LA PARTICIPATION À L'UNION EUROPÉENNE DANS LES TEXTES CONSTITUTIONNELS DES ÉTATS MEMBRES

La division de Législation comparée du Sénat a conduit une recherche sur l'inscription de la construction européenne dans les textes constitutionnels des États membres. Elle s'est concentrée sur des États plus souvent laissés de côté dans les comparaisons des constitutionnalistes que l'Allemagne et l'Italie dont les cours constitutionnelles entretiennent un dialogue remarqué avec la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE). Elle s'est aussi attachée à la lettre des textes sans aborder systématiquement la question de la primauté du droit communautaire ou des réserves ultra vires ou d'identité constitutionnelle. Bien que la jurisprudence des cours constitutionnelles ou suprêmes ne soit pas négligée, il s'agit surtout de rendre manifeste la diversité d'approche de l'écriture constitutionnelle en matière européenne, en particulier lorsqu'elle se distingue de la matière classique des relations internationales et de la conclusion d'accords internationaux. Ont été retenus sept pays, les Pays-Bas, la Belgique, l'Irlande, le Danemark, la Suède, la Finlande, l'Estonie et la Roumanie, traités dans l'ordre chronologique de leur adhésion

Aux Pays-Bas , la Constitution du 17 février 1983 révisée ne comprend aucune mention de l'Union européenne.

Cependant, ses dispositions relatives aux traités internationaux dessinent un régime moniste d'articulation entre le droit international et le droit national qu'il est intéressant d'examiner. Ainsi, l'article 90 demande au gouvernement d'encourager le développement de l'ordre juridique international et l'article 91 pose le principe d'une approbation préalable des traités liant les Pays-Bas par le Parlement, tout en renvoyant à la loi le soin de fixer les conditions qui permettent d'écarter cette obligation ou d'autoriser une approbation tacite ( stilzwijgende goedkeuring ). Dans le cas où des dispositions du traité ne seraient pas conformes à la Constitution, 107 ( * ) l'approbation parlementaire nécessite la majorité des deux tiers des suffrages exprimés (art. 91, al. 3), ce qui s'interprète comme une révision implicite de la Constitution.

Tout en tenant compte de cette dernière exigence, l'article 92 autorise le transfert par ou en vertu d'un traité des compétences à une organisation internationale en matière de législation, d'administration ou de justice. 108 ( * ) C'est l'article fondamental pour la participation des Pays-Bas à la construction européenne. Il convient de noter qu'une loi simple éventuellement adoptée à la majorité des deux tiers suffit pour l'approbation des traités européens. Le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel n'était pas une formalité nécessaire. Organisé sur le fondement d'une loi spéciale adoptée pour l'occasion, il n'avait pas d'autre valeur en principe que consultative, même si politiquement l'échec rendait impossible la ratification du traité constitutionnel européen.

La conception moniste des rapports entre les ordres international et national est rendue explicite par les articles 93 et 94. Ainsi, une fois publiées, les dispositions des traités et les décisions des organisations internationales ont force contraignante, dès lors que leur contenu peut concerner toute personne. 109 ( * ) Cette dernière expression donne lieu à des débats doctrinaux et jurisprudentiels mais vise globalement les dispositions qui contiennent des droits opposables par des individus. 110 ( * ) La Haute Cour néerlandaise dans son arrêt de principe sur l'application de la convention-cadre de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l'interdiction de fumer ( rookverbod ) a indiqué que l'effet direct du droit international (non coutumier) valait pour des dispositions inconditionnelles ( onvoorwaardelijk ) et suffisamment précises pour être immédiatement appliquées comme du droit objectif au sein de l'ordre juridique national. Le contenu matériel des dispositions du traité est déterminant lorsque l'intention de doter le texte d'un effet direct n'est ni explicitement mentionné, ni ne ressort de l'histoire des négociations. Toutefois, le simple fait de laisser une liberté de choix ou de politique à l'État signataire ne suffit pas à soi seul pour nier tout effet direct au droit international. 111 ( * )

La primauté des dispositions contraignantes des traités sur les dispositions légales en vigueur dans le royaume est garantie par l'article 94 de la Constitution 112 ( * ) , qui vaut également pour la Constitution néerlandaise elle-même dès lors que l'approbation d'un traité s'écartant de la norme constitutionnelle a respecté la condition de majorité renforcée de l'article 91.

