Mercredi 8 juillet 2015

- Présidence de Mme Michèle André, présidente, puis de M. Richard Yung, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 47.

Loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014 - Examen du rapport

La commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014.

Mme Michèle André, présidente. - Notre ordre du jour ce matin est chargé puisque le rapporteur général nous présentera deux rapports importants. Nous allons tout d'abord nous prononcer sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014.

Nous avons commencé nos travaux préparatoires le 28 mai avec l'audition du Premier président de la Cour des comptes. Depuis, nous avons entendu le ministre de la défense et le ministre du budget. Nous avons également organisé sept auditions thématiques avec des responsables de programme et des gestionnaires de crédits, sur des sujets à fort enjeu budgétaire. Chaque rapporteur spécial a rédigé une contribution sur l'exécution des crédits de la mission dont il a la charge.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Compte tenu de l'actualité récente, nous évoquerons la situation en Grèce. Le sujet est très vaste, mais nous devons à tout le moins en envisager les conséquences budgétaires.

L'examen du projet de loi de règlement est un moment de vérité : si le projet de loi de finances est un exercice de prévision, la loi de règlement nous permet tout à la fois de juger la gestion du Gouvernement en 2014 et de préparer le budget de l'année à venir.

Tout d'abord un bref retour sur la conjoncture macroéconomique en 2014. La croissance s'est révélée plus faible qu'anticipé : elle n'a progressé que de 0,2 %, contre 0,7 % en 2013. Si bien que 2014 n'aura pas été l'année du léger rebond de l'activité, contrairement à ce qu'espérait le Gouvernement, qui avait initialement prévu une croissance de 0,9 %. La faible hausse du PIB observée au cours de l'année passée est essentiellement due à un relatif dynamisme de la consommation des ménages qui a évolué en lien avec le pouvoir d'achat, les salaires continuant à progresser en dépit du recul de l'inflation.

En 2014, l'indice des prix n'a crû que de 0,5 %, contre 0,9 % en 2013. Comme je l'avais montré lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, le ralentissement de l'inflation est largement partagé par les pays à travers le monde, notamment en raison de la baisse des prix des matières premières. La presse a publié hier des graphiques éloquents. Toutefois, certains facteurs spécifiques à la zone euro, en particulier l'atonie de l'activité, viennent renforcer ce phénomène. La faiblesse de l'inflation en 2014 a eu des incidences négatives sur le redressement des comptes publics : le déficit public n'a reculé que de 0,1 point, passant de 4,1 % du PIB en 2013 à 4 %. Le déficit public étant toujours supérieur au déficit stabilisant (de 0,6 %), la dette publique a continué à croître pour atteindre 95,6 % du PIB. Nous avons souhaité, lors de l'examen du projet de loi de programmation, instaurer un mécanisme de « frein à la dette » au-delà de 100 % du PIB. Nous nous rapprochons inexorablement de ce seuil.

La France affiche l'un des déficits publics les plus élevés de la zone euro, où le déficit moyen était de 2,4 % du PIB en 2014, voire de l'Union européenne au sein de laquelle le déficit public s'élevait à 2,9 % en moyenne. Plus grave, l'écart entre le déficit français et le déficit moyen de la zone euro s'est creusé entre 2011 et 2014, passant de 1 à 1,6 point de PIB : les efforts consentis par la France n'ont pas été à la hauteur de ceux de nos partenaires européens.

L'ampleur limitée du redressement des comptes publics en 2014 est essentiellement imputable à la dégradation du déficit conjoncturel, qui désigne la part du déficit public que l'on peut attribuer aux évolutions de la conjoncture économique. En effet, celui-ci s'est dégradé de 0,5 point de PIB entre 2013 et 2014, venant minorer les effets de l'effort structurel consenti en 2014 de 0,5 point de PIB. Certes, cet effort structurel en 2014 a été significatif. Il est lié au ralentissement de la dépense publique, qui n'a progressé que de 0,4 % en volume, contre 1,1 % en moyenne par an en 2012 et 2013. Mais ce ralentissement est avant tout lié à un effet d'aubaine, lié à la décélération spontanée de certaines catégories de dépenses, en particulier le recul de la dépense des administrations publiques locales (APUL), qui a diminué de 0,3 %, après avoir progressé de 3 % en 2013. Les dépenses des collectivités sont donc extrêmement modérées, contrairement à ce qui peut parfois être lu dans la presse. Ce phénomène s'explique en partie par le « cycle électoral », les investissements des communes diminuant généralement l'année des élections municipales. Mais il n'est évidemment pas exclu que la baisse des dotations de l'État ait pu contribuer à cette dynamique. Autre effet d'aubaine : la charge de la dette a fortement baissé grâce au recul des taux d'intérêt, et ce malgré l'augmentation de l'encours de la dette.

Le Gouvernement peut donc difficilement affirmer que le ralentissement de la dépense publique est lié à une bonne maîtrise des dépenses et à la mise en oeuvre de réformes ambitieuses : des facteurs ponctuels lui ont été d'un grand secours.

En tout état de cause, la décélération de la dépense publique n'a pas permis de compenser la relative atonie des prélèvements obligatoires dans un contexte de faible croissance et de ralentissement de l'inflation. En effet, mesures nouvelles mises à part, ceux-ci ont progressé de 0,8 %, soit un rythme proche de celui du PIB en valeur. Les mesures nouvelles ont contribué pour 0,1 point de PIB à la hausse du taux de prélèvements obligatoires en 2014, jusqu'à un taux « record » de 44,9 % du PIB, du fait des augmentations des taux de la TVA et de cotisations vieillesse. Celles-ci ont été partiellement contrebalancées par la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Le déficit structurel a reculé de 2,6 % du PIB en 2013 à 2,1 % du PIB en 2014, soit un ajustement structurel de 0,6 point de PIB. L'effort structurel (de 0,5 point de PIB) recouvre des mesures nouvelles en prélèvements obligatoires, à hauteur de 0,15 point, et un effort en dépenses de 0,35 point. Il a donc reposé aux deux tiers sur les dépenses.

Le déficit structurel de l'exercice 2014 est moins dégradé (de 0,4 point de PIB) que la prévision de la dernière loi de programmation des finances publiques, qui a défini la nouvelle trajectoire de solde structurel. Toutefois, les déficits effectif et structurel pour l'exercice 2014 n'ont-ils pas été surestimés à la fin de l'année, afin d'afficher de « bons » résultats ?

Dans ces conditions, une comparaison avec la trajectoire de solde structurel est peu pertinente. Quoi qu'il en soit, le solde structurel constaté en 2014 fait toujours apparaître un écart d'un point de PIB avec la trajectoire de la précédente loi de programmation : le Gouvernement n'a que faiblement corrigé l'écart important identifié par le Haut Conseil des finances publiques. Nous avons eu ce débat avec Michel Sapin et Christian Eckert.

Pour finir ce tour d'horizon, il faut souligner que la dette publique a franchi, en 2014, le seuil fatidique de 2 000 milliards d'euros, soit 95,6 % du PIB. La progression observée par rapport à 2013, de 3,3 points, résulte du déficit primaire pour 1,8 point et pour 1,5 point de l'effet « boule de neige », ce qui signifie qu'une part significative du surcroît de dette résulte de la nécessité d'emprunter pour rembourser les emprunts contractés par le passé.

M. Vincent Delahaye. - Que recouvre exactement l'effet « boule de neige » ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - J'y reviendrai dans un instant.

J'en arrive aux évolutions intervenues sur le budget de l'État en 2014. Tout d'abord, la dépense nette de l'État a continué d'augmenter et s'est élevée à plus de 377,7 milliards d'euros. Les recettes nettes ont, au contraire, diminué pour atteindre 291,9 milliards. En raison de cet « effet de ciseau », le déficit budgétaire de l'État a augmenté de 85,6 milliards d'euros. Cette hausse nourrit celle de la dette de l'État, qui s'élève désormais à 1 602,8 milliards d'euros.

La dépense, dans le périmètre de la norme « zéro valeur », c'est-à-dire les dépenses du budget général hors charge de la dette et pensions, les taxes affectées plafonnées et les prélèvements sur recettes, est passée de 280 milliards d'euros en 2013 à 276,7 milliards d'euros en 2014. Elle a donc diminué de 3,3 milliards d'euros d'une exécution à l'autre. Le Gouvernement vous dira qu'il s'agit d'une gestion « sérieuse et responsable ».

M. Didier Guillaume. - Oui.

M. Richard Yung. - C'est le cas !

M. Claude Raynal. - Merci au rapporteur général de le reconnaître !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - En réalité, un examen plus détaillé conduit à nuancer très fortement cette affirmation. Plus du tiers de la réduction de la dépense sur la norme « zéro valeur » ne provient pas d'un effort budgétaire de l'État, mais d'une contrainte accrue sur les dépenses des collectivités territoriales. Elles ont largement contribué à réduire le déficit public. En effet, près de la moitié de la baisse, soit 1,6 milliard d'euros, est liée à la réduction des prélèvements sur recettes dont 1,2 milliard d'euros d'économies provient de la diminution des prélèvements sur recettes au profit des collectivités locales.

En outre, la sincérité des normes de dépenses est remise en cause par les nombreuses opérations irrégulières intervenues en 2014 au regard de la charte de budgétisation. Des irrégularités récurrentes ont trait aux comptes d'affectation spéciale et aux fonds de concours, pour environ 400 millions d'euros. Des transferts fiscaux aux collectivités n'ont pas été neutralisés, à hauteur de 1,7 milliard d'euros. Le programme des investissements d'avenir (PIA) a aussi été utilisé pour débudgétiser des sommes importantes, en particulier sur la mission « Défense ». Au total, plus de 2,5 milliards d'euros, soit 20 % des crédits du PIA, ont été substitués à des crédits budgétaires. Ces divers « tours de passe-passe » budgétaires ont permis au Gouvernement d'afficher une bonne maîtrise des dépenses, mais la somme de ces différentes opérations dépasse largement la diminution affichée. Cela laisse à penser qu'un calcul mené dans les règles aurait conduit à constater l'augmentation, et non la baisse, des dépenses sous norme de l'État.

