Lundi 23 juillet 2018

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Échange de vues, nomination de rapporteurs et demande d'octroi à la commission des lois, pour une durée de six mois, des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête

M. Philippe Bas, président. - J'ai conscience du caractère exorbitant et inhabituel de notre réunion de ce lundi matin, que commande l'actualité. J'attire votre attention sur un article publié dans l'édition électronique du Point intitulé « Affaire Benalla : le Sénat, le contre-pouvoir tranquille », qui, j'aime à le croire, reflète l'esprit de notre réaction à cet événement.

Mme Esther Benbassa. - Le Point vous fait bien des gentillesses...

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Qu'importe le flacon...

M. Philippe Bas, président. - Je vous propose de créer, au sein de notre commission, une mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements et, dans un souci de respect du pluralisme, de désigner deux rapporteurs issus des deux principaux groupes politiques de notre assemblée.

Comme cela fut récemment le cas pour la mission d'information sur le redressement de la justice et pour le suivi des lois successives de prorogation de l'état d'urgence, nous pourrions demander au Sénat d'investir notre commission, pour mener cette mission et pour une durée de six mois, des pouvoirs d'une commission d'enquête, soit le droit d'entendre des personnalités sous serment et de se faire transmettre tout document de service interne à l'administration susceptible d'éclairer ses travaux.

La seule limite, dont nous avons d'ailleurs débattu lors de nos travaux sur la réforme constitutionnelle, réside dans l'exclusion des faits faisant l'objet d'une information judiciaire. Dans l'affaire qui nous préoccupe, et qui relève essentiellement d'un dysfonctionnement institutionnel, notre champ d'investigation ne se trouvera guère réduit par cette disposition. Nous n'enquêterons, en effet, pas sur les violences commises le 1er mai par M. Alexandre Benalla, mais sur les interférences que révèle l'affaire entre la fonction constitutionnelle du Président de la République et celle du Gouvernement dans le domaine du maintien de l'ordre et de la sécurité du Président de la République. Il s'agit de s'assurer du respect de la Constitution, de l'État de droit et des conditions de sécurité du Président de la République, qui ne doivent évidemment pas relever d'amateurs.

Il me semble pertinent de demander à pouvoir bénéficier des pouvoirs d'une commission d'enquête pendant une période de six mois. Nos travaux, en effet, sont de nature différente de ceux menés par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Le Sénat est, je vous le rappelle, gardien des libertés et, à ce titre, soucieux du respect de l'État de droit.

La commission procède à la désignation de ses rapporteurs, Mme Muriel Jourda et M. Jean-Pierre Sueur.

La commission demande à l'unanimité au Sénat de lui octroyer les prérogatives d'une commission d'enquête, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et de l'article 22 ter du Règlement du Sénat.

M. Philippe Bas, président. - Nous entendrons notamment, dans les prochains jours, MM. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, Michel Delpuech, préfet de police de Paris, et Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, qui déjà ont été convoqués. Évidemment, la question de la publicité de nos auditions s'est posée ; je souhaite, pour ma part, que toutes soient publiques, afin d'assurer la transparence de nos travaux. Les rapporteurs, s'ils le jugent utile, pourront organiser des auditions complémentaires. Seront également entendus cette semaine par notre commission M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale, le colonel Lavergne, responsable du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), et M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, ainsi que les représentants des organisations professionnelles de policiers. Je considère également indispensable de convoquer M. Alexis Kohler, secrétaire général de l'Élysée, s'agissant de la réorganisation annoncée des services de la présidence de la République, afin d'évaluer si la répartition des rôles entre le Gouvernement et le Président de la République sera désormais convenablement respectée.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Au nom du groupe socialiste et républicain, je salue la réactivité du Sénat, dans des conditions indéniablement plus dignes et responsables qu'à l'Assemblée nationale, où il a fallu batailler pour obtenir une commission d'enquête. Je m'associe pleinement à la démarche de la commission. Quelques incompréhensions demeurent néanmoins s'agissant de la procédure d'octroi de pouvoirs de commission d'enquête sans, parallèlement, que la mission d'information ne soit dotée, comme cela est habituel depuis une dizaine d'années, d'un fonctionnement absolument bipartite partagé entre la majorité et l'opposition. De fait, puisque vous présidez, monsieur Bas, ladite mission, le rapport aurait dû en être exclusivement confié au groupe majoritaire de l'opposition... Nous n'en faisons pas un point de désaccord mais saluons votre habileté.

M. Philippe Bas, président. - Je ne fais, madame, qu'appliquer le Règlement du Sénat...

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - L'essentiel, j'en conviens, demeure que nos travaux se déroulent dans des conditions satisfaisantes. S'agissant des modalités de publicité, j'ai constaté avec étonnement que le Règlement du Sénat prévoyait des réunions publiques. De fait, une commission d'enquête ne doit pas se confondre avec un juge d'instruction mais se poser en intermédiaire entre nos concitoyens et le pouvoir administratif, sur les questions d'organisation institutionnelle. En ce sens, il apparaît effectivement préférable de ne pas travailler à huis clos, d'autant que l'affaire Benalla intéresse les Français autant qu'elle agite la presse. Je suis, en outre, convaincue que les personnes auditionnées auront intérêt à cette publicité. La publicité des auditions menées par la commission en revanche ne s'étend sans doute pas à ses débats...

M. Philippe Bas, président. - Si !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Enfin, je m'accorde avec vous sur un calendrier de travail sur plusieurs mois et souhaite que nous ne fassions pas preuve d'une prudence excessive en renonçant à entendre certaines personnes.

Mme Esther Benbassa. - Je joins mes compliments à ceux de Marie-Pierre de la Gontrie s'agissant de la réactivité de notre commission, dans un esprit constructif et serein, à la suite des révélations sur les agissements de M. Benalla. Nous aurons effectivement besoin de plusieurs mois pour mener convenablement notre mission. Il me semblerait utile, dans ce cadre, d'entendre, outre le colonel Lavergne, responsable du GSPR, que vous avez mentionné, M. Arnaud Montebourg, employeur un temps de M. Benalla en qualité de chauffeur, M. Éric Plumer, ancien responsable du service d'ordre du Parti socialiste, qui forma M. Benalla, les syndicats de policiers, ainsi que le commissaire Maxence Creuzat, mis en examen pour transmission des images de vidéosurveillance des incidents du 1er mai.

M. Philippe Bas, président. - Les syndicats de policiers seront entendus dès demain par la commission.

M. Arnaud de Belenet. - Loin de l'agitation des médias et des récupérations politiciennes de l'affaire Benalla - je pense à Laurent Wauquiez dénonçant la dissimilation des faits par l'Élysée, Éric Ciotti jugeant l'État accaparé par un clan ou Guillaume Larrivé évoquant une milice autour du Président de la République, pour ne citer que quelques exemples -, j'apprécie particulièrement la tonalité de nos échanges. Nous devons nous différencier de l'Assemblée nationale sur le fond de nos travaux - je salue en cela le choix de l'intitulé de la mission d'information - comme sur le calendrier. Je rappelle cependant que certaines commissions d'enquête ne rendent pas leurs auditions publiques. Parfois, afin d'assurer des travaux sereins et approfondis, ainsi que la liberté de parole des personnes entendues, le caractère public n'apparaît pas pertinent. Pour conclure, je soutiens votre approche non politicienne.

M. Pierre-Yves Collombat. - Au nom de mon groupe, je joins mes félicitations à celles de mes collègues quant aux circonstances et au contenu de l'initiative prise par notre commission. Le choix de l'intitulé de la mission pose effectivement bien le véritable problème : non pas tant le comportement de M. Benalla que son rôle auprès du Président de la République. La sécurité du Président en partie assurée par un apprenti barbouze ! Comment une telle dérive a-t-elle été possible dans le cadre normé de nos institutions ? Je ne vois, pour ma part, aucune raison de ne pas rendre publiques les auditions que nous mènerons et considère également raisonnable le calendrier de six mois proposé. Hélas, une fois encore, seule l'opposition convenable est associée officiellement, via un poste de rapporteur, à nos travaux de contrôle... Nous autres gens peu convenables n'y sommes pas conviés.

M. Jean-Yves Leconte. - Comment, effectivement, de tels faits ont-ils pu advenir ? Pourquoi rien n'a-t-il été fait à la suite de leur découverte ? La représentation nationale comme nos concitoyens méritent des réponses. En ce sens, il apparaît nécessaire que nos travaux soient publics. Nous devons prendre la mesure des dysfonctionnements de nos institutions, plus encore dans le cadre de la réforme constitutionnelle en cours, qui devra les prendre en compte.

M. François-Noël Buffet. - Je vous remercie, monsieur le président, pour la rapidité et la sérénité de votre réaction, saluée à juste titre par la presse, alors que celle de l'Assemblée nationale a fait quelques remous. J'approuve, par ailleurs, le programme d'auditions que vous nous avez présenté pour les jours à venir ; il ne doit pas apparaître par trop convenu, il y va de la qualité de nos travaux. J'estime également nécessaire de rendre publiques nos auditions, à condition de ne pas nous priver de toute impertinence à l'égard de nos interlocuteurs. Le Sénat doit pleinement assumer son rôle pour comprendre comment M. Benalla a pu exercer tant de pouvoir.

M. Philippe Bas, président. - Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années...

M. Jacques Bigot. - Je vous trouve injustement sévères avec nos collègues députés : l'affaire Benalla a éclaté alors qu'était discutée à l'Assemblée nationale une révision constitutionnelle limitant, selon ses détracteurs, les pouvoirs du Parlement... De fait, les commissions des lois de chacune des deux chambres trouveront ici l'occasion de prouver aux Français l'intérêt du contrôle parlementaire sur l'exécutif ! La démocratie en a besoin, pour ne pas devenir démocrature... Nous devons évidemment rendre nos auditions publiques, d'autant que l'Assemblée nationale a également fait ce choix. Veillons toutefois attentivement à ne pas empiéter sur les missions du juge d'instruction. Faut-il entendre M. Arnaud Montebourg, puisqu'il s'agirait davantage de l'interroger sur la personnalité de M. Benalla que de comprendre les dysfonctionnements de l'État ? J'approuve enfin l'idée d'un calendrier de six mois pour mener nos travaux, mais souhaite la présentation de rapports intermédiaires au cours de la période, afin notamment d'éclairer nos réflexions lors du débat à venir sur la réforme constitutionnelle.

M. Philippe Bas, président. - Je me réjouis tout particulièrement du climat constructif de nos échanges et de la proximité de nos préoccupations, qui augurent parfaitement de la qualité de nos travaux.

Madame de la Gontrie, il est désormais classique d'octroyer des pouvoirs de commission d'enquête à une commission permanente pour mener à bien certains travaux. Pour le cas présent, dans la mesure où le droit de tirage permettant aux groupes, en application de l'article 6 bis de notre Règlement, d'obtenir la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information était épuisé, cette solution s'imposait. Les règles habituellement applicables à nos travaux demeurent alors. Certes, j'aurais pu préférer nommer un rapporteur unique ; il m'a semblé naturel d'y associer les deux principaux groupes politiques de notre assemblée. Ne voyez donc dans cette décision aucune habileté de ma part !

S'agissant de la publicité de nos travaux, que plusieurs ont évoquée, permettez-moi d'apporter une précision : la « publicité » de droit commun est celle du compte rendu de nos réunions. Le fait de filmer une audition, comme de l'ouvrir à la presse et au public, solution que je vous propose, relève donc d'une décision ad hoc. Il en va de même pour le huis clos. Je souhaite, en outre, que nos collègues sénateurs qui n'appartiennent pas à notre commission puissent assister, sans prendre la parole bien sûr, aux auditions que nous mènerons et que, madame de la Gontrie, je présiderai. Si vous me le permettez, je qualifierai notre organisation de business as usual. Nos débats internes, en revanche, seront publics mais non filmés, sauf si une décision contraire était prise. Si une personne convoquée souhaitait s'exprimer à huis clos, nous en débattrions. Au même titre qu'une commission d'enquête, nous pourrions néanmoins la contraindre à être entendue publiquement.

Madame Benbassa, nous discuterons ensemble de la liste des personnes auditionnées. Je suis, à cet égard, sensible aux arguments de notre collègue Jacques Bigot : nous devons veiller à ne pas empiéter sur le juge d'instruction. Je m'interroge également sur l'opportunité d'entendre M. Montebourg. La directrice de l'inspection générale de la police nationale (IGPN), le colonel Lavergne du GSPR, ainsi que le secrétaire général de l'Élysée feront en revanche partie de nos premiers invités. Ce dernier devra notamment nous expliquer comment certains collaborateurs ont pu être attachés à la fois au Président de la République et au Premier ministre. C'est une source de confusion, car selon que la décision est prise au nom de l'un ou de l'autre, la responsabilité devant l'Assemblée nationale diffère. Nous devrons également entendre le délégué général d'un parti politique, présent le 1er mai, afin d'éclaircir les relations de travail entre la présidence de la République et ledit parti lors des déplacements du Président de la République. Je souhaite enfin convoquer des préfets, des directeurs départementaux de la police et des colonels de groupement départemental de gendarmerie de départements où ont été organisés des déplacements présidentiels, pour établir le fonctionnement entre les services de l'Élysée et ceux du ministère de l'intérieur en matière de sécurité du Président de la République. Les rapporteurs pourront évidemment compléter le programme que je vous ai exposé.

Mme Esther Benbassa. - Des auditions se tiendront-elles pendant le mois d'août ?

M. Philippe Bas, président. - Le service de la République commande de nous rendre disponibles, ce que nous ferons au besoin. Il ne faut pas, me semble-t-il, laisser passer trop de temps entre la découverte de l'affaire Benalla et les auditions que nous allons mener. Je souhaite, en conséquence, en organiser le plus possible cette semaine et jusqu'au 1er août.

M. Pierre-Yves Collombat. - Il nous faudra ensuite rapidement relancer nos travaux à la rentrée !

M. Jean-Yves Leconte. - Il serait illogique de ne pas tirer les conséquences de l'affaire Benalla avant de procéder à une réforme constitutionnelle. La prochaine Conférence des Présidents devra s'en faire l'écho.

M. Philippe Bas, président. - Il ne fait guère de doute que le Gouvernement devra décaler l'examen de la réforme constitutionnelle par l'Assemblée nationale en septembre, sauf à la faire siéger en août, ce qui m'étonnerait.

M. Jean-Yves Leconte. - Mon intervention ne relevait pas de l'agenda parlementaire mais du contenu de la réforme elle-même.

M. Philippe Bas, président. - Le groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale ne dit pas autre chose. Je me réjouis de cette large convergence de vues... Je l'ai dit dans Le Figaro ce matin. Enfin, il est exact que le contexte de la réforme constitutionnelle a changé.

La réunion est close à 10 h 55.

Mardi 24 juillet 2018

- Présidence de Catherine Di Folco, vice-présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 05

Proposition de loi renforçant la lutte contre les rodéos motorisés - Examen des amendements au texte de la commission

Mme Catherine Di Folco, présidente. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi renforçant la lutte contre les rodéos motorisés. Je rappelle que nous avions décidé d'adopter le texte issu de l'Assemblée nationale sans modification.

Article additionnel après l'article 1er

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - La confiscation des véhicules non soumis à réception circulant sur la voie publique est d'ores et déjà possible en l'état du droit, mais elle n'est obligatoire qu'en cas de récidive. L'amendement n° 1 la rend obligatoire, sauf décision motivée du juge, dès la première contravention. Contrairement à ce qu'indique son objet, cet amendement ne facilitera pas l'intervention des forces de l'ordre. Au contraire, il supprime la précision sur les conditions d'immobilisation et de mise en fourrière de ces véhicules par les forces de l'ordre, préalable indispensable à toute confiscation. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 2 qui comporte des dispositions de nature réglementaire.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.

Article additionnel après l'article 2

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - L'amendement n°  3 vise à étendre à tous les véhicules non soumis à réception l'obligation de déclaration et d'identification administrative. Je vous propose d'interroger le Gouvernement en séance à ce sujet.

La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n°  3.

La commission donne les avis suivants :

Auteur

Avis de la commission

Article additionnel après l'article 1er

Mme KELLER

1

Défavorable

Mme KELLER

2

Défavorable

Article additionnel après l'article 2

M. MARCHAND

3 rect. bis

Avis du Gouvernement

- Présidence de M. François-Noël Buffet, vice-président -

Proposition de loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l'information - Examen des amendements sur le texte de la commission

Mme Catherine Di Folco, en remplacement de M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - M. Frassa m'a demandé de le remplacer comme rapporteur ce matin.

La motion n°  2 vise à opposer l'exception d'irrecevabilité à la proposition de loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Je rappelle que notre commission n'a pas souhaité présenter d'exception d'irrecevabilité et a préféré une motion tendant à opposer la question préalable qui sera discutée en séance avant la discussion des articles. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à la motion n°  2 tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

Proposition de loi relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes - Examen, en nouvelle lecture, des amendements au texte de la commission

Article 1er

Mme Catherine Di Folco, en remplacement de M. François Bonhomme, rapporteur. - Je remplace provisoirement le rapporteur François Bonhomme, retenu. Mme Carrère veut-elle dire un mot de son amendement n°  13 ?

Mme Maryse Carrère. - En guise de compromis avec l'Assemblée nationale, je propose d'accepter le transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement », tout en étendant le mécanisme de la minorité de blocage aux communes membres de communautés d'agglomération, alors qu'il n'est prévu, dans le texte de l'Assemblée nationale, que pour les communautés de communes.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Le rapporteur comprend la logique politique qui sous-tend cet amendement. Encore faudrait-il que la majorité de l'Assemblée nationale et le Gouvernement aient montré le moindre signe d'ouverture sur la question des communautés d'agglomération. Ce n'est malheureusement pas le cas : la rapporteure de l'Assemblée nationale en a fait une « ligne rouge », selon ses propres termes. Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Maryse Carrère. - Je pense que nous le retirerons en séance. Il est néanmoins important d'évoquer à nouveau la situation des communautés d'agglomération en zone rurale, et que la ministre prenne position : par exemple, dans les Pyrénées, une grosse communauté d'agglomération de 126 000 habitants est composée en majorité de communes rurales.

M. Pierre-Yves Collombat. - La position du rapporteur se comprendrait s'il campait sur la position exprimée par le Sénat en première lecture. Mais puisqu'il a décidé de rechercher le compromis avec l'Assemblée nationale, pourquoi refuser cet amendement ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - La semaine dernière, la commission a confirmé son refus du transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes et d'agglomérations. Sur d'autres points, en revanche, le rapporteur a proposé des améliorations qui pourraient être reprises par l'Assemblée nationale.

M. Philippe Bas, président. - La position de notre rapporteur est claire. Lorsqu'un compromis est possible avec l'Assemblée nationale, nous le privilégions ; à l'inverse, si nous savons qu'aucun compromis n'est possible, nous campons fermement sur nos positions. Cet amendement est à mi-chemin entre la position de l'Assemblée nationale et celle du Sénat. Nous savons qu'il ne sera pas retenu par l'Assemblée nationale. Nous préférons donc maintenir la position, plusieurs fois réitérée, du Sénat, en préservant le caractère optionnel du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes et d'agglomération. Si nous modifions notre texte, nous affaiblissons notre position. Mais lorsqu'il y a un espoir que nos amendements soient repris, nous tentons le coup.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je comprends mieux.

Mme Maryse Carrère. - Mon amendement sera l'occasion de demander à nouveau au Gouvernement pourquoi il refuse de prendre en compte le cas des communautés d'agglomération rurales.

La commission demande le retrait de l'amendement n°  13 et, à défaut, y sera défavorable.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements nos  12 et 4, contraires à la position de la commission.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  12 et 4.

Articles additionnels après l'article 1er

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement n°  11 concerne les régies « multiservices ». Je suggère de demander l'avis du Gouvernement.

M. Philippe Bas, président. - La direction générale des collectivités locales a une doctrine qui, de notre point de vue, ne repose sur aucun fondement légal, et selon laquelle il serait interdit de créer une régie commune pour l'eau et l'assainissement, même avec deux budgets distincts. Le Sénat est favorable à ces régies multiservices car elles permettent de mutualiser certaines activités comme la paie, l'informatique, la communication, tout en disposant de budgets clairement différenciés. Mme Gourault semble partager notre point de vue et non celui de son administration...

M. Alain Richard. - Ce n'est peut-être pas le mot de la fin...

M. Philippe Bas, président. - Nous sommes favorables, sur le fond, à l'amendement n° 11 de M. Leroy, mais si la ministre nous dit en séance qu'une loi n'est pas nécessaire et qu'elle s'engage à donner une instruction à son administration dans le sens que nous souhaitons, alors nous demanderons son retrait. C'est pourquoi nous voulons entendre le Gouvernement avant de nous prononcer.

La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n°  11.

M. François Bonhomme, rapporteur. - Veuillez excuser mon retard, indépendant de ma volonté.

Les amendements nos  2 et 3 concernent aussi les régies multiservices mais la rédaction de l'amendement n° 11 est préférable. Retrait sinon avis défavorable.

La commission demande le retrait des amendements nos  2 et 3 et, à défaut, y sera défavorable.

Article 1er quater

M. François Bonhomme, rapporteur. - L'amendement de suppression n°  5, ainsi que les suivants, visent à rétablir le texte de l'Assemblée nationale. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n°  5.

Article 1er quinquies

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n°  6.

Article 1er sexies

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n°  7.

Article 2

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  8.

Article 3

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  9.

Intitulé de la proposition de loi

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  10.

La commission donne les avis suivants :

Auteur

Avis de la commission

Article 1er
Maintien du caractère optionnel du transfert des compétences « eau »
et « assainissement » aux communautés de communes et d'agglomération

Mme Maryse CARRÈRE

13

Demande de retrait

M. de BELENET

12

Défavorable

M. DELCROS

4

Défavorable

Articles additionnels après l'article 1er

Auteur

Avis de la commission

M. Henri LEROY

11

Avis du Gouvernement

Mme CUKIERMAN

2

Demande de retrait

Mme CUKIERMAN

3

Demande de retrait

Article 1er quater
Extension transitoire de la faculté, pour une communauté de communes
ou d'agglomération, de financer les services d'eau
et d'assainissement par leur budget général

M. DELCROS

5

Défavorable

Article 1er quinquies
Reversement du produit des redevances d'occupation du domaine public

M. DELCROS

6

Défavorable

Article 1er sexies
Transfert facultatif du solde budgétaire d'un service public

M. DELCROS

7

Défavorable

Article 2
Gestion des eaux pluviales urbaines

M. DELCROS

8

Défavorable

Article 3
Assouplissement des règles de « représentation-substitution »
au sein des syndicats d'eau et d'assainissement

M. DELCROS

9

Défavorable

Intitulé de la proposition de loi

M. DELCROS

10

Défavorable

La réunion est close à 9 h 30.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de la fédération CFE-CGC, organisation professionnelle de la police nationale

M. Philippe Bas, président. - Cette audition est la première que tient la commission des lois dans le cadre de sa mission d'information avec pouvoirs d'une commission d'enquête, sur l'affaire dite « Benalla ». Ses rapporteurs sont M. Jean-Pierre Sueur et Mme Muriel Jourda. Nous entendrons séparément toutes les organisations syndicales, et chaque audition durera une demi-heure. Leurs représentants auront la parole pour un propos liminaire et il serait bon qu'ils ménagent du temps pour des questions complémentaires.

S'agissant d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment. Je vous indique pour la forme qu'un faux témoignage devant la commission des lois dotée des prérogatives d'une commission d'enquête serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les personnes entendues prêtent serment.

M. Fabien Vanhemelryck, secrétaire général délégué d'Alliance Police nationale. - En tant que syndicalistes, nous n'aurons pas de langue de bois et nous vous donnerons notre version des faits, qui sera largement vérifiable. En tant que syndicat majoritaire, nous ne pouvons être que scandalisés de la situation. Nous avons d'ailleurs tout de suite publié un communiqué en ce sens. Cette situation nous paraissait inadmissible et nous voulions qu'une enquête soit menée ; cela va enfin avoir lieu.

Ce qui nous pose problème, c'est que l'on a encore sali, terni l'image de la police nationale ; en effet, les premières déclarations de certains élus ont fait état d'une bavure policière, de violences policières ; il n'a en aucun cas été question d'un conseiller du Président de la République. Heureusement, on s'est aperçu depuis qu'il s'agissait de M. Benalla, caché sous son casque et déguisé en policier.

Toutefois, le débat n'est pas là ; nous souhaitons que toute la lumière soit faite sur cette affaire et que cela ne se reproduise plus. C'est, à notre connaissance, la première fois que cela arrive, la première fois qu'un observateur se prend pour un interpellateur. Nous souhaiterions qu'une convention spécifique soit conçue pour définir le rôle de l'observateur, afin que les choses soient bien claires ; les observateurs viennent de partout, on ne sait pas qui donne les autorisations ni comment et sous quel contrôle l'observation se déroule.

Enfin, nous voulons comprendre pourquoi M. Benalla s'est permis de faire ce genre de choses ; cela nous dépasse, pour l'instant. On l'a dit, on peut difficilement croire qu'il ait été seul sur le terrain, un observateur est toujours accompagné d'un tuteur. On veut comprendre qui l'a emmené jusque-là, qui lui a donné ce brassard et cette radio de la police. En revanche, il est vrai qu'il devait avoir ce casque, pour se protéger.

Une question revient souvent sur l'absence de réaction des CRS qui étaient autour des évènements. Nous ne voulons pas qu'ils servent de boucs émissaires, de lampistes, dans cette affaire. Avant de les incriminer, il faut connaître leur rôle ; ils travaillent toujours en unités constituées, donc, s'il se passe quelque chose autour d'eux qui ne les concerne pas directement, ils ne réagissent pas, ils ne sont pas là pour ça. Ils ne sont là que pour écouter une seule autorité, leur hiérarchie directe, qui reçoit d'ailleurs les ordres de plus haut.

Par ailleurs, si vous êtes confrontés à la vidéo, fermez les yeux et écoutez les sons ; vous verrez que, ce jour-là, ils prenaient de nombreux projectiles et qu'ils ne pouvaient pas intervenir ni savoir ce qu'il se passait à côté d'eux. Ce n'est pas leur rôle, ils ne sont pas là pour intervenir. Il ne faut pas s'attaquer une fois de plus aux petits sans s'occuper des grands.

M. Olivier Boisteaux, président du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP). - Je vous remercie de nous donner la parole sur un sujet éminemment important pour nous, car il a porté atteinte à nos institutions. L'objet de l'audition est non pas d'entrer dans le détail mais de recentrer le débat sur ce qui nous paraît fondamental, qui est pourtant éludé dans les différentes interventions que l'on entend.

Ce qui importe est, selon nous, de savoir quelles étaient les fonctions, les missions de M. Benalla et d'autres personnes, comme M. Crase. Il suffit de regarder les vidéos et les photographies qui circulent pour le voir : tout en ayant le titre de chef de cabinet adjoint du Président de la République, M. Benalla s'occupait directement de la sécurité rapprochée du Président de la République ; il était, soyons clairs, son garde du corps. On le voit en permanence sur les vidéos à moins de cinquante centimètres du Président. Ce monsieur, même si on nous le présente comme quelqu'un qui s'occupait des bagages des joueurs de l'équipe de France de football - ce qui est étonnant, surtout après sa suspension - avait un titre qui lui conférait un véritable pouvoir, notamment aux yeux de l'autorité que nous incarnons.

Pourtant - c'est là que réside le problème -, il y a au sein du ministère de l'intérieur le service de la protection (SDLP), ancien service de protection des hautes personnalités, qui intègre le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR). Plusieurs dizaines de personnes sont chargées au quotidien de la sécurité rapprochée du Président de la République ; ce sont des policiers ou des gendarmes, à la tête desquels se trouvent un colonel de la gendarmerie et son adjoint, un commissaire de police. Ces agents sont formés et aguerris, ce sont des professionnels de la sécurité. Or on se rend compte qu'un certain nombre de personnes - M. Benalla, M. Crase, peut-être d'autres - ont des prérogatives que l'on n'arrive pas à bien identifier et qui, par leur positionnement et la voix qu'ils portent, celle de la présidence de la République, se voient conférer une autorité naturelle sur des forces de sécurité intérieure, qui devraient avoir cette autorité.

Notre problème est de savoir si ces gens doivent ou non exister. À mon avis, la réponse est claire : on a des gens au GSPR - presque quatre-vingts personnes - qui sont payés par nos concitoyens pour le faire. Pourquoi en employer d'autres ? Y a-t-il une défiance de la présidence de la République vis-à-vis des forces de l'ordre ? Si on ne les utilise pas, il doit y avoir une raison. En outre, cela pose des difficultés à nos collègues chargés de la sécurité du Président de la République ; avoir en permanence dans les pattes des personnes qui se substituent à eux pour faire de la sécurité rapprochée un jour et participer à des réunions de préparation le lendemain doit être assez étonnant.

La confusion des rôles, l'ambiguïté des fonctions de M. Benalla et des gens qui l'entourent posent de graves problèmes sur la lisibilité des instructions qu'ils pourraient être amenés à donner à nos collaborateurs. Je le rappelle, un certain nombre de policiers ont été suspendus et mis en examen pour avoir communiqué des informations indues à M. Benalla. Je veux bien qu'ils aient commis des erreurs, mais, quand des personnes se présentent comme l'émanation de l'autorité suprême et sollicitent des éléments auprès de policiers, il est très difficile d'y résister. Le coeur du problème est donc de savoir quelles sont les missions de ces gens-là et s'ils ont une raison d'être. À mon avis, je le répète, ils n'en ont pas, car le GSPR est chargé de la sécurité rapprochée de la présidence de la République.

M. Philippe Bas, président. - Nous avons beaucoup entendu parler ces derniers jours d'un projet de réorganisation des services de la présidence de la République. Si j'ai bien compris, il s'agirait d'une fusion du commandement militaire du palais et du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), pour autonomiser cette instance à l'égard de la hiérarchie du ministère de l'intérieur. Cela vous semble-t-il positif ? Serait-ce de nature à améliorer la situation ?

M. Jean-Paul Megret, secrétaire national du SICP. - Ce projet a été présenté voilà quelques mois à l'ensemble des organisations syndicales comme un fait accompli. Comme souvent avec les projets présidentiels, c'était non négociable. La direction générale de la police nationale expliquait que le cordon serait coupé avec le service de la protection (SDLP), pour prévoir plus de souplesse dans les recrutements. La fusion avec les autorités militaires de l'Élysée aurait aussi pour but de diversifier les profils : il était question de contractuels, d'anciens militaires voire d'anciens agents de la DGSE, afin d'avoir un panel de qualités complémentaires, au motif que les policiers et gendarmes ne suffiraient pas pour accomplir les missions actuelles.

Ce projet en était à ses débuts, il n'était pas encore définitif, mais on savait que l'autorité de cette unité serait à l'Élysée - directeur de cabinet ou secrétaire général -, pour créer une autorité interne au palais et ne dépendant plus organiquement de la police nationale. On n'a pas mentionné du tout les noms des personnes qui auraient été à la tête de ce groupe.

M. Fabien Vanhemelryck. - Il ne faudrait pas que ce projet, au sujet duquel nous n'avons jamais été consultés, serve de contrefeu, sous prétexte que le GSPR n'aurait pas fonctionné correctement. La police n'est pas coupable, le problème vient d'un conseiller du Président de la République qui s'est permis de faire des choses qu'il n'aurait pas dû faire. Le GSPR n'a rien à se reprocher en la matière, il a toujours été professionnel. Il ne faudrait pas que l'administration prétende régler ce problème au moyen d'une nouvelle réforme qui, en fait, en créerait d'autres. Le système fonctionne, il y a sans doute quelques perfectionnements à apporter - un audit global de la situation serait peut-être opportun -, mais en aucun cas ce projet de fusion ne règlera le problème.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je veux d'abord dire la considération que nous avons pour tous les fonctionnaires de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Ils sont mis à rude épreuve ; il y a une grande confiance en eux.

Lorsque l'on regarde la vidéo, on voit des personnes de la police nationale qui restent statiques, et l'on voit des personnes qui n'en font pas partie qui interviennent de manière assez brutale. Soit il y a matière à intervenir, soit ce n'est pas le cas. Si c'est le cas, pourquoi les policiers n'interviennent-ils pas et pourquoi laisse-t-on des personnes qui ne sont pas membres des forces de l'ordre intervenir ? Je note que vous avez en partie répondu à cette question : nous prenons acte de l'existence de ce qui a été décrit comme une « police parallèle » et des problèmes dans les relations entre les policiers et ceux qui n'appartiennent pas à la police mais donnent des ordres.

M. Fabien Vanhemelryck. - M. Sueur connaît très bien les policiers, je ne lui apprendrai donc pas comment nous fonctionnons. Un document vidéo peut être interprété de diverses façons. La question posée est légitime et la connaissance du rôle des compagnies républicaines de sécurité (CRS) permet d'analyser la situation : des fonctionnaires en civil, munis d'un brassard et d'une radio de police, sont présents dans les manifestations. En aucun cas, nos collègues CRS ne pouvaient donc savoir qu'il s'agissait en l'espèce de faux policiers. Si ce monsieur s'est trouvé au milieu de l'action, c'est qu'il y a eu un autre souci ailleurs, mais jamais du côté des CRS, qui n'interviennent que sur ordre de leur hiérarchie. La manifestation du 1er mai était en outre très difficile - trente interpellations rien que sur la place de la Contrescarpe et des blessés -, il faut donc faire la part des choses.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous avez souligné la confusion qu'il pouvait y avoir lorsque quelqu'un se prévaut de l'autorité suprême et agit en qualité d'émissaire de l'Élysée. Est-ce une constatation d'ordre général ou avez-vous eu connaissance que cette personne se présentait ainsi en opération à vos collègues, comme l'adjoint du chef de cabinet de l'Élysée ?

M. Olivier Boisteaux. - Il faut bien distinguer les situations. Il y a d'une part les actions de terrain, au cours desquelles les CRS obéissent uniquement à leur autorité propre et, d'autre part, les demandes que j'évoquais, en me référant aux deux commissaires de police et au commandant sollicités pour fournir des images. Quand M. Benalla se présente dans une réunion en tant que représentant de la sécurité du Président, on ne sait pas trop de qui il s'agit mais on se sent naturellement obligé de répondre positivement à ses sollicitations. Sur le terrain, en revanche, on est dans une situation parfaitement différente, seule l'autorité directe d'emploi des CRS donne les instructions aux agents.

M. Alain Richard. - L'un de vous a évoqué le fait que, lors des déplacements du Président de la République, vous pouviez penser qu'il y avait plusieurs personnes extérieures au GSPR, en dehors de M. Benalla. Avez-vous des indices précis laissant penser qu'il y aurait un groupe constituant une garde personnelle hors du GSPR ?

M. Hervé Marseille. - M. Benalla disposait d'un téléphone, d'un accès au réseau. S'agit-il du réseau Automatisation des communications radioélectriques opérationnelles de la police nationale, dit Acropol ? Dans ce cas, peut-on avoir accès aux enregistrements ?

M. Patrick Kanner. - Toute vidéo est interprétable, selon vous. Puisque la défense de M. Benalla insiste sur le fait que celui-ci est venu donner un coup de main à des forces de police débordées par la situation, considérez-vous que c'était le cas, au regard de la vidéo ?

Mme Esther Benbassa. - Quelles étaient les relations entre les policiers affectés à la sécurité du Président de la République et M. Benalla ? Il n'a pas pu avoir seul tous ces équipements de police.

M. François Grosdidier. - On parle toujours de son statut d'observateur, mais n'y a-t-il pas aussi en opération des fonctionnaires d'autorité ? Il a été présenté comme chef adjoint de cabinet mais il y a souvent dans les manifestations des membres du corps préfectoral. Y a-t-il une doctrine pour déterminer quand un fonctionnaire ou un contractuel peut ou non donner des ordres à des fonctionnaires sur le terrain ?

Les opérations de maintien de l'ordre sont-elles filmées ? Avec les progrès de la vidéo, y a-t-il un enregistrement systématique ? M. Benalla invoque l'article 73 du code de procédure pénale, qui autorise tout citoyen, en cas de flagrant délit, à interpeller une personne et à la conduire devant un officier de police judiciaire ; les vidéos donnent-elles un fondement à cet argument ?

Mme Laurence Harribey. - Existe-t-il des éléments distinctifs permettant de reconnaître un observateur, et quel est le régime exact de l'activité de ces observateurs ?

Mme Brigitte Lherbier. - Les vidéos transmises sont-elles les originales ? Y a-t-il des copies ? Reste-t-il encore des images à découvrir ?

M. Philippe Bas, président. - Je vais également, à titre exceptionnel, donner la parole à Mme Éliane Assassi, qui est membre d'honneur de notre commission...

Mme Éliane Assassi. - Le ministre d'État, ministre de l'intérieur, a indiqué à plusieurs reprises que l'inspection générale de la police nationale (IGPN) avait été saisie pour enquêter sur les agissements de M. Benalla, qui n'est ni policier ni gendarme. Ne fallait-il pas plutôt saisir l'inspection générale de l'administration (IGA) ?

M. Fabien Vanhemelryck. - Les relations entre nos collègues de la Compagnie de garde de l'Élysée et M. Benalla étaient très mauvaises - je parle au nom des gradés et gardiens. Ce dernier était, selon leurs termes, exécrable ; il avait ainsi du mal à comprendre qu'il faille attendre pour pouvoir passer ou se garer.

En ce qui concerne les observateurs, nous demandons une doctrine, une convention. À notre connaissance, actuellement, il n'y en a pas. Un observateur peut venir de n'importe quel milieu. Cela peut d'ailleurs être très intéressant et nous y sommes favorables, car cela permet d'avoir une autre vision de la police, qui n'a rien à cacher, et de découvrir nos conditions de travail, mais il faut une convention définie.

M. Johann Cavallero, délégué national CRS d'Alliance police nationale. - Lors de la manifestation, des CRS font une sortie pour interpeller l'individu auteur de jets de projectiles et le remettent ensuite aux personnes qui étaient, selon eux, des fonctionnaires de police. Ils retournent alors à leur mission initiale, garder le terrain, car leur rôle premier est de rétablir l'ordre public sur la place de la Contrescarpe, où il y avait de nombreux jets de projectiles, qui ont occasionné beaucoup de blessés.

Les CRS agissent sur instruction de l'autorité civile, soit le préfet, soit le commissaire de police, avec des sommations, tout figure dans les comptes rendus.

Sur la vidéo, chaque compagnie est équipée d'appareils photo ou de caméras, déclenchés selon les circonstances. Des moyens vidéo ont été utilisés par la compagnie concernée. Toutes les sommations ont été indiquées dans le compte rendu. Tout était donc clair et transparent et a été transmis par la compagnie qui était sur le terrain au moment des faits.

M. Fabien Vanhemelryck. - Concernant l'utilisation par M. Benalla du réseau Acropol, les enregistrements vidéo sont conservés durant trente jours et les enregistrements radio durant soixante-deux jours, le délai est donc probablement dépassé. M. Gibelin a répondu à cette question hier lors de son audition à l'Assemblée nationale et on est censé ne pas découvrir d'autres vidéos.

M. Olivier Boisteaux. - Le préfet de police a indiqué hier que des vidéos avaient été retrouvées qui n'auraient pas dû l'être, car leur délai de conservation était largement dépassé...

M. Jean-Paul Megret. - Lorsque l'on parle d'une enquête de l'IGPN sur M. Benalla, il s'agit d'un abus de langage. En réalité, deux services ont été co-saisis dans cette affaire. Les gardes à vue de nos collègues ont été traitées par l'IGPN et la situation de MM. Benalla et Crase a été traitée par un service particulier de la police judiciaire de Paris, la brigade de répression de la délinquance aux personnes, qui a une multitude de compétences, dont les abus de fonction et les abus d'autorité. Cette brigade a été saisie par le parquet de Paris et ce n'est qu'en bout de garde à vue des uns et des autres que tout a été regroupé dans une même commission rogatoire. À moins que les choses soient connexes, la plupart du temps, l'IGPN traite des problématiques liées aux policiers et laisse d'autres services s'intéresser aux autres personnes figurant dans la même affaire.

M. Alain Richard. - Disposez-vous d'indices laissant supposer que d'autres personnes que M. Benalla se substituent au GSPR ?

M. Olivier Boisteaux. - Nous n'avons pas d'indice particulier en ce sens, mais nous voyons sur les vidéos, comme tout le monde, qu'il y avait déjà MM. Benalla et Crase ; il y en a donc au moins deux. Avant ces faits, nous ne connaissions pas même leurs noms.

Audition de la fédération CFDT, organisation professionnelle de la police nationale

M. Philippe Bas, président. - Madame, messieurs, je propose que vous commenciez par une déclaration liminaire ; néanmoins, nous n'avons qu'une demi-heure pour l'audition et il serait souhaitable que vous laissiez du temps pour des questions.

S'agissant d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment. Je vous indique qu'un faux témoignage devant la commission des lois dotée de ces prérogatives est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les personnes entendues prêtent serment.

M. Jean-Marc Bailleul, secrétaire général du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure-Confédération française démocratique du travail (SCSI-CFDT). - La CFDT est une instance, au sein du ministère de l'intérieur, très peu représentée jusqu'à ce jour.

M. Jacob est le secrétaire général de la section Gardiens de la paix, et nous représentons des officiers et des commissaires de police. En effet, selon nous, les sujets du ministère doivent s'extraire d'une analyse purement catégorielle.

Cette affaire montre qu'il est temps que le ministère de l'intérieur se réforme : il se passe des bizarreries que l'on a pu, que l'on a dû, laisser faire.

Nos collègues ont été profondément touchés par cette affaire et par l'image qu'elle donne à l'extérieur de l'institution policière. Deux commissaires et un officier ont fait l'objet d'une suspension pour avoir extrait, d'après ce que l'on sait, une vidéo qui ne fait que confirmer celle filmée par un citoyen le 1er mai lors de la manifestation. Il ne faudrait donc pas déplacer le problème de fond sur cette seule extraction : elle constitue, certes, une faute, mais c'est un sujet accessoire.

Nous avons des questions, qui reflètent la frustration de nos collègues de tous grades et de tous corps. Alors que l'on a un service de professionnels recrutés et sélectionnés, composé d'officiers de gendarmerie et de police et de gardiens de la paix et de gendarmes - le GSPR -, pourquoi prendre un conseiller de sécurité opérationnel sur le terrain ? Il ne doit pas y avoir de confusion des genres ; au moment où l'on envisage, dans le cadre de CAP22, de recruter des contractuels sur des postes de sécurité, cela pose des questions de fond sur le respect des règles déontologiques, principe de base de l'ensemble des policiers, qui doivent s'y soumettre. C'est d'ailleurs le fondement de 70 % des sanctions prononcées au sein de la fonction publique.

Si c'était un gardien de la paix qui avait commis ces violences illégitimes en dehors du cadre légal, une procédure aurait bien entendu été immédiatement engagée : évidemment d'un point de vue administratif, et sûrement pénal. Il y a donc deux poids et deux mesures ; pourquoi n'y a-t-il pas eu, pour M. Benalla, saisine immédiate des instances juridictionnelles indépendantes ?

Comment a-t-on pu doter cet agent de sécurité privée, occupant certes un poste prestigieux à l'Élysée, d'un véhicule équipé « police », tout neuf, alors que les fonctionnaires de police circulent au quotidien dans des voitures de plus de 200 000 kilomètres et en mauvais état ?

Pourquoi M. Benalla a-t-il été doté d'un brassard de police, qui est le symbole d'une fonction que l'on doit respecter et qui nous engage ? Quand on intervient sur la voie publique avec ce brassard, c'est la police que l'on voit et non M. Benalla. Cela a donné une image négative de la police nationale.

Comment a-t-on pu nommer M. Benalla, membre de la réserve opérationnelle de la gendarmerie, ce qui est tout à son honneur - nous prônons d'ailleurs la création d'une réserve de ce type dans la police nationale -, mais au grade de lieutenant-colonel, avec, par-dessus le marché, la qualité d'expert ? Même honorifique, ce n'est pas insignifiant. De quoi peut-on être expert à vingt-six ans, dans le domaine de la sécurité présidentielle ? Il faut plusieurs années pour acquérir de l'expérience et pour pouvoir être sélectionné dans les services de la protection ou de la sécurité du Président de la République !

Cela nous blesse d'autant plus dans le contexte actuel où l'on interdit aux commandants divisionnaires de porter ces galons, parce qu'on nous en estime indignes. Cela crée chez les officiers de police un sentiment d'indignation.

Pourquoi, alors que l'on a 250 000 policiers et gendarmes - nombre élevé par rapport à la population, comparativement aux autres pays européens -, recruter des agents de sécurité privée pour assurer la sécurité du Président de la République ? A-t-on un problème de confiance ? Nous demandons des réponses précises.

Quant à la question de la réserve citoyenne, nous demandons que la liste de ses membres soit rendue publique tout comme celle des spécialistes de la réserve opérationnelle. Je pense que l'on a suffisamment d'experts auprès des tribunaux et dans les forces de police pour ne pas aller en chercher ailleurs qu'il faut rémunérer sans plus-value évidente. Il y a une opacité sur cette question depuis plusieurs années ; nous avons saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), et le ministre de l'intérieur, et la réponse a toujours été négative.

M. Denis Jacob, secrétaire général d'Alternative Police-CFDT. - L'image de la police a été salie, qu'on le veuille ou non. En effet, avant que cette affaire n'éclate, il s'est écoulé deux mois et demi. Pendant toute cette période, pour ceux qui ont vécu cette affaire, c'est d'une bavure policière qu'il s'agissait. Les collègues, gradés et gardiens, sont d'autant plus en colère qu'ils ont été mis en cause à plusieurs reprises lors de manifestations particulièrement violentes, sans parler des attentats.

Les CRS ont une mission, le maintien de l'ordre ; ils sont constitués en unités et ils ne peuvent faire autre chose, notamment pas des missions de sécurité publique. Quand ils interpellent quelqu'un, ils le transmettent à d'autres services de police, en arrière, qui s'occupent de la prise en charge. Ils contiennent les foules et se préoccupent des tentatives de débordement des limites du cortège prédéterminé. Il y a d'ailleurs actuellement une réflexion sur l'adaptation et la redéfinition de la doctrine d'emploi des CRS pour qu'elles puissent intervenir face aux nouvelles contraintes du terrain.

Quand M. Benalla porte les signes distinctifs de la police nationale, il n'y a pas de confusion possible, il est, dans l'esprit des gens, policier. Se pose la question de la différenciation des observateurs. Jusqu'à présent, il n'y avait jamais eu de problème, que ce soit avec des journalistes, des sociologues ou autres. Les observateurs sont strictement encadrés en pratique et disposent de moyens de protection qui ne sont pas sérigraphiés « Police ». Pourquoi cet individu avait-il un casque, un brassard et une radio de la police ?

Le mécontentement est profond à voir M. Benalla disposer d'une Renault Talisman spécialement équipée alors que nos collègues travaillent au quotidien avec des véhicules qui comptent 200 000 ou 300 000 kilomètres au compteur. Ce n'est pas concevable. Cela met en lumière des pratiques qui ne sont pas des pratiques de policier. Je le rappelle, ce sont de hauts fonctionnaires et de hautes personnalités qui sont mis en cause aujourd'hui. Les enquêtes détermineront les responsabilités des uns et des autres, il ne m'appartient pas de le faire, néanmoins, combien de fois a-t-on mis en cause le comportement de policiers de terrain ? On n'a pas attendu, alors, deux mois et demi pour les mettre en garde à vue, les interroger, les mettre en examen, les suspendre, les soumettre à une enquête de l'IGPN, bref pour prendre toutes les mesures conservatoires qui s'imposent en pareil cas. Encore une fois, il y a deux poids et deux mesures...

M. Julien Morcrette, secrétaire général adjoint d'Alternative Police-CFDT. - La sécurité du Président de la République revêt un caractère éminemment régalien et l'orientation vers le recrutement d'agents contractuels ou de sécurité privée pour assurer ces missions ébranle la sécurité de l'État et de ses institutions.

Plusieurs questions se posent. Comment M. Benalla a-t-il pu s'attribuer des missions à caractère régalien, sans aucun contrôle ? Avait-il une fiche de poste, une feuille de mission ? C'est une question que cette commission devrait, selon moi, élucider.

M. Philippe Bas, président. - Ce n'est pas sans raison que la commission des lois du Sénat a choisi de vous entendre avant toutes les personnalités qui ont été convoquées. C'est une manière pour nous d'assurer la police nationale et la gendarmerie, qui n'a bien sûr pas d'organisation syndicale, de notre profond respect, de notre soutien, et de notre attention aux conditions de mise en oeuvre de leurs responsabilités. Sur la question des moyens de la police et de la gendarmerie, vous nous trouverez toujours à vos côtés.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - J'ai cru comprendre que le statut d'observateur n'était guère défini, mais vous avez dit que l'observateur est normalement encadré. Pouvez-vous m'en dire plus à ce sujet et sur le fait qu'un accompagnateur ait ou non existé pour M. Benalla ?

M. Denis Jacob. - Je répondrai de manière générale, car je ne connais pas ce qui s'est fait pour M. Benalla. Généralement, il s'agit de demandes de journalistes ; ces derniers sollicitent une autorisation du cabinet du préfet de police pour accompagner un service de police dans le cadre d'un reportage. S'il y a lieu, la direction spécifique est consultée, puis l'observateur est placé sous la responsabilité d'un agent de police, généralement un gradé ou un officier, voire un commissaire de police. Ce dernier doit indiquer à l'observateur qu'il ne peut pas agir de manière libre et qu'il est soumis aux règles de fonctionnement des unités de police. Il ne peut pas aller et venir, comme on le voit sur la vidéo. M. Benalla aurait dû rester auprès de son référent et observer. S'il n'y a pas de statut légal de l'observateur, il y a tout de même un cadre de fonctionnement défini.

M. Jean-Marc Bailleul. - On a entendu, dès le début de cette affaire, qu'il faudrait un statut ou une tenue. Mais cela se passait toujours bien jusqu'ici, que l'observateur soit un journaliste, un magistrat ou un parlementaire ; ne créons pas une nouvelle usine à gaz coûteuse pour tenir compte d'exceptions. La vraie question est : qui était le référent de M. Benalla ? C'est forcément quelqu'un de la direction de l'ordre public de la préfecture de police qui était à proximité.

Les CRS sont soumis à l'autorité civile. Quand ils sont dans leur mission, s'ils voient agir un policier - en l'occurrence, ils pensaient voir un policier - ce n'est pas à eux de mettre fin à ses agissements. Ce ne pouvait être qu'à l'autorité de ce policier en civil d'intervenir. Les CRS ne peuvent pas être en sécurisation et en même temps intervenir pour mettre fin aux agissements d'un collègue d'un autre service.

Nous voulons profiter de cette occasion pour souligner l'excellence du rapport sénatorial sur les moyens des forces de sécurité. Beaucoup de nos constats y ont été repris. J'espère qu'on en tirera les conséquences pour être plus rationnel et efficace.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Quelle était la qualité des relations de vos collègues de la police nationale avec M. Benalla ?

Comme il n'avait pas de raison de donner des ordres à des agents de la police nationale ou de la gendarmerie, certains ont-ils manifesté leur refus d'obéir ?

Ne vous paraîtrait-il pas opportun que l'on réfléchisse à ce qu'il n'y ait que des fonctionnaires de la gendarmerie nationale et de la police nationale pour assurer la sécurité du Président de la République et des ministres ?

M. Jean-Marc Bailleul. - Il a été répondu à la dernière question, nous sommes bien entendu d'accord. Il s'agit d'une mission régalienne pour laquelle les agents sont sélectionnés, formés, et doivent rendre des comptes, conformément aux règles déontologiques qui s'appliquent à eux.

