Mardi 28 octobre 2014

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 45

Audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France

La commission procède à l'audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France.

Mme Michèle André, présidente. - Nous avons le plaisir de recevoir Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, dans une actualité où cette institution est très présente, ainsi que la Banque centrale européenne dont elle fait partie. Si les difficultés économiques que traverse notre pays ne sont pas de la responsabilité première de la Banque de France, vous aviez formulé quelques recommandations pour y remédier, dans la lettre introductive qui accompagnait, au printemps dernier, la remise du rapport annuel de la Banque de France. Face à une situation de stagnation économique persistante dans la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) met en oeuvre une politique monétaire de plus en plus accommodante, notamment de refinancement aux banques et de rachats d'actifs. Quant à la supervision des banques, dont la BCE prendra la responsabilité la semaine prochaine, l'actualité est marquée par les résultats de la revue de la qualité des actifs bancaires et des tests de résistance des banques, sur lesquels vous nous livrerez votre analyse. Quelles suites leur donner ? Quel avenir pour les banques qui ont échoué, si elles ne sont pas en mesure de se recapitaliser ? De manière plus générale, l'opération a-t-elle permis d'identifier des risques spécifiques qui devront faire l'objet d'une vigilance accrue à l'avenir ?

M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France. - Les résultats de l'évaluation des bilans des grandes banques françaises ont été publiés avant-hier - 130 banques de la zone euro ont été passées en revue. J'y reviendrai ainsi que sur les actions décidées par la BCE pour répondre aux difficultés du contexte économique actuel - faible croissance, faible inflation et chômage élevé - même si la politique monétaire ne peut pas se substituer aux politiques économiques des États, qui restent cruciales.

L'évaluation des bilans des grandes banques françaises constituait l'étape ultime avant le transfert de la responsabilité du contrôle prudentiel des banques les plus importantes de la zone euro au Mécanisme de supervision unique (MSU), placé sous l'égide de la BCE, le 4 novembre prochain. Il s'agissait de faire démarrer la supervision unique sur des bases transparentes et robustes de façon à restaurer la confiance des investisseurs et des marchés dans le système bancaire européen. Le champ couvert par cet exercice était large : 130 banques de la zone euro, représentant un bilan de 22,1 trillions d'euros, soit 82 % des actifs bancaires. La France représente un peu plus de 30 % de ce total avec treize groupes bancaires examinés, soit plus de 96 % des actifs du système bancaire français. Notre système bancaire étant plus concentré que les autres, un plus grand nombre d'établissements français sont concernés. La première partie de l'exercice consistait en une revue approfondie des actifs à fin 2013 (Asset Quality Review) : la qualité des dossiers de crédit a été examinée, nous avons vérifié que les actifs à risque étaient bien identifiés comme tels et nous avons demandé éventuellement des provisions supplémentaires. Dans un second temps, nous nous sommes livrés à une projection de cette situation, avec des corrections éventuelles sur les trois prochaines années, selon un scénario de référence dit baseline et un scénario adverse, comprenant récession, événements économiques brutaux - comme une baisse des prix immobiliers de 30 %, par exemple, s'agissant de la France. À l'issue de cet exercice, les établissements bancaires devaient justifier d'un ratio de solvabilité sur fonds propres d'au moins 8 % en période normale et de 5,5 % en période de stress. En France, tous les établissements ont réussi ces tests, sauf la Caisse de refinancement de l'habitat (CRH), organisme interbancaire de refinancement sécurisé de crédits immobiliers résidentiels, auquel il manquait 124 millions d'euros mais qui avait, par anticipation, augmenté son capital au premier semestre 2014 de 250 millions d'euros. En réalité, son besoin en capital résultait des nouveaux modes de calculs réglementaires introduits au 1er janvier dernier par la directive relative aux règles de capital.

L'évaluation des actifs à fin 2013 a conduit à un ajustement limité dans le cas des banques françaises, de 18 points de base sur le ratio de fonds propres. C'est peu. Les banques françaises représentent 30 % des actifs des banques européennes soumises à l'exercice et seulement 12 % de l'impact total constaté à son issue. Notre supervision a pu sembler intrusive, sévère et désagréable : mais elle a permis une valorisation des actifs proche des résultats de l'exercice coordonné par la BCE. Quant au test de résistance, il a confirmé la capacité de nos banques à résister à des chocs sévères, puisque l'impact moyen s'élève à 231 points de base à l'horizon de fin 2016, alors que l'impact moyen au sein de la zone euro est de 300 points de base. Les banques françaises affichent un ratio de 9 % dans un scénario de stress sévère, bien au-dessus du seuil exigé de 5,5 %. Dans le cadre du scénario de référence, leur ratio global s'établit à 11,8 % contre 8 % demandés. C'est un bon résultat, d'autant que la France a peu utilisé les « options nationales », c'est-à-dire la possibilité de prévoir une période transitoire pour effacer des particularités nationales. Par exemple, les banques françaises déduisent automatiquement de leur capital les non-valeurs provenant des goodwills sur des acquisitions, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays de la zone euro. Grâce à cette règlementation rigoureuse, l'impact des mesures transitoires est quasi-nul en France - 0,20 point - alors qu'il s'établit en moyenne à un peu plus d'un point dans la zone euro. Cette avance n'apparaît pas dans les chiffres mais elle est réelle.

À ma connaissance, l'exercice n'a pas permis d'identifier de risque méritant une vigilance particulière dans l'activité des banques françaises. Depuis la crise, nos banques ont veillé à réduire les risques afférents aux opérations de marché, et se sont recentrées sur les opérations de clientèle ; elles ne prennent plus de positions directionnelles à risque sur les marchés. Leurs opérations de crédit restent également saines, sans investissement discutable ou risqué reconnu par l'exercice, comme c'est le cas par exemple pour certains établissements allemands spécialisés dans le financement de cargaisons de navires.

La BCE assurera le pilotage central du nouveau système dont elle fera fonctionner les instances. Le Conseil de supervision fera part de ses analyses au Conseil des Gouverneurs. Des progrès restent à faire pour harmoniser les méthodes de surveillance et renforcer la solidité des bilans des banques. Si aucune banque française n'est proche de la limite de fonds propres et n'est contrainte de renforcer ceux-ci très rapidement, des améliorations restent possibles : renforcement de la base de fonds propres, encadrement des zones de risque, construction d'un bilan dynamique. Néanmoins, aucun élément ne justifie la prudence quant à la distribution du crédit ou à la réalisation des opérations de marché nécessaires à l'économie française. Enfin, le nouveau système de supervision comportera une évaluation permanente des mesures de surveillance mises en place - au travers de comparaisons horizontales, d'études méthodologiques, et du contrôle de l'activité des superviseurs nationaux sur les petites banques. Loin d'être centralisé, il tendra à devenir fédéral et fonctionnera grâce à des équipes mêlant experts issus de la BCE, c'est-à-dire un noyau dur de cinq et huit personnes par grande banque, des superviseurs nationaux, avec des équipes trois à quatre fois plus nombreuses pour chaque établissement, et des superviseurs des pays de la zone euro dans lesquels l'établissement supervisé comprend de grosses filiales. Les experts nationaux continueront donc d'effectuer l'essentiel de la mission d'inspection, ce qui nous incite à conserver notre corps d'inspecteurs et nos équipes de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dont la productivité s'est jusque-là révélée excellente.

Quant au Mécanisme de résolution unique (MRU), j'ai bien pris connaissance des conclusions et amendements récemment adoptés par votre commission lors de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière. Je précise toutefois que la mise en place du MRU ne relève pas de l'Eurosystème, mais de la Commission européenne et des gouvernements nationaux. Enfin, la situation économique actuelle a appelé différentes mesures de politique monétaire de la part de l'Eurosystème. Au cours des deux derniers trimestres, le risque d'une période prolongée d'inflation faible s'est accru, fondé sur une activité faible. Les prévisions de septembre dernier suggèrent une inflation en zone euro autour de 0,6 % pour la fin de l'année 2014, plus basse que prévu. De nouvelles prévisions seront présentées en décembre, qui intégreront la baisse des prix du pétrole et le léger recul de l'euro face au dollar. Nous n'envisageons qu'une remontée progressive de l'inflation sur les deux prochaines années, devant nous conduire vers des niveaux proches de 1,5 % ; nous aurons besoin de temps pour atteindre les 2 % qui sont notre objectif. La faible croissance dans la zone euro (0,8 % en 2014 et 1,1 % en 2015, selon les récentes prévisions de l'Organisation de coopération et de développement économique [OCDE]) pèse négativement sur l'inflation. La France contribue à ces perspectives décevantes, avec une croissance du PIB français revue à la baisse par le Fonds monétaire international (FMI), à 0,4 % pour 2014 et 1 % pour 2015, prévisions compatibles avec les nôtres.

Nous n'acceptons pas de subir une inflation plus faible que notre objectif. L'Eurosystème a donc mobilisé toute la palette des instruments possibles. Le Conseil des Gouverneurs a abaissé ses taux directeurs à un niveau sans précédent : le taux principal des opérations de refinancement, le taux de facilité marginale de prêt et le taux de facilité de dépôt sont passés à 0,05 %, 0,3 % et - 0,20 % respectivement. Bref, les taux d'intérêt à court terme sont quasiment à 0 %. La BCE est la seule grande banque centrale à avoir mis en place des taux négatifs, qui pénalisent les liquidités non utilisées que les banques déposent auprès de l'Eurosystème : nous voulons que les établissements soient aussi actifs que possible dans la distribution de crédit. Ces baisses sont venues renforcer notre forward guidance ou orientation future sur les taux, indications que nous donnons sur nos intentions de politique monétaire, qui visent à influencer également les taux à long terme. Nous voulons que ceux-ci demeurent faibles plus longtemps qu'observé dans les pays où l'économie a déjà redémarré. La forward guidance y contribue : sur les titres d'Etats comme la France ou l'Allemagne, du jour le jour jusqu'à trente ans, la courbe des taux est plus basse et plus comprimée aujourd'hui qu'aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni à l'époque où les taux ont touché leur point bas. 

Afin de réduire les tensions financières et pousser les taux à la baisse, le Conseil des Gouverneurs a également mis en oeuvre un programme d'opérations de refinancement à long terme ciblées et à taux fixe (TLTRO), pour inciter les banques à accroître leur offre de prêts aux entreprises et aux ménages. Une opération initiale a eu lieu en septembre, un autre interviendra début décembre. Chaque trimestre, jusqu'en juin 2016, les banques pourront emprunter à nouveau auprès de l'Eurosystème, en fonction de l'augmentation de leur volume de crédit les trimestres précédents. Celles qui, d'ici à 2016, n'auront pas accru leur offre de crédit au-delà d'un niveau de référence devront rembourser les montants empruntés. Les prêts sont normalement consentis pour quatre ans à un taux de 0,15 %, ce qui contribue aussi à aplatir la courbe.

Enfin, l'Eurosystème a lancé un programme d'assouplissement quantitatif sous la forme d'un double achat de titres privés : les asset backed securities, crédits aux entreprises titrisés, c'est-à-dire des titres adossés à des actifs de l'économie réelle, et les covered bonds, qui sont des obligations sécurisées (obligations foncières, adossées sur des logements,...) libellées en euros et émises par des banques de la zone euro. Le coût de refinancement des banques, même à long terme, a ainsi été réduit. On observe en conséquence un vrai découplage entre les taux de la zone euro et ceux des États-Unis, orientés à la hausse. Dans la mesure où notre cycle économique n'est pas aligné sur celui des États-Unis, plus dynamique, il convient en effet de prévenir toute hausse prématurée des taux obligataires en zone euro, de ne pas nous laisser happer par le phénomène de remontée.

La politique monétaire cependant ne peut pas tout et les politiques économiques ont un rôle clé, notamment les réformes structurelles, pour accroître le potentiel de croissance, abîmé pendant les années de crise. Les gouvernants doivent s'employer à rétablir la confiance des agents économiques, en soutenant l'innovation et l'investissement, en veillant à la stabilité de la réglementation, et en ayant une stratégie crédible de consolidation budgétaire et de réduction de la dette, stratégie qui a certes un effet keynésien négatif sur l'activité, mais rassure les agents sur le retour aux équilibres, facteur important pour chasser les inquiétudes concernant les impôts et taxes à venir.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous avez parlé d'inflation faible, sans employer le mot « déflation ». Cela signifie-t-il que ce risque est écarté ? Cela pourrait en partie expliquer les bons résultats des banques françaises aux différents scénarios des stress tests...

Hier, le ministre de l'économie a annoncé des économies supplémentaires. Nous n'en avons pas encore le détail, mais des économies sur la charge de la dette ont été mentionnées. Peut-on encore trouver une marge supplémentaire à la baisse des taux d'intérêt ? Sont-ils historiquement bas, ou peuvent-ils encore baisser ? Le montant des économies prévues est tout de même de 400 millions d'euros !

M. Richard Yung. - Nous sommes pris en étau sur la question des taux d'intérêt. Nous souhaitons qu'ils restent au plus bas niveau possible à cause de la dette, et en même temps nous espérons qu'ils remontent un peu. La BCE n'a pas introduit le critère de la déflation dans ses tests. Si l'on s'aligne sur le modèle japonais, à 0 % d'inflation pendant 25 ans, que se passera-t-il ? Le président de la BCE, Mario Draghi, avait annoncé une politique ambitieuse, soit de rachat de titres de dettes publiques, soit de produits privés titrisés. Le bilan de la Banque centrale américaine est passé de 800 milliards à 4 000 milliards de dollars en six ans : ne devrions-nous pas nous en inspirer. Lors du débat de la loi dite DDADUE, nous avons évoqué le problème du Fonds de résolution et de la clé de calcul retenue pour l'alimenter. Les banques françaises risquent d'être les plus taxées - on parlait de 30 % - car le calcul prend en compte le total des actifs, avec une faible pondération par les risques. La Commission européenne a publié récemment des projets d'actes délégués sur le sujet. Ils restent difficilement compréhensibles. Pourriez-vous nous éclairer sur ce qu'ils impliquent pour la France ?

M. Éric Doligé. - Est-ce le Gouverneur de la Banque de France qui a inspiré au Gouvernement le chiffre de 400 millions d'économies supplémentaires sur la charge de la dette ? Un tel montant ne signifie-t-il pas que l'on atteindra un taux moyen de 0 % sur les intérêts de notre dette publique ?

M. Francis Delattre. - Le financement du fonds de résolution représente un prélèvement de 2 milliards d'euros par an, pendant dix ans, sur les établissements bancaires français. Avec le fonds de garantie mis en place par la loi bancaire, nous obtenons une double régulation... à double coût. Après les accords de Bâle III, qui ont déjà eu pour effet de limiter les possibilités d'investissement dans l'économie réelle, les capacités de notre système bancaire ne vont-elles pas s'en trouver affectées ? Et pourquoi la France serait-elle le premier contributeur au fonds de résolution européen alors que son PIB est inférieur de 30 % à celui de l'Allemagne ?

La BCE emmagasine et garantit un certain nombre de titres de dettes d'État. Où en sommes-nous ? N'est-ce pas une façon détournée de produire des eurobonds ?

Par ailleurs, la régulation bancaire crée un accroissement du réseau libre, celui des hedge funds qui se portent acquéreurs des grandes entreprises - c'est le shadow banking. N'y a-t-il pas là un risque de création d'une future bulle ? Est-il possible de mettre en place des régulations mondiales ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - En construisant l'Union bancaire, n'essaye-t-on pas de briser le lien entre la crise bancaire et la dette souveraine ? La BCE s'est engagée dans une politique d'assouplissement quantitatif qui inclut le rachat de titres privés. La politique de la Federal Reserve américaine est fondée sur le rachat de titres de dette souveraine. La BCE envisage-t-elle de suivre cet exemple ?

M. Michel Bouvard. - Quels risques l'accumulation des opérations de leverage buy-out (LBO) représente-t-elle pour l'économie et le système financier européens ?

Par ailleurs, la faiblesse durable des taux aura forcément des répercussions sur le secteur des assurances. Des scénarios sur le sujet ont-ils pu être étudiés ?

Enfin, en réalisant des économies sur la dette, ne risque-t-on pas de favoriser le retour à une maturité courte de notre dette publique, ce qui nous rendrait plus sensibles à une évolution future des taux ?

M. Maurice Vincent. - N'est-il pas urgent de mettre en place une politique de relance concertée au niveau européen pour stimuler la demande ?

Par ailleurs, Dexia est une banque belge, mais dont l'État détient 44 % du capital. Elle n'a pas passé les tests. Pourriez-vous nous éclairer sur sa situation ?

M. François Marc. - Vous avez évoqué les différentes mesures prises pour dynamiser le financement de l'économie. Une nouvelle opération est prévue en décembre pour les TLTRO, sans que la première ait été couronnée du succès escompté. Quelles appétences ont été constatées pour ces outils ?

Des stress tests avaient été menés, il y a quatre ou cinq ans, juste après le début de la crise. On nous avait alors annoncé qu'il en faudrait d'autres dans l'avenir, que leurs résultats, plutôt bons, n'étaient pas fiables sur la durée. Quelle sera dès lors la durée de validité de la récente « opération vérité » ?

Enfin, vous avez dit « espérer » atteindre 1,5 % ou 2 % d'inflation. Je me rappelle une certaine période où cherchait à la faire redescendre, et non à l'augmenter, à un tel niveau... Mais surtout, les prévisions d'inflation ne sont-elles pas de plus en plus périlleuses ? Leur crédibilité ne se périme-t-elle pas de plus en plus rapidement ?

M. Claude Raynal. - Les tests de résistance coûtent cher. À quelle périodicité doivent-ils être renouvelés ? Comment prendre en compte dans ces tests l'effet systémique sur les banques françaises d'une difficulté non européenne, liée aux banques américaines, par exemple ?

On a chiffré le coût du sauvetage des banques à environ 400 milliards d'euros sur la dette française. Les banques vont mieux grâce à l'action collective. Dans quelle mesure participeront-elles à la réduction de la dette française qu'elles ont contribué à créer ? Quant aux hedge funds, ils mettent en difficulté la régulation des banques. Comment le système bancaire peut-il être en sécurité avec un tel volume de shadow banking ?

M. François Baroin. - Quelle analyse faites-vous de l'unité de la zone euro ? La Grèce a affirmé sa volonté de sortir du programme de soutien. Quelle est la menace, quels sont les risques, quelles sont les mesures à mettre en oeuvre pour éviter de nouvelles turbulences ? Des études récentes du FMI ont montré que le taux d'élasticité entre le déficit et la croissance n'était pas de 1 pour 1, comme on le croyait, mais de 1 pour 1,7. Quel serait l'impact des réformes structurelles, baisse du coût du travail, mise en place d'un contrat unique ? Les experts n'ont-ils pas imposé un calendrier de réduction des dépenses un peu trop serré ?

Nous connaissons la position de la Bundesbank et de son Gouverneur, Jens Weidmann, à l'égard du plan de relance de 300 milliards d'euros annoncé par la Commission de Jean-Claude Juncker. Le débat risque en effet d'être animé, entre la Commission européenne, le conseil des gouverneurs de la BCE et les Gouvernements qui seraient favorables à une telle relance de l'investissement.

Mme Michèle André, présidente. - Des règles ont été posées depuis cinq ans concernant les bonus des banquiers. Elles sont contournées par les Britanniques. La culture du risque qui avait contribué à la crise financière est-elle toujours aussi présente dans les établissements financiers ?

Par ailleurs, la presse a rapporté que vous aviez voté contre la politique de rachat d'actifs, au Conseil des Gouverneurs. Pourquoi un tel vote ? Votre préoccupation concernait-elle le partage des compétences entre BCE et banques centrales nationales, ou les risques impliqués par ces opérations ?

M. Christian Noyer. - On ne peut jamais dire qu'il n'y a aucun risque de déflation. Cependant, la presse utilise le mot de manière incorrecte. La déflation, c'est la baisse des prix accompagnée du sentiment, chez les agents économiques, que les prix continueront à baisser et qu'il est préférable de différer les décisions d'achat. Si les agents économiques constatent une inflation, même très faible, le scénario est différent. Le niveau actuel tient en grande partie à la faiblesse de l'activité économique dans la zone euro. Cependant, l'inflation est relativement faible partout. Elle reste modérée aux États-Unis, malgré la reprise d'une économie forte. Dans les pays émergents, l'activité économique a ralenti dans plusieurs grandes zones, comme la Chine. Les causes de l'inflation faible en Europe sont à la fois une demande plus faible adressée aux producteurs de la zone euro et la forte chute des prix de l'énergie et des matières premières. La chute brutale des prix du pétrole a un impact direct et fort sur les prévisions. Cependant nous ne prévoyons pas de déflation, car les prix du pétrole ne peuvent continuer indéfiniment à chuter. Un cycle normal de redémarrage de l'inflation devrait reprendre, jusqu'à un taux proche de notre cible. Cependant, plus nous sommes proches de zéro, plus nous sommes vulnérables à un choc inattendu - entrée en récession d'un partenaire, ralentissement global fort, chute des prix des matières premières. C'est pourquoi nous n'avons jamais défini la stabilité des prix comme une inflation zéro. Au contraire, nous voulons conserver une marge de protection pour les agents économiques. Tous les grands pays s'accordent à placer le bon taux d'inflation à 2 %, qu'il s'agisse de la FED aux États-Unis, de la Banque d'Angleterre ou de la Banque du Japon. Dans les pays émergents, le prix des produits alimentaires entre pour une part plus importante que chez nous dans l'indice d'inflation, le portant à la hausse.

Nous ne prévoyons pas en Europe de déflation mais ne pouvons pas totalement en écarter le risque. Mais plus que le taux d'inflation, c'est la récession économique, la variation des taux d'intérêt ou la variation des prix des actifs qui ont des conséquences pour les banques. C'est donc ce que nous avons intégré dans notre scénario adverse. Nos scénarios sont similaires à ceux utilisés par la FED. Les taux d'intérêt acquittés par les États ont baissé drastiquement dans la zone euro, notamment en France, mais aussi dans les pays émergents. Les spreads de taux qui avaient fortement augmenté pendant la crise des dettes souveraines ont chuté. La France en profite. La nouvelle estimation budgétaire du Gouvernement s'appuie sur le consensus des économistes et sur la réactualisation de la charge de la dette à la baisse. Celle-ci est le résultat de la politique de taux très agressive menée par la BCE : le coût d'emprunt a baissé, pour les ménages et les entreprises comme pour les États. L'Allemagne, la France empruntent à un coût moindre que les Etats-Unis alors même que la BCE n'a pas acheté un gros volume de dette publique. Nous avons obtenu des résultats similaires, ou meilleurs, par d'autres moyens.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Existe-t-il encore des marges pour baisser les taux ?

M. Christian Noyer. - Il est difficile de faire davantage quand la courbe des taux est plate ! Lorsque les taux sont bas, les États remboursent leur dette émise à des taux élevé en empruntant à des taux très faibles, ce qui diminue d'autant la charge d'intérêts. Celle-ci dépend aussi, bien sûr, du volume de dette émise. Si demain les marchés identifient un risque de crédit en considérant que la soutenabilité de notre dette n'est plus assurée, ils exigeront des taux plus élevés. L'enjeu est de tracer, avec un équilibre subtil, un sentier crédible de réduction de notre endettement, pour rassurer les investisseurs quant à notre capacité à respecter les échéances, tout en veillant à ne pas nuire à notre économie. L'effet confiance est difficile à chiffrer. Le ratio de 1 pour 1,7 proposé par Olivier Blanchard, économiste du FMI, est discutable. En général on considère plutôt que l'impact est légèrement inférieur à 1. La confiance provient d'une conjugaison de facteurs : la stabilité de l'environnement budgétaire et fiscal y contribue.

La FED a acheté beaucoup de titres de dette publique. Le bilan de la BCE a grossi à mesure des opérations de refinancement à long terme des banques et des achats de titres privés. La FED a elle aussi acheté des titres privés, des mortgage backed securities (MBS), garantis par des émetteurs de refinancement. Aux Etats-Unis le financement de l'économie est réalisé à 70 % par le marché, le reste par le crédit bancaire. En Europe, la proportion est inverse. Ainsi est-il surtout nécessaire, chez nous, de fournir des liquidités aux banques pour agir sur l'économie ; nous avons acheté des covered bonds, voire des titres de dette publique au plus fort des tensions sur la dette des pays périphériques, mais nous nous concentrons sur les titres privés. La difficulté est en effet que le marché de la dette souveraine n'est pas unifié en Europe, mais fragmenté en autant de marchés qu'il y a d'États. Pour acheter des titres de dette publique, nous devrions déterminer quel est le bon niveau de spread entre les différents pays, tâche délicate... Le rachat de dette publique est plus simple dans un État fédéral. En outre, en ciblant les titres que nous avons choisis, nous renforçons le canal du crédit. La politique suivie par la Réserve fédérale avait pour objectif d'aplatir la courbe des taux, et de transmettre au plus long terme la baisse des taux à court terme. Or, avec notre méthode, nous avons obtenu le même résultat. Si nos taux remontaient en suivant les taux américains, nous réfléchirions à d'autres modalités d'intervention.

La Commission européenne a proposé une clé de calcul des contributions des banques au Fonds de résolution unique et les projets d'actes délégués devraient encore être soumis au Conseil et au Parlement européen. Je dois dire que je suis moi-même assez surpris des résultats de ces projets. Selon nos calculs, si l'on conservait des fonds de résolution strictement nationaux, la contribution des banques françaises en proportion de leurs dépôts devrait s'élever à 10 milliards d'euros, et non à 17 milliards d'euros. Je comprends que l'idée de la directive, renforcée encore par la Commission dans son projet d'acte délégué, est que les grandes banques soient davantage mises à contribution. Mais, paradoxalement, un réseau de caisses d'épargne qui se sont regroupées pour renforcer leur solidité financière sera donc davantage sollicité que plusieurs petites caisses d'épargne isolées et plus fragiles. Curieuse récompense de la vertu financière ! Loin de moi l'idée d'apparaitre comme un défenseur systématique des établissements bancaires français mais reconnaissons qu'ils doivent s'acquitter d'une contribution au Fonds de résolution, d'une contribution au fonds de garantie des dépôts et de la taxe systémique, pour plus d'un milliard d'euros. Celle-ci, qui avait vocation à dédommager l'État de son rôle de prêteur en dernier ressort en cas de crise, fait double emploi avec le nouveau fonds européen. Certes, en ces temps de disette budgétaire, il est difficile de renoncer à une ressource, mais je crains qu'à force de taxer les banques, on ne finisse par les fragiliser et qu'elles augmentent le coût du crédit. Il y a un équilibre à trouver.

La BCE, ou plus précisément l'Eurosystème (les titres figurent au bilan de chaque banque centrale nationale) a pris un certain nombre de titres de dette publique en garantie. La Banque de France contribue ainsi au bilan de l'Eurosystème à hauteur de 20 %. De même les opérations de refinancement des banques sont réalisées par chaque banque centrale, avant une mise en commun des bilans et des risques. Par exemple, lors de la liquidation de la filiale allemande de Lehman Brothers, nous avons tous dû passer des provisions, que nous avons finalement récupérées car la Bundesbank a pu revendre les actifs qu'elle avait pris en garantie. Il nous semble fondé d'accepter en garantie des titres de dette souveraine dans la mesure où nous les prenons en garantie au prix du marché et non à prix plus favorable pour les États, et appliquons même une marge de protection ou haircut. Nous soutenons ainsi aussi bien le marché des titres de dette publique que celui des titres de dette privée.

À la demande du G20, le Conseil de stabilité financière s'est saisi de la question du shadow banking, qui inclut les Sicav monétaires, bien encadrées en France mais avec des risques dans d'autres pays, et certains compartiments de marché comme les repurchase agreements ou repo. Nous avons défini un programme de travail et espérons soumettre des propositions lors du prochain G20.