Les dépenses de personnel ont recommencé à augmenter, à hauteur de 1 %. Cette hausse est portée par la reprise en base de l'exécution 2013 pour 272 millions d'euros, les effectifs étant finalement supérieurs au niveau de la loi de règlement pour 2013, avec un glissement vieillesse-technicité (GVT) solde sous-estimé. Les « autres variations » expliquent la hausse observée à hauteur de 195,3 millions d'euros, dont 182 millions d'euros de surcoûts OPEX. Cette évolution est d'autant plus inquiétante que la tendance à la hausse pourrait s'amplifier dans les années à venir : la programmation budgétaire s'appuie sur une prévision d'évolution à la baisse des « mesures diverses ». Mais celles-ci sont difficiles à maîtriser, comme en témoigne la stabilité des heures supplémentaires à l'éducation nationale malgré la hausse des effectifs, ou la récurrence des surcoûts liés aux OPEX.

Les économies faites en 2014 relèvent du « rabot » plus que de choix clairs. L'absence de réformes pérennes induit des risques budgétaires significatifs sur l'exercice 2015 et au-delà.

Les reports de charges se sont accrus : le Gouvernement repousse sur les années suivantes des dépenses inéluctables. Les dettes de fonctionnement, c'est-à-dire principalement les dettes envers les fournisseurs, ont augmenté de 30 % sur la seule année 2014 et s'élèvent désormais à 8,7 milliards d'euros. C'est un montant supérieur aux crédits alloués aux missions « Justice » et « Logement ». Les dettes de fonctionnement n'avaient crû que de 30 millions d'euros entre 2012 et 2013 et elles avaient diminué entre 2011 et 2012. Les charges à payer, un ensemble plus large que les seules dettes de fonctionnement, ont connu une hausse de 10 % et sont supérieures à 11 milliards d'euros. L'État a donc commencé l'année 2015 avec 11 milliards d'euros de charges résultant des exercices précédents.

Les recettes nettes (fiscales et non fiscales) de l'État, y compris les fonds de concours, ont atteint 291,9 milliards d'euros en 2014. Hors fonds de concours, elles se sont élevées à 288,3 milliards d'euros en 2014 contre 297,7 milliards d'euros en 2013. Cette baisse de 3,2 % est inquiétante : les recettes fiscales nettes ont été très inférieures aux prévisions de la loi de finances initiale, à hauteur de 10 milliards d'euros. La diminution porte essentiellement sur l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés. L'optimisme des hypothèses explique une fois de plus l'augmentation du déficit par rapport aux estimations initiales ; la montée en charge du CICE n'explique pas tout et la faiblesse des recettes fiscales ne résulte pas seulement de choix politiques.

Le produit de l'impôt de solidarité sur la fortune a augmenté de 800 millions d'euros, soit 18,2 %. Cette hausse est liée à l'évolution dynamique des marchés financiers et des prix de l'immobilier, ainsi qu'à l'accélération des recouvrements issus du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR).

M. Richard Yung. - Y a-t-il eu beaucoup de retours ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - L'essentiel est dû aux recouvrements. Le Gouvernement a dit qu'il voulait réduire les dépenses fiscales, les fameuses « niches », mais la réalité est toute autre : outre le crédit d'impôt recherche (CIR), utile mais coûteux, la montée en puissance crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) a produit ses effets et la dépense fiscale de l'État a fortement augmenté, pour atteindre près de 80 milliards d'euros en 2014.

Malgré l'ampleur des enjeux budgétaires, la démarche d'évaluation des dépenses fiscales prévue par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 n'est, dans les faits, quasiment pas respectée. Les dépenses fiscales n'ont pas été rationnalisées : on en crée toujours plus sans évaluer leur efficience et leur efficacité.

M. Richard Yung. - C'est dommage.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Aucune prospective, aucun bilan des nouvelles niches fiscales comme la loi l'impose pourtant... Aucune rationalisation de la dépense fiscale, puisque l'on crée en permanence de nouvelles niches, par exemple dans la loi dite « Macron » ou encore dans la loi de transition énergétique. Il n'y a pas d'analyse approfondie a posteriori, et la suppression d'une dépense fiscale par voie d'amendement en loi de finances rectificative tient même lieu d'évaluation.

L'augmentation des dépenses et la diminution des recettes ont conduit à un dérapage du déficit budgétaire, qui entretient l'augmentation de la dette de l'État. Le déficit de l'État s'est élevé à 85,6 milliards d'euros, soit 3 milliards d'euros de plus que la prévision de la loi de finances initiale et 11 milliards d'euros de plus qu'en 2013. Cette augmentation ne peut pas être seulement expliquée par les dépenses « exceptionnelles » du PIA : même en écartant les dépenses exceptionnelles en 2014 et en 2013, le déficit budgétaire reste supérieur en 2014 à son montant de 2013. L'État s'est plus endetté que prévu et sa dette a augmenté de nouveau. Certains ministres font valoir que la charge de la dette est moins élevée du fait des faibles taux d'intérêt : la dette de l'État a crû de plus de 100 milliards d'euros entre 2013 et 2014, soit une hausse de 4,6 % tandis que la charge de la dette a diminué de 1,7 milliard d'euros, soit une baisse de 4 %. Cette situation favorable est fragile. Le directeur de l'Agence France Trésor que nous avons entendu, a bien montré qu'une augmentation de 100 points de base entraînerait un risque budgétaire considérable. Or l'actualité immédiate nous impose la prudence et il est difficile de prévoir quelle sera l'appréciation, demain, des investisseurs sur la zone euro. Je vous renvoie au débat qui se tiendra cet après-midi en séance autour de la situation de la Grèce.

Le projet de loi de règlement est aussi l'occasion d'examiner le suivi de la performance de l'État. François Marc, notre précédent rapporteur général, avait engagé l'année dernière des travaux inédits d'analyse de l'atteinte des objectifs et des cibles. J'ai poursuivi ce travail, qui est une spécificité sénatoriale. Le taux de renseignement global des sous-indicateurs représentatifs s'élève à 76 %. Seuls un peu plus des deux tiers de ces sous-indicateurs permettent de confronter les résultats obtenus à une prévision fixée dans les projets annuels de performances (PAP). La qualité de renseignement varie fortement d'une mission à l'autre. Pour la mission « Enseignement scolaire », aucun indicateur ne confronte la réalité des recrutements avec les objectifs fixés dans la loi pour la refondation de l'école de la République. Je vois que Gérard Longuet, rapporteur spécial de cette mission, approuve à ma remarque !

Il est également regrettable, comme nous l'avons souligné lors de l'audition de la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle, que la mission « Travail et emploi » ne contienne aucune information sur l'efficacité des contrats aidés, dont le coût s'élève à plus de 3 milliards d'euros. Les marges de progrès sont considérables.

De plus, pour 58 % des sous-indicateurs qui ont fait l'objet d'un renseignement, les objectifs assignés ne sont pas atteints. Pour neuf missions, la performance est inférieure de moitié à la cible : « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation », « Défense », « Immigration, asile et intégration », « Outre-mer », « Recherche et enseignement supérieur » et « Sécurités ».

La vigilance s'imposera lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016 : j'invite chaque rapporteur spécial à s'assurer que les moyens alloués à sa mission et les réformes éventuellement mises en oeuvre prennent bien en compte ces indicateurs et visent à leur amélioration.

Enfin, il existe depuis 2008 des indicateurs permettant une analyse comparative de l'efficience des fonctions de support entre les missions : délais de publication des textes d'application des lois, efficience de la fonction achat, mètres carrés par agent... Vous trouverez, dans le rapport, divers renseignements sur ce point.

Il faut maintenant que notre commission prenne position sur le projet de loi. Nous devons regarder la loi de règlement sous ses deux facettes : sur la forme, il s'agit essentiellement d'un projet de loi de constatation de la manière dont les recettes et les dépenses ont été exécutées et qui comporte en annexe les comptes de l'État, certifiés par la Cour des comptes. Il n'y a de ce point de vue pas de doute sur la sincérité des écritures comptables, en dépit de certains artifices budgétaires.

Mais si la loi de règlement fait l'objet d'un vote, c'est aussi qu'elle retrace une gestion budgétaire, voire une politique budgétaire. De ce point de vue, les différents éléments que j'ai présentés dans le rapport me conduisent à proposer au Sénat de ne pas adopter ce projet de loi, afin de marquer le désaccord de la majorité du Sénat avec la politique conduite.

M. Vincent Delahaye. - Je suis partisan de consacrer au moins autant de temps à la réalité de l'exécution qu'aux prévisions ; le rapport nous y aide. Je note cependant des différences de chiffrages entre la présentation qui vient d'être faite et le rapport de la Cour des comptes. Alors que la Cour des comptes évalue le déficit à 85,5 milliards d'euros pour 2014, un des chiffres mentionnés était de 84,8 milliards d'euros. La hausse de 10,7 milliards de loi de règlement à loi de règlement ne figure pas ici. Serait-il possible de nous expliquer les écarts ?

Pourriez-vous m'éclairer quant à l'effet « boule de neige » sur l'évolution de la dette ? Comment le fait de rembourser des dettes passées avec de nouveaux emprunts contribue-t-il à la faire augmenter ?

Que recouvre l'absence de neutralisation des transferts fiscaux aux collectivités territoriales, évalué à 1,7 milliard d'euros ? S'agit-il des frais de gestion qui incombaient auparavant à l'État ?

Les reports de charges constituent un élément fondamental pour juger de la sincérité des comptes. Les dettes de fonctionnement sont-elles incluses dans les charges à payer ? En outre, les restes à payer, soit les autorisations d'engagement qui ont été consommées sans faire l'objet de crédit de paiement, représentent 87 milliards d'euros en 2014 selon la Cour des comptes : comment expliquer ce montant considérable ?

Nous n'avons pas voté la loi de finances initiale, ni les lois de finances rectificatives. Dans cette même logique, nous ne voterons pas la loi de règlement.

M. Serge Dassault. - J'aurais aimé disposer plus tôt du rapport ; mes remarques auraient été plus efficaces.

Les efforts consentis par la France sont, malheureusement, assez limités. Je ne vois aucune maîtrise des dépenses et aucune réforme. Les dépenses sont trop élevées, à hauteur de 377 milliards d'euros contre des recettes de 290 milliards d'euros environ. Les reports de charge d'une année sur l'autre sont problématiques, de même que le manque d'informations sur la nature et la répartition des dépenses. Si l'on continue à augmenter les dépenses, tout en diminuant les recettes, la situation risque de devenir catastrophique. Les prévisions ont été surévaluées : nous ne pourrons ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2017. Cet objectif a d'ailleurs été maintes fois repoussé. Le Président de la République s'était pourtant engagé, lors de la campagne présidentielle, à rétablir l'équilibre budgétaire en 2017.