Cependant, même si cette position de principe a facilité la reconnaissance des principes d'effet direct et de primauté du droit communautaire dégagés par la Cour de justice de l'Union européenne, les articles 93 et 94 de la Constitution néerlandaise relatif au droit international ne concernent pas le droit communautaire reconnu comme un ordre juridique propre. La Haute Cour néerlandaise considère que ces dispositions constitutionnelles internes ne sont pas pertinentes pour juger de l'application du droit communautaire aux Pays-Bas, qui résulte des traités européens conformément à la jurisprudence de la CJUE. 113 ( * ) En réalité, il faut plutôt interpréter la jurisprudence Rookverbod de 2014 de la Haute Cour néerlandaise à propos des articles 93 et 94 de la Constitution comme une extension à l'interprétation du droit international des principes régissant l'appréciation de l'effet direct et de la primauté du droit communautaire. Explicitement, le juge néerlandais défend une convergence ( naar elkaar toegroien ) des critères d'interprétation des traités internationaux et du droit communautaire.

Cette convergence d'interprétation est d'autant plus bienvenue qu'elle permet d'unifier les bases du contrôle de conventionnalité, essentiel à la protection des libertés publiques et des droits fondamentaux aux Pays-Bas, dans la mesure où l'article 120 de la Constitution néerlandaise interdit tout contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois et des traités 114 ( * ) .

En Belgique , le titre IV de la Constitution du 17 février 1994 révisée traite des relations internationales. Sur les quatre articles qui le composent, seuls les articles 168 et 168 bis sont explicitement relatifs à l'Union européenne. Ils visent respectivement à protéger les prérogatives du Parlement belge en cas de révision des traités et à adapter les élections européennes pour tenir compte de certaines spécificités locales dues à la division linguistique du pays. Ainsi, « dès l'ouverture des négociations en vue de toute révision des traités instituant les Communautés européennes et des traités et actes qui les ont modifiés ou complétés, les Chambres en sont informées. Elles ont connaissance du projet de traité avant sa signature » . En outre, « pour les élections du Parlement européen, la loi prévoit des modalités spéciales aux fins de garantir les intérêts légitimes des néerlandophones et des francophones dans l'ancienne province de Brabant » .

La Cour constitutionnelle belge peut connaître des recours pour raison d'incompatibilité entre la Constitution et un texte national ratifiant un traité européen. Ainsi l'arrêt n° 58/2009 du 19 mars 2009 concernant le recours en annulation du décret flamand du 10 octobre 2008 portant assentiment au Traité de Lisbonne. Les plaignants soutenaient que :

- le décret en question violait les articles 10 et 11 de la Constitution belge, puisque selon les États, l'approbation du traité était donné soit par référendum, soit par les parlements nationaux, et que cette différence de traitement n'était pas compatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination ;

- ce même décret violait l'article 195 de la Constitution puisqu'il approuvait le Traité de Lisbonne sans que les dispositions constitutionnelles concernées aient été préalablement déclarées susceptibles d'être révisées : le Traité de Lisbonne introduisant de nouvelles normes juridiques, à l'instar des actes législatifs et non législatifs, et contenant des règles contraignantes de portée générale, il s'agit en fait de droits et obligations s'appliquant directement aux citoyens et non d'un accord international entre États membres ;

- l'article 77, 6° de la Constitution et de l'article 1 er de la Loi spéciale du 8 janvier 1980 de réformes institutionnelles seraient également violés puisque le décret approuvait le traité sans que les chambres législatives fédérales et les parlements régionaux n'aient préalablement conclu un accord de coopération sur l'application du protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au traité ;

- enfin, les parties ont argué que le décret violait les articles 10 et 11 de la Constitution garantissant l'égalité des droits entre citoyens et l'absence de discrimination, puisque le traité ne s'appliquait pas de façon identique à tous les États-membres.

Ce recours a été rejeté par la Cour constitutionnelle. 115 ( * ) Sur le premier moyen tiré de la diversité des procédures selon les États membres, la cour n'avait pas compétence pour se prononcer sur les ordres constitutionnels d'autres États que la Belgique. Le deuxième moyen ne s'appuyant pas sur les dispositions de la Constitution relative aux droits fondamentaux, ni sur celles déterminant la répartition des compétences entre l'État, les communautés et les régions, la Cour constitutionnelle n'était pas compétente pour en connaître. Sur le troisième moyen, l'absence d'accord de coopération n'affecte pas la validité du décret attaqué puisque le protocole relatif à l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité peut être appliqué dès l'assentiment au Traité de Lisbonne. Le quatrième moyen alléguant une différence de traitement entre les citoyens des États membres est à nouveau en dehors de la juridiction de la cour.