Sur le refus d'obéir, je crois que c'est arrivé à l'aéroport de Roissy, si j'en crois la presse. M. Benalla a, semble-t-il, voulu s'immiscer dans l'organisation du départ des joueurs de l'équipe de France de football et un officier de gendarmerie lui a rappelé qu'il était le chef et qu'il n'avait pas d'ordre à recevoir de lui. Je pense que cet officier doit pouvoir être facilement retrouvé et confirmer cela.

Sur les relations de la police nationale avec M. Benalla, nous avons eu des remontées du terrain, et pas seulement d'agents de police. Les interférences et les interventions se produisaient y compris en présence de hauts responsables de la police nationale, ce qui est d'autant plus gênant. Si tel a été le cas, au GSPR, au SDLP ou ailleurs, y a-t-il eu des signalements auprès des autorités supérieures du ministère de l'intérieur pour dénoncer ce comportement indigne ? Imaginons l'inverse, si un agent de police contredisait les ordres de son supérieur, cela ne durerait pas longtemps. Là encore, il y a deux poids et deux mesures.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je m'associe aux propos du président de la commission sur notre confiance dans les forces de l'ordre.

Ce qui m'interpelle le plus dans cette affaire, c'est que M. Benalla ait été comme un poisson dans l'eau au ministère de l'intérieur. On ne savait pas qui il est, mais on l'a équipé, on l'a laissé participer à des opérations de maintien de l'ordre et à des « débriefings », avec pour seul laissez-passer son appartenance au cabinet du Président de la République. Je pensais que le chef de la police nationale et de la gendarmerie était le ministre de l'intérieur, non le Président de la République. Comment se fait-il qu'il ne se soit jamais rien passé ?

Mme Josiane Costes. - La présence d'observateurs extérieurs dans les manifestations est-elle fréquente ? Si oui, quand les forces de l'ordre sont-elles prévenues de leur présence ?

Mme Esther Benbassa. - Monsieur Bailleul, vous avez évoqué, lors d'un entretien sur RMC-BFMTV, la participation de M. Benalla à des réunions alors qu'il était mis à pied ? Confirmez-vous ou infirmez-vous cela ?

M. Jean-Luc Fichet. - M. Benalla mettait-il un uniforme de gendarmerie avec les galons de lieutenant-colonel et pouvait-il s'en prévaloir lors de cérémonies ?

Comment circulent les observateurs ? On comprend qu'il y a une règle mais on constate que M. Benalla accédait à des réunions stratégiques où on ne lui demandait aucun compte. Il lui suffisait d'indiquer qu'il représentait le cabinet du Président de la République pour avoir porte ouverte.

M. Éric Kerrouche. - Quels sont les équipements mis à la disposition des observateurs dans le cadre des opérations auxquelles ils sont amenés à participer ?

M. François Grosdidier. - Je vous remercie de l'hommage rendu aux travaux de notre commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure, qui a mis en lumière diverses difficultés auxquelles sont confrontées la police et la gendarmerie, notamment une transparence insuffisante des procédures de commandement lorsque la police n'est pas dirigée par des policiers. Le problème soulevé par l'affaire Benalla relève-t-il du statut des observateurs, ou, plus largement, de l'existence d'une hiérarchie non policière, exception faite de la position particulière du corps préfectoral ? Est-il fréquent que des policiers reçoivent des ordres directs de personnes n'appartenant pas à leur hiérarchie ?

Mme Nathalie Delattre. - Nous avons connaissance, s'agissant des événements du 1er mai sur la place de la Contrescarpe, des images issues des caméras de vidéosurveillance de la préfecture de police et d'une vidéo amateur. Il semblerait toutefois que la compagnie de CRS présente sur les lieux fût également sous vidéo-surveillance. Avez-vous connaissance de l'existence de cette bande et de son éventuelle utilisation par la justice ?

Mme Brigitte Lherbier. - Vous avez estimé insuffisamment transparentes les modalités de recrutement dans la réserve citoyenne. J'en suis membre et puis vous assurer que j'ai dû à cet effet fournir de nombreux documents !

M. Christophe Rouget, secrétaire national SCSI-CFDT. - Je vous crois volontiers ! La réserve opérationnelle, qui gagnerait à être fusionnée entre police et gendarmerie, compte 30 000 membres, dont l'utilité n'est plus à prouver. La réserve citoyenne, qui a pour vocation de rapprocher l'armée de nos concitoyens, comprend notamment 1 500 officiers de gendarmerie, qu'il conviendrait de mieux identifier. Nous avons, à cet égard, exigé davantage de transparence mais nulle autorité n'a accédé à nos demandes. Combien, pourtant, existe-t-il d'Alexandre Benalla au sein de la réserve citoyenne ? Il était, semble-t-il, l'un de ses soixante-quatorze experts : à quel titre et selon quelles conditions l'est-il devenu ? Je m'interroge. Doit-il sa nomination à sa seule proximité avec le Président de la République ? Cette question mérite une réponse.

M. Jean-Marc Bailleul. - Certains agents ont, monsieur le rapporteur, refusé d'obéir aux ordres de M. Benalla, qui se trouvait effectivement, monsieur Collombat, comme un poisson dans l'eau au plus haut niveau des autorités de l'État. Il disposait même d'un badge d'accès à l'Assemblée nationale alors que nous, qui certes sommes armés, devons pour nous y rendre nous plier à diverses procédures. Il bénéficiait de multiples autorisations et obtenait divers passe-droits en agitant sa carte professionnelle de chef adjoint de cabinet de l'Élysée, qui impressionnait bien des agents. Un débriefing de manifestation rassemble à peine une quarantaine de personnes. Or, M. Benalla y était régulièrement présent, y compris lors de celui relatif à la journée du 1er mai.

Madame Benbassa, nos collègues du GSPR nous ont indiqué que M. Benalla se comportait comme un véritable cador. Il s'est rendu sur plusieurs opérations, y compris au cours de sa suspension, selon la version fournie par Alain Gibelin, directeur de l'ordre public et de la circulation (DOPC) à la préfecture de police de Paris, à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. J'ai relayé cette information lors de l'émission télévisée que vous avez mentionnée mais, depuis, l'intéressé a démenti son propos. Quoi qu'il en soit, chacun a pu l'apercevoir auprès du bus de l'équipe de France de football, à une date à laquelle il était censé exercer des tâches strictement administratives.

M. Denis Jacob. - Les agents ne sont pas prévenus de la présence d'un observateur, puisque ce dernier, qui doit demeurer en retrait, se trouve placé sous la responsabilité d'un référent. Un équipement de protection lui est fourni si un risque est avéré mais, en aucun cas, le matériel ainsi prêté n'est siglé.

Il est exact, madame Delattre, que les CRS sont équipés de moyens vidéo mobiles, mais en nombre insuffisant pour permettre la couverture de l'ensemble des opérations. Les événements de la place de la Contrescarpe n'ont ainsi pas forcément été filmés. Pour autant, il me semble que les images de vidéosurveillance dont nous avons connaissance témoignent bien à elles seules des faits.

M. Jean-Marc Bailleul. - Seules deux sections de CRS étaient présentes place de la Contrescarpe. Or, le matériel vidéo n'est utilisé que lorsque la compagnie se trouve au complet, en unité constituée.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie pour vos précisions et votre témoignage.

Audition de la fédération de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), organisation professionnelle de policiers

M. Philippe Bas, président. - Nous accueillons les représentants de la fédération de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) de la police. Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant la commission des lois dotée des prérogatives d'une commission d'enquête serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les personnes entendues prêtent serment.

M. Philippe Capon, secrétaire général de la fédération FASMI et du syndicat UNSA Police. - Je vous remercie de nous entendre. L'UNSA-FASMI représente l'ensemble des corps et des métiers de la police nationale, qui s'exercent tous dans un cadre complexe, engageant et éloigné des horaires de travail habituels, pour un salaire de base peu élevé. Représentez-vous que les CRS présents sur la place de la Contrescarpe le 1er mai se trouvaient en vacation depuis plus de seize heures ! Le métier de policier est difficile et dangereux, d'autant plus depuis 2015 et les attaques terroristes dont les forces de l'ordre sont fréquemment la cible. Ce contexte explique sans doute les difficultés de recrutement observées depuis plusieurs mois, au point de conduire le ministère de l'intérieur à financer une campagne de communication à un million d'euros. Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure a, à cet égard, remarquablement saisi le malaise policier.

Je fus auditeur, pendant la session 2017-2018 - promotion colonel Beltrame -, à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) dont plusieurs stagiaires ont participé en immersion à des opérations auprès des forces de l'ordre sans qu'aucun incident n'ait été signalé.

Je peux personnellement témoigner du déroulement d'une telle mission d'observation au sein de la brigade anti-criminalité (BAC) du Val-de-Marne : après avoir été contacté par la préfecture de police, rendez-vous est pris pour participer à une opération précédée d'un briefing sur la sécurité et d'instructions claires. En termes d'équipement, seul est fourni au stagiaire un gilet pare-balles ; ni radio, donc, ni brassard. Compte tenu du grand nombre de services en charge du maintien de l'ordre à Paris, une confusion sur le terrain semble cependant possible. Le maintien de l'ordre relève de la DOPC, mais les compagnies de CRS prennent leurs ordres d'un commissaire ad hoc. Peuvent également être présents des agents des compagnies d'intervention ou de la police scientifique. La neuvième recommandation émise par le groupe de travail précité de l'INHESJ consistait d'ailleurs à clarifier, lors d'une opération, les missions des différentes unités engagées.

En somme, même s'il n'était qu'observateur, Alexandre Benalla a pu aisément passer le 1er mai, aux yeux des CRS, pour un policier en civil. Du reste, lorsqu'ils lui ont confié une personne arrêtée, ce dernier ne leur a pas indiqué que cela outrepassait ses prérogatives de simple observateur. Il agissait d'ailleurs davantage comme un agitateur excité que comme un observateur...

Cette affaire, certes grave dans les faits, apparaît surtout révélatrice d'un mode de fonctionnement inacceptable, qui discrédite l'ensemble des forces de sécurité, et des regrettables habitudes du ministère de l'intérieur, entre politique de l'autruche et renvoi à d'autres des prises de décision majeures.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Notre commission apporte une grande considération et une immense confiance à la police nationale, dont elle a conscience des difficultés d'exercice. Il apparaît évidemment nécessaire de clarifier un fonctionnement à certains égards par trop obscur. À votre connaissance, quelles relations entretenaient vos collègues policiers avec Alexandre Benalla ? Certains, notamment au sein du GSPR, ont-ils refusé de céder à des injonctions ou à des commandes ne provenant pas de leur hiérarchie ? La loi devrait-elle obliger, selon vous, à ce que la sécurité du Président de la République et des hautes personnalités de l'État soit uniquement assurée par des fonctionnaires de police et de gendarmerie ?

M. David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). - Les relations entre la police et M. Benalla doivent être éclaircies. À la différence des CRS de la place de la Contrescarpe, les cadres de la préfecture de police le connaissaient, de toute évidence, puisqu'il était régulièrement présent à des réunions de préparation et à des débriefings. Il apparaissait certainement, comme conseiller du Président de la République, comme une autorité à la présence de laquelle il était impossible de s'opposer puisqu'elle avait été validée au plus haut niveau. Si des policiers ont fauté, ils devront en assumer les conséquences. Certains, toutefois, se sont opposés à M. Benalla, notamment lors du retour de l'équipe de France après la coupe du monde de football : un conflit a ainsi opposé ce dernier à des gendarmes sur le tarmac de Roissy. Cet épisode, fut, je crois, la goutte d'eau, qui incita nombre de collègues à témoigner du comportement de M. Benalla. Évidemment, monsieur le rapporteur, la mission régalienne de protection des personnalités de l'État doit être confiée aux seuls gendarmes et policiers.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je me joins au propos de mon collègue Jean-Pierre Sueur à propos du respect que nous portons aux forces de l'ordre. Vous affirmez que les CRS pouvaient ignorer que M. Benalla n'était pas policier. Comment était-il alors encadré en tant qu'observateur ?

M. Philippe Capon. - Les CRS nous ont assurés de leur ignorance ! Du reste, ils ne lui auraient sinon pas remis une personne interpellée, même si, pendant une manifestation, les événements se succèdent à une vitesse folle. Le fait qu'Alexandre Benalla ait été accompagné de deux autres individus, un major de la DOPC et un réserviste de la gendarmerie nationale, a pu également les induire en erreur. Les moyens vidéo et photographiques des CRS permettront, sans nul doute, de confirmer leur version.

M. Loïc Hervé. - Je rejoins votre description des conditions d'accueil d'un stagiaire de l'INHESJ en opération : je l'ai vécue. Je puis d'ailleurs vous confirmer qu'il n'existe normalement aucune possibilité de prêter, dans ce cadre, main forte aux forces de l'ordre ! Je suis, pour ma part, convaincu que M. Benalla, détenteur d'un permis de port d'arme, habilité secret défense et lieutenant-colonel de la réserve spécialisée, représente l'exemple parfait de la théorie de l'apparence, selon laquelle il suffit d'avoir l'air, aux yeux de l'autre, pour être réellement. J'aimerais enfin connaître votre opinion, à la lumière du cas Benalla, sur le fonctionnement de la réserve spécialisée.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Avez-vous eu connaissance de la présence de M. Benalla sur d'autres manifestations ? Des photographies et des vidéos circulent, mais je ne suis pas certaine de leur véracité...

M. Pierre-Yves Collombat. - Devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris, a dénoncé un copinage malsain entre collaborateurs de l'Élysée et fonctionnaires de police. Qu'en pensez-vous ?

Mme Brigitte Lherbier. - Les points de vue des protagonistes de l'affaire divergent notamment sur les débordements qui auraient eu lieu ou non place de la Contrescarpe le 1er mai. Quelle définition peut être donnée d'un débordement ? Une procédure est-elle prévue pour demander des renforts dans ce cas ?

M. Alain Marc. - Sur les images vidéo de la place de la Contrescarpe, les CRS paraissent calmes alors qu'Alexandre Benalla semble particulièrement agité. Ce comportement m'apparaît psychologiquement étrange. Quelle est votre opinion ?

Mme Nathalie Delattre. - Vous confirmez donc que des images ont été réalisées par les CRS présents... Pourriez-vous nous préciser l'identité des personnes, qui composaient ce que j'appellerais le « commando Benalla » ?

Mme Esther Benbassa. - Qui a pu mandater Alexandre Benalla, sans diplôme ni titre le justifiant, pour qu'il participe à de telles opérations ?

M. Philippe Capon. - Monsieur Hervé, la réserve spécialisée ressort de la gendarmerie. Les titres qui y sont obtenus dépendent de conditions de diplôme et d'expérience professionnelle. Il est cependant possible de s'interroger sur le grade obtenu par Alexandre Benalla au regard de son jeune âge...

Un débordement, madame Lherbier, correspond à un recul non maîtrisé des forces de l'ordre face à des manifestants. Le 1er mai, place de la Contrescarpe, la situation ne relevait indéniablement pas d'un débordement.

Je crois effectivement, madame Delattre, que les CRS disposent d'images de l'événement. Quant aux individus qui accompagnaient Alexandre Benalla, ainsi que le préfet de police l'a indiqué devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, il s'agit de MM. Vincent Crase et Philippe Mizerski.

M. David Le Bars. - Alexandre Benalla a, bien évidemment, participé à d'autres opérations de maintien de l'ordre ou de service d'ordre, notamment dans le cadre de déplacements présidentiels. Ce fut par exemple le cas de l'entrée au Panthéon de Simone Veil. Les policiers concernés assumeront leurs dérives individuelles, selon l'expression de Michel Delpuech. Je tiens néanmoins à préciser qu'un homme comme Laurent Simonin, chef d'état-major à la DOPC, demeure bien éloigné du haut de la pyramide... En tant que correspondant de l'Élysée au sein de la préfecture de police, mission pour laquelle la qualité de son service était d'ailleurs reconnue par ses supérieurs, il a, comme tous les cadres de la préfecture de police, fait connaissance avec Alexandre Benalla. Pour autant, sa position ne lui permettait nullement d'accéder à toutes les demandes de l'intéressé. Je reste prudent, mais les responsabilités devraient être recherchées au-delà d'un commissaire de la DOPC...

M. Benjamin Gayrard, secrétaire général du Syndicat national des personnels de police scientifique (SNPPS). - S'agissant des personnes extérieures au maintien de l'ordre présentes lors de manifestations, le SNPPS a dénoncé l'absence de formation, en la matière, du personnel de la police scientifique, habituellement déployé sur les lieux pour capter des images ou réaliser des prélèvements.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie pour vos réponses.

Audition de la fédération de Force ouvrière (FO), organisation professionnelle de policiers

M. Philippe Bas, président. - Nous accueillons enfin les représentants de la fédération de Force ouvrière (FO). Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant la commission des lois dotée des prérogatives d'une commission d'enquête serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les personnes entendues prêtent serment.

M. Yves Lefebvre, secrétaire général de la FSMI-FO. - L'affaire Benalla défraie la chronique chez les gardiens de la paix. Elle révèle un climat de suspicion et une rupture de confiance avec leur hiérarchie. Les policiers, soumis à des contraintes effrénées depuis les attaques terroristes, s'interrogent sur les décisions prises en amont du 1er mai et qui ont conduit au dérapage de M. Benalla. Les faits progressivement révélés donnent la désagréable impression qu'existe, au plus haut niveau de l'État, une police parallèle emmenée par des barbouzes. Les policiers attendent des réponses. Quels sont notamment les liens, qui unissaient les responsables de la préfecture de police de Paris et Alexandre Benalla ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Soyez assurés, messieurs, de l'intérêt et de la considération que nous portons aux forces de l'ordre. Comment se définit le statut d'observateur ? Son accompagnement est-il, à votre connaissance, systématique ?

M. Yves Levebvre. - Il n'existe aucun statut d'observateur à proprement parler. Il s'agit souvent de journalistes, de magistrats et de stagiaires de l'INHESJ. En opération, leur est fourni un équipement de protection - le fait qu'Alexandre Benalla porte un casque le 1er mai ne me choque donc pas - et, parfois, un brassard de police, afin d'indiquer que l'observateur est en droit de se trouver auprès des forces de l'ordre. Bien sûr, sauf en cas de débordement - ce qui n'était pas le cas place de la Contrescarpe - et en application du code de procédure pénale, il ne peut intervenir.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - À votre connaissance, quelles relations entretenaient vos collègues policiers avec Alexandre Benalla ? Certains, notamment au sein du GSPR, ont-ils refusé de céder à des injonctions ou à des commandes ne provenant pas directement de leur hiérarchie ? La loi devrait-elle obliger, selon vous, à ce que la sécurité du Président de la République et des hautes personnalités de l'État soit uniquement assurée par des fonctionnaires de police et de gendarmerie ?

M. Yves Levebvre. - Les langues se délient progressivement s'agissant des relations entre les membres du GSPR et M. Benalla. En réalité, d'après les propos qui nous sont rapportés, ce dernier faisait régler un climat de terreur au sein du GSPR, pouvant aller jusqu'à insulter gradés comme gardiens de la paix. Il n'est, normalement, pas question qu'un policier obéisse à un individu n'appartenant pas à sa hiérarchie - exception faite des membres du corps préfectoral, qui, pour autant, ne donnent pas d'ordre direct. Or, Alexandre Benalla usait constamment de l'intimidation et jouait de ses relations pour parvenir à ses fins. Il avait ainsi récemment tenté de modifier l'organisation de la sécurité du fort de Brégançon, mais un syndicat de policiers, légitimement, s'y est opposé. N'oublions pas que, même s'il était hors de la chaîne hiérarchique, Alexandre Benalla avait le titre, très impressionnant pour un simple gardien de la paix, de chef adjoint de cabinet du Président de la République. Il incarnait en quelque sorte le pouvoir !

M. Alain Richard. - Vous avez semblé associer le terme de barbouze à d'autres individus. Des comparses de M. Benalla ont-ils aussi agi hors de toute hiérarchie policière ?

M. Pierre-Yves Collombat. - Vous avez évoqué l'existence d'une police parallèle mais, à ma connaissance, le propre des parallèles est de ne jamais se croiser. Or, les deux polices se sont visiblement rejoint à la préfecture de police... Michel Delpuech a, à cet égard, dénoncé un copinage malsain. Comment M. Benalla, vulgaire usurpateur, a-t-il pu gagner un tel ascendant sur la hiérarchie policière ? Comment désormais clarifier le rôle de chacun, afin de sortir de l'ambiguïté dont s'est servi Alexandre Benalla ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Depuis combien de temps avez-vous connaissance de l'existence de M. Benalla à l'Élysée ?

Mme Brigitte Lherbier. - Vous niez qu'il y ait eu le moindre débordement place de la Contrescarpe. Pourtant, là réside la défense des avocats de M. Benalla...

M. Alain Marc. - Vous semble-t-il normal, même si la valeur n'attend point le nombre des années, qu'un homme de vingt-six ans soit chargé de réorganiser le GSPR ?

Mme Marie Mercier. - Avez-vous, au cours de votre carrière, déjà eu affaire à des comportements similaires ?

Mme Laurence Harribey. - Comment le système a-t-il pu permettre le développement de comportements à ce point déviants ?

M. Yves Lefebvre. - Outre Vincent Crase, il semblerait selon certains qu'un groupe de personnes privées, des civils hors de toute hiérarchie policière ou militaire, agisse au sein du GSPR. Il s'agirait de véritables barbouzes agissant sans habilitation, des vigiles employés par M. Benalla !

M. Philippe Bas, président. - Cette information est importante ! Pouvez-vous la sourcer ?

M. Yves Lefebvre. - Elle provient de collègues syndiqués et de nos représentants locaux. Les tensions entre les fonctionnaires du GSPR et M. Benalla et ses comparses étaient telles que fut envisagée la réorganisation de la sécurité du Président de la République à Brégançon.

M. Philippe Bas, président. - Quel est le nombre desdits comparses ?

M. Yves Lefebvre. - Nous vous enverrons sans délai des informations plus précises. Les langues se délient et la chape de plomb, qu'explique le devoir de réserve des membres du GSPR, se soulève progressivement...

M. Daniel Chomette, secrétaire général délégué de la FSMI-FO. - Compte tenu de la sensibilité de l'affaire, du poste occupé par M. Benalla et de son comportement, il est difficile d'obtenir des informations... Personne, à l'époque, n'allait se répandre sur les travers du personnage... Désormais, nous découvrons que d'autres couacs ont émaillé certaines opérations.

M. Philippe Bas, président. - De quels couacs parlez-vous ?

M. Daniel Chomette. - Régulièrement, Alexandre Benalla participait à des opérations sur lesquelles il tentait de prendre la main en lieu et place des gradés. Mais les policiers et les gendarmes ont souvent refusé d'obéir.

Mme Esther Benbassa. - Pourquoi, au fond, avoir installé une sécurité privée à l'Élysée aux côtés des fonctionnaires du GSPR ?

M. Yves Lefebvre. - Vous devriez poser la question au Président de la République ou à son directeur de cabinet ! Les informations sortent peu à peu...

Pour répondre à Mme Eustache-Brinio, j'ai pour ma part rencontré M. Benalla près de l'Élysée, où je me rendais pour une rencontre syndicale avec le Président de la République. J'ai cru alors qu'il était policier au GSPR et n'ai compris ma méprise qu'en voyant il y a quelques jours son portrait dans les journaux.

Madame Mercier, en trente-six ans de métier et de nombreuses opérations de maintien de l'ordre, je n'ai jamais observé de comportement comme celui de M. Benalla ! Cet homme est lieutenant-colonel à vingt-six ans ! Chez FO, nous devons lutter pour que nos collègues obtiennent le grade supérieur : pour devenir brigadier-chef, l'attente atteint au minimum quinze à vingt ans. Le grade de M. Benalla, obtenu grâce à une expertise incertaine, représente une insulte aux gendarmes !

Le 1er mai, madame Lherbier, les effectifs des forces de l'ordre étaient convenablement dimensionnés ; à la Contrescarpe, les CRS n'ont pas été débordés. Ce sont, comme les gendarmes mobiles, des professionnels reconnus dans le monde entier en matière de maintien de l'ordre. L'histoire des débordements n'est rien de moins qu'un argument d'avocat !

M. Philippe Bas, président. - Nous vous remercions pour votre franchise et votre courage.

Ces points de l'ordre du jour ont fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 16 h 35, est reprise à 17 h 45

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur

M. Philippe Bas, président. - Monsieur le ministre d'État, le Sénat a conféré hier, à l'unanimité, les pouvoirs d'investigation d'une commission d'enquête à notre commission des lois. Les personnes que nous auditionnons doivent donc prêter serment. En cas d'obstruction, de mensonge, de refus de déférer à une convocation, des sanctions pénales, certaines allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, peuvent leur être appliquées. Nos auditions sont publiques et ouvertes à la presse. Les sénateurs qui ne sont pas membres de la commission des lois y sont les bienvenus ; en principe, ils ne peuvent poser de question, mais je suis prêt à permettre une question par groupe. Ces questions, toutefois, ne relèveront pas du régime de la commission d'enquête.

L'objet de nos auditions est triple. D'abord, vérifier la réalité des faits ; lever les contradictions apparues dans les réponses faites par les différentes personnalités déjà entendues par la commission des lois de l'Assemblée nationale ou dans les réponses publiquement apportées en dehors de cette commission d'enquête ; apporter des précisions quand il sera apparu que certaines réponses comportaient trop de conditionnel, de « semble-t-il » ou d'approximations. Deuxièmement, soulever toutes questions sur les dysfonctionnements et les violations de la répartition des pouvoirs constitutionnels entre le Président de la République et le Gouvernement, seule autorité responsable de l'administration en vertu de l'article 20 de la Constitution. Enfin, soulever toutes questions sur l'organisation de la sécurité du Président de la République qui, en régime républicain, n'est pas une affaire privée mais une affaire d'État, devant être gérée par des professionnels sélectionnés, formés, qualifiés, entraînés et coordonnés par ceux dont c'est la compétence.

Selon la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur prête serment.

M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - J'ai longtemps siégé dans cette commission des lois et je ne pensais pas y revenir dans de telles circonstances ! Mais l'on se fait à tout...

Je tiens d'abord à vous dire ma volonté d'apporter au Sénat, comme je l'ai fait hier à l'Assemblée nationale, tous les éléments susceptibles de l'éclairer sur l'objet de cette mission. Je condamne avec la plus grande fermeté les actes auquel s'est livré M. Benalla le 1er mai dernier, qui sont inacceptables et contraires à mes valeurs. Notre objectif est donc le même : la transparence et la vérité. Il n'appartient à personne, en dehors des forces de sécurité, de gérer l'ordre public.

Ce 1er mai aurait pu être axé sur les revendications syndicales, mais un certain nombre d'individus en avaient décidé autrement. Dès le début de la manifestation, un avant-cortège se forme, plus important que le cortège lui-même, et comportant 1 200 Black Blocs encagoulés, qui traversent le pont d'Austerlitz et gagnent le boulevard de l'Hôpital où ils se livrent à un déferlement de violence, saccageant plusieurs commerces, notamment un McDonald's et un concessionnaire automobile. Tous les Français ont encore à l'esprit ces images d'une violence inouïe. Grâce à un dispositif de maintien de l'ordre important, mobilisant 1 500 policiers et gendarmes, la progression des fauteurs de troubles est stoppée, mais une partie d'entre eux poursuivent la casse place de la Contrescarpe. Leur projet était d'aller jusqu'au commissariat du 13ème arrondissement, que nous venions d'inaugurer, pour l'incendier.

À 19 h 30, je me trouve à la préfecture de police pour faire le point sur les événements de la journée avec le préfet de police, dans son bureau. Nous gagnons ensuite ensemble la salle de commandement pour suivre les affrontements, qui se poursuivent alors place de la Contrescarpe. Nous saluons la quarantaine de personnes présentes, parmi lesquelles se trouvait M. Benalla, dont je pensais alors qu'il était un policier chargé de la sécurité du président. Je l'avais croisé pendant la campagne présidentielle, mais toujours parmi des dizaines de personnes chargées de la sécurité du candidat : policiers, agents de sécurité, service d'ordre d'En Marche... M. Gibelin et son adjoint me présentent le dispositif, puis nous fixons notre attention sur les écrans car les violences continuent, avec utilisation de mobilier urbain pour tenter d'ériger des barricades. Des interpellations sont toujours en cours, notamment dans le secteur de la Contrescarpe : sur les 276 interpellations du jour, 31 ont lieu sur la seule place de la Contrescarpe.

Les opérations terminées, je rentre à Beauvau puis, à 23 heures, je me rends avec le Premier ministre et le préfet de police au commissariat du 13ème arrondissement de Paris. Nous saluons les troupes présentes et discutons avec elles sur les événements de la journée.

Le lendemain matin 2 mai, dès 7 h 30, je participe à l'émission « Les quatre vérités » sur France 2, où j'ai l'occasion de revenir sur les événements de la veille et sur leur gestion par les forces de l'ordre. À 8 h 30, revenant de cette émission, je préside une réunion d'État-major avec les principales directions du ministère. Nous évoquons les événements qui ont émaillé le 1er mai. Au moment où l'ordre du jour concernant le 1er mai est épuisé, je laisse la présidence à mon directeur de cabinet et vais m'entretenir avec la directrice de la police judiciaire et le directeur général de la sécurité intérieure pour faire un point sur la menace terroriste. Je ne croise donc pas le préfet de police à la réunion d'État-major, où il est représenté par ses collaborateurs, mais je lui fais savoir que je souhaite me rendre avec lui boulevard de l'Hôpital pour me rendre compte par moi-même de l'itinéraire emprunté par la manifestation et de la façon dont la manoeuvre a été effectuée, et aussi pour évaluer les dégâts.

Nous nous entretenons avec les commerçants, qui nous racontent des faits d'une extrême violence. En particulier, le concessionnaire qui avait vu ses voitures incendiées nous indique avoir eu très peur. Le préfet de police leur dit qu'ils vont être indemnisés dans les meilleurs délais. À ce moment, ni le préfet de police ni mon cabinet ne m'ont encore informé de l'existence d'une vidéo montrant des violences contre les manifestants place de la Contrescarpe. Après un déjeuner avec un membre de ma famille dans un restaurant de la rue de Lille, je retourne au ministère vers 15 heures.

C'est là que mon directeur et mon chef de cabinet m'apprennent l'existence de la vidéo montrant les violences commises par M. Benalla. J'apprends alors que ce dernier n'est pas, comme je le pense, policier, mais chargé de mission à l'Élysée et qu'il se présente comme le chef de cabinet adjoint du Président de la République. Mon directeur de cabinet m'assure alors que le directeur de cabinet du Président de la République, c'est-à-dire le supérieur hiérarchique de M. Benalla, et le préfet de police connaissent les faits. Ils s'en sont entretenus ensemble et le directeur de cabinet du Président de la République lui a confirmé dans la soirée qu'il considérait les actes de M. Benalla comme inacceptables et qu'une sanction disciplinaire allait être prise.

J'apprendrai beaucoup plus tard, le 21 juillet, que le préfet de police avait fait rédiger une note technique sur les faits, qu'il a reconnu lui-même ne m'avoir jamais transmise. Ce 3 mai, je considère donc que les faits sont pris en compte au niveau adapté et, à partir de ce jour et jusqu'au 18 juillet, je n'entends plus parler de M. Benalla.

Je me concentre sur d'autres événements : gestion, le 3 mai, d'une manifestation de cheminots ; préparation du rassemblement du samedi 5 mai organisé par la France insoumise ; évacuations des facultés de Toulouse-Le Mirail le 9 mai et de Rennes le 14 mai ; deuxième évacuation de Notre-Dame-des-Landes ; et enfin, malheureusement, suites de l'attentat de Paris, qui a fait une victime le samedi 12 mai.

Le 18 juillet, j'apprends vers 15 heures que des journalistes du journal Le Monde préparent un article sur les événements du 1er mai. Le lendemain matin, je prends connaissance des images parues sur les réseaux sociaux montrant que M. Benalla arborait le 1er mai un brassard de police et qu'il détenait une radio. Je demande donc immédiatement qu'on prépare une saisine de l'inspection générale de la police nationale (IGPN), pour déterminer les conditions dans lesquelles il a pu bénéficier de tels équipements. Puis, j'ai un rendez-vous avec M. Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation pour l'Islam de France, que je prépare avec une de mes conseillères, suivi d'un déjeuner avec des journalistes. À 15 heures, au Sénat, lors des questions au Gouvernement, j'annonce que nous allons saisir l'IGPN. À mon retour, j'apprends que trois policiers de la direction de l'ordre public et de la circulation ont communiqué à M. Benalla les bandes de vidéoprotection des événements place de la Contrescarpe. Nous transmettons ces nouvelles informations à l'IGPN et, le 20 juillet au matin, sur proposition du préfet de police, je suspends les trois policiers concernés.

Voilà la chronologie précise des faits, tels que je les ai vécus.

Certains, après mon audition à l'Assemblée nationale, se sont étonnés que je n'aie pas eu connaissance de certains faits. Les auditions du préfet de police et du directeur de l'ordre public et de la circulation, dans la même journée, ont montré qu'eux non plus, qui pourtant étaient au coeur de la manoeuvre, n'avaient pas été informés de la participation de M. Benalla aux opérations d'ordre public ni de sa venue au centre de commandement de la préfecture de police. Comment, dès lors, aurais-je pu savoir ?

Sur le port d'arme, je confirme que M. Benalla avait sollicité en janvier 2017 de mon prédécesseur une autorisation, qui lui avait été refusée le 12 avril. Le 21 juin 2017, il s'est adressé à mes services pour que sa demande soit réétudiée, requête à laquelle mon cabinet n'avait pas donné suite, considérant que les conditions juridiques n'étaient pas réunies. Ce sont donc les services du préfet de police qui ont finalement délivré à M. Benalla une autorisation de port d'arme le 13 octobre 2017, sans que mon cabinet en ait été informé.

Pour ce qui est de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, je m'en tiens à ce que j'ai dit hier devant l'Assemblée nationale : les ministres de l'intérieur successifs ont évidemment connaissance par les services de renseignement de multiples suspicions ou commissions d'infractions pénales mais, comme mes prédécesseurs, je considère que c'est aux chefs de service, qui sont au plus près du terrain, de recueillir les éléments justifiant un signalement au titre de l'article 40. Je n'ai effectué qu'un seul signalement depuis mon arrivée, et je vous dirai combien mes prédécesseurs en ont fait. Ce signalement concernait la vidéo d'un rappeur appelant au lynchage et au meurtre d'un policier.

Pourquoi n'avoir pas saisi l'IGPN dès le 2 mai ? J'apprends le 2 mai que M. Benalla n'est pas policier, je n'ai donc pas de raisons alors de saisir l'IGPN. Le préfet de police, qui savait, lui, que M. Benalla n'était pas policier, partage cette analyse. Il a réuni ses chefs de service et leur a demandé comment cet homme, qui n'avait aucune permission de sa part pour participer à une mission d'ordre public, y avait participé. Ce n'est qu'après avoir appris que M. Benalla portait indûment un brassard et qu'il détenait une radio de police que je saisis l'IGPN.

Nous devons la vérité aux Français, mais aussi aux forces de l'ordre, dont les membres agissent avec un souci de la déontologie fort et constant.

M. Philippe Bas, président. - Ma première question est directement inspirée par les auditions des syndicats de policiers et de commissaires de police auxquelles nous avons procédé cet après-midi. Tous, sans exception, nous ont dit leur indignation. Ils ont exprimé à quel point ils ont été blessés de l'image qui est donnée de la police par un faux policier, combien ils ont été humiliés en apprenant les moyens exorbitants dont cette personne a pu disposer, combien ils ont été choqués que l'image de la police ait pu ainsi être ternie comme s'il s'était agi d'une bavure policière. Ils ont également exprimé leur inquiétude sur la prise en charge de la sécurité du Président de la République et sur les évolutions qui ont été annoncées en ce début d'année 2018. Ils nous ont dit avec franchise que les langues se délient et que leurs adhérents les informent de ce qui s'est réellement produit. Ils savent que M. Benalla était régulièrement présent à des réunions de la préfecture de police et que, dans ses activités au service de la présidence de la République et pour la protection du chef de l'État, il avait un comportement que plusieurs d'entre eux ont qualifié d'injurieux. Ils ont observé que M. Benalla avait une fâcheuse tendance à donner des instructions aux cadres de police ou de gendarmerie placés sous votre autorité.

Vous dites que vous n'aviez jamais entendu parler de ces dysfonctionnements avant le 2 mai. Mais les syndicats de policiers nous ont également dit avec la plus extrême netteté - et j'ai pris soin de leur demander d'où ils tenaient cette information - qu'il y avait des groupes de vigiles associés au groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR). Est-ce vrai ? Si oui, est-ce normal ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Avant mon arrivée au ministère de l'intérieur, il y avait des tensions assez fortes au sein de la police. J'ai donc passé les premiers mois à tisser des relations de confiance avec les différents syndicats. Ainsi, lorsque j'ai créé la police de sécurité du quotidien...

M. Philippe Bas, président. - Pourriez-vous répondre à la question ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Ce sont les préliminaires.

M. Philippe Bas, président. - Ils ne sont pas nécessaires.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Les relations de confiance avec les policiers et les gendarmes sont très importantes. Oui, une réflexion en vue d'une réorganisation de l'ensemble des services administratifs de l'Élysée a été lancée il y a plusieurs mois. Actuellement, le GSPR assure la sécurité du Président pendant les visites officielles, avec la 1ère compagnie républicaine de sécurité (CRS), et le commandement militaire assure la sécurité du Président dans le palais, avec la préfecture de police. Cela crée des situations inextricables - les systèmes de communication entre les uns et les autres ne sont pas compatibles - et génère, comme le relève le rapport de la Cour des comptes, de l'inefficacité, puisque ce ne sont pas les mêmes doctrines d'action, sans compter les tâches indues dont s'acquittent les deux services : le GSPR gère les bagages de la délégation lors d'un voyage officiel, le commandement militaire gère le service de veille de presse.

Aussi a-t-il été envisagé de fusionner le GSPR et le commandement militaire pour créer une direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR). Il s'agit purement d'un enjeu de rationalisation des ressources et des emplois. D'après l'Élysée, cette réflexion était pilotée par M. Lavergne, chef du GSPR, et M. Bio-Farina, commandant militaire du palais. Pour moi, il n'a jamais été question qu'Alexandre Benalla prenne la tête de la DSPR.

M. Philippe Bas, président. - Vous ne répondez pas à la question. Les syndicats de policiers nous ont indiqué qu'il y avait des groupes de vigiles privés travaillant au sein du GSPR. Est-ce vrai ? Est-ce normal ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - À ma connaissance, aucun vigile ne travaille au GSPR, qui est un service officiel.

M. Philippe Bas, président. - Serait-ce normal qu'il y ait des effectifs privés qui travaillent au sein du GSPR ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Il y a une relation entre le GSPR et le service de protection des personnalités officielles. Nous avons autorité hiérarchique sur le GSPR dans la mesure où c'est le ministère de l'intérieur qui nomme ses membres. Mais pour l'usage fonctionnel, c'est la présidence de la République qui l'organise, sans que la responsabilité du ministère de l'intérieur soit engagée.

M. Philippe Bas, président. - Serait-il normal qu'il y eût au sein du GSPR des agents exerçant des responsabilités opérationnelles pour la protection du chef de l'État sans être policiers ni gendarmes ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Au sein du GSPR, à ma connaissance, il n'y a que des policiers et des gendarmes.

M. Philippe Bas, président. - Serait-il normal qu'il y ait des contractuels qui ne soient ni policiers ni gendarmes ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Pour moi, le GSPR, ce sont des policiers et des gendarmes.

M. Philippe Bas, président. - Merci. Sur le plan politique, vous êtes l'un des responsables politiques les plus proches du président Macron. Dans la hiérarchie gouvernementale, vous êtes le numéro 2. Le 2 mai, muni des informations que vous recevez, vous avez le réflexe, dites-vous, d'informer la présidence de la République, qui est déjà au courant. Pour protéger le chef de l'État, y compris comme l'un de ses plus fidèles soutiens politiques, avez-vous fait une démarche pour l'alerter sur la gravité de cette situation ? Avez-vous recueilli, à partir de cette date du 2 mai, des informations complémentaires sur le comportement de M. Benalla dans ses relations avec les services de sécurité ? Avez-vous fait au Président de la République les recommandations nécessaires pour qu'il mette un terme à cette collaboration, sans se contenter de la mise à pied qui a été prononcée ? Ne considérez-vous pas que c'était en quelque sorte votre devoir sur le plan politique ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Ce jour-là, le Président de la République était en Australie.

M. Philippe Bas, président. - Il est rentré depuis...

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Lorsque nous avons eu connaissance des faits, mon directeur de cabinet a immédiatement alerté le directeur de cabinet de l'Élysée, qui a indiqué qu'il jugeait cette attitude inacceptable et qu'il prendrait des sanctions. À partir de là, c'est au directeur de cabinet du Président de la République qu'il appartenait de prendre les sanctions qu'il juge appropriées. Je vous rappelle que M. Benalla n'était aucunement sous ma responsabilité.

M. Philippe Bas, président. - Vous n'avez donc pas profité d'un entretien avec le Président de la République pour le mettre en garde, l'alerter sur le comportement de son collaborateur et lui recommander d'abandonner cette collaboration ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - J'ai rencontré beaucoup de syndicats de police, beaucoup de syndicats de commissaires : personne ne m'a jamais fait remonter dans aucune réunion les problèmes que vous évoquez.

M. Philippe Bas, président. - Avez-vous adressé des instructions immédiates à la hiérarchie administrative, policière et militaire, placée sous votre autorité pour que les faits survenus le 1er mai ne se reproduisent pas ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Nous alertons régulièrement l'ensemble des préfets pour qu'ils veillent à ce que le comportement de nos policiers soit exemplaire. Mon directeur de cabinet a dû envoyer une vingtaine de recommandations en ce sens car, en les temps troublés que nous avons traversés, il était relativement difficile de faire respecter l'ordre public. Par exemple, lors de l'évacuation de Tolbiac, une fake news avait fait beaucoup de dégâts.

M. Philippe Bas, président. - Donc, vous n'avez pas donné d'instructions aux services de police et de gendarmerie pour éviter que les collaborateurs du Président de la République n'interfèrent avec le fonctionnement normal de la hiérarchie de la police et de la hiérarchie de la gendarmerie.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Le préfet de police de Paris a réuni l'ensemble de ses commandants pour leur faire passer un certain nombre de recommandations et dire que personne ne devait assister à une manoeuvre sans que lui-même l'ait personnellement décidé. Il a ensuite proposé un certain nombre de sanctions, que j'ai acceptées.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Le préfet de police de Paris et le directeur de l'ordre public et de la circulation, M. Gibelin, ont indiqué devant l'Assemblée nationale que M. Benalla n'avait pas reçu d'autorisation officielle pour participer en tant qu'observateur aux opérations de maintien de l'ordre du 1er mai. Ils ont également précisé que la qualité d'observateur avait été accordée à M. Benalla par M. Laurent Simonin, le chef d'État-major adjoint à la direction de l'ordre public et la circulation, sans que le directeur lui- même en ait été averti. Est-il normal que ni le ministre de l'intérieur, ni le préfet de police, ni même leurs cabinets n'en aient été informés ? Le ministère de l'intérieur a-t-il dès le 2 mai diligenté une enquête interne pour obtenir des informations sur les conditions de la participation de M. Benalla à des opérations de maintien de l'ordre ? Celle-ci avait dû être autorisée, et M. Benalla s'est vu attribuer un référent, qui ne s'est manifestement pas occupé de lui. Avez-vous diligenté une enquête interne ? Sinon, pourquoi ne pas vous être inquiété d'un tel dysfonctionnement ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Le préfet de police a réuni l'ensemble de ses cadres, diligenté une enquête interne et demandé pourquoi lui-même n'avait pas été mis au courant. C'est dans ce cadre qu'est apparue la responsabilité d'un certain nombre de cadres subalternes, au niveau desquels avait été prise la décision, sans que le préfet de police ne fût informé de ce qui se passait. Ce sont ces relations que le préfet de police a décrit hier comme des copinages.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous avez dit hier qu'il n'appartenait pas au ministre de l'intérieur d'appliquer l'article 40 du code de procédure pénale. Sur quel article de la loi appuyez-vous cette affirmation ? Je peux comprendre que vous ayez considéré qu'il revenait à d'autres personnes qu'à vous-même de saisir la justice devant la gravité évidente des faits dont vous avez eu connaissance le 2 mai. Votre directeur de cabinet a donc saisi le directeur de cabinet du Président de la République. Mais celui-ci, pas plus que vous-même ou que le préfet de police, n'a saisi le procureur de la République - pas plus, d'ailleurs, que le secrétaire général de l'Élysée ou le chef de cabinet du Président de la République. N'avez- vous pas considéré, au bout d'un moment, qu'il y avait quelque chose d'inacceptable dans le fait qu'un personnage qui n'est pas policier, qui est connu, se comporte de manière manifestement délictueuse et que le ministre de l'intérieur se satisfasse du fait que personne ne saisisse la justice ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - J'ai connaissance quotidiennement, par des notes de renseignement, de suspicions ou de commissions d'infractions pénales. Je considère, comme tous mes prédécesseurs, qu'il n'appartient pas au ministre de l'intérieur de transmettre au procureur des signalements sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale à chaque fois qu'il a connaissance de la commission d'une infraction pénale : ce n'est pas mon rôle de saisir chaque procureur individuellement pour lui signaler la commission d'infractions. Je n'ai d'ailleurs effectué depuis ma prise de fonction qu'un seul signalement à la justice sur le fondement de l'article 40, pour une infraction prévue par la loi de 1881 sur la presse. Il s'agissait d'un rappeur qui, dans une vidéo, appelait au lynchage et au meurtre d'un policier. Ces pratiques sont-elles simplement celle du ministre de l'intérieur actuel ? Non ! J'ai regardé combien mes prédécesseurs avaient fait de signalements : 2 en 2014, 4 en 2015, 8 en 2016 et 4 en 2017. M. Hortefeux, par exemple, n'a effectué que trois signalements au titre de l'article 40, qui portaient tous sur des problèmes de droit de la presse ou bien d'incitation à la haine.

M. Philippe Bas, président. - Vous considérez qu'il ne vous appartient pas de faire vous-même ces signalements - mais vous citez des cas où le ministre l'a fait. Vous avez un pouvoir hiérarchique et, si l'un de vos collaborateurs vous demande l'autorisation de faire un signalement, vous pouvez être amené à la lui donner. L'article 40 du code de procédure pénale prévoit que « toute autorité constituée » - je crois que vous êtes bien une autorité constituée - « qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenue d'en donner avis sans délai au procureur de la République, et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Notre commission aurait parfaitement accepté que cette utilisation de l'article 40 ne fût pas de votre fait. Nous ne vous reprochons pas de ne pas l'avoir enclenchée personnellement, mais nous constatons que, dans toute la hiérarchie, personne ne l'a fait, alors que de nombreux cadres dirigeants du ministère de l'intérieur avaient en main les éléments permettant de caractériser cette suspicion de délit.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République avaient été informés. Il ne m'appartenait pas, à moi qui ne connaissais pas les circonstances exactes, d'effectuer ce signalement.

M. Philippe Bas, président. - Que d'autres que vous aient pu le faire, c'est certain. Que vous ne l'ayez pas fait pose tout de même question. Si vous n'aviez pas les informations nécessaires, qui aurait été mieux placé que vous pour les obtenir ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous employez beaucoup le verbe « connaître » à la forme négative : vous ne connaissiez pas, vous ne saviez pas... Je vous rappelle quand même les termes de ma question : dès lors que vous considérez - c'est une interprétation qui est la vôtre - qu'il ne revient pas au ministre de l'intérieur de saisir la justice, pourquoi ne vous êtes-vous pas étonné qu'à aucun niveau de la hiérarchie - Élysée, intérieur, préfecture de police - personne ne l'ait fait ?

Le directeur de cabinet du Président de la République vous dit qu'il va y avoir une sanction à l'égard de M. Benalla. Il y a une sanction, puisque ce dernier est suspendu - et c'est la moindre des choses - pour quinze jours. Le porte-parole de l'Élysée dit qu'à la suite de cette suspension, M. Benalla a été démis de toute mission relative à la sécurité et à la protection du Président de la République. Vous ne connaissiez pas le chef de cabinet adjoint de l'Élysée. Vous vous rendez compte qu'il existe le 2 mai, bien qu'il figure sur beaucoup de photos, et que le ministère de l'intérieur ait quelques pouvoirs d'investigation... Vous faites votre travail en informant le directeur de cabinet du Président de la République, et celui-ci décide d'une sanction. Convenez tout de même que quelqu'un qui, déguisé en policier, tabasse des citoyens, quelles que soient les circonstances, cela relève de la justice ! On ne va pas confier des missions de sécurité et de protection du chef de l'État à ce personnage ! Or, une fois qu'il a fini ses quinze jours, on retrouve M. Benalla dans d'innombrables situations - transfert de Simone Veil au Panthéon, arrivée de l'équipe de France de football à Paris - où il est à 30 centimètres du chef de l'État, et toujours dans des missions de sécurité. En tant que ministre de l'intérieur, comment pouvez-vous accepter cela ? Avez-vous fait des démarches pour, au moins, vous étonner de cet état de choses auprès de la présidence de la République ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Avant d'assurer la protection du Président de la République, M. Benalla s'était occupé de celle de M. Hollande et de celle de Mme Aubry. M'étant un peu éloigné du PS à l'époque, je le connaissais moins que d'autres.

Le directeur de cabinet du Président de la République a fait part à l'Assemblée nationale des éléments qui l'avaient conduit à ne pas saisir la justice de tels faits sur la base de l'article 40 : d'une part, le contexte de violence, qui était très fort à la Contrescarpe ; d'autre part, l'absence de plainte, les personnes figurant sur les photos ayant pris la fuite. Cela relève de son appréciation d'autorité hiérarchique. Je n'ai pas à commenter.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - M. le ministre d'État n'a pas répondu à ma question. À l'issue des quinze jours de suspension - on peut penser ce qu'on veut d'une telle sanction, mais il y a bien eu sanction, même s'il n'y a pas eu de procédure disciplinaire -, était-il acceptable de confier des missions de sécurité auprès du chef de l'État à ce personnage ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Ce n'était pas au ministère de l'intérieur de gérer directement ces événements, qui étaient d'ailleurs parisiens. Le préfet de police a indiqué que la personne qui en était chargée se situait à un niveau inférieur au sien. Moi, je n'avais pas en connaître.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Le problème est le même que cela se passe à Paris ou ailleurs.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Pour moi, la protection du Président de la République relève du GSPR.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Le GSPR, qui se compose de policiers et de gendarmes, dépend également du ministère de l'intérieur.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Certes. Mais nous ne connaissons qu'une seule autorité pour assurer la protection du Président de la République : le GSPR.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Hier, il y a eu beaucoup de non-réponses, faisant dire à certains que vous étiez sans doute l'une des personnes les moins informées de notre pays, ce qui n'est pas vrai. Vous pouvez convoquer vos fonctionnaires et procéder à toutes les investigations que vous souhaitez.

Qui a donné le statut d'observateur à M. Benalla ? Qui lui a donné un brassard de police ? Qui l'a autorisé à participer à des réunions de commandement au plus haut niveau à la préfecture de police ? Qui lui a donné un permis de port d'arme ? Vous avez indiqué hier ne pas savoir qui avait pris la décision de doter M. Benalla d'une voiture extrêmement bien équipée ; je suppose que vous avez dû vous renseigner depuis.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - L'enquête judiciaire et celle de l'IGPN apporteront des réponses à ces questions. Je peux vous assurer que cela ne vient ni du ministère de l'intérieur ni du cabinet du ministre.