Oui l'Union bancaire contribuera à briser les liens entre les dettes souveraines et les dettes bancaires. C'est son objectif principal et nous avons franchi un pas important en mettant en place le fonds de résolution, la supervision unique, les règles de résolution. Nous avons en effet aujourd'hui les outils juridiques nécessaires pour procéder à la liquidation d'un établissement financier de manière ordonnée.

En raison sans doute de la situation économique, nous n'avons pas aujourd'hui de risque lié aux LBO qui soit majeur, mais nous restons très vigilants et surveillons les multiplicateurs, les garanties, l'évolution des valeurs, les risques sur le cash-flow prévisionnel, etc.

La baisse des taux constituerait effectivement un risque pour les compagnies d'assurance si les taux baissaient fortement pour remonter ensuite brutalement. Dans le court terme, le scénario le plus probable actuellement est le maintien de taux très bas, et leur remontée progressive à moyen terme. Ceci étant, il est très important que les assureurs soient capables de faire baisser le taux de rémunération ; j'attends cette année une baisse significative du taux de rémunération des contrats d'assurance-vie. J'y veillerai, car nous ne voulons pas que les établissements se mettent en risque. Dans d'autres pays, le rendement minimum garanti est très élevé par rapport au rendement des taux souverains, ce qui peut mettre les compagnies d'assurance dans une situation difficile. En France, nos réformes ont permis d'adapter plus facilement le taux servi par les contrats d'assurance-vie.

Il n'est pas prévu de procéder régulièrement à une nouvelle revue d'actifs. Or c'est cette étape qui coûte cher. Toutefois, comme le font les Américains, nous surveillerons en continu la qualité des actifs, par des contrôles sur place réguliers. Dexia a un niveau de fonds propres satisfaisant en régime normal. Lors des stress tests, son niveau s'est établi peu en dessous de 5 %. Avec le plan approuvé par la Commission, des mesures de remédiation ont été prises et de nouvelles dispositions ne sont pas nécessaires.

En France, le sauvetage des banques n'a rien coûté en lui-même. En revanche les conséquences indirectes de la crise ont été coûteuses. La responsabilité en incombe à la chute des banques américaines : s'il faut demander réparation, c'est au marché américain des subprimes que nous devrions nous adresser...

Mme Michèle André, présidente. - Vaste programme ! Je vous remercie pour votre présentation.

La réunion est levée à 16 h 15.

Mercredi 29 octobre 2014

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 04.

Loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 - Examen du rapport et du texte de la commission

Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur, et à l'élaboration du texte de la commission sur le projet de loi n° 45 (2014-2015) de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - La longueur de cette présentation tient à l'importance et la grande technicité de ses sujets. Nombre des éléments exposés sont d'ailleurs également pertinents pour le projet de loi de finances pour 2015 que nous aborderons mercredi prochain.

La loi organique du 17 décembre 2012 prévoit que les lois de programmation des finances publiques comprennent deux grandes catégories de dispositions : les orientations pluriannuelles des finances publiques - objectif à moyen terme, trajectoires de soldes structurel et effectif, « budget triennal » de l'État, etc. -, qui ne sont pas juridiquement contraignantes, et les règles relatives à la gestion des finances publiques, pouvant porter sur les dépenses fiscales ou encore sur les taxes affectées, qui ont une portée normative. Les premières sont contenues dans les articles 1er à 21 du présent projet de loi, les secondes dans ses articles 22 à 30.

Eu égard à la technicité des notions abordées, je souhaiterais débuter mon propos par quelques définitions. Le produit intérieur brut (PIB) potentiel, autrement dit celui qui pourrait être obtenu durablement sans déséquilibre sur les marchés des biens et du travail, est la donnée maîtresse en fonction de laquelle sont définies les orientations. Le solde structurel est le solde public qui serait constaté si le PIB était égal à son potentiel. L'objectif à moyen terme (OMT), qui doit, en France, être défini dans les lois de programmation des finances publiques, est la cible de solde structurel déterminant, depuis l'entrée en vigueur du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), la trajectoire de solde public.

La programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 repose sur deux séries d'hypothèses économiques principales : celles relatives au PIB et à la croissance potentiels, en fonction desquelles est calculé le solde structurel, et celles relatives à la conjoncture économique, portant sur la croissance du PIB et l'inflation, qui déterminent l'évolution des dépenses et des recettes publiques. Pour la première fois, les hypothèses relatives au PIB potentiel ont fait l'objet d'un examen par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Son président, Didier Migaud, nous a fait part de son avis sur la loi de finances pour 2015 et sur la loi de programmation. En estimant à 1,1 % par an la croissance potentielle moyenne entre 2014 et 2017, le Gouvernement modifie significativement ses hypothèses relatives au PIB potentiel, puisque que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 prévoyait une remontée progressive de la croissance potentielle, qui devrait atteindre 1,6 % en 2016. Cette nouvelle prévision est conforme à celle publiée par la Commission européenne en mai dernier, ainsi qu'à celles du FMI - environ 1,2 % par an en moyenne au cours de la période 2013-2019 - et de l'OCDE. La commission des finances a également interrogé plusieurs instituts de conjoncture afin d'établir un « consensus de la croissance potentielle » : variant de 0,9 % à 1,5 %, leurs estimations confirment, en moyenne, l'hypothèse de 1,1 % retenue par le Gouvernement.

Si les hypothèses de croissance potentielle ont été qualifiées d'« acceptables » par le président du Haut Conseil des finances publiques lors de son audition par la commission des finances, l'évaluation de l'écart de production, séparant le PIB effectif de son potentiel, semble prêter à discussion. S'il est à la fois négatif et significatif, cela veut dire que le PIB est en deçà de son potentiel et offre des capacités de rebond importantes. Le Gouvernement et la Commission européenne évaluent l'écart de production de la France à - 2,7 points de PIB potentiel en 2013 : le PIB de la France serait donc bien en deçà de son potentiel. L'avis du Haut Conseil des finances publiques a toutefois estimé « non négligeable la probabilité d'un écart de production et donc d'un potentiel de rebond plus limités que les estimations actuellement retenues par le Gouvernement et les organisations internationales ». La capacité de rebond de notre économie serait alors plus faible et notre solde structurel plus dégradé.

Le Gouvernement anticipe pour 2014 une croissance relativement atone de + 0,4 %, accompagnée d'un faible niveau d'inflation de + 0,5 %, suivie d'une accélération progressive de l'activité à compter de 2015 (+ 1,0 %), l'inflation restant modérée (+ 0,9 %). Cela ouvrirait la voie à une « normalisation » de la situation économique, puisque la progression moyenne du PIB serait de 1,9 % par an entre 2016 et 2019 et que l'inflation s'établirait à 1,7 % en fin de période. Il conviendrait toutefois de reprendre l'avis du Haut Conseil, dont le président trouve cette prévision pour 2015 « optimiste ». Il a également jugé que le scénario macroéconomique du Gouvernement pour les années 2016-2017 présenté en avril dans le programme de stabilité « continu[ait] de reposer sur des hypothèses trop favorables sur l'environnement international et sur l'investissement », les prévisions pour 2018-2019 étant, quant à elles, « peu documentées ». Nous sommes donc incités à la prudence quant au PIB effectif.

Prévoir les évolutions économiques constitue un exercice difficile, et ce d'autant plus depuis le début de la crise économique et financière. Il conviendrait donc d'appliquer à ces prévisions un principe de prudence, semblable à celui mis en oeuvre en Allemagne, d'autant que les erreurs de prévision expliquent en partie le non-respect des cibles budgétaires.

L'application d'un tel principe est toutefois délicate, en particulier lors de turbulences économiques. C'est pourquoi je vous présente pour la première fois un indicateur d'incertitude économique qui mesure la « dispersion » des anticipations des instituts de conjoncture. Celui-ci s'accroît substantiellement lorsque la conjoncture devient plus heurtée
- il en a été ainsi lors de la faillite de Lehman Brothers, du premier plan d'aide à la Grèce, ou de la diffusion de la crise de la dette publique dans la zone euro. De même, plus le niveau de l'incertitude est élevé, plus le risque que le Gouvernement se trompe dans ses prévisions est grand. Dès lors, plus l'indicateur d'incertitude économique est important, plus il convient d'être prudent.

Si l'on se tourne à présent vers la partie programmatique du projet de loi, son élément le plus notable est la renonciation du Gouvernement aux deux objectifs qui structuraient jusqu'à maintenant la trajectoire du solde des administrations publiques : le retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2015, en application du Pacte de stabilité et de croissance
- d'où les échanges actuels de courriers avec la Commission européenne - et l'atteinte de l'équilibre structurel en 2016, correspondant à l'objectif à moyen terme (OMT) défini par la loi de programmation pour les années 2012 à 2017, conformément aux exigences du TSCG.

Alors que cette loi prévoyait pour 2013 un redressement du solde structurel à hauteur de - 1,6 %, on n'a atteint que - 3,1 %, soit 1,5 point d'écart, ce qui a déclenché le « mécanisme de correction » prévu par la loi organique de décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

La trajectoire de solde effectif n'a pas non plus été respectée. La précédente loi de programmation des finances publiques prévoyait un retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2013, mais cet objectif a été reporté à 2015 par le Conseil européen en juin 2013. La France est également tenue d'améliorer son solde structurel de 0,8 point de PIB en 2014 et 2015. Ces recommandations ont été prises en compte dans le cadre du programme de stabilité pour les années 2014 à 2017.

La nouvelle trajectoire proposée par le Gouvernement ne respecte pas ces prescriptions : elle prévoit une modification substantielle de l'objectif à moyen terme de solde structurel, qui serait fixé à - 0,4 % du PIB en 2019, alors qu'il correspondait jusqu'ici à l'équilibre structurel en 2016.

Le Gouvernement a donc fait le choix de ne pas corriger l'« écart important » identifié par le Haut Conseil des finances publiques en mai 2014, contrairement à ce qu'exigeait le mécanisme de correction prévu par la loi organique de décembre 2012. Comme l'a souligné le président du Haut Conseil, Didier Migaud, lors de son audition par la commission des finances du 15 octobre dernier, « la correction du Gouvernement consiste en une nouvelle loi de programmation » : c'est-à-dire qu'il efface l'ardoise, donc les écarts passés, avec une nouvelle loi de programmation des finances publiques, qui abroge les orientations fixées par la loi de programmation pour les années 2012 à 2017.

L'inflexion de la trajectoire de solde structurel proposée par le présent projet de loi résulterait notamment d'une minoration de l'ajustement structurel qui devait être de 1,8 point de PIB pour les années 2014 à 2017 dans le cadre de la loi de programmation 2012-2017 ; il ne s'élèverait plus qu'à 1,1 point de PIB au cours de la même période. L'ajustement permettant l'atteinte de l'OMT en 2019 étant de 2,1 points de PIB, près de la moitié du chemin à parcourir devrait l'être après 2017... L'effort budgétaire à consentir est donc en grande partie reporté sur la prochaine législature. Le Gouvernement explique ce ralentissement de l'ajustement structurel par la révision des hypothèses de croissance potentielle, qui réduirait l'effort en dépense mesuré.

Toutefois, selon le Haut Conseil des finances publiques, la réévaluation de la croissance potentielle n'expliquerait l'écart entre l'ajustement structurel annoncé dans le programme de stabilité 2014-2018 et celui prévu dans le présent projet de loi, qu'à hauteur de « 0,2 point de PIB de la baisse de la variation de solde structurel chaque année ». Il relève que « l'ajustement structurel est limité par le fait que l'effort en dépense, relativement modéré au regard de celui qui a pu être réalisé par le passé par d'autres pays, sert en partie, à compter de 2016, à financer des baisses de prélèvements dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité ». La modification de l'objectif à moyen terme et de la trajectoire d'ajustement structurel ne saurait donc être vue comme une simple opération « technique », traduisant mécaniquement la révision des hypothèses de croissance potentielle : elle s'accompagne également, selon le Haut Conseil, d'un net recul de l'effort structurel projeté sur la période 2015-2017.

Le retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB est également repoussé, pour la seconde fois depuis 2012 : il interviendrait désormais en 2017. Le respect de nos engagements européens, qui fixaient cet objectif pour 2015, impliquerait d'accroître l'effort budgétaire consenti en 2015 de près de 30 milliards d'euros. Cela met en lumière l'impasse qu'a représentée la politique budgétaire et fiscale menée par le Gouvernement depuis son entrée en fonction : le redressement des comptes publics a exclusivement reposé, dans les premiers temps, sur les hausses d'impôt, les efforts en dépenses étant renvoyés en seconde partie de législature - sans doute dans l'espoir de bénéficier d'une reprise de l'activité économique... qui finalement n'aura pas lieu. Comme l'observe le Haut Conseil, « la trajectoire des finances publiques du projet de loi de programmation n'est pas cohérente avec les engagements pris par la France ».

Le Gouvernement prévoit bien sûr des économies, les collectivités territoriales ne le savent que trop : 50 milliards d'euros pour la période 2015-2017, qui permettraient tout à la fois le redressement des comptes publics et le financement des baisses de prélèvements obligatoires. Un recul du ratio des dépenses publiques dans le PIB est donc attendu sur cette période.

Ces 50 milliards d'euros d'économies constituent la pierre angulaire de la trajectoire budgétaire proposée par le Gouvernement. L'État et ses agences assumeraient une économie totale de près de 19 milliards d'euros, à laquelle s'ajouteraient celles demandées aux collectivités territoriales, de 11 milliards d'euros, et aux administrations de sécurité sociale, de 21 milliards d'euros. Sur les 50 milliards d'économies prévus, 21 milliards seraient réalisés en 2015, puis 15 milliards en 2016 et 14 milliards en 2017. Ce sera tout l'enjeu de l'examen du projet de loi de finances pour 2015.

Quant à 2018 et 2019, aucune information n'est donnée sur la manière dont pourrait être atteint l'ajustement structurel de 0,5 % du PIB annoncé. Ces deux exercices constituent pourtant des étapes essentielles dans le respect de la trajectoire de solde structurel, puisqu'ils devraient porter près de la moitié de l'ajustement sous-jacent à la trajectoire. Environ 40 milliards d'euros d'économies sont ainsi « évoquées » par le Gouvernement, qui laisse à la prochaine législature le soin d'en définir le contenu.

Ce programme de 50 milliards d'euros d'économies suppose un fort ralentissement de la dépense publique entre 2015 et 2017 : son taux de croissance serait ramené en moyenne à 0,2 % en volume, ce qui marquerait une rupture majeure dans la trajectoire d'évolution des dépenses publique des derniers exercices. Les informations communiquées jusqu'à présent n'incitent pas à y croire.

Compte tenu de la fragilité de la trajectoire d'évolution des dépenses publiques, le respect des objectifs budgétaires n'est pas assuré. Je vous propose une projection montrant que si les dépenses augmentaient de 1,1 % au lieu des 0, 2 % prévus, la dette publique atteindrait en deux ans 100 % du PIB ; dans l'hypothèse moyenne où l'augmentation serait de 0,6 %, on n'en n'aurait pas moins des conséquences lourdes pour le solde effectif, le solde structurel et la dette. Le Gouvernement n'a donc pas droit à l'erreur et devra tenir son objectif de dépenses. La nouvelle majorité du Sénat souhaitera d'ailleurs probablement aller au-delà.

Le taux des prélèvements obligatoires devrait passer de 44,7 % du PIB en 2014 à 44,4 % en 2017. Cette très légère baisse résulterait principalement de la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu, jointe à la montée en charge du crédit pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et à la mise en oeuvre des allégements du Pacte de responsabilité et de solidarité.

Le Gouvernement considère que les effets conjugués de ces deux derniers dispositifs conduiraient à une baisse des prélèvements de 40 milliards d'euros en 2017, que compenseraient en partie l'augmentation de l'imposition des bénéfices liée à la hausse des revenus taxables découlant des allègements du coût du travail et de la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), ainsi que les autres hausses de prélèvements comme les cotisations de retraite, la contribution climat-énergie, ou encore la fiscalité du diesel.

La France présentait en 2013 un rapport des dépenses publiques au PIB de 57,1 %, soit 7,3 points de plus que le rapport moyen constaté en zone euro. Le point le plus inquiétant ressort toutefois de la comparaison des évolutions des dépenses publiques : alors qu'elles ont crû, en moyenne, de 2,5 % environ en 2012 et 2013 en France, elles n'ont progressé que de 1,2 % dans le reste de la zone. Cela montre que la France n'a pas accompli l'effort « considérable » en dépenses dont se targue le Gouvernement.

Notre dette publique dépasse 2 000 milliards d'euros depuis le deuxième trimestre de cette année et son poids dans le PIB approche dangereusement des 100 %. C'est d'autant plus inquiétant que le Gouvernement n'a cessé, depuis 2012, de reporter la date à laquelle la part de la dette dans le PIB commencerait à décliner, et de revoir sa trajectoire à la hausse. Cette situation deviendrait très périlleuse si les taux d'intérêt sur la dette remontaient. Entre autres bonnes nouvelles annoncées par le Gouvernement dans ses échanges avec la Commission européenne, celui-ci compte sur une réduction de la charge de la dette. J'ai posé la question hier au Gouverneur de la Banque de France, qui nous a répondu que nous bénéficions déjà de taux d'intérêts nuls, voire négatifs. Notre situation repose paradoxalement sur la finance, qui est, risquons le mot, la meilleure amie de la France. Mais si la dette atteignait 100 % du PIB, son coût deviendrait insupportable.

Compte tenu des fragilités du scénario économique avancé par le Gouvernement, nous avons étudié deux hypothèses : la première, suppose une croissance supérieure d'un demi-point à la prévision du Gouvernement, l'autre une croissance d'un demi-point inférieure. Dans les deux cas, le ratio de dette est fortement affecté, et il atteint 100 % dès 2016 dans la seconde hypothèse.

Chacun d'entre nous connaît bien, en tant que rapporteur spécial, l'une des différentes missions entre lesquelles se répartit le budget de l'État. Leurs crédits diminueraient d'environ 0,55 % entre 2014 et 2017, soit environ 1,2 milliard d'euros.

Comment cette évolution des crédits de l'État se répartirait-elle ? Les dépenses maîtrisables de l'État, sous la norme « zéro valeur » seraient réduites de plus de 7 milliards d'euros sur la période de programmation, tandis que la norme « zéro volume » évoluerait au rythme de l'inflation prévisionnelle.

Le plafond d'emplois de l'État présente une nette rupture en 2012 - vous vous souvenez les embauches de cette année. Le projet de loi de programmation prévoit la stabilisation de ce plafond et de ceux des opérateurs publics sur la période 2015-2017, dans la continuité de la politique menée depuis 2012. Celle-ci s'accompagne, pour tenter de maîtriser la masse salariale, d'un gel prolongé du point d'indice et d'une réduction inédite des mesures catégorielles.

La mise en réserve de crédits vise à les rendre indisponibles à l'engagement afin de permettre un pilotage de l'exécution respectant les normes de dépenses. Elle peut aussi cacher des dépenses imprévues, comme celles des opérations extérieures (OPEX), ou traduire l'inaboutissement des arbitrages budgétaires. Le projet de loi propose que le taux de mise en réserve des crédits soit, hors dépenses de personnel, au moins égal à 6 % au cours de la période 2015-2017, tandis que le projet de loi de finances pour 2015 prévoit un taux de 8 %, soit une augmentation continue depuis 2013. Or, plus on augmente la réserve, plus la sincérité et la soutenabilité du budget peuvent être mises en doute, pour ne rien dire de la souveraineté du Parlement... Je proposerai donc un amendement encadrant ce taux de mise en réserve.

La réduction du plafond des taxes affectées aux organismes autres que les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale serait poursuivie, afin d'assurer son effet contraignant sur les ressources publiques des bénéficiaires de ces taxes et, partant, sur leurs dépenses. Le projet de loi prévoit un encadrement ambitieux de ces taxes, en restreignant à certains cas limitatifs le recours à ce type de ressources et en instaurant, à compter de 2017, le principe d'une rebudgétisation ou d'un plafonnement de l'ensemble de ces taxes. J'y suis pour ma part favorable.

L'article 26 prévoit de renforcer le pilotage budgétaire des établissements publics de santé soumis à un plan de redressement en raison de leurs difficultés financières. Ces règles plus strictes devraient avoir pour résultat 40 à 60 millions d'euros d'économies sur les aides exceptionnelles accordées chaque année à ces établissements. Il propose également d'améliorer l'information du Parlement sur les dépenses de personnel des hôpitaux, qui représentent près de 70 % de leurs charges. Je proposerai un amendement sur ce point. L'article 27 prévoit la transmission par l'Unédic des perspectives financières triennales de l'assurance chômage et le dépôt par le Gouvernement d'un rapport sur la situation financière de ce régime.

Vous savez parfaitement le sort qui attend les collectivités : diminution de 11 milliards d'euros des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales à horizon 2017, soit 3,67 milliards d'euros de moins chaque année, cette diminution s'ajoutant à celle de 1,5 milliard de 2014. Cela nous promet une âpre discussion lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015.

Nouveauté importante : l'article 11 instaure un objectif national d'évolution de la dépense publique locale, ou Odedel - que ne crée-t-on une taxe sur les sigles ! - sur le modèle de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Il ne sera pas juridiquement contraignant, mais un bilan de son exécution sera présenté chaque année au Comité des finances locales (CFL). L'Odedel est exprimé en pourcentage d'évolution annuelle des dépenses totales et comporte, à titre indicatif, le pourcentage d'évolution annuelle des dépenses de fonctionnement : + 0, 3 % en 2015, plus 1,8 % en 2016,  + 1, 9 % en 2017... La décomposition de cette évolution en dépenses de fonctionnement et d'investissement fait d'ailleurs apparaître une baisse très inquiétante de 4,7 % des dépenses d'investissement prévues sur la période de 2013 à 2017.

Le Gouvernement, toujours optimiste, prévoit 10 milliards d'euros de recettes supplémentaires, notamment fiscales, pour les collectivités territoriales d'ici 2017 ; mais, si l'on tient compte de la réduction des concours de l'État, il apparaît que, pour que cette hypothèse se réalise, il faudrait que les « recettes » hors dotations augmentent de plus de 20 milliards d'ici 2017... Concrètement, cela ne peut passer que par une forte hausse de la fiscalité locale, ce qui ne sera pas pour améliorer notre taux de prélèvements obligatoires. Soyons donc très attentifs à cet Odedel : le premier risque est évidemment un effondrement de l'investissement plus marqué encore que ce que prévoit le Gouvernement - la Banque postale, par exemple, considère que les dépenses d'investissement pourraient baisser de 7,4 % en 2014 et à nouveau en 2015 ; est également à craindre une augmentation de la pression fiscale, puisqu'en baissant les dotations, le Gouvernement affiche une fausse économie qui sera répercutée sur les contribuables ; enfin une augmentation de la dette des collectivités territoriales et donc de la dette publique dans son ensemble.

Cette crainte est confirmée par les chiffres que le Gouvernement nous a transmis en réponse aux doutes que j'avais exprimés sur la crédibilité de ces hypothèses : l'augmentation spontanée des ressources fiscales des collectivités ne serait que de 10 milliards d'euros, auxquels s'ajouteraient 5,3 milliards d'euros issus de la hausse des taux et environ le même montant issu de la croissance des « autres ressources ». Les contribuables devront donc compenser la baisse des dotations, les seuls ajustements possibles étant une hausse de l'endettement ou une baisse de l'investissement...

Les dispositifs d'encadrement des dépenses fiscales ont été prévus pour une durée limitée, pouvant aller jusqu'à trois ans. L'article 22 propose de mettre en oeuvre des revues de dépenses couvrant le champ de l'ensemble des dépenses publiques. Ces revues impliqueraient davantage le Parlement dans un rôle de concertation et d'information, puisqu'il serait chargé d'en choisir les thèmes et d'en valider les conclusions. Cet article présente également le calendrier de mise en oeuvre de ces revues ; les deux temps importants du Parlement sont le choix des thèmes, à l'automne, auquel il devrait être associé, et la communication des conclusions, au printemps.

M. François Patriat. - Tous les gouvernements - cela ne date pas d'aujourd'hui - ont présenté des budgets reposant sur des prévisions optimistes.

M. Francis Delattre. - Plus ou moins optimistes...

M. François Patriat. - Ce projet de loi affiche de l'optimisme, même si c'est dans une moindre mesure. Qui peut se réjouir du montant de la dette française, 2 000 milliards d'euros ? Je ne me souviens pas avoir entendu mes collègues clamer haut et fort, il y a deux ans, que la dette atteignait déjà les 1 600 milliards d'euros. Le Gouvernement a toujours dit
- et cela dès le début - qu'il renforcerait à la fois les prélèvements et les économies. Il y a trois ans, dans cette commission, Nicole Bricq avait déjà fait état d'une projection où les efforts nécessaires pour revenir à l'équilibre des comptes publics devraient être consentis pour moitié par des économies et pour moitié par une augmentation des prélèvements. On nous reproche de ne pas faire assez d'économies sur les dépenses : que la majorité du Sénat nous dise où ! Comment en faire davantage ? Chaque proposition que nous faisons se heurte à un désaveu. Nous proposons des économies sur les collectivités locales ; aussitôt, l'opposition monte au créneau. Où trouver alors les 11 milliards d'euros d'économies ? C'est tenir un discours dangereux que de dire qu'en diminuant les dotations aux collectivités locales, on diminue aussi leurs investissements. Au contraire, si une collectivité locale fait des économies de fonctionnement, elle rétablit sa marge brute et se donne les moyens d'investir.

M. Philippe Dallier. - Il suffit de le dire !

M. François Patriat. - Je travaille en ce moment sur le budget de la région Bourgogne. Les 12 ou 13 millions d'économies qu'on nous demande seront pris sur les dépenses de fonctionnement, et nous prévoyons d'augmenter nos investissements. C'est possible, et nous l'avons déjà fait l'année dernière.

Lorsque le Gouvernement propose de réduire la dotation de l'office national des forêts (ONF), aussitôt, on nous oppose que cela mettrait en difficulté les communes forestières. Et lorsque le Gouvernement prévoit de fermer une sous-préfecture ou une maternité, les oppositions se déchaînent ! Avec un peu plus de cohérence, nous pourrions décider ensemble quelles recettes et quelles dépenses modifier.

M. Roger Karoutchi. - C'est vous qui gouvernez.

M. Philippe Dallier. - Je salue les efforts de François Patriat pour nous donner mauvaise conscience et clore le débat avant qu'il ne soit ouvert.

L'horizon s'éloignera à mesure que nous avancerons et, par conséquent, si je salue le sens de la pédagogie du rapporteur général, je reste tout de même sceptique. Je regrette que l'on n'ait pas pris en compte l'évolution du taux d'intérêt de la dette. Comme le disait notre collègue Marini, « l'insoutenable légèreté de la dette » reste un sujet très préoccupant ; elle est augmentée chaque année par les emprunts contractés pour la rembourser. Une hausse du taux d'intérêt, même limitée à 1 %, l'alourdirait considérablement.

La délégation aux collectivités territoriales doit rendre un rapport, commandé au cabinet Michel Klopfer, sur lequel j'ai travaillé avec mes collègues Charles Guené et Jacques Mézard. Il recense les données de l'ensemble des 38 000 collectivités. Si l'on retient l'hypothèse d'une diminution de 45 % des investissements par rapport à 2013, le nombre de villes inférieures à 10 000 habitants qui passerait dans le rouge serait multiplié par trois. Les économies à faire sont difficiles à trouver quand la masse salariale représente 60 % du budget de fonctionnement. Cela passera forcément par une hausse des impôts locaux, une baisse de l'investissement des collectivités locales et une hausse de leur endettement.

Enfin, nous gagnerions à nous livrer à un exercice de vérité budgétaire mission par mission. Le budget de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) qui ponctionne l'action logement sera nul après 2016 ; idem pour le budget de l'Agence nationale de l'habitat qui fonctionne avec les quotas carbone ; quant à l'hébergement d'urgence, l'Aide personnalisée au logement (APL), ou l'alimentation du Fonds national d'aide au logement (FNAL), ce sont autant de budgets insincères. Cumulées, ces dépenses représentent déjà un milliard d'euros. Je suis persuadé qu'il en va de même dans toutes les missions ! C'est une somme considérable. Quitte à faire des prévisions, qu'elles soient sincères et nous servent à prendre la mesure des risques !

