Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale

II. DES BÉNÉFICIAIRES EFFECTIFS QUI NE CORRESPONDENT PAS AUX OBJECTIFS AFFICHÉS DU DISPOSITIF, UN EFFET AU MIEUX INCERTAIN SUR LA COMPÉTITIVITÉ ET L'EMPLOI

A. LE CICE BÉNÉFICIE MAJORITAIREMENT À DES ENTREPRISES QUI NE SONT PAS SOUMISES À LA CONCURRENCE INTERNATIONALE

D'après l'exposé des motifs accompagnant l'amendement gouvernemental prévoyant la création du CICE, « le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) (...) répond pleinement à la problématique de la compétitivité coût qui participe de la perte de compétitivité de notre pays . Il donnera aussi aux entreprises un ballon d'oxygène pour investir et innover, au service de leur compétitivité hors coût ».

Du point de vue de la compétitivité des entreprises, il faut tout d'abord noter que le CICE n'est pas, contrairement à ce que pourrait laisser supposer son intitulé, concentré sur les entreprises qui sont effectivement soumises à la concurrence internationale , c'est-à-dire celles qui exportent. Les bénéficiaires du CICE reflètent donc la diversité du tissu économique français, à la nuance près que les montants de CICE les plus élevés sont attribués aux entreprises pour lesquelles une part importante de la main-d'oeuvre est en-dessous du plafond de 2,5 SMIC . Or les entreprises exportatrices ont en moyenne des personnels plus qualifiés que les autres sociétés. En d'autres termes, l'absence totale de ciblage de la dépense fiscale conduit à ce qu'elle bénéficie majoritairement à des entreprises qui ne sont pas soumises à la concurrence internationale .

Répartition des gains du CICE entre entreprises en fonction de leur CA
réalisé à l'export, estimations 2013

Source: Comité de suivi des aides publiques aux entreprises, d'après INSEE, DADS 2011, ESANE 2010

Plusieurs interlocuteurs ont fait valoir l'importance de la compétitivité indirecte en matière d'exportations , c'est-à-dire la nécessité, pour les entreprises exportatrices, de bénéficier d'un tissu de sous-traitants industriels et de service bon marché. Sans nier cet effet, il s'agit de reconnaître que ce crédit d'impôt bénéficie largement à des secteurs qui n'ont pas, ou presque, de lien avec l'industrie . 65 % des entreprises industrielles françaises sont artisanales, et constituent souvent des sous-traitants pour les entreprises plus développées . L'argument de la compétitivité indirecte ne plaide donc pas pour le CICE, qui reste très modeste pour ces activités.

Répartition du CICE par secteur

(en %)

Source : réponse du ministère du budget au questionnaire de la rapporteure spéciale

Par ailleurs, il ressort de l'analyse du profil des bénéficiaires du CICE non par secteur, mais par localisation géographique que les régions les plus bénéficiaires sont également les régions les plus riches et cela se comprend aisément dans la mesure où ce sont elles qui ont le plus grand nombre d'entreprises et les plus faibles taux de chômage. Le CICE, outre qu'il ne paraît pas améliorer la compétitivité de l'économie, contribue également à accroître les inégalités sur les territoires en donnant plus à ceux qui ont déjà beaucoup .

La grande diversité des profils des bénéficiaires, ainsi que l'importance budgétaire du dispositif , ont conduit à faire peser une charge de gestion - mais aussi de promotion - importante sur l'administration fiscale. Comme votre rapporteure spéciale a eu l'occasion de le constater lors d'une visite sur place à la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France, le travail préalable de vérification d'un dossier de demande de CICE est lourd et fait intervenir un grand nombre de logiciels, dont certains apparaissent d'ailleurs vétustes. Ses interlocuteurs ont expliqué les conditions tendues dans lesquelles le CICE a été mis en place : représentant une priorité politique absolue, il a pris le pas sur d'autres dispositifs ou d'autres missions, au détriment du bon fonctionnement des services . Si les années à venir devraient être plus apaisées, en raison de l'adaptation des services à cette nouvelle charge, les représentants syndicaux rencontrés ont cependant fait part de leur inquiétude relative aux conditions dans lesquelles les missions de recouvrement et de contrôle , missions privilégiées des administrations fiscales, sont effectuées et le seront à l'avenir. Les agents des finances publiques ont été formés à recouvrer des recettes, et non - ou pas principalement - à reverser des fonds aux entreprises.