M. Philippe Bas, président. - Je vais à présent donner la parole à nos collègues.

M. François Pillet. - Monsieur le ministre d'État, vous indiquez n'avoir saisi l'IGPN que le 18 juillet, à la suite des révélations du journal Le Monde, et non au mois de mai, une fois les faits commis par M. Benalla connus de tous. Or, en mai, les délais de conservation des enregistrements de vidéoprotection et de conservation de l'enregistrement des conversations radio entre policiers recueilli par le système ACROPOL n'avaient pas expiré. Et M. Benalla disposait d'un émetteur radio ACROPOL. L'IGPN a donc été saisie trop tard. C'est dommage...

Vous avez estimé que l'IGPN n'était pas compétente. Pourtant, le fait que les policiers soient présents sur une scène de violences commises par un observateur paraît relever de la compétence de l'IGPN ; le fait que le policier chargé d'accompagner l'observateur perde tout contrôle sur celui-ci également.

Vous affirmez n'avoir saisi l'IGPN qu'après avoir eu connaissance du port par M. Benalla du brassard de police. Je ne veux pas croire que le fait de porter le brassard de police vous paraisse plus grave que les exactions commises par M. Benalla au sein des forces de l'ordre.

Sont-ce vos collaborateurs, qui, au terme d'une analyse juridique que je trouverais un peu fragile, vous ont déconseillé de saisir l'IGPN ou vous ont conseillé de tarder à la saisir ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Encore une fois, je me suis assuré le 2 mai que la préfecture de police avait été destinataire de l'information concernant M. Benalla. J'ai considéré qu'il appartenait au préfet de police, en tant que chef de service, de prendre les mesures administratives adaptées. Je note d'ailleurs que celui-ci s'est expliqué hier sur les diligences effectuées sur son initiative : lancement d'investigations pour comprendre dans quelles conditions M. Benalla avait pu être autorisé à assister à un service d'ordre ; rappel des consignes pour que ces décisions remontent au bon niveau hiérarchique. Le préfet de police a par ailleurs indiqué qu'il ne disposait pas de la capacité à saisir l'IGPN s'agissant d'une personne qui n'était pas placée sous son autorité.

Toutefois, à la lumière d'éléments nouveaux que je jugeais particulièrement graves - nous avons vu une vidéo sur laquelle M. Benalla avait un brassard, et les enquêtes permettront d'établir s'il disposait aussi d'un téléphone -, j'ai considéré qu'il y avait un dysfonctionnement majeur, et nous avons saisi l'IGPN le 19 juillet.

M. Patrick Kanner. - Si mes informations sont bonnes, une vidéo des manifestations du 1er mai montrant M. Benalla s'en prendre physiquement à des manifestants dans les conditions que nous savons a été adressée dès le 3 mai dernier à l'IGPN, dont la directrice, Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h, sera auditionnée par la commission d'enquête.

Monsieur le ministre d'État, en qualité de supérieur hiérarchique de l'IGPN, pouvez-vous me confirmer que cette vidéo reçue le 3 mai dernier n'a pas été traitée par l'inspection et n'a donné lieu à aucune enquête ? Avez-vous été informé de la réception de cette vidéo ? Pourquoi n'y a-t-il eu aucune suite ?

Au-delà de votre provocation bien amicale à l'égard de vos racines politiques, vous affirmez n'être ni responsable ni coupable. Nous parlons non pas de l'achat de vaisselle de Sèvres pour l'Élysée, mais de la protection du premier personnage de l'État. Vous qui êtes si proche du Président de la République et qui avez participé à tous ses meetings, comment est-il possible que vous n'ayez pas eu connaissance de la place particulière occupée par M. Benalla ? Cela entache votre autorité dans vos fonctions de protection du chef de l'État. Votre absence de réponse ou le fait de répondre que vous ne connaissiez pas cette personne ne peuvent pas nous satisfaire.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - J'ai su le samedi 21 juillet - le chef adjoint de l'IGPN, que nous avions saisie le 18 juillet, en a informé mon cabinet - qu'un internaute avait anonymement signalé la vidéo montrant M. Benalla intervenir place de la Contrescarpe à la plateforme de l'IGPN le 3 mai dernier.

Au vu des images, les opérateurs de la plateforme n'ont pas estimé que les conditions justifiant l'ouverture d'une enquête judiciaire étaient réunies. La plateforme n'a ensuite enregistré aucun signalement relatif à ces faits, ni d'un témoin direct ni de l'une des deux personnes faisant l'objet des agissements. J'attends les conclusions de l'IGPN pour comprendre ce qui s'est passé.

J'ai demandé voilà trois jours à M. Frédéric Auréal, directeur du SDLP, s'il était informé des dysfonctionnements en la matière ; il m'a indiqué ne pas l'être.

M. Philippe Bas, président. - Nous ne cherchons pas seulement à savoir à quel échelon les décisions ont été prises. Nous sommes nombreux à penser qu'il y a eu des dysfonctionnements. Et nous essayons d'en analyser les causes, sans doute multiples.

Un conseiller du Président de la République disposant d'une carte « bleu, blanc, rouge », ayant ses entrées à la préfecture de police et y comptant certains amis participe à une opération de maintien de l'ordre et met beaucoup de coeur à l'ouvrage. Vous en êtes informé. Vous vérifiez que le Président de la République, via ses collaborateurs, l'est aussi. Vous ne nous avez pas dit lui en avoir parlé directement. L'avez-vous alerté sur la gravité de la situation ? Vous en êtes-vous ouvert au Premier ministre ?

La Constitution donne des pouvoirs distincts au Président de la République et au Gouvernement. L'administration et sa hiérarchie dépendent d'un ministre placé sous l'autorité du Premier ministre, et pas sous celle du Président de la République. Ce type d'interférence crée de la confusion dans le fonctionnement des services publics et a profondément bouleversé les policiers, qui nous l'ont indiqué.

Avez-vous pris conscience très tôt de la gravité de la situation ? Avez-vous eu avec le Premier ministre, puisque vous ne m'avez pas répondu s'agissant du Président de la République, la préoccupation du bon fonctionnement constitutionnel d'une administration dans laquelle on ne peut pas tolérer d'immixtion venant d'une autre autorité constitutionnelle que celle du Gouvernement ?

Certes, le Président de la République, élu au suffrage universel direct, peut, quand il dispose d'une majorité parlementaire, imposer indirectement son autorité sur une administration via le Gouvernement. Mais ses collaborateurs ne doivent pas prendre place dans une hiérarchie ; ils la perturberaient. C'est un dysfonctionnement grave.

Nous ne sommes pas en train de chercher mesquinement qui a fait quoi. Nous voulons savoir si la préoccupation du bon fonctionnement de l'État et de l'administration a été prise en compte pour que cessent de telles interférences.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Nous aurons bien un retour sur les dysfonctionnements. L'enquête de l'IGPN et l'enquête judiciaire permettront de déterminer les responsabilités de chacun.

Le directeur de cabinet du Président de la République a eu l'occasion de s'expliquer sur les fonctions de M. Benalla à l'Élysée ; celles-ci n'avaient rien à voir avec le ministère de l'intérieur.

M. Philippe Bas, président. - Je prends acte de la réponse que vous nous faites. Il n'est pas dans mon pouvoir de vous faire dire ce que vous ne voulez pas dire. Je n'essaierai donc pas plus longtemps d'obtenir une réponse plus précise sur la manière dont vous avez appréhendé sur le plan politique, au sens noble du terme, cette situation, et sur la manière dont elle a pu être traitée par le Premier ministre et le Président de la République.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Ma réponse était très précise.

M. Philippe Bas, rapporteur. - En effet, elle ne manquait pas de précision...

M. Henri Leroy. - Depuis quelques jours, la République vacille. La fonction présidentielle est abaissée à cause d'une mystérieuse liaison dangereuse du Président de la République. Nous sommes confrontés à un scandale d'État, qui met en cause les principales autorités de notre pays.

J'ai écouté avec attention votre audition d'hier. Vous attribuez la faute aux autorités de police, dont vous avez pourtant la responsabilité. Pour le reste, vous ne savez rien, vous n'avez rien vu, vous n'avez rien entendu. Le Président de la République, qui apparaît sur toutes les photos et donne son avis sur tout, est muet.

Comme ministre de l'intérieur, vous devez tout savoir. Qui est M. Benalla ? A-t-il d'ailleurs un prénom ? Quelle est sa nationalité ? J'ai lu qu'il était né dans un quartier d'Évreux gangréné par la drogue et la délinquance. Que sait-on de sa jeunesse ? De son passé ? Quels sont ses antécédents judiciaires ? Quelle a été sa procédure de recrutement ?

Hier, vous avez déclaré n'avoir jamais évoqué la situation de M. Benalla avec le Président de la République. Puis, quelques minutes après, à la même question, vous avez indiqué en avoir parlé le moins possible avec lui lorsque vous l'avez rencontré. Vous en avez donc parlé ! Que vous êtes-vous dit réellement ? Les Français attendent des réponses simples, claires et précises du ministre de l'intérieur.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - En tant que ministre de l'intérieur, je ne fais pas des oeuvres de basse police. Je ne vais pas examiner le passé de chacun pour regarder s'il est issu d'un quartier populaire. Et heureusement : vous seriez en droit de me le reprocher ! Moi, je suis pour un État de droit.

M. Henri Leroy. - Vous ne m'avez pas répondu !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Vous semblez ignorer qui est M. Benalla. Cet après-midi, nous avons appris que beaucoup de policiers connaissaient la place et le rôle qu'il occupait au plus haut niveau de l'État. Plusieurs syndicats de police ont déclaré publiquement que M. Benalla avait régulièrement participé à des opérations de police au cours des derniers mois. Vous avez indiqué hier devant l'Assemblée nationale ne pas en avoir eu connaissance. Avez-vous recueilli des informations complémentaires auprès de vos services depuis hier ? M. Benalla a-t-il déjà eu la qualité d'observateur lors d'autres opérations de maintien de l'ordre ? Si oui, où et quand ?

Trouvez-vous normal qu'un adjoint au chef de cabinet du Président de la République puisse observer ce type de manifestations ? Auriez-vous eu connaissance d'autres incidents - il y en a vraisemblablement eu - le concernant ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - À ma connaissance, à celle du préfet de police et à celle du DOPC, il n'a pas participé à d'autres opérations liées au maintien de l'ordre. L'enquête judiciaire et celle de l'IGPN le diront. Mais je n'ai aucune raison de mettre la parole du préfet de police et du DOPC en cause.

Mme Nathalie Delattre. - Nous avons découvert l'affaire Benalla grâce aux images de vidéoprotection de Paris et à une vidéo amateur. Lors des auditions précédentes, on nous a parlé de l'existence de photos et de vidéos de CRS. Nous avons d'abord appris l'existence de M. Alexandre Benalla. Nous avons ensuite découvert le commando Benalla avec M. Vincent Crase. On nous parle maintenant d'un accompagnant, M. Mizerski, encadrant non officiel. Ces photos et ces vidéos vont-elles faire apparaître d'autres protagonistes ? Avez-vous connaissance de ces photos ?

Existe-t-il une milice privée hors GSPR au sein de l'Élysée ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Un des supérieurs hiérarchiques de M. Mizerski lui a demandé d'accompagner M. Benalla, qu'il croyait accrédité - en tout cas, l'enquête permettra de le savoir -, pour participer à une opération de maintien de l'ordre comme observateur. Beaucoup de députés et de journalistes participent à des opérations comme observateur. Elles sont strictement encadrées. Le préfet de police l'a rappelé hier ; il souhaitait qu'il faille son autorisation personnelle.

J'en apprends chaque jour de plus en plus sur les personnalités. Je lis les journaux comme vous. Je découvre tout un pan de l'histoire de M. Benalla.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur le ministre de l'intérieur, heureusement qu'il y a les journaux pour vous informer !

Mme Jacky Deromedi. - Le porte-parole de l'Élysée a déclaré que M. Benalla avait été mis à pied pendant quinze jours avec suspension de salaire du 4 mai au 19 mai, et entièrement démis de ses fonctions en matière d'organisation de la sécurité des déplacements du Président de la République.

Que faisait M. Benalla auprès du chef de l'État au Panthéon ? Que faisait-il à Giverny le vendredi 13 juillet alors qu'il avait été déchargé de ses fonctions de chef adjoint du cabinet ? Sa présence dans le car qui ramenait les Bleus de l'aéroport était-elle normale ? Vous paraît-il normal qu'il ait eu des altercations avec les policiers devant assurer cette mission ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Ce n'est pas moi qui fixe la nature des missions de M. Benalla. Le directeur de cabinet du Président de la République s'expliquera ou s'est déjà expliqué sur ce point.

M. Philippe Bas, président. - Il est établi que M. Benalla, pour les déplacements du Président de la République dans Paris, était en contact fréquent avec la préfecture de police : des personnes, dans les services placés sous votre autorité, savaient ce qu'il faisait, ils travaillaient avec lui ! Les directeurs de la police, des commandants de gendarmerie, traitaient avec lui, comme garde du corps ou comme organisateur de déplacements. Quel regard porte le ministère sur ce collaborateur ? La question de Mme Deromedi me semble factuelle : aviez-vous idée de ce que faisait M. Benalla à Giverny, en lien avec vos services ?

Mme Jacky Deromedi. - Il a eu une altercation avec les policiers car il prétendait reprendre le contrôle du retour des Bleus. Vous en avez sans doute été informé ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Je travaille avec les préfets, qui assument leur responsabilité, avec le directeur général de la police nationale, le directeur général de la gendarmerie nationale - ce sont eux qui organisent les choses. Le préfet de police m'a dit que jamais il n'aurait laissé une personne extérieure à ses services prendre le contrôle de la manifestation organisée pour le retour des Bleus.

M. Pierre-Yves Collombat. - Alexandre Benalla était au ministère de l'intérieur comme un poisson dans l'eau - un poisson carnivore, j'entends. Personne ne sait qui il est ou peu concèdent le connaître, mais on le reçoit, on l'équipe, on l'associe aux opérations de maintien de l'ordre et aux debriefings, au seul motif qu'il appartient aux services du Président de la République. Alors, qui a la haute main sur les services de gendarmerie et de police en France : le ministre de l'intérieur ou le Président de la République ? Qui gouverne, vous ou le Président qui, par son influence, modifie les comportements dans votre administration ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - J'ai un « debriefing », pour reprendre votre terme, une fois par mois avec les préfets, tous les quinze jours avec les préfets de zone en raison des risques terroristes, ainsi qu'avec le DGPN, le DGGN et le DGSI. Avec eux, et avec personne d'autre !

Mme Catherine Di Folco. - Qu'auriez-vous fait si l'Élysée ne vous avait pas répondu qu'il réagirait au comportement incongru de celui que l'on nous présente comme un observateur, voire un bagagiste ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Je me suis assuré que l'attitude inacceptable de M. Benalla était prise en compte, il m'a été répondu qu'elle ferait l'objet de sanctions. Mais c'est le directeur de cabinet qui prononce les sanctions contre des conseillers de l'Élysée : le ministre de l'intérieur ne s'en occupe pas.

Mme Brigitte Lherbier. - Des agents contractuels s'occupent donc de la sécurité des déplacements... Combien et qui sont-ils : des militants, des collaborateurs de La République en Marche ? C'est l'occasion de faire le point.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Il y a une seule autorité compétente, le GSPR.

M. Alain Marc. - Un membre d'un syndicat de police vient de nous dire qu'Alexandre Benalla était accompagné de « barbouzes » dans certaines missions. Vous avez affirmé qu'il n'y a pas de police parallèle, voire de milice, à l'Élysée. Si les syndicats nous apportent dans les jours qui viennent de nouveaux éléments en sens contraire - puisqu'au GSPR, où M. Benalla semait la « terreur », on commence à parler - trouverez-vous cela normal ?

Du 4 au 19 mai, M. Benalla a été mis à pied. Avez-vous demandé une enquête, pour savoir s'il est vraiment titulaire d'un master de droit, si son casier judiciaire est vierge, s'il ne pouvait à terme constituer une menace pour la sécurité du Président de la République ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Je regrette que les syndicats ne m'aient pas dit cela, à moi... Car je croyais jusque très récemment que M. Benalla était policier. Des équipes de barbouzes ? Jamais au ministère de l'intérieur, je ne l'admettrais pas. Dans le passé, oui, on le sait...

Mme Esther Benbassa. - Le SAC !

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - ...et je me souviens de milices privées, dans ma prime jeunesse. Je recevrai les syndicats, car je sais qu'ils ont été troublés par ces événements : je leur demanderai s'ils ont rencontré des problèmes avec M. Benalla ; et, si oui, pourquoi ils ne m'en ont pas informé plus tôt.

Mme Esther Benbassa. - Un monde de bisounours.

M. Philippe Bas, président. - Il est utile de les écouter. Ils nous ont dit que « les langues se délient ». Je ne doute pas que vous appreniez beaucoup dans l'avenir proche sur les interférences entre ce collaborateur du Président de la République et l'administration placée sous votre autorité, dans le cadre des pouvoirs constitutionnels du Gouvernement, qui sont distincts de ceux du Président de la République.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Ils ont eu tort de ne pas faire remonter ces informations à leur ministre : j'aurais pris des mesures.

M. Philippe Bas, président. - La peur s'est dissipée, nous ont-ils dit. Ils ont même employé une expression plus forte : « Il semait la terreur. »

Mme Esther Benbassa. - Admettons que vous ne connaissiez pas Alexandre Benalla : c'est très grave, puisqu'il s'occupait de la sécurité du Président de la République ! Comment se fait-il que vous n'ayez pas su qu'il semait la terreur ?

Les sources policières, syndicales, indiquent qu'une réorganisation de la sécurité de l'Élysée était prévue, à l'horizon fin 2018. Une direction de la sécurité de la présidence de la République devait être créée, Alexandre Benalla était pressenti pour y occuper une place prépondérante. Sans doute ne le saviez-vous pas non plus, et pourtant c'est une chose grave : une police parallèle se développait à l'Élysée à côté du GSPR. C'est un dysfonctionnement et vous laissez faire. Il y avait deux polices, l'une privée, l'autre non.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - J'ignorais votre passion pour la police. Nous savions qu'il existait un projet de réforme ; ma principale recommandation au Président et à son cabinet portait sur la nécessité de maintenir un lien organique entre la nouvelle structure et le ministère de l'intérieur - les recrutements et la gestion du personnel devaient rester au ministère, afin d'éviter d'aboutir à une sécurité de la présidence déconnectée du reste de l'État.

M. Philippe Bas, président. - Sage recommandation, en effet.

M. Jean-Yves Leconte. - Le Président de la République a-t-il partagé votre point de vue ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Absolument.

M. Philippe Bas, président. - Savez-vous si la mission confiée au GSPR remet en cause ces orientations ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - J'espère que non, car elles sont tout à fait nécessaires.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Hier à l'Assemblée nationale, aujourd'hui ici, vous avez choisi une ligne : vous ne connaissiez pas Alexandre Benalla, ni ses fonctions, ni son métier, vous ne saviez pas exactement qu'il s'occupait de la sécurité du Président, qu'il n'était pas poursuivi pour des faits de violence, etc. Vous êtes pourtant un homme politique aguerri, avec une expérience puissante ! Quelles conclusions tirez-vous, pour votre ministère, de tous ces dysfonctionnements et ces ignorances ? Avez-vous identifié des marges de progression ? La sécurité du Président de la République est généralement une obsession pour le ministre de l'intérieur : cela ne semble pas être votre cas, tant mieux pour vous, mais pour notre part, nous sommes inquiets.

M. Philippe Bas, président. - Nous savons que vous attendez un rapport de l'IGPN. Mais quelles sont vos positions de principe, vos orientations ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Le ministre de l'intérieur veille, dans la ligne hiérarchique, à apporter la meilleure garantie de sécurité aux personnalités, et d'abord au Président de la République.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Est-ce le seul enseignement ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Les policiers et gendarmes ont un sens très fort de la déontologie. Si l'on excepte quelques rares manquements, ils ont un sang-froid et une retenue remarquables.

M. Loïc Hervé. - Vous pensiez que ce jeune homme de 26 ans était policier. Quel grade pensiez-vous qu'il avait atteint ? Avait-il accès aux locaux de la place Beauvau, était-il en contact direct avec vous, avec les membres de votre cabinet ?

M. Benalla pourrait se réfugier derrière une forme de théorie de l'apparence. Son poste pouvait laisser penser qu'il appartenait à l'organigramme de l'Élysée, ce qui n'était pas le cas. Il avait une habilitation secret défense, un permis de port d'arme, il était lieutenant-colonel à la réserve spécialisée de la gendarmerie : que pensez-vous de cette virtualité et de ses effets ? Y a-t-il d'autres chargés de mission avec la même virtualité dans l'appareil d'État ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Alexandre Benalla est devenu le 25 juin 2009 réserviste opérationnel ; il a exercé dans l'Eure durant six ans, à l'issue desquels il est devenu brigadier. Il a été radié à sa demande en novembre 2017, lorsqu'il a rejoint la réserve spécialisée de la gendarmerie nationale, au titre de son expertise dans la sécurité des installations et des personnes. Il a alors obtenu le grade de lieutenant-colonel : cela ne correspond pas à un avancement mais à son nouveau statut dans la réserve, comme pour un officier commissionné recruté à un grade donné sans passer les échelons subalternes, grade qu'il ne conserve que le temps de sa mission.

M. Loïc Hervé. - Vous ne répondez pas sur le grade. Ni sur l'accès aux locaux : disposait-il d'un badge pour entrer place Beauvau ? Se rendait-il dans votre cabinet ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Je n'ai jamais vu Alexandre Benalla au ministère. Certes, je n'y suis pas tous les jours... mais vous ne trouverez aucune trace d'un appel, d'un mail de ma part : je n'avais aucune relation avec lui.

M. Jean-Luc Fichet. - Ce petit génie est entré par effraction dans les services de sécurité de la présidence - car il apparaît de plus en plus nettement comme un intrus, qui a su naviguer jusqu'au grade de lieutenant-colonel, devenir adjoint au chef de cabinet du Président de la République, rudoyer les services, assister à des manifestations... Il y a forcément un fil conducteur, entre 2009 et aujourd'hui. L'avez-vous identifié ? Qui, à chaque étape, a accordé à M. Benalla grades, postes, badges d'accès, libre circulation dans les services de l'État ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - L'enquête de l'IGPN et celle de la justice le diront. Je me prononcerai alors, quand nous connaîtrons tout son passé.

M. François Bonhomme. - De façon stupéfiante, Alexandre Benalla est partout, et surtout là où il n'a pas à être. Il joue un rôle autoproclamé dans divers dispositifs de sécurité. Alain Gibelin a dit hier que M. Benalla n'avait reçu aucune autorisation pour être présent comme observateur le 1er mai. Vous avez la charge des forces de sécurité. Quelles conséquences pratiques, opérationnelles, tirez-vous pour la chaîne de commandement de votre ministère ? Les signalements faits le 3 mai sur la plateforme de l'IGPN ont été classés sans suite, mais le ministre que vous êtes n'en était pas informé. Quel sentiment cela vous inspire-t-il ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - M. Gibelin ne savait pas que ce jour-là M. Benalla était en mission dans le service d'ordre : c'est pourquoi des sanctions ont été prises par le préfet de police. Si eux ne savaient pas, comment l'aurais-je pu ? Ce sont eux qui ont la responsabilité de leurs troupes. Le préfet de police a parlé de « copinage ». Il m'a par conséquent proposé des sanctions, que j'ai acceptées. Et le dispositif de la préfecture de police devra bien sûr être revu. Quant aux signalements sur la plateforme, j'en ai eu connaissance seulement samedi.

M. François Bonhomme. - Cela est-il normal ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Il y a beaucoup de faits de ce type et nous disposons de plusieurs plateformes. Mais il existe une hiérarchie et chacun est responsable de ce qui se passe dans son service.

M. Philippe Bas, président. - Nous aussi souhaitons que la hiérarchie soit respectée, c'est bien pourquoi nous sommes si inquiets de ces interférences et de l'intrusion d'un collaborateur du Président de la République au ministère de l'intérieur, source de confusion des pouvoirs.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Nous sommes d'accord sur plusieurs points : la sécurité du Président de la République est essentielle ; elle est du ressort du ministère de l'intérieur ; l'intrusion de M. Benalla a mis à mal ce principe. Vous êtes-vous assuré qu'il s'agissait d'un cas isolé dans la protection du chef de l'État ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - La protection du Président est essentielle et le GSPR doit en être le seul garant ; et ses agents sont recrutés par le ministère de l'intérieur. Le regroupement entre les commandants de CRS et le GSPR doit rester sous la responsabilité du ministère de l'intérieur et c'est ce qui a été décidé.

M. François Pillet. - Vous avez affirmé que le projet de création d'une direction de la protection serait piloté uniquement par les chefs des deux entités actuelles. Or le contrat de travail de M. Benalla mentionne une « mission de coordination de la sécurité avec les forces militaires et le GSPR ». Comment pouviez-vous ignorer l'existence de cette mission, alors que le GSPR est un service placé sous votre autorité, dont l'activité est particulièrement sensible ? Maintenez-vous devant le Sénat que M. Benalla n'a pris aucune part à ce rapprochement, contrairement à ce que suggère l'intitulé de ses fonctions ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - J'ignore ce qui se passait entre ces deux responsables, mais j'ai toujours dit que le ministère était le meilleur garant de la sécurité du Président.

Ce n'est pas mon ministère qui rédige les contrats de travail des conseillers de l'Élysée.

Mme Marie Mercier. - Nous voulons faire toute la lumière sur une affaire qui choque huit Français sur dix. Or je constate des incohérences entre vos déclarations et celles de M. Delpuech sur la manière dont vous avez été informé des faits le 2 mai. Vous dites avoir été mis au courant à 15 heures : comment et par qui ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Par mon directeur de cabinet.

Mme Marie Mercier. - Comment avait-il été lui-même informé ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Il a correspondu avec le préfet de police. Ils découvraient peu à peu ce qui s'était passé. Mon directeur a été informé dès le matin, puis le préfet de police - j'étais avec lui sur le lieu de la manifestation plus tôt dans la journée, il ne m'avait pas informé alors.

M. Philippe Bas, président. - M. Grosdidier a fait récemment un gros travail sur l'état des forces de sécurité intérieure. Les syndicats nous ont dit que son rapport avait un large écho dans les services.

M. François Grosdidier. - Après six mois d'étude et d'auditions, j'ai l'impression, à vous entendre parler des services, que vous êtes dans une bulle et ne percevez pas le malaise actuel ! Vous dites avoir noué ou renoué le lien, mais les syndicats nous disent le contraire. Si vous connaissez votre ministère, ne vous contentez pas de réponses dilatoires, en renvoyant à des rapports d'inspection. On n'emprunte pas un véhicule sans être vu, vous n'avez pas besoin d'une enquête de l'IGPN pour savoir qui l'a mis à disposition ! Même chose pour le brassard : qui était le tuteur de l'observateur ce jour-là ? Il vous est aisé de savoir ce qui se passe dans votre maison : vous pouvez nous fournir ces informations dès ce soir ou demain !

D'un côté un véhicule neuf, un appartement ; de l'autre des véhicules de police et de gendarmerie qui ont en moyenne huit ans d'âge, des logements qui relèvent de l'habitat indigne...

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Vous placez le débat au bon niveau : celui des moyens de fonctionnement de la police, de la gendarmerie, du renseignement. Je me bats pour les augmenter, car jusqu'en 2013, on a observé une déperdition du nombre de policiers et de gendarmes.

M. François Grosdidier. - Ce n'est pas du tout ma question !

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Puis les effectifs ont recommencé à augmenter. Voilà de quoi je m'occupe. Il faut que nos policiers disposent de tablettes, de smartphones, qu'ils travaillent dans des locaux décents. C'est mon travail d'obtenir des crédits budgétaires suffisants...

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Ce n'est pas la question.

M. François Grosdidier. - Ma question est : qui a donné quel équipement ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - L'enquête judiciaire et celle de l'IGPN nous le diront. Ce n'est pas, en tout cas, le ministère de l'intérieur qui a donné le brassard ni le téléphone à M. Benalla.

M. Éric Kerrouche. - Il est difficile de trouver une photographie d'Emmanuel Macron sans Alexandre Benalla. Celui-ci était déjà en charge de la sécurité de M. Macron dans le mouvement En Marche, tandis que vous étiez un membre éminent de la campagne présidentielle de M. Macron... comme M. Girier, votre actuel chef de cabinet. Je m'étonne donc, lorsque vous dites que vous ne connaissez pas Alexandre Benalla.

Trouvez-vous normal que le chef de l'État nomme un chargé de mission pour qu'il s'immisce dans les activités de votre ministère ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Lors d'une campagne électorale, les candidats ont à la fois une protection policière et un service d'ordre formé de militants - cela fait beaucoup de monde. J'ai toujours pensé que M. Benalla était, comme d'autres, policier. Mais dans les grands meetings où je me rendais, je ne savais pas qui était bénévole, qui policier. Je portais des idées, pensant que notre pays avait besoin de changer. Je ne me suis jamais livré à des oeuvres de basse police et ne le ferai jamais.

Mme Laurence Harribey. - Vous pensiez qu'Alexandre Benalla était policier, mais on lui refusait - et par deux fois - le port d'arme au ministère ? Comment ne pas être alerté par une telle situation ? D'autant qu'en juin 2017, le refus est venu de votre cabinet. Pour quels motifs ? Pourquoi cela ne vous a-t-il pas conduit à déclencher une certaine surveillance et à alerter le Président ? Cela nous ramène à la gestion politique de cette affaire...

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Je croyais que M. Benalla était policier. Évidemment, ce n'est pas moi qui instruis les demandes de port d'arme. M. Benalla a sollicité à plusieurs reprises les services du ministère de l'intérieur pour obtenir une autorisation de port d'arme. Toutes ces demandes ont été refusées car il ne remplissait pas les conditions requises - par exemple, exposition à des risques exceptionnels d'atteinte à sa vie. En 2013 comme en 2017, elles ont été instruites conformément à la procédure habituelle : instruction par le service juridique du ministère, avis de plusieurs services, comme le renseignement territorial, l'UCLAT et la DGPN. Comme les avis des services étaient défavorables, mes prédécesseurs et moi-même avons refusé la délivrance d'une autorisation de port d'arme. Toutefois, par un arrêté du préfet de police du 13 octobre 2017, M. Benalla s'est vu délivrer une autorisation de port d'arme sur un autre fondement du code de la sécurité intérieure et sans que mon cabinet en ait été avisé : je l'ai découvert mercredi dernier.

M. Philippe Bas, président. - Nous passons aux questions de trois sénateurs non membres de la commission des lois, qui n'ont donc pas les pouvoirs d'investigation d'une commission d'enquête.

M. Pierre Laurent. - Vos déclarations présentent des incohérences. Votre principal collaborateur à Lyon depuis des années, qui vous a suivi du 9ème arrondissement à la métropole et qui est aujourd'hui votre chef de cabinet, Jean-Marie Girier, a été directeur de campagne d'Emmanuel Macron. C'est lui qui a recruté M. Benalla fin 2016. Vu votre proximité avec M. Girier, comment pouvez-vous prétendre ne pas connaître M. Benalla ? M. Philippe Mizerski, le tuteur de M. Benalla, qui lui aurait remis les attributs de police, n'a pas été mis en examen alors que trois autres policiers l'ont été. Qu'est-ce qui nous garantit que le système de copinage qui aurait protégé M. Benalla ne va pas survivre aux sanctions prises ? Maintenez-vous, en dépit de tout ce que nous avons entendu de la part des syndicats de policiers ce matin, que rien ne vous est remonté sur les relations exécrables et les incidents récurrents entre M. Benalla et les services de police ? Même si les langues se délient tardivement, on a du mal à croire que personne dans la hiérarchie policière n'ait entendu parler de ces incidents, vu leur nombre.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - J'ai déjà répondu à toutes ces questions. M. Mizerski était tuteur de M. Benalla. L'enquête dira qui l'a désigné comme tel.

M. Pierre Laurent. - Sur M. Girier, vous n'avez rien à dire ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Je ne pense pas qu'il ait recruté M. Benalla, sinon il y aurait un problème de confiance.

M. Philippe Bas, président. - Dont acte.

Mme Laurence Rossignol. - Le 2 mai, vous découvrez que M. Benalla, que vous connaissez au moins de vue puisque la veille au soir vous avez échangé avec lui une accolade à la préfecture de police, n'est pas policier comme vous le pensiez. Vous découvrez en même temps qu'il s'est livré, au cours d'une manifestation, à des actes assimilables à des violences policières. J'imagine que vous avez considéré cette situation comme préjudiciable à l'image de la police et, puisque cet homme est un collaborateur du Président de la République, dangereuse pour ce dernier. Qu'avez-vous fait pour protéger les services de police et le Président de la République des agissements de M. Benalla, indépendamment du fait que vous avez prévenu la présidence de la République ? Jusqu'au 18 juillet, vous n'entendez plus parler de M. Benalla ; mais il aurait pu continuer d'agir comme il avait agi précédemment !

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Accolade ? Le préfet de police a précisé hier qu'il avait été extrêmement surpris, comme je l'ai été, de voir cette personne, qu'il n'avait jamais autorisé sa présence et qu'il n'y avait jamais eu d'accolade : j'ai simplement salué la quarantaine de personnes qui se trouvaient dans la salle de commandement et, surtout, nous avions les yeux fixés sur ce qui se passait place de la Contrescarpe, où les violences continuaient, ne l'oublions pas. M. Benalla a-t-il eu souvent ce type de comportements ? Je n'en sais rien, c'est l'enquête qui le dira.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - L'important, c'est ce que ressent le peuple français depuis ces révélations. Il a grandement besoin d'être rassuré. Un proverbe américain dit que ce n'est jamais le crime lui-même qui cause le scandale, mais les manoeuvres pour le dissimuler. Y a-t-il une tentative d'étouffer ce scandale ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Le ministère de l'intérieur fait son travail, tout comme la DGPN, la DGGN, les services de renseignement, les services de sécurité et la préfecture de police. C'est à eux de faire remonter les dysfonctionnements et de les résoudre. Je suis un ministre républicain, qui ne compte que sur les forces légales pour résoudre les problèmes de son pays. Même face à des manifestations d'une violence inouïe, c'est la police républicaine qui doit assurer le maintien de l'ordre.

M. Cédric Perrin. - Vous n'avez pas effectué de signalement, comme le veut l'article 40, au motif que tant de faits vous sont signalés que vous estimez que ce n'est pas votre rôle. À votre connaissance, comme vous dites, combien d'actes délictueux ont été commis au cours des dix dernières années par des membres du cabinet du Président de la République ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - J'ai déjà répondu à cette question. Mes prédécesseurs avaient la même pratique que la mienne.

M. Cédric Perrin. - Combien de membres de cabinet étaient concernés ?

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - L'un signalait une diffusion de jeu vidéo montrant des tortures, un autre la contestation de crimes contre l'humanité, un autre du révisionnisme...

M. Cédric Perrin. - Vous ne répondez pas à ma question.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - J'ai fait mon travail en informant le directeur de cabinet du Président de la République, qui a dit que des sanctions seraient prises. Dès le lendemain, je me suis consacré à d'autres tâches.

M. Cédric Perrin. - Comme à la plupart des questions, nous n'avons pas eu de réponse.

M. Philippe Bas, président. - En vertu des pouvoirs qui nous ont été conférés par le Sénat unanime, nous allons vous adresser des questions par écrit, pour éclaircir un certain nombre de points qui restent obscurs, et vous demander des documents, comme nous en avons le droit.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Je répondrai, bien évidemment. Mes réponses ont été très précises.

Mme Esther Benbassa. - Aucune ne l'était !

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Si vous avez d'autres questions, qui ne soient pas couvertes par l'enquête judiciaire en cours, j'y répondrai bien volontiers.

M. Philippe Bas, président. - Ce sera nécessairement le cas, car nous prenons grand soin de réserver les compétences de l'autorité judiciaire, qui s'exerce sur des questions ponctuelles, alors que nous posons des questions relatives à l'administration et aux institutions, conformément au mandat que nous avons reçu.

M. Gérard Collomb, ministre d'État. - Peut-être aurons-nous des réponses un peu plus précises à quelques-unes de vos questions, puisque le rapport de l'IGPN sera remis à la fin de la semaine.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 h 15

Mercredi 25 juillet 2018

- Présidence de M. François Pillet, vice-président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition du Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale

M. François Pillet, président. - Cette audition est ouverte à la presse et au public. Elle est diffusée en direct et sera disponible en vidéo à la demande sur le site du Sénat, et elle fera l'objet d'un compte rendu publié. Je rappelle que notre commission est dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête. Je vous propose de prendre la parole pour un propos liminaire, puis les rapporteurs et les membres de la commission vous poseront des questions.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, le général Richard Lizurey prête serment.

Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale. - Je vous remercie de votre invitation ; je suis heureux d'avoir l'opportunité de m'exprimer, d'expliquer un certain nombre de choses et de clarifier certaines incompréhensions qui ont pu être véhiculées ici ou là.

Je veux tout d'abord rendre hommage aux 30 000 membres de la réserve de la gendarmerie nationale. Ce sont des personnes de tous statuts et de tous âges, qui prennent sur leur temps libre pour renforcer les unités de la gendarmerie et contribuer à la sécurité de nos concitoyens sur le territoire. Ces réservistes sont extrêmement méritants ; ils sont actuellement engagés de manière très forte tant pour la sécurité des zones estivales que pour le Tour de France. Ils ont aussi été engagés de manière exceptionnelle à l'occasion de l'ouragan Irma, à Saint-Martin. En 2017, quatre-vingts d'entre eux ont été blessés en service, dont vingt à la suite d'une agression. Sans nos réservistes, nous ne pourrions pas fonctionner de manière optimale ; je les en remercie, je leur exprime toute ma reconnaissance.

La réserve militaire de la gendarmerie a deux composantes globales : la réserve opérationnelle et la réserve citoyenne. La réserve opérationnelle renforce au quotidien l'action de la gendarmerie ; les militaires de réserve accomplissent les missions du personnel d'active à l'exclusion du maintien de l'ordre. Elle compte 29 847 volontaires titulaires d'un contrat. En moyenne, depuis le début de l'année, 1 670 réservistes renforcent chaque jour nos unités territoriales.

Le réserviste opérationnel, dit « de sécurité publique » - celui que vous rencontrez dans la rue -, est soumis aux mêmes droits et aux mêmes devoirs que les militaires d'active : il est placé dans l'ordre hiérarchique, il a le même statut, il est détenteur d'un grade soumis aux règles classiques d'avancement.

Il existe, au sein de la réserve opérationnelle, une catégorie particulière de réservistes, les spécialistes, qui est prévue à l'article L. 4221-3 du code de la défense. Ces volontaires ont vocation à exercer des fonctions particulières déterminées, correspondant à des qualifications ou à des expériences. Ils peuvent apporter des choses ; ce sont des personnels ressources pour le service, dans le cadre de réflexions diverses.

Le grade qui leur est conféré l'est à titre temporaire : il ne donne pas de compétence en matière d'encadrement et il n'est accordé que pour la durée et dans le cadre de la mission ; il n'y a donc, je le répète, aucune prérogative de commandement pour ces réservistes spécialistes, quel que soit le grade qu'on leur attribue. Depuis 2002, la gendarmerie nationale a recruté 124 réservistes spécialistes ; nous en avons 74 aujourd'hui.

La réserve citoyenne est forte de 1 315 réservistes citoyens ; elle vise à entretenir l'esprit de défense et le lien entre la Nation et les forces armées, entre la gendarmerie et la population. Les grades y sont honorifiques, ils n'emportent aucune prérogative de commandement et leurs titulaires n'ont pas vocation à assurer des missions de sécurité publique. Cette réserve citoyenne est tout à fait transparente puisqu'elle fait l'objet de décisions formelles. Ses personnels portent régulièrement, à l'occasion de cérémonies, des insignes distinctifs permettant d'indiquer leur appartenance à cette réserve.

Concernant les deux personnes faisant l'objet du travail de votre commission, MM. Alexandre Benalla et Vincent Crase, je veux apporter quelques précisions sur le processus ayant conduit à leur recrutement et à leur emploi.

Alexandre Benalla était engagé dans la réserve opérationnelle depuis 2009, dans le cadre d'un travail de sécurité publique générale, dans le département de l'Eure. Il a servi pendant 194 jours au total, entre 2009 et 2015 ; depuis cette date, il n'a plus été employé, sans raison particulière, sans doute parce qu'il n'avait pas le temps. Il a donc été employé de manière importante - 194 jours, c'est une période intéressante -, et, pendant sa période d'emploi, il a donné satisfaction. Tous les éléments qui me sont remontés n'ont fait état d'aucune difficulté de comportement ni d'engagement.

J'ai rencontré M. Benalla à l'occasion de différents déplacements, notamment lors du retour en avion de Saint-Martin. Nous avons pu discuter de choses et d'autres, puis de son engagement dans la réserve ainsi que de sa vision de la protection et de la sécurité des personnes.

Il faut savoir que, au deuxième semestre de 2017, nous avons connu un certain nombre d'agressions de gendarmes et d'incendies de casernes - l'incendie des garages de Grenoble, au cours duquel cinquante véhicules ont brûlé, l'incendie de véhicules à Limoges, l'incendie de la caserne de Meylan, qui visait les familles - et l'on a tous les ans des agressions contre les gendarmes ; en 2017, 1 926 gendarmes ont fait l'objet d'agressions dans le cadre de leur service quotidien.

Dans ce cadre, nous avons lancé un groupe de réflexion sur la protection de nos personnels, et il me paraissait intéressant d'avoir un oeil extérieur. Je considérais que, compte tenu de son expérience en matière de protection des personnalités, M. Benalla représentait un personnel ressource utile, que j'ai intégré dans le vivier des réservistes spécialistes.

M. Vincent Crase est dans une situation un peu différente. Il a été intégré dans la réserve opérationnelle en 1996, en provenance de l'armée de l'air. Il a progressé classiquement dans le cadre de la réserve opérationnelle de sécurité publique - capitaine puis chef d'escadron, son grade aujourd'hui. Il a régulièrement assuré des missions de formation et d'encadrement, et il totalise 414 jours de convocation à la réserve. Il a été versé dans cette réserve et il y assure de manière satisfaisante, à ma connaissance, ses fonctions de formateur, d'encadrant - c'est d'ailleurs au titre de ses fonctions d'encadrant qu'il était employé au sein du commandement militaire de l'Élysée.

Je précise pour la parfaite information de votre commission qu'aucun des deux n'était activé comme réserviste le 1er mai. Nous avons 30 000 réservistes, qui ont chacun une vie dans la société civile ; ils ne sont considérés comme réservistes que quand ils font l'objet d'une convocation formelle tracée, que l'on retrouve dans nos outils de gestion. Quand ils sont convoqués, ils doivent répondre à la discipline militaire. Le reste du temps, ils ont leur vie personnelle, dans laquelle le commandement ne s'immisce pas.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je veux vous assurer de toute la considération que nous avons pour les forces de gendarmerie et notre gratitude pour votre action.

Ma question porte sur la présence de M. Benalla dans les réunions relatives à la sécurité publique et dans les cercles du ministère de l'intérieur. Jusqu'à aujourd'hui, les témoignages que nous avons eus nous ont révélé son omniprésence au sein de ces instances. Êtes-vous en mesure de confirmer l'omniprésence de M. Benalla dans les réunions relatives à la sécurité publique au ministère de l'intérieur ? Quelles étaient ses missions exactes ? Avez-vous eu connaissance de sa participation en qualité d'observateur à d'autres opérations de maintien de l'ordre ? Avez-vous été informé de sa présence à des réunions autour de hauts responsables de la police nationale et gendarmerie nationale ?

Général Richard Lizurey. - En ce qui concerne la présence de M. Benalla aux différentes réunions auxquelles j'ai participé, je ne l'ai pas vu au ministère de l'intérieur. Je n'ai pas constaté son omniprésence, je n'ai même pas constaté sa présence.

Pour ce qui concerne ses missions exactes, je serais incapable de vous les indiquer. J'ai entendu, comme vous, ce qu'a dit le directeur de cabinet de l'Élysée. J'ai constaté que, lors de cérémonies majeures - je pense à l'hommage à Arnaud Beltrame et au 14 juillet -, je le voyais dans le paysage, mais je ne connais pas ses fonctions exactes. Cela échappe d'ailleurs totalement à mon domaine de compétence.

A-t-il participé à d'autres opérations de maintien de l'ordre ? Je n'en ai aucune idée et ce n'est pas non plus dans mon domaine de compétence. J'avais des relations avec lui dans le cadre des réflexions que l'on aurait pu mener. Il se trouve d'ailleurs que je ne l'ai jamais convoqué en tant que réserviste spécialiste, on n'en a jamais eu le temps - il est toujours très pris, ce que je peux comprendre.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

M. Philippe Bas, président. - Lors des opérations de sécurité à l'occasion des déplacements du Président de la République, M. Benalla donnait-il des ordres aux fonctionnaires de gendarmerie ?

Général Richard Lizurey. - Je ne suis pas la totalité des déplacements du Président de la République, mais, en toute hypothèse, lors de ceux que j'ai suivis, M. Benalla ne donnait aucun ordre aux gendarmes. L'autorité légitime pour le gendarme, c'est le préfet ; c'est lui qui donne des directives et c'est à lui que l'on rend compte. M. Benalla n'avait ni la légitimité ni la compétence pour imposer ou solliciter quelque modification que ce soit dans les voyages officiels auxquels il participait.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Avez-vous été informé par vos services de la présence de M. Benalla aux réunions ?

Général Richard Lizurey. - Non, dans les différents comptes rendus de réunion auxquels mes collaborateurs peuvent participer - nous pourrons documenter ce point si vous le souhaitez -, je n'ai pas constaté sa présence, ni, encore une fois, personnellement ni au travers des comptes rendus.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous l'avez intégré dans la réserve opérationnelle en tant que spécialiste au regard des missions qu'il a exercées. Or vous indiquez que vous êtes incapable de savoir quelles sont missions, que vous ne l'avez jamais vu travailler autrement que très partiellement. Comment avez-vous pu alors apprécier ses missions et estimer qu'il devait être intégré à ce grade ?

Général Richard Lizurey. - Je me suis mal exprimé. Je pensais que votre première question portait sur les fonctions qu'il exerce actuellement pour la présidence, ce qui n'est pas dans mon domaine de compétence. En revanche, préalablement à son intégration, il s'agissait de quelqu'un qui, manifestement, avait assuré la sécurité de hautes personnalités de toutes natures, de tous bords, et il me paraissait avoir une expérience intéressante ; il avait suivi un master de sécurité publique et une session régionale de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Il me semblait être quelqu'un qui pouvait apporter des choses ; c'était cela l'idée, il s'agissait d'un personnel ressource.

Parfois, quand nous menons des réflexions, on nous reproche, à juste titre, d'être souvent autocentrés, de réfléchir entre nous ; c'est vrai. L'idée est donc de nous appuyer sur les ressources que nous avons chez nos réservistes. Certains d'entre eux nous disent d'ailleurs qu'il faut les solliciter davantage, qu'ils ont des choses à nous apporter, des visions différentes intéressantes pour nous. C'est dans ce cadre que M. Benalla constituait pour moi un personnel ressource, disponible dans un vivier. Il se trouve que, pour des raisons d'emploi du temps, il n'a pas été activé.

Donc, je n'ai pas à connaître de ses fonctions actuelles, mais, pour avoir discuté avec lui, j'ai constaté que, malgré son jeune âge, il avait une expérience. L'âge fait l'objet, ici ou là, de discussions mais dans notre société actuelle, des jeunes fondent des entreprises, réussissent, portent haut les couleurs de la France. L'âge ne fait rien à l'affaire. On me dit que j'aurais dû agir différemment. Peut-être ; j'ai peut-être été trop enthousiaste vis-à-vis de cette vision extérieure, qui me paraissait intéressante dans le cadre de la réflexion sur la protection des personnels et des infrastructures, priorité du commandement et de moi-même. Mon devoir est de protéger mes personnels, et, pour cela, j'ai besoin d'avis, à 360 degrés, de gens qui ont des choses à dire, à apporter et qui peuvent nous interpeller dans nos certitudes, notre meilleur ennemi.

M. Philippe Bas, président. - Quand vous nommez un gendarme réserviste à un tel grade, y a-t-il une procédure, un jury ? Votre avis personnel se fonde-t-il sur un rapport ? Y a-t-il une audition ?

Général Richard Lizurey. - Il n'y a pas de jury ni de commission. Il y a un travail de détection, qui n'est pas forcément le fait du directeur général. J'ai aujourd'hui une centaine de réservistes rattachés au cabinet. Pour tous les autres, nous avons des contacts à l'échelon régional ou départemental, souvent intuitu personae, qui conduisent à repérer une personne importante dans tel ou tel domaine - cybernétique, biologie ou autres. Une proposition est faite par le commandement de la réserve, un dossier est constitué sur l'opportunité ou non d'intégrer une personne dans la réserve. Ce dossier me parvient, avec l'avis de tout le monde, et c'est moi qui intègre les gens dans la réserve, par délégation du ministre.

C'est donc une décision que je prends après avoir recueilli des avis successifs, mais sans formalisation de commission, sans avis collégial. Il y a un processus d'études juridiques, nous avons fait les choses de manière réglementaire, en nous appuyant sur des textes. On n'a pas contourné les textes, on les a appliqués.

M. Philippe Bas, président. - Nous vous demandons donc la communication de ce dossier.

Général Richard Lizurey. - Bien sûr.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je m'associe à l'hommage rendu par Muriel Jourda à la gendarmerie, pour laquelle nous avons de l'estime. Nous sommes élus de territoires et nous connaissons bien nos communes ; nous avons de nombreux contacts avec la gendarmerie, dont nous apprécions le travail.

Nous avons parfois des contacts informels avec les gendarmes et, pour en avoir eu récemment, je ne peux vous cacher qu'il y a des interrogations sur l'ascension rapide de M. Benalla à son grade. Vous avez cité Georges Brassens - « le temps de fait rien à l'affaire » - et vous eussiez pu citer Corneille - « la valeur n'attend point le nombre des années ». Toutefois, nous connaissons dans la réserve de jeunes gens brillants et compétents mais qui ne bénéficient aucunement de cet avancement extrêmement accéléré. Lieutenant-colonel, même dans la réserve, ce n'est pas rien. Ce qui s'est passé vous paraît-il habituel ?

Général Richard Lizurey. - Merci de cette question qui me donne l'occasion de préciser davantage mon propos liminaire. J'ai entendu les interrogations exprimées en interne. J'ai eu beaucoup de remontées de personnels d'active et de réservistes depuis la semaine dernière ; elles manifestent parfois une colère très claire. J'ai fait oeuvre de pédagogie par écrit envers mes personnels, au moyen d'éléments techniques, et j'ai expliqué par visioconférence aux commandants de région certaines choses.

Il n'y a pas eu d'avancement, ce n'est pas une ascension de carrière. Ce sont deux statuts différents. M. Benalla faisait partie de la réserve opérationnelle de sécurité publique, à un grade, qu'il conserve. S'il revient dans cette réserve, il reprendra son grade initial de réserviste opérationnel de sécurité publique.

Le grade dans la réserve spécialiste est un grade temporaire, qui n'emporte aucune prérogative de puissance publique ni de commandement. Il ne s'agit pas d'une logique d'avancement ; ce sont deux statuts complètement différents. Évidemment, on a l'impression, en regardant la cinétique, qu'il est passé de tel grade à tel autre, mais ce n'est pas le même statut. Cela peut susciter des interrogations, de la colère ; je le comprends.