M. Jean Germain. - La coalition allemande prône le principe de prudence. Nous en sommes bien loin, en France, où la majorité et l'opposition se contredisent par principe. Quand l'une dit qu'il fait beau, l'autre dit qu'il tombe de l'eau. Vous estimez que l'on demande trop d'économies aux collectivités locales ; pourtant, les chefs de l'opposition qui préparent l'alternance s'accordent à dire que les économies sont insuffisantes et devraient être chiffrées non pas à 50, mais à 110 milliards d'euros, dont 55 milliards sur la protection sociale, 27,5 milliards sur les collectivités locales et 27,5 milliards sur les missions de l'État. Ils prônent en outre la suppression de l'impôt sur la fortune, une hausse significative du taux de la TVA et la suppression de 600 000 emplois de fonctionnaires. Comment voulez-vous que les gens nous croient ?

Les prévisions figurant dans le projet de loi ne sont rien de plus que des prévisions.

M. Philippe Dallier. - Certes.

M. Jean Germain. - En rester là serait mal prendre la mesure des difficultés économiques exceptionnelles que traversent la zone euro et l'économie mondiale en général. Les évolutions tendancielles sont une chose, mais les gens ont besoin de vivre, et les entreprises de trouver des commandes. Nous devons naviguer au plus juste, et le projet de loi proposé par la majorité tient ce cap. Essayons de ne pas trop le défigurer. La zone euro traverse un contexte économique difficile, avec une croissance à 0,3 %, une inflation à 0,6 % et un chômage à 11,5 %. Au vu de ces circonstances exceptionnelles, il est normal et nécessaire d'ajuster le rythme de réduction des déficits publics pour ne pas étouffer le peu de reprise que nous avons. Le déficit public baisse - moins vite que prévu, certes, mais il baisse - et les économies sont faites. Grâce à cela, nous préservons notre crédibilité et nous maintenons notre souveraineté financière. Pour la première fois, en 2015, le paiement des intérêts de la dette ne sera plus le premier poste de dépenses de l'État.

M. Philippe Dallier. - C'est bien de le dire.

M. Jean Germain. - Il faut en tenir compte. Le poids des dépenses publiques s'allègera. Nous financerons nos priorités sans recours à l'impôt. Certes, le débat reste ouvert, notamment sur le renforcement de l'investissement, public et privé. Le pacte de responsabilité et de solidarité se met en place. Il mobilise 20 milliards d'euros pendant trois ans pour permettre aux entreprises de retrouver des marges et soutenir leur activité, plus particulièrement dans la construction et les travaux publics. La trajectoire 2014-2019 a été modifiée pour tenir compte de ces éléments. La réduction du déficit se poursuit, de sorte qu'il sera inférieur à 3 % en 2017.

Le déficit structurel a été réduit de moitié entre 2012 et 2013 ; il est à son niveau le plus bas depuis 2001. Ce n'est peut-être pas suffisant, mais une pente se profile et la dette publique ne devrait pas franchir le seuil symbolique des 100 % du PIB. Enfin, en termes de philosophie politique, le Gouvernement a fait le choix de réduire les dépenses publiques plutôt que d'augmenter les impôts. Pour cela, il prévoit de freiner l'évolution des dépenses publiques et de porter leur progression annuelle à + 0,2 % entre 2015 et 2017 contre + 1,7 % en évolution spontanée. Certes, Monsieur Dallier, la dépense publique ne baisse pas globalement, mais son évolution tendancielle est à la baisse. Le poids des dépenses publiques dans le PIB est un critère à privilégier. Entre 1990 et 2007, un certain nombre de pays, comme le Danemark ou la Finlande, ont réussi à le réduire, sans réduire les dépenses en valeur. Cela demande du temps : nous y arriverons. Le poids de la dépense publique dans le PIB passera de 56,5 % à 54,5 % en 2017, tout en diminuant le poids de la fiscalité. Les collectivités locales peuvent-elles rester à l'écart des efforts entrepris ? Non. Faut-il respecter leur libre administration ? Oui. Il est tout à fait normal d'examiner l'évolution des dépenses des collectivités locales par catégorie - communes, établissements publics, départements, régions - sans mettre en oeuvre pour autant une sorte d'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) obligatoire pour les collectivités.

M. Vincent Delahaye. - Je remercie le rapporteur pour son rapport très complet. J'entends Jean Germain parler de réduction du déficit : je ne la vois pas venir. Entre 2013 et 2014, le déficit est passé de 4,1 % à 4,4 %. Le Gouvernement avait annoncé en juillet qu'il se réduirait à 3,8 %. En fait, il y a eu un dérapage de 0,6 %, ce qui n'est pas négligeable.

Les prévisions à long terme me laissent sceptique. La France prône un principe d'optimisme, l'Allemagne un principe de prudence. Entre les deux, je choisis la prudence. Monsieur Patriat, je n'ai jamais dit que les collectivités locales ne devaient pas faire d'effort. En 2011, le Gouvernement avait déjà réduit les dotations de 200 millions : je me souviens des cris d'orfraie poussés au Sénat ! Aujourd'hui, il s'agit de 3,7 milliards supplémentaires...

Je suis partisan d'un effort équitable. L'objectif de réduction des dépenses sur les missions de l'État est de 0,55 % à l'horizon 2017. Alignons l'effort des collectivités locales sur cet objectif. Des réformes structurelles seraient porteuses d'économies automatiques, comme le passage des 35 heures aux 39 heures pour le travail hebdomadaire, ou bien le rétablissement du jour de carence pour les personnels hospitaliers. Le rapporteur a rappelé que le Gouvernement entendait poursuivre l'allègement du coût du travail. Cette mesure est-elle effective pour les entreprises ? J'entends dire qu'avec l'augmentation des cotisations retraite et la baisse annoncée des cotisations maladie, les entreprises auront des charges supplémentaires en 2015. J'ai entendu dire, dans les réponses apportées par le Gouvernement à Bruxelles, que la modernisation du système fiscal des entreprises devrait permettre de faire 500 millions d'euros d'économies sur la non-déductibilité de taxes. De quelles taxes s'agit-il exactement ? Enfin, vous indiquez qu'un écart de production plus faible entraînerait un solde structurel plus dégradé. Je croyais que le solde structurel était lié à la croissance potentielle. Pourriez-vous m'éclairer sur ce sujet ?

M. Roger Karoutchi. - Je remercie le rapporteur pour sa démonstration. Le caractère irréel et virtuel de nos débats m'inquiète. Nous nous réunissons, nous discutons, mais en fait, le Gouvernement fait ce qu'il veut. Le Haut Conseil des finances publiques a été créé pour être une autorité indépendante, capable d'imposer des règles ; il n'a aucune influence réelle. Nos débats en commission n'ont pas beaucoup d'influence non plus. Puisque chacun constate des dérapages, les citoyens et les collectivités doivent se demander pourquoi rien n'est fait pour y remédier. Le rôle du Parlement n'est pas seulement d'étudier, mais aussi d'imposer en exerçant une influence réelle. Devrons-nous pour cela créer un « super Haut Conseil » ? La situation devient dangereuse. Le vrai sujet n'est pas dans les économies, mais dans le débat qui anime la majorité actuelle, à l'Assemblée nationale et dans le Gouvernement : les dépenses publiques sont-elles un facteur de relance, ou bien faut-il les réduire pour réduire le déficit public ? Tant que ce débat ne sera pas tranché, nous n'avancerons pas : l'opposition peut dire ce qu'elle veut, le Gouvernement reprend d'une main ce qu'il donne de l'autre. Par conséquent, il ne se passe rien. Le Parlement, le Gouvernement et le Haut Conseil doivent prendre leurs responsabilités pour débloquer la situation. La création de l'Odedel a quelque chose de farcesque. Les gens savent bien que si l'on diminue de 11 milliards d'euros les dotations des collectivités locales, il faudra trouver des recettes de remplacement. Mais pour financer les transports publics de l'Île-de-France, il n'y a ni mine d'or, ni gisement de pétrole dans le sous-sol de Meudon !

Chacun doit assumer ses responsabilités : que le Gouvernement se décide sur sa ligne.

M. Jacques Chiron. - Les tableaux qui nous sont présentés par le rapporteur sont très pédagogiques. Le rapporteur indique que la France se situe au-dessus des autres pays européens pour la part de ses dépenses publiques dans le PIB. C'était déjà le cas dans une période favorable à l'économie française, celle des années 2004 à 2007. En 2008, cette part a augmenté dans tous les pays à cause de la crise. Elle remonte également en 2011 et en 2012. Sachons rester modestes : entre 2002 et 2012, la France n'a pas fourni les mêmes efforts que les autres pays.

Mme Marie-France Beaufils. - Plutôt que de nous arrêter aux chiffres estimatifs ou prévisionnels, nous devrions analyser les orientations qui les sous-tendent. Un choix affirmé se dégage, celui de la réduction des dépenses publiques. La France a fait un choix de société original par rapport aux autres pays. Depuis la Libération, elle consacre une part importante de son budget aux services publics. Elle n'a donc pas fait moins d'efforts que les autres, mais elle a maintenu ce choix dans le temps. La dépense publique fait naître des richesses ; elle encourage les collectivités à investir pour s'équiper, contribuant ainsi à maintenir l'activité d'entreprises essentielles pour la dynamique du territoire. Un travail reste à faire sur la dette. Sur quoi porte-t-elle ? Quel patrimoine a-t-elle permis de constituer ? Quelle est la valeur de ce patrimoine ? Au lieu d'analyser la seule évolution du coût du travail dans les entreprises, nous devrions aussi nous intéresser au coût de l'évolution des frais financiers et à celui de l'évolution de la rémunération du capital sur la même période. Prenons l'exemple d'une entreprise dans un pôle de compétitivité. Si l'on compare la part des dépenses de l'entreprise et la part des dépenses publiques à travers le crédit d'impôt recherche, il apparaît que le levier de la dépense publique n'a pas fonctionné : elle n'a fait que se substituer en partie aux dépenses de l'entreprise.

M. Claude Raynal. - S'agissant de la dépense publique, l'évolution dans le temps des politiques nationales n'est pas rassurante non plus. L'analyse aurait gagné à être plus globale et rétrospective ; il aurait fallu prendre en compte les projets de loi de finances des années 2007 à 2012. Nous les avons encore tous en tête : ils nous invitent à être beaucoup plus modestes et prudents dans nos interventions sur le projet qui nous est présenté. Ce projet de loi est plutôt prudent. Nos estimations convergent avec celles des différents organismes, FMI ou Commission européenne. Ce n'était pas le cas dans les années précédentes. Faut-il nous montrer encore plus prudents ? C'est une vraie question macro-économique. La croissance repose sur la confiance. Si le Gouvernement prévoit d'entrée de jeu une croissance zéro, il sape toute confiance. Nous devons donc trouver la mesure entre le manque et l'excès d'optimisme pour créer les conditions de la confiance. Dans une certaine mesure, je partage l'idée que les taux de mise en réserve de crédits ne doivent pas atteindre des niveaux trop élevés, mais il s'agit aussi de prévoir le risque et fixer le taux à 8 % me semble naturel. Pour répondre à M. Karoutchi, les socialistes ont bien fait un choix.

M. Roger Karoutchi. - Lequel ?

M. Claude Raynal. - Celui de la baisse des déficits et du soutien de la croissance grâce au Pacte de responsabilité et l'aide à l'entreprise. C'est parce qu'un vrai choix politique a été fait que des dissensions interviennent au sein de notre parti. Nous assumons ce choix et nous revendiquons ces difficultés internes.

M. Éric Doligé. - Le rapporteur a indiqué que le Gouvernement a prévu 50 milliards d'euros d'économies. La baisse des dotations des collectivités territoriales est la seule mesure porteuse d'économies effectives. S'agissant des 21 milliards d'euros d'économie que doivent dégager les administrations de sécurité sociale, sur le terrain, personne n'y croit ! Ce sont les frais de personnel qui coûtent cher à l'hôpital. Or, on constate un taux d'absentéisme de 15 % à 17 %, soit 600 personnes absentes chaque jour. Il faudrait réduire ce taux par trois, en le ramenant à 6 %. C'est ainsi que l'on ferait des économies. Le rétablissement du jour de carence limiterait le taux d'absentéisme.

Quant à la diminution des dépenses d'investissement local dont il est fait état, il serait intéressant de la traduire en emplois, car ce sont des emplois locaux qui disparaissent. François Patriat a parlé des régions ; je pourrais parler des départements, mais on ne mélange pas les torchons avec les serviettes ! Les structures budgétaires ne sont pas les mêmes, et les économies demandées y sont encore plus compliquées à mettre en oeuvre.

Enfin, le prix du fuel a-t-il baissé de manière significative ces derniers jours, compte tenu du prix du baril et des taxes prélevées au passage ?

Mme Fabienne Keller. - La présentation de la sensibilité de la trajectoire de nos finances publiques à l'évolution de la dépense publique est particulièrement intéressante, mais il faudrait aussi mesurer la sensibilité de la dette au taux d'intérêt, en indiquant par exemple les conséquences d'une hausse des taux. Les agences de notation doivent déjà y réfléchir... La délégation aux collectivités territoriales travaille sur l'impact de la baisse des dotations. Plutôt que de se limiter au traitement financier de la question, il faudrait étudier la réalité des comportements des collectivités locales face à cette baisse. Aucune évaluation n'a encore été faite de l'effet « boomerang » que cette économie de 20 milliards d'euros aura sur les finances de l'État et de la sécurité sociale : baisse de l'impôt sur les sociétés, baisse des cotisations sociales, augmentation des allocations...

Enfin, je voudrais dénoncer l'Odedel : sans savoir ce que recouvre cet indicateur, nous ne pourrons le maîtriser.

M. Michel Bouvard. - Lorsque vous parlez des mesures encadrant les taxes affectées, s'agit-il uniquement de celles affectées à l'État ou aussi de celles affectées aux collectivités locales ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Nous parlons hors collectivités locales.

M. Michel Bouvard. - Le Parlement devrait se prononcer chaque année, non seulement sur la consolidation des taxes affectées, mais aussi sur leur justification et leur utilité. Nous devons aller au bout de notre logique. La revue des dépenses doit aussi porter sur un certain nombre de recettes, notamment celles qui proviennent des taxes affectées. La réserve de précaution était une création utile mais occasionne depuis plusieurs années des dérives. Il faut y mettre des limites, car l'exécutif y trouve une souplesse trop grande pour modifier les termes du budget après le vote du Parlement.

Quant à l'Odedel, nous devons trouver une modulation pour que l'effort porte sur les dépenses de fonctionnement et pas seulement sur l'investissement. L'investissement ne peut pas fonctionner comme une variable d'ajustement, surtout que certaines dépenses sont obligatoires compte tenu de l'évolution démographique et de celles des normes. Enfin, sur l'article 22 relatif aux revues de dépenses, le Gouvernement semble ouvert à une concertation avec le Parlement. C'est une feuille à écrire. Nous pourrons dire ce que nous attendons de cet exercice et avec qui nous souhaitons le réaliser. La Cour des comptes est une institution qui est à la disposition du Parlement et du Gouvernement. Pourquoi ne pas l'utiliser pour procéder à des études ciblées ?

M. Marc Laménie. - Le rapport mentionne un objectif de maîtrise des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales. Or, elles progresseraient de 8 % tandis que les dépenses d'investissement régresseraient de 4 %.

M. Michel Canevet. - Je tiens à saluer l'excellent travail du rapporteur. Comme Roger Karoutchi, je m'interroge sur la pertinence d'un certain nombre d'organismes, comme le Haut Conseil aux finances publiques. Ne fait-il pas doublon avec le Parlement dont le rôle est de contrôler l'action du Gouvernement ? On pourrait évoquer aussi le Haut Conseil de la protection sociale, dont le coût de fonctionnement a été multiplié par cinq entre 2013 et 2014, alors qu'il existe aussi un Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Il faudrait rationaliser tout cela. Monsieur Patriat, nous sommes tous conscients que les économies sont nécessaires. Mais, on ne peut pas à la fois demander aux collectivités de faire des économies et leur imposer des charges supplémentaires. La suppression du jour de carence, la revalorisation des bas salaires au 1er janvier 2015, l'élaboration des schémas de cohérence territoriale (Scot), tout cela coûte cher. Il faudrait au contraire réduire les charges qui pèsent sur les collectivités territoriales pour qu'elles puissent faire des économies. Le retour de la confiance conditionne celui de la croissance, j'en suis certain, mais je ne suis pas sûr que la voie dans laquelle s'engage le Gouvernement le permette. La réduction du déficit doit aussi passer par une augmentation des recettes, et nous avons besoin de la croissance, et donc de la confiance pour y parvenir. En diminuant davantage les charges sociales qui pèsent sur les entreprises, l'État leur donnerait un signe fort et renforcerait leur compétitivité. Je plaide pour une augmentation significative de la TVA pour financer cette évolution. Il est impératif d'opérer un changement de cap, sinon nous devrons reporter nos objectifs ad vitam aeternam.

M. François Marc. - Je partage les analyses de Jean Germain sur la situation politique et économique. L'évolution des dépenses publiques est évaluée en moyenne à 0,2 % entre 2015 et 2017 ; c'est encore excessif pour le rapporteur. Une analyse de sensibilité de la croissance à une baisse supplémentaire des dépenses serait utile. Quel serait l'effet sur la conjoncture, sur la croissance et sur l'emploi ? Hier, François Baroin, ancien ministre de l'économie, indiquait que le FMI avait réévalué à la hausse le multiplicateur et l'évaluait désormais à 1,7.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - C'est la position du FMI.

M. François Marc. - François Baroin avait l'air de la faire sienne. Il faudrait mesurer les effets récessifs d'une baisse supplémentaire des dépenses publiques.

M. Hervé Marseille. - Le débat politique a montré que la majorité gouvernementale n'était pas unie quant à ses choix. Je crois que le débat reste ouvert, comme en témoigne la séance de vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale à l'Assemblée nationale. Que n'aurait-on pas entendu si l'opposition avait dit : « La politique du Président de la République est une menace pour la République » !

Le rapporteur général de notre commission pourrait-il déposer une proposition de loi organique pour réformer le texte de 2012 sur la « règle d'or » ? Manifestement, les dispositions votées à l'époque ne sont pas suffisantes. Les collectivités locales ne peuvent pas présenter un budget en déséquilibre. Ne faudrait-il pas imposer l'équilibre budgétaire au Gouvernement, quel qu'il soit et quels que soient ses choix politiques ?

M. Éric Bocquet. - Je partage l'analyse de Roger Karoutchi : le Parlement parle en dernier, après le FMI, après les agences de notation, après la Cour des comptes, après les marchés financiers et la Commission européenne, mais il a rarement le dernier mot... Ainsi, après que l'Assemblée nationale a voté les recettes de l'année, il a suffi de recommandations de Bruxelles pour que le Gouvernement trouve de nouvelles recettes : c'est un peu fort de café ! Que devient la souveraineté du Parlement ? Le ministre du budget a déclaré que le Parlement jouerait son rôle dans les semaines qui viennent et pourrait bouger un ou deux milliards d'euros... sur 300 milliards de recettes : il y a de quoi désespérer l'opinion publique et s'interroger sur le rôle de nos institutions...

Il nous manque une donnée dans ce rapport : quel est l'objectif ultime de la réduction de la dette publique ? Est-ce seulement un mauvais moment à passer, où n'y a-t-il pas là un mode de gestion de la société qui se profile, fait de rigueur et d'austérité ?  

M. Francis Delattre. - Le vrai problème en matière de dépenses de santé est celui du vieillissement de la population !

Le problème de l'assurance chômage, c'est qu'elle est en déficit tous les ans de plusieurs milliards d'euros. Comment éviter, dans ces conditions, de charger la CADES et d'aggraver la dette du pays ? On nous reproche de n'avoir jamais de solution : que l'on revienne donc à un système d'assurance, qu'il appartiendra aux représentants du patronat et des salariés de gérer. Ce serait une vraie réforme !

Quant à l'Odedel, il méconnaît le fonctionnement élémentaire des budgets des collectivités territoriales : la marge d'investissement, c'est déjà le résultat du budget qui a été exécuté. Sans cette marge, impossible d'obtenir un prêt bancaire. Vous vous apprêtez à réduire considérablement cette possibilité, puisque l'on ne peut plus accroître la fiscalité des collectivités territoriales. Dans mon département, de Sarcelles à Cergy en passant par Franconville, tout le monde est dans la même situation : plus personne ne peut augmenter les impôts. Comment voulez-vous réduire nos budgets, alors que nous ne disposons d'aucune flexibilité dans la gestion des personnels, qui représentent entre 50 % et 60 %  de nos dépenses ? Ma commune vient d'ouvrir huit classes : comment pourrait-elle faire des économies ? L'Odedel, c'est la prévision au doigt mouillé : toutes les villes moyennes vont en réalité réduire drastiquement leurs investissements ; le mécanisme est tel qu'on ne pourra pas faire autrement.

M. Bernard Lalande. - Je remercie le rapporteur général pour sa présentation qui a le mérite de la majorité et de l'opposition et de rendre possibles des comparaisons entre déclarations programmatiques. Jean Germain proposait tout à l'heure de reprendre vos simulations avec celles de l'opposition : on verrait alors quelles seraient leurs incidences.

Je suis un peu surpris par un autre élément du débat, peut-être parce que je suis encore novice : il ne suffit pas de décréter ! Le Gouvernement doit tenir compte de l'héritage et du contexte économique : les taux d'inflation et de croissance des années 2007 à 2009 n'étaient pas ceux de 2013-2015.

Quant aux collectivités territoriales, dont on prétend qu'elles ne peuvent être flexibles alors que l'on demande à l'État d'économiser, je rappelle qu'elles font partie de la République française : comment réformer l'État sans les réformer ? Ne pourrait-on pas mobiliser toute cette énergie pour dégager des marges d'investissement qui permettraient de répondre aux attentes tout en contenant les dépenses publiques ?

M. Charles Guené. - Nous allons présenter notre rapport sur l'effet de la baisse des dotations aux collectivités locales le 12 novembre à la délégation des collectivités locales.

Nous pourrons nous organiser pour en présenter dans les jours qui suivent les conclusions à la Commission des finances.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Votre intérêt pour ces sujets est de bon augure pour la discussion générale sur la loi de programmation comme sur la loi de finances.

Je vous accorde que l'optimisme a toujours été de mise dans les prévisions de croissance. Je me suis efforcé de proposer une présentation équilibrée, en reconnaissant que les hypothèses de croissance ne sont pas les plus critiquables. Ma critique porte principalement sur la trajectoire proposée par cette loi de programmation, qui renonce tout à la fois à notre engagement de réduction du déficit budgétaire et à l'objectif à moyen terme de solde structurel (OMT). Les économies se font par petits coups de rabot ici et là, par un grand coup sur les collectivités, mais le projet de loi de finances ne contient pas de réforme de structure : ni de la protection sociale, ni du système hospitalier, ni du temps de travail, ni de la fonction publique... J'en veux pour preuve que Michel Sapin vient, d'un coup de baguette magique, de trouver 3,6 milliards d'euros sans prévoir d'économies supplémentaires. Les économies réelles, enfin, sont repoussées après 2017.

Quant à l'Odedel, il mélange des choses qui ne sont pas comparables. La baisse des dotations aura un effet récessif à travers les dépenses d'investissement, tandis que les dépenses de fonctionnement continueront de croître, ne serait-ce qu'à cause du glissement vieillesse-technicité dans la fonction publique. La variable d'ajustement, c'est l'investissement public qui s'effondre. Nous attendons avec impatience, à ce sujet, le rapport dont vient de parler Charles Guené. Et, quoi qu'en dise le Gouvernement, l'Odedel conduira mécaniquement les collectivités à augmenter leurs impôts.

M. François Marc. - C'est une interprétation.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Nous poserons la question au ministre en séance.

Roger Karoutchi et Philippe Dallier ont critiqué le caractère fictif de nos débats sur le PIB potentiel, le solde structurel... Nous sommes malheureusement obligés de nous référer, comme les autres pays, aux notions parfois un peu artificielles du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).

La dette ? Un point supplémentaire de taux d'intérêt coûterait 2,4 milliards d'euros dès la première année, puis plus d'une quinzaine après quelques années.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Je propose deux séries d'amendements. En raison d'un désaccord de fond avec la programmation des finances publiques proposée par le présent projet de loi, pour des motifs tenant tant au choix des hypothèses qu'à la crédibilité de la trajectoire et à ses objectifs, je propose la suppression de la plupart des articles de la première partie, programmatique, de ce projet de loi.

Mme Marie-France Beaufils. - Je suis en désaccord avec les orientations du texte, mais aussi avec celles défendues par le rapporteur. Nous nous abstiendrons.

M. Jean Germain. - Cette série d'amendements singularisera le Sénat, sans être crédible en elle-même.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - En revanche, je trouve intéressantes certaines des dispositions de la seconde partie et je souhaite que nous ayons un débat sur l'Odedel. Le rapport écrit et la présentation que je viens d'en faire illustreront, je l'espère, la motivation du rejet des premiers articles.

Article premier

L'amendement de suppression n°11 est adopté.

L'article premier est supprimé.

Article 2

L'amendement de suppression n°13 est adopté.

L'article 2 est supprimé.

Article 3

L'amendement de suppression n°14 est adopté.

L'article 3 est supprimé.

Article 4

L'amendement de suppression n°15 est adopté.

L'article 4 est supprimé.

Article 5

L'amendement de suppression n°17 est adopté.

L'article 5 est supprimé.

Article 6

L'article 6 est adopté sans modification.

Article 7

L'amendement de suppression n° 18 est adopté.

L'article 7 est supprimé.

Article 8

L'amendement de suppression n° 20 est adopté.

L'article 8 est supprimé.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Vient à présent une série d'amendements techniques, qui ne sont ni de droite ni de gauche et sur lesquels nous devrions pouvoir nous retrouver. Certains renforcent le rôle du Parlement et son information, d'autres la gouvernance des finances publiques. Le Gouvernement lui-même pourrait en approuver certains. Il en ira autrement, bien sûr, des amendements aux articles consacrés à l'Odedel.

Article 9

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 22 autorise l'ajustement à la baisse du plafond d'emploi de l'État et de ses opérateurs.

L'amendement n° 22 est adopté.

L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 10

L'amendement de suppression n° 23 est adopté.

L'article 10 est supprimé.

Article 11

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 26 supprime l'ensemble des mesures nouvelles prévues par cet article, pour ne maintenir que le seul principe d'un objectif non contraignant d'évolution des dépenses des collectivités territoriales, et en prévoyant que le coût des normes imposées par l'État devra être pris en compte.

Nous pouvions supprimer l'article, et aviser en séance. Je vous propose, dans un premier temps, un amendement d'appel. Il n'en reste pas moins que fixer un objectif aux collectivités sans connaitre leurs compétences est surréaliste !

M. Jean Germain. - Il ne s'agit, en l'état, que d'un objectif indicatif. Le danger, en l'assortissant de normes, est de faire qu'il ne le soit plus. Nous nous abstiendrons.

L'amendement n° 26 est adopté.

L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 12

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 32 fixe le taux maximal de mise en réserve des crédits du budget général de l'État, hors crédit de personnel, à 8 % en moyenne pour l'ensemble des programmes. Pour l'instant, il n'y a qu'un plancher : nous fixons aussi un plafond, pour protéger le rôle du Parlement.

L'amendement n°32 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 29 prévoit l'information des commissions des finances, avant le 15 janvier et à l'occasion du dépôt des projets de loi de finances, sur la répartition par programme des crédits mis en réserve.

L'amendement n° 29 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 1, émanant du rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, porte le pourcentage de mise en réserve de l'Ondam à 0,5 %. J'y suis favorable.

L'amendement n° 1 est adopté.