En Irlande , il est fait plusieurs mentions de l'appartenance à l'Union européenne dans la Constitution du 1 er juillet 1937 révisée. Elles sont rassemblées à l'article 29 4°, dans le chapitre sur les relations internationales. L'enchaînement des dispositions ne suit pas d'ordre logique mais résulte de l'adoption successive de sept amendements à la Constitution irlandaise entre 1972 et 2012. 116 ( * ) Chaque traité ou révision des traités a donné lieu à l'inscription d'un nouvel amendement. Certaines dispositions ne visent que l'autorisation de la ratification et de la participation à la construction européenne. D'autres visent à transposer en droit interne et à sanctuariser certaines options accordées à l'Irlande, notamment en matière de coopération judiciaire. En contrepartie, rien dans la Constitution irlandaise ne doit être interprété comme faisant obstacle à ce que le droit communautaire n'ait force de loi en Irlande. Enfin, les droits du Parlement irlandais sont systématiquement défendus, son assentiment étant nécessaire pour l'exercice de ses prérogatives par l'exécutif au sein des institutions européennes dès lors que les règles du jeu européen sont amenées à évoluer, y compris par le biais de décisions internes au Conseil.

Plus précisément, l'article 29 4° prévoit expressément que :

- l'Irlande affirme son engagement en faveur de l'Union européenne dans laquelle les États membres oeuvrent ensemble à la promotion de la paix de valeurs partagées et du bien-être de leurs peuples ;

- l'État irlandais peut adhérer à Euratom, puis ratifier le Traité de Lisbonne, et par conséquent devenir un membre de l'Union européenne, et enfin ratifier le Traité sur la stabilité et la gouvernance de l'Union économique et monétaire ;

- aucune disposition de la Constitution irlandaise n'invalide de textes ou mesures adoptés par l'État avant, pendant ou après l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui découlent des obligations nées du statut d'État membre. De même aucune disposition de la Constitution n'empêche des textes ou mesures adoptés par l'Union européenne et ses institutions ou des organes compétents en vertu des traités d'avoir force de loi en Irlande ;

- l'État peut entrer dans les dispositifs de coopération renforcée, tout en subordonnant pareille prérogative à l'accord préalable des deux chambres du Parlement, exercer les options et pouvoirs laissés à sa discrétion par les articles ou protocoles sur les coopérations renforcées, sur l'acquis de Schengen et sur l'espace de liberté, de sécurité et de justice ;

- l'État peut approuver les décisions, règles ou autres textes, prévoyant de s'écarter de la règle de l'unanimité au Conseil, autorisant l'adoption de la procédure législative ordinaire, portant sur l'établissement de règles minimales de procédure pénale et de définition de crimes transfrontaliers graves, ainsi que sur l'instauration du Parquet européen en matière financière. L'approbation par le gouvernement irlandais ne peut être accordée qu'avec l'assentiment préalable des deux chambres du Parlement ;

- l'État ne validera aucune décision du Conseil en matière de défense européenne commune, si celle-ci inclut l'Irlande.

La Cour suprême irlandaise a plusieurs fois été saisie sur des questions d'incompatibilité des traités européens avec la Constitution irlandaise.

En 1987, dans l'arrêt de référence Crotty 117 ( * ) , la Cour suprême a jugé que l'Irlande ne pouvait pas ratifier l'Acte unique européen sans au préalable modifier sa constitution. Cet arrêt a conduit à l'adoption du 10 e amendement à la Constitution irlandaise. Le principe issu de l'arrêt Crotty est qu'en vertu de la Constitution, le gouvernement ne peut pas disposer de son pouvoir exécutif en concluant un accord lui faisant abandonner des pouvoirs qu'il tient de la Constitution, dans des circonstances où les intérêts d'un tiers peuvent prévaloir sur les intérêts de l'État, dans la mesure où les pouvoirs donnés aux organes de l'État le sont pour le bien commun du peuple irlandais. De ce fait, si une telle décision doit être prise, elle doit l'être par le peuple. Une cession de souveraineté nécessite l'approbation du peuple irlandais.