Je m'en suis expliqué avec mes troupes, je continuerai de le faire, mais c'est une décision que j'ai prise en mon âme et conscience par rapport au niveau auquel je souhaitais employer M. Benalla. Il devait être un personnel ressource dans le cadre d'un groupe de réflexion sur la protection des personnels et des infrastructures, et il devait travailler dans ce cadre avec des généraux et des officiers supérieurs, notamment des colonels.

Or, dans le monde militaire - pardon d'être un peu trivial -, quand on discute, le premier réflexe consiste à regarder les épaulettes, le « code-barres ». On peut le regretter, mais c'est la vérité. Quand on a affaire à un officier subalterne, on a tendance à dénigrer ce qu'il dit ; c'est la réalité. Il me paraissait donc important, pour que cette réflexion soit intelligente, que je le positionne à un niveau où les gens l'écouteraient. Mais, encore une fois, ce grade n'emporte aucune conséquence ni aucune autorité quelconque sur quelque personnel de la gendarmerie que ce soit.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Ma question suivante est très précise ; elle porte sur les évènements qui se sont déroulés à l'aéroport de Roissy, à l'occasion du retour de l'équipe de France de football, dont la sécurité était assurée par la gendarmerie nationale. On nous dit que, M. Benalla étant présent, il y a eu quelques discussions, voire quelques problèmes. Je veux savoir ce qu'il s'est passé. Les relations entre le responsable de la gendarmerie et M. Benalla ont-elles été d'une totale sérénité et d'une complémentarité claire ?

Plus largement, ne pensez-vous pas que l'on est face à un système insatisfaisant
- c'est peut-être le fond de cette mission d'information -, en raison des interférences constantes ? Nous considérons, dans cette commission, qu'il y a la gendarmerie, avec ses structures et son commandement - c'est logique et cela fonctionne correctement ainsi -, ainsi que le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) - des gendarmes, des policiers et une autorité qui est en lien avec la police nationale, la gendarmerie nationale et le ministre de l'intérieur -, et que, si des personnes qui ne font pas partie de la police ni de la gendarmerie interviennent tout le temps, avec d'éventuels désaccords, altercations et injonctions, il y a un problème. Quel jugement portez-vous sur les relations entre M. Benalla et les gendarmes et le commandement de la gendarmerie ; sur le fond, que pensez-vous de la situation ainsi créée ?

Général Richard Lizurey. - Je n'ai eu connaissance de l'événement de Roissy auquel vous faites référence que par l'appel téléphonique d'un journaliste. C'est le signe qu'il s'agissait d'un incident mineur et pas d'un clash majeur. Je me suis renseigné auprès du commandant de la gendarmerie des transports aériens, responsable de la zone concernée, qui m'a confirmé que le commandant de la compagnie avait renvoyé M. Benalla vers l'autorité légitime, à savoir le préfet chargé de la sécurité dans les aéroports, sans avoir à déplorer d'altercation. De manière plus large, lors des différents déplacements officiels, je n'ai pas eu connaissance d'incidents résultant de ce que M. Benalla aurait voulu imposer ceci ou cela.

À chaque déplacement officiel, le préfet organise des réunions et le commandant de groupement local dont la zone de compétences est concernée définit clairement les responsabilités dans une note de service. Seuls les gendarmes interviennent sans aucune immixtion de qui que ce soit.

M. Philippe Bas, président. - D'un point de vue plus institutionnel, le commandant militaire du palais de l'Élysée est un officier supérieur de la garde républicaine et le patron du GSPR est un officier supérieur de la gendarmerie. Quels sont les liens d'organisation et de fonctionnement entre la gendarmerie nationale, le commandant militaire du palais de l'Élysée et ce groupe ?

Général Richard Lizurey. - Un certain nombre de structures de la gendarmerie sont mises à disposition d'autres institutions. Dans le cas de l'Élysée, mon travail consiste à mettre à disposition 300 membres du personnel de la gendarmerie, toutes catégories confondues, sans m'immiscer ni m'ingérer dans le domaine d'activité de l'autorité fonctionnelle. Le processus est le même dans la gendarmerie de l'air ou la gendarmerie maritime. Le fonctionnement et le travail quotidiens de ces troupes échappent à mon autorité, sauf bien sûr en cas de faute majeure ou de blessure où ma responsabilité reste engagée. Cependant, la logique de la mise à disposition est de subsidiarité totale et je n'ai pas à connaître des agissements du GSPR ni de ceux du commandement militaire.

M. Philippe Bas, président. - Je complète ma question. Quand il s'agit de promouvoir les membres du personnel de la gendarmerie qui servent à l'Élysée, quel est votre rôle ?

Général Richard Lizurey. - Le patron de la garde républicaine réunit une commission d'avancement qui gère les sous-officiers. S'agissant des officiers, ils sont notés au premier degré par le commandant militaire, puis au deuxième degré par le patron de la garde républicaine. En ce qui concerne le commandant militaire, je demande toujours une appréciation à l'autorité d'emploi, à savoir le directeur de cabinet de la présidence, pour établir sa notation juridique et la présenter à la commission d'avancement, s'il y a lieu.

M. Philippe Bas, président. - Y a-t-il d'autres agents que des fonctionnaires civils et militaires qui oeuvrent au sein du GSPR ?

Général Richard Lizurey. - À ma connaissance, des gendarmes et des policiers font partie du groupe. Je ne saurais vous préciser le détail du personnel employé, car cela échappe à mon domaine de compétence.

M. François Grosdidier. - Vous n'avez pas directement la responsabilité du fonctionnement du GSPR. Cependant, les syndicats de policiers nous ont fait part des relations exécrables que M. Benalla entretenait avec les membres du GSPR. La hiérarchie de la gendarmerie en a-t-elle eu vent ? Avez-vous eu à connaître précisément du statut de M. Benalla, qui a été présenté comme adjoint au chef de cabinet du Président de la République alors que le ministre de l'intérieur nous a dit qu'il s'était autoproclamé tel ? Quel statut figure dans son dossier de réserviste ? Assurer la sécurité de l'Élysée entrait-il dans ses fonctions ? Enfin, le GSPR fonctionne-t-il bien à parité entre la gendarmerie et la police, ou bien faut-il prévoir des évolutions ?

Général Richard Lizurey. - En ce qui concerne les relations au sein du GSPR, je n'ai eu aucune remontée des difficultés dont vous vous faites l'écho. Encore une fois, je mets un point d'honneur à rester dans mon couloir. Je dois être informé de certaines situations, comme lorsqu'il y a un blessé, par exemple. En revanche, l'engagement professionnel quotidien de ceux qui sont mis à disposition ne me concerne pas. Quant aux évolutions possibles du GSPR, elles ne me concernent que si elles ont des conséquences en matière de mise à disposition du personnel ou de transfert budgétaire. Je n'ai pas vocation à participer à la réflexion sur l'évolution du GSPR.

Pour ce qui est du statut de M. Benalla, je ne sais pas exactement ce qu'il était, car je n'ai pas eu à interagir avec lui dans le domaine opérationnel - on me dit à présent qu'il officiait en tant que chargé de mission. Rien ne figure sur sa fonction dans son dossier de réserviste, car il a été recruté au titre de son expérience en matière de sécurité des personnes et des biens et pas au titre de sa fonction.

Mme Brigitte Lherbier. - Vous avez dit avoir connu M. Benalla lorsqu'il était chargé de la protection de hautes personnalités. Nous vivons une période de haut risque terroriste, avec des manifestations de violence urbaine de plus en plus lourdes. Les civils qui gravitent autour du Président de la République n'ont-ils pas besoin d'une formation spécifique et d'être choisis à l'issue d'une sélection rigide ? Le concours des officiers de la gendarmerie est très difficile, tout comme celui de commissaire de police. Il est étrange que des personnes sans référence particulière puissent être habilitées à se charger de la protection de hautes personnalités. Le diplôme a au moins le mérite d'attester du respect de la déontologie.

Général Richard Lizurey. - Je suis incompétent pour dire qui doit faire partie du dispositif et qui doit en être exclu. M. Benalla avait acquis des compétences opérationnelles concrètes qui m'intéressaient, bien avant 2017, qu'il s'agisse d'une vision de la sécurité ou de la dynamique à mettre en oeuvre en matière de protection.

Une procédure particulière permet de « zinguer » certains membres du personnel. Elle s'applique par exemple à un adjoint chef major en fonction à l'étranger que l'on nomme capitaine, ce qui correspond à un grade visuel sans aucune réalité de commandement sur le territoire métropolitain. C'est une question de positionnement.

Mme Brigitte Lherbier. - Certaines personnes ne sont-elles cependant pas plus formées ou habilitées que M. Benalla pour protéger des personnalités de haut rang, ne serait-ce qu'un ambassadeur ?

Général Richard Lizurey. - Je n'en disconviens pas. Toutefois, M. Benalla a été responsable de la protection d'un certain nombre de personnalités politiques. Je n'en juge pas ; il l'a fait.

M. Philippe Bas, président. - Dans le dossier de recrutement de M. Benalla, n'y avait-il aucune référence à l'incident de 2012, lorsque mis à disposition d'un membre du Gouvernement, il aurait été renvoyé après avoir provoqué un accident de la route et tenté un délit de fuite ?

Général Richard Lizurey. - Je n'avais aucune information négative sur M. Benalla.

M. Éric Kerrouche. - Quelle a été votre réaction en tant que citoyen, lorsque vous avez vu les images du 1er mai, lorsque vous avez su qu'elles impliquaient des réservistes de la gendarmerie nationale et lorsque vous avez su que ces personnes travaillaient à l'Élysée ?

Général Richard Lizurey. - Ces images, que j'ai vues la semaine dernière, interpellent forcément et méritent explication. Je me garderai de tout jugement car je sais d'expérience qu'il vaut mieux avoir vu le film complet avant de pouvoir l'apprécier. Comme gendarmes, nous savons bien que les images séquencées doivent être replacées dans leur contexte et faire l'objet d'une enquête judiciaire.

M. Éric Kerrouche. - Je ne vous demande pas de porter un jugement, simplement de nous faire part de votre réaction.

Général Richard Lizurey. - Les investigations sont en cours sous l'autorité de l'IGPN et des magistrats. Attendons.

Mme Esther Benbassa. - Votre perspective reste très théorique. Vous connaissiez M. Benalla avant qu'il n'exerce à l'Élysée et pourtant vous n'êtes pas au courant de ses relations avec le GSPR. Vous dites laisser vos hommes faire leur travail sans vous y intéresser davantage. Est-ce vraiment possible que vous n'ayez rien su de ce qui se passait au GSPR ?

Général Richard Lizurey. - Oui, je vous l'affirme. Le GSPR échappe à mon domaine de responsabilité. Il a un patron qui répond à une autorité hiérarchique au sein de la présidence. Par principe et par déontologie, je n'ai pas à m'ingérer dans son domaine.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vous nous dites n'avoir pris connaissance des vidéos que récemment. Vous les avez appréciées avec réserve : « Ces images interpellent et méritent explication », nous avez-vous dit. Nous confirmerez-vous que les faits méritaient d'être dénoncés auprès du Parquet ?

Général Richard Lizurey. - Oui, ces images m'interpellent, car j'y ai reconnu MM. Benalla et Crase. Étaient-ils en position de réservistes ou pas ? Apparemment non. Très clairement, il fallait lever cette ambiguïté.

C'est la nature de l'infraction qui justifie ou pas de la dénoncer au Parquet. En l'occurrence, je n'ai pas tous les éléments pour juger. La dénonciation au Parquet ne relève pas de ma compétence. Je n'ai été interpellé que parce que ces deux personnes sont sous contrat de réserviste. Dès lors qu'ils n'étaient pas en service comme réservistes, ils échappent à mon domaine de compétence.

M. Alain Marc. - Vous nous avez dit que le grade de M. Benalla était provisoire et symbolique. Y a-t-il une autre personne à qui ce grade a été octroyé dès l'âge de 26 ans ? A-t-on vérifié les titres dont M. Benalla se prévalait - un master de droit - et son casier judiciaire ?

Général Richard Lizurey. - Les antécédents de M. Benalla ont été vérifiés dans le cadre de son recrutement au titre de la réserve opérationnelle en 2009. Il a été employé 194 jours jusqu'en 2015. Entre 2015 et 2017, il était toujours sous ce statut, même s'il n'a pas été convoqué. Rien ne laissait soupçonner le moindre problème. À la fin de l'année 2017, son changement de statut ne justifiait pas de refaire le travail de criblage opéré en 2009. D'autant que primait une logique de simplification administrative.

À ma connaissance, aucun réserviste n'a acquis le même titre que M. Benalla au même âge. Mais il faudrait vérifier.

Mme Catherine Troendlé. - Je voudrais témoigner notre reconnaissance à la gendarmerie nationale, en particulier pour les missions qu'elle exerce dans les territoires ruraux.

Vous avez dit que quand vous avez recruté M. Benalla, ce sont surtout ses compétences opérationnelles qui ont pesé. Peut-être aurait-il fallu mener une enquête de moralité ? Pouvez-vous nous confirmer qu'à aucun moment vous n'avez eu vent de comportements non recommandables alors que M. Benalla était en charge de la protection d'une personnalité politique ?

Général Richard Lizurey. - Oui, je vous le confirme. C'est la presse qui a révélé l'accident qui aurait eu lieu dans le cadre de la protection de M. Montebourg. Je n'ai eu aucune remontée négative sur le comportement de M. Benalla.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous avez donné ce grade à M. Benalla pour qu'il soit à la hauteur de ses interlocuteurs dans le cadre d'une mission qu'il n'a pas eu l'occasion d'exercer. L'expérience, les compétences et les diplômes dont il se prévalait vous ont convaincu, alors même qu'au regard de sa date de naissance il ne pouvait pas les avoir en 2009. Avez-vous eu à un moment ou un autre un contact avec l'Élysée sur ce dossier ? Ou bien avez-vous été influencé par le fait que M. Benalla se prévalait de ses fonctions à l'Élysée ?

Général Richard Lizurey. - Non, à aucun moment, l'Élysée ne m'a contacté. Le recrutement de M. Benalla relève d'une décision personnelle que j'assume avoir prise à la suite des discussions que j'ai eues avec l'intéressé.

M. Jean-Luc Fichet. - Il y a un parallèle entre le parcours de M. Crase et celui de M. Benalla, l'un étant chef d'escadron, l'autre lieutenant-colonel. Or il semblerait que M. Crase ait une ancienneté plus importante que M. Benalla. Pour quelle raison l'un a-t-il le titre d'expert, l'autre non ?

Par ailleurs, un lieutenant-colonel de réserve dispose-t-il de tous les attributs
- l'uniforme, un insigne, etc. - lui permettant d'accéder aux lieux où s'exerce un commandement ?

M. Richard Lizurey. - Comme je l'ai expliqué dans mon propos liminaire, les deux personnes ont un statut différent.

Vincent Crase a obtenu le grade de chef d'escadron, qui correspond au grade de commandant, à la suite d'un avancement, d'une progression hiérarchique dans le cadre de la réserve opérationnelle de sécurité publique classique, grade qu'il conserve. S'il part demain et revient après-demain, il demeure chef d'escadron. Il occupe des fonctions d'encadrement. Il a ainsi encadré des préparations militaires dans la gendarmerie et a fait plus de 400 jours de réserve depuis 2009. En bref, il est reconnu comme étant un bon professionnel.

Le grade de M. Alexandre Benalla n'a rien à voir avec celui de M. Crase. Ce n'est pas un grade de la réserve opérationnelle de sécurité publique. C'est un grade qui correspond à sa mission, qui n'emporte ni prérogatives de commandement, ni prérogatives de puissance publique, ni port d'insignes. Nous sommes dans une logique de spécialiste. M. Benalla n'avait pas vocation à commander des gens ni à porter la tenue. Les réservistes de la gendarmerie nationale ne portent pas la tenue, contrairement aux réservistes citoyens de la marine. L'uniforme de la gendarmerie nationale est porté par des réservistes opérationnels ayant des missions de sécurité publique générale, au quotidien.

M. Henri Leroy. - Les gendarmes sont spécialisés dans la sécurité, notamment dans la protection des autorités, compte tenu de la durée de leur formation. Dès lors, pensez-vous que l'apport de personnes non alignées sur la même fréquence que les professionnels de la sécurité rapprochée pourrait constituer un danger ou un handicap pour l'autorité protégée ?

M. Richard Lizurey. - Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris la question. Je considère que la protection du Président de la République, mais aussi de l'ensemble des autorités ministérielles, est assurée par des personnels de la gendarmerie ou de la police, par le Groupe de sécurité de la présidence de la République, le GSPR, pour le Président de la République, par le Service de la protection, le SDLP, pour les autorités de premier niveau. À ma connaissance, il n'y a pas d'immixtion de quelque nature que ce soit. Cela étant dit, ce n'est pas mon domaine de compétence, je suis donc mal placé pour vous répondre. Les gendarmes du GSPR ne m'ont pas fait remonter de difficultés. Globalement, ils font leur métier au quotidien avec leurs camarades de la police nationale.

M. Henri Leroy. - En d'autres termes, la protection rapprochée par M. Benalla du Président de la République n'était-elle pas susceptible de gêner l'action des membres du GSPR, qui sont des professionnels de la garde rapprochée ?

M. Richard Lizurey. - Je suis incapable de répondre à cette question, car je ne suis pas un spécialiste de la protection des personnes. Je n'ai ni suivi de formation ni occupé de poste dans ce domaine. Je ne sais donc pas comment est organisé le dispositif au sein de l'Élysée.

Mme Agnès Canayer. - Est-il normal et réglementaire selon vous que M. Benalla ait obtenu un port d'armes, eu égard aux fonctions qu'il semblait exercer en matière de maintien de l'ordre ?

M. Richard Lizurey. - Le port d'arme n'est autorisé pour les personnels de la réserve que dans le cadre de missions de sécurité publique. Lorsque M. Vincent Crase était convoqué en tant que réserviste, il percevait son armement lorsqu'il prenait son service, sous l'autorité et le contrôle d'un personnel d'active, et la remettait au râtelier à la fin de son service, toujours sous le contrôle d'un personnel d'active. Il en va de même pour tous les réservistes.

M. Benalla quant à lui n'avait pas vocation, dans sa fonction spécialiste, à être titulaire d'un port d'arme en qualité de réserviste.

Cela étant dit, les autorisations de port d'arme ne relèvent pas de mon domaine de compétence. Je n'ai pas autorité pour délivrer un port d'arme ou même pour émettre un avis sur qui que ce soit. Cela relève de la responsabilité non pas de la gendarmerie nationale, mais des autorités préfectorales et des autorités hiérarchiques. Ma seule responsabilité est d'autoriser les militaires d'active à détenir leur arme en dehors de leur service. Ce dispositif a été mis en place à la suite des différents attentats qui ont endeuillé notre pays, en particulier l'agression à Magnanville de nos camarades de la police nationale.

M. Patrick Kanner. - Existe-t-il un risque que M. Benalla, compte tenu des faits qui lui sont reprochés et de sa responsabilité dans les événements dont nous avons pris connaissance, puisse être rétrogradé ?

M. Richard Lizurey. - M. Benalla et M. Crase ne sont plus convoqués en tant que réservistes, en attendant de plus amples informations, c'est-à-dire qu'on ne les emploie plus. C'est ce que l'on fait traditionnellement pour tous les réservistes ayant un problème de déontologie ou d'action. On laisse ensuite courir le contrat, qu'on ne renouvelle pas. La radiation est encadrée par un texte, que je peux mettre à votre disposition. Elle nécessite, s'agissant de deux officiers, la réunion d'une commission composée de deux officiers d'active et de quatre officiers de réserve. La procédure est équivalente à celle d'un conseil d'enquête pour un militaire d'active. C'est non pas la procédure en elle-même qui pose problème, mais le fait qu'il faille convoquer l'intéressé pour l'entendre sur les faits. Une enquête judiciaire étant en cours, je ne peux évidemment pas le faire, sauf à m'immiscer dans l'enquête judiciaire.

À ce stade, M. Benalla et M. Crase sont tous les deux suspendus de convocation. Le cas échéant, nous prendrons d'autres mesures au fur et à mesure de l'avancée des investigations judiciaires et des éléments qui seront portées à notre connaissance, sous l'autorité du ministre bien entendu, lorsque nous pourrons le faire sans interférer sur l'enquête judiciaire.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Avez-vous été informé d'un projet de fusion du GSPR et du commandement militaire ? Le cas échéant, avez-vous été consulté sur ce point ?

M. Richard Lizurey. - Je n'ai pas été consulté, mais j'en ai été informé, ce projet ayant des conséquences en matière de mise à disposition des personnels et nécessitant des ajustements budgétaires. Je n'avais pas à être consulté, car ce n'est pas mon domaine de compétence.

M. Philippe Bas, président. - Peut-être que si, monsieur le directeur général, mais c'est une appréciation sur laquelle il n'y a pas d'inconvénient à être en désaccord.

Je vous remercie d'avoir été coopératif et de nous avoir éclairés. Avant de vous libérer, permettez-moi de vous faire part de tout le respect que nous avons pour le travail de la gendarmerie nationale et pour votre attachement au respect de l'État de droit.

M. Richard Lizurey. - Je vous remercie de vos paroles. Il est important que l'engagement quotidien de nos personnels, les réservistes, mais aussi les personnels d'active, soit reconnu. C'est le cas. Leur engagement est total. En cas d'incident, il m'appartient d'en tirer les conséquences et d'assumer mes propres responsabilités. Cela ne doit en rien entacher la qualité et l'engagement de mes personnels.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie de votre présence, monsieur le directeur général de la police nationale. Je rappelle que vous vous exprimez devant notre commission investie des pouvoirs de commission d'enquête. Après un propos liminaire, nous poserons nos questions.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Éric Morvan prête serment.

M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale. - La police nationale accueille chaque année dans ses services plusieurs milliers de personnes qui, n'appartenant pas à ses rangs, souhaitent découvrir le fonctionnement de notre institution. Ces personnes constituent un très large panel, depuis les écoliers en stage jusqu'aux magistrats, aux universitaires, aux journalistes, aux membres d'autorités administratives indépendantes ou du corps préfectoral, en passant par les parlementaires, les élus locaux et les policiers étrangers, dans le cadre de nos accords de coopération internationale. Les services qui accueillent ces personnes extérieures relèvent de l'ensemble du spectre des missions de police. Ainsi, les services de sécurité publique, de police aux frontières, de maintien de l'ordre, de police judiciaire, constituent autant de terrains sur lesquels nous sommes appelés à accueillir ces personnes en qualité d'observateurs.

Ces initiatives apparaissent indispensables et font partie d'une stratégie parfaitement revendiquée et assumée. Il est tout à fait sain en effet, chacun pour ce qui concerne ses propres centres d'intérêt, que des observateurs soient accueillis par la police nationale pour mieux faire comprendre, en toute transparence, l'environnement et le cadre dans lequel se déploie son action de protection des personnes et des biens.

L'accueil de ces personnes n'est pas encadré par un corps de règles spécifiques. Jusqu'à ce jour, il n'était pas envisagé d'en créer dans le droit positif dès lors qu'aucune difficulté n'avait été recensée. Pour autant, le fait qu'il n'existe pas de corps de règles spécifiques ne signifie en aucun cas que l'association d'observateurs n'obéit à aucun principe et n'est encadrée par aucune doctrine. Ainsi, l'accueil d'observateurs dans des services de police judiciaire exclut de les faire participer à des actes d'enquête tels qu'une perquisition ou une audition, notamment depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2017, qui a précisé le traitement des journalistes accueillis en immersion dans les services judiciaires. Il s'agit ni plus ni moins de respecter la règle du secret de l'enquête, sans qu'il soit besoin de la réécrire. De la même manière, l'accès aux informations classifiées est strictement interdit, sans qu'il soit besoin là encore de réécrire le droit applicable ou la nature des sanctions en cas de compromission du secret. Des conventions peuvent d'ailleurs être signées avec l'observateur en immersion. Un modèle type existe. De la même manière, l'accueil de stagiaires écoliers ou étudiants fait l'objet de conventions de droit commun conclues avec l'établissement scolaire ou universitaire.

Pour d'autres observateurs relevant de la sphère publique - magistrats, fonctionnaires, agents chargés d'une mission de service public, ce qui était le cas de M. Benalla -, des règles de bon sens sont appliquées.

Il leur faut bénéficier d'une autorisation, dont les formes ne sont pas expressément précisées. L'autorisation peut émaner du chef de service, du préfet territorialement compétent, que l'on ne manquera pas de solliciter si l'observateur est une personnalité, compte tenu de son statut ou de ses fonctions.

Il leur faut ensuite se soumettre aux prescriptions des services de police en termes de protection et de respect des injonctions qui seront données au cours de la mission, en particulier par l'accompagnateur référent du niveau hiérarchique approprié, qui est le plus souvent nommément désigné. Une mission de police n'est en effet jamais banale. Qu'il s'agisse d'une patrouille ou d'une intervention de police secours, lors d'un tapage ou d'un différend familial, tout peut, hélas ! arriver, y compris le pire.

Ils ne doivent jamais participer à l'opération elle-même. Ils doivent l'observer en retrait et en sécurité. Les policiers accompagnant l'observateur sont d'ailleurs responsables de cette sécurité. C'est la raison pour laquelle un observateur ne sera admis à s'immerger qu'avec l'accord des personnels qui conduiront la mission, lorsqu'il s'agit par exemple d'une patrouille de la brigade anticriminalité ou d'une opération de police secours.

Enfin, ils doivent participer au briefing précédant la mission, au cours duquel seront rappelés les consignes de sécurité, le caractère passif de l'observateur et l'environnement général de la mission, en particulier ses dangers potentiels.

Au cours des auditions qui s'enchaînent sur l'affaire Benalla, et que je suis, certains ont suggéré que les observateurs pourraient être clairement distingués des intervenants policiers par des signes distinctifs, de type chasuble ou casque de couleur. Je dois dire que je suis assez circonspect sur ces propositions, dont je comprends bien entendu le sens, mais qui emportent aussi à mes yeux quelques inconvénients, notamment celui de désigner aux fauteurs de troubles, notamment lors d'opérations de maintien de l'ordre ou de patrouilles de la brigade anticriminalité, celui qui, par nature, sera le plus vulnérable. Une réflexion s'impose à cet égard pour ne pas compromettre la sécurité des observateurs. L'IGPN, qui s'est vue confier par le ministre d'État une mission de réflexion sur le sujet, ne manquera pas, j'en suis sûr, de traiter ce point particulier.

En matière d'ordre public, il va de soi que le rôle d'observateur est d'application absolument stricte. Les actions opérationnelles de service d'ordre, de maintien de l'ordre ou de rétablissement de l'ordre, sont absolument réservées aux seuls fonctionnaires de police ou aux militaires de la gendarmerie. C'est si vrai que certains agents de la police nationale, pourtant membres de notre institution, ne peuvent en aucun cas participer à ces opérations très spécialisées. C'est le cas des adjoints de sécurité et des réservistes de la police nationale, qui ne sont jamais engagés en matière d'ordre public. Il en est de même évidemment pour la protection de hautes personnalités.

Pour vous donner une idée du nombre d'observateurs que les services de la police nationale traitent au seul niveau central, et pour ne prendre que le seul domaine de la presse, je citerai quelques chiffres illustrant le caractère très habituel des sollicitations dont nous sommes l'objet.

Ainsi, le service d'information et de communication de la police nationale, le SICoP, est destinataire chaque année d'environ 3 500 demandes de journalistes, dont une dizaine concerne des services d'ordre ou des opérations de maintien de l'ordre. Les demandes d'observations qui parviennent dans mes services, ceux du préfet de police, des services déconcentrés de la police nationale, sans compter ceux de la gendarmerie, se comptent par milliers chaque année et n'ont à ce jour posé aucune difficulté. Les demandes sont instruites par le SICoP, qui a toute latitude pour en apprécier la pertinence ou le calendrier

Il peut ne pas être donné suite aux demandes d'observation lorsque l'on détecte une volonté manifeste d'instrumentaliser l'action des services de police, lorsque des questions de confidentialité sont en jeu, lorsque l'activité opérationnelle du service concerné ne permet pas d'accueillir l'observateur dans de bonnes conditions. En règle générale, nous nous efforçons toutefois de trouver une solution permettant d'accueillir l'observateur.

J'en viens à ce qu'il convient d'appeler désormais l'affaire Benalla, qui est à l'origine de la constitution de cette commission d'enquête, même si votre champ d'investigation est considérablement plus large.

Je connais M. Benalla pour l'avoir croisé depuis ma prise de fonction, le 28 août dernier, lors de déplacements ou de cérémonies auxquels participait le Président de la République et auxquels j'étais convié. Je l'identifiais clairement comme un collaborateur du chef de cabinet de la présidence de la République. L'une des missions centrales habituelles d'un cabinet est d'organiser ces déplacements ou ces cérémonies officielles. Il était donc tout à fait naturel que M. Benalla soit présent dans ces circonstances - une dizaine de fois pour ce qui me concerne, la dernière dans la tribune officielle du 14 juillet -, au cours desquelles je n'ai jamais remarqué de sa part une attitude déplacée ou qui me soit apparue intrusive. Je n'ai échangé avec lui que de courtoises salutations. Je n'ai pas le souvenir d'avoir participé à des réunions de travail en sa présence. Il faut dire que mes contacts avec la présidence de la République sont rares, ces relations étant normalement réservées au cabinet du ministre, qui, au besoin, me sollicite lorsque des commandes techniques sont exprimées par la présidence.

J'en viens plus particulièrement aux événements du 1er mai sur la place de la Contrescarpe. Dans ce contexte, il m'apparaît important de vous décrire rapidement l'organisation des opérations de maintien de l'ordre en France. Sur l'ensemble du territoire national, à Paris comme ailleurs, le préfet territorialement compétent a la pleine responsabilité de la gestion de l'ordre public. C'est sous son autorité que sont organisés les dispositifs opérationnels qui seront mis en oeuvre sur le terrain par les forces de police ou de gendarmerie, parfois combinées. Mon rôle, en tant que directeur général de la police nationale, est donc de fournir aux préfets, y compris aux préfets de police, les forces mobiles nécessaires au service d'ordre qu'ils prévoient, selon les renseignements dont je dispose sur le contexte de l'événement à gérer et en fonction des forces disponibles, qu'elles appartiennent à la police - les CRS - ou à la gendarmerie nationale, les escadrons de gendarmerie mobile.

Le 1er mai, j'ai mis quinze forces mobiles de la réserve nationale, dix CRS et cinq escadrons de gendarmerie mobile, à la disposition du préfet de police. Ils sont venus s'ajouter aux huit CRS qui constituent l'enveloppe parisienne permanente dont il dispose, soit vingt-trois unités au total, lesquelles s'ajoutent aux forces territoriales de la préfecture.

Au terme des opérations, les services de police transmettent à mon état-major un compte rendu synthétique décrivant leur déroulé, le bilan des blessures, des interpellations, des dégâts éventuels, des incidents. Le 1er mai, le télégramme de la CRS n° 15, présente place de la Contrescarpe, rapporte les événements graves auxquels ces fonctionnaires ont été confrontés pendant toute la durée de leur vacation, commencée à 12h40 et terminée à 23h00, sans mentionner de faits impliquant des observateurs.

Rétrospectivement, je pense qu'une ligne de ce télégramme de compte rendu fait sans doute référence aux événements ayant motivé la formation des commissions d'enquête parlementaires en cours. Elle est ainsi libellée : « 20h15, deux individus interpellés, violences contre agent de la force publique ; remis à la brigade d'information de voie publique ».

Au-delà de cette information opérationnelle, transmise par les services de police eux-mêmes à mon état-major, je peux également être rendu destinataire par les préfets ou par les directions centrales placées sous mon autorité d'informations sur le comportement inadapté, voire fautif, d'une unité ou d'un ou de plusieurs fonctionnaires. Sur la base d'éléments circonstanciés et vérifiés, je déclenche alors une procédure disciplinaire, en saisissant l'inspection générale de la police nationale, avec mesure de suspension le cas échéant, et ce indépendamment des poursuites judiciaires éventuelles décidées par le parquet compétent.

Au terme des événements du 1er mai, aucun signalement de ce type n'a été porté à ma connaissance, aucun incident dans la conduite des opérations ne m'a été rapporté. Je n'ai été informé des agissements répréhensibles de M. Benalla que lors de la publication de l'article du journal Le Monde, daté du 18 juillet.

À l'inverse, le 19 juillet, les agissements présumés délictuels de trois fonctionnaires de la DOPC, la direction de l'ordre public et de la circulation, qui ont participé à l'extraction d'images de vidéoprotection publique et à leur communication à M. Benalla, m'ont été signalés immédiatement, compte tenu de la gravité des faits, avec la circonstance particulière qu'ils avaient été commis par de hauts cadres de la police nationale, qui ne pouvaient ignorer qu'ils commettaient sciemment une infraction. J'ai donc donné instruction à mes services, avant même les décisions de l'autorité judiciaire, de prendre sans délai les actes de suspension. J'ai également demandé au préfet de police de saisir l'IGPN à des fins disciplinaires, ce qu'il a fait. Il me reviendra in fine, car c'est de ma seule compétence, de prendre les sanctions qui s'imposeront au terme des procédures disciplinaires qui vont se dérouler. Les sanctions sont en général signées par mon délégataire, le directeur des ressources et des compétences de la police nationale, à l'exception des révocations, dont je me réserve l'exclusivité des signatures, compte tenu de la gravité de la mesure.

Pour être complet, et j'en finirai par là, je précise que l'IGPN avait été destinataire, sur sa plateforme de signalement en ligne, d'images de la scène de la Contrescarpe. Ces images avaient été postées le 3 mai à 2 heures 13 par un internaute ayant usé d'un pseudonyme, ce qui n'a pas permis de l'identifier. Il ne s'est pas présenté comme un protagoniste de la scène filmée, il a simplement indiqué l'avoir trouvée sur les réseaux sociaux. L'inspection générale, dans les circonstances particulières de ce signalement, en l'absence de plainte, et dans le contexte des grandes violences subies par les forces de l'ordre lors des manifestations du 1er mai, n'a pas jugé pertinent de déclencher des investigations.

Je précise que les images postées étaient prises sous un angle qui ne mettait pas en évidence des violences avérées. L'IGPN a considéré légitime, au vu de ces images, l'usage de la force appliquée. Elle ne disposait alors que de ces seules images et non de celles qui, depuis, ont été largement diffusées, prises sous différents angles, par différents opérateurs qui sont aujourd'hui à notre disposition, mais dont ne disposait pas l'IGPN lors de cette fameuse nuit du 3 mai. Les images qui ont été déposées sur la plateforme en ligne ont toutefois été conservées au cas où une plainte serait ultérieurement déposée ou un signalement exploitable posté. On sait aujourd'hui que ça n'a pas été le cas.

L'IGPN ne m'a pas informé de ce signalement, ce que je considère parfaitement normal dans l'état de connaissance des faits qui était le sien à ce moment-là. La chef de l'inspection, Mme Monéger-Guyomarc'h, que je rencontre très régulièrement, ne manque jamais de me rendre compte des faits graves qui sont portés à sa connaissance et des diligences qu'elle entreprend en toute indépendance et sans aucune faiblesse, mais la gravité de la scène que j'évoque ne sera établie que bien plus tard, lorsque l'illégitimité des « interpellateurs » sera révélée à l'IGPN comme à moi-même par l'article du journal Le Monde, éclairant le sujet sous un jour tout à fait nouveau et caractérisant des infractions que l'autorité judiciaire vient de qualifier pénalement.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions et vous apporter toutes précisions utiles à vos travaux, sur l'accueil des observateurs ou l'affaire Benalla, dans le respect des investigations judiciaires en cours et dans les limites de ce que j'en connais, ou plus généralement sur l'organisation de mes services en matière de protection des hautes personnalités.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Saviez-vous que le statut d'observateur avait été sollicité pour M. Benalla pour les manifestations du 1er mai ? Vous dites que personne ne vous a informé des actes de violence commis en présence de nombreux policiers par deux personnes n'appartenant pas à la police nationale, ayant donc un statut d'observateur. Comment est-il possible que cela ne soit jamais remonté ce jour-là ? Quelles conséquences en avez-vous tiré ?

Par ailleurs, il est établi que, dès le 2 mai, le ministre de l'intérieur, le directeur de cabinet du Président de la République et le préfet de police étaient en possession des vidéos démontrant l'implication de M. Benalla. Pouvez-vous nous confirmer que vous n'avez eu aucune connaissance de ces documents en votre qualité de directeur général de la police nationale ?

Je suppose que vous n'avez pas pu ignorer que M. Benalla était déchargé de ses fonctions durant sa mise à pied et que vous vous êtes interrogé, si vous n'avez pas eu connaissance des vidéos, sur les raisons de cette sanction. Vous avez comme nous entendu le porte-parole de l'Élysée dire que l'intéressé serait démis de toutes fonctions de sécurité et de protection à l'issue de sa mise à pied. Dans ces conditions, vous n'avez pas manqué d'observer que, jusqu'au 14 juillet inclus, il a continué d'exercer ses missions. Quelle est votre réaction ?

De manière plus générale, et j'en termine, les représentants des personnels de la police nationale, que vous connaissez parfaitement, nous ont fait part hier de leurs grandes difficultés dans leurs relations avec M. Benalla. Quel jugement portez-vous sur les interférences entre ses actions et les actions menées légitimement par les représentants de la police nationale ?

Enfin, si M. Benalla a participé à des réunions de commandement relevant de la police nationale - vous avez déclaré que vous n'aviez jamais pu observer cela -, en avez-vous été informé où avez-vous vous-même été appelé à prendre des décisions, notamment pour la réunion de commandement qui s'est déroulée à la suite des faits du 1er mai à la préfecture de police de Paris ?

M. Éric Morvan. - Non, je ne savais pas qu'il y avait un observateur autorisé lors des manifestations du 1er mai à Paris, sur la place de la Contrescarpe ou ailleurs. Je n'avais pas naturellement à le savoir, n'étant pas l'autorité qui délivre ce type d'autorisation. Le préfet de police s'est clairement exprimé devant l'Assemblée nationale en disant qu'il était extrêmement jaloux d'ailleurs, et je le comprends, de son pouvoir de décision en ce domaine. Il n'a pas à m'en rendre compte. Il accueille tous les observateurs qui le souhaitent. Je n'ai pas à savoir qui est observateur ou ne l'est pas, quelle que soit d'ailleurs la qualité de cet observateur.

Vous indiquez que les vidéos présentent des actes de violence commis par des personnes n'appartenant pas au service. Encore une fois, et aussi surprenant que cela puisse vous paraître, lorsque l'IGPN regarde les images déposées sur sa plate-forme, prises sous un angle particulier d'ailleurs, elle n'identifie pas des protagonistes qui ne seraient pas policiers. Elle voit des gens casqués qui interviennent en civil, ce qui est une pratique habituelle. Aux côtés des autorités constituées, des opérateurs en civil sont chargés des interpellations. À ce stade, l'IGPN n'a aucune raison de penser que certains protagonistes ne sont pas des policiers.

Vous vous interrogez sur le fait que je ne sois pas informé de cette affaire le 2 mai alors que la présence de M. Benalla le 1er mai est établie et que je ne sois au courant qu'à la lecture du journal Le Monde. Je vous confirme que, entre le 2 mai et la parution de l'article du journal Le Monde, je n'ai pas été mis au courant de ces circonstances très particulières.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je vous rappelle que vous témoignez sous serment !

M. Éric Morvan. - Madame, je le confirme haut et fort, et je vous le dis de manière extrêmement affirmative : je n'ai jamais été mis au courant de la participation ce jour-là de MM. Benalla et Crase, dont j'ignore tout. Et je suis très conscient de déposer sous serment !

M. Philippe Bas, président. - Monsieur le directeur, vous n'avez pas à répondre aux interpellations quand je n'ai pas donné la parole à mes collègues.

M. Éric Morvan. - Cette interpellation semble mettre en cause la sincérité de mes propos. Permettez-moi d'y réagir assez fermement.

Je termine de répondre aux nombreuses questions de M. Sueur.

J'ignore tout de la mise à pied de M. Benalla, ce qui n'a rien d'étonnant, car il n'est pas l'un de mes employés. Je n'ai pas de pouvoir disciplinaire sur lui. J'ai beau être directeur général de la police nationale, je ne dispose pas d'un fichier sur tous les collaborateurs des plus hautes autorités de l'État que je consulterais tous les jours !

J'ignore tout, et c'est absolument normal, des relations professionnelles de M. Benalla avec sa hiérarchie. Je prends connaissance de la lettre de mise à pied que signe M. Strzoda dans le journal Le Monde.

Vous me dites ensuite que les syndicats commencent à dire que les relations étaient compliquées, exécrables, entre M. Benalla et des fonctionnaires de la police. J'ai regardé, en tout cas partiellement, vos auditions d'hier. M. le président Bas a indiqué lors de l'une d'entre elles que les langues commençaient à se délier. Je comprends que ces relations exécrables ont été mises à jour de façon extrêmement récente.

Pour ma part, je n'ai encore une fois jamais été destinataire d'informations accréditant une ambiance exécrable. Je ne dis pas qu'elle n'existe pas, je n'en sais rien, je dis simplement que personne dans mon entourage, aucun syndicat, ne me l'a rapportée. Tous les secrétaires généraux des syndicats de la police nationale ont mon numéro de portable personnel. Alors qu'ils ne se privent pas de l'utiliser, ils ne m'ont à aucun moment alerté sur ce sujet. Je prends acte du fait que les langues se délient, mais je n'ai pas d'informations sur ce sujet, en dehors de celles qui ont été révélées à votre commission.

M. Philippe Bas, président. - Nous sommes intéressés, naturellement, par votre témoignage sur des faits, mais nous le sommes aussi par votre expertise comme directeur général de la police nationale et par votre expérience de l'État, car nous avons besoin d'interpréter ce qui s'est passé et de le comprendre. Or il y a pour nous une discordance entre la précision de l'information que le ministre de l'intérieur, son cabinet, le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République détiennent dès le 2 mai, et l'information mise à la disposition de votre propre direction générale et de l'IGPN. Nous formulons de ce fait l'hypothèse que les autorités citées sont convenues de ne pas aller plus loin et de ne pas saisir la justice de ces faits, alors qu'ils nous paraissent d'une grande gravité. Cette interprétation vous paraît-elle vraisemblable ?

M. Éric Morvan. - Ce n'est qu'en lisant le journal Le Monde que j'ai découvert la présence de M. Benalla lors des événements du 1er mai, puisque je n'étais pas dans la boucle, apparemment restreinte, de ceux qui savaient. Quant à la saisine de la justice et de l'IGPN...

M. Philippe Bas, président. - Il ne s'agit pas d'un reproche que nous vous adresserions.

M. Éric Morvan. - Cette question renvoie à l'article 40 du code de procédure pénale et, pour l'IGPN, au droit disciplinaire. Je vais vous donner très sincèrement, puisque vous m'y invitez, mon sentiment de haut fonctionnaire. Le 2 mai, le cercle de ceux qui savent est au courant de ce qui s'est passé. Si les faits sont graves, le préjudice - je vais peut-être vous choquer - ne l'est pas, puisque les personnes interpellées de manière irrégulière ne sont pas blessées et ne portent pas plainte ; elles seront amenées rue de l'Évangile et ne seront pas placées en garde-à-vue.

Ma conception de l'application du droit n'engage que moi, mais elle reflète la pratique courante. La règle de droit est écrite dans toute sa sécheresse : tout fonctionnaire, tout agent public qui a connaissance de faits délictueux a l'obligation de saisir le procureur de la République. J'ai suivi les débats, notamment à l'Assemblée nationale, sur la question de savoir qui devait effectuer le signalement : le ministre, le directeur de cabinet du ministre, le directeur de cabinet du Président de la République, le préfet de police, le directeur de l'ordre public et de la circulation... Beaucoup de hauts fonctionnaires savaient et, en application stricte du texte de l'article 40 du code de procédure pénale, étaient en situation d'informer le procureur de la République. Mais nous ne sommes pas dans un système de fonctionnaires-robots qui appuieraient sur un bouton rouge ou sur un bouton vert. Nous regardons la manière dont les choses se sont passées, nous les contextualisons et nous essayons de faire une application intelligente du droit.

Je vous parle de la vraie vie, je ne fais pas un cours de droit !

En l'espèce, les faits sont extrêmement graves, et tout le monde les a qualifiés comme inacceptables. Ils sont commis par un jeune homme qui, à mon avis, a perdu les pédales, qui a pris, comme on dit, la grosse tête et s'est senti pousser des ailes en raison de l'administration prestigieuse dans laquelle il se trouve. Que fait le directeur de cabinet du Président de la République, dès qu'il en a connaissance ? Il le convoque, lui demande des explications et lui inflige une sanction disciplinaire qui, contrairement à ce que j'ai entendu, n'est pas clémente. Ce n'est pas une suspension, mais une mise à pied, puisque M. Benalla est contractuel. S'il avait été fonctionnaire, cela équivaudrait à une exclusion temporaire de fonctions, qui est une sanction du deuxième groupe, donc grave.

Ainsi, la sanction qui est infligée à M. Benalla n'est pas une sanction anodine. Dans la fonction publique, l'exclusion temporaire de fonctions de quinze jours aurait sans doute été prononcée, et elle aurait sans doute été assortie d'une période complémentaire de sursis d'un ou deux mois, comme une sorte d'épée de Damoclès pédagogique. Ajoutons que, dans la lettre de sanction, le périmètre fonctionnel de M. Benalla est modifié. Dans la fonction publique, cela équivaudrait à confier d'autres missions au fonctionnaire, ce qui serait illégal car constitutif d'une double sanction. La sanction infligée à M. Benalla n'est donc pas légère. Même, elle est plus sévère que celle qui aurait pu être infligée à un fonctionnaire.

Honnêtement, placé dans la même situation que M. Patrick Strzoda, j'aurais pris exactement la même décision - et je ne suis pas connu pour être particulièrement léger dans l'application du droit. Bien sûr, si les actes de M. Benalla avaient entraîné des préjudices graves, la question ne se serait même pas posée et nous n'aurions pas parlé de l'article 40, parce que le procureur se serait immédiatement saisi lui-même du sujet.

Autre exemple de l'application du droit : M. Gibelin, n'était pas au courant. Son adjoint non plus, et tombe de l'armoire, a-t-il déclaré. Il va voir son numéro 3, M. Simonin qui, lui, est au courant, puisque c'est lui qui a donné l'autorisation. En prenant une telle initiative, M. Simonin est coupable d'un triple manquement disciplinaire : il a manqué à son devoir d'obéissance, parce qu'il savait très bien que ces autorisations-là relèvent exclusivement du préfet de police ; il a manqué à son devoir de loyauté ; et il a manqué à son devoir de rendre compte. Quand on est contrôleur général de la police nationale et qu'on manque à ces trois principes de la déontologie, l'application du droit dans toute sa sécheresse commande une sanction disciplinaire : un avertissement, un blâme, une sanction du premier groupe. Pourtant, M. Gibelin ne prononce pas de sanction, mais réprimande vertement M. Simonin. Dans la police nationale, un directeur des services actifs qui réprimande vertement un contrôleur général, cela marque.

Le code de déontologie de la police nationale n'est pas du droit mou : ce n'est pas une circulaire, ni une instruction mais un décret, d'ailleurs commun à la police et la gendarmerie. Son application automatique aurait dû conduire à une sanction disciplinaire, fût-ce une sanction du premier groupe. Or une telle sanction n'a pas été prononcée à l'égard de M. Simonin. Eh bien ! À la place de M. Gibelin, à la place du préfet de police, j'aurais fait exactement la même chose : j'aurais choisi d'autres chemins.

Peut-être certains d'entre vous ont-ils été maires de collectivités territoriales et, à ce titre, à la tête d'une administration municipale nombreuse. Il a pu vous arriver qu'un employé commette des indélicatesses. Je ne suis pas sûr - et je le comprendrais - qu'à chaque fois vous ayez saisi le procureur de la République.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La vidéo du 2 mai, lorsqu'on ne connaît pas la qualité d'observateur de M. Benalla, ressemble, si j'ai bien compris, à une interpellation un peu musclée dans une journée très délicate dont on a promis à la police qu'elle serait une journée d'enfer. De ce fait, elle ne justifie pas la saisine de l'IGPN. Celle-ci, d'ailleurs, saisie par un internaute anonyme, va en quelque sorte classer l'affaire.

La révélation de la qualité d'observateur de M. Benalla, en revanche, survenue le 18 juillet, conduit à la fois à la saisine de l'IGPN et à celle du parquet, sur le fondement de l'article 40. J'ai noté l'expression d'illégitimité de l'intervenant...

M. Éric Morvan. - Lorsque l'IGPN visionne les images postées dans la nuit du 3 mai, sous un angle particulier, et sans la richesse des vidéos dont nous disposons, prises sous différents angles, elle considère que l'application de la force est légitime et que la légitimité des opérateurs qui interviennent ne fait pas de doute : on a visiblement affaire à des policiers.

Marie-France Monéger-Guyomarc'h a toutefois indiqué que les spécialistes avaient trouvé que les gestes techniques qui sont appliqués sont un peu maladroits. Elle ne classe pas l'affaire, puisque l'IGPN conserve ces images, dans l'attente d'une plainte ou d'un nouveau signalement qui serait exploitable. Mais les protagonistes n'ont pas porté plainte, même s'ils manifestent désormais le désir d'être entendus.

M. Pierre-Yves Collombat. - Pardon si je vous donne l'impression de radoter... Nous avons progressivement appris que M. Benalla s'imposait régulièrement dans des opérations de maintien de l'ordre et participait tout aussi régulièrement à des réunions de débriefing de la direction de l'ordre public et de la circulation. Démentez-vous ces affirmations ? Sinon, comment expliquer qu'il ait pu ainsi s'imposer à des fonctionnaires qui ne sont quand même pas nés de la dernière couvée ?

M. Éric Morvan. - Je n'ai pas connaissance du fait que M. Benalla ait participé régulièrement à des opérations de maintien de l'ordre.

M. Philippe Bas, président. - Je pense que M. Collombat a en tête la protection rapprochée du Président de la République à l'occasion de ses déplacements et les réunions de préparation de ces déplacements. Dans ce cadre, M. Benalla semble avoir exercé, soit au moment même du déplacement, soit dans la préparation, une autorité sur les services chargés de la sécurité.

M. Pierre-Yves Collombat. - Sans compter la cérémonie du transfert de Simone Veil au Panthéon, ou le retour des Bleus...

M. Philippe Bas, président. - Comment est-il arrivé à s'imposer à une hiérarchie qui répond à l'autorité de l'administration centrale, des préfets et du ministre de l'intérieur ?

M. Éric Morvan. - M. Benalla était membre de la chefferie de cabinet de l'Élysée, dont l'une des missions essentielles est d'organiser les déplacements, ce qui comporte de multiples composantes : gérer la communication, la presse, la logistique, les cortèges, identifier les personnes que l'on rencontrera, assurer la vacuité des axes qui permettent d'arriver sur les lieux, veiller à l'aspect sanitaire, notamment s'il y a des mouvements de foule, faire venir le déminage... Rien de tout cela n'est étranger aux élus que vous êtes. Un déplacement se prépare donc par de multiples réunions qui s'enchaînent et peuvent traiter de certains aspects spécialisés, mais tout converge pour que l'articulation de l'ensemble soit parfait.

Pour ma part, je n'assiste évidemment jamais à ce type de réunion en tant que directeur général de la police nationale, car ce n'est ni mon rôle, ni ma place - et le directeur général de la gendarmerie nationale n'y assiste pas davantage. Le fait que M. Benalla assiste à ces réunions, y compris à celles qui évoquent des questions de sécurité liées au déplacement auquel il participe, n'est pas en soi choquant puisqu'il est membre de la chefferie du cabinet du Président de la République. Ce qui serait anormal, ce serait qu'il intervienne dans les postures opérationnelles des forces de police et du GSPR et prenne un ascendant extrêmement intrusif. Mais cela, monsieur le sénateur, je ne peux ni l'affirmer ni le démentir : je n'étais pas présent à ces réunions.