L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 13

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - La trajectoire budgétaire que détaille cet article prévoit des économies à la fois insuffisantes et trop peu documentées. J'en demande la suppression.

L'amendement de suppression n°12 est adopté.

L'article 13 est supprimé.

Article 14

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Nous ne sommes pas défavorables à une diminution des dotations de l'État aux collectivités territoriales, mais il faut d'abord connaitre le rôle des collectivités, leurs compétences et les normes qui leur sont imposées.

L'amendement de suppression n°16 est adopté.

L'article 14 est supprimé.

Les articles 15, 16 et 17 sont adoptés sans modification.

Article 18

L'amendement n° 21 de suppression est adopté.

L'article 18 est supprimé.

Article 19

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Les amendements n° 24 et 28 reviennent au texte initial du projet de loi, en excluant le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) du plafond des dépenses fiscales, car l'estimation de son montant est soumise à une forte incertitude.

Les amendements n° 24 et 28 sont adoptés.

L'article 19 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 20

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 47 propose de remplacer les mots « est stabilisé en valeur » par les mots « ne peut excéder le montant de l'année précédente ».

L'amendement n° 47 est adopté.

L'article 20 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 21

L'amendement rédactionnel n° 33 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 30 revient à un principe explicite de limitation de la durée des niches fiscales et sociales. Le délai de droit commun serait fixé à quatre ans.

L'amendement n° 30 est adopté.

L'article 21 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 22

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - On clarifierait l'article 22 si l'annexe comportant la liste des thèmes retenus pour les prochaines revues de dépenses comportait également un bilan des précédentes revues de dépenses. Le législateur pourrait ainsi vérifier l'effectivité des économies identifiées et la bonne mise en oeuvre des recommandations issues des travaux déjà menés. C'est ce que je propose dans l'amendement n° 35.

L'amendement n° 35 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Les informations relatives aux crédits d'impôt exécutés n'ont pas leur place dans l'annexe relative aux revues de dépenses. L'amendement n° 37 propose de leur consacrer une annexe spécifique.

L'amendement n° 37 est adopté.

L'article 22 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 23

L'amendement rédactionnel n° 40 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 39 vise à ce que les montants exécutés des crédits d'impôts soient présentés chaque année dans une annexe au projet de loi de finances, qui pourrait être intégrée dans celle relative aux « Voies et moyens ».

L'amendement n° 39 est adopté.

L'article 23 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 24

L'amendement rédactionnel n° 41 est adopté.

L'article 24 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 25

L'amendement rédactionnel n° 27 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Dans l'amendement n° 25, je propose d'enrichir l'annexe générale « jaune » relative aux opérateurs de l'État, par des données qui permettraient au législateur d'être mieux informé de leur situation financière.

L'amendement n° 25 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 19 enrichit également l'annexe générale « jaune », en y faisant figurer un indicateur transversal de performance qui présente l'évolution du rapport entre le nombre d'agents et la surface des locaux de l'opérateur.

L'amendement n° 19 est adopté.

L'article 25 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article additionnel après l'article 25

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 45 renforce le suivi des ressources fiscales affectées aux opérateurs par l'administration. Certaines taxes affectées aux opérateurs sont en effet recouvrées directement par eux, ce qui entraîne des difficultés pour l'administration en matière d'estimation de l'évolution du produit de l'impôt, et partant des moyens dont bénéficie l'opérateur.

L'amendement n° 45 est adopté et devient l'article 25 bis.

Article 26

L'amendement rédactionnel n° 34 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 3, qui émane du rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, est satisfait par l'amendement n° 34 que nous venons d'adopter. Avis défavorable.

L'amendement n° 3 n'est pas adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Je suis favorable à l'amendement n° 9 qui enrichit le contenu du rapport sur l'évolution des dépenses de personnels des hôpitaux, sous réserve de l'adoption de mon sous-amendement n° 31 qui demande d'évaluer l'impact des 35 heures à l'hôpital.

Le sous amendement n° 31 est adopté.

L'amendement n° 9, sous amendé, est adopté.

L'article 26 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article additionnel avant l'article 27

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Je suis favorable à l'amendement n° 10 qui améliore l'information du Parlement, tant sur la décomposition du solde des administrations publiques que sur les perspectives financières des régimes qui, sans entrer dans le champ du projet de loi de financement de la sécurité sociale, sont pris en compte dans le solde des administrations publiques.

L'amendement n° 10 est adopté et devient l'article 27 A.

Article 27

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Avis défavorable sur l'amendement n° 6 qui propose la suppression de l'article 27, car cet article précise le contenu du rapport du Gouvernement. L'amendement n° 36 apporte une clarification rédactionnelle à l'article 27 et précise le contenu du rapport, transmis par le Gouvernement, relatif à l'assurance-chômage.

L'amendement n° 6 n'est pas adopté.

L'amendement n° 36 est adopté.

L'article 27 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article additionnel après l'article 27

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Je suis favorable à l'amendement n° 7 qui renforce l'information du Parlement sur les conventions entre les professionnels de santé et l'assurance-maladie.

L'amendement n° 7 est adopté et devient l'article 27 bis.

Article 28

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 42 propose que la présentation du bilan de la mise en oeuvre de l'Odedel, s'il est adopté, ne soit pas réservée à l'information du comité des finances locales, mais fasse l'objet d'un rapport transmis aux commissions des finances de chaque assemblée, afin d'assurer l'information des parlementaires.

L'amendement n° 42 est adopté.

L'amendement rédactionnel n° 43 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 38 prévoit que la nouvelle annexe au projet de loi de finances, prévue par le II du présent article, comporte, en plus des attributions perçues par chaque collectivité au titre des différentes dotations, les prélèvements dont elles feraient l'objet.

L'amendement n° 38 est adopté.

L'article 28 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

L'article 28 bis est adopté.

Article additionnel avant l'article 29

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'amendement n° 46 institue une novation dont on a beaucoup parlé : le mécanisme de « frein à la dette ». Si la dette venait à dépasser 100 % du PIB, il prévoit l'obligation pour le Gouvernement de présenter des mesures pour ramener le déficit public à un niveau inférieur au déficit permettant de stabiliser le ratio d'endettement des administrations publiques.

L'amendement n° 46 est adopté et devient l'article 29 A.

Article 29

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 8, qui me semble peu opérationnel. Il pourra être retravaillé en vue de la séance.

L'amendement n° 8 n'est pas adopté.

L'article 29 est adopté sans modification.

Article 30

L'amendement de coordination n° 44 est adopté.

L'article 30 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

L'ensemble du projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Approbation de l'accord entre la France et la Chine en vue d'éviter les doubles impositions et prévenir l'évasion et la fraude fiscale en matière d'impôts sur le revenu - Examen du rapport et du texte de la commission

Puis, la commission procède à l'examen du rapport de M. Éric Doligé, rapporteur, et à l'élaboration du texte de la commission sur le projet de loi n° 4 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.

M. Éric Doligé, rapporteur. - Le Sénat est saisi en premier lieu du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord du 26 novembre 2013 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.

Cette nouvelle convention fiscale entre la France et la Chine a vocation à se substituer à l'actuelle convention, qui a été signée il y a trente ans, en 1984, afin de la mettre en conformité avec le modèle le plus récent de l'OCDE - qui date de 2010. Ce texte est attendu avec impatience par les milieux économiques français. Il vise à développer les échanges commerciaux entre les deux pays, et à inciter les entreprises françaises comme chinoises à investir davantage.

De fait, la Chine de 1984 n'a plus grand-chose à avoir avec la Chine d'aujourd'hui. En 1984, la Chine représentait à peine plus de 1 % du PIB mondial. Aujourd'hui, avec un PIB de 13,4 milliards de dollars, soit 15,4 % du PIB mondial, la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale, et de loin le premier exportateur de la planète. Surtout, avec une croissance de plus de 7 % par an - quand la France s'attend à 0,4 % cette année - et un immense marché intérieur de 1,4 milliard de consommateurs, la Chine représente donc une formidable opportunité de développement pour nos entreprises.

Pourtant, les entreprises françaises ne profitent pas assez de cette dynamique. De fait, les relations économiques et financières entre les deux pays apparaissent déséquilibrées : notre déficit commercial avec la Chine a atteint 26 milliards d'euros en 2013 et, si la France est le deuxième fournisseur européen de la Chine avec 1,3 % de part de marché, elle demeure loin derrière l'Allemagne et ses 5,3 % de part du marché chinois.

Le présent accord vise donc précisément à fournir un nouveau cadre fiscal aux échanges entre la France et la Chine. Les avantages négociés dans une convention fiscale sont par définition réciproques : le bénéfice retiré par l'un ou l'autre des pays dépend donc de la structure de son économie. Concrètement, les investissements français en Chine excèdent les investissements chinois en France, même si l'on entend souvent parler de ces derniers : la France a donc intérêt à une baisse des retenues à la source, et la Chine à un maintien des bases taxables sur son territoire.

D'une manière générale, la nouvelle convention offre aux entreprises un cadre plus favorable aux investissements, ce dont pourraient bénéficier les entreprises françaises qui sont implantées en Chine ou désirent s'y implanter. Plus précisément, les principaux points à retenir sont les suivants :

- la retenue à la source opérée sur les dividendes est abaissée de 10 % à 5 %, ce qui permettra aux entreprises françaises détenant des filiales en Chine de faire « remonter » plus facilement leurs bénéfices vers la France ;

- la définition de l'établissement stable est assouplie : pour être imposable en Chine, un chantier devra dorénavant avoir une durée de douze mois, contre six mois actuellement ; quant à « l'établissement stable de services », sa durée sera désormais appréciée au jour près, et non plus au mois près ;

- des clauses particulières permettent de protéger certains régimes français incitatifs, notamment les sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC) ;

- enfin, le système des crédits d'impôt forfaitaires est supprimé : celui-ci permettait de réduire de 10 % ou 20 % l'impôt payé en France, et ce quel que soit le montant réel de l'impôt payé en Chine ; si la fin de ce dispositif dérogatoire bénéficiera avant tout au Trésor public, une période de transition est aménagée afin de sauvegarder l'équilibre des contrats en cours, notamment dans le domaine de l'aéronautique. Le système des crédits d'impôt forfaitaires, qui représentait une forme de subvention à l'exportation vers les pays en développement, paraît aujourd'hui anachronique dans le cas d'un pays comme la Chine. Il sera remplacé par un crédit d'impôt égal au montant réellement acquitté en Chine, conforme au modèle OCDE.

Par ailleurs, à la faveur de cette nouvelle convention fiscale, les États se dotent de possibilités élargies d'imposer les activités sur leur territoire, ce qui devrait particulièrement profiter à la Chine. Plus précisément, la convention prévoit les points suivants :

- le maintien d'une retenue à la source relativement élevée de 10 % sur les intérêts et sur les redevances - ce qui constitue, dans le cas des redevances, une dérogation par rapport au modèle OCDE qui prévoit une imposition exclusive des redevances à la résidence. La Chine pourra donc conserver une part de la valeur créée par les brevets et autres droits de propriété intellectuelle français ;

- la possibilité de taxer à la source les plus-values de cession de participations dans une société, dès lors que le bénéficiaire détient ou a détenu, directement ou indirectement, à n'importe quel moment durant les douze mois précédant l'aliénation, plus de 25 % du capital de la société. Ce périmètre, sensiblement élargi par rapport à la convention de 1984, permettra à la Chine de taxer les cessions de filiales françaises sur son territoire ;

- une exonération de retenue à la source pour les dividendes, les intérêts et les plus-values bénéficiant aux « fonds souverains » : on peut penser que la China Investment Corporation (CIC) tirera un plus grand profit de cette stipulation que le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) français...

Enfin, la convention comporte une série d'améliorations visant à prévenir la fraude fiscale et l'optimisation fiscale abusive :

- un traitement plus fin des entités « transparentes », notamment en matière immobilière, afin d'éviter qu'un montage basé sur une structure regardée comme transparente par un État et opaque par l'autre État aboutisse à des situations de double non-imposition ;

- l'introduction de quatre clauses anti-abus spécifiques et d'une clause anti-abus générale, visant à combattre la mise en place de montages dont le but est principalement, sinon exclusivement, d'obtenir un avantage fiscal contraire à l'esprit de la convention ;

- l'actualisation de la clause relative à l'échange d'informations à des fins fiscales, conformément au dernier modèle de l'OCDE : si le système reste fondé sur l'échange à la demande, c'est-à-dire au cas par cas, l'État « requis » ne pourra plus refuser de transmettre les informations au seul motif qu'il n'en a pas besoin pour lui-même, ou que celles-ci sont détenues par un établissement financier. Il convient toutefois de noter que la Chine coopère d'ores et déjà de manière satisfaisante avec l'administration fiscale française.

Bien sûr, cette convention fiscale n'épuise pas le sujet. Au-delà de l'équilibre fiscal persistent des inquiétudes quant à certaines pratiques commerciales prêtées par certains à la Chine : manque de transparence dans l'accès au marché, dumping, espionnage industriel etc. Pour l'essentiel, toutefois, ces problèmes relèvent de la politique commerciale, compétence exclusive de la Commission européenne.

Par ailleurs, cette convention a vocation à être encore améliorée. D'une part, le projet « BEPS » de l'OCDE sur l'érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices, auquel notre commission s'est intéressée dans le cadre de son séminaire à Orléans en juin 2014, débouchera bientôt sur des propositions concrètes pour combler certaines « failles » des conventions actuelles. D'autre part, l'échange automatique d'informations, bien plus efficace que l'actuel échange à la demande, pourrait bientôt s'imposer comme le nouveau standard international, comme l'a montré la Présidente Michèle André dans son rapport sur la loi « FATCA » : il nous appartiendra alors de lancer de nouvelles négociations avec nos partenaires.

Ceci étant dit, la présente convention fiscale apporte des améliorations bienvenues, à la fois pour les entreprises chinoises et pour les entreprises françaises. C'est pourquoi je vous recommande d'adopter sans modification le présent projet de loi de ratification.

M. Éric Bocquet. - Cette convention s'applique-t-elle également à Hong Kong, ou reste-t-il des reliquats tenant au statut particulier de ce territoire ?

M. Éric Doligé, rapporteur. - Cette convention ne s'applique pas à Hong Kong. Par ailleurs, si l'échange d'informations fonctionne bien avec la Chine, il n'en va pas forcément de même avec Hong Kong. Toutefois, la nouvelle convention fiscale récemment signée avec Hong Kong, en 2010, pourrait peut-être améliorer les choses : tous les espoirs sont permis.

La commission adopte le projet de loi n° 4 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.

La réunion est levée à 12 h 10.

- Présidence de Mme Michèle André, présidente de la commission des Finances et de M. Rémy Pointereau, vice-président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire -

La réunion est ouverte à 15 h

Péage de transit poids lourds et infrastructures de transport - Audition de M. Alain Vidalies, secrétaire d'Etat chargé des transports, de la mer et de la pêche, auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Au cours d'une seconde séance tenue l'après-midi, la commission procède ensuite à l'audition de M. Alain Vidalies, secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche, sur le péage de transit poids lourds et les infrastructures de transport, conjointement avec la commission du développement durable.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Nous accueillons Alain Vidalies, secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche, qui s'est rendu disponible pour venir nous parler d'un sujet brûlant d'actualité : la suspension sine die de l'écotaxe et plus largement le financement des infrastructures de transport. L'écotaxe, devenue à l'occasion de la loi de finances rectificative de cet été le péage de transit poids lourds, devait financer l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Avec les membres de la commission du développement durable, nous avons souhaité vous entendre, afin de comprendre comment le Gouvernement entend assurer le financement des infrastructures en 2015 et les années suivantes. Les besoins sont considérables : projets de ligne à grande vitesse, canal Seine-Nord, ligne Lyon-Turin ou encore de multiples aménagements routiers dans nos territoires.

Je vous remercie de votre présence, qui ne suffira pas à épuiser les sujets d'intérêts communs entre nos deux commissions. J'espère que nous pourrons tenir prochainement une audition conjointe sur la transition énergétique et la fiscalité écologique.

M. Rémy Pointereau, vice-président de la commission du développement durable. - Je vous prie d'excuser l'absence du président de la commission du développement durable, Hervé Maurey. Nous sommes heureux de vous accueillir devant la commission des finances et la commission du développement durable réunies : au Sénat, nous ne dissocions pas les problématiques de transport et d'aménagement du territoire des considérations financières.

C'est pourquoi nous sommes perplexes depuis l'annonce par la ministre de l'écologie, Mme Ségolène Royal, de la suspension sine die du péage de transit poids lourds, qui devait succéder à l'écotaxe et sur laquelle nous regrettons vivement que la ministre ne soit pas venue s'expliquer elle-même.

Cette suspension soulève en effet de nombreuses interrogations. Elle intervient trois mois à peine après l'adoption par le Parlement de ce dispositif. Or les travaux menés au Sénat comme à l'Assemblée nationale avant l'été concluaient clairement qu'il était possible et nécessaire qu'un tel dispositif entre rapidement en vigueur.

Nos rapporteurs, M. Jean-Yves Roux - pour les transports routiers - et M. Louis Nègre - pour les transports ferroviaires et collectifs -, vous interrogeront sur les conséquences de cette décision. Je souhaite pour ma part insister sur la question, cruciale, du financement des infrastructures de transport, sur laquelle nous avons de vraies inquiétudes. Le Gouvernement s'est engagé à mettre en oeuvre le scénario 2 de la Commission Duron. Comment le pourra-t-il ? Un récent rapport de la Cour des Comptes souligne la faible rentabilité des lignes à grande vitesse, mais il faut prendre en compte les problématiques d'aménagement du territoire. Merci d'avance des réponses précises que vous nous apporterez.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche. - Merci de m'avoir convié à cette réunion conjointe de vos deux commissions, dont je suis heureux de rencontrer les nouveaux membres.

Le Gouvernement a décidé de suspendre sine die l'écotaxe au terme d'un long processus au cours duquel les difficultés techniques rencontrées et l'incompréhension qu'elle suscitait ont conduit plusieurs d'entre vous à se faire l'écho du sentiment d'injustice qu'elle faisait naître. Dès le mois de juin, le Gouvernement a tenté d'améliorer cette situation en limitant le périmètre de la taxe à 4 000 kilomètres de routes non concédées. Les difficultés persistant, le Gouvernement, en concertation avec les transporteurs et les chargeurs, a décidé la suspension sine die.

Nous devrons tous réfléchir aux raisons de l'échec de l'écotaxe et du péage de transit poids lourds. Je pense que le système retenu ne pouvait qu'engendrer des difficultés dès lors que la loi garantissait la répercussion de la taxe des transporteurs sur les chargeurs. Par cette innovation singulière, le législateur s'immisçait dans les rapports contractuels ! Les dérapages qui ont suivi étaient d'autant plus regrettables que les transporteurs n'ont jamais vraiment remis en cause le principe de leur participation au financement des infrastructures qu'ils utilisent. Ce sont les modalités qui ont été contestées, et parfois violemment - ce qui a donné lieu à des troubles à l'ordre public, perturbants pour toute une profession si essentielle à notre économie. Le principe pollueur-payeur a été transformé par le dispositif retenu, qui faisait peser la taxe sur toute la chaîne de production, jusqu'à devenir méconnaissable - et inapplicable.

Cet échec est aussi dû, selon moi, à la méthode retenue. Le contrat liant l'État à la société Ecomouv' imposait des charges de fonctionnement très importantes. Il aurait sans doute fallu réfléchir à deux fois avant de confier le prélèvement d'une taxe à une entreprise privée - encore une première en France. Nous procédons actuellement à une expertise juridique de ce contrat, sur laquelle nous nous fonderons pour prendre nos décisions dans quelques jours. Nous serons particulièrement attentifs à la situation des douaniers, comme l'a déjà indiqué Christian Eckert, ainsi qu'à celle des salariés d'Ecomouv', dont les représentants seront reçus cette semaine par Ségolène Royal et moi-même.

La suspension a été décidée au terme de nombreux échanges, notamment avec les responsables des fédérations professionnelles du transport routier. Le Gouvernement n'entend pas renoncer au principe pollueur-payeur dans le financement des infrastructures. Tous s'accordent à trouver naturel que les transporteurs participent au financement de l'entretien des infrastructures du pays. Un groupe de travail a été créé à la suite de l'annonce de la suspension, pour chercher avec les transporteurs des recettes de substitution. Je le préside, il s'est réuni pour la première fois le 16 octobre dernier. L'étude d'une solution alternative à moyen terme, susceptible d'être mise en oeuvre le 1er janvier 2016, constitue un premier axe de travail. Les transporteurs étrangers devront être mis à contribution.

Pour répondre aux besoins de financement des infrastructures en 2015, le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi de finances une hausse de quatre centimes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les poids lourds, qui sera fléchée comme recette de l'AFITF. Cette disposition a été adoptée par l'Assemblée nationale mardi dernier, et j'espère que le Sénat confirmera ce choix. Ainsi, le budget de l'AFITF pour 2015 sera équivalent à celui de 2014 : environ 1,9 milliard d'euros. Aux 800 millions d'euros de recettes résultant de l'augmentation de deux centimes pour les véhicules légers, s'ajouteront les 350 millions d'euros issus de l'augmentation de quatre centimes pour les poids lourds, celle-ci se décomposant en une hausse de deux centimes similaire à celle imposée aux véhicules légers et une hausse de deux centimes remettant en cause l'exonération, pour les transporteurs, de la part de TICPE appelée « contribution climat - énergie », qui avait été octroyée du fait de la mise en place du péage de transit poids lourds.

Les négociations que nous conduisons avec les transporteurs devront déterminer une recette pérenne pour l'AFITF. Les poids lourds contribueront au même titre que tous les autres véhicules à l'effort de financement des infrastructures. Une nouvelle réunion du groupe de travail aura lieu en décembre, en vue de laquelle les fédérations de transporteurs sont invitées à présenter leurs propositions alternatives.

Le financement des infrastructures, qui sont un moteur de croissance et d'emploi, et contribuent à une meilleure desserte des territoires et donc à une plus grande égalité, doit être assuré. Une redevance d'usage, prélevée par la création d'une vignette, a été proposée par une organisation de transporteurs et certains chargeurs. Les poids lourds qui utilisent une ressource publique comme le réseau routier non concédé doivent contribuer à son entretien et à sa modernisation ; ils le reconnaissent d'ailleurs volontiers. Une autre solution serait de s'adresser aux sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), à la suite de l'avis rendu par l'Autorité de la concurrence. Le Premier Ministre a engagé une concertation avec elles.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Pourquoi avoir parlé de report sine die et non, ce qui aurait été plus honnête, de suppression de l'écotaxe ? Si celle-ci est supprimée, il faut modifier le code des douanes et les collectivités territoriales, qui comptaient sur une part non négligeable de cette recette - en particulier les conseils généraux - doivent en prendre leur parti. Le secrétaire d'État chargé du budget ayant annoncé la réaffectation des personnels, il est clair que le dispositif est enterré.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial de la commission des finances. - L'écotaxe a été adoptée, et modifiée, par le Parlement, à une majorité très large, tant à droite qu'à gauche. Il s'agissait de créer une véritable taxe écologique, en application du Grenelle de l'environnement. La ministre de l'écologie, en annonçant autoritairement sa suspension sine die, fait preuve d'un profond mépris pour le Parlement. La suspension sine die, d'ailleurs, cela n'existe pas ! Pourquoi ne pas parler d'abandon ? La mission du Gouvernement est d'exécuter les décisions votées par le Parlement, ou de revenir vers celui-ci s'il estime qu'une autre politique doit être menée. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure. La ministre de l'écologie considère que l'on peut se passer du Parlement : ce n'est pas une bonne manière et ce n'est, en tout cas, pas notre conception de la démocratie.

La décision de supprimer l'écotaxe, prise à la hâte, est un désastre financier. Avez-vous suffisamment pris en compte l'existence du contrat qui lie l'État à la société Ecomouv' ? Que la perte de recettes soit compensée par la hausse des taxes sur le diesel, voilà une belle avancée ! C'est 1,2 milliard d'euros qui seront payés par des Français, quand quelques 30 % de l'écotaxe étaient supportés par les transporteurs étrangers. Ségolène Royal voulait taxer ceux-ci, avant de s'apercevoir qu'une directive européenne s'y oppose. Le résultat actuel est le pire possible : la facture sera acquittée par les véhicules légers ou les poids lourds français. Aberrant !

Pour recouvrer l'écotaxe, l'État a signé un contrat avec la société Ecomouv'. Celle-ci a rempli ses engagements : le système qu'elle a mis en place fonctionne. L'État l'a d'ailleurs reconnu cet été en signant un protocole additionnel. Il se trouve donc engagé à la fois par le contrat initial et par l'avenant de cet été. La suspension de l'écotaxe n'a pas de conséquence sur le contrat qui, lui, se poursuit. La commission d'enquête du Sénat, que j'ai présidée, a passé le contrat au crible, quand celle de l'Assemblée nationale se préoccupait surtout des solutions alternatives. Nous n'avons rien trouvé ! La société Ecomouv' était bien la moins chère. Si le contrat ne peut être exécuté du fait d'une décision unilatérale du Gouvernement, celui-ci devra indemniser son partenaire privé, tout en mettant à la casse un système technologique hautement performant. Beau résultat !

Dans le cadre d'une procédure à l'amiable, l'indemnité devrait atteindre 830 millions d'euros, si du moins la décision est prise avant le 31 octobre. Notre audition se situe donc à un moment clef. Après, le coût devrait augmenter d'au moins 100 millions d'euros. Le Gouvernement peut aussi emprunter la voie contentieuse. Dans ce cas, l'indemnité pourrait s'élever jusqu'à 1,5 milliard d'euros : Ecomouv' pourra, très légitimement, demander des dommages et intérêts. Le Gouvernement va-t-il faire le choix de la responsabilité budgétaire en procédant à la résiliation du contrat d'ici vendredi ?

Le budget des transports est-il sincère ? Vous nous avez brillamment montré comment le budget de l'AFITF sera maintenu aux alentours de 2 milliards d'euros. Mais quid de l'indemnisation d'Ecomouv' ? Celle-ci doit figurer dans les comptes de l'AFITF, et représente, au mieux, une somme d'environ 830 millions d'euros à verser en 2015.

Ma dernière question porte sur une information lue dans la presse. Avez-vous demandé à Corinne Lepage d'examiner la constitutionnalité du contrat ? S'agit-il d'une plaisanterie ? Sinon, combien coûte cette expertise ? Le choix de Corinne Lepage a-t-il résulté d'une mise en concurrence de plusieurs candidats ? Notre commission d'enquête a conclu que le contrat qui liait l'État à la société Ecomouv' est conforme à la Constitution. Y serait-il contraire, vous savez bien, pour avoir été avocat dans une vie antérieure, que nul - pas même l'État - ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ! Il est faux de dire, comme vous l'avez fait, que l'État a confié le recouvrement d'une taxe à une entreprise privée. C'est, à tout le moins, un raccourci. Bref, cette décision aboutit à un véritable gâchis d'argent public et ce, à des fins purement politiciennes.

M. Louis Nègre, rapporteur pour avis de la commission du développement durable. - Je prends acte du fait que l'écotaxe est morte et enterrée : il est vrai que le dispositif avait déjà été détricoté cinq fois, et qu'il n'en restait plus grand-chose.

Il est vrai que les transporteurs s'en plaignaient. Mais comment l'exécutif peut-il suspendre une décision du Parlement ? Si j'ai bien compris, la hausse de quatre centimes par litre de diesel ne compensera nullement la perte de recettes, de l'ordre de six centimes.

L'augmentation de deux centimes est une mesure d'urgence : il fallait garantir le budget de l'AFITF, dont la pérennité préoccupait tous les utilisateurs des infrastructures. Cependant, vous le savez, Bercy est toujours à l'affût et, quelle que soit la couleur du Gouvernement, cherche toujours à combler les déficits d'autres secteurs que celui des transports. L'affectation de cette ressource nouvelle doit donc être durablement garantie.