En somme, la présentation du dispositif, et son intitulé, ne paraissent pas correspondre à la réalité de son fonctionnement . Il semble à votre rapporteure spéciale que l'impôt sur les sociétés est par nature un prélèvement sur les bénéfices, et non un instrument pour de réduction du coût de la masse salariale. Votre rapporteure spéciale s'interroge donc sur les raisons qui ont conduit à ce choix d'un crédit d'impôt. Un débat éclairé par les effets plus que mitigés, tant sur l'emploi que sur l'investissement, des baisses de charge intervenues dans le passé devrait permettre de revoir cette politique . En outre, la mécanique du crédit d'impôt est complexe et souvent peu lisible pour les petites entreprises , qui bénéficient parfois du CICE sans même le savoir - c'est alors le comptable qui s'est occupé d'en faire la demande. Il semble aussi intéressant de noter que le CICE peut se cumuler avec d'autres avantages sociaux et fiscaux (allégements de charges, crédit d'impôt recherche...) . L'absence de suivi d'un tel chevauchement, dont on peut imaginer qu'il concerne principalement de grandes entreprises, pose question.

B. L'EFFET DU CICE SUR LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES ET SUR L'EMPLOI RESTE À DÉMONTRER

Dans ce cadre, il paraît douteux que le CICE produise des effets tangibles sur la compétitivité, encore moins sur l'emploi : dans les grandes entreprises, il est demandé et géré par la direction des affaires financières, sans que la direction des ressources humaines ne semble fortement associée aux « gains » qui découlent de cette niche fiscale. Une procédure de consultation des représentants du personnel est prévue, mais le comité de suivi des aides publiques aux entreprises note qu'il s'agit d'un exercice « fréquemment formel et décevant » .

Dans les petites entreprises, le montant de CICE accordé est faible (en corrélation avec la masse salariale de l'entreprise) et pas toujours perçu de façon très claire par le chef d'entreprise. De façon générale, la situation financière tendue de nombre d'entreprises les conduit à considérer le CICE comme un ballon d'oxygène pour leur trésorerie plutôt que pour leurs employés, ce qui montre de nouveau, si besoin en était, qu'une politique mollement incitative, sans objectifs clairement définis, discutés avec les acteurs sociaux et le monde de l'entreprise, n'a aucune chance d'aboutir à une amélioration de l'emploi. Comme ses interlocuteurs venant du monde de l'entreprise l'ont souligné, le véritable frein à l'embauche ne relève pas des charges patronales mais d'une question de prospective de moyen voire long terme . Par conséquent, ce n'est pas une amélioration, mais bien au contraire une poursuite de la dégradation des chiffres du chômage qui a été constatée depuis la mise en place du CICE.

Évolution du taux de chômage au sens du BIT sur la période 2007-2015

(en %)

Source : INSEE

C. LA QUESTION DU PRÉFINANCEMENT

Si le CICE n'améliore pas, ou que de façon marginale, la situation de l'économie française, il connaît en revanche des usages qui témoignent des difficultés rencontrées par les entreprises, auxquelles il conviendrait d'apporter des réponses plus directes . Ainsi, l'importance du préfinancement du CICE laisse penser que les questions de trésorerie sont fondamentales, en particulier au sein des petites entreprises, notamment en raison de la frilosité de bon nombre d'établissements bancaires .

Mais le CICE n'a pas été conçu d'abord pour répondre à ce problème, et il semblerait plus judicieux de créer un dispositif ad hoc , que l'expertise et l'expérience de la BPI pourraient certainement aider à mettre en oeuvre, que de passer par cette procédure qui reste complexe et qui entraîne une charge tant pour les services fiscaux que pour les entreprises bénéficiant du préfinancement, qui doivent s'acquitter de frais de dossier .