Je ne sais pas plus comment se comportait M. Benalla. Je l'ai croisé une dizaine de fois lorsque je participais à un déplacement du Président de la République ou à une cérémonie à laquelle celui-ci avait bien voulu me convier. Sa présence ne m'a jamais choqué, puisqu'il était membre de la chefferie du cabinet du Président. Nos échanges se sont limités à des salutations courtoises et, dans cette dizaine d'occasions, je ne l'ai pas vu faire le coup de poing ou bien avoir une attitude qui m'ait choqué. Je l'ai vu dialoguer avec les uns et les autres, indiquer par exemple « le Président vient de partir » ou « il sera là dans dix minutes », ou encore « il a atteint tel niveau de l'itinéraire » - ceci, pour les quelques secondes où mes yeux se portait lui, car il n'était évidemment pas le centre de mon intérêt.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vous avez fait référence au compte rendu d'intervention, en indiquant qu'une phrase avait retenu votre attention, qui mentionnait deux individus interpellés et remis à la brigade, et vous nous indiquez que ces deux individus ont été transférés rue de l'Évangile. Or, le ministre de l'intérieur, le 23 juillet, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, a indiqué que ces personnes avaient disparu. Où est la réalité ?

M. Éric Morvan. - Je tiens mes informations des déclarations précises faites par le préfet de police devant l'Assemblée nationale. Il a indiqué que ces personnes n'avaient pas été placées en garde à vue mais laissées libres. Je n'ai pas de responsabilités opérationnelles sur Paris.

Mme Catherine Di Folco. - Une remarque sur votre appréciation des sanctions dans la fonction publique : je connais un petit peu la vraie vie, moi aussi, et la fonction publique, et notamment les conseils de discipline paritaires. Si un fonctionnaire était passé en conseil de discipline devant ses pairs et devant les élus pour usurpation de fonction et pour violence physique, très sincèrement, il n'aurait pas été suspendu mais révoqué.

Manifestement, vous n'êtes pas au courant de grand-chose, mais peut-être que vos services auront la réponse : les demandes d'accréditation pour être observateur doivent être motivées ; quel était le motif donné par M. Benalla pour le 1er mai ?

M. Éric Morvan. - Je suis fort marri que vous déclariez que je ne suis pas au courant de grand-chose. Je suis parfaitement au courant de ce qui relève de mes attributions et de mes compétences. Heureusement que je ne suis pas destinataire de toutes les demandes d'observation ! Je vous suggère de poser votre question au préfet de police, mais il aura lui-même du mal à vous répondre, puisqu'il n'a jamais été mis au courant - c'est toute la difficulté de cette affaire. C'est M. Simonin qui, visiblement, est à l'origine de cette affaire, puisqu'il s'est bien gardé de prévenir ses supérieurs hiérarchiques de ses initiatives. Je n'ai évidemment pas à être rendu destinataire des quelque 3 500 demandes d'observateurs qui sont présentées chaque année aux services de police.

Mme Catherine Di Folco. - Interrogez vos services !

M. Philippe Bas, président. - Ce qui étonne Mme Di Folco, c'est que, même en prévision de cette audition vous n'ayez pas recueilli auprès de vos services les informations nécessaires pour répondre à ce type de question.

M. Éric Morvan. - C'est que la préfecture de police n'appartient pas à mes services mais à ceux du préfet de police, qui relève directement, comme moi-même, du ministre de l'intérieur. Je n'ai donc pas à demander d'explications au préfet de police sur ce qu'il fait ou ne fait pas. Nous savons déjà que le préfet de police n'était pas au courant de cette demande, qui n'a jamais été transmise par M. Simonin à sa hiérarchie.

M. Philippe Bas, président. - Notre commission des lois n'a pas pour mandat de s'ériger en tribunal pour hauts fonctionnaires. Au contraire, elle les respecte et les écoute. Elle veut simplement, grâce à leur coopération, disposer de tous les éléments d'information et d'interprétation des faits pour pouvoir rendre ses conclusions.

Mme Catherine Troendlé. - Lorsqu'une personne demande à être sur une manifestation qui peut s'avérer très violente, lui attribue-t-on un tuteur pour la protéger ? Il me semble que l'État serait responsable si elle était blessée. Dans l'affirmative, son tuteur a dû suivre M. Benalla et voir quels étaient ses actes. Pourquoi ne les a-t-il pas dénoncés ?

Les syndicats, que nous avons entendus hier, ont dénoncé une forme de maltraitance de la part de M. Benalla sur les policiers. Vous nous dites qu'ils ont votre numéro de portable personnel. Pourquoi ne vous ont-ils pas appelé pour vous alerter sur cette situation insupportable ? En général, les syndicats sont très lestes pour signaler ce genre de comportement.

M. Éric Morvan. - Je n'en sais rien. Il semble que, si langues commencent à se délier, ces relations exécrables étaient alors confinées dans un cercle très fermé. Si les syndicats savaient depuis longtemps, ils auraient dû me prévenir - ils auraient eu raison de le faire, et ils en avaient les moyens.

M. Philippe Bas, président. - Pourquoi l'accompagnateur de M. Benalla, qui est témoin de ces incidents, ne tire-t-il pas la sonnette d'alarme ?

M. Éric Morvan. - Je vais vous parler de la vraie vie, là encore.

Mme Esther Benbassa. - Nous ne sommes pas dans une bulle !

M. Philippe Bas, président. - Il n'y a pas d'implications désagréables dans le propos du directeur général.

M. Éric Morvan. - L'accompagnateur était un major de police Je ne suis pas sûr, compte tenu de ce qu'était l'événement, et compte tenu de la personnalité qu'était, sur le plan professionnel, M. Benalla, que ce soit le bon niveau d'accompagnateur. M. Gibelin a d'ailleurs donné son point de vue, que je partage entièrement, devant l'Assemblée nationale. Pour lui, vu ce que l'on savait des risques avérés de violence de cette manifestation, il aurait fortement déconseillé d'y accueillir M. Benalla. Et, si l'autorisation avait été accordée selon les voies normales, l'accompagnateur désigné n'aurait pas été un major de police, mais un membre du corps de conception et de direction.

Je suppose que M. Simonin a désigné ce major, lui a demandé de remettre un casque au chef de cabinet adjoint de l'Élysée et de l'accompagner. Pour ce fonctionnaire de catégorie B en fin de carrière, il faut évidemment, en présence d'une telle autorité, suivre les instructions. Bien sûr, dans l'absolu, il n'aurait pas dû laisser faire, et il aurait dû l'interpeller.

M. Philippe Bas, président. - Comme pour un accident d'avion, les causes et défaillances sont multiples... En vous écoutant, on comprend mieux ce que le préfet de police a dit quand il a évoqué les « copinages malsains ».

M. Éric Morvan. - Je ne serai pas de ceux qui réclameront que la tête de ce major roule dans la sciure.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Le rapporteur ne demande aucune tête non plus ! Mais ce major, fût-il de catégorie B, aurait dû intervenir et, en tout cas, rendre compte.

Mme Brigitte Lherbier. - Les victimes de ces actes de violence n'ont pas porté plainte. Est-ce usuel ? Il y a quand même eu des violences constatées, on a vu ces personnes par terre, recevoir des coups de pied...

M. Alain Marc. - Vous êtes le premier personnage de la police au niveau national et vous n'avez appris cette affaire qu'avec les révélations du journal Le Monde. Or des dizaines de milliers de vues ont été enregistrées sur les réseaux sociaux. Je me fais donc du souci sur la qualité de notre renseignement, alors que nous vivons une époque très perturbée, avec les attentats... Ne faudrait-il pas améliorer la qualité de notre renseignement ? Certes, à Paris, cette affaire était sous la responsabilité du préfet de police.

M. François Grosdidier. - La défense d'Alexandre Benalla invoque l'article 73 du code de procédure pénale et indique que celui-ci interpellait des délinquants qui s'en seraient pris aux forces de l'ordre. Vos informations corroborent-elles cette version ? M. Benalla disposait d'un véhicule de police, sans que personne ne sache par qui il lui a été attribué ni quand. Peut-on se servir, tout simplement, dans un garage de police ? Ou y a-t-il un système de traçabilité ? Vous avez évoqué le statut d'observateur mais il semblerait que M. Benalla ait davantage été perçu comme un fonctionnaire d'autorité. Y a-t-il une doctrine sur les fonctionnaires d'autorité ?

M. François-Noël Buffet. - Vous semblez découvrir que les syndicats étaient sous pression, notamment à cause des difficultés avec M. Benalla. Pouvez-vous nous confirmer que vous avez décidé de les réunir ?

M. Alain Richard. - Une observation de méthode sur notre travail, monsieur le président : je vous ai entendu faire une distinction entre le recueil des faits et la construction d'une interprétation. Je vous remercie beaucoup de cette distinction, qui doit rester présente à l'esprit de tous dans le travail de cette commission d'enquête.

M. Éric Morvan. - Les personnes qui sont victimes de violences, avec des préjudices physiques ou moraux, ont la possibilité de porter plainte - et elles le font généralement quand il y a un préjudice. En l'espèce, les deux personnes concernées n'étaient pas blessées, elles n'ont pas demandé la consultation d'un médecin, n'ont pas porté plainte et n'ont pas été placées en garde à vue. En l'absence de plainte, le procureur peut, bien entendu, se saisir directement des faits. Les victimes de violences policières peuvent aussi avoir recours au Défenseur des droits, qui nous questionne très fréquemment sur les faits dont il est est saisi.

M. Philippe Bas, président. - Nous l'auditionnerons ce soir.

M. Éric Morvan. - Quant à la qualité de notre renseignement, elle est assez bonne puisqu'on a très vite su que M. Benalla était le protagoniste de cette triste affaire. Simplement, l'information ne remonte pas à mon cabinet, ni à l'IGPN.

L'idée que M. Benalla aurait porté secours aux forces de l'ordre débordées est une plaisanterie. Sur les images, vous voyez de nombreux fonctionnaires de police, qui ne sont pas particulièrement fébriles.

Le véhicule de M. Benalla ne provient pas du ministère de l'intérieur. J'ai la liste très précise de l'ensemble des véhicules achetés sur le programme budgétaire 176 dont je suis responsable, et celui de M. Benalla véhicule n'y figure pas. Il n'a pas davantage été équipé par mes services.

Quant au statut des fonctionnaires d'autorité : ce sont tout simplement des fonctionnaires ! Dans des domaines régaliens comme celui de la sécurité, les seuls à avoir une autorité légitime sont les fonctionnaires.

Il est si vrai que les syndicats ont mon numéro de téléphone portable, qu'ils l'utilisent fréquemment, et que ce matin, avant de venir vous voir, j'ai reçu de leur part quelques messages d'encouragement. Je les verrai pour qu'ils m'en disent plus sur cette affaire.

M. Philippe Bas, président. - Merci.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h, directrice, cheffe de l'inspection générale de la police nationale

M. Philippe Bas, président. - Nous accueillons Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h, directrice, cheffe de l'inspection générale de la police nationale (IGPN), accompagnée par M. Bertrand Michelin, directeur adjoint de l'IGPN.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h prête serment.

Mme Monéger-Guyomarc'h, directrice, cheffe de l'inspection générale de la police nationale. - Permettez-moi à titre liminaire de vous rappeler les différentes saisines instruites par l'IGPN et relatives à cette affaire.

L'IGPN a d'abord été saisie le jeudi 19 juillet par le ministre de l'intérieur aux fins de réalisation sous huitaine d'une étude sur les règles auxquelles est soumis l'accueil des observateurs lors d'une opération de police et les conditions dans lesquelles MM. Benalla et Crase ont été autorisés à assister au service d'ordre du 1er mai. Le même jour, nous avons été saisis par le préfet de police aux fins de réalisation d'une enquête administrative sur la communication à des tiers de la vidéoprotection produite par la préfecture de police. Le lendemain 20 juillet, nous avons été saisis par le parquet de Paris, conjointement avec la brigade de répression de la délinquance contre les personnes de la police judiciaire de Paris, dans le cadre d'une enquête pour violation du secret professionnel et son recel et accès par des personnes non habilitées à des enregistrements de vidéoprotection. Ces trois enquêtes et études différentes ont été confiées à trois entités différentes de l'IGPN : j'ai confié la première étude à mon adjoint M. Bertrand Michelin et au cabinet des inspections, des études et des audits de l'IGPN ; j'ai confié l'enquête administrative demandée par le préfet de police à la délégation de l'IGPN de Paris ; et j'ai confié l'enquête judiciaire à la division nationale des enquêtes de l'IGPN.

Pour être tout à fait complète, je précise que l'IGPN avait reçu le 3 mai à 2 heures 13 un signalement sur sa plateforme en ligne de signalement de violences policières. L'internaute qui l'a effectué n'était pas témoin des faits et nous communiquait simplement une adresse Internet sur laquelle il avait vu une vidéo qui l'avait choqué, puisqu'il s'agissait pour lui de violences policières. Pour lui comme pour ceux qui ont vu cette vidéo, il ne faisait pas de doute que les protagonistes étaient des policiers.

Cette vidéo a été visionnée par des agents de la plateforme de signalement le 5 ou le 6 mai. Ils ont relevé que l'usage de la force y était légitime, dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre, donc d'actions de police faites par ce qu'ils pensaient alors être des policiers. La plateforme n'a ensuite enregistré aucun autre signalement relatif à ces faits, ni d'un témoin direct ni d'une des deux personnes qui avaient été interpellées : nous n'avons pas eu d'autres images.

Concernant plus généralement les opérations de maintien de l'ordre particulièrement dures du 1er mai, l'IGPN a reçu deux autres signalements. Le premier émanait d'une personne se déclarant victime de violences et ayant été blessée. Cette personne a été reçue à l'IGPN après avoir été recontactée par la plateforme de signalement, qui lui a demandé de déposer plainte, et l'enquête est actuellement en cours. Le second consiste en une unique photo, où l'on voit un CRS avec une grenade de désencerclement à la main, tenue en hauteur. Nous avons envoyé cette photo à sa direction d'emploi pour que les techniques d'usage des grenades de désencerclement soient rappelées.

Nous assumons la transparence de nos actions sur les observateurs. Nous en recevons beaucoup au sein de la police nationale, y compris à l'IGPN : l'ouverture et la transparence font partie de nos préoccupations. Il semble très intéressant qu'un certain nombre de personnes voient l'activité et les conditions de travail de la police.

Il n'existe aucune note réglementant l'accueil des observateurs. Chaque situation est envisagée selon la qualité de l'observateur, ses objectifs, ainsi que les services et, surtout, les événements observés. La réception d'un observateur passe par plusieurs étapes : présentation du service, puis, si l'on va observer un événement, participation au briefing. Il est rare que l'observateur ait du matériel, et ce ne peut être que du matériel défensif. Après l'opération, il y a un débriefing, qui est aussi un moyen de recentrer, de clarifier, voire d'apporter des précisions complémentaires. C'est important pour nous d'avoir un regard extérieur.

Il nous appartiendra de formuler un certain nombre de propositions pour encadrer plus précisément la venue des observateurs. De mémoire d'acteur à l'IGPN, il n'y avait jamais eu de problème. Là, il y en a eu un. Nous allons donc proposer que l'encadrement soit plus précis et qu'il respecte ces différentes étapes.

M. le ministre de l'intérieur nous a donné une huitaine de jours pour rendre notre étude. Les délais seront respectés. L'étude sera sans doute disponible vendredi.

M. Philippe Bas, président. - Les faits remontent au 1er mai. Le ministre de l'intérieur, le préfet de police, le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur et le directeur de cabinet du Président de la République sont au courant le 2 mai. Vous n'avez été saisie que récemment, après que l'affaire Benalla est devenue publique. Cette saisine est manifestement légitime compte tenu de toutes les questions que vous avez à examiner. Est-il normal, du point de vue du bon fonctionnement de l'administration, qu'il ait fallu attendre que cette affaire reçoive une telle publicité pour que l'IGPN ait enfin à se pencher dessus ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Je m'en tiens au texte de loi, l'article 40 du code de procédure pénale est clair : toute personne pouvait saisir l'IGPN ou faire une déclaration au procureur de la République.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vos services ont reçu cette vidéo au début du mois de mai en ignorant que l'auteur des faits était un observateur. S'ils l'avaient su, quelle aurait été la marche à suivre pour eux ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Si nous l'avions su, nous aurions démarré une enquête judiciaire, après avoir rendu compte au parquet, enquête judiciaire que nous aurions doublée d'une enquête administrative, sachant que l'IGPN n'est compétente que pour les fonctionnaires de police.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Il y a quelque chose de singulier dans le fait que le ministre de l'intérieur, le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République soient au courant dès le 2 mai et que ni la direction générale de la police nationale ni l'IGPN ne le soient.

Ignoriez-vous que M. Benalla avait été mis à pied ? Vous n'avez pas pu ne pas voir que, alors qu'il était démis de ses fonctions, dixit le porte-parole de l'Élysée, il était pourtant présent dans les mêmes fonctions de sécurité et de protection, que ce soit au Panthéon pour l'arrivée des cendres de Simone Veil, ou même dans la tribune officielle du 14 juillet.

Avez-vous une réflexion sur ce qui s'est passé le 1er mai et sur l'attitude des forces de police ? Alors que des observateurs non policiers se livrent à des violences, que des CRS restent statiques en raison des instructions qui sont les leurs, un certain nombre de questions se posent.

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Mon adjoint et moi ne connaissons pas M. Benalla. L'IGPN, qui n'est pas un service opérationnel, n'a aucune raison de participer à des réunions avec les services de l'Élysée. Ces derniers n'ont pas plus de raison de nous rendre compte de la suspension d'un contractuel. Nous n'avions donc aucun moyen de vérifier les éléments que vous mentionnez.

J'ai pu observer qu'il y avait effectivement des CRS en uniforme et en unités constituées sur les lieux, ainsi que des personnels en civil portant des signes distinctifs de police. C'est habituel lors d'opérations de maintien de l'ordre.

Les unités constituées répondent à des ordres donnés par le chef de service, qui peut décider de l'utilisation de la force ou d'interpellations. Lorsque nous avons visionné les images, nous avons simplement constaté que les gestes techniques de protection et d'intervention, ou GTPI, n'étaient pas très bien maîtrisés ; et pour cause. Les agents de l'IGPN, qui sont eux-mêmes des spécialistes, anciens fonctionnaires de police, le notent.

La question n'est pas celle de l'illégitimité de l'emploi de la force ; c'est celle de qui emploie la force. L'enquête établira si les personnes sur place avaient conscience d'avoir affaire à des observateurs. Celles qui ont regardé la vidéo le 5 mai ou le 6 mai n'avaient pas de doute sur le fait qu'il s'agissait de policiers.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Sur place, il y a forcément un responsable. Je suppose que cette personne savait qu'il s'agissait de deux observateurs. A-t-elle réagi ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Ce sont évidemment des questions pertinentes. Il nous appartiendra de les poser dans l'enquête judiciaire et dans l'enquête administrative.

M. Pierre-Yves Collombat. - Depuis le début de nos travaux, on nous répond : « Nous n'étions pas informés » et « Ce n'est pas de notre compétence » ! De qui est-ce la compétence ? Pouvez-vous légalement vous autosaisir de faits paraissant mériter un examen attentif ?

Je note une contradiction dans vos propos. Vous avez dit que les événements tels qu'ils apparaissaient dans la première vidéo avaient l'air d'être une opération de police ordinaire. Et maintenant que la personne est identifiée, vous dites ne pas pouvoir intervenir, car ce n'est pas un fonctionnaire de police...

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Lorsque nous avons visionné la vidéo, elle ne nous a effectivement pas semblé constitutive d'une infraction.

L'usage de la force, s'il est légitime de la part de fonctionnaires de police, devient illégitime s'il ne s'agit pas d'un fonctionnaire de police. Dès que l'IGPN a su qu'en l'espèce ce n'en était pas un, elle a ouvert deux enquêtes, l'une à la demande du parquet et l'autre en s'autosaisissant. Notre compétence porte sur les fonctionnaires de police, pas sur les autres acteurs.

M. Pierre-Yves Collombat. - Mais vous allez tout de même éclairer le paysage ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Nous pourrons entendre toute personne extérieure à la police qui voudra bien déférer à notre convocation. Simplement, contrairement à un fonctionnaire de police, une personne extérieure ne sera pas tenue de nous répondre si elle ne le souhaite pas. L'enquête judiciaire et l'enquête administrative peuvent conclure à des propositions de sanctions disciplinaires, mais uniquement pour les fonctionnaires de police.

M. François Grosdidier. - La défense de M. Benalla invoque l'article 73 du code de procédure pénale, qui permet à tout citoyen d'intervenir sur un flagrant délit. En l'état actuel de vos connaissances, les personnes interpellées par M. Benalla étaient-elles en train de commettre des délits d'outrage, de rébellion ou de violences sur agent ?

Quel est le statut des fonctionnaires d'autorité qui sont parfois présents sur une opération de police ? On les reconnaît quand ce sont des membres du corps préfectoral, mais quid lorsqu'il s'agit de collaborateurs de cabinets ministériels ou de l'Élysée, lorsqu'ils donnent des directives aux agents des forces de l'ordre ? M. Benalla peut-il avoir le statut de collaborateur occasionnel ? Et les collaborateurs occasionnels peuvent-ils relever de votre compétence ?

Les syndicats de police ont-ils dénoncé les dysfonctionnements créés par M. Benalla au sein du GSPR ? Le GSPR peut-il relever de votre compétence ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - La défense de M. Benalla indique qu'il a aidé les services de police. Il appartiendra à l'enquête judiciaire de déterminer si les fonctionnaires de police présents avaient besoin d'aide. En tant que cheffe de l'IGPN, ayant vu les images, je n'en suis pas convaincue. Mais c'est à l'enquête de l'établir.

Pour les fonctionnaires d'autorité qui interviennent, c'est la même règle : le responsable sur le terrain est le chef du dispositif, et, au-dessus de lui, il y a l'autorité préfectorale.

Je n'ai pas eu connaissance de propos des syndicats sur les dysfonctionnements au sein du GSPR. Je n'avais jamais entendu parler de M. Benalla avant le 19 juillet.

La compétence de l'IGPN sur les agents du GSPR ne s'appliquerait qu'aux policiers.

M. Philippe Bas, président. - L'IGPN est donc compétente pour examiner le comportement de policiers servant au GSPR. C'est très important de le savoir.

M. Alain Marc. - Comme vous, nous nous étonnons que l'article 40 n'ait pas été activé. Beaucoup de gens qui étaient dépositaires de l'autorité publique ne l'ont pas activé. Trouvez-vous normal que M. Benalla, à qui on avait décerné le grade de lieutenant-colonel au titre de la réserve, vienne comme observateur ? J'y vois une contradiction.

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Je ne me suis pas étonnée ; j'ai rappelé la loi.

J'ai du mal à vous répondre sur le fait que M. Benalla, lieutenant-colonel au titre de la réserve, vienne comme observateur. J'ai travaillé quelques années à la formation de la police nationale ; je défendais la formation continue. N'étant pas psychologue, je ne sais pas ce M. Benalla souhaitait. Cela ne me choque pas que quelqu'un ait envie d'en apprendre plus.

Mme Esther Benbassa. - Même si vous n'aviez pas eu jusqu'à présent de problème avec des observateurs, ne pensez-vous pas qu'il faudrait encadrer davantage la fonction ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Nous n'avons jamais eu de problème, alors que les stagiaires et les observateurs sont nombreux, y compris dans des structures qui étaient relativement fermées, comme l'IGPN. Cette affaire va évidemment nous amener - c'est l'objet de l'étude qui a été demandée par le ministre - à proposer un certain nombre d'éléments de cadrage pour les observateurs. Pour autant, il faudra laisser de la marge de manoeuvre aux chefs de service sur le terrain. Tous les observateurs ne sont pas de même niveau, ne viennent pas avec les mêmes demandes, ne restent pas pour la même durée, et toutes les situations n'ont pas la même sensibilité.

Il nous faudra apporter un cadre à la fois structurant et protecteur pour les fonctionnaires de police, en laissant de la place à l'adaptation aux situations et à ce qui relève simplement du bon sens et du discernement.

M. Philippe Bas, président. - On peut penser que l'ajout de nouvelles règles n'est pas forcément la meilleure parade contre ceux qui violent les règles.

Mme Catherine Di Folco. - Qui a demandé à M. Benalla d'être observateur le 1er mai sur cette manifestation ? Quel a été le motif invoqué par ce dernier pour être accrédité ? Vous pourriez peut-être avoir ce renseignement dans le cadre de l'enquête. M. le directeur général de la police nationale, que j'ai interrogé, n'était pas au courant.

M. Philippe Bas, président. - Le rapport de l'IGPN répondra-t-il bien à cette question ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Ce sont l'enquête judiciaire et l'enquête administrative qui y répondront bien.

Les demandes s'effectuent de gré à gré, ce qui n'est pas complètement incompréhensible. D'après les éléments fournis à l'occasion de l'enquête administrative, la demande est formulée par M. Benalla qui souhaite être observateur. Les versions sont ensuite différentes. Concernant les autorisations, certains ont pu croire que des accords avaient été donnés, alors qu'ils ne l'avaient pas été ou pas au bon niveau hiérarchique.

Il est tout à fait normal que le directeur général de la police nationale ne vous ait pas répondu sur ce point : il n'est pas préfet de police et n'est donc pas compétent, au sens juridique du terme.

Mme Nathalie Delattre. - Je voudrais d'abord vous remercier de la clarté de vos propos.

L'IGPN a été saisie, car des vidéos sont remontées. Vos services pensaient avoir affaire à un policier en exercice dont les gestes techniques n'étaient pas très professionnels. Or il ne s'est rien passé. Vos services n'ont pas cherché à identifier cette personne pour lui indiquer que ses gestes étaient mal maîtrisés et qu'elle devrait peut-être retourner en formation ? En mai, pour vous, il n'était pas nécessaire d'aller plus loin ?

M. Philippe Bas, président. - Notre collègue s'étonne que les violences commises, qui ne pourraient pas relever d'un professionnel, n'aient pas immédiatement entrainé de réaction de votre part, et que la seule justification de la saisine de l'IGPN soit le fait qu'il ne s'agissait pas d'un fonctionnaire de police.

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Le sujet, ce n'est pas la violence ; c'est l'usage de la force dans des conditions légales de maintien de l'ordre. Juridiquement, l'usage de la force est légitime. L'usage de la force étant légitime pour les forces de police, nous avons simplement observé que les GTPI n'étaient pas très bien maîtrisés. Mais nous n'avions ni blessure, ni plainte, ni élément supplémentaire.

Nous ne considérons pas l'usage de la force illégitime par nature. Au contraire : pour les services de police, il est légitime par nature. Voilà quelque temps, lors d'une émission sur France Culture, une petite fille m'a demandé si les policiers avaient le droit de taper les gens ; je lui ai répondu « oui » ; l'usage de la force est justement la prérogative de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des forces de sécurité.

M. Philippe Bas, président. - Mais pas n'importe comment !

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - « Mais pas n'importe comment », ai-je effectivement aussitôt ajouté. Cela doit se faire dans des conditions légales et l'usage de la force doit être proportionné. En l'occurrence, il n'y a pas eu de blessure.

Le 1er mai, il y a eu 300 interpellations. Nous n'avions pas de témoin direct ; nous avions juste une personne qui avait envoyé la vidéo. Celle-ci a été visionnée par trois personnes entre le 5 mai et le 7 mai, qui ont constaté que les GTPI étaient mal maîtrisés. Faute d'élément complémentaire, l'affaire a été mise de côté car nous savons d'expérience que des éléments complémentaires peuvent venir avec le temps. Ainsi, lors des manifestations contre la loi « Travail », où nous avons mené près de 150 enquêtes, nous avons reçu certaines plaintes huit mois à neuf mois après les faits ! Nous savions donc très bien que si quelqu'un voulait déposer plainte, il pourrait le faire dans les mois qui suivraient. À la plateforme, nous gardons les signalements pendant un an, ce qui laisse du temps.

M. Philippe Bas, président. - Dans la fonction que vous exercez, vous avez une responsabilité éminente s'agissant de la déontologie de la police nationale. Compte tenu des informations dont disposait la haute hiérarchie du ministère de l'intérieur, notamment le ministre de l'intérieur lui-même, le directeur de cabinet et le préfet de police, depuis le 2 mai, trouvez-vous normal que l'IGPN n'ait pas été saisie ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Il faut se replacer dans le contexte : ne refaisons pas l'histoire quand on en connaît la fin. Mon sujet est de savoir si les bonnes décisions ont été prises dans les circonstances de l'époque, compte tenu des informations qui étaient alors disponibles. C'est assez compliqué ; je n'ai pas de réponse à formuler. L'enquête nous apportera sans doute des éléments.

M. Philippe Bas, président. - Les rapporteurs que vous avez désignés se poseront-ils la question de la déontologie et y apporteront-ils des réponses ?

Mme Marie-France Monéger-Guyomarc'h. - Le rapport demandé par le ministre de l'intérieur ne porte pas sur ce sujet.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie beaucoup de la clarté de vos réponses, qui ont éclairé la commission des lois.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris

M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. le préfet de police. Monsieur le préfet de police, je vous rappelle que notre commission est dotée des prérogatives d'une commission d'enquête.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Michel Delpuech prête serment.

M. Michel Delpuech, préfet de police de Paris. - Comme le doit tout représentant de l'État sur le territoire, je salue les représentants de la Nation que vous êtes. Le courrier que vous m'avez adressé m'a exposé le cadre juridique dans lequel intervient mon audition devant votre commission disposant des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête.

Accompagné de mon collaborateur au cabinet le commissaire principal Jérôme Mazzariol et du directeur adjoint des ressources humaines de la préfecture de police, l'inspecteur général Jérôme Foucaud, je m'efforcerai de répondre à votre attente, en faisant un cadrage sur les modalités générales de l'accueil d'observateurs à la préfecture de police, avant d'aborder l'épisode du 1er mai, qui a justifié votre initiative.

Nous sommes très régulièrement sollicités pour recevoir au sein de nos directions des personnes extérieures à l'institution. À ces demandes, qui correspondent à des objectifs de formation, d'information, de connaissances, répond notre volonté de transparence et de renforcement du lien entre police et population, auquel je suis attaché. Par principe, la préfecture de police accueille ces demandes et fait tout pour les honorer. Le refus reste très exceptionnel. C'est une logique d'ouverture qui prévaut.

Au titre des besoins de formation, depuis le début de l'année, nous avons accueilli 700 collégiens, lycéens et étudiants. Mais nous accueillons aussi des auditeurs de justice, les stagiaires de l'Institut national des hautes études de sécurité et de justice, des policiers auditeurs étrangers, des cadres de santé, dont les médecins urgentistes, des policiers municipaux, des élèves de grandes écoles, comme Polytechnique, ou des instituts régionaux d'administration, des fonctionnaires de l'éducation nationale. Au sein de la direction régionale de la police judiciaire de Paris, nous accueillons des auditeurs de justice de l'École nationale de la magistrature.

Je signale également une particularité : la cellule Synapse de la direction de l'ordre public et de la circulation est une cellule de réflexion et de prospective sur le thème du maintien de l'ordre public. Comment évoluent les techniques ? Le cadre juridique, le cadre technologique ? Nous avons un partenariat avec le master Sécurité et Défense de Sciences-Po Paris ; chaque semaine, trois étudiants sont associés à la fois à un travail d'état-major et à des actions de terrain.

Les besoins d'informations concernent des journalistes. Mon cabinet comprend un important service de communication, dirigé par une commissaire divisionnaire de la police nationale. Les journalistes sont demandeurs de reportages d'immersion au sein d'unités telles que la brigade de recherche et d'intervention, la BRI, ou la brigade anti-criminalité, la BAC, - ils recherchent des images un peu accrocheuses. Depuis le début de l'année 2018, soixante-trois délégations de presse ont été accueillies, appartenant pour l'essentiel à la presse télévisuelle.

Enfin, au titre du partenariat entre la police et la population, les publics sont divers : élus, fonctionnaires...

M. Philippe Bas, président. - Le directeur général de la police nationale (DGPN) nous a décrit tout cela par le menu.

M. Michel Delpuech. - Nous accueillons aussi des représentants d'institutions. Ainsi, les délégués du Défenseur des droits sont présents sur certaines opérations, comme lors de l'évacuation du campement du Millénaire.

Les activités auxquelles ces personnes assistent ou participent sont de deux ordres : observation et découverte au sein des locaux policiers ; présence sur la voie publique pour l'observation de missions opérationnelles. Il s'agit souvent d'accompagner une patrouille ou unité d'intervention de police. Les brigades anti-criminalité de nuit, où les observateurs peuvent se trouver à bord des véhicules de police, sont très demandées ! Il y a aussi des demandes pour assister à un service d'ordre public.

Par exemple, j'ai demandé à un cabinet d'audit de nous aider dans l'appropriation des Néo - smartphones qu'utilisent les policiers de terrain pour accéder aux fichiers. Ces appareils sont en train de bouleverser l'activité locale. Ce cabinet, qui a travaillé auprès de la police métropolitaine de Manchester, se trouve auprès de mes fonctionnaires pour observer sur le terrain comment ils utilisent cet outil.

Autre exemple : un chef d'entreprise de 44 ans, que nous connaissons déjà, souhaite accompagner le service d'ordre dimanche pour l'arrivée du Tour de France sur les Champs-Élysées. J'ai donné mon autorisation et il sera donc placé auprès d'un contrôleur général.

Le cabinet est systématiquement sollicité lorsque la demande émane de journalistes. Les observateurs sont accueillis par une autorité et pris en charge par un policier référent - dans un véhicule d'une BAC, le référent est le chef de bord. Sur le terrain, lorsque le fonctionnement des services le permet et si la mission le justifie, nous les équipons d'un gilet pare-balles, parfois d'un casque. Ils ne sont jamais armés ni dotés de radio et encore moins de brassards de police.

S'agissant du cadre juridique, nous avons signé 1 123 conventions en 2017 pour tout ce qui touche aux activités de formation des publics scolaires, les partenariats de formation que j'ai cités, l'accueil de stagiaires individuels.

Pour les reportages d'immersion des journalistes, nous avons mis en place une convention particulière leur rappelant le règles applicables - récemment, la Cour de cassation a frappé de nullité une procédure parce que l'interpellation avait été suivie par une équipe de télévision.

L'autorisation des observateurs doit être donnée au niveau pertinent. En ce qui concerne la préfecture de police, autorité territoriale déconcentrée de plus de 30 000 fonctionnaires sous l'autorité du préfet de police, toutes les décisions ne sont pas prises à mon niveau : les demandes de la presse sont gérées par mon cabinet et c'est moi qui donne l'accord (ou mon directeur de cabinet, en mon absence) ; les conventions de formation sont gérées par la direction des ressources humaines ; pour les autres observateurs, la gestion se fait au cas par cas, la validation étant toujours faite par un directeur, même si l'initiative peut être locale - par exemple, une demande d'un élu d'arrondissement parisien sera validée a priori par le commissaire d'arrondissement et confirmée par sa direction, qui m'en informera.

Ces personnes sont en mission d'observation et ne sont pas associées aux opérations de police. Se pose la question du cadre juridique. Il ne me semble pas que l'on puisse assimiler ces observateurs à des collaborateurs du service public.

M. Philippe Bas, président. - C'est le coeur de la question. Nos investigations portent sur la manière dont des personnes peuvent être associées aux missions de la police ou de la gendarmerie sans en être membres. Par « peuvent être associées », il faut comprendre « peuvent participer ».

M. Michel Delpuech. - La question de la protection juridique de ces personnes mériterait sans doute d'être clarifiée. Il paraît difficile de solliciter la théorie du collaborateur du service public. Les observateurs ne sont aucunement associés à l'exécution d'actes de service public et n'ont pas à y prendre part.

Je ne reviens pas sur les circonstances du 1er mai, mais la journée a été extrêmement difficile, avec des phénomènes de violence jamais connus.

Dans la matinée du 2 mai, entre 10 heures et 10 h 15, j'ai reçu un appel téléphonique provenant du palais de l'Élysée, mon interlocuteur mentionnant une « affaire Benalla » et m'indiquant l'existence d'une vidéo. Je joins le cabinet du ministre de l'intérieur, qui m'indique être déjà informé et être en liaison avec l'Élysée. Mes collaborateurs et moi nous procurons cette vidéo, que nous regardons sur grand écran.

Après avoir prévenu le cabinet du ministre, je suis de nouveau en ligne avec le palais de l'Élysée pour expliquer ce que nous avons vu à l'écran. Il était clair pour moi que le dossier était pris en compte par l'autorité hiérarchique de M. Benalla, c'est-à-dire le directeur de cabinet de la présidence.

En interne, j'interroge immédiatement la direction de l'ordre public et de la circulation sur les raisons de la présence de M. Benalla. Je m'étais étonné de le croiser la veille au soir dans la salle de commandement, où j'avais accueilli le ministre : « J'étais sur le terrain », m'avait-il alors répondu.

Immédiatement, le directeur de l'ordre public et de la circulation me dit qu'il n'était pas informé de sa présence ce jour-là dans nos rangs. Son enquête interne fait apparaître que la venue de M. Benalla a été organisée au niveau du contrôleur général, chef d'état-major adjoint, M. Simonin. Autorisation ? Réponse à sollicitation ? Je ne sais pas, les enquêtes judiciaires le diront peut-être.

Comme l'a dit mon collègue et ami Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, il a autorisé M. Benalla à se rendre le 1er mai sur le territoire de la préfecture de police. Sa venue a été organisée par un contrôleur général de la préfecture de police, le directeur et le directeur adjoint de l'ordre public n'en étant pas informés, le préfet de police encore moins.

J'ai précisé l'enchaînement de ces informations successives. À ce stade, je ne peux en dire plus.

M. Philippe Bas, président. - Beaucoup d'informations ont été données sur le moment précis où vous-même ainsi que le directeur de cabinet du ministre, le ministre et le directeur de cabinet du Président de la République avez été informés de la participation de M. Benalla à une opération de maintien de l'ordre pour laquelle il était illégitime qu'il apportât son concours. Dès le 2 mai, les hautes autorités que j'ai citées et dont vous faites partie échangent entre elles et décident de ne pas saisir l'inspection générale de la police nationale (IGPN) et de ne pas faire usage de l'article 40 du code de procédure pénale. Est-ce une décision tacite ou une décision concertée ?

M. Michel Delpuech. - Il n'y a pas eu de décision en tant que telle. Le palais de l'Élysée m'a immédiatement indiqué qu'il prenait en compte le dossier, comme autorité responsable hiérarchique. Pour moi, c'est à ce niveau que cela devait se dérouler. Quant à l'appréciation sur les suites à donner, c'est l'autorité compétente qui décide.

Y a-t-il eu concertation ? Y a-t-il eu ordre de ne pas recourir à l'article 40 ? Sûrement pas ! Vous pouvez appeler cela une « décision tacite », mais il n'y a eu aucun échange sur ce thème.

Sur le fond, le directeur de cabinet du Président de la République s'est exprimé hier. Vous avez également pris connaissance de l'analyse de l'IGPN, qui a reçu la vidéo. Pour le préfet de police, la petite nuance supplémentaire, c'est que le débordement, la faute, le manquement, le dérapage personnel, qui seront examinés par les tribunaux de l'ordre judiciaire, sont le fait non pas d'un fonctionnaire de police, mais d'un collaborateur de la présidence de la République.

Nos amis de l'IGPN ne savaient pas qui apparaissait sur la vidéo. Pour ma part, seul, j'aurais été incapable de reconnaître M. Benalla ; à plusieurs, nous l'avons identifié.

Une précision : je ne saisis l'IGPN qu'au sujet des personnes placées sous mon autorité.

La veille du 19 juillet, nous avons été un certain nombre à être alertés sur le fait que Le Monde allait rendre publique la « vidéo Benalla ». J'alerte le directeur de l'ordre public, je refais le point avec lui le lendemain matin sur les faits du 1er mai place de la Contrescarpe. Le lendemain, un peu avant 14 heures, Alain Gibelin, directeur de l'ordre public, demande à me voir et me révèle que le commissaire Creusat lui a révélé avoir, avec deux autres collègues, récupéré des images filmées place de la Contrescarpe pour les transmettre à M. Benalla. S'agissant de fonctionnaires placés sous mon autorité, j'ai aussitôt consulté leur rapport écrit et préparé la transmission des données, dans le cadre de l'article 40, au procureur de la République François Molins, que j'ai personnellement appelé. Dans le même temps, j'ai eu un échange téléphonique avec le ministre de l'intérieur pour lui demander la suspension immédiate de ces trois fonctionnaires, laquelle est intervenue dans la soirée. C'était à moi, et à personne d'autre, de prendre cette initiative.

M. Philippe Bas, président. - Les choses sont très claires pour le 19 juillet. Je reviens sur la journée du 2 mai. Il y a sans doute la faute du cadre dirigeant de la préfecture de police qui, en dehors de l'exercice de ses compétences et de la délégation dont il peut avoir bénéficié, a accordé la possibilité à M. Benalla d'être accompagné par un autre fonctionnaire pour assister aux opérations de maintien de l'ordre. Que seul le directeur de cabinet du Président de la République puisse infliger une sanction disciplinaire à M. Benalla, la cause est entendue, mais que M. Simonin - que vous visiez semble-t-il en parlant de « copinage malsain » - ne fasse pas l'objet de poursuites disciplinaires et que l'IGPN n'ait pas été saisie pose question du point de vue du bon fonctionnement de l'État.

M. Michel Delpuech. - Si la demande d'accueillir cet observateur m'avait bien été soumise, ce qui n'a pas été le cas, je ne l'aurais pas refusée. Si un collaborateur du chef de l'État, autorisé par sa hiérarchie, souhaite venir à la préfecture de police, je ne lui oppose pas un refus. J'aurais organisé son encadrement dans des conditions autres, en plaçant auprès de lui un cadre de plus haut niveau. Si M. Simonin a commis une faute, c'est en ne rendant pas compte à sa hiérarchie. Pour cela, il a fait l'objet d'une admonestation verbale de la part de son directeur. La faute n'est pas d'avoir accueilli M. Benalla, c'est d'avoir organisé cet accueil sans en informer son directeur ni le préfet de police. C'est pourquoi j'ai demandé au directeur de l'ordre public de faire à M. Simonin les représentations sévères sous forme d'admonestation. Sur un terrain disciplinaire, on ne pouvait aller au-delà.

J'ai été sans faiblesse le 19 juillet. Ce qu'il a fait le 18 juillet au soir avec deux autres collègues concernant la transmission des vidéos, c'est une grave faute. Mais celle-ci n'enlève rien à ses mérites par ailleurs. C'est un peu comme un grand footballeur, qui peut marquer trois buts lors d'un match et, deux mois après, commettre une action dramatique. Souvenez-vous du printemps que nous avons vécu, avec les interventions en milieu universitaire, l'évacuation de la Sorbonne, qui se sont déroulées sans difficulté et sans violence et n'ont fait l'objet d'aucune plainte. Concernant l'évacuation de Tolbiac, on ne voulait pas me croire quand j'indiquais dans un communiqué que tout s'était bien passé. C'est le contrôleur général Simonin qui commandait les troupes. Je ne peux donc nier les mérites de ce professionnel aguerri, tout en soulignant la gravité de sa faute. J'ai effectivement évoqué le « copinage malsain », qui fait oublier les règles hiérarchiques et les principes. On verra ce qu'en dit la justice. Mais, je le répète, concernant l'accueil de cet observateur, je ne pouvais faire plus que demander au directeur de l'ordre public de lui adresser une admonestation verbale.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Monsieur le préfet, nous connaissons votre professionnalisme, celui de vos collègues, nous ne méconnaissons pas la dureté de la tâche, notamment au cours d'une journée comme celle du 1er mai.

Ma première question porte sur le port d'arme de M. Benalla. Vous avez indiqué devant la commission des lois de l'Assemblée nationale lui avoir accordé un permis de port d'arme en octobre 2017, alors, je vous cite, qu'il ne remplissait pas les conditions réglementaires pour disposer d'une arme. Le directeur de cabinet du Président de la République a déclaré devant l'Assemblée nationale qu'il vous avait demandé lui-même qu'un permis soit délivré à M. Benalla, sous réserve que cette autorisation puisse être accordée « dans le strict respect des textes ». Or cette autorisation n'a pas été accordée dans le strict respect des textes...

M. Michel Delpuech. - Ce que vous me faites dire n'est pas conforme à ce que j'ai déclaré. Le cadre juridique du port d'arme est assez complexe. Il existe deux régimes très différents, ce qui induit parfois des confusions.

Le premier régime juridique du port d'arme relève de la compétence du ministre de l'intérieur. Aux termes de l'article R. 315-5 du code de la sécurité intérieure, « le ministre de l'intérieur peut autoriser par arrêté toute personne exposée à des risques exceptionnels d'atteinte à sa vie, sur sa demande, à transporter une arme de poing [...] ». La demande de M. Benalla sur ce fondement, dont je n'avais pas à avoir connaissance, a été refusée parce qu'il a été estimé, à mon avis à juste titre, que M. Benalla n'était pas exposé à des risques exceptionnels d'atteinte à sa vie.

Celui-ci a ensuite déposé auprès de l'autorité préfectorale une demande sur un autre fondement, en tant que fonctionnaire ou agent des administrations publiques exposé par ses fonctions à des risques d'agression. Patrick Strzoda, à l'Élysée, a relayé la demande au regard des fonctions qu'exerçait M. Benalla. Ce cadre juridique n'a donc rien à voir avec le port d'arme pour risques exceptionnels d'atteinte à la vie. J'ai donné l'autorisation, dans ce cadre, après l'instruction habituelle et en recueillant le casier B2 et tous les éléments nécessaires.

Seule nuance, un arrêté ministériel définit les services ou catégories de services désignant ou accueillant les fonctionnaires et agents pouvant être ainsi armés. La situation était particulière puisque l'Élysée ne figure pas dans ces catégories de services. Mais la demande étant formulée au titre des fonctions assurées par M. Benalla à l'Élysée, oui, j'ai accepté de délivrer le permis, dans ce cadre.

J'insiste sur ce point : ma décision ne s'est pas substituée à la précédente. Je connais des cas où une autorisation a été accordée sur le fondement des risques exceptionnels d'atteinte à la vie alors que ce n'était pas avéré. J'ai donc assumé ma compétence préfectorale, c'est mon devoir, et lorsque la mission de M. Benalla a cessé, j'ai immédiatement abrogé l'autorisation. Elle était strictement et uniquement liée à ses fonctions. C'est pourquoi, s'il portait son arme place de la Contrescarpe, il était en faute puisqu'il était en jour de congé. Sur les images, il ne semble pas avoir vu d'arme, mais ce n'est pas à moi d'apprécier, c'est au juge. Il en va de même pour les transporteurs de fonds : le port d'arme est lié à l'exercice de leurs fonctions.

J'ai pris cette décision au regard de ses fonctions à l'Élysée, telles qu'elles m'ont été rapportées, même si l'Élysée n'est pas cité dans l'arrêté ministériel, ce qui n'est pas étonnant. En revanche, mon collègue et ami Patrick Strzoda m'a transmis cette demande en précisant que la procédure devait se faire dans le respect des textes.

M. Philippe Bas, président. - Un fonctionnaire de police, un gendarme porte une arme et peut en faire usage. Mais il a suivi un entraînement, il fait l'objet d'une évaluation et suit une formation aux conditions de l'usage de cette arme. Avez-vous veillé à ce que ces trois conditions soient remplies s'agissant de M. Benalla ?

M. Michel Delpuech. - Elles ont été remplies : licence fédérale de tir, carnet de tir mentionnant les trois tirs de contrôle annuel, etc. Tout a été vérifié.

M. Philippe Bas, président. - Et la conformité aux règles d'usage d'une arme pour assurer la protection du Président de la République ?

M. Michel Delpuech. - C'est la mission qui lui a été confiée, et ce n'est pas moi qui la lui ai confiée.

M. Philippe Bas, président. - Le port d'arme n'est pas seulement une affaire privée quand il s'agit d'un collaborateur du Président de la République qui occupe une fonction de garde du corps. Il est inquiétant de savoir que, à la demande de la présidence de la République, on délivre un permis de port d'arme, même à quelqu'un qui est entraîné. L'usage d'une arme pour protéger le Président de la République ne peut pas être laissé à l'improvisation. M. Benalla a-t-il reçu une formation sur les conditions dans lesquelles il peut faire usage d'une arme pour protéger une haute personnalité ?

M. Michel Delpuech. - Oui, il avait l'attestation de formation continue délivrée par un major de police de la cellule formation du GSPR. Et toutes les autres conditions étaient remplies - notamment l'absence de mention au casier B2 ou au fichier TAJ, ou traitement d'antécédents judiciaires. L'enquête de moralité disait que rien ne s'y opposait. L'affaire judiciaire le concernant s'est soldée par une relaxe.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Finalement, le 2 mai, c'est l'Élysée qui a donné les informations à la fois au ministre de l'intérieur et au préfet de police de Paris. Il peut apparaître étonnant qu'aucune information ne vienne de vos services, compte tenu de la gravité des faits. Deux observateurs sont placés sous l'autorité de quelqu'un qui les contrôle, il y a des policiers, des CRS, qui restent statiques - pour des raisons de commandement que l'on nous a exposées. Dans le moment précis qui nous occupe, seules ces deux personnes font usage de force, ce qui, en l'espèce, peut être légitime : mais ces deux personnes ne sont pas membres de la police nationale. Comment admettre que le commandant des policiers présents sur place, devant la singularité de cet acte, ne fasse pas état de ce qui s'est passé auprès de l'ensemble de la chaîne hiérarchique et dans le plus bref délai auprès du préfet de police de Paris ? Cela peut apparaître comme extrêmement singulier et choquant.

M. Michel Delpuech. - Je n'ai eu aucun compte rendu de ce type. L'opération de police place de la Contrescarpe s'est poursuivie, mais M. Benalla n'y était plus. Encore une fois, c'est en découvrant les images, et parce que nous avons été alertés par l'Élysée, que nous avons pris connaissance des faits.

Sur le fond, s'agissant des fonctionnaires de la préfecture de police, il y a deux situations différentes. Le commissaire Creusat est sur place, mais pas en raison de la présence de M. Benalla. Il ne sait pas, et je n'ai aucune raison de penser le contraire, si M. Benalla se trouve là ou ailleurs. Il n'était pas chargé de s'en occuper. Il dirigeait une unité de CRS, la CRS 15, qui a d'abord travaillé sur le secteur de la place Valhubert, au bas du boulevard de l'Hôpital, avant de se projeter dans le Quartier latin, puisque nous savions qu'il pouvait y avoir de l'agitation à l'issue de la manifestation, dont le parcours allait de la place d'Italie au Quartier latin. La veille, nous étions intervenus à la faculté de Censier, parce que nous pensions qu'il pouvait y avoir des engins explosifs.

Le commissaire Creusat se projette dans le Quartier latin pour gérer la situation place de la Contrescarpe, avec la présence de militants qui s'étaient réunis sur la place, d'autres qui voulaient y accéder par les rues adjacentes. Sa mission était de les en empêcher.

Il y a le rôle d'un fonctionnaire de police, le major Mizerski, qui avait été désigné par M. Simonin pour être auprès de M. Benalla. Qu'aurait-il pu faire ? A-t-il rendu compte à sa hiérarchie immédiate ? Sans doute, mais uniquement par oral - je n'ai pas eu de de papier. Pour ma part j'aurais placé auprès de M. Benalla un responsable hiérarchique d'un autre niveau, ce qui aurait changé la relation.