Jusqu'à quand continuerons-nous à alourdir la dette ? Nous ne sommes pas loin de la situation grecque. Il suffirait que les taux d'intérêt remontent pour que nous risquions d'être en cessation de paiement. En outre, la fiscalité est très concentrée : seuls 45 % des Français payent tous les impôts. Un impôt général auquel tout le monde serait soumis, comme la CSG, dégagerait des recettes supplémentaires. La pratique socialiste qui consiste à faire payer les riches condamne le pays à la récession totale.

M. Éric Doligé. - On procède souvent par agrégation lorsqu'on produit des chiffres. Par exemple, les 2 000 milliards d'euros de dette incluent celles des collectivités locales et de la sécurité sociale, en les ajoutant à la dette de l'État qui est de 1 600 milliards. En revanche, le report des charges, aussi important soit-il, n'inclut pas celui des collectivités : comment l'intégrer ? Un certain nombre de départements qui n'avaient plus la capacité de payer le revenu de solidarité active (RSA) n'ont budgété qu'onze mois sur douze sur l'année 2014, ce qui posera des problèmes dès l'année 2015. Il serait intéressant d'avoir une évaluation chiffrée du report en ce qui concerne les collectivités.

M. Claude Raynal. - L'exposé du rapporteur général donne le sentiment d'une certaine difficulté à traiter le sujet. Sans doute est-ce dû au fait qu'il s'agissait essentiellement pour lui de trouver des arguments pour étayer le parti pris initial d'un rejet du projet de loi. Sans être faux, les éléments donnés par Albéric de Montgolfier ne sont pas concluants.

Je voudrais revenir sur deux éléments qui me semblent très éclairants : d'une part, le rapporteur général indique que (et pourquoi, dans les graphiques, ne pas remonter jusqu'en 2008, au début de la crise ?) la croissance était demeurée significative jusqu'en 2011, aux alentours de 2 % soi dans la moyenne de celle des autres pays européens.

D'autre part, les données présentées par le rapporteur général font état d'un déficit de 5,1 % du PIB en 2011. La réduction du déficit, alors même que la période était propice, n'a donc été réalisée que de manière marginale. S'il avait été alors de 3,5 % comme en Italie, il serait aujourd'hui ramené aux alentours de 2 %. Une certaine prudence dans le propos devrait donc être de mise. Durant les dix ans où la droite a gouverné, en bénéficiant d'une certaine croissance, elle n'a pas réduit le déficit. Certes, la crise est intervenue mais elle n'a pas été franchie en France de la même façon qu'ailleurs. Lorsque le Premier Ministre, Lionel Jospin, a proposé de limiter l'emprunt pour réduire le déficit de 35 milliards de francs, le président Chirac l'a désavoué publiquement en disant à la télévision : « Le gouvernement vous trompe, il a une cagnotte ».

On prévoit une augmentation de la croissance dans les années à venir. Le Gouvernement propose qu'elle serve à diminuer le déficit public et à freiner la dette. Par ailleurs, vous vous êtes inquiété de la baisse des recettes fiscales de 10 milliards d'euros. Il s'agit pourtant aussi d'un choix politique pour réintroduire de la compétitivité dans l'économie française. Il faudrait défendre avec plus de courage cette politique équilibrée du Gouvernement qui consiste à réduire les déficits tout en restaurant la compétitivité nationale.

À ce sujet, Nathalie Kosciusko-Morizet vient de proposer 100 milliards d'euros de baisse d'impôts. Qu'en pensez-vous ?

M. François Marc. - En 2014, les entreprises ont en effet bénéficié de mesures d'assouplissement en matière fiscale, tandis que certaines recettes ont augmenté, en particulier l'ISF. Toutes les études démontrent qu'en période de crise, le fossé se creuse entre les plus pauvres et les plus riches. Cela peut expliquer une partie de l'augmentation de 18 % des recettes de l'impôt sur la fortune (ISF). Est-ce vraiment si dramatique ? Je n'en suis pas convaincu.

Vous avez montré que les dettes de fonctionnement avaient augmenté de 30 %, alors qu'elles étaient stables ou en baisse dans la période précédente. Cela résulte-t-il vraiment d'une décision réfléchie du Gouvernement et n'est-ce pas plutôt la conséquence d'ajustements techniques ?

Concernant les dépenses fiscales, on dit aux Grecs qu'ils ne seront crédibles que s'ils font des propositions réalistes pour le futur. La commission des finances ne devrait-elle pas, pour la France, proposer une liste de « niches » fiscales à réduire dans les années à venir ? La Cour des comptes préconise de récupérer quelques milliards d'euros sur celles qui sont injustifiées. Soyons force de proposition !

M. Richard Yung. - S'il est juste en grande partie, votre rapport est sévère et certains points restent discutables. J'aimerais souligner que l'examen du projet de loi de règlement doit nous permettre d'arrêter les comptes de l'État pour 2014, pas de produire de grandes analyses sur le passé ou l'avenir. On nous parle d'opérations irrégulières et l'on agite l'épouvantail de la Grèce. La Cour des comptes a cependant validé les comptes de l'État. Certes, le rapport de la Cour des comptes relève certaines anomalies, notamment sur la comptabilisation des programmes d'investissements d'avenir, dont les décaissements ne sont pas pris en compte dans la norme de dépenses.

Vous n'avez pas souligné l'amélioration du déficit public qui connaît une baisse continue. On peut critiquer le rythme de la réduction mais elle est bien réelle. Concernant la dette publique, celle-ci était évaluée à 1 200 milliards d'euros en 2007, 1 700 milliards d'euros en 2011 et 1 800 milliards d'euros en 2012 : sa hausse n'est donc pas récente ! Et nous avons progressé dans la réduction du solde structurel, comme le demande l'Union européenne.

Certes, les recettes sont moins bonnes que prévu, à cause de la conjoncture économique et de la mise en place du crédit d'impôt compétitivité et emploi (CICE). Nous courons tous après la réduction des niches fiscales, mais en supprimons finalement peu.

Et comment ne pas souligner que la baisse des dépenses, aussi légère soit-elle, rompt avec la tradition budgétaire française ? Même si le glissement vieillissement technicité (GVT) a augmenté, les équivalents temps plein (ETP) ont été contenus et la masse salariale n'a progressé que de 1 %. Nous serons moins sévères que vous : nous voterons cette loi de règlement.

M. Francis Delattre. - La vérité des chiffres n'est pas discutable et nous devons y lire des signaux d'alerte. Les 2 000 milliards d'euros de dette ont été franchis, soit 96 % du PIB et nous devrions bientôt dépasser les 100 %. La dette de la Grèce est à un peu plus de 150 % du PIB. Nous rapprochons-nous de la zone à risques ?

Le constat le plus redoutable est celui de la diminution des recettes fiscales, qui traduit l'état réel de notre économie. Avec 600 000 chômeurs en plus, le résultat est fort prévisible. En 2012, il n'était pas indispensable de supprimer le dispositif de TVA sociale qui aurait immédiatement allégé les charges des entreprises. Il a fallu deux ans pour mettre en place le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et l'on n'en mesure pas encore l'impact. Il représente 9,9 milliards d'euros, soit près de deux fois le CIR, évalué à 5,5 milliards d'euros, ce qui reste très relatif par rapport aux 40 milliards d'euros d'impôts et de taxes supplémentaires depuis le début du quinquennat. Les mesures de relance visent surtout la consommation. Les marges des entreprises se sont, elles, légèrement améliorées mais cela n'a pas suffi à relancer les investissements. Le moteur de notre économie est en panne et rien n'est fait, ni prévu.

Mme Marie-France Beaufils. - L'impôt sur les sociétés a diminué de manière conséquente, dans une proportion comparable à la progression du déficit de l'État, d'où nos interrogations sur la pertinence de la politique fiscale. Il faut nécessairement faire le lien avec le CICE, qui représente 10 milliards d'euros dans le budget 2014, soit un demi-point de PIB, avec un report de créance de 4 milliards d'euros sur les années à venir. La compétitivité des entreprises s'est-elle améliorée, comme nous l'escomptions ?

Par ailleurs, je regrette que le rapport de la commission d'enquête sur le CIR n'ait pas été publié. Nous aurions disposé d'analyses sur l'usage qu'en ont fait les entreprises : ont-elle développé leurs moyens de production ou profité d'une possibilité d'optimisation fiscale ?

Il faudrait aussi tenir compte du travail mené par les associations d'élus sur la réduction des dotations aux collectivités territoriales qui diminue considérablement leurs recettes. Ils montrent que l'impact de la réduction de dotations est très lourd.

Enfin, je voudrais souligner, comme François Marc, qu'il n'y a rien de surprenant à ce que l'ISF ait augmenté. Tous les chiffres attestent que la richesse des riches s'est accrue durant la crise. Il est d'autant plus important qu'ils contribuent au titre de l'impôt.

Enfin, la presse a fait état de chiffres parfois contradictoires en termes d'emplois prévus budgétairement en 2014 et d'emplois réellement pourvus. Pourriez-vous nous apporter quelques précisions ?

M. Philippe Adnot. - Peut-on distinguer les dépenses d'investissement des dépenses de fonctionnement dans le budget de l'État ? Est-il possible de connaître la dotation aux amortissements des investissements prévue par l'État ? Dans les collectivités locales, nous allons être confrontés à un grave problème de sincérité budgétaire car nous sommes censés pouvoir assumer les amortissements des investissements.

Je m'abstiendrai sur ce texte, car je ne peux pas voter contre le constat d'une réalité.

M. Bernard Lalande. - Ce rapport a le mérite de donner des chiffres. Nous avons tous déserté l'armée des naïfs. Entre 2007 et 2012, le taux d'endettement a augmenté de 25 points. Cette accélération de l'endettement a fait croire que nous disposions de richesses, mais elles étaient artificielles et nous n'en avons pas créé d'autres pour rembourser l'emprunt. Après 2012, on constate un ralentissement de la croissance de la dette, de sorte que nous sommes en mesure d'espérer un désendettement de notre pays. Il est absolument nécessaire que nous générions de la richesse pour rembourser la dette. Albéric de Montgolfier a affirmé que des réformes structurelles devaient être engagées à cette fin et je suis tout à fait d'accord sur ce point. À mon sens, la participation de l'État à travers le CIR et le CICE pour générer de l'investissement dans les entreprises, se répercutera à moyen terme, ou à long terme, sur le produit de l'impôt sur les sociétés. Je ne suis pas sûr que la TVA sociale aurait eu le même effet. En effet, une remise des charges bénéficie à toutes les entreprises, or seules 30 % d'entre elles sont soumises à la concurrence internationale. La remise de charges abaisse-t-elle le coût de revient ? C'est cela qu'il importe de calculer.