Où en sommes-nous du troisième appel à projets ? Quelques 80 collectivités territoriales ont présenté 120 projets. L'appel à candidature date de septembre 2013. Les réponses ont été rendues en décembre 2013. Nous approchons de décembre 2014, aucune décision n'est encore prise... Serez-vous, dans ce dossier, le père Noël ?

Le Gouvernement s'est engagé à mettre en oeuvre le scénario 2 élaboré par la commission Mobilité 21. Celui-ci coûtera quelque 30 milliards d'euros. Sera-t-il vraiment appliqué ?

J'ai voté contre la réforme ferroviaire parce que votre Gouvernement ne s'était pas préoccupé du traitement de la dette, qui dépasse 42 milliards d'euros et devrait gonfler jusqu'à 60, voire 80 milliards d'euros. Les rapports de l'école polytechnique de Lausanne comme ceux de la Cour des Comptes confirment que les travaux de renouvellement nécessaires n'ont pas été effectués. Une telle dette n'y aidera pas ! L'ouverture à la concurrence fera baisser les coûts d'exploitation d'environ 20 % : voilà une poire pour la soif ! La réforme ferroviaire ne s'attaquait pas non plus à la fraude, qui coûte plus de 500 millions d'euros par an. Comment notre pays peut-il accepter une telle situation ? Il l'encourage même : non seulement les contrôleurs ont parfois du mal à identifier les contrevenants, mais ceux-ci peuvent se trouver en contravention jusqu'à dix fois par an avant que la contravention ne se transforme en délit ! Et ce droit de tirage est renouvelé chaque année le 1er janvier.

Le plan de charge de l'industrie ferroviaire pour les années 2016 et 2017 est catastrophique. Je vous ai alerté plusieurs fois sur ce point. Dans l'industrie lourde, lorsqu'une usine ferme, il est bien difficile de l'ouvrir à nouveau. Nos constructeurs - Alstom, Bombardier, Thales - sont parmi les meilleurs dans le monde. Ils annoncent qu'ils fermeront peut-être certaines usines. Qu'allez-vous faire, face à cette urgence, pour rétablir la situation de l'industrie ferroviaire ?

Le Président de la République s'était engagé à faire le TGV du futur. M. Montebourg avait annoncé sa sortie en 2018. Où en sommes-nous ?

Vous avez débloqué environ 450 millions d'euros pour acheter 36 rames de TET : très bien, mais c'est insuffisant. Quand on prend le train Corail, on a l'impression de voyager non pas en France mais dans un pays en voie de développement...

M. Jean-Jacques Filleul. - Vous exagérez !

M. Louis Nègre, rapporteur pour avis. - Nullement. Le financement de la mobilité en France n'est pas stabilisé ni pérennisé. Il s'agit d'une des composantes fortes de l'attractivité de notre territoire. Je vous propose donc de tenir un Grenelle 3 consacré au financement de la mobilité.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur pour avis de la commission du développement durable. - Avez-vous entamé la procédure de résiliation du contrat liant l'État à la société Ecomouv' ? Combien coûtera-t-elle ? Avez-vous envisagé d'indemniser les sociétés de télépéage ? Quel avenir pour les salariés de la société Ecomouv', qui se retrouveront subitement sans emploi ? Qu'avez-vous prévu pour les fonctionnaires des douanes ? Que deviendront les portiques ? La compensation du manque à gagner par une hausse de la fiscalité suffira-t-elle ? Le Gouvernement s'est engagé à mettre en oeuvre le scénario 2 défini par la commission Mobilité 21. Pourra-t-il financer cet engagement ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. - Pourquoi avons-nous annoncé la suspension du contrat et non sa résiliation ? Parce que la résiliation produit des effets immédiats, que vous avez bien rappelés. Certes, l'État pourrait assumer les conséquences financières de cette décision. Mais nous avons estimé qu'une analyse juridique approfondie du contrat s'imposait pour déceler d'éventuels problèmes. Ancien ministre des relations avec le Parlement, j'ai le plus grand respect pour les travaux du Sénat, mais l'État a le devoir de conduire toutes les diligences nécessaires. La constitutionnalité du contrat a été mise en cause par un professeur lors des auditions de la commission d'enquête, qui se référait à une décision du Conseil constitutionnel de 2003. Nous avons la responsabilité des deniers publics et donc nous avons le devoir d'aller au bout de cette démarche. Si la résiliation doit être prononcée, il y aura une discussion avec la société soit de nature transactionnelle, soit de nature contentieuse. Dans tous les cas, nous avons évidemment bien en tête la date du 31 octobre.

Suspendre l'exécution d'un contrat relève bien de la responsabilité du pouvoir exécutif, sans préjudice des pouvoirs du Parlement. De surcroît, la mise en oeuvre du péage de transit poids lourds allait jusqu'au 31 décembre 2015.

C'est vrai, cet échec est invraisemblable. Cette mesure avait été adoptée à l'unanimité. Les transporteurs eux-mêmes étaient d'accord. S'ils acceptaient le principe consistant à les faire payer, ils n'allaient tout de même pas jusqu'à féliciter le Parlement ! Au cours des débats, l'idée apparemment géniale est apparue de faire payer les chargeurs. Mais le chargeur, c'est l'agriculteur du coin, c'est le petit producteur de légumes, qui a découvert que les politiques avaient décidé d'augmenter la facture de l'expédition de leurs produits de 7 % à 10 %. Ce n'était pas très habile... En recherchant des solutions alternatives, je m'efforce d'éviter de reproduire cette erreur. Le marché s'était trouvé perturbé : plus personne ne sachant quels seraient les prix, les transactions s'étaient interrompues.

Nous avons constaté qu'une partie du corps social ne pouvait pas accepter cette loi, n'en déplaise au Parlement. Du reste, certains parlementaires soutenaient localement la contestation...

La modification fiscale que je vous ai présentée est valable pour 2015. Il n'est pas impossible qu'elle soit pérennisée, car certains transporteurs lui trouvent plusieurs avantages. Cependant, un système de vignettes permettrait de faire payer les poids lourds étrangers. À vrai dire, nous ne savons pas dans quelle mesure ceux-ci font leurs pleins en France. L'inconvénient de la vignette est que le paiement n'est pas proportionnel au nombre de kilomètres parcourus. Nous devons aussi garder à l'esprit que le prix du pétrole peut augmenter à nouveau. Dans ce cas, une action sur la fiscalité sera sans doute nécessaire. Le calendrier des groupes de travail est établi. Ils devront parvenir à leurs conclusions avant le mois de juin 2015, afin qu'un nouveau système puisse entrer en application le 1er janvier 2016.

Sur le troisième appel à projets, nous avons procédé après les élections municipales à des vérifications auprès des nouveaux élus. Ce travail est fini, et nous donnerons nos réponses courant décembre. Le scénario choisi après les travaux de la commission Mobilité 21 n'est aucunement remis en cause.

L'ouverture à la concurrence des systèmes de transport est prévue par le volet politique du quatrième paquet ferroviaire et par la loi ferroviaire elle-même. Les pays européens ne débattent plus que de la date à retenir. Nous devons prendre des précautions. L'ouverture à la concurrence posera la question de l'aménagement du territoire ; il est peu probable qu'elle améliore la situation des lignes pour lesquelles vous m'écrivez régulièrement.

C'est l'une des principales critiques que l'on peut faire au récent rapport de la Cour des comptes : sa vision ne peut être tout à la fois statique et comptable. Un débat sur l'aménagement du territoire et sur son financement s'impose : il ne trouvera pas sa réponse dans l'ouverture à la concurrence. Il est de notre responsabilité de les mener de front.

Le bilan des trains d'équilibre des territoires (TET) n'est satisfaisant ni pour la SNCF, ni pour l'État. Le service rendu n'est pas à la hauteur de l'idée de « trains d'aménagement du territoire ». J'ai donc décidé de renouveler pour un an la convention qui venait à échéance et de mettre en place en attendant une mission du même type que « Mobilité 21 ». Personne ne peut réfléchir aux questions soulevées par les TET et les trains express régionaux (TER) sans prendre conscience de la mutation que préparent vos débats sur les compétences des régions : les chantiers qui leur échappent aujourd'hui relèveront peut-être demain de leur gestion interne. Comme le note la Cour des comptes, il ne s'agit pas d'abandonner les TGV au profit des TER, mais d'assurer un niveau d'excellence sur les trains du quotidien. Telle est la réflexion qu'aura à conduire cette nouvelle mission.

L'état du réseau ferroviaire n'est pas satisfaisant. Des choix ont été faits ces dernières années à la demande pressante des grands élus. Lorsqu'a été lancée l'idée de quatre TGV en même temps, les gestionnaires du réseau se sont adaptés tant bien que mal. La réalité de Brétigny est passée par là. Notre priorité est désormais la maintenance du réseau. Nous avons perdu cette culture de la maintenance, avec les conséquences que nous observons sur la vie quotidienne de nos concitoyens. Il est vrai qu'il est plus facile de décider de rénover une ligne, avec des résultats visibles et positifs, que d'assurer la maintenance au quotidien : cela ne se voit pas, mais c'est pour moi indispensable. Il s'agit désormais de rattraper vingt ou vingt-cinq ans de défaut de maintenance.

Louis Nègre avait également raison de m'interroger sur les fraudes. Près de 500 millions d'euros de fraude, ce n'est pas acceptable. La conclusion s'impose que notre système de contrôle n'est pas opérationnel et appelle une réorganisation.

Je réponds à Jean-Yves Roux d'une phrase : nous recevrons les salariés d'Ecomouv'. Christian Eckert a rassuré les douaniers, notamment sur la localisation de leur activité. Quant aux portiques, si nous en devenons propriétaires, les collectivités territoriales pourront en avoir l'usage.

M. Michel Bouvard. - J'ai avec Thierry Carcenac la charge du rapport spécial sur les douanes. Que vont devenir leurs 130 agents recrutés et affectés à Metz ? Les douanes peuvent-elles gérer le redéploiement de 130 personnes vers d'autres fonctions ? Quelles dépenses ont été engagées par l'État en plus de celles du recrutement ?

Vous l'avez dit de manière courtoise, monsieur le ministre : les parlementaires qui avaient voté le texte ont fait bon marché de leur responsabilité collective. Il ne s'est plus trouvé personne pour défendre la mesure lorsque nous avons été confrontés aux difficultés du système. Cette réforme connait ainsi le même sort que celle de la révision des bases d'imposition, votée dans un beau consensus parlementaire et qui n'a jamais vu le jour. Nous avons pourtant depuis des années un problème de financement des transports. Le Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN), destiné à apporter un financement durable aux infrastructures de transport, a été sacrifié par un gouvernement de la même majorité que celui d'aujourd'hui. On bute toujours, quinze ans plus tard, sur les difficultés de financement de l'AFITF. Nous avons renoncé à un dispositif qui existe pourtant dans d'autres pays européens et qui avait le mérite d'autoriser une déclinaison française. Je m'interroge dès lors sur le projet, dans lequel nous avons déjà investi un milliard d'euros, de nouvelle infrastructure ferroviaire sous les Alpes. Le Premier ministre a rappelé qu'il s'agissait d'une priorité du Gouvernement et du Président de la République. Nous allons devoir répondre à un appel à projet européen dans lequel nous serons interrogés précisément sur son financement. Or le système Ecomouv' aurait pu être appliqué au transit alpin, que ce soit par les tunnels routiers au Nord ou par le passage littoral au Sud, où le flux des poids lourds est considérable. Il s'agit bien, là aussi, de taxer du transit international et de le faire contribuer à la réalisation d'infrastructures indispensables tant pour des raisons environnementales que d'arrimage de l'Italie du Nord à l'économie de notre pays. Quelle sera demain notre crédibilité pour justifier de nouvelles mesures financières ? Où trouverons-nous les ressources nécessaires ?

En 1995, je rapportais le budget des transports terrestres : j'avais déjà soulevé alors les problèmes de l'absence de pouvoir de police des contrôleurs et du coût de gestion des amendes, plus élevé que leur montant. Il est donc urgent que nous trouvions le courage de faire quelques réformes, notamment en donnant des pouvoirs de police aux contrôleurs.

M. Jean-Jacques Filleul. - Je partage, monsieur le ministre, votre avis sur l'échec de l'écotaxe. La commission d'enquête du Sénat a examiné longuement le dossier. Alors que l'écotaxe avait été votée avec la loi de finances pour 2009, aucun décret d'application n'est sorti avant mai 2012. Il est vrai qu'Ecomouv' non plus n'était pas prêt.

Je me réjouis que le gouvernement ait réglé le problème du financement de l'Afitf pour 2015, même si nous sommes d'accord pour souhaiter des solutions pérennes.

La commission du développement durable a reçu mercredi dernier Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence et l'a entendu au sujet de la privatisation des autoroutes en 2006 et des contrats avec les sociétés concessionnaires. Nous en voyons aujourd'hui les conséquences : hausses de tarifs injustifiées aux yeux de la Cour des comptes elle-même ; autorisation accordée aux SCA de déduire de leurs résultats les intérêts de leurs emprunts, pour un avantage cumulé de trois milliards d'euros à ce jour ; financement par l'État, à hauteur de 405 millions, de la mise en place du télépéage à trente kilomètres à l'heure, ce qui n'a pas empêché les SCA d'intégrer cet investissement dans le calcul de l'augmentation des péages.

La taxe à l'essieu a été ramenée au minimum par le gouvernement de l'époque avant même que l'écotaxe ait été mise en oeuvre. Peut-être y a-t-il là une marge de manoeuvre lors de vos discussions avec les transporteurs routiers... Avez-vous abordé ce sujet lors des tables rondes auxquelles vous avez participé avec eux ?

M. Éric Doligé. - Je suis choqué de voir l'État tenter de se soustraire à un contrat qu'il avait signé. Vous n'avez pas répondu à la question d'Albéric de Montgolfier : les collectivités territoriales attendent depuis des années le produit de cette taxe. Elles investissent, financent et entretiennent les infrastructures sans disposer des recettes correspondantes. Les avez-vous elles aussi passé par pertes et profits ?

M. François Aubey. - Pourrions-nous aborder le transport aérien ?

Mme Michèle André, présidente. - Ce sujet n'entre pas tout à fait dans le champ de l'audition d'aujourd'hui, tel que nous l'avions arrêté en accord avec le ministre. Je vous informe que la commission des finances vient d'admettre le principe de reconstituer le groupe d'études sur l'aviation civile.

Mme Marie-France Beaufils. - Nous avions émis de fortes réserves au sujet d'Écomouv' et le choix du PPP n'avait pas eu notre accord. Des taxes ayant depuis longtemps été instaurées dans d'autres pays européens, les transporteurs ont dévié leurs trajets vers la France, tout en continuant à faire le plein dans leur pays d'origine. Cela confirme la nécessité d'un outil propre à contraindre les transporteurs à contribuer à l'entretien de notre réseau routier.

Envisagez-vous d'aborder la possibilité de la participation des sociétés concessionnaires d'autoroutes au financement de l'AFITF ? Nous ne verrions d'ailleurs pas d'un mauvais oeil la renationalisation des autoroutes, dont les ressources viendraient alimenter l'AFITF. Cette idée fait d'ailleurs son chemin dans la presse spécialisée.

Je partage entièrement votre avis sur la taxation des poids lourds : il faut tenir compte de la façon dont les transporteurs la répercutent sur les chargeurs, dont l'activité est souvent fragile. Raison de plus pour suivre la piste des sociétés autoroutières.

La question des infrastructures ferroviaires et du matériel est, comme l'a souligné Louis Nègre, très préoccupante. L'étude de l'école de Lausanne avait démontré l'ampleur des dégradations, et l'accident de Brétigny l'a, hélas, confirmée.

Deux pays nous apportent la preuve que les financements publics sont indispensables à régler ce problème : l'Angleterre et l'Allemagne, toutes deux contraintes de réinvestir par le budget de l'État dans le redressement des infrastructures. La commission met beaucoup d'espoir dans l'ouverture à la concurrence : on voit ce qu'il en a été dans ces deux pays.

Le rapport de la Cour des comptes n'intègre pas, comme il le devrait, son étude du TGV dans le schéma national de transport, sa vision en est trop partielle et son analyse trop étroite.

Mme Évelyne Didier. - Le découpage par mode de transport et par type d'activité ne permet pas d'équilibrer l'aménagement du territoire : il s'agit de financer les infrastructures peu rentables par celles qui le sont davantage.

Étant lorraine, des environs de Metz, je sais que la rupture du contrat avec Ecomouv' n'affecte pas seulement des douaniers, mais aussi des personnels qui ont été formés sur place et ont commencé à y travailler. On leur a promis beaucoup. Il n'est pas étonnant qu'ils soient en difficulté et s'inquiètent de leur avenir. Les 130 emplois d'Ecomouv' méritent toute notre attention.

Voilà trente ans que le réseau ferroviaire est négligé. C'est une responsabilité collective qui appelle la mise en oeuvre d'une politique volontariste et des engagements budgétaires réguliers.

Le transport routier doit, vous l'avez dit, participer au financement des infrastructures. Si les transporteurs en ont accepté le principe, nous attendons qu'ils fassent effectivement preuve de bonne volonté. Le transport ferroviaire contribue, par la location des sillons, au financement de l'infrastructure ferroviaire. Il y a donc distorsion de concurrence, de ce point de vue, entre les deux modes de transport.

Quant aux contrôleurs, n'oublions pas qu'ils constituent tout le personnel de bord des trains, dans lesquels ils ne sont souvent que deux, voire seuls. Or leurs fonctions débordent largement celle du contrôle.

M. Maurice Vincent. - J'assume mes interventions auprès de vous pour suspendre la taxe sur les poids lourds dans la région stéphanoise ; tous les parlementaires s'accordaient à dire qu'elle était dangereuse. Le Gouvernement a pris une bonne décision sans laquelle la France aurait été bloquée trois semaines.

Tirons les leçons de cet échec et mettons en place un système simple et pratique pour financer les infrastructures. La vignette pourrait être une bonne solution. Faisons simple, concret. Je suis heureux que le scénario 2 ait été retenu pour l'autoroute à péage A 45 entre Lyon et Saint-Etienne.

M. Jérôme Bignon. - Le défaut d'entretien des voies met en danger la sécurité des passagers, mais aussi l'aménagement du territoire : les voies mal entretenues finissent par être déclassées. C'est une manière détournée d'abandonner des lignes secondaires qui revêtent pourtant un intérêt nouveau, à la lumière de notre souci du développement durable. J'ai été l'un des premiers à signer, il y a 30 ans, une convention entre la région Picardie et la SNCF : ceux qui riaient alors seraient assez ridicules maintenant que les TER ont pris l'importance que l'on sait.

Je prends le train quatre fois par semaine entre la Somme et Paris : j'ai pu constater que le contrôle demande de la détermination et du courage ; cela dépasse parfois le métier de contrôleur et s'apparente à une opération de police. Vous ne montez pas dans un avion ou un bateau sans avoir été contrôlé. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour les trains ? C'est une invitation à monter sans payer, puisqu'il n'y a pas de contrôle dans trois trains sur quatre. Quelqu'un d'un peu marginal serait fou de payer dans ces conditions. D'ailleurs, le contrôle est préalable dans certains trains : cela ne scandalise personne !

Le premier ministre a dit que le canal Seine-Nord se ferait mais qu'il fallait de l'argent. L'Union européenne est prête à en donner, comme sur le Lyon-Turin. Ce serait dommage de ne pas en profiter, notamment à la veille d'un rapprochement très étroit entre Picardie et Nord-Pas de Calais...

M. Rémy Pointereau, vice-président de la commission du développement durable. - Je m'interroge sur la hausse de quatre centimes sur le gazole, qui pénalisera globalement les consommateurs et non les acteurs que l'on veut cibler : les transporteurs étrangers utilisent de plus en plus souvent des réservoirs de grande capacité ; ceux qui transitent entre l'Espagne et la Belgique ou l'Allemagne feront le plein dans un pays où le carburant est moins cher. Nos transporteurs, submergés notamment par des coûts de main d'oeuvre bien plus élevés - sans parler des horaires - que leurs concurrents, risquent d'en souffrir. Il faut certes financer l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Mais cela suffira-t-il ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. - Les quatre centimes devraient produire 1,15 milliard d'euros.

M. Rémy Pointereau, vice-président de la commission du développement durable. - Donc, si l'on enlève les 800 millions qu'il faudra verser à Ecomouv', il ne reste rien, puisque l'AFITF est en retard de paiement de 500 millions d'euros sur les lignes actuellement en travaux.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. - Les recettes consacrées au financement des infrastructures sont non seulement fléchées, mais sécurisées pour l'année 2015. Quoi qu'il arrive, ce n'est pas sur ce budget là que l'on viendra ponctionner les sommes nécessaires au paiement d'une indemnité. Notez bien que je ne dis pas que l'État devra faire face à une telle somme. Mais, pour répondre à votre question et à l'hypothèse dans laquelle vous vous placez, je peux vous rassurer : on ne va pas diminuer les ressources disponibles pour les infrastructures au motif qu'il y aurait une indemnité à payer. Pour ma part, je ne dis pas qu'il y aura une indemnité à payer.

Le Lyon-Turin est un enjeu important non seulement pour le million de camions qui circulent sur cet axe, mais aussi pour l'équilibre territorial autour de l'arc alpin : sans cette infrastructure, le trafic en provenance d'Italie se réorienterait vers la Suisse et l'Allemagne. Il serait irresponsable de ne pas être au rendez-vous de l'Union européenne, qui propose d'en financer 40 % : c'est considérable ! Il faudra aller vite, puisque le dossier doit être déposé avant le 26 février. Comment le financer ? Il faut examiner si la directive Eurovignette peut être mise en oeuvre sur ce tronçon : le financement de cette infrastructure par une vignette spécifique ou une majoration de vignette me semble justifié. Vous avez élargi l'assiette de cette vignette éventuelle au transit alpin au sens large : c'est sans doute cela qui fera débat. Est-ce la bonne solution ? Le Premier ministre désignera deux parlementaires en mission pour répondre à cette question.

La privatisation des autoroutes fait partie du débat. Le Premier ministre a engagé le débat avec les sociétés d'autoroute ; parallèlement, l'Assemblée nationale a créé une mission d'information sur ce sujet ; je sais que des initiatives comparables sont en préparation au Sénat. Le Gouvernement n'est pas resté l'arme au pied sur ces questions : il a augmenté de 50 % les redevances domaniales, produisant 100 millions d'euros en 2013 ; mais soyons honnêtes : cette recette nouvelle pour l'État ne réduit pas les bénéfices des sociétés, puisqu'elle peut être répercutée sur les péages.

La taxe à l'essieu présente un inconvénient de taille : elle ne concerne que les camions français. Nous devons l'écarter. Je n'ai pas de statistiques sur le carburant ; on croit généralement qu'il est moins cher ailleurs. En fait, ce problème se pose moins qu'avant, compte tenu de l'évolution des prix dans les pays voisins, y compris avec quatre centimes supplémentaires. Le gazole est moins cher en France qu'en Espagne ou en Italie ; son prix est sans doute comparable en Allemagne et en Grande-Bretagne. Vérifiez !

Neuf collectivités attendaient une recette particulière de l'écotaxe pour un montant de 20 millions d'euros. Il faut être honnêtes : si le contrat s'arrête, elles n'en bénéficieront pas.

Vous parlez de l'exemple anglais : prenons en compte le coût pour l'usager. Dans des capitales comme Londres, le métro ou le train est considérablement plus cher qu'à Paris. Des pays ont fait le choix d'un système ou le déplacement n'est pas considéré comme un service public, et devient, sinon un luxe, du moins une dépense comparable aux loyers. Nos concitoyens arbitreront, mais ils doivent le savoir.

Je ne raconterai pas d'histoires sur l'A 45 : nous attendons le résultat de la recherche compliquée d'un équilibre financier avec la participation des collectivités locales. Nous assumerons ensuite publiquement le débat. Le canal Seine-Nord présente un enjeu considérable : il ne faut pas se borner à faire un tuyau qui offrirait à Anvers un accès plus rapide à Paris ! Ce canal peut donner l'occasion de réaliser une grande opération d'aménagement desservant aussi Dunkerque et le Havre. Une mission a été confiée à Rémi Pauvros ; je réunirai des élus à la demande du Premier ministre pour avancer sur le terrain.

Les formes alternatives de contrôle existent ; c'est par exemple remplacer le contrôle systématique par un seul contrôleur, impossible dans un train bondé, par un contrôle régulier et aléatoire par des équipes. C'est ce qui est vécu au quotidien par de nombreux usagers, notamment dans le Transilien. La question sur un contrôle préalable dans les trains mérite réflexion. L'accès direct est un des avantages comparatifs du train, mais les nouvelles technologies n'effaceraient-elles pas les inconvénients d'un contrôle préalable ?

Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie pour la qualité de votre écoute et la précision de vos réponses.

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Loi de finances pour 2015 - Mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » (et articles 48 à 50) - Examen du rapport spécial

La commission procède enfin à l'examen du rapport de M. Marc Laménie, rapporteur spécial sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » (et articles 48 à 50).

Mme Michèle André, présidente. - Mes chers collègues, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, nous allons maintenant entendre la communication de notre collègue Marc Laménie, rapporteur spécial de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». Je salue parmi nous Jean-Baptiste Lemoyne, qui est rapporteur pour avis de cette mission à la commission des affaires sociales.

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - Je tiens tout d'abord à souligner l'honneur qui est le mien de rapporter cette mission. La mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » est une mission interministérielle qui regroupe trois programmes.

Le programme 167 « Liens entre la Nation et son armée » a pour objectif de promouvoir l'esprit de défense et de citoyenneté au sein de la population et qui comprend la Journée défense et citoyenneté (JDC) et la politique de mémoire.

La finalité du programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » est de témoigner la reconnaissance de la Nation à l'égard des anciens combattants et des victimes de guerre, et qui porte les mesures de reconnaissance et de réparation, telles que la retraite du combattant et les pensions militaires d'invalidité.

Ces deux programmes sont placés sous la responsabilité du ministre de la défense.

Enfin, le programme 158 « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale » porte les trois dispositifs d'indemnisation en faveur les victimes de la Seconde Guerre mondiale et leurs ayants-cause. Il relève du Premier ministre.

Cette mission connaît depuis plusieurs années une diminution régulière de ses crédits. La baisse était de 2,8 % l'année dernière. Elle est plus marquée cette année avec une contraction à hauteur de 7,7 % en crédits de paiement. Toutefois, cette baisse accrue par rapport à 2014 est directement liée au changement de périmètre de la mission. Toutes les dépenses de personnel portées par le programme 167, qui correspondent aux emplois de la direction du service national mobilisés pour l'organisation de la Journée défense et citoyenneté (JDC), soit 75 millions d'euros en loi de finances initiales pour 2014, ont été transférées à la mission « Défense » dans le cadre de la réforme du pilotage des effectifs et de la masse salariale engagée au sein du ministère de la défense.

À périmètre constant, la baisse observée est de 5,3 % des crédits de paiements sur l'ensemble de la mission, soit 153,4 millions d'euros. Elle est due à la diminution des crédits d'intervention des programmes 169 et 158 et s'explique par l'évolution démographique des populations concernées, qui a un effet direct sur les crédits de cette mission composée à hauteur de 96 % de crédits d'intervention.

Je précise que l'effort de la Nation vis-à-vis de ses anciens combattants est plus large que les seuls crédits budgétaires de la mission car il comprend les soutiens en provenance de la mission « Défense » et la dépense fiscale dont bénéficient les anciens combattants, ce qui représente un montant global de 3,57 milliards d'euros.

Au-delà des chiffres, cet effort revêt surtout une dimension humaine dont nous sommes tous convaincus et je profite de cette présentation pour saluer l'engagement associatif et bénévole de ceux qui animent au niveau local les cérémonies de commémoration et entretiennent les sépultures de nos soldats. Je pense par exemple au Souvenir français qui organise le 1er novembre prochain sa campagne de collecte lors de la Journée nationale des sépultures des Morts pour la France. Je pense également à l'OEuvre nationale du bleuet de France qui organise sa collecte chaque 11 novembre.