Ce major est un homme de 61 ans. Il est donc en fin de carrière et a atteint le grade sommital. Terriblement éprouvé par un drame familial, il y a une dizaine d'années, il finit sa reconstruction. Il ne faut pas voir M. Benalla comme on le voit aujourd'hui, mais avec l'aura qui était la sienne le 1er mai, pour apprécier la capacité réelle du major à lui donner des instructions.

Je suis originaire d'un milieu très simple et je connais ces choses-là. On n'est pas dans la théorie, on est dans la vie vraie, avec les sentiments, avec les relations. Je rends hommage à ce major parce qu'il est victime quelque part, parce qu'il va être interrogé dans le cadre de l'enquête judiciaire, ce qui est normal. Il se trouve là parce qu'on lui a dit d'y aller, comme le soldat de l'Évangile. À mes yeux, il n'a pas de responsabilité, et je tiens à le saluer, surtout compte tenu de son parcours.

M. Philippe Bas, président. - Que ce soit clair : ici, nous n'incriminons pas des personnes, nous ne sommes pas une sorte de tribunal bis, nous voulons établir la vérité. Je suis particulièrement sensible à ce que vous venez dire sur ce major. L'explication que vous donnez est inspirée d'une connaissance des réalités humaines que je partage. C'est comme un accident d'avion : toute une série de crans d'arrêt n'ont pas fonctionné, et ce fonctionnaire de police très respectable, dont vous avez décrit les difficultés, est en réalité une victime dans cette affaire.

C'est la raison pour laquelle nous cherchons à établir des dysfonctionnements qui sont exactement ceux que vous décrivez en creux : un collaborateur du Président de la République, avec un grand sentiment d'impunité, détenteur d'une carte barrée de bleu, de blanc et de rouge, croit pouvoir prendre la place des fonctionnaires de police ou de gendarmerie qui assurent une opération de maintien de l'ordre. Et ce, en abusant de l'autorité qu'il exerce naturellement auprès de fonctionnaires de rang modeste. C'est ce qui est le plus intolérable du point de vue non seulement de l'État de droit, mais du respect des valeurs de la République et c'est ce qui a fondé la décision unanime du Sénat de donner à la commission des lois les pouvoirs d'une commission d'enquête. Comment, dans notre République, en arrive-t-on à ce genre de situation dans laquelle tout le monde s'incline, sans pouvoir empêcher ces excès de pouvoir ?

M. Michel Delpuech. - Je partage votre sentiment, moi qui ai découvert les faits avec stupeur, étonnement. Tout le monde connaît mon attachement au respect de la loi, au respect du service de la République, qui est aussi celui de l'immense majorité de mes collègues. J'aime que les institutions fonctionnent comme elles doivent fonctionner. Encore une fois, ce n'est pas moi qui ai imposé cette présence. C'est un interlocuteur qui, par ailleurs, a eu des qualités, même si je ne peux pas les apprécier, puisque ce n'est pas mon collaborateur. Je n'adopte pas une posture de justicier : il est tellement facile, surtout quand l'histoire est passée, de la réécrire. Il faut également entendre les personnes, ce que fera la justice.

Il y a une donnée institutionnelle, avec le mandat confié à ce monsieur. Mais, ce jour-là, il n'était pas présent dans le cadre de ses missions, il était là comme observateur. La faute, c'est la sienne, c'est un manquement individuel avec toutes ses conséquences. Ce n'est pas le fait d'être présent qui est une faute, le fait d'être accueilli à la préfecture de police à l'occasion d'une opération de maintien de l'ordre, accueillir un collaborateur du Président de la République, ce n'est pas une faute ; la faute, c'est le comportement de cette personne sur le terrain.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je partage bien sûr tout ce que vous dites sur le respect des personnes.

Il se trouve qu'après cet acte, cette faute inadmissible de M. Benalla, le directeur de cabinet du Président de la République décide de le mettre à pied pendant quinze jours. Le porte-parole de l'Élysée dit, et vous le savez, qu'il sera démis de ses fonctions en matière de sécurité et de protection au terme de ces quinze jours. Devant un tel fait, le bon sens est d'exfiltrer le personnage et de lui infliger une sanction.

Après ces quinze jours, je pensais qu'il serait chargé d'une tâche administrative. Là où il y a un problème, que vous ne pouvez pas ignorer, c'est qu'il se retrouve en première ligne au Panthéon, le 14 juillet, lors de l'équipe de France de football - en expliquant d'ailleurs dans ce dernier cas que l'autocar doit passer vite, même si des personnes par milliers ont attendu ce moment pendant quatre heures, parce que c'est lui qui donne les instructions.

En tant que préfet de police responsable de la police, quelle est votre réaction ? Vous ne pouvez pas ignorer qu'il continue comme avant, alors qu'il a été démis de ses fonctions en matière de sécurité.

M. Michel Delpuech. - Je ne peux pas répondre à une partie de votre question, qui doit être posée aux autorités de l'Élysée.

Sur la cérémonie du Panthéon, Patrick Strzoda a bien expliqué les choses hier : des missions du type accueil et placement dans les tribunes des visiteurs n'ont pas grand-chose à voir avec des tâches de sécurité. Ces tâches sont parfaitement légitimes et ne me choquent pas, parce qu'elles sont absolument nécessaires. Cela n'a rien à voir avec la sécurité rapprochée du Président de la République, c'est veiller au bon ordre de la cérémonie.

En ce qui concerne le 14 juillet, c'est la même chose. J'ai entendu les déclarations de Patrick Strzoda : l'accueil des invités du Président de la République sur la tribune qui leur est dédiée place de la Concorde au bas des Champs-Élysées n'est pas une mission de sécurité.

Quant à l'épisode que j'ai vécu le plus directement, c'est-à-dire le retour des Bleus, je ne sais si M. Benalla a donné des ordres au chauffeur de l'autobus, mais je peux vous dire que c'est le préfet de police que je suis qui a donné les ordres aux fonctionnaires de police, et personne d'autre. Et quand on me connaît, on peut me croire.

M. Philippe Bas, président. - Nous vous croyons puisque vous avez déposé sous serment.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La vidéo des faits qui se sont déroulés le 1er mai a été remise à l'IGPN par un internaute anonyme, sans que celle-ci identifie la personne visible sur cette vidéo. Il n'y a pas eu de suite immédiate, nous a expliqué la directrice de l'IGPN. En revanche, lorsque la question lui a été posée de savoir quelle aurait été la marche à suivre si l'identité de l'auteur des faits avait été connue, c'est-à-dire si on avait su qu'il s'agissait d'un observateur, elle a très clairement répondu qu'il aurait fallu mettre en oeuvre une enquête administrative et une enquête judiciaire. Cette perception a été confirmée, en des termes différents, par M. Morvan, directeur général de la police nationale, qui a lui-même indiqué que l'illégitimité de l'intervention aurait justifié une enquête, expliquant qu'il en avait eu connaissance le 18 juillet.

Vous-même avez appris l'identité de l'intervenant, M. Benalla, le 2 mai. Le ministre de l'intérieur, son cabinet, en ont eu connaissance. Pour autant, aucun de vous n'a songé à diligenter une enquête administrative ou une enquête judiciaire. L'aura de M. Benalla, dont nous parlions tout à l'heure, qui a pu impressionner le major Mizerski, liée à son appartenance au cabinet de l'Élysée, a-t-elle pu également influencer votre décision de ne pas mettre en oeuvre une enquête administrative ou une enquête judiciaire ?

M. Michel Delpuech. - Ce n'est pas son aura qui joue, c'est son positionnement et son autorité hiérarchique.

J'ai répondu à la première question. La vidéo confirme bien que c'est M. Benalla qui se trouve là ; c'est un collaborateur de l'Élysée, et c'est cette instance hiérarchique qui prend le dossier en main. Voilà la vérité. Rien de plus, rien de moins. Pour moi, ce n'est pas un problème d'aura, c'est simplement le positionnement hiérarchique de cet homme.

Tout à l'heure, monsieur le président, vous m'avez demandé s'il y avait eu des échanges, une décision expresse, une décision tacite. J'ai parlé d'une décision tacite, parce que juridiquement, c'est ainsi qu'on peut la qualifier. Il était évident, en tout cas pour moi, que le responsable hiérarchique devait gérer le dossier et les suites à donner. Ce qui a été fait.

Ensuite, on peut estimer que tout cela a manqué de rigueur, de force. Il ne m'appartient pas de me prononcer. Je suis préfet. Je respecte, ne commente pas, n'approuve ni ne réprouve les décisions prises à ce niveau-là. C'est mon devoir, c'est mon métier. Si je faisais autrement, ce ne serait pas conforme à ma mission. Vous pouvez dire que ce n'était pas la bonne réaction, qu'il fallait aller plus loin. Le préfet de police, lui, se place sur le terrain institutionnel.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Si je comprends bien, parce que M. Benalla appartient au cabinet de l'Élysée, vous ne prenez pas d'initiative et laissez à l'Élysée le soin de trancher son sort et, éventuellement, de diligenter une enquête si cela est jugé judicieux ?

M. Michel Delpuech. - J'ai déjà répondu et je le redis pour être complètement clair : lorsque ce sont des fonctionnaires qui sont sous ma responsabilité, je prends l'initiative sans attendre que quelqu'un d'autre le fasse ; dans le cas de personnels qui sont sous la responsabilité d'une autre autorité hiérarchique, c'est à celle-ci d'intervenir. C'est très limpide. Hier encore, j'ai saisi l'IGPN pour un dossier dont j'ai eu connaissance. C'est ce que je fais quand je suis informé de risques de violences illégitimes notamment, mais pour les personnels qui sont sous mon autorité.

M. Pierre-Yves Collombat. - Monsieur le préfet, vous avez dit que c'était aux responsables hiérarchiques de suivre le dossier, de contrôler les sanctions. Très bien. Mais quand même, l'organisation de vos services, c'est vous. Or le 1er mai vous découvrez la présence de M. Benalla dans la salle de commandement, ce dont vous vous étonnez. Le lendemain, vous apprenez par l'Élysée qu'une vidéo circule qui révèle que quelqu'un, simplement parce qu'il a une carte de visite, peut aller jouer les cow-boys dans des opérations placées sous votre responsabilité. Qu'envisagez-vous pour faire en sorte que cette confusion des genres ne se reproduise plus ? Le président Bas a raison : il ne s'agit pas d'incriminer tel ou tel lampiste. Le problème, c'est l'angle institutionnel.

M. Michel Delpuech. - Je reviens sur les faits avant de répondre à votre question.

Je rappelle le contexte de l'épisode du 1er mai au soir. J'accueille M. le ministre d'État ; dans un premier temps, il vient à mon bureau, je fais un point sur la situation. À ce moment, 20 heures, la journée est loin d'être finie, puisque des interpellations ont eu lieu jusqu'à 23 heures - environ 280 en tout, 150 présentations à officier de police judiciaire, 109 gardes à vue, ce qui n'arrive pas souvent. En salle de commandement de la préfecture de police, dont nous faisons le tour, le ministre salue et remercie les fonctionnaires. Étant à ses côtés, je constate avec étonnement la présence, dans un angle, de M. Benalla, sans savoir qu'il était accueilli ce jour-là, puisque personne ne m'en avait parlé. Je lui dis : « Vous êtes là ? » Il me dit : « Oui, j'étais sur le terrain. ». Tout cela est très furtif. Je raccompagne le ministre et, à la suite d'un appel de son cabinet, j'organise le déplacement du Premier ministre à l'hôtel de police du 13e arrondissement, où je l'ai accueilli, avec le ministre d'État.

Le 2 mai au matin, j'étais à 7 heures 50 sur France Inter, et à 8 heures 20 sur BFM. Ensuite, je me suis rendu au ministère de l'intérieur, où il y avait une réunion d'état-major. Arrivé vers 9 heures, j'en suis parti vers 9 heures 45. C'est pendant ce trajet que je suis alerté sur le fait que circulerait une vidéo sur des violences policières. Et c'est à 10 heures 15, arrivé à mon bureau, que j'entends parler de « l'affaire Benalla », par l'Élysée. C'est là que je mets en oeuvre les mesures de réaction : j'ai immédiatement demandé des explications au directeur de l'ordre public, qui a découvert que l'autorisation avait été donnée à un niveau qui n'était pas pertinent. Les représentations ont été faites, sur la base du manquement à la loyauté envers la hiérarchie.

M. Pierre-Yves Collombat. - Comment est-ce possible ?

M. Michel Delpuech. - Je l'ai déjà expliqué : le fait d'accueillir une personnalité à la préfecture de police n'est pas en soi un problème. Le problème est que cela a été fait à un niveau non pertinent, puisque le directeur n'était pas informé.

M. Pierre-Yves Collombat. - Comment est-ce possible ?

M. Michel Delpuech. - C'est cette initiative entre copains qui a rendu les choses possibles. Vous savez ce que c'est ! C'est la vie ! Quand j'ai dénoncé des dérives individuelles sur fond de copinage malsain, c'est ce que je visais.

Inversement, comprenez bien que la proximité qui existe entre les équipes de l'Élysée, et notamment les équipes qui assurent la sécurité rapprochée du Président de la République, et les équipes de la préfecture de police est indispensable. Il y a besoin d'un climat de proximité et de confiance. Sur le territoire de Paris et de la petite couronne, la sécurité du Président de la République est placée sous ma responsabilité : les équipes de la DOPC assurent toutes ses escortes, y compris jusqu'à Villacoublay. Ce lien de travail entre M. Benalla et les équipes de la DOPC n'est pas scandaleux en soi. Le dérapage, c'est dans la manière de devenir à tu et à toi. Ce n'est pas à moi qu'il faut en faire le reproche ; c'est aux intéressés.

Pour revenir sur un point peut-être trop rapidement évoqué en introduction, je rappelle que des conventions encadrent l'accueil des scolaires et des universitaires et que nous avons mis en place des systèmes de convention pour les journalistes lorsqu'ils sont en immersion. Je suis convaincu que nous devons faire un effort pour mieux formaliser l'accueil des observateurs extérieurs, mais sans l'alourdir à l'excès : je ne demande pas que remonte jusqu'à moi toutes les demandes.

M. Pierre-Yves Collombat. - Cela ne changera rien !

M. Michel Delpuech. - C'est votre conclusion. En tout cas, M. Benalla n'est pas mon collaborateur, ce n'est pas moi qui l'ai désigné. Posez les questions à qui vous devez les poser. Je peux répondre pour ce qui relève de mes compétences et de mes responsabilités.

M. Henri Leroy. - Il est vrai que le positionnement de cette personne a neutralisé toute la chaîne des autorités constituées, qui auraient pu malgré tout enclencher l'article 40 du code de procédure pénale puisque vous même vous constatez le 2 mai qu'il porte un brassard « police », infraction caractérisée. Rien ne vous empêchait de porter ce fait à la connaissance du procureur de la République, lui-même étant juge de l'opportunité des poursuites.

M. Michel Delpuech. - Vous parlez de positionnement ; j'ai parlé de rattachement hiérarchique.

M. Patrick Kanner. - Une commission d'enquête n'empêche pas la convivialité ; aussi, je vous adresse toutes mes félicitations pour votre promotion au grade de commandeur de la Légion d'honneur le 14 juillet dernier. C'est la reconnaissance exprimée à un grand commis de l'État.

Monsieur le préfet, vous avez été nommé le 19 avril 2017. Donc, vous avez « pratiqué » régulièrement M. Benalla. En tout cas, vous saviez qu'il n'était pas policier. À votre place, hier soir, Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, nous a dit avoir toujours pensé que M. Benalla était policier, y compris dans le cadre des meetings électoraux du Président de la République. Quel est votre sentiment sur le fait qu'il ait pu y avoir un doute sur la non-qualification de ce jeune homme de 26 ans, même s'il est, nous l'avons appris plus tard, lieutenant-colonel de réserve de la gendarmerie ?

La vidéo reçue par l'IGPN le 2 mai sur la plateforme de signalement était-elle la même que celle que vous avez visionnée à l'occasion de votre échange avec l'Élysée ?

M. Michel Delpuech. - Sur la seconde question, je ne sais pas.

J'ai rencontré M. Benalla pour la première fois lors d'une réunion que j'ai présidée personnellement, le vendredi avant le second tour de l'élection présidentielle - je rappelle que j'ai pris mes fonctions le 18 avril au soir, au moment de l'assassinat de Xavier Jugelé. Assistaient en outre à cette réunion Jean-Marie Girier, que je connaissais déjà pour l'avoir rencontré à Lyon, et une ou deux autres personnes. Il s'agissait de veiller à la sécurité de la soirée du second tour, dont il y avait de bonnes raisons de penser que le candidat Emmanuel Macron sortirait vainqueur. M. Girier est passé un moment dans mon bureau pour discuter. Mais M. Benalla ne s'est jamais présenté comme policier et je n'ai jamais pensé qu'il l'était.

Mon service avait eu à gérer une autorisation de détention et de port d'arme qui lui avait été délivrée pour assurer la sécurité des locaux du siège d'En Marche, autorisation devenue caduque le 20 juin 2017. Mes services connaissaient donc très bien la situation de M. Benalla. Ensuite, je ne l'ai pas vu très souvent : à l'occasion de déplacements du Président de la République sur le territoire parisien, peut-être à la cérémonie du 11 novembre 2017, et pendant la visite du Président de la République au salon de l'agriculture, où je suis resté toute la journée pour veiller au bon déroulement des choses. M. Benalla était au côté du Président de la République dans le rôle qui était le sien, ni plus ni moins. Pour moi, c'était un collaborateur à qui des missions avaient été confiées, y compris par le biais de la sollicitation d'une autorisation de port d'arme à laquelle j'ai répondu favorablement, puisqu'elle entrait clairement dans le cadre de ses missions. Je peux vous assurer, par exemple, que je n'ai jamais eu son numéro de portable.

En revanche, il était un interlocuteur régulier de mes équipes. Quand le Président de la République se déplace dans Paris, des réunions se tiennent à l'Élysée, des visites de terrain sont organisées où se retrouvent des collaborateurs de la DOPC, souvent au niveau contrôleur général, et un de mes collaborateurs du cabinet, souvent Jérôme Mazzariol. Sauf cas exceptionnel, jamais le préfet de police ne participe à ces réunions. Autant des collaborateurs le voyaient très régulièrement, autant ce n'était pas le cas du préfet de police. Mon interlocuteur à l'Élysée, c'est le directeur du cabinet, son adjoint, et personne d'autre, sauf exception.

Mme Nathalie Delattre. - Vous connaissez M. Benalla puisque vous l'interpellez dans la salle de commandement. On peut s'étonner que vous, préfet de police, le connaissiez, mais on le comprend de mieux en mieux au fil des auditions : il participe à des réunions auxquelles il ne devrait pas participer, compte tenu de leur niveau. Avez-vous alerté avant le 1er mai le ministre de l'intérieur ou votre collègue et ami M. Strzoda sur la place que prenait M. Benalla ? Au fil des auditions, on apprend qu'il dérangeait vos équipes, allant même jusqu'à humilier des policiers notamment lors de déplacements présidentiels.

Qui, dans notre République, par le droit, mais aussi par l'usage, peut prévenir ce type de dérives ? N'avez-vous pas, en tant que préfet de police, un rôle à jouer à cet égard ?

M. Michel Delpuech. - Vous évoquez des réunions avec M. Benalla ; il y en a eu une l'avant-veille du second tour l'élection présidentielle. Ensuite, les contacts se font à un autre niveau. Et, je le répète, je rencontrais M. Benalla lors des déplacements du Président de la République sur le terrain - et le préfet de police n'assiste pas à tous ses déplacements au sein de sa zone de compétence. Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, mes équipes travaillent avec les interlocuteurs qu'on leur présente. Ce n'est pas moi qui choisis les participants à une réunion. C'est l'Élysée qui désigne ses collaborateurs. Comme préfet de police, je n'ai eu aucune remontée de la part de mes services sur un comportement de M. Benalla qui aurait perturbé, mis en péril ou gêné le fonctionnement de notre institution, même si j'ai entendu cela ces jours-ci. J'aurais alerté le directeur de cabinet. Et je n'essaie pas d'embellir la réalité.

Mme Brigitte Lherbier. - La vidéo qu'ont transmise les fonctionnaires à M. Benalla étaient-elles des copies, des originaux ? Est-on sûr d'en avoir récupéré la totalité ? Si tel n'était pas le cas, on pourrait avoir connaissance d'autres faits.

M. Michel Delpuech. - Une enquête judiciaire est en cours. Et vous savez que j'ai demandé au directeur de l'ordre public de saisir très vite l'autorité judiciaire sur ce fait. Je ne peux pas connaître le contenu des vidéos remises à M. Benalla, par construction. Le délai de conservation des images tirées de vidéoprotection est de 30 jours ; dans le cas présent, le délai était dépassé, il faudra comprendre pourquoi. Quand on photographie une manifestation, à ma connaissance, il n'y a aucune règle en ce qui concerne la durée de conservation. Idem pour les films réalisés caméra à l'épaule ou avec un portable. À plusieurs reprises, notamment le 4 juin de cette année encore, j'ai renouvelé à mes services les consignes du strict respect du cadre de droit. J'avais d'ailleurs déjà limité de façon générale l'accès aux images de vidéosurveillance. À l'occasion d'un drame, j'ai en effet découvert que de n'importe quel poste de salle de commandement de la préfecture de police, y compris en petite couronne, il était possible d'accéder à toutes les images de notre système vidéo. C'est sans doute ainsi que l'agression à coups de marteau d'un de nos fonctionnaires sur le parvis de Notre-Dame, en juin 2017, s'était retrouvée deux heures plus tard sur les écrans de télévision. J'ai saisi l'IGPN. Depuis lors, j'ai verrouillé le système pour que ne puissent avoir accès aux images que ceux du territoire concerné.

J'accueillerai avec beaucoup d'intérêt ce qui sort de l'enquête, à la fois sur le plan judiciaire et sur le plan administratif, mais des questions devront être posées pour en tirer toutes les conséquences.

M. Jean-Yves Leconte. - Les syndicats de police nous ont fait part de grandes tensions entre le GSPR et d'autres personnes chargées de la sécurité du Président de la République. Vous-même étant directement responsable sur la région parisienne, avez-vous senti ces tensions au cours des derniers mois ?

On parle de cette réunion en salle d'information et de contrôle de la préfecture de police le 1er mai. Avez-vous un système vous permettant de suivre les entrées et sorties de la salle de commandement et de la préfecture de police ? Cela vous permettrait de nous dire à quel moment M. Benalla est venu rencontrer quelqu'un à la préfecture de police au cours des derniers mois.

M. Philippe Bas, président. - Nos auditions permettent de faire émerger les sentiments dont sont porteurs un certain nombre de policiers à travers leurs organisations syndicales. Il est vraisemblable que personne ne se soit plaint jusqu'à ce que l'affaire Benalla éclate, mais il semblerait qu'aujourd'hui, les langues se délient. Certains des représentants syndicaux de la police ont parlé de la terreur - le mot, employé à deux reprises, est certainement excessif - qu'exerçait M. Benalla sur des agents placés sous votre autorité. Si vous n'en avez pas encore entendu parler, vous en entendrez certainement parler.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Chacun, depuis le début de nos auditions, fait une lecture erronée de l'article 40 en restreignant son champ aux personnes placées sous l'autorité hiérarchique. Ce n'est pas le cas, puisque la seule condition, c'est d'avoir connaissance des faits dans l'exercice des fonctions. Nulle part il n'est précisé que cela doit concerner des subordonnés hiérarchiques.

Vous êtes-vous entretenu avec votre collègue de la DGPN, avec le ministre ou avec votre collègue directeur de cabinet du Président de la République, entre le 2 mai et le 18 juillet, des faits concernant M. Benalla - faits dont, vous au moins, vous ne contestez pas avoir eu connaissance, contrairement au ministre ou au DGPN qui ont dit les avoir découverts à la lecture du Monde ?

Avez-vous depuis lors demandé à vos services de regarder si d'autres faits analogues pouvaient être reprochés à M. Benalla ?

Mme Catherine Troendlé. - Tout le monde s'accorde à dire que la protection du Président de la République relève des fonctionnaires de police et des militaires. Ma question porte sur la demande d'autorisation de port d'arme de M. Benalla : avez-vous connaissance d'un précédent où un collaborateur aurait demandé au préfet de police une autorisation de port d'arme ? Dans la négative, la démarche pouvait sembler sans doute un peu incongrue. Auriez-vous dû en informer le ministre de l'intérieur, ce qui aurait constitué une première alerte sur comportement quelque peu transgressif ?

Mme Josiane Costes. - Vous avez déjà répondu à ma question, qui porte sur les graves dérives comportementales de M. Benalla qui nous ont été signalées hier. Effectivement, le mot « terreur » a été employé à plusieurs reprises. Vos directeurs ou vous-même avez-vous eu vent de ces dérives comportementales ?

M. Philippe Bas, président. - Et ces derniers jours, vous avez vous-même sollicité des informations sur ce point, puisque qu'on commence à en parler. Ce serait utile de le vérifier.

M. Jean Louis Masson. - Nous sommes, théoriquement, dans une République « exemplaire » et je suis surpris d'apprendre qu'un jeune homme de vingt-six ans, sans aucune formation particulière ni aucune expérience professionnelle, si ce n'est celle d'avoir assuré la sécurité dans des boîtes de nuit, a le grade de lieutenant-colonel.

Vous avez parlé de « copinage malsain » en visant certains de vos fonctionnaires. Je crois que ce copinage malsain se trouve plutôt chez ceux qui ont nommé quelqu'un n'ayant ni les compétences ni l'âge pour être lieutenant-colonel à des fonctions qu'atteignent des personnes qui ont quarante ou cinquante ans, anciens élèves de Saint-Cyr ou d'une grande école et qui ont fait valoir leur expérience professionnelle. Ce monsieur doit avoir des réseaux d'influence et un poids énorme.

Je suis un peu surpris que l'on reporte directement ou indirectement certaines responsabilités sur des fonctionnaires. Soyons clairs, quand on a été fonctionnaire, on le sait très bien : si quelqu'un de l'Élysée arrive en roulant des mécaniques, on ne peut qu'obtempérer à ses instructions. Comment reprocher à des fonctionnaires d'avoir obéi et de s'être laissé faire ?

M. Philippe Bas, président. - Nous avons prévu une minute par question, mon cher collègue.

M. Jean Louis Masson. - Je n'en ai pas posé depuis ce matin.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie d'être là, du reste...

M. Jean Louis Masson. - La directrice de l'IGPN nous a dit que les violences à l'origine de l'affaire étaient très légères. Tout ce que l'on fait à l'encontre des fonctionnaires aurait-il été fait s'il n'y avait pas eu ce contexte politique, si M. Benalla, par ses exactions et son comportement, n'avait pas enclenché cette affaire, qui devient une affaire d'État ? Ces fonctionnaires n'y sont pratiquement pour rien... mais ils seront les lampistes de cette affaire. Les vrais responsables, pourtant, ce sont ceux qui ont nommé M. Benalla.

Mme Laurence Harribey. - Entre « les langues se délient » ou « nous avons été terrorisés » et « je n'ai aucune remontée de mes services », il y a un fossé énorme qui suscite des questions sur l'organisation du ministère de l'intérieur et sur la capacité d'échanges dans vos services.

Michel Delpuech. - Je vais tâcher de couvrir le champ de toutes les questions.

Vous vous étonnez que l'on reporte la responsabilité sur des fonctionnaires ; je suis là pour les protéger, et je m'étonne comme vous. J'ai évoqué, dans les termes que vous avez entendus, le cas du major qui était sur place. Ce que nous avons pu entendre hier soir répond à ce souci que vous exprimez. Pour les fonctionnaires, ce sont des moments difficiles ; ils ont le sentiment d'être mis en cause pour des circonstances dans lesquelles leur part réelle de responsabilité d'initiative n'est sûrement pas en cause, en tout cas pour une grande majorité d'entre eux. Je ne peux qu'aller dans votre sens.

J'ai évoqué un copinage malsain ; il s'agit de cette proximité absolument indispensable, mais qui peut dériver. Je l'ai qualifiée comme telle ; cela a été repris par le Premier ministre à l'Assemblée nationale, je ne retire rien, mais cela vise cet aspect.

J'en arrive aux remontées d'informations et aux déclarations des syndicats. Je vois très souvent les syndicats de police, mes collaborateurs aussi - le préfet secrétaire général pour l'administration, l'adjoint du directeur régional, l'inspecteur général Foucaud, dont c'est le champ d'activité -, et je vous affirme que rien ne nous a jamais été indiqué. Je verrai bien ce qu'ils dénoncent. Qu'ils nous donnent des faits, je les prendrai en compte, au-delà des pétitions de principe : quand, où, comment, dans quelles circonstances ? Qu'on me le dise, et j'examinerai ce qu'il y a derrière.

Y a-t-il eu un précédent sur la question du port d'arme ? À ma connaissance, non, mais, encore une fois, j'ai un élément de dossier. Nous avons obtenu de l'Élysée un document qui cadre bien la réalité de la mission confiée à M. Benalla. C'est sur le fondement de ce document, sans pression - je répète ce point et je confirme les propos de Patrick Strzoda -, que la décision a été prise. Il y a d'autres décisions ; j'ai ainsi appris, ces jours-ci, qu'une habilitation Secret défense lui avait été donnée, cette décision est bien antérieure à ces évènements. Je n'ai aucune idée sur ce sujet, mais je le signale.

L'article 40 du code de procédure pénale est très large ; il ne précise pas qui doit agir. Je crois avoir répondu sur ce point, je vous ai dit quelle avait été mon attitude, à partir du moment où le dossier était pris en charge. Le directeur de cabinet du Président de la République a indiqué que son appréciation ne l'avait pas conduit à considérer qu'il y avait matière à mettre en oeuvre les dispositions de cet article. Ensuite, chacun peut porter un jugement sur cette appréciation, mais, comme toujours, l'appréciation de l'autorité compétente est celle qui convient et, au demeurant, l'éclairage qu'a donné l'IGPN va plutôt dans ce sens.

Madame de La Gontrie, vous avez fait mention de l'article du journal Le Monde, je n'ai pas bien compris à quoi vous faisiez référence.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je vous ai demandé si vous vous étiez entretenu avec le ministre, le DGPN ou le directeur de cabinet entre le 2 mai et le 18 juillet, puisque le ministre et le DGPN indiquent avoir appris ces opérations à la lecture du journal Le Monde.

Michel Delpuech. - Cela a peut-être été évoqué lors de réunions informelles avec le DGPN, je ne sais pas ; je réfère au ministre, je suis une autorité préfectorale. Le préfet de police, je le rappelle, est une autorité territoriale déconcentrée, ce n'est pas un troisième directeur général.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vous vous voyez tous les jours !

Michel Delpuech. - Non, nous ne nous voyons pas tous les jours.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur le préfet, ne vous laissez pas interpeller et poursuivez votre réponse.

Michel Delpuech. - Entre le 2 mai et le 18 juillet, nous en avons parlé de manière informelle, dans les jours qui ont suivi, oui. Je fais référence au cabinet du ministre et au cabinet de l'Élysée. En avons-nous reparlé ensuite ? Je dois à l'honnêteté de vous dire : non. Votre question trouve donc réponse.

Quant à la question sur d'éventuels faits analogues de participation à des manifestations, je l'ai indiqué, aucun fait n'a été porté à ma connaissance. Je l'ai dit plusieurs fois devant vous, je le confirme. Maintenant, s'il y en a, quelle que soit la source, qu'on me les expose.

Le GSPR ne relève absolument pas de ma compétence et de mon autorité. Je n'ai aucune idée de la manière dont les choses se passent en interne et je n'ai aucune qualité pour me prononcer à ce sujet. J'ai indiqué ce que sont les relations de travail normales entre les équipes de la préfecture de police et celles de l'Élysée.

Entre-t-on comme l'on veut dans la préfecture de police ? Si l'on est préfet de police, il faut être nommé par décret en conseil des ministres ; pour toutes les autres personnes, il faut bien évidemment une carte d'accès. On entre dans la préfecture de police en étant contrôlé et habilité ; cela va de soi. Comment, le 1er mai, M. Benalla est-il venu à la salle de commandement ? Je le rappelle, il a été accueilli, à un niveau non pertinent, certes, mais il a été accueilli - je ne dirai pas autre chose. Un major était auprès de lui, qui était habilité. Dans le cadre de cet accueil ainsi organisé, il l'a sans aucun doute guidé jusqu'à la salle de commandement. Voilà comment les choses ont pu se passer.

M. Philippe Bas, président. - Merci de votre coopération.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 13 h 30, est reprise à 14 h 30.

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République

M. Philippe Bas, président. - Nous reprenons nos travaux sur l'affaire Benalla et recevons M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République. Après un propos liminaire, monsieur Strzoda, nous poserons nos questions. Je rappelle que notre commission est dotée des prérogatives d'une commission d'enquête. Un faux témoignage devant notre commission serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire la vérité, rien que la vérité.

Selon la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Strzoda prête serment.

M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République. -Votre commission des lois a décidé de faire toute la lumière sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements. Le champ de votre enquête inclut les événements qui se sont déroulés le 1er mai dernier.

J'ai passé cette journée à mon bureau, pour travailler et pour suivre le déroulement des manifestations sur le territoire (notamment à Paris, où la manifestation était annoncée comme à haut risque), afin de pouvoir en informer le secrétaire général de l'Élysée et le chef de l'État en déplacement en Australie.

J'ai appris le 2 mai au matin que de nombreux incidents s'étaient produits, et qu'un chargé de mission des services de l'Élysée, du cabinet plus exactement, avait eu un comportement inapproprié et choquant. J'en ai pris connaissance en regardant une vidéo, qu'un collaborateur m'a montrée vers 9 heures 30, où l'on voyait à la fois des scènes d'affrontements violents, des poursuites entre des manifestants et forces de l'ordre, des jets de projectiles qui n'émanaient pas de ces dernières, tout cela dans une grande confusion. On voyait également une intervention de policiers, à laquelle participait une personne qui semblait être M. Benalla.

Je l'ai immédiatement convoqué et il m'a confirmé qu'il était présent sur les lieux ; il se reconnaissait sur la vidéo. Il voulait, m'a-t-il expliqué, aider des policiers pris à partie par des manifestants violents qui jetaient des projectiles. Je l'ai informé que cette participation à une opération de maintien de l'ordre n'entrait pas dans ses missions d'observateur, et que ce comportement inacceptable serait sanctionné comme faute. J'ai informé le secrétaire général de l'Élysée afin qu'à son tour il puisse informer le Président de la République, ce qu'il a fait lors de leur point quotidien.

Comme directeur des services de la présidence, j'ai pris une sanction : suspension de quinze jours sans traitement, c'est-à-dire mise à pied avec exclusion temporaire ; modification des missions, M. Benalla se voyant retirer sa participation à l'organisation des déplacements publics du Président de la République, ce qui est une rétrogradation ; enfin je précisais dans mon courrier de notification du 3 mai à l'intéressé que tout nouveau comportement fautif déclencherait son licenciement. Certains considèrent que cette sanction n'est pas adaptée. Cette audition me donnera l'occasion de répondre à toutes vos questions sur ce point.

Je mesure bien le trouble suscité, notamment parmi les forces de sécurité. Le chef de l'État sait leur engagement quotidien au service de notre sécurité, contre le terrorisme, pour le maintien de l'ordre et donc de l'État de droit. Je leur dis, en son nom, que la sécurité du chef de l'État ne peut être assurée que sous l'autorité et le contrôle des policiers et des gendarmes.

Ce comportement individuel fautif a donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire et à une sanction disciplinaire. Il appartient à présent à la justice d'établir les responsabilités des personnes poursuivies. Quant à moi, j'ai la volonté de répondre précisément et complètement à vos questions. Le Président de la République m'a autorisé à venir devant vous afin de contribuer à la manifestation de la vérité, mais il m'a demandé également de vous rappeler le cadre juridique de mon intervention : la séparation des pouvoirs m'interdira de répondre à des questions relatives à des faits couverts par l'information judiciaire ainsi qu'à des questions sur l'organisation interne de la présidence de la République.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Nous avons ce matin entendu le directeur général de la police nationale (DGPN) et la directrice de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) sur les conditions dans lesquelles ils ont pris connaissance de la vidéo et de l'identité des personnes concernées. Les services de l'IGPN ont été informés par un internaute anonyme ; la directrice ignorait l'identité des protagonistes, qu'elle a connue le 18 juillet. Début mai, elle n'a pas jugé utile de donner suite à ces incidents en l'absence d'autres éléments. Nous lui avons demandé quelle aurait été son attitude si elle avait su qui étaient les personnes filmées. Elle a répondu en évoquant une enquête administrative et une enquête judiciaire. M. Morvan estime lui aussi que, si l'identité de l'auteur des faits avait été connue, une enquête judiciaire se serait imposée.

Nous avons demandé au préfet de police pourquoi une telle enquête n'avait pas été diligentée : il nous a répondu qu'ayant remis le dossier à l'Élysée, autorité hiérarchique compétente - vous en l'espèce - il estimait avoir correctement traité le problème.

Je vous pose donc la question : pensez-vous que l'analyse des responsables de la DGPN et de l'IGPN est erronée quand ils estiment que connaissant l'auteur des faits, il fallait diligenter une enquête administrative et judiciaire ? Dans le cas contraire, pourquoi avez-vous agi autrement ?

M. Patrick Strzoda. - Je n'ai pas à porter d'appréciation sur les déclarations de ces responsables. Mais je puis vous expliquer pourquoi j'ai pris une sanction et pourquoi je n'ai pas engagé d'autre démarche, enquête administrative ou saisine de la justice sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale. Le directeur de cabinet du Président de la République est le chef des services de l'Élysée : c'est à moi qu'il incombe de prendre des sanctions, j'ai été recruté pour cela. Je l'ai fait, rapidement. J'ai tenu compte de ce que montrait la vidéo - outre des scènes d'affrontement confuses, l'interpellation d'un manifestant qui se débat et qui est immobilisé par des policiers et par M. Benalla. Je n'ai pas relevé d'acharnement entre lui et le manifestant. J'ai replacé ces faits dans leur contexte : le 1er mai au soir, m'a confirmé la préfecture de police, il y a eu des affrontements place de la Contrescarpe et 31 interpellations. Ce n'était pas une tranquille soirée de printemps...

J'ai replacé cette scène dans l'ensemble de la journée. Les images des manifestations du 1er mai ont sidéré nos concitoyens par leur violence extraordinaire, d'abord boulevard de l'Hôpital puis vers le Quartier latin. La manifestation a dégénéré parce que 1 200 à 1 500 black blocks étaient venus pour « casser du flic » comme ils l'avaient annoncé sur les réseaux sociaux. Commerces saccagés, entreprises pillées, chef d'entreprise en larmes qui avait tout perdu, équipements publics détruits, voitures incendiées, policiers blessés... et 276 interpellations à Paris. Je me suis efforcé de faire la synthèse des données. Y avait-il préjudice grave à l'égard du manifestant concerné ? Il n'avait pas été blessé, n'avait pas eu d'incapacité de travail, n'avait pas déposé plainte. En revanche le préjudice à l'égard de la société est manifeste.

Je signale également que ni le préfet de police - autorité sous laquelle était placé le dispositif auquel s'est joint M. Benalla le 1er mai -, ni l'IGPN qui a eu connaissance de la vidéo le 3 mai n'ont suggéré d'enquête administrative ou judiciaire. Je ne le dis pas pour me défausser, mais la directrice de l'IGPN, au vu des images, a estimé qu'il y avait des « gestes techniques mal maîtrisés, mais pas de violences illégitimes ».

En considérant tous ces éléments, j'ai pris la décision que j'ai dite (mise à pied, rétrogradation et avertissement), pour sanctionner un comportement déviant, une faute personnelle détachable du service. Cela n'empêchait pas d'autres autorités d'engager dans leur domaine de responsabilité des poursuites si elles le pensaient nécessaire. Ma décision était adaptée à la situation que je connaissais le 2 mai. Si j'ai commis une erreur d'appréciation, je l'assume, c'est pour cela que j'ai été recruté.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Des gestes techniques de policier mal maîtrisés, s'agissant d'un collaborateur qui s'occupe de la protection rapprochée du Président de la République... N'y a-t-il pas un risque que l'intéressé maîtrise mal son comportement dans l'exercice de ses fonctions ?

M. Patrick Strzoda. - Alexandre Benalla n'était pas chargé de la protection rapprochée du Président de la République, laquelle relève de la compétence exclusive des membres du GSPR, commandé par un colonel de gendarmerie dont l'adjoint est un commissaire de police.

Les missions d'Alexandre Benalla font l'objet d'une note de service. Il participait, sous l'autorité du chef de cabinet, à la préparation et l'organisation des déplacements publics du chef de l'État ; il organisait les déplacements privés ; il gérait le programme d'accueil des invités du Président de la République pour le défilé du 14 juillet. Cette dernière mission consiste à gérer les 15 000 invitations et concrètement, le jour de la cérémonie, installer les invités dans les tribunes. La participation à la préparation des déplacements est un champ plus vaste. Lorsque, dans vos départements, vous accueillez le Président de la République, il faut avoir vérifié auparavant que les élus sont conviés, que le ruban à couper est livré, les micros installés, le dispositif de sécurité correctement déployé, positionné, coordonné avec les autres services : il importe en effet de garantir la fluidité et l'absence d'imprévu. Tout cabinet comprend des personnes capables d'effectuer cette coordination.

Mais, lors du déplacement, c'est le GSPR sous l'autorité du colonel Lavergne et le préfet compétent qui mobilisent les policiers et les gendarmes. Je le répète, Alexandre Benalla n'assurait pas la protection rapprochée du chef de l'État. En revanche, il donnait les orientations lorsque celui-ci modifiait un segment du programme - il faut alors être très réactif. Quatre personnes s'occupent de ce sujet au cabinet : le chef de cabinet, le chef-adjoint de cabinet, M. Furcy, l'adjointe au chef de cabinet, Mme Argouarc'h, et M. Benalla, également adjoint au chef de cabinet.

Enfin, l'organisation des déplacements privés est fonction des souhaits du Président. Le programme n'est pas public, et il est plus changeant que celui d'un déplacement public...

M. Philippe Bas, président. - Les responsables syndicaux ont parlé de « relations exécrables avec M. Benalla », voire de la « terreur » qu'il faisait régner au sein du GSPR - le terme a été employé à deux reprises.

M. Patrick Strzoda. - Je crois qu'un seul de vos interlocuteurs l'a employé.

M. Philippe Bas, président. - C'est exact : le représentant de FO.

Ils ont parlé de vigiles, et indiqué que « les langues se délient ». La protection du Président de la République était-elle assurée par des contractuels comme M. Benalla ? Y compris la sécurité des déplacements publics ? Pour les déplacements privés, ce collaborateur avait-il le monopole de la mission de protection ? L'instance officielle était-elle exclue ? Cela nous intéresse, car cela concerne la sécurité du Président de la République.

M. Patrick Strzoda. - Le sujet est extrêmement sensible. C'est la responsabilité principale et prioritaire dans mes fonctions. J'ai en ce domaine une expérience comme préfet, mais aussi comme directeur de cabinet de M. Cazeneuve au ministère de l'intérieur puis à Matignon. Nous avons eu à gérer de lourds attentats, et je veille à la sécurité du Président de la République comme on surveille le lait sur le feu. J'ai été très surpris d'entendre ces déclarations de responsables syndicaux que je connais très bien, que j'ai côtoyés au ministère de l'intérieur - ils avaient même mon numéro de téléphone portable pour, à toute heure, me signaler un éventuel problème. Or ils ne m'ont jamais sollicité.

Je m'exprime sous serment, et j'affirme que la protection du chef de l'État est assurée par des policiers et des gendarmes, fonctionnaires civils ou militaires. Je déments formellement qu'il y ait à l'Élysée des « vigiles », des agents privés qui auraient une mission de sécurité. C'est un phantasme.

M. Philippe Bas, président. - Alexandre Benalla était pourtant un contractuel chargé d'accompagner les forces de sécurité et disposant d'un port d'arme ?

M. Patrick Strzoda. - Il n'était pas chargé de la sécurité rapprochée du Président de la République.

M. Philippe Bas, président. - Sauf pour les déplacements privés ?

M. Patrick Strzoda. - Non, c'est toujours le GSPR qui l'est. Mais pas dans le même format que pour les déplacements publics. Pardonnez ma concision, il est délicat d'en parler publiquement. Il nous faut nous adapter à ce que souhaite le Président de la République, sans abaisser le niveau de sécurité.

Enfin, sur le port d'arme, j'ai considéré, comme directeur de cabinet, qu'il pouvait être utile, dans l'entourage du Président de la République, qu'une personne ait ce permis : M. Benalla a été dûment formé et habilité à cette fin. Cela est de ma responsabilité.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Si nous vous interrogions sur une procédure judiciaire en cours, vous seriez fondé à refuser de nous répondre. Vous avez reçu l'autorisation du Président de la République pour vous présenter devant nous, avez-vous précisé. Cependant, autorisation ou non, tout citoyen sollicité par une commission d'enquête parlementaire a l'obligation de venir ! Cette question a déjà été évoquée dans le passé à propos de la convocation d'une chef de cabinet d'un précédent Président de la République. Je considère que seul le Président de la République n'a pas à venir devant des commissions d'enquête parlementaires.

Vos explications, pardon de ma franchise, ont quelque chose d'artificiel. La sécurité, dites-vous, est assurée exclusivement par le GSPR, mais M. Benalla, sur les photos, est très souvent à 20 centimètres du Président de la République ! Certains au GSPR semblaient même considérer que cela ne facilitait pas leur travail. Vous affirmez que les trois missions confiées à ce collaborateur ne sont pas de protection ni de sécurité : elles en sont tout de même très proches.

Vous avez pris une sanction et vous l'avez fait rapidement. Soit. Mais les actes en cause sont d'une exceptionnelle gravité : faire usage de la force sans aucun droit, dans de telles conditions, alors que l'on est adjoint au chef de cabinet du Président de la République, c'est choquant. On aurait parfaitement compris que le fautif, après sa suspension de quinze jours, fût exfiltré vers un autre service administratif. Or on le voit lors de l'accueil de l'équipe de France de football, au Panthéon, à la cérémonie du 14 juillet : la confusion a subsisté. Vous avez licencié M. Benalla après la publication d'un article de presse, il y a seulement deux jours.

M. Patrick Strzoda. - C'est que celui-ci a eu un nouveau comportement répréhensible.

Mme Marie Mercier. - Lequel ?

M. Patrick Strzoda. - Une information judiciaire a été ouverte à la suite d'un signalement que j'ai fait en application de l'article 40 du code de procédure pénale pour détention et recel de documents. Et le licenciement a été décidé sur le fondement de mon courrier du 3 mai et de l'avertissement qu'il comportait.

Au lendemain du 1er mai, j'ai retiré à Alexandre Benalla une mission très valorisante, la participation à l'organisation des déplacements publics. Son activité a été recentrée sur les manifestations internes à l'Élysée. C'est à ce titre qu'il a été mobilisé pour organiser la réception de l'équipe de France de football le 16 juillet, vingt-quatre heures tout juste après la finale victorieuse. La fédération française de football nous a imposé des contraintes. Notamment, les joueurs devaient quitter l'Élysée à 20 heures. Or l'avion s'est posé à 17 heures. La descente des Champs-Élysées avait duré quatre heures en 1998, il fallait cette fois garantir que le bus parviendrait au palais de l'Élysée à 19 h 30 au plus tard.

M. Philippe Bas, président. - Alexandre Benalla est toujours là pour prêter main-forte aux forces de sécurité lorsqu'elles sont insuffisantes...

M. Patrick Strzoda. - Il était en liaison avec nous depuis l'autobus pour nous informer de sa progression, car nous avions à gérer dans cette attente 3 000 invités.

La mission du 14 juillet a été retirée à M. Benalla, mais il restait chargé de l'accueil des invités. Lors du transfert des dépouilles de Simone Veil et son mari au Panthéon, il coordonnait l'arrivée du cortège du Président de la République et celles des deux cercueils - il était l'agent de liaison dans une mission entièrement gérée par l'Élysée.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Pourquoi lui, dans ces moments si symboliques ?

M. Patrick Strzoda. - Les effectifs du cabinet sont contraints. Pour un événement inédit, mieux vaut mobiliser ceux qui savent faire, et Alexandre Benalla avait des capacités d'organisateur. Il s'occupait de la logistique, il ne devait pas apparaître publiquement.

La proximité que vous notez sur les photographies s'explique par la mission de coordination des services : si, au cours d'un déplacement, le Président de la République décidait de traverser une place pour aller saluer les gens, il le disait à M. Benalla, qui aussitôt répercutait l'information dans le cortège et auprès du dispositif de sécurité - alors il n'apparaissait plus sur la photo, car il était en train de courir à l'autre bout de la place.

M. Philippe Bas, président. - Vos explications sont contre-intuitives. Nous voyons en maintes circonstances M. Benalla en posture de garde du corps, ce qu'il était pendant la campagne électorale. Nous faisons logiquement l'hypothèse que le lien de confiance n'a pas été rompu après l'élection, et que le Président de la République s'en est largement remis à ce jeune collaborateur talentueux. Vous ne le démentez pas totalement mais replacez ces éléments dans un cadre plus formel... N'est-il pas plus formel que la réalité de la vie ?

M. Patrick Strzoda. - Si vous recherchez spécifiquement des photos où le Président de la République apparaît avec le chef de cabinet, vous en trouverez beaucoup ; avec l'adjoint au chef de cabinet, même chose, etc. !

M. Philippe Bas, président. - M. Benalla portait une oreillette ?

M. Patrick Strzoda. - Oui, mais pas en lien avec la sécurité rapprochée. Je précise aussi qu'il ne portait jamais d'arme en déplacement public.

M. Philippe Bas, président. - C'est une information importante.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je persiste à penser que dans les manifestations publiques, internationales, sensibles qui ont suivi la période de mise à pied, il aurait été possible de confier les missions de M. Benalla à d'autres personnes au service de la République française.

M. Philippe Bas, président. - Jamais d'arme, donc, dans les déplacements publics. Le permis de port d'arme était donc lié aux déplacements privés ?

M. Patrick Strzoda. - Cela n'était pas précisé dans l'autorisation. Je ne sais s'il était amené à porter une arme lors des déplacements privés.

M. Philippe Bas, président. - Pourquoi alors a-t-il obtenu ce permis ?

M. Patrick Strzoda. - Il m'a paru utile qu'en plus du GSPR, une personne puisse porter une arme. Je ne peux détailler ce point.

Les allégations de relations tumultueuses avec le GSPR, l'idée qu'il « terrorisait » ses membres, que les relations étaient « exécrables »...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Une seule personne entendue a parlé de terreur.

Mme Esther Benbassa. - Mais plusieurs ont parlé de relations exécrables.

M. Patrick Strzoda. - ...me surprennent car je vois le colonel Lavergne tous les jours, et jamais il ne m'a signalé de telles tensions. Je croise également quotidiennement les agents du GSPR. J'ai une relation directe avec tout le personnel, à l'Élysée il ne peut en être autrement ! Pourquoi n'en auraient-ils jamais parlé ?

M. Philippe Bas, président. - Nous verrons dans les prochains jours si ces propos sont étayés.

M. François Pillet. - L'article 11 de la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique oblige tout collaborateur du Président de la République à transmettre à son autorité hiérarchique et à l'autorité une déclaration d'intérêts. Celle d'Alexandre Benalla mentionne-t-elle des relations particulières avec des sociétés de sécurité privées ?

M. Patrick Strzoda. - Parlez-vous des déclarations transmises à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ?

M. François Pillet. - Oui, à la Haute Autorité et à la hiérarchie.

M. Patrick Strzoda. - Nous sommes en train d'expertiser ce point. Avant l'élection de M. Macron à la présidence de la République, seuls les collaborateurs dont la nomination était annoncée au Journal Officiel devaient produire une déclaration.

