. A lui de garder la force et la sagesse de cette fonction. Dès lors, pourquoi aller plus loin ?

Avec beaucoup d'entre nous, je suis un partisan convaincu du régime parlementaire et je me suis prononcé à de nombreuses reprises, et d'abord devant la Commission du doyen Vedel il y a quelques années, en faveur d'un Président de la République élu pour sept ans non renouvelables. Mais le temps a passé et nous ne reviendrons pas sur le quinquennat. Nous devons prendre le système tel qu'il est, avec ses forces et ses faiblesses, et, au contraire de ce qu'on nous propose, renforcer son aspect parlementaire. Si réforme de la Constitution il doit y avoir, l'urgence, aujourd'hui, porte sur le rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement dont l'effacement n'a que trop duré. Faisons donc en sorte que le parlement français occupe une place comparable à celle dont les autres parlements disposent dans les grandes démocraties européennes.

J'en viens à une question qui me touche plus particulièrement, celle du Sénat. La réforme qu'on nous propose contient certes quelques avancées, mais elles sont largement en deçà de ce qu'on pouvait attendre. En outre, certaines d'entre elles ne laissent pas d'être inquiétantes, comme l'article 18 qui pourrait aboutir à une restriction du droit d'amendement des parlementaires.

M. Bernard Frimat.  - Absolument !

M. Pierre Mauroy.  - Dès lors que le Gouvernement dit qu'il veut renforcer les droits du Parlement et de l'opposition, la question de la démocratisation du Sénat est centrale. Je me suis déjà exprimé sur cette question ici même, il y a deux semaines, lors de la discussion de notre proposition de loi relative à la réforme du mode d'élection des sénateurs, dont vous avez refusé de débattre au fond et que vous avez rejetée. Comment peut-on sérieusement vouloir renforcer le Parlement et s'opposer à ce que l'une des deux chambres qui le composent soit dans l'impossibilité de connaître l'alternance ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - C'est une affirmation gratuite !

M. Pierre Mauroy.  - Il ne peut exister deux types de sénateurs : les uns comblés, les autres condamnés à perpétuité ! (Exclamations à droite)

M. Jean-Pierre Raffarin.  - C'est faux !

M. Pierre Mauroy.  - Le rejet de notre proposition de loi nous faisait déjà douter de la sincérité du Gouvernement et de sa majorité. Le coup de grâce a été donné par les sénateurs de droite qui, la semaine dernière en commission des lois, ont poussé la provocation jusqu'à prétendre sceller dans le marbre constitutionnel, contre tout usage, un mode d'élection des sénateurs empêchant à tout jamais l'alternance dans notre assemblée ! C'est un véritable déni de démocratie qui, je l'espère, sera supprimé. Ce serait tout à fait inacceptable, comme l'a dit notre collègue Frimat. D'ailleurs, plus vous perdez de représentativité dans les collectivités territoriales, plus vous voulez garder le Sénat captif.

M. David Assouline.  - En captivité, madame la Garde des sceaux !

M. Pierre Mauroy.  - Plus vous serez intraitables sur ce sujet, plus nous serons combattifs. Et nous arriverons bien un jour à gagner ce combat car il s'agit là d'un pied de nez à la démocratie, à la Constitution et à la République. Il est indispensable de régler cette question et les sénateurs socialistes ne pourront que voter contre ce projet de loi, qui risque fort d'être celui d'une occasion manquée et qui présage bien mal de son propre avenir. Si vous souhaitez une Constitution modernisée, digne de la République, à vous d'accepter une réforme démocratique du Sénat. Si vous ne voulez pas de ce débat, il sera alors porté devant le peuple et j'espère bien que nous le gagnerons. (Applaudissements socialistes et sur divers bancs du groupe CRC)

M. Gérard Larcher.  - (Applaudissements à droite) Cette réforme institutionnelle qui modifie un tiers de la Constitution est importante...