Cet arrêt est toujours mentionné dans les demandes devant la Cour suprême concernant des incompatibilités entre les traités européens et la Constitution. En effet, il confirme le droit des citoyens irlandais de contester en justice des actes législatifs ou des décisions du gouvernement en cas de manquement manifeste aux obligations constitutionnelles. L'autorisation d'adhésion à l'Union européenne ne constitue pas un blanc-seing qui exclurait toute voie de recours. 118 ( * )

Par exemple dans l'arrêt Pringle de 2012 119 ( * ) , le plaignant estimait entre autres, en s'appuyant que les principes de l'arrêt Crotty , que le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'Union économique et monétaire impliquait un transfert de souveraineté à un degré tel que cela le rendait incompatible avec la Constitution et qu'il fallait au préalable un référendum amendant la Constitution pour permettre à l'État de ratifier ce traité au nom de l'Irlande. La Cour suprême a estimé qu'en l'espèce, l'État n'avait pas abdiqué sa capacité à conduire une politique propre pour l'avenir, qu'il n'avait pas cédé à une autre institution le pouvoir d'élaborer à l'avenir la politique économique et qu'il n'avait accordé à quiconque le pouvoir d'accroître les contributions financières de l'État. En conséquence, le gouvernement n'a ni abdiqué, ni cédé, ni subordonné ses pouvoirs à un tiers par le traité. Il s'agissait d'une décision politique incluse dans son pouvoir exécutif, conformément à la Constitution, qui n'impliquait pas de transfert de souveraineté économique et financière non autorisé. La Cour suprême a donc rejeté le pourvoi.

Plus récemment, en 2016, la Cour suprême a rejeté dans l'arrêt Rea les arguments d'un plaignant qui, en première instance, avait demandé que le second référendum de ratification du Traité de Lisbonne soit déclaré nul et sans effet. Devant la Cour suprême, il soutenait notamment, en s'appuyant également sur les principes tirés de l'arrêt Crotty , que le gouvernement avait agi au-delà de ce qu'il lui était permis en négociant un traité contraignant affectant les droits fondamentaux des personnes et leur protection constitutionnelle sans avoir obtenu leur consentement pour le faire. Le recours a été rejeté pour des motifs de procédure puisqu'il n'appartenait pas à la Cour suprême de contester le refus par la High Court d'accepter un recours en judicial review du référendum en l'absence d'aucune illégalité ou irrégularité du processus. Cette attaque collatérale par le biais d'un recours essentiellement de droit administratif contre le résultat du référendum ayant modifié la Constitution irlandaise était sans fondement juridique. On notera toutefois que la Cour suprême profite de l'affaire pour réaffirmer son pouvoir d'interpréter la Constitution irlandaise, cette interprétation devant être respectée par les institutions de l'Union européenne, y compris la Cour de Justice. 120 ( * )

Au Danemark , la participation du pays à l'Union européenne est régie par l'article 20 de la Constitution du 5 juin 1953, même s'il ne la mentionne pas expressément. Alors que l'article 19 organise l'équilibre entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif en matière d'affaires internationales et de défense, en octroyant au Parlement de larges prérogatives, l'article 20 prévoit les modalités d'un transfert de compétences de l'État danois vers une organisation supranationale. Aux termes de son premier alinéa, « les compétences qui reviennent aux autorités du Royaume en vertu de la présente Constitution peuvent être transférées par la loi, dans une mesure déterminée, à des autorités internationales qui ont été instituées par accord réciproque avec d'autres États afin de promouvoir l'ordre juridique international et la coopération ». 121 ( * )

La commission chargée de préparer la rédaction de la Constitution de 1953 avait en effet envisagé la possibilité de la participation du Danemark à la Communauté européenne du charbon et de l'acier, dont le caractère supranational était connu. Elle souhaitait que cette éventualité puisse se concrétiser sans nécessiter de modification du texte constitutionnel à peine adopté. 122 ( * )

La loi permettant d'approuver les transferts de souveraineté rendus nécessaires par les traités européens n'est toutefois pas adoptée selon les modalités ordinaires. Ainsi, conformément à l'alinéa 2 de l'article 20 de la Constitution danoise, une majorité des 5/6 e est requise au Parlement. Si cette majorité qualifiée n'est pas atteinte mais que le projet de loi est néanmoins approuvé par une majorité simple comme ordinairement et si le gouvernement décide de maintenir le projet de loi, celui-ci est soumis à l'approbation directe des électeurs. Le référendum est organisé dans les conditions générales posées par l'article 42 de la Constitution danoise, dont l'alinéa 5 prévoit que la question est fermée pour ne laisser le choix qu'entre le oui et le non et que le projet de loi ne peut être rejeté que par une majorité simple des votants représentant au moins 30 % des électeurs inscrits. Il n'existe pas de quorum positif pour l'approbation du projet de loi soumis au référendum. Plus la participation est basse, plus le rejet du projet et par conséquence du transfert de souveraineté prévue dans le traité nécessite une forte majorité d'opposants.