Le budget 2015 permet de maintenir les droits des anciens combattants et de financer quelques mesures nouvelles en faveur des militaires engagés en opération extérieure (OPEX), des harkis et des conjoints survivants pour un montant de 3,6 millions d'euros. Ces mesures font l'objet, pour trois d'entre elles, d'articles rattachés que nous examinerons plus loin.

Il permet également de maintenir à un niveau satisfaisant les crédits consacrés à l'action « Politique de mémoire », à hauteur de 22,7 millions d'euros qui permettront de financer les commémorations de l'année 2015 liées au centenaire de la Première Guerre mondiale et au soixante-dixième anniversaire de la Résistance intérieure, de la Libération du territoire national et de la victoire contre le nazisme, ainsi que la rénovation des sépultures de guerre et lieux de mémoire qui accueilleront l'ensemble de ces manifestations.

Je vous propose pour ma part l'adoption des crédits de la mission en vous proposant néanmoins un amendement de crédits.

Par ailleurs, je vous propose également l'adoption sans modification des articles rattachés qui permettent d'améliorer les dispositifs en faveur des conjoints survivants, des harkis et des militaires en opérations extérieures.

L'article 48 vise à accorder 100 points d'indice supplémentaires aux conjoints survivants de grands invalides de guerre, de manière échelonnée sur deux ans. Cette majoration augmenterait la pension accordée au conjoint survivant la première année d'environ 700 euros par an, et à partir de la deuxième année, d'environ 1 400 euros par an. Cette mesure, qui bénéficie aux personnes ayant consacré plus de dix ans à apporter des soins à leur conjoint grand invalide de guerre, au détriment de leur propre carrière professionnelle, aurait un coût de 0,7 million d'euros la première année, puis de 1,3 million d'euros les années suivantes.

L'article 49 vise à augmenter de 167 euros les montants accordés aux rapatriés et harkis au titre de l'allocation annuelle de reconnaissance. Le coût de cette mesure, qui concerne environ 6 000 personnes, est estimé à 1 million d'euros et permet une revalorisation exceptionnelle de l'allocation de reconnaissance versée aux harkis et à leur famille.

L'article 50 propose d'étendre le bénéfice de la carte du combattant aux militaires ayant servi pendant quatre mois en opérations extérieures (OPEX). Cette mesure simplifie les règles d'attribution de la carte du combattant aux militaires ayant servi en OPEX et améliore les conditions de la reconnaissance de la Nation envers la quatrième génération du feu. J'y suis tout à fait attaché, ayant été l'année dernière rapporteur de la proposition de loi de notre ancien collègue Marcel-Pierre Cléach, qui tendait à cette même finalité.

Je présente un amendement de crédits destiné à inciter le Gouvernement à augmenter la retraite du combattant de deux points. Il me semble en effet qu'il est temps de poursuivre la dynamique engagée entre 2007 et 2012 où la retraite du combattant a été régulièrement augmentée pour passer de 35 à 48 points. Ce geste serait un signal fort de reconnaissance envoyé à nos anciens combattants.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - La commission des affaires sociales ne s'étant pas encore penchée sur ces crédits, je suis venu pour écouter avec attention vos travaux et c'est pourquoi je n'ai rien à ajouter à ce stade.

M. Vincent Delahaye. - Je constate au sein des deux opérateurs de la mission, l'Institut national des invalides (INI) et l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC-VG), des évolutions de plafond d'emplois assez faibles, avec une diminution de 3 équivalents temps plein annuel travaillé (ETPT) seulement entre 2014 et 2015 pour un plafond global autorisé de 1 311 emplois. Il serait intéressant de mettre en regard de cette évolution celle du nombre de bénéficiaires de ces opérateurs. Avez-vous par ailleurs les comptes de ces structures qui reçoivent des subventions de fonctionnement à un niveau élevé ? Je souhaiterais connaître le montant de leurs réserves ou fonds de roulement. Bien sûr, le budget de cette mission est en baisse, mais celle-ci est liée à la baisse démographique des bénéficiaires. Dans la conjoncture actuelle des finances publiques, je ne pourrai pas m'associer à votre proposition de revalorisation, que je ne trouve pas responsable, même si elle serait évidemment bienvenue pour les personnes concernées.

M. Michel Bouvard. - Ma première interrogation concerne la création d'une nouvelle autorité administrative indépendante pour gérer la réparation des conséquences des essais nucléaires français. Je souhaiterais connaître les coûts et moyens de cette structure. Nous multiplions les autorités indépendantes sans toujours savoir ce qu'elles coûtent. Combien coûte le fonctionnement de cette nouvelle autorité indépendante ?

Ma deuxième interrogation porte plus généralement sur le logiciel de pilotage de la gestion publique CHORUS et s'adresse plus à notre rapporteur général. On n'est pas capable actuellement de retracer les coûts complets de la Journée défense et citoyenneté puisque l'on nous assure que le système ne permet pas de reconstituer la totalité des coûts, alors même que nous sommes censés aller progressivement vers une comptabilité analytique grâce à CHORUS. Ceci pose des questions sur les capacités offertes par cet outil.

M. Jean-Claude Requier. - Il me semblerait positif d'augmenter de deux points la retraite du combattant. Je souhaiterais toutefois savoir si cette retraite est indexée sur le coût de la vie ou si sa revalorisation ne peut passer que par une augmentation du nombre de points. Je trouve également positive la mesure qui profitera aux harkis, qui ont beaucoup souffert. Je m'interroge sur l'assouplissement des critères d'attribution de la carte du combattant pour les combattants en OPEX, sans pour autant être contre. Les OPEX concernent l'armée de métier. Faut-il assimiler les militaires de carrière aux anciens combattants, le soldat de 1914, l'appelé d'Algérie, dont ce n'était pas le métier ? Concernant la Journée défense et citoyenneté, mon expérience d'élu me pousse à m'interroger sur ce que retiennent nos jeunes de ces rendez-vous citoyens, tout en trouvant positif de vouloir les faire se rencontrer. J'aurais également souhaité avoir des précisions sur le plafond d'emplois de l'INI de 436 ETPT, afin de savoir quels emplois recouvre ce chiffre. Je souhaiterais enfin savoir quelle est l'évolution de la question de la décristallisation des pensions des anciens combattants d'Afrique.

M. Jean Germain. - J'ai plusieurs questions, en commençant par les dépenses fiscales. Il s'agit d'un sujet important à mettre en balance avec la retraite du combattant car on ne peut pas avoir à la fois une revalorisation de la retraite du combattant et le maintien de cette dépense fiscale. Nous en avions débattu l'année dernière puisque le président Marini avait présenté un rapport sur cette question. Je pense que le monde combattant est plus intéressé par le maintien de la demi-part fiscale dans la période actuelle. Cette question est très sensible pour les ménages modestes. Où en est-on ? À titre personnel, je serais plus favorable au maintien de cet avantage qu'à l'augmentation de la retraite du combattant. Je souhaiterais également recueillir quelques explications complémentaires concernant le sort des militaires et appelés soumis à des radiations nucléaires. Il s'agit d'une question sensible qui touche beaucoup de monde car il ne faut pas oublier qu'à cette époque, peu de précautions étaient prises.

Sur la Journée défense et citoyenneté, je pense que, même si elle est critiquable, il faut la maintenir car quel est aujourd'hui l'endroit où tous les gens sont réunis au moins une fois dans leur vie avec d'autres gens différents mais qui s'appellent tous des Français. C'est peut être une vision passéiste, mais c'est essentiel. Le fait de recevoir une convocation, d'être obligé d'y aller, de ne pas pouvoir passer certains concours administratifs si on se soustrait à cette obligation, c'est montrer à chacun ce qu'est l'appartenance à un pays qu'on appelle la République française.

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - Concernant les deux opérateurs, je regarderai de près les comptes et les fonds de roulement de ces établissements sur lesquels nous pouvons exercer un droit de regard. Pour répondre à vos interrogations, je m'appuierai sur le rapport récent de Philippe Marini sur l'ONAC-VG, dans lequel il faisait état d'un fonds de roulement de 40,45 millions d'euros en 2011 et de 39,18 millions en 2012. Je regarderai également de près l'INI qui doit signer cette année un nouveau contrat d'objectifs et de performance, et sur lequel un contrôle peut être envisagé. Je veux rappeler l'attachement du monde combattant et des bénévoles à l'action de l'ONAC-VG au sein des départements, et surtout à son action sociale.

S'agissant de la revalorisation de deux points de la retraite du combattant que je vous propose, je vous rappelle que le point d'indice s'élève au 1er janvier 2014 à 13,96 euros et prend en compte la variation de l'indice d'ensemble des traitements bruts de la fonction publique de l'Etat.

S'agissant du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), le budget de cet organisme est désormais porté par la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». Il bénéficiera en 2015 de 0,5 million d'euros de titre 2 pour 7 ETPT.

Concernant la dépense fiscale, j'ai découvert récemment le rapport de notre collègue Marini en étant interpellé lors d'une assemblée générale de médaillés militaires sur cette question. J'ai pu mesurer la très grande sensibilité du monde combattant à ce sujet. C'est vrai que le montant de la dépense fiscale représenterait 710 millions d'euros en 2015, ce qui est loin d'être négligeable, mais est-ce là qu'il faut faire des économies ?

Concernant l'extension des conditions d'accès à la carte du combattant pour les combattants en OPEX, il s'agit d'un engagement du ministre rappelé à l'occasion de la discussion de la proposition de loi de notre ancien collègue Marcel-Pierre Cléach. Je précise que cette extension pourra concerner les personnes ayant participé aux OPEX actuelles, mais également aux opérations étant intervenues antérieurement.

Pour répondre à Jean Germain sur le maintien de la Journée défense et citoyenneté, je suis d'accord. Il s'agit d'un engagement très important, même si comme défenseur d'un service militaire actif, je considère que c'est peu. Je pense qu'il y a aussi un travail de fond à engager sur le lien avec l'Éducation nationale.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Concernant CHORUS sur lequel j'ai été interpelé, le sujet est vaste. Je trouve assez inquiétant qu'on ne puisse pas reconstituer les coûts grâce à cet outil et je n'ai pas de réponse précise. Sur cette Journée défense et citoyenneté, j'y suis favorable mais je m'interroge sur le peu de temps qu'occupe le module « défense » dans la Journée, 2 heures 45 sur 8 heures.

M. Jean Germain. - Je pense que cette question n'est pas uniquement budgétaire. C'est un débat connu entre la République et la démocratie. La démocratie implique un certain nombre de règles, mais la République en impose d'autres. Il faut réfléchir globalement et ne pas prendre ces sujets individuellement. On a un peu tendance dans la démocratie d'opinion à oublier la République. De même, on peut s'interroger sur le rôle de l'école. C'est pour cela que je suis totalement hostile à la suppression des bourses au mérite qui mettent en oeuvre un principe républicain de reconnaissance des jeunes gens méritants et qui réussissent, sans nier le principe démocratique qui veille à l'égalité d'accès à l'éducation.

Mme Michèle André, présidente. - Sur CHORUS, j'ai également, lors de mes contrôles en préfecture avec la mission « Administration générale et territoriale de l'État », pu noter les difficultés à faire fonctionner ce système.

M. Michel Bouvard. - Nous avons un réel besoin d'aller vers une comptabilité analytique.

Mme Michèle André, présidente. - Je vais mettre aux voix d'abord l'amendement dont le gage, à titre personnel, ne me semble pas réaliste si on veut préserver cette Journée défense et citoyenneté. Enlever 9 millions d'euros sur 19 millions me semble peu réaliste.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il s'agirait surtout d'un amendement d'appel ayant pour objet d'entendre le ministre en séance sur la question du financement de cette journée. Il serait intéressant de le voter aujourd'hui comme un signal envoyé qui permettra d'avoir un débat sur le coût de la Journée défense et citoyenneté et le fonctionnement de CHORUS.

Mme Michèle André, présidente. - Avec cet amendement, on détruit la Journée.

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - Cet amendement est un amendement d'appel, mais qui répond également à une attente légitime de voir la retraite du combattant augmenter.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Dans le contexte d'économies actuel, mon soutien à l'amendement vise à obtenir des éléments sur le coût de la Journée défense et citoyenneté.

La commission n'adopte pas l'amendement proposé par M. Marc Laménie, rapporteur spécial, puis décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission «Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation» sans modification.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des articles 48, 49 et 50 du projet de loi de finances pour 2015.

La réunion est levée à 17h47.

Jeudi 30 octobre 2014

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Loi de finances pour2015 - Mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et article 60) - Examen du rapport spécial

La commission procède d'abord à l'examen du rapport de M. Éric Bocquet, rapporteur spécial, sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et article 60).

Mme Michèle André, présidente. - Nous entendons notre collègue Éric Bocquet, rapporteur spécial, sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » et l'article 60, en présence de Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Avec 15,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est la quatrième du budget général, et la première en termes d'intervention de l'État auprès des ménages. Constituant le coeur du financement par l'État de la solidarité en faveur des personnes vulnérables, elle est concentrée sur quelques dispositifs d'intervention coûteux, mais fondamentaux pour notre cohésion sociale, particulièrement en ces temps difficiles : l'allocation aux adultes handicapés (AAH), les établissements et services d'aide par le travail pour les travailleurs handicapés, le revenu de solidarité active (RSA) « activité » et la protection juridique des majeurs.

Le budget triennal 2015-2017 prévoit la poursuite de l'augmentation des crédits, qui atteindront environ 16 milliards d'euros en 2017 - hors compte d'affectation spéciale « Pensions ». Il s'agit d'une augmentation d'environ 500 millions d'euros en deux ans. Cette hausse résulte principalement de l'évolution de deux dépenses : l'AAH, qui coûtera 8,5 milliards d'euros en 2015, et la partie « activité » du RSA, qui représente plus de 1,9 milliard d'euros. Si nous nous référons aux années passées, il est à craindre que l'augmentation de 500 millions d'euros programmée soit insuffisante. Le Gouvernement a engagé en 2013 une revalorisation du montant du RSA de 2 % par an sur la durée du quinquennat, engagée en 2013. Elle absorbera à elle seule la moitié de la hausse de 500 millions d'euros. Si l'on y ajoute la hausse de l'AAH, les mesures de protection juridique des majeurs et d'autres prestations obligatoires prévues par la mission, il n'y a guère de doute que le plafond sera dépassé.

Le programme n° 304, le principal pour l'inclusion sociale, porte essentiellement les dépenses de RSA « activité » et de protection juridique des majeurs. Ses crédits augmentent fortement car son périmètre change. Il accueille deux actions jusqu'alors portées par le programme n° 106, qui disparaît. Cette simplification de la maquette est bienvenue. Par ailleurs, le Fonds national des solidarités actives (FNSA) était jusqu'en 2014 financé par une ressource propre, issue du prélèvement de solidarité sur les revenus du capital, complétée par une subvention d'équilibre de l'État, qui était portée par le programme n° 304. Pour des raisons de clarté et de prévisibilité des recettes, le Gouvernement a décidé de faire porter l'intégralité du financement du FNSA par la subvention de l'État du programme n° 304, qui augmente donc de 1,7 milliard d'euros. Cette re-budgétisation était souhaitable en raison de la volatilité de la recette affectée.

Malheureusement, cette clarification est mise à mal par une affectation exceptionnelle de 200 millions d'euros en provenance du FNSA, opérée, qui plus est, en violation de l'article de loi créant la contribution de solidarité des fonctionnaires. La tuyauterie budgétaire doit respecter les utilisations prévues pour chaque contribution.

La dépense de RSA « activité » va augmenter fortement, en raison du contexte économique difficile et de la revalorisation exceptionnelle, pour atteindre 1,9 milliard d'euros en 2015.

Le Gouvernement supprime l'aide personnalisée pour le retour à l'emploi (APRE), coup de pouce à l'insertion des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), dont j'avais souligné l'utilité l'an passé dans mon rapport de contrôle budgétaire. Je regrette que, sous l'effet de la contrainte budgétaire, la mission « solidarité » se réduise à ses seuls dispositifs de guichet et que disparaissent ou soient réduites les interventions plus ciblées ou les subventions aux associations, qui animent sur le terrain la politique de solidarité.

Le programme n° 304 comporte également d'autres dispositifs d'intervention, dont l'aide alimentaire, qui nous tient particulièrement à coeur, et à laquelle 32 millions d'euros sont alloués en 2015, en complément de quelque 70 millions d'euros provenant d'un fonds européen. Cette somme finance notamment les épiceries solidaires et sociales, initiative très intéressante qui aide les plus démunis tout en leur permettant de conserver, ou de retrouver, la dignité et l'estime de soi dans l'acte de consommer.

Au programme n° 157, le plus important de la mission, les crédits de l'AAH augmentent légèrement pour atteindre 8,524 milliards d'euros. Par rapport à la prévision de dépense actualisée de 2014, cette augmentation n'est que de 50 millions d'euros. Or, la seule revalorisation annuelle normale liée à l'inflation représente 80 millions d'euros. Si l'on y ajoute la progression continue, quoique légèrement ralentie, du nombre de bénéficiaires, il est très probable que cette ligne budgétaire soit sous-dotée et qu'un abondement en cours de gestion soit nécessaire.

Je regrette la faiblesse de l'effort programmé pour les établissements et services d'aide par le travail (ESAT), qui font travailler des personnes handicapées, notamment des handicapés mentaux : aucune nouvelle place n'est construite et l'aide à la modernisation se limite à 2 millions d'euros, alors que les premières conclusions de mon contrôle en cours sur ce sujet montrent des besoins criants en la matière.

Le programme porte également les crédits de fonctionnement de l'État pour les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). La baisse de 10 millions d'euros est compensée par une contribution exceptionnelle de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Cette tuyauterie budgétaire, destinée à compenser provisoirement la raréfaction des ressources de l'État, est regrettable.

Le programme n° 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » est le plus faible de tout le budget général, avec seulement 25 millions d'euros. Il comporte essentiellement des subventions à des associations, globalement stables depuis trois ans - c'est-à-dire qu'en tenant compte de l'inflation, elles diminuent.

Le programme n° 124 est le grand programme support des politiques sociales, sanitaires, de la jeunesse et des sports. Il contient les crédits de fonctionnement et de personnel de ces administrations, au niveau central et au niveau déconcentré. En hausse de 10 %, les dépenses informatiques s'établissent à 27 millions d'euros, afin de combler ce que la directrice générale de la cohésion sociale, Sabine Fourcade, a qualifié de « sous-informatisation » du ministère. Par exemple, les décisions d'orientation des personnes handicapées ne sont pas suivies. Le plafond d'emploi des directions est réduit de 253 équivalents temps plein travaillé (ETPT) - uniquement dans les catégories C et B. Celui des agences régionales de santé (ARS) est réduit de 100 ETPT. Au total, depuis 2011, les administrations sociales ont perdu plus de 800 postes, soit près de 10 % du total, ce qui est considérable. Peut-on continuer ainsi sans remettre en cause les missions qui leur sont confiées ?

Ainsi, malgré l'importance de cette mission pour la cohésion sociale dans notre pays, je propose, en raison de ces baisses continues d'effectifs dans l'administration, de la suppression des dispositifs d'intervention ciblés comme l'aide personnalisée de retour à l'emploi (APRE), comme de la probable sous-dotation de l'AAH, de ne pas adopter les crédits de la mission.

Mme Michèle André, présidente. - Je vous propose de présenter sans attendre l'article 60.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Comme chaque année depuis 2011, cet article rattaché à la mission prolonge le financement dérogatoire du RSA « jeunes » par le FNSA, c'est-à-dire par l'État.

Le RSA « jeunes » bénéficie aux jeunes de moins de 25 ans qui ont travaillé pendant au moins deux ans. Comme le RSA, il devait être financé par les départements pour la partie « socle », et par l'État pour la partie « activité ». Dans l'attente de la montée en charge du dispositif, il a été prévu de façon dérogatoire que l'État, via le FNSA, le financerait en totalité. La montée en charge n'a pas eu lieu : pis, le dispositif reflue puisqu'il ne bénéficie qu'à environ 8 000 personnes, contre 10 000 en 2011. Trop complexe, il n'a pas trouvé son public.

Cette année encore, le Gouvernement sollicite une reconduite du financement dérogatoire du RSA « jeunes » par le Fonds national des solidarités actives (FNSA), dans l'attente de la réforme globale du RSA « activité » promise depuis trois ans. Bien que le Président de la République ait renouvelé récemment cette promesse, nous ne voyons venir aucun texte. Il n'est plus possible de reconduire, année après année, des dispositifs dérogatoires dans l'attente d'une réforme qui n'arrive jamais. C'est pourquoi, pour marquer notre volonté d'y procéder de façon urgente, je vous propose de ne pas adopter cet article. Certes, cela signifie que la partie « socle » du RSA « jeunes » sera financée par les départements. Mais la dépense est faible, étant donné l'échec du dispositif : 18 millions d'euros, à répartir entre tous les départements. Et il s'agira d'un signal politique important, pour amener le Gouvernement à se saisir de cette réforme du RSA, dont le RSA « jeunes » devra faire partie.

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Merci pour votre invitation, et bravo au rapporteur spécial pour la qualité de son travail. La commission des affaires sociales donnera son avis d'ici trois semaines après qu'elle aura auditionné les principaux acteurs. Les crédits prévus suffiront-ils dans la situation économique et sociale actuelle ? Pour le RSA, on constate un décalage entre l'objectif affiché en termes de nombre de bénéficiaires et la réalité. La répartition du financement entre État et départements ne va pas de soi, non plus que l'évolution du RSA « jeunes ». Le rapprochement entre la prime pour l'emploi (PPE) et le RSA a aussi été évoqué par le Gouvernement.

Les principaux risques de dépassement du budget concernent l'AAH, dont le nombre de bénéficiaires potentiels augmente fortement, et qui a été revalorisée. Le nombre de places en ESAT est figé, alors que les besoins augmentent. Le vieillissement des personnes handicapées doit être anticipé : au-delà d'un certain âge, il n'y a plus de structure adaptée. Le fonctionnement des MDPH varie selon les départements. Parfois, les lourdeurs administratives sont fortes et les délais de traitement nuisent à la qualité du service...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je connais cette mission pour en avoir été le rapporteur spécial. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la sous-dotation de l'AAH se renouvelle d'année en année. J'avais constaté une grande variation de la dépense d'un département à l'autre, laquelle a d'autres causes que le nombre de places en établissement. Par ailleurs, il est problématique que la revalorisation du RSA soit décidée unilatéralement par l'État, dès lors qu'elle pèse aussi sur les départements...

M. Marc Laménie. - Vous nous avez présenté ces masses financières très importantes avec beaucoup de pédagogie. Le RSA est un dispositif complexe, qu'il s'agisse de ses bénéficiaires ou de son financement, partagé entre l'État et les départements. Quelles seront les compensations financières pour ceux-ci ?

Le programme n° 157 représente 11,6 milliards d'euros. Comme le rapporteur, je regrette le manque de moyens des ESAT qui, au-delà de leur aspect humain, participent à la vie économique au travers de partenariats avec des entreprises. Les associations qui les portent regroupent des salariés mais aussi des bénévoles.

L'action 5 finance des associations actives dans le domaine de l'accompagnement des personnes âgées dépendantes. La somme en jeu est infime, pourtant elle baisse de 22 %. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. François Marc. - Malgré la clarté de votre exposé, je ne suivrai pas votre préconisation. J'ai souligné ici même, devant Christian Eckert, et cela avait fait sourire certains, que dans un contexte budgétaire difficile, ce budget avait du coeur, car il préserve la solidarité envers les personnes les plus en difficulté : l'augmentation des crédits se poursuit sur le triennal, pour atteindre 16 milliards d'euros en 2017. Le 1er septembre 2015, le RSA augmentera exceptionnellement de 2 %, au-delà de l'inflation, en application d'un engagement pris en janvier 2013 à l'issue de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté. L'AAH sera aussi revalorisée de 1,30 %. Bref, certaines de nos préoccupations concernant les plus défavorisés sont prises en considération.

La re-budgétisation du FNSA améliore la prévisibilité de son financement, ce qui est bienvenu. Cependant, le RSA « activité », lancé à grand renfort de communication sous la mandature précédente, a des résultats contestables : en 2011, seuls 32 % de ses bénéficiaires potentiels le sollicitaient. Votre rapport évoque des pistes pour faire monter cette proportion à 50 %. Bien sûr, cela accroîtra la dépense. Fusionner le RSA avec la PPE, pourquoi pas ? Mais il faut trancher au plus vite.

Pouvez-vous préciser en quoi vous considérez que la ligne budgétaire consacrée à l'AAH est insuffisante ? Je ne regrette pas la suppression de l'APRE. Des programmes inopérants ou inefficaces doivent être réformés, pour que les aides soient mieux ciblées.

M. Vincent Delahaye. - Je suivrai l'avis du rapporteur, quoique ce soit pour des motifs différents des siens. Il manque 226 millions d'euros au budget de l'AAH. Ne pas les avoir inscrits dans la loi de finances initiale manque de sincérité. Comment l'augmentation de 13,87 % prévue pour le FNSA sera-t-elle financée ? Je suis défavorable à la revalorisation exceptionnelle de 2 % du RSA, parce que nous n'en avons pas les moyens : en 2015, cela coûtera 512 millions d'euros, financés par de la dette que les générations futures auront à rembourser. Notre système social est déjà généreux, surtout en comparaison avec d'autres pays d'Europe.

J'ignorais que l'État finançait les épiceries sociales et solidaires. Comment celle que j'ai créée peut-elle bénéficier de l'aide de l'État ?

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Le vieillissement des personnes handicapées est en effet un enjeu croissant. Je travaille actuellement à un rapport particulier sur la situation des ESAT. Des pistes existent : dispositif de préretraite, transition vers des foyers de vie, etc.

Oui, monsieur le rapporteur général, les différences entre départements persistent en ce qui concerne l'AAH, surtout dans la deuxième catégorie, qui concerne les personnes ayant entre 50 % et 80 % d'incapacité. Il faut continuer à harmoniser les critères, mais dans les MDPH, les commissions sont souveraines.

L'action n° 5 concerne essentiellement les associations qui luttent contre la maltraitance. Il s'agit de la mise en place d'une plate-forme nationale d'accueil téléphonique et d'antennes de proximité pour recueillir les signalements effectués par les familles, les associations ou les élus.

Dans mon département, nous dépensons mille euros par minute pour financer le RSA. C'est dire qu'il ne reste pas grand-chose pour le reste... Auparavant, une fraction du prélèvement de solidarité sur les revenus du capital, de 1,7 milliard d'euros, alimentait directement le FNSA. Les évolutions du marché des titres rendaient cette ressource volatile, ce qui posait aux gestionnaires un problème de prévisibilité. La subvention de l'État ne présente pas cet inconvénient.

M. Vincent Delahaye. - La fraction du prélèvement de solidarité est-elle versée directement au budget de la sécurité sociale ?

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Oui, avant d'être, jusqu'en 2014, reversée au FNSA. Les épiceries sociales et solidaires commencent à connaître un certain succès, tant mieux. Les subventions passent par les structures régionales.

La dotation prévue pour 2015 est à peine supérieure à la dépense vraisemblable pour 2014, qui est de 8,5 milliards d'euros. Or la dépense d'AAH en 2015 pourrait avoisiner les 8,7 milliards d'euros. Les revalorisations du 1er septembre 2014 et du 1er septembre 2015 coûteront à elles seules environ 80 millions d'euros.

M. François Marc. - Sur les 200 millions d'euros de coût supplémentaire, seuls 50 millions ont été prévus...

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - C'est cela.

M. Vincent Delahaye. - La modification du financement du FNSA aboutit à un gonflement simultané des dépenses et des recettes de 1,7 milliard.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Il ne s'agit que d'un changement dans la tuyauterie budgétaire.

M. Vincent Delahaye. - Pourquoi les crédits de paiement augmentent-t-ils de 13,66 %, pour passer de 13,8 milliards d'euros à 15,7 milliards d'euros ?