M. David Assouline.  - Encore un discours de candidat !

M. Gérard Larcher.  - ... car elle concerne un sujet qui nous est cher : le Parlement. « Rationalisés » en 1958, ses pouvoirs sortent sensiblement renforcés de ce projet de loi constitutionnelle.

Les principaux éléments de cette revalorisation nous ont été exposés par le rapporteur, dont je tiens à saluer l'écoute et la très grande qualité du travail qu'il a accompli.

Les nouvelles prérogatives attribuées au Parlement répondent à une double exigence et nous lancent un double défi. Cette réforme permet en effet d'équilibrer les institutions de la Ve République, qui constituent l'un des legs majeurs du général de Gaulle à la France. Il a voulu qu'elles garantissent la stabilité gouvernementale. La France n'est plus le pays qui avait le triste privilège de changer de Premier ministre tous les six mois sous la pression des assemblées. En revanche, ces institutions répondent aussi à une exigence d'équilibre. Dans son discours de Bayeux, le général de Gaulle ne déclarait-il pas : « Tous les principes et toutes les expériences exigent que les pouvoirs publics -législatif exécutif, judiciaire- soient nettement séparés et fortement équilibrés » ?

Aujourd'hui, cette exigence d'équilibre a besoin d'être revisitée. Depuis 1958, l'élection du Président de la République au suffrage universel, le fait majoritaire, l'inversion des élections législatives et présidentielles puis le quinquennat ont transformé une Constitution faite pour protéger des majorités fragiles contre les minorités turbulentes en un instrument accentuant la bipolarisation de notre vie politique.

Sous les IIIe et IVe Républiques, la toute-puissance parlementaire annihilait l'efficacité gouvernementale : c'était une source d'altération du fonctionnement démocratique de notre pays. La Constitution de 1958 a corrigé la situation mais, depuis, la donne a changé. Le fait majoritaire, c'est-à-dire la constitution de majorités stables à l'Assemblée nationale, est une constante depuis 1962 et c'est lui qui fonde la prééminence du Président de la République quand les majorités présidentielles et parlementaires coïncident. C'est ce fait majoritaire qui assoit le pouvoir du Premier ministre en cas de cohabitation.

Avec le quinquennat et la tenue des élections législatives juste après celle du Président, les cas de cohabitation deviendront la grande exception. Dans un tel contexte, qui pousse à une redéfinition du rôle de Premier ministre, les mécanismes constitutionnels mis en place pour faire barrage à la toute-puissance parlementaire sont devenus surabondants. Ils tendent à constituer une gêne pour la vitalité du débat démocratique, dont le Parlement doit redevenir le lieu d'exercice.

Voilà pourquoi les deux assemblées doivent disposer d'instruments nouveaux pour qu'elles exercent pleinement leur rôle de contre-pouvoir, sans pour autant ouvrir la voie à un retour aux errements du « parlementarisme absolu ».

Le projet de loi répond également à l'exigence d'une plus grande participation de l'opposition à la vie parlementaire ; ses articles premier, 22 et 24 lui reconnaissent des droits particuliers qu'ils organisent, c'est une novation, selon une pratique proche de celle, très ancienne, du parlement anglais. Ces dispositions sont pour moi légitimes et inséparables de la revalorisation du rôle du Parlement ; elles participent à l'affermissement de son autonomie et transformeront le dialogue parfois trop singulier qui se noue entre le Gouvernement et sa majorité.

La voie ainsi tracée doit être approfondie par notre règlement et nos pratiques. Le respect de l'autre, l'acceptation d'un regard différent sont des valeurs républicaines, inséparables d'une conception dynamique du Parlement. A nous d'imaginer comment mieux les inscrire dans la vie de notre assemblée, sans altérer, bien sûr, la légitimité de la décision majoritaire. Je suis convaincu qu'une réforme de notre règlement est inéluctable ; ce sera un moment fort de la vie de notre assemblée, un acte essentiel pour lui donner un nouvel élan.