En somme, les comptes pour 2014 montrent à l'évidence une décélération de l'endettement : c'est un signe positif qu'il faudra conforter entre 2015 et 2017.

M. Yannick Botrel. - Vous avez évoqué à deux reprises la situation des collectivités locales au regard du budget de l'État. La baisse des prélèvements sur recettes au profit des collectivités locales est estimée à 1,2 milliard d'euros en 2014. On est loin des 1,7 milliard d'euros annoncés, notamment sur la dotation globale de fonctionnement (DGF). La diminution des dépenses des administrations publiques locales (APUL) s'élève quant à elle à 0,3 % en 2014, soit 6 milliards d'euros. L'impact de l'année électorale, qui concernera peut-être autant 2015 que 2014, peut être minimisé dans certaines analyses mais reste bien réel - il pourrait y avoir une anticipation à certains égards.

Sortons des jugements caricaturaux : si les collectivités sont affectées par la baisse des dotations, elles ne le sont pas toutes de la même manière. Je connais une commune de 1 100 habitants, dans les Côtes-d'Armor, où la DGF a baissé de 11 % en trois ans. Dans le même temps, la dotation nationale de péréquation a augmenté de 19 %, la dotation de solidarité rurale de 23 % et celle sur le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) de 64 %. L'ensemble des dotations a augmenté de 1,9 % entre 2013 et 2014 et de 4 % entre 2014 et 2015. Il faut garder le sens de la nuance.

Enfin, je n'ai pas compris la nature exacte des réformes structurelles que la majorité sénatoriale réclame.

M. Philippe Dallier. - Je ne peux pas ne pas intervenir après les propos tenus par Claude Raynal. Faisons remonter les données jusqu'à 2002, si l'on veut savoir d'où l'on vient ! Je rappelle que le déficit budgétaire était alors de 50 milliards d'euros. Nous l'avons réduit à 37 milliards d'euros, en 2007, avec une croissance moindre que celle dont a bénéficié le gouvernement de Lionel Jospin. La droite a encaissé le plus dur de la crise. Vous disiez alors que notre plan de relance n'était pas suffisant et qu'il fallait soutenir davantage la consommation. Où en serions-nous si nous avions mis en pratique vos recommandations ?

Quand nous comparons l'exécution 2014 à l'exécution de 2013, il apparaît que les chiffres sont mauvais. La Cour des comptes a d'ailleurs été très sévère. Deux chiffres doivent être retenus. Le budget de l'État enregistre 10 milliards d'euros de déficit supplémentaire : il s'agit d'une rupture avec la trajectoire de 2010. Cette inversion de la courbe est très inquiétante. Si le déficit public global reste stable, on le doit aux seuls efforts des collectivités territoriales. Et l'État s'en attribue le résultat !

D'autre part, nous payions 44,3 milliards d'euros pour la charge de la dette de l'État, lorsqu'elle était à 200 milliards d'euros. Alors qu'elle atteint 1 600 milliards d'euros, le montant prévu n'a pas changé. Si les taux remontent, l'effet « boule de neige » risque d'être catastrophique.

En 2014, on a le sentiment que l'État a raclé tous les fonds de tiroir et usé de procédés irréguliers sur les programmes d'investissement d'avenir. Les réformes du Gouvernement sont restées sans résultats. Allons de l'avant au lieu de regarder en arrière. Il est urgent de prendre en considération le poids de la dette, si nous voulons éviter une situation telle que celle de la Grèce.

M. Didier Guillaume. - Nous sommes au milieu du gué. La loi de règlement est la photographie d'une situation, que l'on peut mettre en perspective avec le passé. La Cour des comptes a certifié les comptes. Nous constatons que l'endettement de la France a beaucoup moins progressé que dans les dix dernières années. Il en va de même pour les dépenses publiques. Il faudrait faire plus, certes. Mais comment ?

M. Serge Dassault. - En réduisant les dépenses.

M. Didier Guillaume. - Quelles dépenses ? Comment faire, alors que le Sénat augmente les dépenses à chaque nouveau texte budgétaire que nous examinons ? La commission des affaires étrangères a, par exemple, ajouté 900 millions d'euros sur le budget de la défense en loi de programmation militaire. Si cette position est confirmée en séance, ces crédits supplémentaires seront pris sur le budget des autres ministères.

Nous voterons cette loi de règlement, en attendant le débat sur le projet de loi de finances pour 2016. C'est à ce moment-là qu'il faudra faire des propositions, en évitant de reproduire l'attitude de l'an dernier, où vous n'avez ouvert aucune piste pour réduire le déficit. Je vous recommande d'écouter l'intervention de Dominique de Villepin, invité à s'exprimer chez Jean-Jacques Bourdin, au sujet des finances de l'État et de la situation grecque. Nous pourrons tous nous retrouver dans ses propos. Il est facile d'avoir de grandes idées ; c'est autre chose de mettre les mains dans le cambouis lorsque l'on est aux affaires. Nous avons enregistré en 2014 la plus grande baisse de charges jamais réalisée dans notre pays. Le CICE est beaucoup plus efficace que la TVA sociale pour les PME et les TPE.

En répétant à l'envi que nous ressemblons de plus en plus à la Grèce, nous finirons par briser la confiance des marchés. La France n'est pas la Grèce et on ne peut pas comparer la dette française à celle de la Grèce.

Cette loi de règlement qui prépare le débat sur le projet de loi de finances pour 2016 montre que les efforts actuels vont dans le bon sens.

M. Vincent Capo-Canellas. - La réalité des chiffres souligne la désillusion par rapport aux annonces du début de l'année. Comparativement à la moyenne des déficits européens, à 2,4 %, notre pays se distingue par une situation singulière, 4 % de déficit public, et par un rythme de réduction particulièrement faible, de 0,1 point de PIB. La dette a franchi le seuil des 2 000 milliards d'euros et la progression de l'endettement à hauteur de 3,3 % du PIB en 2014 est alarmante. La part des dépenses publiques dans le PIB augmente plus en France que partout ailleurs en Europe, hormis en Finlande. C'est la même chose pour le taux des prélèvements obligatoires. Le rapporteur général est dans son rôle lorsqu'il dénonce tout cela. Nous arrivons à la fin d'un modèle. Il nous faut trancher le noeud gordien, pour mettre fin à l'augmentation de la dette, alors que les dépenses ne diminuent pas. Notre modèle est-il soutenable ? Il y a là un vrai sujet d'interrogation.

M. Philippe Dominati. - Derrière la réalité des chiffres, il y a la rupture politique d'avril dernier, lorsqu'un nouveau tandem s'est installé à Bercy pour remplacer Pierre Moscovici, lequel avait échoué à tenir ses engagements, en ne ramenant pas le déficit sous les 3,7 % du PIB. Bercy a ensuite annoncé un déficit à 3,8 % du PIB pour l'exercice 2014. Arnaud Montebourg, lorsqu'il était alors ministre, considérait qu'une bonne gestion des comptes publics était accessoire par rapport à la croissance. Nous n'avons ni l'une, ni l'autre. Les changements ministériels n'ont-ils pas contribué à entretenir un flottement, qui s'est traduit par une croissance quasi nulle et une année « pour rien » ? Avez-vous senti cette rupture dans l'exécution de 2014, et peut-on prévoir une stabilisation pour 2015 ?

M. Maurice Vincent. - Je soutiens la proposition de Philippe Dallier de fixer le point de départ des données en 2002. Ce serait très instructif. Chacun pourrait se souvenir que le poids de la dette publique représentait alors 57 % du PIB, conforme en cela aux critères de Maastricht, alors qu'en 2012, il atteignait 89 %.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Pour répondre à Vincent Delahaye, l'évaluation du déficit public concerne l'ensemble des administrations publiques. Sur un déficit public, sur l'ensemble des administrations publiques, de 84,8 milliards d'euros enregistré en 2014, le déficit de l'État en comptabilité générale (et non en comptabilité budgétaire) représente 74,7 milliards, en forte augmentation depuis 2013.

L'effet « boule de neige » vient de ce que l'emprunt nous sert à financer notre déficit primaire, mais aussi les emprunts qui arrivent à échéance : ce n'est pas seulement le capital qui doit être remboursé, mais aussi les intérêts qui doivent être financés. Cela implique que les nouveaux emprunts soient supérieurs à ceux qu'ils remplacent.

L'ampleur de la dette est effectivement inquiétante, je rejoins Serge Dassault sur ce point. Nous l'avons constaté lorsque nous avons reçu Anthony Requin, directeur de l'agence France Trésor. Avec une dette de l'État de plus de 1 600 milliards d'euros et un stock de dette de 2 000 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations publiques, l'effet d'une hausse de 100 points de base serait supportable la première année, mais l'effet cumulatif à sept ans - la maturité moyenne de notre dette - serait catastrophique.

Éric Doligé s'interrogeait sur le report de charges des collectivités territoriales : si l'Insee comptabilise la dette des collectivités territoriales, nous ne disposons à l'échelle nationale d'aucune évaluation sur le report de charges au niveau local.

Claude Raynal a évoqué la « cagnotte » du gouvernement de Lionel Jospin : celle-ci n'était pas un fantasme, les recettes étaient bel et bien très supérieures aux prévisions et c'est d'ailleurs la commission des finances du Sénat qui l'avait mis en évidence.

La comparaison avec nos voisins européens est également préoccupante. Alors qu'ils ont tous fourni des efforts supplémentaires, la France a laissé filer son déficit.

Concernant la question de François Marc, je ne vois pas quelles évolutions techniques expliqueraient la hausse de la dette de fonctionnement. Il s'agit sans doute d'un choix assumé !

Plusieurs collègues ont souligné que la Cour des comptes a certifié les comptes de l'État, garantissant qu'ils ne comportent pas d'irrégularités. Cependant, elle a aussi signalé un recours important à des débudgétisations et un report de charges accru. S'il n'y a certes pas d'insincérité comptable, le Gouvernement a usé d'artifices budgétaires.