Huit référendums sur la base de l'article 20 alinéa 2 ont été organisés au Danemark pour demander l'approbation d'un transfert de souveraineté vers les institutions européennes. Par trois fois, les Danois ont repoussé la poursuite de l'intégration européenne du pays. Ils ont approuvé en 1972 l'entrée dans la Communauté européenne, puis en 1986 l'Acte unique. Ils ont rejeté en 1992 le Traité de Maastricht, avant de l'approuver finalement en 1993 après la négociation complémentaire de l'Accord d'Édimbourg. Le Danemark obtint quatre réserves de compétences qui n'étaient pas transférées ; elles furent réduites à trois après l'approbation par référendum du Traité d'Amsterdam en 1998 : le maintien hors de la coopération judiciaire et policière ( retsforbeholdet ), hors de l'Europe de la défense et hors de la monnaie unique. En 2000 et en 2016 respectivement, les Danois ont rejeté la levée de la réserve sur l'euro, puis sur la justice et les affaires intérieures. En 2014, ils ont en revanche approuvé la participation du Danemark à la juridiction unifiée des brevets ( patentdomstolen ).

La doctrine danoise considère que si l'abandon de prérogatives souveraines au profit d'une organisation supranationale exige une procédure et des conditions d'adoption spéciale de la loi qui y procède, le rapatriement de compétences ( tilbagekaldelse ) au profit de l'État danois ne nécessiterait en revanche que l'approbation d'une loi ordinaire, nonobstant l'éventuelle violation des engagements internationaux du Danemark que cela représenterait. En ce sens, le retrait de l'Union européenne serait formellement analogue à la dénonciation d'un traité international avec l'accord obligatoire du Parlement tel que le prévoit l'article 19 alinéa 1 er de la Constitution danoise. 123 ( * ) L'ordre juridique danois est en effet dualiste 124 ( * ) . En particulier, la Cour suprême a confirmé définitivement qu'il était un principe fondamental du droit danois que les traités internationaux comme la Convention européenne des droits de l'homme ne pouvaient avoir une force équivalente à la Constitution. 125 ( * )

Toutefois, le droit de l'Union européenne fait l'objet d'un traitement spécifique par le juge danois dans la mesure où il est intégré à l'ordre juridique danois, conformément à la procédure de transfert de souveraineté posé à l'article 20 de la Constitution. La Cour suprême saisie a posteriori de la conformité du Traité de Maastricht a validé la constitutionnalité de la participation du Danemark tout en relevant que la loi d'adhésion dont elle a précisé l'interprétation fixait des limites claires aux compétences que détenait l'Union européenne à l'égard du Danemark. 126 ( * ) Tout en évitant de poser un principe général de primauté du droit communautaire qui serait invocable par les individus sur la base des traités européens eux-mêmes, la Cour suprême a tiré en 2017 des lois d'adhésion du Danemark aux traités européens, adoptées conformément à la Constitution danoise, la conclusion nette que dans tous les domaines où le Danemark a abandonné une partie de sa souveraineté au profit des institutions européennes, le droit communautaire prime systématiquement. Il revient également aux autorités danoises et aux juges danois l'obligation d'interpréter dans toute la mesure du possible toutes les dispositions légales soulevant des doutes ou des incertitudes conformément au droit communautaire et à la jurisprudence de la CJUE. 127 ( * )

Il paraît raisonnable en tout état de cause de penser qu'il y aura dans la pratique peu de motifs de conflit entre les cours et entre les ordres juridiques danois et européen en raison des mesures d'exemption au profit de la souveraineté nationale danoise prévues dans les traités, de la relative rareté du contentieux constitutionnel au Danemark, enracinée dans une réticence traditionnelle au contrôle de constitutionnalité des lois, et enfin de l'ancienneté de la Constitution danoise qui révisée en 1953 remonte pour l'essentiel au texte de 1849 et ne comprend donc pas de catalogue extensif de droits fondamentaux.

Il convient enfin de préciser la situation des îles Féroé et du Groenland qui occupent une position très particulière au sein du Danemark. Les îles Féroé qui obtinrent leur pleine autonomie ( hjemmestyren ) en 1948 n'ont jamais intégré la Communauté européenne comme le reste du royaume, ne font pas partie de l'Union européenne. Elles ne font pas partie des pays et territoires d'outre-mer (PTOM). Les citoyens danois résidant aux Féroé ne disposent pas de la citoyenneté européenne.

