MM. Nuihau LAUREY et Georges PATIENT

PREMIÈRE PARTIE
EXAMEN DES CRÉDITS DE LA MISSION OUTRE-MER

I. LA MISSION « OUTRE-MER » : DES CRÉDITS GLOBALEMENT « PRÉSERVÉS », MAIS QUI DEMEURENT TRÈS EN-DEÇA DES BESOINS DES TERRITOIRES ULTRAMARINS

A. UN OBJECTIF DE RATTRAPAGE DES OUTRE-MER DE PLUS EN PLUS INACESSIBLE

1. Un niveau de vie inférieur à celui de l'hexagone

En 2012, le produit intérieur brut par habitant dans l'hexagone s'élevait à 31 420 euros, contre 19 439 euros dans les quatre départements et régions d'outre-mer (15 416 euros en Guyane) et 6 575 euros à Mayotte.

PIB par habitant hexagonal et PIB par habitant des outre-mer en 2012

(en euros)

Source : IEDOM, INSEE, ISPF, ISEE, CEROM

Chaque année, le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) publie un classement des pays en fonction de leur indice de développement humain (IDH). En 2010, la France métropolitaine occupait la vingtième position. La Martinique et la Guadeloupe se situaient autour de la quarantième place, La Réunion à la 72 e , la Guyane à la 76 e et Mayotte à la 104 e .

2. Une situation sociale dégradée impliquant une forte intervention publique

Aux difficultés économiques rencontrées par les territoires ultramarins s'ajoutent d'importantes difficultés sociales.

Dans un rapport de 2014 1 ( * ) , la Cour des comptes rappelait que le taux de mortalité infantile a augmenté entre 2000 et 2012 dans plusieurs territoires ultramarins (Guadeloupe, Martinique, La Réunion, Polynésie française), traduisant ainsi la persistance d'importantes difficultés sanitaires.

Évolution de la mortalité infantile

(pour 1 000 naissances)

2000

2012

Guadeloupe

7,8

9,9

Martinique

6,6

8

Guyane

12,5

9,2

La Réunion

5,7

8,5

Mayotte

nd

16,1

Nouvelle-Calédonie

4,6

4,1

Polynésie française

6,9

7,5

Wallis et Futuna

nd

5,6

Métropole

4,4

3,3

Source : Cour des comptes

Dans le domaine de l'éducation, nos collègues Éric Doligé et Michel Vergoz soulignaient dans un rapport de 2014 2 ( * ) que « l'ensemble des outre-mer accuse toujours un retard important qui peine à se résorber , sauf pour la Guadeloupe qui a vu son écart avec l'hexagone concernant l'indice « éducation » se réduire de moitié entre 1990 et 2010 ». Ainsi, « selon une étude réalisée par le ministère de l'éducation lors de la journée " défense citoyenne ", la part de jeunes de 18 ans en difficulté de lecture atteint 10 % en moyenne en 2012 pour l'ensemble de la France mais entre 30 et 75 % dans les DOM avec : 27,6 % à La Réunion, 30,4 % en Martinique, 33 % en Guadeloupe, 48,4 % en Guyane et 74,9 % à Mayotte. Parmi ces jeunes, la proportion d'illettrés est estimée à 15,5 % à La Réunion, 17 % en Martinique, 20 % en Guadeloupe, 28 % en Guyane et 44 % à Mayotte, soit une fraction considérable de la classe d'âge. Un quart des jeunes martiniquais, guadeloupéens et réunionnais de 20 à 24 ans ayant quitté le système scolaire n'ont que le niveau du primaire contre 14 % en métropole selon les données du recensement de 2009. Ce chiffre atteint 53 % pour la Guyane et à Mayotte, 60 % ont au plus le niveau primaire en 2007 du fait d'une non-scolarisation massive. Le comblement du retard éducatif doit donc être relativisé car le mouvement global de long terme masque d'importantes disparités entre territoires et au sein des territoires eux-mêmes, marqués par les inégalités. En effet, les taux de réussite au baccalauréat, plutôt satisfaisants et en progression, ne reflètent pas la situation des jeunes très tôt " sortis du circuit " ».