Nous avons maintenu cette pratique. En l'espèce, M. Benalla étant seulement chargé de mission, il n'a pas été tenu, comme les huit autres agents dans ce cas, de transmettre une déclaration d'intérêts. J'ai demandé ce jour au Secrétariat général du Gouvernement (SGG) d'expertiser cette disposition.

M. François Pillet. - L'alinéa 4 de l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique indique pourtant expressément que les collaborateurs du Président de la République transmettent au président de la Haute Autorité une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts. Là où la loi ne distingue pas, il n'y a pas lieu de distinguer... Lors des débats à l'Assemblée nationale sur ladite loi, René Dosière avait certes envisagé de limiter cette obligation aux seuls collaborateurs nommés au Journal officiel, mais un amendement déposé par Alain Tourret et adopté avait levé toute ambiguïté. Je précise, en outre, que M. Benalla était adjoint au chef de cabinet, pas seulement chargé de mission. L'analyse juridique de l'article 11, vous pouvez le constater, ne semble donc guère complexe... Sa mauvaise compréhension apparaît d'autant plus dommageable que tout manquement à l'obligation de déclaration est punissable de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, et devrait être signalé au procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale...

M. Patrick Strzoda. - Le contrat de recrutement de M. Benalla le nomme chargé de mission, pas adjoint au chef de cabinet. En tout état de cause, nous nous conformerons à l'avis du SGG.

M. François Pillet. - Mon analyse fut d'ailleurs partagée par François Hollande, qui, dès 2013, a appliqué l'article 11 précité à l'ensemble de ses collaborateurs. L'habitude, depuis, s'est hélas perdue...

M. Philippe Bas, président. - Les services de l'Élysée pourront remercier François Pillet pour son éclairage juridique.

M. Loïc Hervé. - Pourriez-vous, monsieur le directeur, transmettre à la commission la fiche de poste, le contrat et la feuille de paie du mois de mai de M. Benalla ?

M. Patrick Strzoda. - Je vais étudier les conditions dans lesquelles je puis vous fournir ces documents et m'engage à répondre rapidement à votre requête.

M. Patrick Kanner. - Il demeure des zones d'ombre s'agissant des responsabilités exactes d'Alexandre Benalla à l'Élysée. Pour ma part, au cours de ma carrière politique, jamais je n'ai rencontré un chargé de mission de vingt-six ans doté de responsabilités à un niveau relevant, à mon sens, davantage d'un collaborateur nommé au Journal officiel. Nous souhaiterions donc que la commission entende M. Benalla, non bien sûr sur les faits du 1er mai du ressort de l'enquête judiciaire, mais quant à ses fonctions administratives à l'Élysée. Vous recevrez dès ce soir, monsieur le président, une demande écrite en ce sens.

M. Philippe Bas, président. - Je prends note de votre requête.

M. Éric Kerrouche. - Nous avons appris hier que le Président de la République s'estimait responsable de cette affaire. Il semble peut-être plus facile de se considérer responsable lorsque l'on est intouchable... Il assume ses responsabilités, dit-il, comme vous le faites et comme nous le faisons également en essayant de mettre en lumière et de comprendre les dysfonctionnements au sein de l'Élysée. Existe-t-il une note de service faisant référence au changement de mission de M. Benalla à la suite de sa sanction ? Peut-elle, le cas échéant, nous être communiquée ? Il existe, par ailleurs, un pôle juridique au sein de votre cabinet, dirigé par une magistrate. Après avoir visionné la vidéo des événements du 1er mai, lui avez-vous demandé conseil quant à l'opportunité d'appliquer l'article 40 du code de procédure pénale ? Si oui, quelle fut sa réponse ? Sinon, pourquoi ne l'avez-vous pas sollicitée ? Enfin, combien de personnes travaillent à l'Élysée sous le même statut que M. Benalla ? Qu'en est-il de l'obligation de transparence de ces agents vis-à-vis de la HATVP ? J'y vois une contradiction avec le credo du Président de la République, affirmé dès le début du quinquennat par la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.

M. Patrick Strzoda. - Je vous ferai sans délai parvenir la note relative au changement de mission de M. Benalla. Je n'ai pas, monsieur Kerrouche, consulté ma conseillère justice au sujet de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale aux événements du 1er mai, par respect pour le principe de séparation des pouvoirs. J'ai pris seul ma décision dès le 2 mai, dans les conditions précédemment évoquées, et je l'assume. Comme préfet de Corse et, surtout, de Bretagne, lorsque sévissaient les bonnets rouges, j'ai, à de multiples reprises, été témoin de manifestations violentes. Je n'ai alors jamais hésité à faire emploi de l'article 40 susmentionné. Le cas de M. Benalla ne m'a, en revanche, pas semblé le nécessiter. En application du principe de séparation des pouvoirs, je ne puis, hélas, vous répondre s'agissant des fonctions occupées par d'autres chargés de mission car cette information relève de l'activité de l'Élysée.

M. Philippe Bas, président. - Je ne partage absolument pas votre analyse ! Les collaborateurs du Président de la République exercent une fonction publique. Pourquoi refuser d'expliquer le rôle des différents chargés de mission ? Il ne s'agit nullement d'un secret d'État !

M. Patrick Strzoda. - Les autres chargés de mission de la présidence de la République n'ont aucunement vocation à participer, comme observateurs, à des opérations de la préfecture de police. Ils ne relèvent donc pas du champ de votre enquête.

M. Philippe Bas, président. - Il nous revient de le déterminer ! Notre mission possède un large champ d'investigation, puisqu'elle s'intéresse au fonctionnement des institutions. Votre interprétation apparaît donc hautement contestable ! Nous sommes également, soyez-en certain, extrêmement attachés à la séparation des pouvoirs.

M. Patrick Strzoda. - J'ai précisé, dans mon propos liminaire, que le Président de la République m'avait autorisé à témoigner devant votre commission en m'enjoignant, dans ce cadre, de veiller au respect du principe de séparation des pouvoirs. J'insiste donc : les autres chargés de mission ne jouent aucun rôle en matière de sécurité et M. Benalla pouvait, seul, demander à être observateur dans le cadre d'une opération de police.

Mme Esther Benbassa. - Comment les images de vidéosurveillance ont-elles été portées à votre connaissance ? Par ailleurs, Alexandre Benalla a-t-il été engagé sous contrat privé ou public ? Dans le second cas, la sanction qui lui était applicable en tant qu'agent public pouvait aller de l'avertissement à la révocation. Celle qui lui a été infligée correspond à une exclusion temporaire assortie d'une suspension de traitement et nécessite la réunion préalable du conseil de discipline. Cette procédure a-t-elle été suivie ? Est-il enfin possible d'être destinataire de la fiche de traitement de M. Benalla pour le mois de mai ?

M. Patrick Strzoda. - M. Benalla a été engagé sous contrat public avec un statut de contractuel. Sa sanction, que je souhaitais immédiate, adaptée et proportionnée, devait donc respecter les dispositions du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'État. Le conseil de discipline n'a cependant pu être saisi puisqu'il n'en existe pas à l'Élysée. M. Benalla a reçu, au mois de mai, l'intégralité de son traitement, les quinze jours de suspension faisant l'objet d'une retenue sur les droits à congés obtenus au titre de l'année 2017.

M. Philippe Bas, président. - Votre réponse a le mérite de la franchise...

M. Patrick Strzoda. - Au matin du 2 mai, madame Benbassa, mon conseiller en charge des réseaux sociaux m'a fait visionner la vidéo de la place de la Contrescarpe disponible en ligne, sur laquelle figurent des scènes d'affrontement, ainsi que l'interpellation à laquelle a procédé M. Benalla. J'ai alors convoqué ce dernier pour m'assurer de la véracité des événements filmés.

M. Pierre-Yves Collombat. - Cette affaire ressort, selon vous, d'un comportement individuel. Il me semble néanmoins qu'une telle dérive a été facilitée par le fonctionnement de nos institutions, où il suffit de se revendiquer de la chefferie de cabinet du Président de la République pour avoir accès à des lieux et à des fonctions normalement interdits au bénéficiaire du passe-droit. Quel contrôle réalisez-vous du comportement des agents sous votre responsabilité ? Il semblerait, en effet, que les événements du 1er mai ne constituent pas la seule incartade de M. Benalla...

M. Patrick Strzoda. - Votre question, en réalité, est double : pourquoi
M. Benalla se trouvait-il place de la Contrescarpe et son comportement posait-il habituellement problème ? Je rencontrais très régulièrement l'intéressé puisque, chaque jour, je fais un point sur l'agenda du Président de la République avec le service du chef de cabinet. Quelques jours avant le 1er mai, M. Benalla m'a dit avoir été invité par M. Simonin à participer à une mission d'observation. Je connaissais, par mes fonctions antérieures, M. Simonin, professionnel de qualité, et j'ai considéré que sa hiérarchie à la préfecture de police avait forcément donné son accord. La mission, en outre, était loin d'être exceptionnelle ! À titre d'illustration, en 2017, près de 3 000 journalistes, mais aussi des magistrats et des étudiants, ont bénéficié d'un statut d'observateur. La mission de M. Benalla consistant à assurer la coordination des services concernés lors des déplacements du Président de la République, il se trouvait en contact régulier avec la préfecture de police. La proposition, dans le prolongement de ses fonctions à l'Élysée, n'apparaissait donc pas anormale. J'ai simplement rappelé, à cette occasion, à M. Benalla qu'il ne pouvait en aucun cas intervenir dans le cadre de sa mission d'observation.

M. Philippe Bas, président. - Vous aviez donc envisagé qu'il puisse outrepasser son statut d'observateur ?

M. Patrick Strzoda. - Comment aurais-je pu imaginer qu'il ne soit pas encadré lors de cette mission ? Par ailleurs, M. Benalla n'a jamais, monsieur Collombat, eu de comportement déviant en tant qu'agent de l'Élysée. Efficace, disponible et serviable, il était au contraire fort apprécié.

Mme Catherine Troendlé. - Comme vous, nous attachons une grande importance à la séparation des pouvoirs, garantie de l'équilibre de nos institutions. Je m'interroge donc : comment M. Benalla a-t-il obtenu un badge d'accès à l'Hémicycle de l'Assemblée nationale ?

M. Patrick Strzoda. - La mise à disposition de badges d'accès à l'Assemblée nationale ressort d'une pratique courante pour les collaborateurs de cabinets ministériels. Il est d'usage, s'agissant de l'Élysée, que ces badges soient attribués aux membres du pôle parlementaire, ainsi qu'à tout agent du cabinet pour des besoins liés à l'organisation des déplacements du Président de la République. Il ne s'agit aucunement d'un avantage ! Dans le cas de M. Benalla, la procédure habituelle a été appliquée : il en a fait la demande auprès du responsable du pôle parlementaire de l'Élysée, qui m'a ensuite été transmise pour visa, puis envoyée au Président de l'Assemblée nationale, qui prend la décision d'attribution.

M. Philippe Bas, président. - Il ne s'agit certes pas d'un avantage, mais d'une possibilité offerte aux collaborateurs, qui ont de véritables raisons d'entrer à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Je comprends mal, en l'espèce, l'intérêt d'un tel accès pour M. Benalla, compte tenu des fonctions que vous avez décrites.

M. Patrick Strzoda. - M. Benalla était, je vous le rappelle, chargé d'organiser les déplacements du Président de la République, notamment avec les élus. Or, il est parfois plus facile de nouer contact à Paris.

M. Henri Leroy. - Il existe manifestement une contradiction entre les faits et les missions protocolaires exercées, sous vos ordres, ceux d'un grand commis de l'État, par
M. Benalla... Sa faute, qui relève d'actes de violence et d'usurpation, est lourde ! Je n'imagine pas, compte tenu de votre expérience, que vous n'ayez pas envisagé de recourir à l'article 40 du code de procédure pénale. En avez-vous été dissuadé ? Avez-vous, en outre, rendu compte des événements du 1er mai au Président de la République ?

M. Patrick Strzoda. - Le Président de la République a été informé dans la nuit du 2 au 3 mai de la présence et du comportement de M. Benalla sur la place de la Contrescarpe, par le secrétaire général de l'Élysée, auquel j'avais transmis l'ensemble des informations, y compris celle relative à la sanction dont j'avais seul décidé. Monsieur Leroy, je me suis évidemment interrogé sur le recours à la procédure de l'article 40 mais, en l'absence de préjudice et d'acharnement, je l'ai écarté. Les dégradations ont été considérables lors de la manifestation du 1er mai ; la France entière en a été choquée. Mais que montrent les images de la place de la Contrescarpe ? Une personne n'appartenant pas aux forces de l'ordre, qui attrape un manifestant s'attaquant à des policiers.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Si l'application de la sanction financière a été différée, la suspension temporaire de M. Benalla a-t-elle été immédiatement effective ?

M. Patrick Strzoda. - Absolument ! Entre le 4 et le 22 mai, M. Benalla ne s'est pas présenté à l'Élysée et je puis vous assurer que notre système de contrôle des accès est des plus rigoureux.

Mme Catherine Di Folco. - Compte tenu des missions confiées à M. Benalla, je peine à comprendre pourquoi un permis de port d'arme, dont les conditions ont été précisées à notre commission par le préfet de police, lui a été accordé, en application, d'ailleurs, d'un arrêté ministériel sur lequel l'Élysée ne figure pas. Par ailleurs, j'estime très légère la sanction dont M. Benalla a écopé. Enfin, il me semble bien peu cohérent de placer en première ligne, lors d'événements prestigieux, un agent récemment rétrogradé.

M. Patrick Strzoda. - Pour certaines activités du Président de la République, il m'est apparu utile que M. Benalla soit autorisé à porter une arme. Quant à la procédure, j'ai transmis la demande de permis au préfet de police, en précisant que j'y étais favorable à la condition que l'autorisation puisse être accordée dans le strict respect de la réglementation. Nous n'aurions évidemment pas fait pression en cas de difficulté !

M. Alain Marc. - Alexandre Benalla était chargé de la sécurité du candidat Macron avant d'occuper des fonctions similaires à l'Élysée après son élection. Le périmètre de la mission diffère pourtant quelque peu, me semble-t-il... L'avez-vous embauché de votre plein gré ou sur instruction ? Son positionnement, compte tenu de son jeune âge, ne vous a-t-il pas étonné ? Une enquête a-t-elle été réalisée sur sa personne préalablement à son recrutement ?

Mme Laurence Harribey. - En quoi l'organisation des déplacements du Président de la République justifie-t-elle l'attribution d'une voiture de police équipée, non répertoriée par le ministère de l'intérieur, et une habilitation secret défense ?

M. François Grosdidier. - M. Benalla se prévaut, pour sa défense, de l'article 73 du code de procédure pénale et vous-même avez évoqué des violences lors de la manifestation du 1er mai. Or, les représentants des forces de l'ordre ont affirmé l'inverse devant notre commission. M. Benalla a-t-il, devant vous, fait mention dudit article 73 ? En toute logique, il n'aurait en ce cas pas dû être sanctionné pour l'avoir appliqué... Par ailleurs, s'occupait-il ou non directement de questions de sécurité ? Il semblait, en effet, fréquemment présent dans les locaux de la préfecture de police, ce qui soulève, vous en conviendrez, quelques ambiguïtés.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - En l'absence de véritable retenue sur salaire, je ne comprends plus guère le contenu de la sanction à l'encontre de M. Benalla, d'autant que sa présence, malgré sa rétrogradation, a été signalée depuis sur de nombreux événements. Pourriez-vous nous préciser si son appartement de fonction, qu'il n'a pas occupé, lui a été attribué postérieurement aux incidents pour lesquels il a été sanctionné ?

Mme Josiane Costes. - Mon interrogation est identique : un appartement a-t-il été attribué à M. Benalla après sa mise à pied ?

M. Alain Richard. - Je suis toujours à la recherche de faits, qui puissent enrichir notre enquête. À votre connaissance, M. Benalla s'est-il rendu coupable d'actes critiquables hors de l'Élysée ? Depuis hier, est évoquée, de façon imprécise, l'immixtion de l'intéressé dans les activités des services de police. Qu'en est-il exactement ? Enfin, d'autres agents de l'Élysée assistaient-ils M. Benalla pour l'exercice de ses missions ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - M. Vincent Crase est-il employé à l'Élysée, notamment au sein du commandement militaire ?

Mme Jacky Deromedi. - Est-il exact que M. Benalla ait bénéficié d'une habilitation secret défense ? Si oui, pour quelle raison ? Est-ce habituel pour un chargé de mission ?

M. Philippe Bas, président. - Je vais donner maintenant la parole à plusieurs de nos collègues qui ne sont pas membres de la commission des lois.

M. Rachid Temal. - Vous nous apportez enfin quelques précisions relatives aux missions et au rôle de M. Benalla, même si demeurent encore des zones grises. Vous avez indiqué que le Président de la République, qui a assuré hier porter la responsabilité de cette affaire, vous avait prié de veiller au respect de la séparation des pouvoirs pendant votre audition par la commission. Les récents propos du Président de la République ont-ils eu une incidence sur la teneur des vôtres ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Vous suivez certainement le projet de réforme de la sécurité de l'Élysée, qui prévoit la création d'une direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR) relevant de la seule autorité du Président de la République. Qui est directement chargé du pilotage de cette réforme ?

M. Patrick Strzoda. - Monsieur Marc, j'ai moi-même procédé au recrutement de M. Benalla, que je ne jugeais nullement trop jeune pour exercer les fonctions, qui lui étaient confiées. L'efficacité et la richesse d'un cabinet ministériel se trouvent dans l'association des compétences et des générations ! En l'espèce, M. Benalla a été recruté sur le fondement de sa compétence aguerrie en matière d'organisation d'événements. En outre, l'enquête qui fut menée n'a identifié aucun obstacle à ce recrutement.

Par ailleurs, je précise que M. Benalla ne disposait pas d'une voiture de fonction avec chauffeur, mais d'un accès aux véhicules de service dans le cadre de l'exercice de ses missions. Ces véhicules étant susceptibles d'être intégrés au cortège officiel, ils disposent d'équipements spécifiques installés par le garage de l'Élysée.

Monsieur Grosdidier, il reviendra au juge d'estimer le bien-fondé de la défense de M. Benalla s'agissant de l'application de l'article 73 du code de procédure pénale le 1er mai. En outre, dans la mesure où les observateurs sont équipés de matériels de protection, il n'y eut, en conséquence, aucune usurpation de la part de M. Benalla.

Enfin, madame de la Gontrie, je rappelle que la sanction financière à son endroit s'est appliquée sur ses droits à congés payés.

M. Philippe Bas, président. - Pourquoi ne pas avoir imputé la sanction sur son traitement du mois de mai, voire en juin ou en juillet ?

M. Patrick Strzoda. - Il s'agit d'une mesure de gestion : le décret précité de 1986 précise qu'une suspension temporaire ne peut être prononcée qu'avec maintien du traitement.

Le logement de fonction attribué à M. Benalla, qu'il n'a effectivement jamais occupé, le fut antérieurement au 1er mai, au regard de ses obligations de disponibilité.

L'intéressé n'a, par ailleurs, jamais fait l'objet d'un signalement pour un incident ou une faute ; c'était un collaborateur apprécié. Il ne s'immisçait, en outre, aucunement dans les activités des services de sécurité. Croyez-moi, les chefs du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et du commandement militaire ne sont pas hommes à se laisser marcher sur les pieds !

M. Benalla ne travaillait pas seul à l'organisation des déplacements du Président de la République : une équipe de quatre personnes, autour du chef de cabinet, y est dédiée.

Pour ma part, madame le rapporteur, j'ai découvert l'existence de M. Crase le 2 mai ; il s'agit d'un réserviste de la gendarmerie placé ponctuellement auprès du commandement militaire et chargé des stationnements autour du Palais de l'Élysée.

Madame Deromedi, une trentaine de collaborateurs ministériels sont habilités secret défense, parce qu'ils ont à connaître de documents classifiés dans des dossiers, lors de rencontres ou au cours de déplacements. D'ailleurs, M. Benalla était amené à accompagner le Président de la République dans des lieux relevant du secret défense.

Il n'est pas de mon rôle, monsieur Temal, de commenter les propos tenus par le Président de la République. Quoi qu'il en soit, mes dires devant la commission des lois du Sénat sont identiques à ceux qui furent les miens devant vos collègues députés.

Enfin, madame Conway-Mouret, la DSPR est un projet qu'il ne m'appartient pas de détailler. Il s'agit de rapprocher le GSPR et le commandement militaire, respectivement chargés de la protection des personnes et de celle des enceintes, pour améliorer les convergences opérationnelles et mutualiser certains coûts. En tout état de cause, cette entité serait exclusivement constituée de fonctionnaires de police et de gendarmerie. Nous sommes loin des accusations de milice privée ! D'ailleurs, la quatrième chambre de la Cour des comptes, à laquelle j'ai présenté le projet, n'a pas semblé s'en émouvoir...

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie, monsieur le directeur.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Frédéric Auréal, chef du service de la protection

M. Philippe Bas, président. - Nous recevons M. Frédéric Auréal, chef du service de la protection (SDLP) du ministère de l'intérieur. Je vous rappelle que notre commission des lois détient les prérogatives d'une commission d'enquête. Un faux témoignage devant notre commission serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Frédéric Auréal prête serment.

M. Frédéric Auréal, chef du service de la protection. - Issu de la fusion du service de protection des hautes personnalités, du service de sécurité du ministère de l'intérieur et du service central automobile, le service de la protection a été créé le 2 octobre 2013. Il assure la protection de hautes personnalités françaises et étrangères et de certaines personnes menacées, contribue à l'organisation des rencontres internationales en France comme à l'étranger, sécurise les neuf implantations centrales du ministère de l'intérieur, assure la surveillance des gardes à vue dans les sites de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), et gère les 2 200 véhicules des administrations centrales du ministère de l'intérieur.

Le service de la protection comprend 1 383 personnes dont 625 sont dédiées à la protection des personnalités. Les attentats terroristes de 2015, au cours desquels un officier de sécurité du service, M. Franck Brinsolaro, a été assassiné dans les locaux de Charlie Hebdo, ont profondément modifié la charge de travail ainsi que le fonctionnement de mon service, qui dispose d'un budget de 6,5 millions d'euros en 2018.

Le SDLP assure la protection rapprochée du Président de la République et du Premier ministre, au travers de groupes dédiés, notamment le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et le groupe de sécurité du Premier ministre (GSPM). Il assure la sécurité des membres du Gouvernement, des chefs d'État ou de gouvernement étrangers en visite sur le territoire français, ainsi que des anciens Présidents de la République, anciens Premiers ministres et anciens ministres de l'intérieur français. Il met en place des dispositifs de protection ou d'accompagnement des personnes menacées. Ces dispositifs, répondant à une procédure rigoureuse, sont décidés par le ministre de l'Intérieur en personne, après évaluation de la menace - réalisée par nos collègues en lien avec l'ensemble des services spécialisés.

Le GSPR est organisé conformément à l'article 2 de l'arrêté du 12 août 2013 relatif aux missions et à l'organisation du service de la protection, auquel il appartient. Il est actuellement dirigé par un colonel de gendarmerie, Lionel Lavergne, assisté d'un commissaire divisionnaire, Julien Perroudon. Ses missions sont définies à l'article 4 de l'arrêté précité ; il assure, sur les territoires français et à l'étranger, la protection personnelle et immédiate du Président de la République et met en oeuvre les mesures nécessaires à sa sécurité, notamment l'organisation matérielle de la sécurité de ses déplacements.

Le GSPR comprend actuellement 76 policiers et gendarmes - dont 40 policiers. Tous les policiers affectés au GSPR sont issus du service de la protection ; ils ont tous réussi les tests de sélection prévus aux articles 8 et 10 de l'arrêté de 2013. Ce sont des policiers expérimentés, qui ont fait leurs preuves sur le plan opérationnel. La sélection comprend treize épreuves qui vérifient l'adéquation des aptitudes physiques, psychologiques et professionnelles des candidats aux postes d'officiers de sécurité. Les épreuves psychologiques comportent des tests psychotechniques et des entretiens par groupes individuels. Un entretien professionnel en présence d'un jury et d'un psychologue clôt ces phases de sélection. Le fonctionnaire de police ayant réussi l'ensemble de ces épreuves extrêmement sélectives est intégré au service de la protection, où il accomplit, dès son arrivée, un mois de formation initiale. Les effectifs comprennent 40 fonctionnaires de police, dont un commissaire divisionnaire, trois officiers, 36 gradés et gardiens, 33 voitures et deux- roues. Nos services disposent d'un armement collectif et individuel.

Le service de la protection participe au dispositif de protection mis en place lors des grands événements se déroulant sur le territoire national, selon l'article 3 de l'arrêté. Ce fut le cas notamment pour le sommet sur le climat du 12 décembre 2017, et d'un certain nombre d'événements comme la COP 21, les célébrations pour le Débarquement. Il met en place des dispositifs de coordination, à la demande de l'Élysée, en cas de déplacement du Président de la République, fournit à la demande du GSPR un appui technique, cortégistes ou officiers de sécurité sur des missions techniques - dans des aéroports ou sur les lieux d'hébergement. Lors des déplacements du Président de la République à l'étranger, nous attribuons, à la demande du chef du GSPR et en plein accord avec lui, des fonctionnaires.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous avons une grande considération pour toutes les personnes sous votre autorité, qui exercent un métier difficile, dangereux, et qui demande une présence 24 heures sur 24. J'aurais aimé parler plus largement de vos missions, mais malheureusement, je devrai centrer mes questions sur M. Benalla. D'après vos informations, quelles étaient les missions exactes de M. Benalla avant sa mise à pied pour quinze jours, et quelles étaient ses fonctions après cette période ?

Selon certains, ces fonctions ne relevaient pas à proprement parler de missions de sécurité du chef de l'État, strictement dévolues au GSPR. Quelles étaient les relations entre le GSPR et M. Benalla ? Celui-ci pouvait-il donner des injonctions, des instructions, prendre position et intervenir activement dans des missions de sécurité, comme il nous a été rapporté ? Est-ce, à votre connaissance, vrai ou faux ?

M. Frédéric Auréal. - Huit des onze candidats à l'élection présidentielle ont fait une demande de protection - procédure normale pour le débat démocratique. M. Macron a sollicité le ministère de l'intérieur dès le mois de janvier 2017. J'ai ainsi rencontré, à sa demande, le directeur de campagne de M. Macron, M. Jean-Marie Girier, et ai vu M. Benalla, qui était chargé de mon parking et de m'accueillir - rien d'autre. Je ne le connaissais pas.

Pendant la campagne présidentielle, les contacts étaient pris toujours sous l'autorité de mon directeur général, entre le service et le directeur de campagne du candidat Macron, mais souvent par la cheffe de cabinet du ministère de l'intérieur. J'étais dans une logique d'exécution et d'application des instructions qui m'étaient données. En fonction de l'évolution de la campagne, de l'affluence aux différents meetings et de la menace potentielle, nous avons adapté nos dispositifs et nos effectifs pour assurer la sécurité de tous les candidats. Je n'ai pas eu d'autres contacts avec M. Benalla à ce moment-là. Mon interlocuteur était le directeur de campagne du candidat Emmanuel Macron. Plus précisément, comme nous restions dans une logique administrative, c'étaient plutôt mon directeur général et la cheffe de cabinet du ministère de l'intérieur qui étaient en contact avec le directeur de campagne de M. Macron.

Après la victoire et la prise de fonctions de M. Macron, j'ai appris l'organisation de l'Élysée, et notamment retrouvé le chef de cabinet, M. François-Xavier Lauch, sous-préfet que j'avais connu à la direction générale, et avec lequel j'ai toujours eu les meilleurs rapports.

Lorsque j'ai rencontré M. Benalla, c'était toujours lors de réunions présidées par le chef de cabinet. Mes effectifs n'ont jamais reçu d'ordre de M. Benalla. M. Strzoda évoquait précédemment le chef du GSPR et le commandant militaire. Jamais je n'aurai accepté de recevoir la moindre instruction de la part de M. Benalla. Je ne recevais d'instructions pour exécution que du chef de cabinet. Tout se passait de la manière la plus harmonieuse possible.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - À votre connaissance, quelles étaient les missions de M. Benalla avant sa mise à pied et après ? En quoi se différenciaient-elles ?

M. Frédéric Auréal. - Je l'ai rencontré lors de réunions de préparation ou de coordination d'événements comme le 8 mai, la dernière était pour le retour de l'équipe de France de football. Nous avons eu le jour-même, à 9 heures, sous l'autorité du chef de cabinet, une réunion préparatoire avec une répartition du rôle des uns et des autres - le mien était de prévoir l'accueil du Premier ministre et des ministres à l'Élysée, et notamment de positionner des officiers de sécurité du service. Je n'ai pas d'autres éléments à vous fournir.

Il y a un lien organique entre le service et le GSPR mais le lien fonctionnel est au niveau du chef de cabinet, qui donne les instructions. J'ai évoqué le GSPM et le groupe de sécurité du ministre de l'intérieur, qui sont à côté de mes bureaux. Lors des multiples déplacements, ils peuvent avoir leurs initiatives sans m'en référer. Ce rôle de coordination existait aussi avant l'arrivée du Président Macron. Mais depuis, ce groupe qui était constitué de 62 fonctionnaires sous la présidence de M. Hollande comprend désormais 78 fonctionnaires pour faire face à la multiplication des déplacements du Président.

Nous assurons aussi des appuis techniques. La demande m'est faite par mail, je mets immédiatement à disposition des fonctionnaires et donne des instructions. En tant que chef du SDLP, j'ai 120 personnes à protéger quotidiennement, sur l'ensemble du périmètre gouvernemental ainsi que des personnes menacées - notamment des journalistes, et particulièrement ceux de Charlie Hebdo. Cela demande une attention de tous les instants
- d'où les groupes dédiés.

Au moindre incident, je suis automatiquement informé. Toutes les semaines, au-delà des relations quotidiennes que j'ai avec le chef du GSPR, celui-ci ou son adjoint sont conviés à la réunion de direction du service.

M. Philippe Bas, président. - En cas de conflit avec l'autorité utilisatrice de votre service et votre représentant, M. Lavergne, vous n'êtes jamais amené à modifier les plans du chef de cabinet au nom de la sécurité ?

M. Frédéric Auréal. - Non, les relations sont harmonieuses, au service de notre Président, dans un cadre professionnel plutôt serein. L'objectif est la réussite de ses déplacements dans un contexte de menace terroriste avéré.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - À votre connaissance, quel était le rôle de M. Benalla dans l'organisation de la sécurité du Président de la République ? Avait-il un homologue à l'époque du précédent quinquennat ?

M. Frédéric Auréal. - M. Benalla n'est pas un fonctionnaire de police et n'est pas sous mon autorité. Mon correspondant, c'est le chef du GSPR, pour lequel j'ai la plus haute estime. J'ai vu M. Benalla lors de réunions et ai eu avec lui des relations correctes, cordiales et respectueuses.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je me suis sans doute mal exprimée ; je ne vous demandais pas quelles étaient vos relations avec M. Benalla mais quelles étaient ses missions, à votre connaissance ?

M. Frédéric Auréal. - Il était chargé de mission, adjoint au chef de cabinet. Il était donc souvent présent sur les dispositifs où était le chef de cabinet. Nous avions un rôle de coordination, en retrait. Ainsi, pour le transfert du couple Veil au Panthéon, je devais assurer que les membres du Gouvernement et autres personnalités accèdent dans les meilleures conditions de sécurité possible, en plein accord avec nos collègues de la préfecture de police, et que nous sécurisions leurs véhicules et la reprise de ces personnalités à la fin de la cérémonie. Mais en aucun cas, M. Benalla n'intervenait. Il était aux côtés du Président de la République ou du chef de cabinet. Nous, nous étions dans notre mission, prêts à intervenir en temps réel. Nous avions surtout des relations avec le GSPR.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Y avait-il un tel homme auparavant à l'Élysée ?

M. Frédéric Auréal. - Une personne avait le même rôle dans le cabinet de François Hollande, chargé de la coordination et de la facilitation des relations. Mais nos correspondants étaient toujours les chefs de cabinet.

M. Alain Richard. - Je continue de chercher des faits objectifs, et je n'ai pas entendu de description de situations localisées et datées durant lesquelles M. Benalla se trouvait là où il ne devait pas être. M. Benalla s'est-il trouvé dans des réunions de planification où il n'aurait pas dû être ?

M. Frédéric Auréal. - Vous me demandez des faits, je vous donnerai des exemples précis, à partir du 30 avril, où vous verrez que M. Benalla n'est pas présent. Lors de la mission de reconnaissance pour le 8 mai, M. Benalla n'était pas là. De même pour la mission de reconnaissance pour l'accueil du Premier ministre israélien le 28 mai, celle de la visite du Grand Palais le 4 juin, le 22 juin lors de la réunion de cadrage pour l'hommage à Simone Veil, le 25 juin lors de la mission de reconnaissance pour cette cérémonie, le 25 juin pour la préparation du congrès de Versailles, dirigées par le chef de cabinet : il n'était pas là. Je l'ai vu lors de la préparation du 14 juillet et la dernière fois, à l'occasion de la préparation du retour de l'équipe de France de football, où chacun avait son rôle qui lui était assigné. Nous étions dans une logique opérationnelle d'accueil des personnalités et du public.

M. Éric Kerrouche. - Il y a tout de même deux situations où M. Benalla n'aurait pas dû être présent : le 1er mai, si l'on en croit les vidéos diffusées, et lors de la réunion le même soir.

M. Frédéric Auréal. - Je n'ai pas compétence pour apprécier la présence de M. Benalla le 1er mai.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les dates que vous citez se situent toutes après le 1er mai.

M. Frédéric Auréal. - Sur la période antérieure, je n'ai pas d'éléments supplémentaires, mais le Président s'est beaucoup déplacé à l'étranger.

M. François Grosdidier. - À vous entendre, il semble que le rôle de M. Benalla se soit strictement limité à l'organisation des déplacements : on nous a dit qu'il participait à l'organisation des déplacements publics et qu'il organisait lui-même les déplacements privés. Il apparaît aussi comme quelqu'un qui se préoccupe des questions de sécurité, puisqu'il a été intégré à la réserve opérationnelle spécialisée de la gendarmerie en raison de son expertise sur la protection des hautes personnalités. Puis, il a tous les attributs d'un policier, et notamment le port d'arme, ce qui est un peu curieux. De plus, il se présente comme chef adjoint de cabinet alors qu'il ne l'est pas. Or, cela lui permettait sans doute de se substituer au chef de cabinet pour les sujets sur lesquels il est plus spécialisé que celui-ci. On a donc du mal à croire qu'il ne s'intéressait pas aux questions de sécurité.

On nous dit qu'il n'était jamais armé lors des déplacements publics. Quid des déplacements privés ? Le GSPR veille-t-il sur le Président de la République 24 heures sur 24 et 365 jours sur 365, ou celui-ci a-t-il parfois été laissé à la surveillance de M. Benalla ? On a annoncé une réforme du GSPR et sa fusion avec le commandement militaire. Dans cette hypothèse, la sécurité du Président échapperait-elle au service de protection ? Deviendrait-elle totalement autonome ?

M. Philippe Bas, président. - On nous a expliqué la différence entre chef adjoint de cabinet et adjoint au chef de cabinet. Si j'ai bien compris, M. Benalla n'a jamais été chef adjoint du cabinet. Il a été l'un des deux adjoints au chef de cabinet, ce qui est moins important...

M. Frédéric Auréal. - Sur la réflexion qui est en cours à l'Élysée, je vous répondrai tout simplement ce qu'a répondu le ministre : il faut que le lien avec le ministère de l'intérieur subsiste. Je n'ai pas d'autres commentaires.

Le ministère dont je dépends a émis un avis négatif sur la demande de port d'arme de M. Benalla. J'étais extrêmement défavorable au fait qu'une personne privée n'appartenant pas à la police puisse être armée en présence d'un dispositif de protection constitué de professionnels aguerris. Je l'avais fait savoir et j'ai été soutenu par mon ministre.

Je pense que le GSPR veille sur le Président en permanence, mais son chef vous le dira mieux que moi.

M. Pierre-Yves Collombat. - Le secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale nous a indiqué que M. Benalla était régulièrement présent dans les dispositifs opérationnels, dont il pilotait certains aspects, sans qu'on sache qui l'a mandaté pour cela. Il explique que, face à quelqu'un qui représente - même si c'est de façon indue - une autorité qui est supérieure à la leur, les policiers sont un peu désarmés. Confirmez-vous ces informations ?

M. Frédéric Auréal. - Je n'ai pas de commentaire à faire sur les déclarations d'un responsable syndical de haut rang. Pour ma part, je n'aurais jamais accepté que M. Benalla donne des instructions à mes effectifs, et je crois que le chef du GSPR vous dira la même chose, tout comme le général Bio-Farina. J'ajoute que je n'ai jamais vu M. Benalla tenter ce type d'opération.

Mme Esther Benbassa. - Mais nous l'avons vu sur les images ! Alors que faisait-il ? Il jouait au cow-boy ?

M. Philippe Bas, président. - M. Benalla a-t-il exercé de fait la fonction de garde du corps du Président de la République, en particulier pour ses déplacements privés ? Le GSPR n'aurait pas manqué de le savoir.

M. Frédéric Auréal. - C'est pourquoi je vous renvoie à son chef. Quant au lien de confiance entre le Président de la République et M. Benalla, je n'ai pas à le commenter.

M. Philippe Bas, président. - Merci.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits

M. Philippe Bas, président. - J'ai souhaité que nous entendions le Défenseur des droits en raison notamment des travaux qu'il a effectués sur la déontologie dans les missions de sécurité.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. - J'ai été honoré que vous m'ayez placé parmi les personnalités entendues par votre mission d'information en forme de commission d'enquête au sein de votre commission des lois, et je défère d'autant plus volontiers à votre invitation qu'elle ne souffre aucune possibilité d'être contredite !

Ce que je vais vous dire est d'une nature différente de ce que vous avez entendu jusqu'à présent, dans la mesure où les personnes qui ont été entendues par votre commission sont des acteurs directs ou indirect des faits sur lesquels vous enquêtez. Pour ma part, ce que je peux vous apporter, c'est un éclairage sur une notion apparue il n'y a pas si longtemps dans notre pays, à la fin des années 1990 : la déontologie de la sécurité. C'est le Défenseur des droits qui, depuis la réforme constitutionnelle de 2008 et la loi organique de 2011, en est chargé. Il est vrai que vous êtes déjà bien informés par votre mission récente sur l'état des forces de sécurité intérieure, dont le rapporteur était M. Grosdidier.

L'article 4 de la loi organique du 29 mars 2011 confie au Défenseur des droits, parmi les cinq missions qui sont les siennes, celle de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant une activité de sécurité sur le territoire de la République. Son contrôle s'applique aux policiers nationaux, aux militaires de la gendarmerie, aux policiers municipaux, aux agents de l'administration pénitentiaire, aux douaniers, aux agents de surveillance des transports - auxquels les lois récentes ont attribué des prérogatives qui les rapprochent beaucoup des forces de police et de gendarmerie - aux agents de sécurité privée, de surveillance et de gardiennage et aux enquêteurs privés.

Dans le cadre de cette mission sur le respect de la déontologie par les services de sécurité, le Défenseur des droits traite des réclamations individuelles, mène des réflexions sur des sujets d'intérêt général - la doctrine du maintien de l'ordre, le juste usage des armes de force intermédiaire -, il met en place des actions de sensibilisation, notamment par les formations que nous dispensons dans les écoles de police, de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, il rend des avis au Parlement sur les projets de loi - sur la loi Savary, par exemple, et nous avons beaucoup travaillé avec votre commission pendant toute la période de l'état d'urgence sur les lois destinées à lutter contre le terrorisme ou sur la loi qui a modifié les termes de la légitime défense pour les policiers - et il réalise des missions d'observation - par exemple lors du démantèlement de camps de migrants à Calais ou à Paris, ou dans d'autres circonstances où une observation indépendante est utile.

En 2017, nous avons reçu 1 228 saisines dans le domaine de la déontologie de la sécurité. Dans le cadre des enquêtes qu'il fait sur les réclamations individuelles, le Défenseur des droits peut demander la communication de pièces administratives ou judiciaires. Le secret de l'enquête ou de l'instruction ne peut lui être opposé. Les pièces couvertes par le secret médical ou par le secret professionnel entre l'avocat et son client lui sont également accessibles si la personne concernée lui en donne l'autorisation. Il peut effectuer des vérifications sur place, procéder à l'audition des réclamants, des témoins et des mis en cause, qui peuvent se faire assister par la personne de leur choix. Dès lors qu'une enquête judiciaire est en cours ou qu'une juridiction est saisie sur les mêmes faits, comme c'est le cas dans la présente affaire, le Défenseur des droits à l'obligation de solliciter l'accord de l'autorité judiciaire avant de mettre en oeuvre ses pouvoirs d'investigation.

Tous les éléments réunis au cours des investigations - témoignages, rapports administratifs, éléments d'enquête judiciaire, certificats médicaux ou vidéos - sont présentés et débattus contradictoirement au cours des auditions, puis par écrit dans une note récapitulative, adressée au mis en cause, et à laquelle celui-ci doit répondre avant que nous ne prenions une décision.

L'enquête aboutit à une décision écrite qui peut, en cas de manquement avéré, être assortie de recommandations visant à en prévenir le renouvellement et portant sur la nécessité d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre de l'agent mis en cause, de modifier des textes législatifs ou réglementaires ou de changer des pratiques.

Moins de 10 % des cas qui me sont présentés entraînent de ma part une déclaration de manquement : nous sommes une sorte de surveillant général pour la police. Parmi les dix demandes de poursuites disciplinaires que j'ai formulées en 2017, trois ont mis en cause des comportements violents en cours d'opérations de maintien de l'ordre. L'une portait sur l'utilisation d'un lanceur de balles de défense 40-46 de manière dissuasive et les deux autres, sur des violences commises à l'encontre de manifestants à Paris.

C'est fort de son expérience, de ces constats et de sa connaissance des règles qui régissent le comportement professionnel des membres des forces de sécurité que le Défenseur des droits s'efforcera de contribuer à la mission de contrôle qu'exerce en ce moment la représentation nationale. En l'occurrence, je suis en mesure de vous apporter un éclairage sur le rôle des policiers nationaux concernant la présence d'observateurs extérieurs au sein d'une manifestation, leur encadrement, les limites de leurs prérogatives, les signes distinctif dont ils peuvent être porteurs. Je puis également vous faire part de réflexions générales, dès lors que je ne suis pas saisi, sur la réaction des policiers lorsque les observateurs prennent une part active à une opération de maintien de l'ordre et sur les suites à donner à un usage de la force susceptible d'être qualifié, selon la déontologie de la sécurité, de disproportionné.

Quid de l'éventuelle compétence du Défenseur des droits sur M. Benalla, dès lors qu'il est habilité à exercer des activités de sécurité privée par le conseil national des activités privées de sécurité ? Il conviendrait de connaître son rôle et ses missions exactes pour déterminer s'il exerce à titre principal une activité de sécurité.

La présente affaire pose la question du cadre juridique prévoyant la présence d'observateurs accompagnant les forces de l'ordre. À notre connaissance, ce cadre n'est pas formalisé par des notes ou des instructions. Cependant, même si elle n'est pas formalisée, la présence d'observateurs accompagnant les forces de l'ordre reste possible, et c'est ainsi qu'à ma demande, en lien avec le ministre de l'intérieur et le préfet de police de Paris, plusieurs de mes agents ont été observateurs au cours d'opérations de maintien de l'ordre.

Cela a été le cas à l'invitation du ministre de l'intérieur, M. Cazeneuve, à Calais, à l'occasion du démantèlement du camp de la Lande, en octobre 2016 ; mais aussi, après avoir informé le préfet de police, à l'occasion du démantèlement du camp de migrants de Stalingrad, à Paris, en novembre 2016 ; également, sur invitation du préfet de police lors du défilé du 14 juillet 2017 ; très récemment, enfin, après avoir informé le préfet de police à l'occasion de l'évacuation du campement de migrants de la Villette, le 30 mai 2018. Chacune de ces missions d'observation a été préparée en toute transparence, avec la collaboration des autorités de police, par le biais de contacts téléphoniques, puis formalisée par des échanges de mails et de courriers.

Sur chacune de ces opérations, les agents du Défenseur des droits avaient pour unique mission d'observer le travail des forces de l'ordre et la prise en charge des migrants, et avaient pour instructions de ne pas intervenir dans les opérations en cours. Ils disposaient d'un numéro de téléphone leur permettant de se mettre rapidement en contact avec un policier référent joignable en cas de difficultés. Ils étaient présents à la fois sur le terrain avec les policiers et les gendarmes, et au centre d'information et de commandement pour avoir une vision plus globale du déroulement des opérations.

Ils ont également eu pour consigne de présenter systématiquement leur statut et le but de leur présence lorsqu'ils entraient en contact avec une personne, quelle que soit sa qualité, et étaient aisément identifiables par le port d'un brassard bleu, sur lequel étaient inscrits : « Défenseur des droits » et « République Française ».

À l'issue de ces opérations d'observation, qui se sont toujours déroulées dans de bonnes conditions, y compris dans les circonstances les plus difficiles, notamment lors du démantèlement du camp de la Lande, en octobre 2017, les agents du Défenseur des droits ont systématiquement rédigé des rapports mentionnant leurs constats.

Dans la présente affaire, il est difficile de déterminer avec certitude la procédure qui a été suivie pour solliciter et obtenir une habilitation pour être observateur. Ce que nous faisons dans le cadre de nos missions ne répond en effet à aucune règle préétablie. Une autre difficulté consiste à identifier la personne qui a eu autorité pour délivrer l'habilitation. Il faudrait aussi préciser le but de la présence des observateurs, en général, et en l'espèce, au regard de leurs fonctions à l'Élysée ; les instructions transmises aux observateurs sur leurs prérogatives et leur marge de liberté ; les signes devant être portés par les observateurs susceptibles de les identifier sans les confondre avec des membres des forces de l'ordre qu'ils ne sont pas ; les mesures de sécurité qui ont été prises pour éviter qu'un observateur soit mis en danger, car le port d'un casque de policier par un seul des observateurs, alors que ni le deuxième observateur ni le référent n'en portaient, interroge. Enfin, il faudrait affiner le rôle du policier référent qui dans la présente affaire accompagnait les deux observateurs ; définir s'il y a eu obligation pour les observateurs et leur référent de rédiger des rapports à l'issue de l'observation ; et vérifier que des réunions de préparation et de compte rendu ont été organisées pour que l'observation se passe dans les meilleures conditions, et donne lieu à un retour d'expérience sur les éventuelles difficultés rencontrées.

Aucune règle n'existe sur ces points, seulement des habitudes et des façons de faire au caractère incertain. Je recommande par conséquent, de formaliser un cadre juridique sur la présence d'observateurs accompagnant les forces de l'ordre concernant notamment la situation des référents, ce qui devrait permettre, à l'avenir, de résoudre certaines des difficultés soulevées par la présente affaire.

Sur les faits qui se sont produits le 1er mai 2018, mes services mèneraient une instruction contradictoire en demandant communication des différents rapports qui ont été rédigés, des enregistrements vidéo conservés et en procédant aux auditions des protagonistes. Dès lors que je ne suis pas saisi, mes observations sont formulées sous forme d'interrogations, et non de constats sur le déroulement des faits. Autrement dit, qu'aurait fait le Défenseur des droits s'il avait été saisi, en mettant en oeuvre les méthodes d'instruction qu'il utilise afin d'accomplir sa mission de contrôle de la déontologie de la sécurité ?

Sur l'une des vidéos, il semble que l'on aperçoit les deux personnes interpellées jeter chacune un projectile sur les forces de l'ordre. Si ces faits étaient confirmés, les conditions pour procéder à leur interpellation paraîtraient réunies. Reste à déterminer qui a donné l'ordre de procéder aux deux interpellations visibles sur les vidéos. Pour quelles raisons les observateurs, dont on sait désormais qu'ils ne sont pas membres des forces de l'ordre, ont-ils pris une part active dans l'interpellation de deux personnes, notamment en faisant usage de la force à leur encontre ? Pour quelles raisons cet ordre n'a-t-il pas été exécuté exclusivement par des policiers ?

Les images vidéo pourraient laisser penser que l'usage de la force par les deux observateurs au cours de leur intervention n'est pas proportionné au comportement des deux personnes interpellées au moment où ces gestes sont pratiqués. Ces gestes ne semblent pas correspondre aux gestes techniques enseignés aux policiers.

De façon générale, le Défenseur des droits apprécie la proportionnalité de l'usage de la force au regard du but poursuivi lors de l'intervention, du contexte d'intervention, du comportement de la personne appréhendée et des lésions médicalement constatées après l'intervention. Des éléments touchant à la personne du réclamant, tels que l'âge ou l'état de santé, entrent également en ligne de compte de même que les gestes techniques ou l'arme utilisés.

Ainsi, parmi les nombreuses affaires traitées en la matière depuis sa création, le Défenseur des droits a constaté un usage disproportionné de la force et recommandé des sanctions disciplinaires dans sept affaires s'étant déroulées dans un contexte de maintien de l'ordre. Trois de ces affaires concernaient un usage disproportionné de lanceurs de balles de défense sur des manifestants alors que les circonstances ne le justifiaient pas ; une autre concernait l'utilisation de gaz lacrymogène sur des manifestants pacifiques ; deux affaires concernaient des coups portés à des manifestants maîtrisés ; et une affaire plus récente, portée devant le Collège consultatif de la déontologie de la sécurité, concernait un manifestant piétiné à l'occasion d'un bond offensif des forces de l'ordre.

La légitimité et l'intensité de l'usage de la force par le personnel en charge de la sécurité pose problème. Faut-il accepter une forte intensité ? Ou bien, au contraire, la diffusion des images sensibilise-t-elle à un usage de la force trop violent ? La réaction des policiers pendant que les observateurs font usage de la force interroge. Que voient-ils ? Que font-ils ? Quelles instructions reçoivent-ils ? Que savent-ils du statut des deux observateurs ? Il semble que les policiers s'éloignent de l'action et qu'aucun agent de la force publique ne s'interpose lorsque M. Benalla maîtrise violemment le jeune homme. Est-ce que les images vidéo donnent une vision exacte de la situation ? Les policiers pensent-ils avoir affaire à un collègue ? Connaissaient-ils le statut des deux observateurs ? Les policiers pensent-ils que l'usage de la force à l'encontre du jeune homme est proportionné ?

Sur les différentes vidéos qui circulent dans les médias, il semble que le policier référent chargé de prendre en charge les deux observateurs est régulièrement en retrait de l'action et n'intervient pas pour expliquer aux observateurs le cadre et les limites de leur présence, ni auprès des autres policiers présents.

Mon quatrième point porte sur les suites données à ces événements. Les policiers présents ont-ils rédigé des rapports à l'issue de leur mission, comme c'est la norme dans les réclamations traitées par le Défenseur des droits, notamment sur les violences dont ils ont été témoins et qui ont fait l'objet de l'ouverture d'une information judiciaire après la diffusion des vidéos sur les réseaux sociaux, c'est-à-dire après le 18 juillet ?

La hiérarchie des policiers, informée très rapidement après les faits grâce aux vidéos circulant sur les réseaux sociaux, a-t-elle demandé des rapports circonstanciés aux policiers qui sont intervenus ?

Pour quelles raisons ces faits, vraisemblablement décrits dans des rapports, semblent ne pas avoir eu immédiatement de suites, ni judiciaires en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale, ni administratives avec une saisine de l'IGPN ?

L'absence de saisine de l'IGPN dès le 1er mai s'explique-t-elle par le fait que les observateurs ne sont pas policiers ou parce que les réactions des policiers visibles sur les vidéos ne sont pas susceptibles de révéler des manquements ? Au regard des incertitudes qui semblaient exister sur le statut des protagonistes et sur les responsabilités prises par les membres de la hiérarchie policière, on pourrait s'interroger sur l'éventualité d'une enquête immédiate de l'IGPN.