Le Groenland présente un cas un peu différent. Il est entré comme partie intégrante du Danemark au sein des communautés européennes en 1973 mais lors du référendum d'adhésion une majorité nette de sa population s'était prononcée contre. La pleine autonomie fut concédée en 1979 et en 1985, le Groenland se retire des communautés européennes. Il dispose toutefois du statut de PTOM.

Il existe en Suède quatre textes qui, ensemble, forment le socle constitutionnel du pays (grundlagar) : la Loi sur la forme du gouvernement (regeringsformen) de 1974, la Loi sur la succession du trône (successionsordningen) de 1810, la Loi sur la liberté de la presse (tryckfrihetsförordningen) de 1949 et la Loi sur la liberté d'expression (yttrandefrihetsgrundlagen) de 1991. Le Règlement du Parlement (riksdagsordningen) est considéré comme un texte intermédiaire entre une loi fondamentale et une loi ordinaire.

La décision d'intégrer l'Union européenne en 1995 a conduit à une modification de l'une des lois constitutionnelles : la regeringsformen contient des dispositions insérées en 1994 sur le vote pour les élections européennes et sur le transfert de droits de décision à l'ancienne communauté européenne.

Son chapitre 1 er , sur les fondements du régime politique, précise que la Suède est membre de l'Union européenne (§10).

Son chapitre 10, consacré aux relations internationales, dispose que dans le cadre de la coopération au sein de l'Union européenne, le Parlement suédois peut transférer des droits de décision qui ne concernent pas les principes du régime politique. Un tel transfert exige que la protection des droits et libertés à l'intérieur de l'espace de coopération soit équivalente à celle prévue dans la loi suédoise et dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le Parlement peut décider d'un tel transfert à la majorité des trois quarts des votants et de la moitié des parlementaires (§6). En outre, le Parlement a un droit d'information et de consultation en matière de coopération européenne. Le gouvernement doit, de façon continue, informer le Riksdag et consulter les organes nommés par le Parlement sur ce qu'il se passe dans le cadre de la coopération au sein de l'Union européenne (§7).

En Finlande , la Constitution du 11 juin 1999 révisée intègre pleinement les aspects européens. Dès le chapitre 1 er , section 1, il est inscrit que la Finlande est un État membre de l'Union européenne.

Le chapitre 8, consacré aux relations internationales, précise que le gouvernement est responsable pour la préparation, à l'échelon national, des décisions à prendre dans l'Union européenne et décide des mesures nationales concomitantes, sauf si la décision nécessite une approbation parlementaire. Le Parlement participe également à la préparation des décisions qui interviendront dans l'Union européenne (section 93). Toute proposition soumise au Parlement concernant un transfert d'autorité à l'Union européenne doit être adoptée par au moins deux tiers des votes (sections 94 et 95).

En outre, le Parlement se prononce sur les actes, accords ou autres mesures qui vont être décidés au niveau européen et qui, autrement, seraient de sa compétence. Le gouvernement doit apporter aux commissions compétentes des informations sur l'examen de la question dans l'Union européenne, ainsi que sur sa position (section 96). Le Premier ministre doit fournir au Parlement ou à une commission des informations sur les sujets qui seront traités lors d'un conseil européen préalablement et sans délai après une réunion du conseil. Cela est également valable lorsque des amendements aux traités établissant l'Union européenne sont en cours de préparation (section 97).

Outre ces aspects, la Constitution finlandaise rappelle également que les citoyens européens domiciliés en Finlande, âgés de plus de 18 ans sont autorisés à voter aux élections européennes (section 14) et que le Premier ministre représente la Finlande lors des conseils européens ou lors des autres activités européennes requérant une participation au plus haut niveau de l'État, sauf si le gouvernement en décide autrement (section 66).

En Estonie 128 ( * ) , la Constitution du 28 juin 1992 a été modifiée suite au référendum du 14 septembre 2003, par lequel le peuple estonien a adopté la loi amendant la Constitution en disposant que l'Estonie appartient à l'Union européenne, sous réserve du respect des principes fondamentaux de la Constitution estonienne, et que lors de l'entrée de l'Estonie dans l'Union européenne, sa Constitution sera appliquée sans préjudice des droits et obligations découlant du traité d'adhésion. Seul un référendum peut modifier cette loi.

Les relations internationales et les traités internationaux sont prévus au chapitre IX de la Constitution, articles 120 à 123, qui ne traitent pas de l'Union européenne en particulier.