S'agissant de la situation de l'emploi, le taux de chômage dans les outre-mer est significativement plus élevé qu'en métropole (20 % contre 10 %) et frappe plus particulièrement les jeunes. Le taux de chômage des 15-24 ans est ainsi supérieur à 50 % dans la plupart des départements d'outre-mer. En 2014, il atteignait, par exemple, 56,3 % en Guadeloupe et 50,6 % en Martinique, contre 23,7 % en métropole.

Par ailleurs, comme le rappelaient l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'administration dans un rapport conjoint de décembre 2014 3 ( * ) , le nombre de bénéficiaires du RSA pour 1 000 habitants de 25 à 64 ans est plus de trois fois supérieur dans les départements d'outre-mer à la moyenne métropolitaine.

Cette situation sociale dégradée nécessite une intervention publique plus élevée qu'en métropole. Ainsi, en 2013, les dépenses de fonctionnement d'aide sociale des départements d'outre-mer étaient de 1 056 euros par habitant contre 540 euros pour les départements de l'hexagone.

B. UNE ÉVOLUTION CONTRASTÉE DES CRÉDITS DE LA MISSION « OUTRE-MER » EN 2016

Évolution des crédits de paiement de la mission « Outre-mer »
inscrits en lois de finances initiales

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les crédits de paiement (CP) de la mission « Outre-mer » devraient être maintenus en 2016, passant de 2,062 milliards d'euros à 2,063 milliards d'euros (+ 0,3 %) mais avec des évolutions contrastées selon les programmes . En effet, alors que les CP du programme 138 « Emploi outre-mer » connaissent une baisse de 1,3 % (- 17,3 millions d'euros), ceux du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » augmentent de manière sensible de + 2,7 % (+ 18,4 millions d'euros).

Si l'exécution en 2014 a été inférieure aux prévisions, le taux de consommation des CP demeure élevé (98,4 %). Par ailleurs, en 2012 et 2013, une surconsommation de crédits a pu être constatée (cf. graphique ci-après).

La hausse des CP prévue en 2016 traduit donc l'anticipation de la montée en charge des opérations contractualisées .

CP inscrits en loi de finances initiale et consommés depuis 2009

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Pour autant, vos rapporteurs spéciaux s'inquiètent de l'accroissement du montant des restes à payer 4 ( * ) depuis 2010 et du maintien à un niveau élevé des charges à payer 5 ( * ) . S'agissant des restes à payer, une hausse de 21,8 % peut être constatée depuis fin 2010, pesant particulièrement sur le logement et les politiques contractuelles portées par le programme 123. Les charges à payer s'élevaient fin 2014 à 76,8 millions d'euros (contre 87,1 millions d'euros en 2013). Elles résultent également de tensions sur les paiements opérés au titre de la ligne budgétaire unique (22,2 millions d'euros fin 2014) et d'un niveau élevé d'impayés au titre des opérations contractuelles (27,4 millions d'euros fin 2014). Vos rapporteurs spéciaux estiment par conséquent que le niveau de crédits de paiement consacrés à la ligne budgétaire unique ne devrait pas permettre un apurement de la dette vis-à-vis des organismes de logement social (cf. infra ).

Montant des charges à payer (CAP) et des restes à payer (RAP)

(en millions d'euros)

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Les autorisations d'engagement (AE) de la mission connaissent une diminution significative de 3,1 % (- 13,9 millions d'euros) .

Comme le montre le graphique ci-après, cette diminution est cohérente avec le niveau de consommation d'AE, inférieur depuis 2013 au niveau d'AE inscrit en loi de finances initiale et qui s'élevait, en 2014, à 2,05 milliards d'euros.

AE inscrites en loi de finances initiale et consommées depuis 2009

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette baisse est principalement portée par les actions 01 « Soutien aux entreprises » et 02 « Aide à l'insertion et à la qualification professionnelle » du programme 138.