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - La subvention augmente en effet, mais pas les dépenses du FNSA. Nous vous ferons parvenir une note détaillée sur ce point.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je partage la préconisation de notre rapporteur spécial et vous propose de rejeter les crédits de cette mission.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » et de ne pas adopter l'article 60 du projet de loi de finances pour 2015.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Enseignement scolaire » (et article 55) - Examen du rapport spécial

La commission procède ensuite à l'examen du rapport de MM. Gérard Longuet et Thierry Foucaud, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Enseignement scolaire » (et article 55).

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Avec 66,4 milliards d'euros en crédits de paiement pour 2015, la mission « Enseignement scolaire » constitue le premier budget de la France, du moins tant que les taux d'intérêt restent mesurés... Elle figure parmi les seules missions du budget de l'État dont les crédits augmentent (+ 2,21 %), alors même que les effectifs sont stables, dans le primaire comme dans le secondaire. Cette tendance devrait se poursuivre : sur l'ensemble de la programmation triennale 2015-2017, les crédits de la mission progresseront de 1,31 %.

Dans cette mission, 93 % des crédits sont alloués à des dépenses de personnel. Le plafond d'emplois de la mission représente à lui seul 43 % du total de l'État au sens large. Le moindre éternuement sur le statut des personnels a donc un impact budgétaire massif.

Le projet de budget qui nous est soumis présente des aspects positifs. Ainsi, certains auxiliaires de vie scolaire pourront prétendre à un contrat à durée indéterminée (CDI) après six années de contrat à durée déterminée (CDD). L'État respectera ainsi ses obligations, comme tout autre employeur. Les efforts des précédents gouvernements pour améliorer la scolarisation des enfants handicapés seront également poursuivis. Enfin, le renforcement de la formation initiale des enseignants, pour complexe que le dispositif en puisse apparaître, est bienvenu : il s'agit d'un des paramètres de la performance de notre système scolaire.

En revanche, ce budget comporte deux biais majeurs. Il se concentre sur la question des effectifs d'enseignants, comme si c'était la seule solution à tous les problèmes, et il laisse de côté des questions plus fondamentales. Qui sont les élèves et comment l'enseignement devrait-il être organisé pour eux ? Une politique conservatrice des effectifs se substitue à une réflexion qualitative plus globale sur l'offre scolaire.

Nous connaissons les enjeux comme élus, parents, voire grands-parents : décrochage scolaire, persistance voire accroissement des inégalités selon l'origine sociale des enfants, résultats très médiocres des élèves français dans les comparaisons internationales. L'unique réponse du Gouvernement semble consister à augmenter les effectifs. Ainsi, 9 561 postes seront créés en 2015, pour un coût direct annuel de 300 millions d'euros - à multiplier par les quarante années de vie professionnelle - et un coût indirect considérable, dans le primaire comme dans le secondaire, lié à la formation.

Cette politique du chiffre se heurte à une réalité qui n'avait pas été prévue lorsque le Président de la République a pris l'engagement de créer 60 000 postes supplémentaires dans l'éducation, mais l'analyse de l'exécution 2013 fait apparaît un faible rendement des concours : seulement 72 % des postes ont été pourvus dans le second degré. Dans les académies de Créteil et Versailles, le taux d'amission s'élève à plus de 60 % au concours externe 2014 de professeur des écoles, ce qui est problématique : la poursuite de cette politique du chiffre ne risque-t-elle pas de se traduire par une diminution du niveau attendu aux différents concours de recrutement ? Le turnover de la profession augmente. Si les plus anciens retardent leur départ en retraite pour bénéficier du taux plein, les départs en cours de carrière se multiplient. Il faut en tenir compte.

La politique d'augmentation des effectifs se traduit par une diminution du contingent d'heures supplémentaires effectivement réalisées depuis 2012, de sorte que l'offre scolaire n'augmente pas en proportion du nombre de postes. C'est la contrepartie de ce qui a été fait entre 2007 et 2012, où la réduction apparente des effectifs était compensée par le maintien de l'offre scolaire, grâce à toutes sortes d'artifices, par exemple en augmentant les heures supplémentaires ou en jouant sur la comptabilisation des stagiaires. Ne vaut-il pas mieux des professeurs qui travaillent plus, sont mieux payés, plus présents et deviennent expérimentés que des effectifs plus nombreux, qui travaillent moins et quittent plus facilement l'enseignement parce qu'ils n'y trouvent pas leur compte ?

Le foisonnement des options, en particulier dans le secondaire, a un coût et il renforce les inégalités. Bien sûr, comme sénateurs, nous nous attachons à défendre nos établissements. Mais les moyens dépensés dans les régions qui perdent des habitants manquent cruellement dans celles qui en gagnent.

L'augmentation des moyens ne s'est pas traduite par une amélioration des résultats enregistrés par le système scolaire français. Les rapports anciens sur le sujet reflètent la nostalgie d'une école du passé idéalisée. Le système d'évaluation actuel permet du moins des comparaisons internationales. Le système scolaire français y enregistre des résultats moyens, voire médiocres, et déclinants. Surtout, l'écart entre les élèves les plus forts et les plus faibles tend à s'accroître. Cela n'augure rien de bon, et témoigne des effets limités de l'école républicaine sur l'ascension sociale.

Dans Comment sommes-nous devenus si cons ?, Alain Bentolila considère que cette stagnation du niveau des élèves français tient à la fois à des facteurs exogènes et à des phénomènes plus profonds, à des effets de groupe. Je suis très préoccupé de l'avenir des jeunes hommes dans notre pays

Mme Michèle André, présidente. - Vous avez raison...

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - La télévision et les jeux vidéo, le sport et l'extrême aboutissent à ce que les petits garçons rejettent l'éducation comme féminine et considèrent la lecture comme un refus d'intégration dans le groupe. Ce budget ne traite en rien les problèmes de la société. Les aborder serait pourtant plus intéressant que de remplir le tonneau des Danaïdes.

Il n'y aura pas de réussite scolaire sans un renforcement de l'autorité du chef d'établissement sur les élèves, comme sur leurs familles : tant qu'il n'y aura pas une menace crédible d'exclusion, cette autorité, partant, celle de l'enseignant sur la classe restera trop faible. Le statut matériel et juridique du principal, du proviseur et du directeur d'école est crucial. Voilà les raisons pour lesquelles je vous propose de réserver notre position sur les crédits de cette mission afin de nous laisser le temps d'obtenir d'autres explications.

Quant à l'article 55 rattaché à la présente mission, qui prévoit la prorogation partielle du fonds d'amorçage des rythmes scolaires, le compte n'y est pas. Le Gouvernement, qui a décidé seul de cette réforme, devrait en assumer les conséquences et trouver un financement pérenne. Ce n'est pas le cas pour l'instant. C'est pourquoi, je vous propose également de réserver cet article. Entre deux mauvaises solutions, mieux vaut choisir la réflexion. Si nous votons contre, les communes auront le sentiment que nous les abandonnons ; si nous votons pour, elles croiront que nous entérinons une réforme qu'elles récusent.

M. Thierry Foucaud, rapporteur spécial. - Je partage les remarques sur les élèves handicapés ou sur les concours de l'Éducation nationale. Je suis plus réservé sur ce qui a été dit de la politique du chiffre, d'autant que le Gouvernement précédent avait supprimé 80 000 emplois en cinq ans. Cette politique de recrutement est nécessaire, cela ne fait aucun doute. Le problème vient de la manière dont elle a été mise en oeuvre depuis 2012. Nous nous sommes heurtés au refus permanent de reconstituer un vivier d'enseignants mieux formés - les emplois d'avenir professeur ne remplacent pas un vrai pré-recrutement. Les derniers concours de recrutement n'ont pas attiré suffisamment de candidats. Par ailleurs, l'échec des candidats recalés s'explique bien souvent par le fait qu'ils ne disposaient pas des bonnes conditions pour réussir, c'est-à-dire de la possibilité d'étudier et de se préparer aux épreuves plutôt que d'officier comme remplaçants devant une classe.

Un plan pluriannuel de recrutement par discipline, s'appuyant sur les prévisions de départs à la retraite faciliterait les créations de postes tout en donnant de la visibilité aux étudiants souhaitant s'engager dans cette voie. Nous aurions d'ailleurs tout intérêt à relire le bon rapport sur le métier d'enseignant présenté en 2012 au nom de la commission de la culture par notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin.

L'on nous dit que les coûts ne cessent d'augmenter. Oui, pour les familles et les collectivités, mais pas forcément pour l'État.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Exact !

M. Thierry Foucaud, rapporteur spécial. - Beaucoup de remarques se fondent sur des analyses déjà obsolètes, datant de 2005 et 2010. Les surnombres, par exemple, ont été fortement réduits par les 80 000 suppressions de postes. Idem pour la question des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED). Il est tout à fait normal de constater une diminution des heures supplémentaires, dans la mesure où il y a eu une embauche d'enseignants. Je ne partage pas le point de vue de mon collègue sur ce sujet.

Quant aux rythmes scolaires, ou bien nous nous rallions à la solution qui a été préconisée, ou bien nous proposons un amendement afin de pérenniser les aides. Comme Gérard Longuet, j'utilise mon « joker » et demande le temps de la réflexion. Le Premier ministre a annoncé la pérennité des aides dans les zones sensibles et celle des aides provenant des allocations familiales - disposons-nous de moyens suffisants ? Durant la récente campagne sénatoriale, cette question préoccupait fortement les élus ruraux.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je vous remercie pour votre présentation de cette mission importante. La multiplicité des options offertes au choix des élèves est une particularité française. Elles sont parfois coûteuses. Sont-elles vraiment nécessaires ? Le budget de l'Éducation nationale, le premier de l'État, est consacré à 93 % aux dépenses de personnel. À combien estime-t-on les effectifs d'enseignants sans affectation ? Les professeurs d'allemand, notamment, seraient sous-employés. Il me semble sage de suivre les recommandations du rapporteur sur l'article 55, car l'Assemblée nationale nous transmettra une version sensiblement modifiée du dispositif.

M. Roger Karoutchi. - J'ai enseigné pendant longtemps en Île-de-France, avant de devenir inspecteur général, puis de représenter la France à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) où j'ai âprement négocié sur le Programme international pour le suivi des acquis de l'élève (PISA). Nous regardons avec une décontraction étonnante notre système éducatif se défaire. C'est de la folie ! Depuis quinze à vingt ans, le niveau des élèves est en chute libre. Il est scandaleux de recruter des maîtres à tout prix, comme si leur mission se résumait à de la garderie, comme si l'école était une crèche. Nous cédons à l'obligation de faire du chiffre, à la pression des lobbies. Plutôt que de réfléchir, nous nous dispersons. Quand j'ai présidé un jury de bac, 27 options mobilisaient 27 enseignants, pour un seul élève parfois. Il est urgent de revenir aux fondamentaux pour que l'on ne puisse plus avoir son bac, grâce aux options et pas aux matières générales. Il faut avoir le courage de dire que notre système va à vau-l'eau.

Recentrons l'éducation sur ce qu'elle doit être : cinq ou six matières essentielles, connues et maîtrisées par des enseignants compétents. Créer 9 500 postes ne suffit pas. Pourquoi n'y aurait-il pas en Seine-Saint-Denis des enseignants de la même qualité qu'ailleurs ? Parce qu'on y envoie n'importe qui pour remplacer ceux qui ne veulent pas y aller. Sans un recentrage des matières et des compétences, le système explosera. On est devenu fou : on n'apprend plus le français, mais le secourisme ! On annonce que le prochain rapport PISA sera encore plus calamiteux. Dans un système à bout de souffle, nous ne pouvons pas en rester au quantitatif.

Mme Michèle André, présidente. - Nous devrions aller à la commission de la culture pour regarder le contenu des programmes.

M. Vincent Delahaye. - Roger Karoutchi a raison : de la qualité plutôt que de la quantité ! Je remercie le rapporteur pour son travail documenté. Un tableau manque, néanmoins, que j'avais déjà demandé l'an dernier, pour évaluer le nombre d'élèves par classe et par enseignant. Il faudrait aussi décomposer les 989 000 emplois entre enseignants et non-enseignants pour mesurer l'évolution globale des personnels.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Il y a 12 millions d'élèves et 1 million d'enseignants.

M. Vincent Delahaye. - Les 989 000 postes ne sont pas tous occupés par des enseignants. Le Premier ministre a annoncé une aide de l'État pour achever la mise en place des nouveaux rythmes scolaires. Son montant serait de 307 millions d'euros. On a le sentiment d'une sous-dotation. Combien manquerait-il ?

M. Serge Dassault. - Le problème scolaire ne date pas d'aujourd'hui. J'ai été maire d'une commune difficile, avec un fort taux de délinquance. Chaque année, 150 000 élèves sortent du circuit de l'Éducation nationale, sans connaissances ni compétences, sans métier ni ambition. Ils enchaînent collège, lycée, un ou deux ans d'université, puis plus rien. Ce n'est pas terrible pour un tel budget.

Le collège unique empêche la mise en place d'un enseignement professionnel organisé. Il gagnerait à être divisé en deux sections, l'une pour la formation professionnelle, l'autre pour la formation supérieure. Il n'y a plus de sélection, plus de note, plus de sanction, plus de récompense, bref plus de discipline. Le certificat d'études a été supprimé. Il vérifiait l'acquisition du socle commun de connaissances, à la sortie du primaire. Désormais, tout le monde passe au collège, sans forcément savoir lire, ni écrire. Il faut refuser ce budget, plein de dépenses inutiles.

M. Maurice Vincent. - J'ai entendu des remarques caricaturales. Le système est fortement perfectible ? Il a quand même donné quelques prix Nobel, récemment, et beaucoup d'autres réussites, sans doute. Pour discuter de ce budget global, notre approche doit être la plus large possible. Je récuse l'expression « politique du chiffre ». Grâce à la création de nouveaux postes, nous avons rattrapé notre retard et renforcé l'encadrement là où c'était nécessaire, avec le dispositif « plus de maîtres que de classes ». De récents rapports du Sénat montrent que la formation des maîtres, réorganisée avec succès, renforce la capacité des étudiants à apprendre leur métier d'enseignants.

Déjà, sous le ministère de Luc Chatel, la réforme des rythmes scolaires apparaissait comme une nécessité. On s'interrogeait pourtant déjà sur leur coût, avec la certitude que les communes ne seraient pas entièrement remboursées. Un effort réel a été réalisé par l'État.

Les performances de notre système éducatif doivent être améliorées. Il faudrait corriger cet effet pervers qui veut que l'argent, les meilleurs professeurs et le meilleur taux d'encadrement bénéficient à des élèves sélectionnés et déjà très bons. Chacun sait qu'un élève brillant donnera des résultats remarquables. Il faudrait réfléchir à d'éventuels redéploiements.

M. Richard Yung. - Le système éducatif français, c'est le système mandarinal par excellence : tout y dépend de la réussite aux concours, alors que la moitié du travail des enseignants consiste dans la pédagogie : comprendre les équations, c'est bien, savoir les enseigner, c'est encore mieux. Leur formation pose problème. Si l'enseignement primaire français est très bon - on nous demande d'ailleurs de plus en plus souvent à l'étranger de créer des écoles primaires françaises...

Mme Michèle André, présidente. - Absolument !

M. Richard Yung. - ... il en va, hélas, autrement de l'enseignement secondaire. Cela tient pour une bonne part au statut de nos enseignants, déconsidérés, mal formés et mal payés. On a rétabli ce que l'on appelait autrefois les Instituts universitaires de formation des maitres (IUFM) : espérons que cela aide à remonter un peu la pente. Cela étant, ce budget comporte des éléments positifs, je le voterai sans réserve.

M. Marc Laménie. - Je m'efforcerai d'être bref, sous peine que notre commission des finances se transforme en commission « éducation et culture ». Sur une masse financière de 66 milliards d'euros, 90% sont affectés aux personnels. Quelle proportion de ces effectifs est réellement affectée sur le terrain, combien d'entre eux, employés dans la hiérarchie, du ministère aux inspections d'académie, n'enseignent pas du tout ? Nous autres élus de base n'avons pas voix au chapitre sur ces sujets.

Ce système va à vau-l'eau, et nous ne pouvons que constater le gâchis financier. Que fait-on pour remédier à l'absentéisme et à la multiplication des arrêts de travail sans remplacement qui portent préjudice aux enfants ?

M. Francis Delattre. - Mon département doit gérer des ghettos sociaux où l'enseignement est très difficile. Les inégalités du système éducatif sont criantes : pour 1,2 million d'habitants, nous n'avons pas une seule classe préparatoire aux grandes écoles. Est-ce un drame ? Face aux inégalités, des initiatives surgissent sur le terrain. L'université de Cergy-Pontoise, par exemple, est maintenant le neuvième ou le dixième pôle mathématique. Et cette université a des résultats : ma modeste commune a produit Jean-François Clervoy, un des rares astronautes à avoir voyagé sur les navettes américaines. Quant au secteur de l'habillement et de la mode, il est très dynamique à Sarcelles. Ce système éducatif, qui se veut élitiste, l'est de moins en moins sur le terrain.

Tout se joue pour les enfants entre quatre et huit ans. Nous avons mené des expériences de classes bilingues immédiatement après la maternelle, avec des résultats étonnants. N'est-ce pas là qu'il faut concentrer les moyens, plutôt que dans un système qui ne produit pas ce que le marché, la civilisation et la mondialisation attendent ? Quoique le rapporteur soit de ma famille politique, je ne partage pas entièrement sa critique des rythmes scolaires. Le problème, ce sont les inégalités qu'ils engendrent : seules les communes qui ont les moyens créeront des tiers temps pédagogiques intéressants. Les jeunes de nos quartiers savent qu'il y a davantage d'emplois à prendre dans la culture, le sport ou les arts que dans la métallurgie : proposons leur une ouverture intelligente. Pour les 120 000 jeunes qui quittent le système sans aucune formation, l'apprentissage n'est qu'une issue parmi d'autres. Sortons de ce classicisme qui se voulait élitiste. Roland Drago dispensait de magnifiques cours sur les libertés publiques à Assas, mais l'université de Cergy-Pontoise offre une formation aux emplois municipaux, et ceux qui en sortent ne restent pas sur le carreau. Vivent les inégalités !

M. Philippe Dominati. - Je ne trouve pas du tout que le rapport soit caricatural. Il pose plusieurs questions pertinentes. Au-delà du débat gauche-droite sur les effectifs, le problème est de savoir ce qu'ils représentent dans le budget global. Les personnels ont-ils les moyens de remplir leurs missions ? Il semble que non : alors que nous avons 1,5 million d'élèves de moins que l'Allemagne, nos budgets de l'éducation sont à peu près équivalents. Et les enseignants allemands sont bien mieux payés : près d'un tiers de plus que les français. Il semblerait que notre handicap réside dans nos infrastructures : pour 15 000 lycées en Allemagne, il y en a 37 000 en France. Une politique d'aménagement du territoire est-elle envisagée pour y remédier ?

Je souhaiterais par ailleurs ajouter, même si cela est une question annexe, que la drogue se diffuse particulièrement dans les établissements scolaires. Si le malaise entre ministères de l'intérieur et de l'éducation sur ce point est perceptible, je me demande comment ce dernier travaille à trouver la bonne solution.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Nous avons entendu un excellent rapport, qui donne lieu à un débat fort. Je suis pour ma part opposée à la création de nouveaux postes : nous n'avons pas les moyens d'une telle fuite en avant. Nous venons d'assister à un tour de passe-passe budgétaire à hauteur de 3,6 milliards d'euros pour faire plaisir à Bruxelles, en voilà assez : efforçons-nous de fonctionner désormais à budget constant, et d'accroître la qualité plutôt que la quantité.

Je ne croyais pas aux rythmes scolaires, mais je me suis efforcée de les mettre en oeuvre. Pour quel résultat ? Les enseignants eux-mêmes viennent maintenant me demander de ne pas multiplier les activités le vendredi parce que les enfants sont fatigués. On marche sur la tête ! Il s'agit de calmer le jeu, et pas seulement en maternelle.

Sur le fonds d'amorçage, tout a été dit : nous devrions le maintenir. Je m'inquiète surtout des crédits des Caisses d'allocation familiales (CAF). Je vais en bénéficier, ma notification m'est arrivée il y a quelques jours. Mais leur répartition se fait à périmètre constant : ce qui est consacré aux rythmes scolaires nous est retiré sur d'autres postes. Ce siphonage est extrêmement dangereux, il nous incombe de le dire clairement !

M. Jean-Claude Requier. - Nous avons lieu de nous inquiéter de la qualité du recrutement des enseignants : seuls 70 % des postes ouverts au CAPES de mathématiques, par exemple, ont été pourvus. Pourquoi ? Quant à leur formation, j'avoue que je suis un nostalgique des écoles normales d'instituteurs. Mes parents les avaient faites. Recrutés par concours, ces jeunes gens étaient motivés. S'ils étaient ensuite lâchés dans la nature, c'était après avoir reçu une formation solide.

Il est vrai qu'il y a trop d'options au lycée : pour ma part, je préfèrerais améliorer le menu ordinaire, quitte à simplifier la carte, d'autant que le choix des options est en réalité un moyen de choisir son établissement. Les notes au bac connaissent d'ailleurs une inflation impressionnante : on notera bientôt sur vingt-cinq, les mentions « très bien » pleuvent, alors qu'elles devraient rester exceptionnelles.

On crée des postes, mais le Lot en perdra vingt ou vingt-cinq l'année prochaine. Allez donc expliquer cela à nos administrés !

En tant que vieux radical attaché à l'instruction publique, je voterai ce budget, mais en tant qu'ancien professeur, je considère que l'on « pourrait mieux faire ».

Mme Michèle André, présidente. - Je découvre vos talents les uns après les autres, mes chers collègues, c'est un enchantement.

M. Dominique de Legge. - La richesse de notre débat reflète la qualité du rapport, qui a posé les bonnes questions. Au-delà des apparences, nous ne sommes peut-être pas si opposés les uns aux autres. Je n'en veux pour preuve que l'excellente intervention de mon prédécesseur.

Je voudrais revenir à l'article 55 : « Prorogation du fonds d'amorçage pour la mise en oeuvre des rythmes scolaires ». Il ne s'agit donc que d'une participation, non d'une prise en charge complète. Le terme d'amorçage fait craindre, de surcroît, que ce financement ne soit pas pérenne : la réforme ne serait-elle pas pérenne ? Quelle est la position de nos rapporteurs sur cet intitulé ?

M. Jacques Genest. - Je m'inquiète de la dégradation de l'enseignement en milieu rural. La France étant en grande partie rurale, il est hasardeux de comparer le nombre de ses établissements scolaires à ceux d'autres pays.

Ma commune de 848 habitants voit se succéder les professeurs tous les trois mois, aucun n'étant renouvelé d'une année sur l'autre. À l'époque où j'étais fonctionnaire, il fallait rester deux ou trois ans dans un poste. Je ne comprends pas que la même règle ne soit pas appliquée par l'Éducation nationale.

En tant que président des maires ruraux de l'Ardèche, je sais que beaucoup de rectorats plaident pour des écoles de trois classes. D'un point de vue d'urbain, c'est une taille modeste ; en milieu rural, c'est énorme, un peu comme les communautés de communes à 20 000 habitants !

Sur les rythmes scolaires, on a créé une profonde inégalité, non seulement financière, mais aussi dans le recrutement des intervenants : comment une commune éloignée de quarante kilomètres de la ville moyenne la plus proche en trouvera-t-elle ? Alors que l'école doit être le creuset de l'égalité, le Gouvernement en fait celui des discriminations et de l'élitisme. L'école à deux vitesses est une catastrophe. L'État dispose d'un pouvoir régalien, qu'il en assume donc la responsabilité !

Mme Michèle André, présidente. - Nos rapporteurs ont demandé une réserve qu'il paraît convenable de leur accorder, afin qu'ils puissent prolonger leurs réflexions. Reste à déterminer le moment opportun pour examiner ces missions réservées.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Le mieux serait de les examiner à la suite du tome II du rapport général consacré aux articles de la première partie, le 12 novembre.

Mme Michèle André, présidente. - Préparez-vous donc, pour cette date, à une longue journée.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je regrette que nous ne votions pas aujourd'hui : nous avons suffisamment d'éléments pour un vote négatif sur cette mission.

Mme Michèle André, présidente. - Les rapporteurs spéciaux ont exposé, avant votre arrivée, les raisons de ce délai.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Venant d'un département où la densité de population est de trente et un habitants au kilomètre carré - entre dix et quinze pour certaines intercommunalités - je connais, comme Jacques Genest, le problème des mobilités excessives. Cela recoupe la remarque de Jean-Claude Requier : les enseignants ne viennent dans ces zones que par obligation. Lorsque nous avions des écoles normales départementales, les instituteurs qui en sortaient avaient choisi un milieu qu'ils connaissaient. Il y a bien là, aujourd'hui, un problème de gestion du personnel.

Je suis plus nuancé sur les écoles de trois classes : leur pertinence dépend de la longueur du ramassage scolaire.

Je crois à la responsabilité du directeur d'école, je crois à son autorité sur les enseignants, je crois à la communauté éducative. Encore faut-il qu'il y ait une communauté éducative suffisante pour suivre les élèves...

Je ne reviens pas sur les inégalités introduites par le dispositif relatif aux rythmes scolaires : c'est une évidence.

Monsieur de Legge, sur l'article 55, attendons de savoir ce qu'en dira l'Assemblée nationale. C'est la raison pour laquelle nous demandons la réserve, Madame Des Esgaulx. Je suis un homme de conviction, mais je veux laisser à toutes les parties, y compris à la défense, le temps de s'exprimer.

Il s'agit bien à l'article 55 d'un amorçage. Cette affaire n'est pas terminée, parce qu'elle pose davantage de problèmes qu'elle n'en règle. Tout est dit - tout, à vrai dire, et son contraire. Comme le soulignait Francis Delattre, l'Éducation nationale se prive du concours des élus locaux, alors que ceux-ci déploient, à tous niveaux, des trésors d'imagination et parfois de générosité pour résoudre des problèmes qui leur sont familiers. Si les préfets et les recteurs, mutés presque aussi souvent que les instituteurs, ne connaissent pas le terrain, les élus ont le souci de se succéder à eux-mêmes : ils ont ainsi réglé, entre autres, les problèmes du périscolaire, avant et après les heures de classe : les garderies, les demi-pensions, le soutien scolaire... Nous n'avons pas attendu Vincent Peillon pour prendre notre part de responsabilité en fonction des moyens dont nous disposions. Toutes les difficultés récentes sont venues du caractère obligatoire du dispositif uniforme que l'on nous a imposé. Les élus sont pourtant des partenaires d'autant plus utiles de l'Éducation nationale qu'ils ont avec les parents un contact qui fait parfois défaut aux enseignants.

Le terme d'« amorçage » signifie bien que le Gouvernement a l'intention de se retirer lorsqu'il pourra le faire. Mais il en sera sans doute empêché par des raisons politiques liées à l'enjeu de l'égalité évoqué par Jacques Genest.

Je partage le point de vue de Jean-Claude Requier, mais le monde rural a changé. Il existe désormais des rurbains ou des ruraux périurbains, qui font du rural une utilisation passagère, et n'ont pas le même enracinement que les véritables ruraux. À l'heure du centenaire de la première guerre mondiale, je suis nostalgique des écoles normales départementales et des hussards noirs de la République.

Le problème, c'est que l'enseignement ne provoque pas de gains de productivité. Il faut toujours doter les élèves d'un enseignant. À titre de comparaison, voyez le nombre de vaches ou d'hectares dont peut s'occuper un agriculteur d'aujourd'hui, et combien il en exploitait hier. Tous les métiers ont gagné en productivité sauf celui d'enseignant : voilà la raison de la dégradation relative de sa situation. Nous verrons lorsque nous aborderons le statut des enseignants les réponses à y apporter.