Marie-France Beaufils a relevé que la hausse du déficit est avant tout liée à la faiblesse des recettes. Le CICE a coûté 9,9 milliards d'euros en 2014 ; c'est un choix politique. En revanche, les moins-values de l'IR et de l'IS par rapport aux prévisions de la loi de finances pour 2014 résultent uniquement de l'optimisme du Gouvernement en matière de prévisions de l'impôt. Quant aux emplois non pourvus, si l'on se réfère ainsi aux schémas d'emplois et non aux plafonds, il semblerait qu'on compte, en réalité, 700 ETP dont la création était prévue en 2014 et qui n'ont pas vu le jour.

Les dépenses d'investissement représentent 3,2 % du budget de l'État : la quasi-totalité des dépenses sont donc de fonctionnement. Les collectivités assurent l'essentiel de l'investissement public.

L'exposé de l'Agence France Trésor était très éclairant quant aux risques liés à la dette. Je n'ai jamais dit que les comptes de l'État, joints à la loi de finances, étaient insincères. Mais quand nous nous comparons à nos voisins européens, le constat est sans appel. Notre taux de dépense publique est deux fois plus élevé que la moyenne de la zone euro. Nous avons le troisième déficit de la zone euro. Sur la période récente, la France a fourni moins d'efforts que ses voisins.

Malgré les changements ministériels soulignés par Philippe Dominati, la ligne politique n'a pas manqué de constance, privilégiant le recours à des mesures de régulation comptable plutôt que la mise en oeuvre de réformes de structure.

J'emprunte au rapport de la Cour des comptes ses têtes de chapitre pour rappeler les trois arguments qui me conduisent à vous recommander de ne pas adopter cette loi de règlement. La réduction du déficit budgétaire de l'État a été interrompue en 2014. La dette de l'État continue à augmenter à un rythme soutenu. Les recettes fiscales sont à nouveau inférieures aux prévisions. Dans la situation incertaine où se trouve l'Europe, une telle politique n'est pas responsable.

M. Richard Yung. - Rassurez-moi : nous ne votons pas sur le rapport de la Cour des comptes...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Non, bien sûr. Ce regard objectif et indépendant me semble cependant utile.

Mme Marie-France Beaufils. - Je m'abstiendrai de voter sur le rapport. En revanche, je voterai contre la loi de règlement.

La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter le projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'année 2014. En conséquence, elle décide de proposer au Sénat de ne pas adopter chacun des articles du projet de loi.

Débat d'orientation des finances publiques (DOFP) - Examen du rapport d'information

La commission examine ensuite le rapport d'information de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, préparatoire au débat d'orientation des finances publiques (DOFP).

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Après avoir examiné les résultats de l'exercice 2014, nous en arrivons maintenant à la partie prospective, portant sur l'évolution des finances publiques en 2016 et au-delà. Toutefois, avant d'examiner la trajectoire budgétaire qui nous est soumise par le Gouvernement, je souhaiterais développer quelques éléments relatifs à la Grèce ; en effet, un éventuel défaut grec expose la France à certains risques qu'il convient de connaître. Beaucoup de chiffres circulent sur cette question et une clarification paraît donc nécessaire.

Depuis le déclenchement de la crise de la dette grecque, au cours du premier semestre de l'année 2010, de nombreux programmes d'assistance financière se sont succédé. Après un premier plan d'aide en faveur de la Grèce, décidé en 2010, la dégradation de la conjoncture économique ajoutée aux retards pris dans la mise en oeuvre du plan d'ajustement ont conduit à écarter l'éventualité d'un retour de la Grèce sur les marchés financiers au premier semestre de l'année 2012 comme cela était initialement prévu.

Aussi, à la suite de la décision du 21 juillet 2011 des chefs d'État et de gouvernement de la zone euro, un deuxième plan d'aide en faveur de la Grèce a été décidé, dont les modalités concrètes ont été arrêtées lors de la réunion de l'Eurogroupe du 20 février 2012. Ce plan d'aide a comporté trois volets. Tout d'abord, un abandon de créance a été demandé au secteur privé, qui a consenti une décote nominale de 53,5 % des titres obligataires détenus, ce qui a permis une réduction de la dette souveraine de la Grèce d'un montant de près de 105 milliards d'euros. Ensuite, les États de la zone euro ont accepté de restructurer les prêts bilatéraux qu'ils avaient accordés, abaissant les taux d'intérêt et prolongeant la maturité ainsi que la période de grâce des prêts. Enfin, une aide financière supplémentaire a été accordée à la Grèce, d'un montant maximal de 171,6 milliards d'euros, dont 143,6 milliards d'euros financés par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et 28 milliards d'euros apportés par le FMI.

Ainsi, au 31 mars 2015, le total des programmes d'assistance établis au profit de la Grèce s'élevait à 244,6 milliards d'euros, dont 215,7 milliards d'euros avaient été déboursés. Le montant des aides versées directement ou indirectement, soit également par le biais du Fonds européen de stabilité financière (FESF), à la Grèce par les États de la zone euro - soit 183,8 milliards d'euros - représentait donc 1,8 % du PIB de la zone au début de l'année 2015.

En outre, des mesures en faveur de la Grèce ont été prises dans le cadre de l'Eurosystème. Tout d'abord, en mai 2010, la Banque centrale européenne (BCE) a engagé le programme pour les marchés de titres, dit SMP, visant à réduire les tensions sont les taux d'intérêt des États du Sud de l'Europe. Du fait des acquisitions de titres dans le cadre de ce programme, les avoirs grecs détenus par l'Eurosystème s'élevaient à 18,1 milliards d'euros au 31 décembre 2014. Ce montant était encore de 30,8 milliards d'euros au 31 décembre 2012.

Le programme SMP a été remplacé, à compter de septembre 2012, par le programme d'opérations monétaires sur titres (OMT). Ce dernier consiste, dans son principe, en des achats conditionnés, sur les marchés secondaires, d'obligations souveraines des États de la zone euro sans aucune limite quantitative fixée au préalable. S'il n'a jamais été effectivement mis en oeuvre, le programme OMT est néanmoins parvenu à contenir les primes de risque appliquées aux titres de dette des États périphériques de la zone euro.

Par ailleurs, en dépit des difficultés apparues dans le cadre des négociations entre le « groupe de Bruxelles » et le gouvernement grec, la Banque centrale européenne (BCE) a maintenu l'accès des banques grecques au mécanisme de liquidité d'urgence, dit ELA. Ce dispositif permet d'apporter des liquidités aux banques commerciales grecques dont l'accès au marché interbancaire est limité.

Le 28 juin 2015, la Banque centrale européenne a maintenu le plafond de l'aide d'urgence aux banques grecques à son niveau antérieur, soit 89 milliards d'euros. Selon les dernières informations disponibles, la Banque centrale européenne avait refusé un nouveau relèvement de ce plafond demandé par la Banque de Grèce au lendemain du référendum.

L'Eurosystème a également accumulé les créances sur la Banque de Grèce à travers le système de paiement TARGET2. En temps normal, les paiements sont compensés par des financements privés par le biais du marché interbancaire. Toutefois, en l'absence de financements interbancaires, la Banque de Grèce accumule une dette dite « TARGET2 » en contrepartie des paiements de gros réalisés pour le compte des banques commerciales du pays. Selon les états financiers de la Banque de Grèce publiés le 31 mai 2015, cette dette atteignait à cette date 100,3 milliards d'euros.

Au total, l'Eurosystème est donc « exposé » à un éventuel défaut grec à hauteur d'environ 118,4 milliards d'euros, compte tenu des avoirs détenus au titre du programme SMP et de la dette dite « TARGET2 » de la Banque de Grèce.

Enfin, à la suite de la réunion de l'Eurogroupe du 26 novembre 2012, au cours de laquelle de nouveaux allègements de la dette publique grecque ont été consentis, il a été décidé que les États de la zone euro rétrocéderaient à la Grèce les revenus perçus par les banques centrales nationales sur les titres obligataires grecs ; les montants ainsi rétrocédés représenteraient 13,9 milliards d'euros sur la période 2012-2025.

Envisager un éventuel défaut grec, en particulier au lendemain d'une large victoire du « non » au référendum organisé le 5 juillet dernier par le gouvernement grec, implique de s'interroger sur l'exposition de la France à un tel risque. Je vais donc m'attacher à revenir sur les coûts supportés par notre pays au titre de l'assistance financière apportée à la Grèce, avant d'envisager les risques qui s'y rattachent.

Les coûts supportés par la France au titre de l'assistance financière apportée à la Grèce sont de différentes natures. Viennent, tout d'abord, les coûts budgétaires, qui intègrent en premier lieu le prêt bilatéral accordé à la République hellénique, dont le montant total atteint 11,4 milliards d'euros, déboursé en 2010 et 2011.

En second lieu, des moindres recettes budgétaires résultent des versements de la France à la Grèce au titre de la restitution des revenus perçus par la Banque de France sur les titres grecs détenus pour compte propre ou dans le cadre du programme SMP ; ceci a pour effet de minorer le dividende versé par la Banque de France à l'État. Au total, les rétrocessions représenteraient 2,8 milliards d'euros sur la période 2012-2025.

S'agissant des garanties apportées par la France au Fonds européen de stabilité financière (FESF), celles-ci n'ont pas donné lieu à la mobilisation de crédits budgétaires - une dépense effective n'étant à prévoir que dans l'éventualité d'un appel des garanties. Toutefois, les prêts accordés par le FESF à cette dernière accroissent la dette publique française, en vertu d'une décision d'Eurostat.

Par conséquent, le montant de la dette publique de la France imputable aux prêts accordés par le FESF à la Grèce s'élevait à 31 milliards d'euros en 2014 et devrait représenter 29 milliards d'euros en 2015.

Au total, l'assistance financière apportée à la Grèce au titre du prêt bilatéral et des garanties accordées au FESF représentait 42,4 milliards d'euros de dette publique française en 2014, soit 1,5 % du PIB.

Ce qui vient d'être dit permet de mieux identifier les risques portés par la France dans l'éventualité d'un défaut grec ou du déploiement d'un nouveau programme d'assistance.

Le prêt bilatéral accordé à la Grèce est, sans aucun doute, le plus exposé au risque de non remboursement de la Grèce car il ne dispose pas de garanties propres. Ainsi, en cas de « répudiation » par la Grèce de la dette née du prêt bilatéral accordé par la France, le déficit public français s'en trouverait dégradé à hauteur du montant de la dette annulée. En effet, la perte observée correspond, en comptabilité nationale, à un flux de dépenses enregistrée l'année où elle est constatée. Par conséquent, si un défaut total sur ce prêt venait à être constaté en 2015, le besoin de financement de notre pays serait accru de 11,4 milliards d'euros au titre de cet exercice - soit de près de 0,5 point de PIB. À cela viendraient s'ajouter les pertes de recettes du fait du non remboursement du capital et des intérêts devant débuter en 2020.