En Roumanie , la Constitution du 31 octobre 2003 révisée fait de multiples références à l'Union européenne, et en particulier au traité d'adhésion de la Roumanie. La base fondamentale est l'article 148 consacré à l'intégration dans l'Union européenne, auquel fait pendant au sein du court titre VI de la Constitution roumaine l'article 149 relatif à l'adhésion à l'OTAN. Ce parallélisme témoigne du fait que l'intégration euroatlantique avec ses deux piliers formait l'enjeu global essentiel de la diplomatie roumaine.

L'approbation des traités européens, qui visent le transfert de certaines attributions nationales aux institutions communautaires et l'exercice en commun de ces compétences avec les autres États membres, nécessite une loi adoptée en séance conjointe de la Chambre des députés et du Sénat à la majorité des deux tiers du nombre de parlementaires. 129 ( * )

Le principe de primauté du droit communautaire est reconnu. Il découle de l'adhésion, que les dispositions des traités constitutifs de l'Union européenne ainsi que la réglementation communautaire à caractère obligatoire, ont priorité face aux dispositions contraires des lois internes, dans le respect des dispositions de l'acte d'adhésion de la Roumanie. 130 ( * )

Le gouvernement transmet aux deux chambres du Parlement les projets d'actes à caractère obligatoire avant que ceux-ci ne soient soumis à l'approbation des institutions de l'Union européenne (art. 148, al. 5).

Le Parlement, le Président de la Roumanie, le gouvernement et l'autorité judiciaire garantissent le respect ( aducerea la îndeplinire ) des obligations résultant de l'acte d'adhésion et du principe de primauté (art. 148, al. 4).

Par ailleurs, deux politiques de l'Union européenne sont mentionnées explicitement : la politique régionale (art. 135) et la monnaie unique (art. 137). En effet, dans le cadre d'une économie de marché, fondée sur la libre entreprise et la concurrence ( economie de piaþã, bazatã pe libera iniþiativã °i concurenþã ), l'État roumain doit notamment assurer l'application des politiques de développement régional en accord avec les objectifs de l'Union Européenne. 131 ( * ) De même, si la monnaie nationale est le leu, la mise en circulation de l'euro et le remplacement de la monnaie nationale par l'euro peuvent être prévus par la loi organique dans les conditions fixées lors de l'adhésion. 132 ( * )

Les élections européennes sont évoquées à l'article 38 qui confère le droit distinctif aux citoyens roumains d'élire et d'être élus au Parlement européen.

Les citoyens des autres États membres de l'Union se voient parallèlement reconnaître le droit d'élire et d'être élus aux fonctions locales, dès lors qu'ils remplissent les conditions fixées par la loi organique (art. 16 al. 4). Les droits des citoyens européens sont aussi garantis en matière de propriété foncière privée : ils peuvent acquérir ou hériter des terrains (art. 44 al. 2).


* 107 Il n'appartient pas au juge d'examiner la constitutionnalité des traités, ni de décider s'il aurait fallu appliquer la procédure de majorité renforcée. Cf. G. Boogaard & J. Uzman, Commentaar op de Nederlandse Grondwet, art. 120-Toetsingsverbod, janvier 2016, consultable en ligne.

* 108 Grondwet, art. 92: “Met inachtneming, zo nodig, van het bepaalde in artikel 91, derde lid, kunnen bij of krachtens verdrag aan volkenrechtelijke organisaties bevoegdheden tot wetgeving, bestuur en rechtspraak worden opgedragen.” Pour un commentaire, cf. FMC Vlemminx, Commentaar op de Nederlandse Grondwet, art. 92-Bevoegheden volkenrechtelijke organisaties, juillet 2015, consultable en ligne.

* 109 GW art. 93: “Bepalingen van verdragen en van besluiten van volkenrechtelijke organisaties, die naar haar inhoud een ieder kunnen verbinden, hebben verbindende kracht nadat zij zijn bekendgemaakt.” Pour un commentaire, notamment sur l'explicitation de l'effet direct du droit international sur le fondement de la jurisprudence de la Haute Cour néerlandaise, cf. FMC Vlemminx & ACM Meuwese, Commentaar op de Nederlandse Grondwet, art. 93-Verbindende kracht verdrag, août 2018, consultable en ligne.

* 110 AW Heringa, Staatsrecht, Boomjuridisch, 2017, pp. 159-150.

* 111 Hoge Raad (HR), 10 octobre 2014, (Rookverbod), NJ 2015/12.

* 112 GW art. 94 : “Binnen het Koninkrijk geldende wettelijke voorschriften vinden geen toepassing, indien deze toepassing niet verenigbaar is met een ieder verbindende bepalingen van verdragen en van besluiten van volkenrechtelijke organisaties.” FMC Vlemminx & ACM Meuwese, Commentaar op de Nederlandse Grondwet, art. 94-Verdrag boven wet, août 2018, consultable en ligne.