Je rejoins Marie-Hélène Des Esgaulx : répondre aux problèmes de l'éducation nationale par la création de nouveaux postes n'est pas une bonne idée. Ce serait faire semblant de régler les problèmes, sans les traiter en profondeur. S'il y avait une négociation sur les pouvoirs des chefs d'établissement, leur autorité sur les enseignants, et la réforme du statut, nous pourrions faire des efforts dans ce sens, dans une logique donnant-donnant. Mais donner de nouveaux effectifs à un système qui ne les gère pas... Autant souffler dans un violon. Je remercie également Marie-Hélène Des Esgaulx d'appeler notre attention sur le siphonage des crédits de la CAF par le périscolaire.

Je suis entièrement d'accord avec Francis Delattre. Les élus locaux connaissent leur territoire : ils sont la réponse à l'évolution différenciée de l'enseignement selon les caractéristiques sociologiques des territoires. Tout se joue en effet entre quatre et huit ans. Les principaux partenaires restent les enseignants, les élèves et leurs familles. Or celles-ci ont de plus en plus vis-à-vis de l'éducation nationale une attitude de consommateurs : elles mettent leur enfant à l'école comme leur voiture chez le garagiste, et entendent récupérer celle-ci réparée et celui-là éduqué. Cela ne marche pas comme cela ! Les adultes doivent se montrer solidaires pour encadrer les enfants diaboliques - chaque enfant est tenté de manipuler les adultes pour tirer son épingle du jeu. Là où les élus locaux, les enseignants et les parents travaillent ensemble, le système fonctionne ; ailleurs, il ne marche pas.

J'ai été pendant deux ans président du conseil d'administration d'un lycée agricole. Entre les représentants du monde agricole, les parents qui choisissent d'y placer leur enfant, et les enfants, largement responsabilisés et généralement internes - l'internat facilite la vie communautaire et la prise de responsabilités -, la solidarité est forte et les résultats sont là.

Monsieur Dominati, vous avez raison sur la comparaison entre la France et l'Allemagne. Il y a deux explications. La densité de population d'abord : elle est de 120 habitants au kilomètre carré en France, mais de 350 en Allemagne, ce qui a pour conséquence que l'offre scolaire allemande est plus regroupée. Le fédéralisme ensuite : l'éducation est de la compétence des Länder. En France, les élus locaux demandent à Paris la diminution du budget - en fait celle des impôts - et dans leur territoire le maintien des collèges à moins de 100 élèves et des lycées professionnels qui en comptent moins de 300. Cette schizophrénie française favorise l'éparpillement de l'offre. La seule façon d'en sortir, c'est de demander aux gens de se prendre en main ! Nos collectivités territoriales sont cantonnées aux questions d'intendance, et ne s'occupent pas de la politique scolaire. Résultat : lorsque les parents leur demandent d'en faire plus, elles se retournent vers Paris ; le recteur ne fait qu'appliquer les décisions nationales, et finit par demander un changement d'affectation quand il n'en peut mais. Notre système n'est pas bon, j'en ai la certitude absolue.

Monsieur Laménie, le taux d'absentéisme dépend du degré : 76 % des enseignants du primaire sont face aux élèves, contre 92 % dans le secondaire. L'absentéisme dans le primaire s'explique largement par la féminisation de l'enseignement, et à certaines politiques de soutien. S'agissant des enseignants sans affectation, le rapport de Jean-Yves Chamard de 2005 a vieilli : l'actualiser pourrait faire l'objet d'une mission de contrôle de notre commission.

Richard Yung pense que la formation pédagogique s'améliore. Nous n'avons pas encore trouvé le bon système. Je doute que le Gouvernement ait trouvé le meilleur. Ce sujet reste à l'ordre du jour. Le primaire est-il ce point fort de notre système que les autres pays nous envient ? Peut-être. Le maillon faible est en tout cas le collège, car le primaire offre la perspective d'apprendre et de découvrir, le lycée celle d'être formé. Entre les deux, le collège a du mal à se positionner. J'étais partisan du collège unique en tant qu'habitant de zone rurale, où l'on ne peut pas diversifier les collèges, sauf à faire de l'internat. Je me pose désormais plutôt la question de l'autonomie de l'établissement, qui évite de faire la distinction entre les établissements à banquette en bois, et ceux à tapis rouge vers les classes préparatoires. Autonomie, modulation financière en fonction des résultats - sur la base d'une vraie politique, pas seulement aux meilleures écoles parisiennes - dont le suivi est assuré par les élus locaux, voilà les conditions d'un changement réel.

Maurice Vincent souligne que tout ne va pas mal, et il a raison. L'éducation nationale est un immense système. L'ennui, c'est qu'il y a une sorte de jeu de rôle : les enseignants se plaignent, l'administration temporise, et les élus, par fièvre, poussent des cris d'alarme et oublient. Ayons un travail constant sur ces sujets. À la vérité, si mon rapport servait à vous faire vendre une entreprise, vous achèteriez un chat dans un sac, autrement dit quelque chose dont vous ignorez tout ; manquent en effet les effectifs des élèves, ceux des enseignants, les pyramides des âges, les qualifications, les ratios aux niveaux national et régional... Toutes choses qu'il conviendra de faire.

Je rejoins également Serge Dassault. On ne peut pas faire vivre une collectivité sans autorité ni discipline. J'ai été ministre de la défense : les régiments fonctionnent grâce à la discipline. C'est la force des armées, mais aussi celle de l'enseignement. Nous sommes là pour former les jeunes, pas pour les écouter - nous les écouterons plus tard, ou ailleurs. En toute logique, ceux qui détiennent l'instruction la donnent, ceux qui ne savent rien apprennent. Cette conception des choses est un peu traditionnelle, je le reconnais, mais elle me semble adaptée à un public qui n'a pas le bonheur de disposer d'un soutien familial. Certains chefs d'établissements de banlieue difficile ont de bons résultats : il faut les aider. Ils ne le seront jamais par une administration centralisée, qui gère des effectifs globaux, des statistiques, des moyennes. Réintroduisons les élus locaux dans la vie des établissements.

Roger Karoutchi a raison : acceptons le jugement objectif de l'enquête PISA de l'OCDE. Ne nous renvoyons pas à la figure nos échecs respectifs. Certes, l'OCDE n'a pas toujours raison ; mais acceptons de nous comparer - tout en sachant que se comparer ne suffit pas toujours pour se comprendre.

Un tiers des classes est en sous-effectifs, en raison de la multiplicité des options, tandis que les classes des enseignements standards sont surchargées. La Cour des comptes a dénombré en 2013 375 voies disciplinaires de recrutement possibles dans le secondaire, et 272 matières enseignées. Cela explique aussi le nombre d'enseignants sans affectation. La gestion active des carrières doit être une priorité du ministère, qui est sans doute la direction des ressources humaines la plus inhumaine qui soit. Pourquoi ne pas imaginer des carrières différentes, fut-ce pour 2 % des effectifs, ce qui fait tout de même 20 000 enseignants ? L'armée s'en accommode même pour les officiers supérieurs.

M. Thierry Foucaud, rapporteur spécial. - Chacun détient une part de vérité. L'année dernière et la précédente, Claude Haut et moi avions reçu les représentants des enseignants des secteurs public et privé. La question essentielle reste celle de la formation.

Par ailleurs, la situation a changé ; la crise politique et morale dans laquelle nous somme touche l'école : le père de famille sans profession n'a plus l'autorité du père d'hier, qui travaillait...

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - ... et ramenait la paye à la maison !

M. Thierry Foucaud, rapporteur spécial. - Absolument. La géographie de la France - ruralité, urbain, périurbain - a changé elle aussi. L'intelligence existe partout, y compris dans les quartiers difficiles. Apprendre à apprendre est devenu un enjeu fondamental. Je ne crois pas que nous ayons trop d'enseignants. Notre situation budgétaire nous oblige bien sûr à prendre en compte la quantité, mais ne perdons pas de vue la qualité. C'est une revendication des enseignants eux-mêmes. Si nous n'apprenons pas à apprendre aux enfants des quartiers difficiles, la vie deviendra plus difficile dans notre pays.

Marie-Hélène Des Esgaulx a raison d'attirer l'attention sur les CAF. Ces fonds seront-ils pérennisés pour les communes ? Des moyens complémentaires seront-ils donnés aux CAF ?

J'ai été maire pendant trente-deux ans. En tant qu'élu local, on voit bien ce qu'il en est. On a fait croire aux gens que leurs enfants pouvaient tous devenir ingénieurs ou médecins. Résultat : nous manquons de plombiers, d'électriciens, de couvreurs... Ce sont des métiers nobles et valorisants. Il faudrait réorienter les formations en fonction de ces besoins.

Je m'abstiendrai sur ces crédits.

Mme Michèle André, présidente. - La réserve ayant été demandée, nous ne voterons pas sur ces crédits ni sur l'article rattaché ce matin. En attendant, nous veillerons à travailler sur ces questions avec la commission de la culture : les problèmes de fond évoqués ce matin sont plus de leur compétence que de la nôtre, essentiellement financière. Je rappelle que le président du Sénat organise depuis plusieurs années l'opération « Talents des cités », qui récompense de jeunes gens de quartiers que l'on pourrait croire plus fragiles et qui ont pourtant fait leur chemin dans la vie. Ayons ces éléments d'optimisme à l'esprit.

À l'issue de ce débat, la commission décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Enseignement scolaire » et sur l'article 55 rattaché.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Engagements financiers de l'Etat », comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'Etat ou organismes gérant des services publics » et compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » - Examen du rapport spécial

La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. Serge Dassault, rapporteur spécial, sur la mission « Engagements financiers de l'État », les comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et le compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce ».

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Je vous ferai d'abord part de mes observations sur la situation des finances publiques, que je trouve alarmante, puis je développerai les solutions qui me semblent nécessaires pour retrouver des finances avec moins de déficits et moins de dettes.

Le Gouvernement prévoit pour 2015 une croissance de 1 %, alors que le président du Haut Conseil des finances publiques, Didier Migaud, indique dans son avis du 15 octobre dernier que cette prévision lui paraît optimiste. Il affirme qu'un tel niveau de croissance suppose « un redémarrage rapide et durable de l'activité que n'annoncent pas les derniers indicateurs conjoncturels ». D'une part, l'environnement international pourrait se révéler moins porteur, comme en attestent les dernières prévisions de croissance du commerce mondial de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). D'autre part, la reprise de l'investissement productif pourrait être significativement retardée.

Il est anormal que les hypothèses de croissance présentées par le Gouvernement ne tiennent aucun compte de l'avis de Didier Migaud. Cela met en cause la crédibilité de ces prévisions. Le Gouvernement n'a même pas cherché à entrer en contact avec lui pour s'en expliquer. On se demande à quoi sert ce Haut Conseil si le Gouvernement ne tient pas compte de ses avis, pas plus d'ailleurs que de ceux de la Cour des comptes.

Il y a deux façons de présenter des prévisions : la plus dangereuse consiste à faire des prévisions optimistes pour donner confiance, au risque de graves échecs dans le cas où elles ne se réalisent pas ; la moins risquée consiste à faire des prévisions pessimistes ou à tout le moins prudentes, qui peuvent être meilleures que prévu, ce qui démontre la qualité de la gestion. C'est cette dernière méthode que pratiquent les entreprises.

Didier Migaud observe que tant que la France ne respectera pas ses engagements européens en termes de réduction de déficits, sa dette publique continuera à augmenter. Alors que l'Allemagne a présenté un budget en équilibre pour 2015 et prévoit de dégager un excédent record de 16,1 milliards d'euros, ce qui lui permet de commencer à rembourser sa dette, la France s'apprête à voter un nouveau budget déficitaire et il ne sera pas le dernier. Cet état de fait d'une France qui ne respecte pas ses engagements est de plus en plus inacceptable pour nos partenaires européens car il montre la légèreté de ses prévisions.

J'en viens au budget 2015 proprement dit. Notre besoin de financement atteindra 196,6 milliards d'euros. Ce montant correspond au déficit budgétaire, soit 75,7 milliards d'euros, et au refinancement de 119,5 milliards d'euros de dette arrivant à échéance en 2015. Le besoin en financement sera couvert par un emprunt de 188 milliards d'euros. Le solde sera financé par 4,1 milliards d'euros de disponibilité du Trésor et 4 milliards d'euros de recettes de cession de participations de l'État.

Nous emprunterons en 2015 environ 188 milliards d'euros : 113 milliards pour rembourser les échéances de notre dette et 75 milliards pour combler le déficit prévisionnel. On emprunte donc pour rembourser. C'est dramatique ; cela s'appelle de la cavalerie.

Notre dette ne commencera à être remboursée qu'avec un équilibre, voire un excédent budgétaire. Ce n'est pas demain la veille ! Les dépenses totales de l'État en 2015 seront en réalité de 491 milliards d'euros, dont 119 milliards d'euros pour financer le remboursement des emprunts venant à échéance en 2015, contre des recettes de 292 milliards d'euros. Nous dépensons presque deux tiers de plus que nous ne percevons de recettes. Nous vivons nettement au-dessus de nos moyens !

Cette situation alarmante de nos finances publiques a aujourd'hui toutes les raisons de perdurer. Les faibles économies proposées, loin d'être réalisées, les augmentations de dépenses qui se multiplient, notamment celle de la masse salariale des fonctionnaires, et l'absence de croissance malgré les annonces optimiste, feront croître notre dette inexorablement, sauf si le Gouvernement se décide à prendre les décisions qui s'imposent.

Tant que la France peut emprunter à des niveaux exceptionnellement bas - c'est la réponse toute faite du Gouvernement à chacune de nos remarques - le mal n'apparaît pas. Mais cela ne durera pas éternellement. Déjà le projet de loi de finances prévoit que le taux à 10 ans passera de 1,25 % actuellement à 1,9 % fin 2014 puis 2 % fin 2015. Un choc plus violent ne peut être exclu, tant les doutes des investisseurs et des agences de notation sur la situation économique et la politique de la France commencent à apparaître, Chaque point de taux d'intérêt supplémentaire représenterait un coût de 2,4 milliards d'euros la première année ; 5,3 milliards d'euros la deuxième ; 7,4 milliards d'euros la troisième. Notre charge de la dette augmentera considérablement et diminuera d'autant nos recettes fiscales. Nous courrons à la catastrophe ! La Commission européenne, les agences de notation et nos investisseurs risquent de ne plus nous faire confiance. Ces derniers refuseront nos emprunts ou les prendront à des taux exorbitants. C'est ce qui est arrivé à l'Argentine en 2002, à la Russie en 1998 ou encore à l'Islande en 2008 et ce sera la cessation de paiement et la faillite.

Comme l'a écrit plusieurs fois le premier président de la Cour des comptes, il faut tout faire pour réduire nos dépenses et nos impôts. Mais pour le Gouvernement, ce n'est pas à la Cour des comptes de gouverner la France, et il ignore ses excellentes propositions : à quoi sert dans ces conditions la Cour des comptes ?

Voilà pourquoi c'est la réduction des déficits qui doit être la priorité absolue du Gouvernement, et non la réforme territoriale, les rythmes scolaire, ou le mariage pour tous avec lesquels il nous amuse. Je vais vous faire maintenant quelques propositions .

M. Richard Yung. - Ah !

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - L'État devrait se doter de nouvelles règles de bonne gestion budgétaires : la règle d'or, qui obligerait tout Gouvernement à présenter des budgets équilibrés, proposée par Nicolas Sarkozy mais abandonnée à cause du refus des socialistes de la voter. Préparer les budgets avec une croissance prévisionnelle voisine de 0 %, ne réservant que de bonnes surprises ; le plafonnement de la dette par la Constitution : sans limite, elle augmente de 80 milliards par an ! Ça va vite !

Éliminer drastiquement les crédits d'impôt et les exonérations de charges des entreprises et des contribuables.

Pour arrêter de fabriquer des fonctionnaires à vie, arrêter de titulariser - comme j'ai dû le faire à contrecoeur dans ma ville - tout le personnel des administrations et des collectivités territoriales et appliquer la règle du non remplacement d'un sur deux. Ce n'est pas compliqué ! L'embauche d'un fonctionnaire sur 60 ans - 40 années travaillées et 20 autres de retraite - représente plus de 1,5 million d'euros. Embaucher comme veut le faire le gouvernement 60 000 fonctionnaires dans l'éducation en cinq  ans est une dépense d'au moins 90 milliards d'euros que l'on devra financer par l'emprunt, pendant soixante ans.

Mener une vraie politique de croissance en réduisant les impôts des entreprises et des entrepreneurs, les véritables créateurs d'emplois et de richesse, et en supprimant l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), au lieu d'assujettir les dividendes aux charges sociales... Les investisseurs français partent et les étrangers ne viennent plus !

Flexibiliser l'emploi pour réduire le chômage, en rendant les licenciements automatiques en cas de baisse d'activité et en créant des emplois de mission, comme les vendangeurs ou dans le secteur du bâtiment. Il faudra supprimer les 35 heures qui paralysent notre économie et relever les seuils sociaux.

Il serait enfin judicieux de refonder notre fiscalité en transformant l'impôt progressif en impôt égalitaire, avec le même taux pour tous les revenus : la Flat Tax, comme la pratique la Russie à 13 %. Ainsi la contribution sociale généralisée (CSG) rapporte plus que l'impôt sur le revenu qui empoisonne tout le monde !

Mes observations rejoignent les analyses de la Commission européenne, du Haut Conseil des finances publiques et des organisations internationales. Ce ne sont pas des réformes de droite ou de gauche, ce sont des réformes de bon sens, pour l'intérêt de la France. Il est souvent dit que « la gauche a du coeur, mais pas de tête, et que la droite a de la tête, mais pas de coeur ».

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Il faut avoir à la fois de la tête et du coeur, il faut à la fois travailler et distribuer pour sortir la France du marasme dans lequel elle est plongée.

M. Richard Yung. - Vous êtes donc du centre !

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Je vous propose d'adopter les crédits de cette mission, car la France doit respecter ses engagements à l'égard de ses créanciers.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Partageant certaines de vos analyses, je crois aussi qu'il serait difficile de rejeter les crédits consacrés aux intérêts de la dette. Je suivrai donc notre rapporteur spécial.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ». 

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » ainsi que du compte d'affectation spéciale « Participations de la France au désendettement de la Grèce ».

Loi de finances pour 2015 - Mission « Participations financières de l'Etat » - Examen du rapport spécial

La commission procède enfin à l'examen du rapport de M. Maurice Vincent, rapporteur spécial, sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

M. Maurice Vincent, rapporteur spécial. - Le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » est le support budgétaire des opérations conduites par l'État en tant qu'actionnaire. L'État détient en effet des participations, le plus souvent sous forme de titres de capital - des actions - dans plusieurs entreprises dans le secteur de l'énergie (GDF-Suez, EDF, Areva), de l'armement (Nexter, Thales), des télécommunications ou autres (SNCF ou RATP).

Comme dans tout compte d'affectation spéciale, il existe un lien entre ses recettes et ses dépenses. Celles-ci résultent de cessions de participations et celles-là de prises de participations, c'est-à-dire d'acquisitions de titres de capital. Le compte peut aussi financer le désendettement de l'État par des versements à la Caisse de la dette publique. Sa particularité tient aussi à sa programmation budgétaire, qui est partiellement formelle. Côté recettes, le Gouvernement ne veut pas s'engager sur un montant ou sur un rythme de cessions pour des raisons notamment de confidentialité et de stratégie - on le comprend. Il est donc inscrit pour 5 milliards d'euros de recettes dans chaque projet de loi de finances, montant bien évidemment jamais été atteint depuis la crise.

L'exercice prospectif est donc limité. C'est pourquoi nous examinons le « jaune budgétaire » intitulé « Rapport sur l'État actionnaire » qui dresse le panorama des actions menées sur la dernière année.

Depuis 2012, l'État actionnaire s'est lancé dans un grand chantier de modernisation pour adopter une gestion active de ses participations. Nous entendrons la semaine prochaine Régis Turrini, nouveau commissaire aux participations de l'État.

La doctrine d'investissement de l'État actionnaire s'articule autour de quatre principes d'investissement : par exemple, l'investissement dans des entreprises stratégiques comme celles de la défense, la possibilité d'intervenir pour des sauvetages exceptionnels, comme pour Dexia, ou encore des investissements contribuant à l'avenir de l'industrie dans notre pays. Cette doctrine a été présentée par Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg au Conseil des ministres du 15 janvier 2014. Une ordonnance publiée en août dernier permet à l'État actionnaire de disposer de plus de souplesse pour conduire à bien sa mission.

Depuis janvier, l'État a cédé 1 % du capital d'Airbus Group - non indispensable pour maintenir son influence - afin de financer une partie de l'acquisition de 14,1 % du capital de PSA, pour un montant total de 800 millions d'euros, au côté du groupe chinois Dongfeng. Autre exemple : l'État a cédé en juin 3,6 % du capital de GDF-Suez pour un montant de 1,5 milliard d'euros, recette versée à la Caisse de la dette publique pour contribuer au désendettement de l'État.

À la fin de l'année 2014, le solde créditeur du compte devrait s'élever à environ 2,25 milliards d'euros, dont 1,15 devra, en 2015 ou 2016, être utilisé pour finir de libérer le capital de la Banque publique d'investissement (BPI). La BPI est un outil propre d'intervention de la puissance publique au capital des sociétés. L'État détient 50 % de la BPI qui a sa propre doctrine d'investissement, complémentaire de celle de l'État.

Pour 2015, les dépenses certaines inscrites sur le budget sont estimées à 730 millions d'euros, dont 280 millions d'euros pour renforcer les fonds propres de l'Agence française de développement et 390 millions d'euros pour acheter au Commissariat à l'énergie atomique des titres Areva afin qu'il puisse dégager des ressources pour financer le démantèlement de ses installations.

Enfin, l'accord conclu avec Bouygues au mois de juin permet à l'État d'acquérir jusqu'à 20 % du capital d'Alstom, mais seulement s'il le souhaite. Je ne sais pas s'il le fera.

Côté recettes, le budget prévoit comme chaque année une inscription conventionnelle de 5 milliards d'euros. L'année 2015 pourrait cependant être différente : le ministre de l'économie a annoncé que des cessions auraient effectivement lieu pour un montant compris entre 5 et 10 milliards d'euros, mais nous ne savons pas lesquelles. Ces recettes seraient en priorité affectées au désendettement ; une somme de 4 milliards d'euros est d'ailleurs inscrite sur le tableau de financement du projet de loi de finances pour 2015.

L'équilibre à trouver sera fin. S'il est loisible à l'État d'avoir une gestion active, il ne doit pas perdre de vue que les participations rapportent 3,5 milliards d'euros par an à l'État sous forme de dividendes versés au budget général. Plus on vend des actions, moins on a de possibilités de récupérer des dividendes.

La valeur du portefeuille côté de l'État a augmenté de 40 % sur un an, contre 16 % pour le CAC 40.

Je voudrais maintenant aborder trois sujets d'actualité.

Le sauvetage de Dexia, dont l'État est actionnaire à hauteur de 44 %, lui a déjà coûté 6,6 milliards d'euros. Même si le Gouverneur de la Banque de France a tenu des propos rassurant, avant-hier, devant notre commission, la santé de cette banque est encore précaire à cause de ses participations dans des banques italiennes ou espagnoles. Nous devrons rester attentifs. Son sauvetage a déjà coûté plus cher à la France que celui du Crédit lyonnais, qui, finalement, n'aura coûté que 4,5 milliards d'euros ; cela m'a aussi étonné : j'aurais pensé que c'était l'inverse.

Dans le secteur de l'armement, Nexter a engagé des négociations pour se rapprocher de son homologue allemand KMW pour une fusion égalitaire qui permettra des économies d'échelle. Pour l'instant, les deux sociétés ont signé un protocole d'accord qui encadre la négociation d'un futur accord sur leur rapprochement. Ce projet vise à renforcer les industries européennes de défense.

Enfin, la SNCM, dont l'État est actionnaire à hauteur de 25 % et à qui il a accordé des avances pour 30 millions d'euros en 2014, est sous le coup de jugements européens lui ordonnant de rembourser 440 millions d'euros.

Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie. Je suis membre du Conseil national d'orientation de la BPI : comment se passe la coordination de cette institution avec l'Agence des participations de l'État (APE) ?

M. Maurice Vincent, rapporteur spécial. - Je ne me suis pas penché sur les détails ; la BPI a un parcours satisfaisant, en particulier dans le secteur des hautes technologies. Je n'ai pas connaissance de difficultés particulières.

M. Marc Laménie. - En tant que maire, j'avais souscrit un emprunt auprès de Dexia ; j'ai reçu un courrier de la Caisse française de financement local : qu'est-ce que cela signifie ? L'État prend des participations dans PSA, fleuron de notre économie : pour quel montant ? Et dans Alstom ?

M. Philippe Dominati. - Nous entendons beaucoup parler des dividendes versés en ce moment, trop élevés, et qu'il faudrait taxer, mais il semble que l'État actionnaire soit autant sinon plus exigeant que les actionnaires privés : qu'en est-il ?

La gestion active comporte-t-elle des changements dans la pratique de l'État ? Je pense à la dernière réunion du comité de nomination de GDF-Suez et aux conditions de rémunérations dans cette entreprise.

Le dépôt de bilan de la SNCM est très probable. C'est une question de temps et c'est sans doute nécessaire. Le budget en tient-il compte ?

M. Jean-Claude Requier. - L'État céderait sa participation dans l'aéroport de Toulouse-Blagnac, qui dispose de 100 hectares de terrain qui excitent les convoitises. Qu'en sera-t-il des tarifs préférentiels dont dispose Airbus pour faire décoller et atterrir ses avions ?

M. Richard Yung. - Vous parlez d'un portefeuille qui augmente : quelle est sa valeur absolue ? La liste des participations est une liste à la Prévert ; j'y trouve par exemple le casino d'Aix-les-Bains, mais pas d'entreprises dans le secteur des nouvelles technologies de l'information. Ai-je mal lu ?

M. Maurice Vincent, rapporteur spécial. - A Dexia ont succédé deux sociétés : Dexia, dont l'État détient 44 % et qui a hérité d'une minorité d'emprunts toxiques, et la société de financement local, la SFIL, détenue en totalité par des entités publiques - 75 % par l'État et le reste par la Caisse des dépôts et la Banque postale - qui détient la majorité des emprunts toxiques.

S'agissant de PSA, le montant de la prise de participation de l'État est de 800 millions d'euros. Quant à Alstom, au cours actuel, l'État pourrait débourser jusqu'à 1,6 milliard d'euros, mais, pour l'instant, ce chiffre reste très hypothétique.

Le taux de retour des investissements de l'État est plus élevé que dans le privé, mais je ne crois que ce soit le fruit d'une volonté délibérée : l'État veut avoir un retour correct, mais ce résultat tient sans doute plus aux secteurs spécifiques représentés dans son portefeuille.

Une ordonnance fixe une nouvelle stratégie qui rend les nominations de représentants de l'État dans les conseils d'administration plus souples que par le passé, où seuls des hauts-fonctionnaires pouvaient être nommés.

Le coût du dépôt de bilan pour la SNCM est, pour l'instant, évaluée à 30 millions d'euros : il s'agit des avances d'actionnaire consenti par l'État.

M. Philippe Dominati. - Mais le capital, lui, n'est pas réduit à zéro.

M. Maurice Vincent, rapporteur spécial. - Certes, mais la SNCM étant une société non cotée, il est difficile d'apprécier sa valeur. En outre, elle peut aussi être reprise. Le dossier n'est pas suffisamment avancé pour en estimer le coût pour l'État.

La vente de la participation dans l'aéroport Toulouse-Blagnac est engagée : un appel d'offres a été lancé. Je ne peux pas vous dire si c'est dans le cadre d'une stratégie globale qui concerne tous les aéroports.

La valeur du portefeuille était de 84,7 milliards d'euros en avril 2014 pour les entreprises cotées, mais il y en a beaucoup d'autres. Les nouvelles technologies sont présentes dans ce portefeuille à travers Orange ; mais c'est surtout la BPI qui a vocation à prendre des participations minoritaires et à moyen terme dans ce secteur.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

La réunion est levée à 12 h 45.