De même, une restructuration partielle du capital du prêt bilatéral conduirait à une augmentation des dépenses publiques, et donc du déficit, au cours de l'année de l'annulation, ainsi qu'à des pertes de recettes au titre des exercices au cours desquels le prêt devait être remboursé. Concrètement, un abandon de 10 % du capital du prêt bilatéral en 2015 aurait pour conséquence de dégrader le déficit public de 1,1 milliard d'euros.

Enfin, une nouvelle baisse des taux d'intérêt demandés par les États membres de la zone euro ou un allongement de la maturité du prêt aboutiraient à de moindres recettes lors des années supposées de remboursement du prêt, participant à une hausse du besoin de financement de la France.

Si, en application de l'article 24 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), les pertes résultants d'une dénonciation ou d'une restructuration du prêt bilatéral de la France devraient être retracées dans le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » - qui a porté le prêt bilatéral - et faire l'objet d'une disposition dans la loi de règlement de l'exercice concerné, les opérations de restructurations - comme les allègements de charges d'intérêt ou la modification des délais de remboursement - ne sont pas soumises à l'autorisation du Parlement, contrairement à d'autres États, et ce en dépit de leurs éventuelles incidences sur le déficit public ou le compte général de l'État. Seul l'octroi du prêt a dû faire l'objet d'une autorisation parlementaire.

S'agissant des garanties apportées par France au Fonds européen de stabilité financière (FESF), celles-ci ne seraient appelées que si le Fonds risquait de ne pas être en mesure d'honorer le paiement des sommes dues au titre des obligations émises afin d'apporter des prêts à la Grèce. Toutefois, une publication du FESF précise qu'« aussi longtemps que le [Fonds] continue à bénéficier d'un accès favorable au marché et est en mesure de refinancer ses instruments de dette, il ne sera pas nécessaire d'appeler la garantie des États membres », avant de conclure qu'« il n'y a aucune raison de croire que le FESF perdra son accès au marché ». En tout état de cause, les principaux remboursements de la Grèce au FESF doivent intervenir entre 2023 et 2054 ; avant cela, les paiements grecs ne présenteront qu'une ampleur modeste, permettant au Fonds de faire « tampon » sans faire appel à la garantie des États. Il n'y a donc pas lieu d'anticiper des dépenses budgétaires au titre du FESF - ce qui impliquerait une autorisation parlementaire.

Il convient malgré tout de relever qu'une dénonciation totale ou partielle de la dette de la Grèce à l'égard du Fonds viendrait dégrader, en comptabilité nationale, le déficit de la France au prorata des garanties apportées - le Fonds étant « transparent » du point de vue de la comptabilité nationale.

Par ailleurs, il convient de relever les risques portés par la France du fait son appartenance à l'Eurosystème. En effet, comme cela a été indiqué précédemment, ce dernier est exposé à un défaut grec à hauteur d'environ 118,4 milliards d'euros en raison des avoirs détenus au titre du programme SMP et de la dette dite « TARGET2 » de la Banque de Grèce. Dès lors, compte tenu de sa quote-part dans le capital de la Banque centrale européenne (BCE), soit 20,26 % en 2014, l'exposition de la France à ce titre est de près de 24 milliards d'euros. Un défaut grec pourrait conduire à devoir recapitaliser la Banque de France par l'État, entraînant une dégradation du déficit en comptabilité budgétaire et en comptabilité nationale.

L'exposition totale théorique de la France à un défaut total grec n'est donc pas de 40 milliards d'euros, comme nous l'entendons souvent, mais de près de 65 milliards d'euros -  soit environ 3 % du PIB.

Pour finir, il convient de souligner qu'une éventuelle intervention du Mécanisme européen de stabilité (MES), que ce soit pour accorder une nouvelle aide à la Grèce ou pour faire face aux désordres susceptibles de découler d'un « Grexit », ne devrait pas donner lieu à de nouvelles dépenses de la France. En effet, le Mécanisme dispose d'un capital propre de 80 milliards d'euros ; en outre, les emprunts émis par le MES ne viennent pas abonder la dette publique des États de la zone euro, en application d'une décision d'Eurostat.

Pour résumer, notre exposition à la Grèce est à la fois multiforme et non négligeable dans son ampleur - 65 milliards d'euros, soit environ 3 %. Je ne porte pas de  jugement de valeur à ce stade mais il est important de savoir exactement quelle serait la traduction comptable, pour la France, d'un défaut de la Grèce.

Concernant le rapport préalable au débat d'orientation des finances publiques, les données révélées par le Gouvernement ne sauraient nous surprendre, dans la mesure où elles sont à peu près identiques à celles qui avaient été publiées dans le programme de stabilité pour les années 2015 à 2018. Dans ces conditions, mon propos ne portera que sur les principaux aspects du scénario macroéconomique et de la trajectoire budgétaire.

Dans son avis du 13 avril 2015, relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a considéré que les anticipations gouvernementales étaient « prudentes ».

Le caractère prudent des prévisions pour l'année 2015 semble confirmé par les informations conjoncturelles récentes et les prévisions de la Commission européenne, du FMI, de l'OCDE ou encore du consensus des économistes.

Il faut dire que le Gouvernement bénéficie de l'intervention de facteurs favorables - comme le recul des prix du pétrole ou encore la baisse du taux de change de l'euro - qui devraient conforter, je l'espère, la compétitivité des entreprises européennes.

Le rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques rappelle le principal objectif budgétaire du Gouvernement, à savoir le retour du déficit public en deçà de 3 % du PIB en 2017. De ce point de vue, la trajectoire du solde structurel semble désormais être passée au second plan.

Quoi qu'il en soit, le Gouvernement intègre à son scénario financier une baisse des prélèvements obligatoires. En effet, les prochaines années devraient être marquées par la mise en oeuvre des mesures - fiscales et non fiscales - annoncées le 8 avril dernier par le Premier ministre, Manuel Valls, afin de remédier à l'atonie de l'investissement.

À titre de rappel, s'agissant de l'investissement des entreprises, une majoration de 40 % de l'amortissement fiscal appliqué aux investissements industriels réalisés entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016 a été annoncée. Aussi, les entreprises pourront déduire ces investissements à hauteur de 140 % du montant de l'impôt sur les sociétés dû. Le coût de ce dispositif - qui a été introduit dans le projet de loi « Macron » - est estimé à 2,5 milliards d'euros sur cinq ans, soit entre 2015 et 2019. Sur ce point, le Sénat a eu raison trop tôt puisque je tiens à rappeler qu'un amendement de la commission des finances visant à mettre en place un mécanisme d'amortissement accéléré avait été adopté à la quasi-unanimité à l'automne dernier. Si le dispositif du Gouvernement est plus ambitieux, il aurait été souhaitable de l'inclure dans la loi de finances pour 2015.

Il est également prévu un plan de travaux autoroutiers de 3,2 milliards d'euros. Par ailleurs, la Banque publique d'investissement devrait accorder 2 milliards d'euros de prêts de plus qu'initialement prévu d'ici 2017, financés grâce au « plan Juncker ». Enfin, des mesures devraient être prises pour orienter davantage l'épargne des ménages vers le financement des entreprises ; il s'agirait, en particulier, de favoriser la diffusion des contrats d'assurance-vie Euro-Croissance et du dispositif PEA-PME.

Pour ce qui est de l'investissement des ménages, afin de stimuler les dépenses dans le domaine du logement, il est prévu de prolonger le crédit d'impôt transition énergétique (CITE) d'une année et d'accroître le budget de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) de 70 millions d'euros en 2015. À titre de rappel, le « coût » du CITE est estimé à 1 320 millions d'euros pour 2016 ; la prolongation du dispositif aurait donc pour effet une hausse des dépenses fiscales d'un montant proche, voire supérieur, au cours de l'exercice 2017.

Enfin, concernant l'investissement public, il a été annoncé que la Caisse des dépôts et consignations mettrait des prêts à taux zéro à disposition des collectivités territoriales pour qu'elles bénéficient d'une avance sur les sommes que l'État leur verse au titre du Fonds de compensation de la TVA.

Le Gouvernement estime que le « coût cumulé de l'ensemble des mesures annoncées [fiscales ou non] est estimé à environ 2,5 milliards d'euros sur la période 2015 à 2017, dont 0,5 milliard d'euros en 2015  » - qui intègre, pour ces trois années, les coûts résultant de la mise en oeuvre du dispositif de « suramortissement ».

Par ailleurs, la baisse du taux de prélèvements obligatoires serait favorisée par la réduction du coût du travail. Ce processus, engagé avec la mise en place du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), est amplifié par les mesures prévues dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité.

Au total, les mesures en faveur des entreprises représenteraient une baisse du niveau des prélèvements de 32,5 milliards d'euros en 2017 et de 40,5 milliards d'euros en 2018.

Malgré cela, la baisse des prélèvements obligatoires serait limitée en raison de la hausse de certains impôts, qui viennent partiellement neutraliser les mesures qui viennent d'être évoquées. À titre d'illustration, la baisse des prélèvements ne serait que de 2,3 milliards d'euros en 2015, selon une estimation de la Cour des comptes, en raison de plusieurs mesures venant en augmentation. Les principales sont l'ajout d'une composante carbone à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour 1,8 milliard d'euros, la hausse des tarifs de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) pour 1,1 milliard d'euros, la limitation de la déductibilité des charges financières des entreprises pour 1,3 milliard d'euros, la hausse des taux des impôts locaux pour 0,9 milliard d'euros et les hausses des taux des cotisations aux régimes de retraite de base et complémentaires pour 1,8 milliard d'euros. Par ailleurs, le Gouvernement attend un surplus de recettes de 0,4 milliard d'euros sur l'année 2015 puis de 0,4 milliard d'euros supplémentaires en 2016 du fait des mesures prises en matière de fraude fiscale. Par conséquent, la diminution du taux de prélèvements obligatoires serait d'une ampleur très limitée, soit de 0,2 point entre 2015 et 2017, pour atteindre 44,2 % du PIB - un niveau relativement stable.

À compter de l'exercice 2015, la consolidation budgétaire doit reposer exclusivement sur des efforts en dépenses. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a proposé une trajectoire d'ajustement reposant sur 50 milliards d'euros d'économies au cours de la période 2015-2017, ce qui suppose un fort ralentissement de la dépense publique.