* 113 HR, 2 novembre 2004 (Verplichte rusttijden), AR1797

* 114 GW, art. 120: “De rechter treedt niet in de beoordeling van de grondwettigheid van wetten en verdragen.” Cf. AW Heringa, Staatsrecht, Boomjuridisch, 2017, pp. 133-138.

* 115 Cour constitutionnelle de Belgique, Arrêt n° 58/2009 du 19 mars 2009

* 116 La loi de 1972 relative au 3 e amendement à la Constitution autorise l'Irlande à devenir un État membre de la Communauté européenne, selon la dénomination de l'époque. La loi de 1987 relative au 10 e amendement à la Constitution autorise l'État à ratifier l'Acte unique européen. La loi de 1992 sur le 11 e amendement à la Constitution autorise l'État irlandais le Traité de Maastricht sur l'Union européenne et à en devenir membre. La loi de 1998 sur le 18 e amendement à la Constitution autorise l'Irlande à ratifier le Traité d'Amsterdam, la loi de 2002 relative au 26 e amendement à la Constitution autorise l'État à ratifier le Traité de Nice, la loi de 2009 relative au 28 e amendement à la Constitution autorise l'État irlandais à ratifier le Traité de Lisbonne. Enfin, la loi de 2012 relative au 30 e amendement à la Constitution autorise l'Irlande à ratifier le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'Union économique et monétaire.

* 117 Crotty v. An Taoiseach, [1987] IESC 4

* 118 J. O' Connor, « L'Acte unique européen devant la Cour suprême d'Irlande (Affaire Crotty) », Annuaire français de droit international , volume 33, 1987. pp. 762-773.

* 119 Pringle -v- Government of Ireland & ors, [2012] IESC 47.

* 120 Rea -v- Ireland and ors, [2016] IESC 19. Cf. point 18.

* 121 GRL, § 20, Stk. 1 : ”Beføjelser, som efter denne grundlov tilkommer rigets myndigheder, kan ved lov i nærmere bestemt omfang overlades til mellemfolkelige myndigheder, der er oprettet ved gensidig overenskomst med andre stater til fremme af mellemfolkelig retsorden og samarbejde”.

* 122 F. Waage, Forfatningsret, Karnov, 2018, p. 28.

* 123 F. Waage, Forfatningsret, Karnov, 2018, pp. 166 & 176-177.

* 124 H. Zahle, Dansk forfatningsret, t. 2, 2003, p. 2011.

* 125 Højesteret, U 2010.1547.

* 126 Højesteret, U 1998.800.

* 127 Højesteret, U 2017.824. Cf., F. Waage, Forfatningsret, Karnov, 2018, pp. 30-31.

* 128 Par exception à sa ligne directrice, la division de la Législation comparée s'est appuyée pour étudier le cas estonien non sur les textes en langue originale mais sur la version en anglais officielle dès lors que le pays mène une politique constante et systématique de mise à disposition de sa législation en anglais.

* 129 Constituþia României, art. 148, (1) :”Aderarea României la tratatele constitutive ale Uniunii Europene, în scopul transferãrii unor atribuþii cãtre instituþiile comunitare, precum °i al exercitãrii în comun cu celelalte state membre a competenþelor prevãzute în aceste tratate, se face prin lege adoptatã în °edinþa comunã a Camerei Deputaþilor °i Senatului, cu o majoritate de douã treimi din numãrul deputaþilor °i senatorilor.” La même règle est prévue pour l'approbation du Traité de l'Atlantique Nord à l'article 149.

* 130 Constituþia României, art. 148, (2) :”Ca urmare a aderãrii, prevederile tratatelor constitutive ale Uniunii Europene, precum °i celelalte reglementãri comunitare cu caracter obligatoriu, au prioritate faþã de dispoziþiile contrare din legile interne, cu respectarea prevederilor actului de aderare.”

* 131 Constituþia României, art. 135, (2) :” Statul trebuie sã asigure: [...] g) aplicarea politicilor de dezvoltare regionalã în concordanþã cu obiectivele Uniunii Europene. »

* 132 Constituþia României, art. 135, (2) : ”Moneda naþionalã este leul, iar subdiviziunea acestuia, banul. În condiþiile aderãrii la Uniunea Europeanã, prin lege organicã se poate recunoa°te circulaþia °i înlocuirea monedei naþionale cu aceea a Uniunii Europene.”

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