La réforme constitutionnelle, si elle est favorable au Parlement, lance aussi un double défi, et d'abord à l'opposition parlementaire. Le groupe socialiste est aujourd'hui confronté à un choix.

M. Jean-Louis Carrère.  - Oh non !

M. Gérard Larcher.  - Ses membres appartiennent à une famille de pensée qui, depuis plus de quarante ans, réclame une revalorisation du rôle du Parlement. Cette position n'est pas qu'intellectuelle, elle s'appuie sur une tradition politique dont ils sont les héritiers. En 1967, André Chandernagor, dont M. Mauroy fit plus tard un de ses ministres, publiait Le Parlement, pour quoi faire ?, un essai qui a nourri la réflexion de générations de juristes. Ce texte n'a pas tellement vieilli, si ce n'est la référence au Plan... J'ai été frappé de constater que la plupart de ses préconisations sont satisfaites par le projet de loi.

M. Jean-Louis Carrère.  - C'était il y a quarante ans !

M. Gérard Larcher.  - Qu'il s'agisse des droits nouveaux accordés au Parlement ou des droits de l'opposition...

M. Jean-Pierre Bel.  - Nous n'en avons pas !

M. Gérard Larcher.  - ... ou encore du nombre de commissions permanentes. André Chandernagor en voyait deux ou trois supplémentaires...

Que dire de plus ? Comme le Président de la République a confirmé la tenue du Congrès, l'opinion sera juge de la cohérence des choix des uns et des autres le moment venu. (Exclamations à gauche)

Je voterai cette réforme, qui est aussi un défi lancé au Sénat. Les neuf dixièmes des dispositions du texte concernant les assemblées confèrent au Sénat des pouvoirs égaux à ceux de l'Assemblée nationale, ce qui est d'ailleurs cohérent avec le quinquennat et la logique d'un gouvernement de législature. Il était nécessaire de conforter le rôle du Sénat, qui devient le lieu central de l'altérité institutionnelle. N'est-il pas le seul des pouvoirs d'État ne découlant pas du résultat d'élections au suffrage uninominal à deux tours ? Représentant des collectivités territoriales, ne tire-t-il pas sa légitimité d'une autre source que la loi du nombre en combinant représentation des populations, des territoires et des Français de l'étranger ?

M. Robert del Picchia.  - Très bien !

M. Gérard Larcher.  - N'assure-t-il pas la continuité indispensable à la stabilité de la République, dès lors que les deux autres pouvoirs élus nationalement voient leur mandat s'achever en même temps ? Son mandat n'est-il pas le seul qui n'obéisse pas au rythme du quinquennat ? Par la spécificité de son recrutement, par sa fonction, par la durée de son mandat, le Sénat assure une vision binoculaire à l'action des pouvoirs publics. (On apprécie à droite ; on s'amuse à gauche) Cette vision, c'est celle qui donne du relief ! Cette fonction d'altérité sera demain davantage impulsée par le droit, ce qui donne à notre assemblée une responsabilité accrue à laquelle elle ne se dérobera pas. Je suis persuadé qu'elle sera à la hauteur.

Je ne peux achever sans dire un mot des propos du Premier ministre Mauroy. Le Sénat a démontré qu'il ne craignait pas la réforme ; il s'est déjà réformé. Et nous avons un rendez-vous en 2014, je ne pense pas que l'alternance soit impossible.

M. Jean-Pierre Bel.  - Pourquoi pas maintenant ?

M. Gérard Larcher.  - N'utilisons pas un débat sur un texte qui revalorise le Parlement, qui refonde l'équilibre des pouvoirs à des fins qui ne concernent pas la Constitution. C'est une autre affaire, un autre débat, certes légitime mais qui ne doit pas justifier le choix qui sera fait demain à Versailles ! (Applaudissements à droite)

La séance est suspendue à 20 h 25.

présidence de M. Philippe Richert,vice-président

La séance reprend à 22 h 30.