Le Gouvernement a fait le choix de répartir les efforts d'économies entre les différents sous-secteurs des administrations : 19 milliards d'euros pour l'État et ses agences entre 2015 et 2017, 11 milliards d'euros pour les collectivités territoriales, et 21 milliards d'euros pour les administrations de sécurité sociale (ASSO). Le montant des économies totales à réaliser s'élèverait donc à 21 milliards d'euros en 2015, puis à 15 milliards d'euros en 2016 et à 14 milliards d'euros en 2017.

Toutefois, afin de respecter ce programme d'économies annoncé dans un contexte de faible inflation - qui a réduit le rendement attendu de certaines mesures, comme le « gel » du point d'indice des agents de la fonction publique -, le Gouvernement annoncé des efforts supplémentaires d'un montant de 4 milliards d'euros en 2015. Ceux-ci ont été détaillés dans un rapport adressé le 10 juin dernier à la Commission européenne.

Ce document précise, tout d'abord, les économies complémentaires d'un montant de 1,2 milliard d'euros devant être réalisées par l'État et ses opérateurs ; à ce titre, le décret d'annulation de 0,7 milliard d'euros publié le 10 juin 2015 consiste essentiellement en une mesure de « rabot », qui touche les crédits de tous les ministères sauf celui de la défense. En outre, le Gouvernement constate opportunément un ralentissement des dépenses de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) et des décaissements du programme d'investissements d'avenir (PIA), pour un montant total de 0,5 milliard d'euros - mais cela s'apparente finalement à de la régulation budgétaire. À cela viendrait heureusement s'ajouter une révision à la baisse de la charge de la dette au titre de l'exercice 2015 pour 1,2 milliard d'euros, en lien avec le recul récent des taux d'intérêt. Les administrations de sécurité sociale (ASSO), quant à elles, contribueraient à hauteur de 1 milliard d'euros à l'effort supplémentaire. Enfin, les mesures complémentaires annoncées pour 2015 tiennent compte d'un surcroît de recettes de 0,4 milliard d'euros provenant du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) et de dividendes reçus par l'État supérieurs de 0,2 milliard d'euros. En bref, les 4 milliards d'euros d'économies supplémentaires reposent largement sur des mesures de « rabot » ou d'opportunité.

Pour l'année 2016, un effort supplémentaire de 5 milliards d'euros a également été annoncé par le Gouvernement. Toutefois, les mesures sont pour l'instant imprécises et peu détaillées dans les différents documents que nous avons reçus.

Ainsi, le Gouvernement prévoit, par exemple, un effort supplémentaire de 1,2 milliard d'euros pour les collectivités territoriales, qui passe notamment par la mise à jour de l'objectif d'évolution de la dépense locale (Odedel), lequel n'est pourtant pas un objectif contraignant. Cette économie devrait s'expliquer par le ralentissement de l'inflation ; toutefois, l'hypothèse de rigidité de la dépense à la baisse retenue par le Gouvernement pourrait être sous-estimée. Aussi, il y a lieu de se demander si cette réduction de 1,2 milliard d'euros ne se traduira finalement pas par une baisse supplémentaire des dotations, afin de contraindre les dépenses des collectivités territoriales. Les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales ont déjà été réduits ; le seront-ils encore ?

Par ailleurs, 2,2 milliards d'euros d'économies supplémentaires seraient réalisées en 2016 par les administrations de sécurité sociale (ASSO). Tout cela doit être précisé.

Au total, l'économie supplémentaire prévue dans le champ des collectivités territoriales demeure très incertaine, à tel point que les services de la Commission européenne n'ont pas jugé opportun d'en tenir compte dans les projections réalisées lors de l'évaluation des actions prises par la France en réponse à la recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015.

Pour résumer, l'objectif du Gouvernement réside dans un retour du déficit public en deçà de 3 % en 2017, conformément à la recommandation du Conseil de l'Union européenne précitée. Fort de résultats au titre de l'exercice 2014 plus favorables qu'initialement prévu, le déficit public s'élevant à 4 % du PIB et non à 4,4 % comme l'anticipait la loi de programmation des finances publiques 2014-2018, le Gouvernement a retenu une cible de déficit effectif de 2,7 % du PIB, légèrement inférieure à l'objectif de 2,8 % du PIB arrêté par le Conseil de l'Union européenne.

Le déficit structurel, quant à lui, passerait de 2 % du PIB en 2014 à 0,1 % du PIB à 2018, correspondant à un ajustement structurel de 0,5 point de PIB par an entre 2015 et 2018. Cet ajustement serait supérieur à celui figurant dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) qui prévoyait un ajustement structurel de 1,6 point de PIB sur la période 2015-2018. Toutefois, les éléments relatifs au solde structurel et à l'ajustement structurel sont difficilement comparables dès lors que le Gouvernement a fait le choix de modifier les hypothèses de produit intérieur brut (PIB) potentiel et de croissance potentielle. Nous avons eu le débat avec le ministre : l'exercice de comparaison est difficile si l'on modifie le « thermomètre ». Le Sénat avait pourtant obtenu que la loi organique de décembre 2012 prévoie que la même hypothèse de PIB potentiel soit utilisée tout au long d'une période de programmation. En modifiant les hypothèses de croissance potentielle - ce qui signifie que plusieurs trajectoires de solde structurel peuvent exister en même temps -, le Gouvernement n'applique donc pas l'esprit de la loi organique de décembre 2012 et rend le contrôle particulièrement difficile.

En bref, avec les hypothèses de croissance potentielle de la dernière loi de programmation, l'ajustement ne serait que de 1,6 point de PIB environ. La révision de ces hypothèses permet au Gouvernement de présenter un ajustement structurel de 0,5 point de PIB par an au titre de la période 2016-2018, soit le niveau minimal requis par le Pacte de stabilité et de croissance.

Pour autant, cela ne permet aucunement d'atteindre les cibles d'ajustement structurel arrêtées par le Conseil de l'Union européenne dans sa recommandation du 10 mars dernier. L'insuffisance des ajustements structurels programmés pour les exercices 2015 et 2016 a, d'ailleurs, été relevée par la Commission européenne dans sa communication du 1er juillet 2015, qui évalue les actions prises par la France en réponse à la recommandation du Conseil de l'Union européenne ; cette communication appelle, en outre, à ce que les économies envisagées pour 2016 et 2017 soient précisées.

Le programme de stabilité 2015-2018 prévoit une progression du niveau d'endettement public jusqu'en 2016, année au cours de laquelle la dette publique représenterait 97 % du PIB, avant d'engager théoriquement une décroissance à compter de 2017. Toutefois, depuis 2012, le Gouvernement n'a cessé de reporter la date à laquelle la part de la dette publique dans le PIB devait diminuer et de revoir à la hausse la trajectoire de celle-ci. Il convient donc d'être très prudent sur cette hypothèse qui évolue en temps réel.

Concrètement, cela démontre que le Gouvernement a une maîtrise des plus limitées de l'évolution de la dette publique. Cela est d'autant plus inquiétant qu'un niveau élevé de dette publique - nous en sommes à 2 089,4 milliards d'euros aujourd'hui - expose l'État concerné à un accroissement rapide de la charge de la dette en cas de remontée des taux d'intérêt. Lors de la conférence de presse sur le rapport annuel de la Banque de France portant sur l'exercice 2014, qui s'est déroulée le 5 mai 2015, Christian Noyer, le gouverneur de la banque centrale nationale, a estimé qu'une hausse permanente des taux de cent points de base sur l'ensemble des maturités de la dette en 2015 « coûterait 40 milliards d'euros aux finances publiques ». Lors de son audition par notre commission le 1er juillet 2015, le directeur général de l'Agence France Trésor, Anthony Requin, avait quant à lui rappelé qu'une augmentation de cent points de base par rapport à notre scénario de référence entraîne, la première année, un alourdissement de la charge de la dette de l'État de 2,4 milliards d'euros. Or, la remontée des taux d'intérêt n'est pas qu'une hypothèse d'école compte tenu de la situation actuelle.

Le Gouvernement rappelle sans cesse le chiffre magique de 50 milliards d'euros, mais en dépit de sa « constance » qui doit être saluée, le programme d'économies demeure peu documenté. La Commission européenne elle-même n'a identifié en février dernier « que » 25 milliards d'euros ; de même, dans son avis sur la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) estimait que le respect de la trajectoire supposait d'« infléchir fortement et sur toute la période de programmation la croissance de la dépense publique ».

Par conséquent, compte tenu du fait que la croissance des dépenses publiques en volume a été de 2 % en moyenne entre 2000 et 2013 et de ce que les gouvernements ont rarement tenu leurs objectifs en la matière, il faudrait réaliser un effort très vif pour réaliser le programme de 50 milliards d'euros d'économies annoncé.

À cet égard, je vous rappelle les projections que nous avions réalisées lors de l'examen du dernier programme de stabilité. Elles montrent que le non-respect de l'objectif d'évolution annuelle de la dépense publique en volume fixé dans le programme de stabilité aurait pour conséquence de dégrader fortement la trajectoire des soldes structurel et effectif et de la dette publique. Ainsi, si la progression de la dépense publique en volume était de 0,7 % par an au cours de la période 2016-2018 au lieu de 0,4 % comme le prévoit le Gouvernement, le solde effectif passerait de - 1,9 % à - 2,7 % du PIB. La dette publique, elle, s'approcherait des 100 % du PIB. Nous avons également étudié l'hypothèse d'une progression de la dépense publique de 1,1 % par an en volume entre 2016 et 2018.

En dépit de la « prudence » des hypothèses de croissance retenues par le Gouvernement dans le projet de programme de stabilité, il nous a paru utile de montrer l'extrême sensibilité de la trajectoire de solde effectif et de la dette publique à la conjoncture économique. Ainsi, une croissance inférieure d'un demi-point aux hypothèses du Gouvernement aurait un effet très important. Là encore, la dette approcherait les 100 % du PIB à l'horizon 2017.

Concernant le budget de l'État, le Gouvernement transmet au Parlement un document « tiré à part », qui retrace, de manière agrégée, les arbitrages du budget triennal, et notamment les plafonds d'emplois et les crédits des différentes missions. Nous avons reçu ce document dans la nuit ; je vais vous en présenter les grandes lignes, étant donné qu'il ne m'a donc pas été possible d'en faire, en vue de cette présentation, une analyse approfondie.