S'agissant de l'action 01, la diminution du niveau d'AE (- 25 millions d'euros) résulte pour l'essentiel de la mise en oeuvre de la réforme du dispositif des exonérations de charges (cf. infra ).

La diminution d'AE prévue au titre de l'action 02 (- 5,5 millions d'euros) est quant à elle imputable à la baisse des investissements engagés dans le cadre du service militaire adapté (SMA).

Évolution des crédits des deux programmes de la mission

(en millions d'euros)

AE ouvertes en LFI pour 2014

AE ouvertes en LFI pour 2015

AE demandées pour 2016

Évolution 2016/2015

CP ouverts en LFI pour 2014

CP ouverts en LFI pour 2015

CP demandés pour 2016

Évolution 2016/2015

Programme n° 138 « Emploi outre-mer »

1 402,4

1 391,9

1 361,1

- 2,2 %

1 386,1

1 378,6

1 361,4

- 1,3 %

Programme n° 123 « Conditions de vie outre-mer »

742,7

701,0

718,6

2,5 %

671,5

683,5

702,0

2,7 %

Total de la mission « Outre-mer »

2 145,1

2 092,8

2 079,6

- 3,1 %

2 057,6

2 062,2

2 063,3

0,3 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

C. UN NIVEAU DE CRÉDITS DE PAIEMENT INFÉRIEUR À LA PROGRAMMATION TRIENNALE 2015-2017

Plafonds des crédits de paiement* de la mission « Outre-mer »
pour les années 2015 à 2017

(en millions d'euros)

LFI 2015 au format PLF 2016

LPFP 2016 au format PLF 2016

PLF 2016

LPFP 2017 au format 2016

2 017

2 062

2 018

2 104

Source : projet annuel de performances annexé au présent projet de loi de finances

* Hors contributions de l'État au CAS « Pensions »

Sur l'ensemble de la programmation triennale, les CP de la mission hors contribution au CAS « Pensions » devraient augmenter de 4,3 %, passant de 2,017 milliards d'euros à 2,104 milliards d'euros.

La mission « Outre-mer », dont les crédits pour 2016 seront inférieurs de 44 millions d'euros au plafond triennal fixé dans la loi de programmation des finances publiques, participe donc de manière substantielle à l'effort de modération des dépenses publiques, malgré l'importance des besoins des territoires ultramarins.

D. LA DIMINUTION DES CRÉDITS DE FONCTIONNEMENT DU MINISTÈRE DES OUTRE-MER

En 2013, le ministère de l'intérieur a transféré au ministère des outre-mer une partie de ses crédits de fonctionnement, qui était jusqu'alors intégralement supportés par le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », du ministère de l'intérieur. Ces crédits de fonctionnement et d'intervention concernent les services du cabinet de la ministre, de la direction générale des outre-mer (DGOM) et de la délégation interministérielle à l'égalité des chances des français d'outre-mer (DIECFOM). Les dépenses lourdes d'infrastructure de réseaux de communication et informatiques, ainsi que les dépenses immobilières, continuent, en revanche, d'être prises en charge par le ministère de l'intérieur.

Pour la deuxième année consécutive, les crédits de fonctionnement du ministère des Outre-mer connaissent une diminution sensible (- 11 % en 2016 après une baisse de 5 % en 2015) . Ils s'élèveront à 2,44 millions d'euros en AE comme en CP, contre 2,75 millions d'euros en 2015.


* 1 Cour des comptes, « La santé dans les Outre-mer », rapport public thématique, juin 2014.

* 2 Rapport d'information n° 710 (2013-2014) d'Éric Doligé et Michel Vergoz, fait au nom de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, déposé le 9 juillet 2014.

* 3 Inspection générale des affaires sociales et inspection générale de l'administration, « L'insertion professionnelle des bénéficiaires du RSA en outre-mer », décembre 2014.

* 4 Engagements juridiques non couverts par des paiements.

* 5 Opérations pour lesquelles la dette est constituée mais qui n'ont pas encore donné lieu à paiement.