Le Gouvernement a donc annoncé en 2014 un plan d'économies de 50 milliards d'euros sur la période 2015-2017. En outre, et afin de respecter les engagements pris envers les institutions européennes, des économies supplémentaires ont été annoncées à hauteur de 4 milliards d'euros en 2015 et 5 milliards d'euros en 2016 sur l'ensemble des administrations publiques. La part portée par l'État et ses opérateurs s'élève à 1,2 milliard d'euros. En réalité, toutefois, la majeure partie de la réduction des dépenses de l'État en 2016 ne traduit pas réellement un effort budgétaire mais proviendrait, pour 1,11 milliard d'euros, de la baisse de la contribution au budget de l'Union européenne !

Quant aux crédits qui devraient être alloués aux ministères en projet de loi de finances pour 2016, ceux-ci augmentent de 153 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2015 et de 295 millions d'euros par rapport à l'annuité 2016 de la loi de programmation des finances publiques 2014-2019 : il n'y a donc pas d'économies budgétaires.

Ces écarts s'expliquent pour une part du fait de la réorientation des priorités du Gouvernement intervenue à la suite des attentats de janvier 2015. Les crédits dont bénéficie le ministère de la défense devraient ainsi augmenter en 2016 de 968 millions d'euros par rapport à 2015 et de 566 millions d'euros par rapport à la loi de programmation des finances publiques 2014-2019, afin d'assurer le déploiement sur le territoire de l'opération « Sentinelle », un renforcement des équipements et l'expérimentation du service militaire volontaire. La forte augmentation des crédits alloués au ministère de la ville, de la jeunesse et des sports découle notamment du relèvement de la cible de contrats de service civique. Des annonces faites en cours d'année sur la création de quelque 100 000 contrats aidés supplémentaires expliquent une large partie de l'augmentation de 350 millions d'euros des crédits destinés au ministère du travail et de l'emploi par rapport à la loi de programmation des finances publiques 2014-2019.

Certaines augmentations ou diminutions de crédits paraissent cependant plus surprenantes : le budget du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche devrait augmenter de 137 millions d'euros par rapport à la loi de programmation des finances publiques. Ce ministère conduit, certes, l'une des politiques publiques prioritaires du Gouvernement, mais les créations de postes supplémentaires étaient, en principe, déjà intégrées dans la loi de programmation des finances publiques.

À l'inverse, on peut être surpris par la réduction marquée des crédits alloués à la politique du logement, de 425 millions d'euros par rapport à la loi de programmation des finances publiques, alors qu'elle est censément l'une des priorités du Gouvernement.

M. Philippe Dallier. - Ce sont les aides personnalisées au logement (APL) qui vont baisser !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La réduction est également marquée au ministère de l'écologie, à hauteur de 113 millions d'euros, à l'heure où se prépare la tenue de la conférence « COP 21 »...

Hors opérateurs et budgets annexes, le schéma d'emploi prévu pour 2016 verrait la création nette de 8 293 équivalents temps plein (ETP). Les ministères de l'éducation nationale et de la défense en seraient les principaux bénéficiaires, avec des créations de postes respectivement à hauteur de 8 561 ETP et 2 300 ETP. Les autres ministères verraient la suppression de 3 939 ETP, dont plus de la moitié porterait sur le ministère des finances, qui devrait perdre 2 548 ETP. Cela devrait se ressentir dans les trésoreries en milieu rural...

M. Claude Raynal. - Voulez-vous finalement une hausse ou une baisse du nombre d'emplois ? Il faudrait savoir !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cette hausse porte le solde des emplois créés par le Gouvernement depuis le début du quinquennat à environ 1 800 ETP, c'est-à-dire au-delà de la stabilisation des effectifs prévue par la dernière loi de programmation des finances publiques.

- Présidence de M. Richard Yung, vice-président -

M. Marc Laménie. - S'agissant des économies à dégager, la baisse des emplois au niveau des trésoreries envisagée par le rapporteur général me paraît problématique.

Ensuite, je m'interroge sur la signification de la notion de « période de grâce », qui a été évoquée lorsqu'il était question du prêt bilatéral accordé par la France à la Grèce.

M. Claude Raynal. - Je ferai deux commentaires. Tout d'abord, monsieur le rapporteur général, je constate que vous parvenez, dans la même phrase, à critiquer les créations d'emplois alors que le Gouvernement visait la stabilité, tout en regrettant la diminution des personnels au niveau des trésoreries.

Je pense qu'il faudra bien que vous arrêtiez votre position sur la nécessité ou non de stabiliser le nombre d'emplois. Vous défendez une position que l'on peut comprendre, mais elle implique nécessairement des réductions d'emplois dans certains domaines.

Il est vrai que les évolutions qui nous sont présentées résultent d'un choix politique, on le voit notamment à travers l'action du Gouvernement en matière d'enseignement. Néanmoins, nous sommes tous d'accord sur le renforcement des moyens en faveur de la défense nationale dans le contexte actuel. Il faut donc considérer tous ces chiffres avec distance et précaution.

Pour autant, personne ne conteste la tension existant sur nos finances publiques depuis quelques années, contexte dans lequel l'équilibre budgétaire doit s'apprécier annuellement. Dès lors, on ne peut pas disposer d'une vision de très long terme, sachant en outre que le Gouvernement doit parfois réagir à l'actualité, comme avec le terrorisme, problème qui prend des proportions nous obligeant à faire face et à sortir d'une vision purement comptable. À cet égard, j'aurais souhaité des mots d'encouragement de votre part.

Ensuite, s'agissant des taux d'intérêt, vous nous rappelez ce que nous a fort bien expliqué l'Agence France Trésor. J'aimerais souligner, à cet égard, que le risque de hausse des taux d'intérêt a bien été pris en compte dans les prévisions du Gouvernement, au titre de l'année 2015, ainsi que pour les années 2016 et 2017. Il se fonde ainsi sur une hypothèse de taux d'intérêt allant jusqu'à 3,2 %, niveau déjà très significatif par rapport à la situation actuelle. Espérons qu'un tel phénomène n'aura pas lieu ! Le Gouvernement a donc pris en compte à juste titre ce risque dans son analyse : vous pourriez en prendre acte.

M. Serge Dassault. - Tout cela n'est pas crédible... Cela ne rime à rien, nous ne respecterons pas les objectifs indiqués. C'est de la pure mystification ! Les économies annoncées ne sont pas documentées. Ce n'est pas comme ça que l'on va réduire le déficit. Il faut reprendre tout ça et faire un bon budget.

M. François Marc. - Les propositions du Gouvernement me semblent prudentes et équilibrées. Prudentes, car les chiffres présentés, notamment en matière de croissance, sont crédibles et ont d'ailleurs été validés par le Haut Conseil des finances publiques ainsi que par la Commission européenne. Équilibrées, car il s'agit de redresser les finances publiques, sans étouffer la croissance. Il faut certes réduire le déficit, mais aussi redonner de la compétitivité aux entreprises et conserver un effort de redistribution en faveur des plus modestes. Étant donné les contraintes, je pense que nous allons dans le bon sens, et si nous avions à voter sur ces propositions, je leur apporterais mon suffrage.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Pour répondre à Marc Laménie, le délai de grâce correspond au différé d'amortissement et d'intérêt, c'est-à-dire le moment où l'on ne paye ni le capital ni les intérêts.

Claude Raynal est revenu sur les suppressions de postes de fonctionnaires. Il y a des sujets tels que la défense sur lequel il n'y a pas de débat : des postes supplémentaires sont nécessaires. Mais je parlais des emplois du ministère des finances. Il faut distinguer les postes où l'on saisit des feuilles d'impôts des postes plus utiles. Je pense en particulier au service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) des avoirs à l'étranger, qui permet d'augmenter les recettes d'ISF, mais où de nombreux dossiers sont en souffrance pour des questions d'effectifs. De même, dans le contexte de la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et d'évolution de la carte intercommunale, les collectivités territoriales auront besoin de l'expertise des trésoreries.

S'agissant du risque de taux, nous savons que le consensus des économistes va plutôt dans le sens d'une hausse à long terme, qui aurait des effets très importants, comme nous l'a exposé récemment le directeur de l'Agence France Trésor. La première année, le coût d'une hausse de 100 points de base serait supportable, mais il deviendrait de plus en plus lourd : dès la deuxième année, ce serait 5,3 milliards d'euros et plus de 17 milliards d'euros au bout de dix ans !

Serge Dassault a exprimé dans son style très direct ce que l'on peut penser, ou ce que pense la Cour des comptes d'ailleurs, quand elle dit, sur un ton très poli, que les économies sont peu documentées... Par exemple, l'économie annoncée sur le prélèvement communautaire n'est pas une vraie économie budgétaire. Cela se traduira par un déficit budgétaire qui devrait continuer à augmenter et donc un endettement en hausse également.

François Marc a évoqué les prévisions du Gouvernement en matière de taux de croissance notamment. Je ne pense pas qu'il y ait de débat là-dessus : je ne conteste pas que le taux de croissance retenu soit en adéquation avec ce que disent le FMI, l'OCDE ou encore le consensus des économistes. Depuis la mise en place du Haut Conseil des finances publiques, les hypothèses retenues sont beaucoup plus crédibles. Ce qui me pose problème, c'est le manque de  « sérieux budgétaire » : les économies annoncées reposent sur les collectivités territoriales et sur des économies de constatation, ou encore, sur des ponctions sur les fonds de roulement des opérateurs. Mais nous ne voyons pas de véritable réforme structurelle, qui permette de vraies économies.

La commission donne acte de sa communication à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, et en autorise la publication sous la forme de deux rapports d'information, l'un consacré aux risques financiers pour la France inhérents à un éventuel défaut grec, et l'autre aux orientations des finances publiques.

Loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014 - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire

Puis, la commission procède à la désignation de ses membres appelés à faire partie d'une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2014.

Mme Michèle André, MM. Albéric de Montgolfier, Philippe Dallier, Serge Dassault, Vincent Delahaye, François Marc et Mme Marie-France Beaufils sont désignés en qualité de membres titulaires et MM. Michel Canevet, Jacques Chiron, Francis Delattre, Philippe Dominati, Roger Karoutchi, Jean-Claude Requier et Maurice Vincent sont désignés en qualité de membres suppléants.

Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Albéric de Montgolfier rapporteur sur la proposition de résolution européenne présentée par MM. Jean-Paul Emorine et Richard Yung, au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur une Union des marchés de capitaux (sous réserve de son dépôt).

La réunion est levée à 12 h 50.