Il semble que le Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, ait délivré une habilitation à M. Benalla, le 9 juillet 2018, pour être dirigeant d'une entreprise de sécurité privée. Cette habilitation aurait-elle été remise en cause si les faits du 1er mai avaient donné lieu à une enquête judiciaire ou administrative ?

Permettez-moi pour conclure de souhaiter que la présente situation ne nuise pas à la pratique des observateurs, car l'observation extérieure et indépendante est une garantie de transparence indispensable au bon fonctionnement des services publics, singulièrement de ceux qui sont chargés des missions particulièrement difficiles de la sécurité et du maintien de l'ordre.

À cet égard, permettez-moi de rappeler quelles sont les préoccupations du Défenseur des droits s'agissant de la doctrine du maintien de l'ordre, ainsi que ses propositions. Au début de l'année 2017, nous avions reçu une demande d'étude du président de l'Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, que nous avons remise en janvier 2018 à son successeur, M. François de Rugy. Cette étude, conduite sous ma responsabilité par Claudine Angeli-Troccaz, dresse un bilan des outils et des méthodes du maintien de l'ordre au regard des règles de déontologie. Je me suis appuyé sur une quarantaine de professionnels compétents en la matière, sur des éléments comparatifs internationaux et, enfin, sur des recommandations formulées à l'issue du traitement de réclamations individuelles.

Il serait souhaitable que les recommandations issues du rapport soient prises en compte dans le cadre des travaux que mène aujourd'hui la police nationale en vue de faire évoluer la doctrine du maintien de l'ordre. Elles me semblent pouvoir vous éclairer dans le cadre de vos travaux.

Ces recommandations sont au nombre de trois.

Premièrement, la gestion du maintien de l'ordre doit reposer sur l'emploi de forces professionnalisées et formées, comme les compagnies républicaines de sécurité et la gendarmerie mobile, alors que la pratique du maintien de l'ordre est aujourd'hui assez disparate. Elle diffère entre l'Île-de-France et les régions, entre les unités constituées et spécialisées en maintien de l'ordre et celles qui ne le sont pas. Ce constat appelle un renforcement de la formation et du contrôle des forces chargées de l'ordre public.

Deuxièmement, dans le cadre du maintien de l'ordre, les personnels recourent à de multiples armes de force intermédiaires, dont certaines, bien qu'elles soient qualifiées de « non létales », sont susceptibles de provoquer des dégâts considérables, voire d'entraîner des décès. Nous sommes saisis de plusieurs cas de blessures graves ou de décès à la suite de l'utilisation de ces armes lors de manifestations. Sont en particulier concernés les deux lanceurs de balles de défense « LBD 40x46 » et le Flash-Ball superpro, qui sont souvent utilisés sans respecter toutes les règles d'emploi. Si le Flash-Ball superpro ne fait pas partie de la dotation des gendarmes mobiles et s'il a été retiré de la dotation des policiers nationaux, preuve que les objurgations du Défenseur des droits ont eu quelque efficacité, il fait encore partie de la dotation d'autres unités de gendarmerie susceptibles d'intervenir en maintien de l'ordre, en renfort des gendarmes mobiles. J'ai donc recommandé que tous les lanceurs de balles de défense soient retirés de la dotation des forces de sécurité qui interviennent en maintien de l'ordre.

Troisièmement, j'ai constaté une certaine judiciarisation du maintien de l'ordre, ce qui me paraît soulever des difficultés au regard de l'équilibre entre les enjeux de sécurité, qui sont clairs, et la protection des libertés publiques. J'ai donc recommandé de recentrer le maintien de l'ordre sur la mission de police administrative de prévention et d'encadrement de l'exercice de la liberté de manifester, dans une approche d'apaisement, de désescalade, et de protection des libertés individuelles. J'ai proposé de renforcer la communication et le dialogue dans la gestion de l'ordre public, avant et pendant le déroulement des manifestations, afin notamment de rendre plus compréhensible l'action des forces de sécurité et de favoriser la concertation. Enfin, j'ai proposé de limiter le recours à certaines techniques attentatoires aux libertés, telles que l'encagement, les contrôles délocalisés, ce qui soulève à nouveau la question plus générale des contrôles d'identité, et d'autres pratiques mises en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence (les zones de protection, les filtrages, etc.).

S'interroger sur l'ensemble des questions que peut poser le maintien de l'ordre aujourd'hui pourrait permettre à la Haute Assemblée, souvent avide de réflexions en profondeur, de mieux appréhender le contexte d'une affaire ponctuelle - une information judiciaire est en cours -, mais aussi un enjeu très fort pour la démocratie : comment assurer la liberté de manifester, c'est-à-dire le respect des libertés publiques, tout en garantissant la sécurité des manifestants, de ceux qui ne manifestent pas, et des forces de sécurité, conformément, notamment pour ces dernières, aux principes et aux règles de la déontologie de la sécurité ?

- Présidence de M. François Pillet, vice-président -

M. François Pillet, président. - Merci, monsieur le Défenseur des droits, de ce propos liminaire. Certaines de vos questions et de vos réserves rejoignent incontestablement les nôtres. Vous avez axé une partie de vos propos sur la présence d'observateurs, dont l'utilité est reconnue, la question étant de savoir comment elle peut être mieux encadrée et circonscrite. La commission jugera s'il y a lieu sur ce point d'effectuer ou non une recommandation, avec le degré de force qui lui apparaîtra nécessaire.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous le savez, monsieur le Défenseur des droits, une vidéo tournée lors des manifestations du 1er mai a été diffusée sur les réseaux sociaux dès le 2 mai. On y voit une personne intervenant de manière un peu rugueuse, sans maîtriser les gestes techniques de l'interpellation, au milieu des forces de police. Cette personne a été identifiée comme étant un observateur, M. Benalla, ayant probablement échappé à son référent policier, chargé de le protéger et de vérifier qu'il ne se comportait pas de manière inappropriée. Ces informations ont été portées à la connaissance du ministère de l'intérieur dès le 2 mai, mais celui-ci n'a pas saisi l'IGPN pour connaître notamment les circonstances de ces actes.

Le 18 juillet, une nouvelle vidéo est médiatisée. On y voit la même personne, dans des circonstances un peu différentes, de sorte qu'apparaissent à l'écran de nouveaux éléments : on constate que cet observateur portait un brassard de police et qu'il conversait avec une radio de police. Le ministère de l'intérieur a alors saisi l'IGPN, au motif, comme l'a déclaré M. le ministre de l'intérieur au cours de son audition, que le port du brassard et la détention de la radio étaient des éléments suffisants pour justifier cette saisine.

Estimez-vous, au regard de ces éléments, que l'IGPN aurait dû être saisie dès le visionnage de la première vidéo de l'interpellation le 2 mai ?

M. François Pillet, président. - Je souhaite ajouter une précision. Le délai entre les évènements et leur révélation par la presse a fait que la plupart des vidéos les concernant ont disparu, puisque les vidéos de vidéosurveillance sont conservées pendant trente jours.

M. Jacques Toubon. - Concernant la saisine de l'IGPN, je distinguerai une saisine pour une enquête purement administrative, portant alors sur des policiers, et non sur les deux observateurs, une enquête au champ étroit donc, et une ouverture d'enquête judiciaire, dont l'IGPN a le pouvoir, ouverture justifiée par la violence des faits, éventuellement constitutifs d'une infraction pénale. La directrice de l'IGPN a justement expliqué, ce matin lors de son audition, qu'il n'y avait pas eu de telle saisine car la force employée avait été considérée comme proportionnée. À partir de cette réflexion, j'ai posé tout à l'heure la question de la légitimité et de l'intensité de l'usage de la force par les forces de sécurité. De mon point de vue, la question pouvait vraiment se poser d'ouvrir, en tous cas, une enquête judiciaire au moment des faits, mais je me garderai bien de donner mon opinion parce que je n'ai aucun titre à le faire.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Ma question de la saisine de l'IGPN concernait les personnes qui connaissaient le statut d'observateur de M. Benalla et qui savaient que l'on était totalement hors du cas d'une interpellation normale.

M. Jacques Toubon. - Là, je serais bien impuissant à sonder les coeurs de ces personnes...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Votre discours liminaire est précieux, il m'a fait penser à la possibilité de réfléchir à une proposition de loi permettant d'encadrer le statut d'observateur, qui reste assez flou. Il est par ailleurs étonnant de constater que le ministre de l'intérieur et le préfet de police de Paris ont été informés des évènements par l'Élysée, et non par la police nationale. Or, compte tenu de la gravité des faits, il aurait été normal que le responsable de la sécurité publique sur place rende compte de l'évènement au Préfet de police et au ministre de l'intérieur.

Concernant l'article 40 du code de procédure pénale, la question de son application a été posée au ministre de l'intérieur et au préfet de police de Paris. Ils ont répondu que, l'Élysée ayant été saisi, c'était à l'Élysée de saisir la justice. Quelle est votre opinion sur le fait que tout le monde se dérobe quant à l'application de l'article 40 ?

Par ailleurs, lorsque quelqu'un dysfonctionne aussi gravement, il est indispensable qu'il y ait une sanction. Il y a eu une mise à pied de quinze jours, et une retenue sur salaire. Mais ensuite, M. Benalla est revenu, plus ou moins dans les mêmes fonctions. Si j'avais été son patron, je l'aurais exfiltré totalement, par exemple dans un service administratif. Je ne l'aurais pas replacé en première ligne sur des opérations de sécurité et de protection. La question de la traduction concrète du dessaisissement des questions de sécurité a été posée au directeur de cabinet du Président de la République. Ce dernier a répondu que M. Benalla a continué à s'occuper des déplacements privés du Président. Mais il s'est aussi occupé de l'accueil des footballeurs à Roissy, des cérémonies du 14 juillet et de l'entrée au Panthéon de Simone Veil. Il y a eu maldonne dans le sens où M. Benalla a eu des fonctions analogues avant et après les évènements du 1er mai : cela vous paraît-il normal ?

M. Jacques Toubon. - Sur la deuxième question, je ne peux que proposer des solutions respectueuses du droit et des droits, y compris de la personne concernée. Je récuse la pratique des sanctions dissimulées. Dans des réclamations que nous recevons en matière de discrimination, nous voyons des personnes à qui sont confiés des dossiers inférieurs. Cela ne constitue pas une sanction mais s'apparente à une discrimination. Je ne peux pas juger du cas de la personne en cause en l'espèce, mais la règle de droit, y compris le droit du travail, doit s'appliquer. Concernant l'article 40 du code de procédure pénale et son application, ma réponse est liée à l'indépendance et l'impartialité du statut constitutionnel du Défenseur des droits. Si j'avais été saisi des faits en cause, je les aurais signalés au procureur de la République, comme je l'ai fait à l'occasion de la manifestation contre la loi « travail » par ma décision n° 2017-320 du 1er décembre 2017. Mais aujourd'hui je ne suis pas devant vous comme simple citoyen mais comme Défenseur des droits. Je n'ai donc pas à exprimer d'opinion.

Mme Esther Benbassa. - J'aimerais apporter une rectification. En effet, M. Alexandre Benalla n'a pas eu comme sanction une retenue sur son traitement mais une retenue sur des congés payés non pris. M. le Défenseur des droits, avez-vous déjà eu connaissance d'incidents impliquant des observateurs dans des manifestations ? Ce 1er mai 2018, place de la Contrescarpe, l'intervention des CRS était-elle justifiée ? L'inspection générale de la police nationale, par sa directrice Mme Moneger-Guyomarc'h, a évoqué devant nous des gestes techniques mal maîtrisés qui n'ont pas entraîné de préjudice. M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, a déclaré qu'il n'y avait pas eu d'acharnement de M. Benalla sur les personnes frappées. Enfin, vous avez évoqué un agrément délivré à M. Alexandre Benalla pour créer une entreprise de sécurité privée. C'est un élément nouveau.

M. Jacques Toubon. - Une habilitation a été délivrée en 2014, valable jusqu'en 2019 comme agent de sécurité privée. La question est de savoir si l'activité de M. Benalla était celle d'un agent de sécurité privée, auquel cas je serais compétent.

Je n'ai pas eu à connaître de cas mettant en cause des observateurs. En revanche, des observateurs peuvent être victimes d'agissements et venir porter réclamation auprès de moi, comme par exemple des journalistes pris à partie. Je ne peux pas vous dire comment se déroulait la manifestation du 1er mai 2018 à l'endroit précis évoqué. Mais l'usage de la force et son degré sont de vraies questions. Peut-être seront-elles élucidées par l'information judiciaire.

Mme Laurence Harribey. - Vous avez parlé d'un élément distinctif des observateurs lors de manifestations. En existe-t-il d'autres ? D'après nos auditions, les observateurs seraient également équipés d'un casque et d'un gilet pare-balles.

M. Jacques Toubon. - Les journalistes revêtent des éléments distinctifs lors des manifestations, y compris lorsqu'ils ne sont que simples observateurs. Établir une règlementation est indispensable pour sortir de ce flou mais ce sera difficile car l'observation comprend le travail de la presse qui ne peut-être encadré. Un journaliste ne demande pas d'autorisation pour exercer son métier. Des ONG sont présentes dans les manifestations avec pour mission par exemple la prise en charge sanitaire. Leurs membres portent des signes distinctifs. Les exigences minimales du statut d'observateur seraient faciles à déterminer.

M. François Pillet, président. - Nous vous remercions Monsieur le Défenseur des droits, vous connaissez l'attachement du Sénat au respect des droits et libertés fondamentales.

M. Jacques Toubon. - Ma mission, définie à l'article 71-1 de la Constitution, m'amène à aider la représentation nationale dans sa tâche.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 45.

Jeudi 26 juillet 2018

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de M. Alexis Kohler, secrétaire général de la Présidence de la République

M. Philippe Bas, président. - La commission des lois du Sénat a créé en son sein une mission d'information, confiée à deux rapporteurs, Mme Muriel Jourda et M. Jean-Pierre Sueur, afin d'éclaircir l'enchaînement des faits et des décisions prises à la suite du très regrettable incident intervenu le 1er mai sur la place de la Contrescarpe, qui a mis en cause un collaborateur du Président de la République dans le cadre de sa participation à une opération de maintien de l'ordre. Par un vote unanime, le Sénat a accordé à la commission des lois, pour mener les travaux de ladite mission d'information et dans le strict cadre de son intitulé, les pouvoirs d'investigation d'une commission d'enquête en matière de convocation, de sanction applicable aux faux témoignages et d'accès aux pièces nécessaires à l'établissement de la vérité. Nos auditions sont publiques et ouvertes à la presse. Nous nous attachons à établir la vérité des faits, à lever les contradictions constatées dans les propos des différents responsables et à apporter des précisions lorsque les réponses obtenues apparaissent trop vagues. Notre commission n'est pas un tribunal : une audition diffère d'une comparution et nous ne prononçons évidemment aucune sanction. Il s'agit seulement, je le répète, d'établir la vérité, de circonscrire les zones d'ombre, qui demeurent et de préconiser des voies d'amélioration du fonctionnement de l'État, dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs, de l'État de droit et de la tradition républicaine. Notez que, d'un point de vue constitutionnel, la séparation des pouvoirs s'applique également aux relations entre le Président de la République et le Gouvernement, qui seul dispose de l'autorité sur l'administration. Toute interférence d'un collaborateur du Président de la République dans le fonctionnement de l'administration ressort d'un grave désordre. Notre enquête concerne, en outre, la question particulière de l'organisation de la sécurité du Président de la République, qui ne relève pas uniquement des affaires internes de l'Élysée. Son bon fonctionnement représente, en effet, une garantie nécessaire de la stabilité des institutions et de la sécurité de l'État. Elle doit, en conséquence, être exclusivement confiée à des fonctionnaires de police et de gendarmerie formés à cette tâche et coordonnés par un service de l'État. Une réforme de l'organisation de la sécurité du Président de la République est en cours, sous l'autorité de son directeur de cabinet. Son pilotage, compte tenu des circonstances récentes, va-t-il vous être confié ?

S'agissant d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alexis Kohler prête serment.

M. Alexis Kohler, secrétaire général de la présidence de la République. - Mon propos liminaire sera fort bref. Je partage sans réserve les propos tenus devant la commission par M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, et approuve les réponses qu'il a apportées à vos questions. M. Strzoda est un préfet d'une grande expérience doté d'un sens de l'État reconnu ; je lui accorde ma totale confiance et j'estime être chanceux de le compter parmi mes collaborateurs quotidiens. Le Président de la République a effectivement autorisé plusieurs collaborateurs à venir s'exprimer devant les commissions d'enquête parlementaires, afin d'établir la vérité, mais dans le strict respect de la séparation des pouvoirs, qui interdit que soient évoqués des faits sur lesquels des poursuites judiciaires sont en cours, ainsi que toute question relative à l'organisation interne de la présidence de la République.

Je me trouvais, le 1er mai, dans mon bureau, régulièrement informé par le directeur de cabinet du déroulement de la manifestation fort agitée. Je tiens, à cet égard, à saluer l'engagement sans faille et le professionnalisme des forces de l'ordre. Les événements de la place de la Contrescarpe ne furent, alors, nullement mentionnés. Le lendemain dans la matinée, le 2 mai donc, le conseiller en charge des réseaux sociaux, ainsi que M. Strzoda, m'ont informé de la circulation en ligne d'une vidéo sur laquelle figuraient les agissements de M. Benalla sur ladite place. Le directeur de cabinet m'a indiqué qu'il l'avait déjà convoqué et que ce dernier avait, devant lui, reconnu sa présence sur les lieux et sa participation à des interpellations ; je m'assure que la préfecture de police et le cabinet du ministre de l'intérieur ont été contactés pour corroborer la réalité des faits. En fin de journée, M. Strzoda m'a indiqué qu'il avait décidé une sanction disciplinaire, dont j'ai approuvé le principe. Son contenu - une mise à pied temporaire de quinze jours assortie d'une suspension de traitement et d'un changement de mission - a été porté à ma connaissance le 3 mai, date à laquelle elle fut également notifiée à M. Benalla, et elle m'a alors semblé proportionnée à la faute commise.

Après l'audition de M. Strzoda et les propos tenus devant vos collègues députés par les responsables du commandement militaire de l'Élysée et du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), je vous espère rassurés quant à l'absence d'une police parallèle ou d'une milice privée aux côtés du Président de la République : M. Benalla n'était nullement chargé de sa sécurité.

M. Philippe Bas, président. - Vous n'avez pas abordé en introduction, alors qu'il eût été utile de le préciser, votre rôle auprès du Président de la République. Votre fonction de secrétaire général de la présidence de la République, exception faite de votre éphémère notoriété lorsque vous annoncez la composition du Gouvernement sur le perron de l'Élysée, n'est pas connue du public. Pourriez-vous nous en préciser le contenu ?

M. Alexis Kohler. - Je vous remercie, monsieur le président, de me donner l'occasion d'améliorer quelque peu la furtive notoriété que me donne l'annonce de la composition du Gouvernement sur le perron de l'Élysée ! Vous avez occupé précédemment ce poste et savez que le secrétaire général de l'Élysée est le principal collaborateur du Président de la République. Il pilote son activité et celle de ses équipes, en particulier s'agissant des politiques publiques, en lien avec le Premier ministre et le Gouvernement. Il s'appuie, à cet effet, sur l'État-major particulier du Président de la République, sur le pôle diplomatique, sur le pôle régalien et sur les conseillers thématiques du cabinet. En outre, l'Élysée constitue une vaste maison (sur laquelle le rapport de la Cour des comptes récemment rendu public vous livrera diverses informations) d'environ 800 agents, dont les services support, ainsi que les membres du commandement militaire en charge de la sécurité des bâtiments et du GSPR missionné pour la sécurité du Président de la République. La gestion interne de la présidence de la République, notamment les questions budgétaires, de ressources humaines et de sécurité, relève du directeur de cabinet, qui me rend compte, raison pour laquelle mes réponses vous sembleront moins détaillées que celles apportées par M. Strzoda à vos interrogations.

M. Philippe Bas, président. - La sanction prise à l'encontre de M. Benalla le 2 mai était limitée à une mise à pied de quinze jours, assortie de différents éléments, dont une retenue sur salaire encore non effective. Mais il n'a pas été mis fin à ses fonctions et les faits n'ont pas été signalés au procureur de la République. Avez-vous rétrospectivement pris la mesure des risques que cet incident faisait courir au Président de la République et du trouble apporté au fonctionnement de l'État par le comportement de M. Benalla ? Avez-vous désormais conscience de la nécessité de réexaminer les conditions de collaboration entre les collaborateurs du Président de la République et les services dépendant du Gouvernement ?

M. Alexis Kohler. - Il n'y a jamais eu de doute sur le fait que le comportement de M. Benalla constituait une faute : la sanction est immédiatement apparue évidente et fut prise sans délai, comme l'indique le rapide enchaînement de décision que je vous ai exposé. Le contenu de ladite sanction doit, me semble-t-il, être apprécié à la lumière des éléments dont nous disposions alors : les images en circulation sur les réseaux sociaux, les informations transmises par la préfecture de police et le contexte particulier de violence lors de la manifestation du 1er mai. La vidéo montre M. Benalla chapeauté d'un casque siglé, élément qui, dans un premier temps, m'a interpellé. Il m'a cependant été confirmé dès le
2 mai que la préfecture de police dotait habituellement les observateurs, dont l'accueil est régulier, d'équipements de protection lors de ce type d'opération. J'ai d'ailleurs, depuis, constaté sur des photographies la véracité de cette allégation. S'agissant de l'interpellation de manifestants par M. Benalla, je vous rappelle qu'elle n'a entraîné ni coup violent ni blessure, ce que vous a d'ailleurs confirmé la directrice de l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Du reste, les intéressés n'ont pas déposé plainte, ni fait l'objet d'une interruption temporaire de travail (ITT). Les images font également état du contexte de violence, qui régnait alors sur la place de la Contrescarpe : une trentaine d'interpellations y ont été réalisées, sur les 276 auxquelles il a été procédé le 1er mai. Les manifestants interpellés par
M. Benalla avaient d'ailleurs préalablement agressé les forces de l'ordre.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur le secrétaire général, permettez-moi de vous interrompre. Le 2 mai, alors que M. Benalla se voit infliger une sanction, il n'est pas mis fin à ses fonctions, il n'est pas décidé de saisir la justice. Aviez-vous conscience le 2 mai, ou avez-vous pris conscience depuis lors, des risques que faisait courir au Président de la République le maintien d'une collaboration avec un agent qui s'était ainsi comporté ? Avez-vous eu conscience à ce moment-là, ou pris conscience depuis, de la gravité du trouble apporté au fonctionnement de l'État par l'intrusion d'un collaborateur du Président de la République dans une opération de maintien de l'ordre ? Avez-vous pris conscience depuis de l'utilité qu'il y aurait à réexaminer les modalités générales de la collaboration entre les services de la présidence de la République et les administrations placées sous l'autorité du Gouvernement ?

M. Alexis Kohler. - Je ne méconnais absolument pas la gravité des faits ni ce jour-là ni aujourd'hui. Ce qui aurait été particulièrement grave, ce qui aurait porté atteinte à la présidence de la République de façon particulièrement aiguë, c'est l'absence de réaction et de sanction. C'est pour cela que nous avons insisté pour il y ait une sanction et qu'elle soit rapide.

J'ajoute que je ne disposais pas d'éléments me permettant de penser qu'une saisine au titre de l'article 40 du code de procédure pénale serait justifiée. Pour être plus explicite, à ma connaissance, aucune autorité ayant eu à connaître de ces faits n'a même suggéré l'opportunité d'une telle saisine au titre de cet article. Le directeur de cabinet vous a répondu en détail sur ce point et vous a livré l'analyse qu'il a lui-même faite.

Je conçois parfaitement que, aujourd'hui, à la lumière des faits connus depuis lors, la sanction puisse apparaître insuffisante. Certains de ces faits ont conduit au licenciement de M. Benalla - afin de mettre en oeuvre une réponse graduée et proportionnée, il lui a été notifié dans un courrier l'informant de la première sanction que si des faits nouveaux se produisaient, ce qui a été le cas, ils ne seraient pas sans conséquences et qu'il serait licencié. Mais symétriquement, au regard des éléments connus le 2 mai, cette sanction était proportionnée. J'ai d'ailleurs entendu hier Éric Morvan, le directeur général de la police nationale, indiquer devant les députés que, placé dans la même situation, il aurait probablement pris la même décision.

M. Philippe Bas, président. - Vous dites que M. Benalla n'exerçait pas de fonction de protection personnelle. Le directeur de cabinet du Président de la République nous a présenté hier ses trois missions, lesquelles figurent dans une note que nous avons demandée. Parmi ces trois fonctions, il y a les déplacements privés du chef de l'État. Nous avons donc formulé l'hypothèse que M. Benalla, doté d'un port d'arme, pouvait accompagner le Président de la République lors de ces déplacements privés et assurer sa protection, mais il nous a été dit que ce n'était pas le cas. Nous nous sommes donc interrogés sur l'utilité de son port d'arme, alors qu'il nous a été indiqué que M. Benalla n'avait jamais d'arme lors des déplacements officiels. Le préfet de police s'est inquiété de savoir s'il avait son arme avec lui pendant les manifestations du 1er mai, mais il n'avait pas de réponse à cette interrogation.

Quelle était donc la nature du travail de M. Benalla lors des déplacements privés du Président de la République ? Assurait-il, oui ou non, sa protection personnelle ?

M. Alexis Kohler. - Comme vous l'a indiqué Patrick Strzoda hier, Alexandre Benalla était chargé de mission auprès de la chefferie de cabinet, l'entité qui, au sein du cabinet du Président de la République, est chargée d'organiser son agenda, ses déplacements et de s'assurer que tous les services qui concourent à l'exercice de sa mission ou de ses déplacements, que ce soit en matière de sécurité, de communication ou de transport, suivent bien. Alexandre Benalla était en charge non pas de la sécurité, mais de l'interaction entre la chefferie de cabinet, qui doit coordonner l'ensemble de ces éléments, et les personnes en charge de la sécurité.

Comme vous le savez, deux types de services sont en charge de la sécurité du Président de la République : d'une part, le commandement militaire du palais, dirigé par le général Bio-Farina, qui est responsable de l'intégrité des bâtiments et de la sécurité du Président à l'intérieur des résidences présidentielles ; d'autre part, le groupe de sécurité du Président de la République (GSPR), dirigé par le colonel Lavergne, qui accompagne le Président de la République dans ses déplacements. La sécurité du Président de la République est toujours assurée, en toutes circonstances, par l'une de ces deux unités. J'ajoute que ces services sont exclusivement - je dis bien : exclusivement - composés de personnels qui relèvent soit de la police, soit de la gendarmerie. Ces points ont été, me semble-t-il, clarifiés lors des auditions du général Bio-Farina et du colonel Lavergne à l'Assemblée nationale. Je dis « je crois », car dans la mesure où elles ont eu lieu pendant le conseil des ministres, auquel j'assiste, je n'ai pas pu les voir, du moins pas en direct.

Pour que ce soit bien clair, Alexandre Benalla n'appartient ni au commandement militaire ni au GSPR. Il n'avait pas de responsabilités les concernant. Il n'était pas pressenti pour occuper un poste de responsabilité concernant ce service, comme j'ai pu le lire ici ou là.

M. Philippe Bas, président. - Si M. Benalla n'occupait pas la fonction de garde du corps, s'il n'était pas habilité à porter une arme durant les déplacements officiels, s'il n'en portait pas non plus pendant les déplacements privés, pourquoi la présidence de la République et les services du ministère de l'intérieur qui ont instruit cette demande ont-ils favorisé l'obtention d'un port d'arme ? Il y a là pour nous une incohérence. Quelle pouvait être l'utilité pour la présidence de la République que cet agent ait un port d'arme ?

M. Alexis Kohler. - Vous avez raison de me relancer sur la question du port d'arme, à laquelle je n'ai pas répondu.

Je n'ai pas eu à connaître des modalités d'attribution du port d'arme à M. Benalla, compte tenu des responsabilités qui sont les miennes et sur lesquelles je ne m'étendrai pas. L'organisation interne des services de la présidence de la République ne relève pas du champ de cette commission. Cela étant dit, le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République vous ont répondu concernant les modalités d'attribution du port d'arme par la préfecture de police et sur le cadre juridique dans lequel elle s'inscrivait. Il me semble que l'attribution est liée à la fonction qu'il exerce et non pas à un risque le concernant tout particulièrement.

M. Philippe Bas, président. - Qu'est-ce qui, dans sa fonction, rendait utile pour la présidence de la République que M. Benalla ait un port d'arme ?

M. Alexis Kohler. - Je suppose tout simplement que, comme vous l'avez indiqué, le dispositif de sécurité est adapté à l'intensité de la menace et au contexte dans lequel se situe le Président de la République. C'est toujours le GSPR qui est en charge de la sécurité du Président de la République lorsqu'il est en déplacement. Je suppose simplement que, dans certaines circonstances, il a été jugé qu'il pouvait être utile que d'autres puissent apporter leur concours, mais vous les interrogerez.

Vous avez l'air de trouver cela curieux, mais c'est ainsi : c'est toujours le GSPR qui assure la protection du Président de la République, comme l'a dit lui-même le chef du GSPR.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Monsieur le secrétaire général, vous nous avez rappelé, à l'instar de M. le directeur de cabinet, que M. Benalla ne fait pas partie du service de sécurité rapprochée du Président de la République. Je crois qu'il aurait fallu l'en informer ! Chacun a en tête ce jour où quelqu'un, dans un geste stupide, a jeté un oeuf au Président de la République au Salon de l'agriculture. Le premier à être intervenu et à avoir eu un geste de protection physique à son égard, c'est M. Benalla.

Si on ajoute à cela la délivrance d'un port d'arme, sur laquelle nous avons bien du mal à obtenir des explications, la voiture de police, le fait qu'on le voie toujours aux côtés du Président de la République, que ce soit lors d'occasions privées ou publiques, ne pensez-vous pas qu'il ait pu y avoir une confusion de fait, dans l'esprit de M. Benalla, mais éventuellement aussi dans celui de fonctionnaires civils et militaires chargés de la sécurité rapprochée du Président de la République ?

M. Alexis Kohler. - Je ne me prononcerai pas sur la confusion qu'il pourrait y avoir dans l'esprit de M. Benalla. Je rappellerai simplement qu'il a participé à la sécurité d'Emmanuel Macron lorsque celui-ci était président du parti En marche, puis pendant la campagne présidentielle, car le ministère de l'intérieur n'avait pas souhaité lui accorder une protection. Je me demande d'ailleurs, mais il faudrait le vérifier, si la scène de l'oeuf ne date pas de la campagne électorale et non de la dernière visite du Président de la République au Salon de l'agriculture, mais peu importe. Je signale juste que, à un moment donné de sa carrière, à une époque où Emmanuel Macron n'était pas Président de la République, Alexandre Benalla a exercé une mission de sécurité auprès de lui.

En revanche, je puis vous assurer qu'il n'y a pas de confusion dans l'esprit des services de sécurité de la présidence de la République. C'est bien le chef du GSPR et ses équipes qui sont en charge de la protection du Président de la République. Je n'ai aucun doute sur ce point. Je pense d'ailleurs que le chef du GSPR l'a très clairement rappelé lorsqu'il a été auditionné à l'Assemblée nationale.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - De nombreux syndicats de policiers nous ont fait part de l'importance assez considérable que M. Benalla aurait prise, au point parfois de vouloir prendre la main sur un certain nombre de services de sécurité. Avez-vous été informé d'une façon ou d'une autre de ces éléments qui nous ont été rapportés de façon assez unanime ?

M. Alexis Kohler. - Très clairement, la réponse est non. J'ai bien évidemment eu à connaître du recrutement de M. Benalla en tant que chargé de mission. Compte tenu de ses qualités unanimement reconnues d'organisateur, son recrutement était jugé légitime et utile. Je ne reviens pas sur ce point. Le Président de la République a d'ailleurs eu l'occasion hier, en marge d'un déplacement, de le rappeler. Je ne reviens pas non plus sur ses missions.

J'ajoute, pour que les choses soient bien claires, que je n'ai jamais eu, à titre personnel, à travailler directement avec M. Benalla au cours de la période où il a été employé à la présidence de la République.

Par ailleurs, je n'ai à aucun moment été informé du moindre incident ou comportement inadapté de l'intéressé, jusqu'au 2 mai. À aucun moment ! Je peux même vous dire le contraire : je n'ai eu que des retours positifs sur le travail, sur l'engagement et sur le dévouement de M. Benalla. Je crois pouvoir vous dire que M. Benalla était très apprécié de ses collègues.

J'ai entendu dire qu'il aurait « terrorisé » des services de la présidence. Le chef du GSPR a lui-même indiqué que tel n'était pas le cas. Si c'était le cas, cela n'a jamais été porté à sa connaissance en tant que chef de service, ni à la mienne.

M. Philippe Bas, président. - Ces syndicats de policiers ont plutôt évoqué la terreur ressentie par les services de police extérieurs à l'Élysée, lors des déplacements présidentiels. Nous avons demandé que les informations qui nous ont été données soient sourcées et précisées. Les faits pour l'instant ne sont pas établis. Nous entendons votre réponse, mais il n'est pas impossible que nous ayons de plus en plus d'informations sur ce point, car les langues se délieraient nous a-t-on dit. Qu'elles se délient donc !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Monsieur le secrétaire général, vous avez fait état de l'autorisation qui vous a été donnée par le Président de la République de venir répondre à nos questions. Cette autorisation n'était pas nécessaire, elle n'était pas utile et elle n'a pas d'effet, pour la raison simple que nous considérons que tout citoyen doit, en vertu de la Constitution, venir répondre aux questions d'une commission d'enquête parlementaire dès lors qu'il y est convié, à la seule exception du Président de la République, que nous n'avons jamais pensé à solliciter, contrairement à d'autres, car nous sommes, comme vous-même, très attachés à la séparation des pouvoirs et aux principes de notre Ve République.

Ceci étant précisé, je reviens sur l'article 40 du code de procédure pénale, lequel va bientôt supplanter en popularité un autre article 40 dans les assemblées parlementaires.

Vous nous avez dit que vous n'aviez pas cru devoir saisir le procureur de la République. Nous avons posé cette question à environ six personnes. M. le préfet de police a dit qu'il ne lui appartenait pas de le faire, au motif que M. Benalla relevait de la présidence de la République. M. le ministre de l'intérieur nous a dit la même chose. Quand on interroge au plus haut niveau les représentants de l'Élysée, nous obtenons la réponse que vous venez de donner. Il peut apparaître singulier - je dis : « il peut », car nous sommes très prudents ici et nous avons raison de l'être - que la justice n'ait été saisie - elle s'est en fait auto-saisie - que lorsque M. Benalla a fait appel à trois fonctionnaires pour obtenir une vidéo. L'usage de la violence à l'égard de citoyens et le fait de s'approprier indûment les insignes de la police nationale ne sont-ils pas suffisamment graves pour justifier la saisine immédiate du procureur de la République ?

Par ailleurs, depuis l'audition de M. le directeur de cabinet, j'ai reçu un certain nombre de messages de spécialistes du droit du travail qui se demandent s'il est conforme au code du travail qu'une mise à pied avec réduction de salaire à due concurrence soit mise en oeuvre sur les congés non pris. Il me semble qu'une étude juridique approfondie, notamment sur la notion d'indemnités compensatrices relatives à des congés, ne serait pas inutile.

Pour revenir à l'essentiel, je prends bien en compte ce que vous avez dit sur les services rendus par M. Benalla et sur les appréciations positives qu'il a suscitées, mais son attitude incompréhensible, inacceptable, selon le Président de la République lui-même, ne justifiait-elle pas de lui retirer toute tâche relative à la protection et à la sécurité à l'issue de sa mise à pied, comme l'a d'ailleurs dit le porte-parole de la présidence ? Or M. Benalla a été vu aux côtés du Président de la République dans des situations extrêmement sensibles et publiques, que ce soit au Panthéon, le 14 juillet, ou à l'arrivée des Bleus à Roissy, laquelle a suscité quelques discussions avec la gendarmerie. Comment pouvez-vous justifier cela ?

M. Strzoda s'est donné beaucoup de mal pour nous expliquer que sa fonction n° 1, avant sa mise à pied, était d'une nature différente de sa fonction n° 2, après sa mise à pied, mais je dois vous dire que je n'ai pas été totalement convaincu.

M. Alexis Kohler. - Vous êtes revenu sur l'autorisation du Président de la République de me rendre devant vous. Je ne serai pas long sur ce point. Néanmoins, je crois devoir y revenir puisque personne n'ignore que cette question fait l'objet d'un débat constitutionnel. À ma connaissance, aucun collaborateur d'un Président de la République n'a été auditionné par des commissions parlementaires pendant près de cinquante ans. Il a été dérogé à cette règle pour la première fois en 2007, puis ensuite de manière exceptionnelle. Je ne reviens pas sur l'articulation entre les articles 24 et 51-2 de la Constitution et sur l'interprétation du Conseil constitutionnel selon laquelle les commissions d'enquête ne peuvent porter sur l'action du Président de la République. À titre d'exemple, je rappelle que, en 2009, la création d'une commission d'enquête sur les marchés de la présidence de la République a été déclarée irrecevable, car elle portait sur l'organisation interne de la présidence de la République et non sur l'action du Gouvernement. Je ferme cette parenthèse. Nous n'allons pas trancher ici ce débat constitutionnel. À ce stade, vous serez d'accord avec moi pour le laisser aux constitutionnalistes. Ce débat est du reste inutile puisque je suis devant vous pour répondre à vos questions.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Absolument, et nous vous en remercions.

M. Alexis Kohler. - Il m'a semblé important de rappeler ce principe, qui est au coeur de la séparation des pouvoirs.

Vous m'avez ensuite interrogé sur l'article 40. Je ne reviendrai pas sur les explications que je vous ai données. Je rappellerai simplement que, à la lumière des éléments dont on disposait, c'est-à-dire une vidéo montrant M. Benalla participer à une opération de maintien de l'ordre équipé d'un seul casque (il a d'emblée été établi que la préfecture de police accueille de manière habituelle des observateurs dans ces conditions), les circonstances dans lesquelles il a participé à une interpellation, le contexte particulier de violence (je ne reviens pas non plus sur les propos de la directrice de l'IGPN sur la caractérisation de ces faits), et compte tenu de ce que je savais à l'époque, j'ai considéré qu'il n'y avait vraiment aucune raison de douter que la sanction était proportionnée. J'ajoute que, sauf erreur de ma part, l'article 40 s'applique à tout agent public. Dès lors, tous les agents publics et toutes les autorités bien plus compétentes que moi en matière d'ordre public qui ont été saisis préalablement n'ayant pas mentionné l'article 40, j'ai été légitimement amené à considérer, comme je le pense aujourd'hui encore, compte tenu des éléments connus à l'époque, que la sanction, je le répète, était proportionnée.

Notre volonté collective était que la sanction soit rapide.

M. Philippe Bas, président. - La sanction a peut-être été rapide, mais son exécution a été très lente...

M. Alexis Kohler. - Le directeur général de la police nationale a déclaré que, dans des circonstances semblables, il aurait probablement pris la même décision.

Compte tenu du statut de M. Alexandre Benalla, contractuel de droit public, et du décret de 1986, il pouvait faire l'objet d'une suspension avec retenue sur salaire, mais la question des modalités de cette retenue a surgi au moment de procéder à l'opération. Afin de ne pas fragiliser la décision, nous avons privilégié la voie d'une retenue sur jours de congés. In fine, l'objectif a été atteint : une sanction complète, définitive, ayant le même effet. Peut-être la question mérite-t-elle, pour l'avenir, une étude juridique, afin que nous disposions de la procédure la plus robuste pour prendre des décisions non contestables et efficaces.

Les trois événements publics auxquels M. Alexandre Benalla a participé depuis la fin de sa suspension partagent les mêmes caractéristiques : il s'agissait d'événements d'une ampleur exceptionnelle et - sauf le 14 juillet - non récurrents. Or les effectifs de la chefferie de cabinet ne sont pas pléthoriques. Lorsqu'il faut accueillir l'équipe de France de football ou des milliers d'invités, parmi lesquels des jeunes et des enfants, cela requiert une logistique considérable, et tout le monde est sur le pont. J'ai moi-même vu depuis mon bureau l'ampleur des préparatifs. Or, surtout lorsque ce genre d'événements se déroule au Palais de l'Élysée, la responsabilité de leur organisation incombe à la présidence de la République : c'est elle qui est responsable en cas de problème ou de débordement. À la présidence de la République, et en particulier à la chefferie de cabinet, les gens ne ménagent pas leur peine. Vous le savez, le Président de la République est quelqu'un d'exigeant, avec lui-même comme avec les autres. Je travaille moi-même un petit peu, et j'attends le même engagement de tous les collaborateurs du Président. Lors d'événements exceptionnels, il est normal que tout le monde contribue.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - En tant que rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Pouvoirs publics », je peux confirmer que le personnel de la présidence de la République effectue un travail considérable. À ce propos, j'ai vérifié ce que disait hier notre collègue François Pillet, et qui est tout à fait exact : l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013 pour la transparence de la vie publique impose à tous les collaborateurs du Président de la République, que leur nomination ait été publiée ou non au Journal officiel, d'adresser à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) une déclaration d'intérêts et une déclaration de situation patrimoniale. Si M. Alexandre Benalla l'avait fait, nous aurions su s'il avait des liens avec des entreprises de sécurité privée. Il est patent qu'il ne l'a pas fait, et patent qu'il était nécessaire qu'il le fît. Quelles conclusions en tirez-vous ? Entendez-vous demander aux chargés de mission à la présidence de la République de remplir leurs obligations ?

M. François Pillet. - En effet, la commission a appris hier avec une certaine stupéfaction que certains collaborateurs de la présidence de la République, au mépris des dispositions claires de la loi de 2013, n'avaient pas transmis à la HATVP de déclaration de situation patrimoniale et d'intérêts. Ferez-vous en sorte que la situation soit régularisée ? J'ajoute que le non-respect de ces obligations déclaratives constitue un délit passible de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende, qui, en raison du caractère public de nos travaux, a désormais été porté à la connaissance du parquet de Paris.

M. Alexis Kohler. - Quand j'ai été nommé aux fonctions que j'occupe aujourd'hui, en même temps que les premiers collaborateurs du Président de la République, nous avons demandé aux services de la présidence quel était le champ des personnes soumises à ces obligations déclaratives. Il nous a été répondu que la pratique qui avait prévalu au cours de la totalité du mandat précédent était que seuls les conseillers nommés au Journal officiel adressaient à la HATVP une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts. Nous avons suivi cette pratique.

J'ai de nouveau interrogé les services hier sur les pratiques antérieures, et il m'a été fait la même réponse. Je vais m'assurer de l'exactitude de ces informations. On m'a dit aussi que des échanges avaient eu lieu avec la HATVP pour définir le champ d'application des règles instituées en 2013.

La nuit porte conseil, mais aussi et surtout le Secrétaire général du Gouvernement, que j'ai interrogé et qui, au vu des débats parlementaires, m'a dit qu'il serait logique d'inclure les chargés de mission dans le champ de ces obligations déclaratives. J'ai donc demandé à nos services d'adresser un message aux intéressés pour qu'ils régularisent leur situation. Il existe aujourd'hui huit chargés de missions à la présidence de la République, dont deux affectés au sein des services - nous n'avons pas encore éclairci le point de savoir si les obligations déclaratives s'imposent aussi à ces derniers.

M. Jean-Pierre Sueur. - Au moins nos auditions auront-elles eu un effet concret !

M. Alexis Kohler. - J'en note déjà deux, avec les précisions à apporter sur le régime des sanctions.

M. Philippe Bas, président. - Il est heureux que notre commission puisse déjà être utile à l'amélioration du fonctionnement de la présidence de la République, afin que les mauvaises pratiques de l'ancien monde ne déteignent pas trop sur les nouvelles pratiques du nouveau monde...

M. François Pillet. - La réponse de M. le secrétaire général me satisfait, d'autant que je suis certain que nous aurons transmission de la déclaration d'intérêts de M. Alexandre Benalla avant la fin de nos travaux.

J'ai une seconde question : combien de conseillers à l'Élysée ont-ils un contrat de travail et une fiche de poste faisant référence à des missions concernant directement ou indirectement la sécurité du Président de la République ? Pouvez-vous nous donner leurs noms ?

M. Alexis Kohler. - Je devrai vous faire une réponse par écrit. Je ne connais pas le nombre de personnes ayant cette mention dans leur contrat de travail.

M. François Pillet. - Dès lors, M. le secrétaire général que vous vous engagez à répondre par écrit, je suis satisfait.

M. Alexis Kohler. - Je ne gère pas moi-même les contrats de travail des collaborateurs de l'Élysée ou des 822 équivalents temps plein (ETP) employés à la présidence. La majorité d'entre eux ne sont d'ailleurs pas dans une situation contractuelle.

M. François Pillet. - Ma question portait sur les contractuels qui, à l'instar de M. Alexandre Benalla, disposent donc d'un contrat de travail écrit. S'ils ne disposaient pas au moins d'une fiche de poste, cela démontrerait l'existence d'une situation curieuse...

M. Alexis Kohler. - Je regarderai ce point. Je veux réaffirmer un point cependant : je ne veux pas laisser à penser que la sécurité du Président de la République serait assurée par des agents privés et non par des personnels du commandement militaire ou du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR).

M. Pierre-Yves Collombat. - Depuis quand existent le poste et la fonction occupés par M. Alexandre Benalla ? Quelle a été sa rémunération en avril, mai et juin ? Quelle est la superficie de l'appartement qu'il occupait quai Branly ?

M. Alexis Kohler. - Cela relève de l'organisation interne de la présidence de la République, même la superficie de l'appartement.

Le budget et la gestion du personnel de la présidence de la République relèvent du contrôle de la Cour des comptes.

M. Pierre-Yves Collombat. - Soit vous me répondez, soit vous ne me répondez pas.

M. Alexis Kohler. - Non, je ne vais pas communiquer les superficies des appartements du palais de l'Alma. Je n'ai ni la cartographie ni le métrage de ce bâtiment. Non, je ne vais pas communiquer les salaires des collaborateurs de l'Élysée.

Nous avons mis fin à un certain nombre de rumeurs, notamment la rumeur selon laquelle M. Alexandre Benella aurait occupé un appartement au sein du palais de l'Alma. C'est tout à fait fantaisiste de croire qu'on aurait imaginé le nommer sous-préfet ou à la tête du GSPR.

Je pense que ce poste existe depuis l'origine. Je vais vérifier ce point mais je crois qu'il y avait des fonctions équivalentes sous les présidences précédentes.

M. Pierre-Yves Collombat. - Il doit y avoir une trace de cette décision ...

M. Alexis Kohler. - De son embauche ?

M. Pierre-Yves Collombat. - Non, la date de création du poste.

M. Alexis Kohler. - Quelques semaines après l'élection du Président de la République.

M. Philippe Bas, président. - Le directeur de cabinet du Président de la République s'est engagé hier à nous transmettre les documents concernant le statut personnel de M. Alexandre Benalla.

M. Philippe Bonnecarrère. - Pouvez-vous nous préciser le statut de la présidence de la République ? Si le statut du Président de la République est défini dans la Constitution, quel est le statut de la présidence de la République ? Est-ce une formule fictive ou est-ce une entité publique avec un statut et des règles ?

Qui a la responsabilité de hiérarchiser et de classer l'information ? L'exercice consistant à informer le Président de la République est nécessairement périlleux, surtout lorsqu'il est à plusieurs milliers de kilomètres. Qui hiérarchise ? Est-ce le rôle du secrétaire général ou du directeur de cabinet ?

M. Alexis Kohler. - Il est de ma responsabilité de hiérarchiser l'information, d'être une « gare de triage ». Mais c'est également la responsabilité de tous. Chacun à son niveau doit faire le même tri. Je ne suis pas le seul point d'entrée de toutes les informations qui arrivent à la présidence de la République. Chacun décide de ce qui relève de ses responsabilités, en réfère à sa hiérarchie, jusqu'au secrétaire général. À charge pour moi de déterminer quelles informations transmettre au Président de la République, notamment lorsqu'il est à 10 000 km.

Le Président de la République est très attaché à ce que chacun, à son niveau, exerce ses responsabilités et que chacun prenne les décisions qui lui incombent. Sinon, je serais rapidement submergé.

La présidence de la République est une institution à statut particulier car elle ne dispose pas d'un corps de fonctionnaires : les agents de la présidence de la République sont détachés ou mis à disposition par d'autres administrations. Cela n'empêche pas que son administration soit structurée. Le Président de la République a d'ailleurs souhaité, dès la fin de l'année 2017, faire évoluer cette organisation. Cette organisation s'est structurée par sédimentation et je pense qu'il est utile de la faire évoluer pour la rendre plus lisible, plus efficace et moins coûteuse.

M. Patrick Kanner. - Selon le Général de Gaulle, le secrétaire général de l'Élysée est au centre et au courant de tout.

Vous êtes à la tête d'une équipe de 50 collaborateurs, 39 conseillers techniques, 11 rattachés à la présidence de la République.

Combien de chargés de mission ? Combien ont des responsabilités importantes comme le poste de chargé de mission auprès du chef d'état-major du Président de la République, occupé par un certain M. Ludovic Chaker ? Savez-vous que M. Ludovic Chaker avait joué un rôle dans le recrutement de M. Alexandre Benalla pour la sécurité rapprochée du candidat Emmanuel Macron ?

Savez-vous s'il est d'usage de doublonner, au sein de la présidence de la République, toutes les fonctions officielles par le placement d'hommes et de femmes de confiance ?

Monsieur le président de la commission des lois, je souhaite vous indiquer que M. Alexandre Benalla vient de donner une interview au Monde et je réitère ma demande de l'entendre au sein de notre commission d'enquête.

M. Alexis Kohler. - Il y a 7 chargés de mission qui sont rattachés au cabinet de la présidence de la République. Ce sont tous des chargés de mission rattachés à des conseillers techniques. Il est logique qu'ils occupent des postes de chargés de mission au regard de leurs responsabilités.

Concernant Ludovic Chaker, il est militaire, chargé de mission auprès de l'État-major particulier.

Concernant les circonstances de l'embauche de M. Alexandre Benalla au sein du mouvement « En marche ! », je ne sais pas à quelle date il a été engagé. Il est possible que M. Ludovic Chaker ait joué un rôle dans ce recrutement car M. Ludovic Chaker a été parmi les premiers salariés du mouvement. J'ai d'ailleurs connu M. Alexandre Benalla au sein du mouvement.

Il y a beaucoup de personnes de confiance auprès du Président de la République : je pense que moi-même comme les membres du cabinet avons la confiance du Président de la République. Quand on a la responsabilité d'une équipe, on doit faire confiance à ses collaborateurs.

M. Patrick Kanner. - Bien sûr qu'il faut des hommes de confiance. Ma question concerne le « dédoublonnage » de postes.

M. Alexis Kohler. - Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait le moindre « dédoublonnage ». Il n'y a aucun doublon administratif, a fortiori avec le Gouvernement.

Je suis très attaché à rappeler que la présidence de la République n'est pas le Gouvernement.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Le comportement de M. Alexandre Benalla est très proche du comportement d'une personne exerçant des missions de protection et de sécurité. Je crois ainsi que M. Patrick Kanner est fondé à s'interroger sur les phénomènes de doublon et de confusion.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Monsieur le secrétaire général, l'un des considérants de l'arrêté du préfet de police délivrant un permis de port d'arme à M. Alexandre Benalla indique qu'il était « chargé d'une mission de police, dans le cadre de son action de coordination de la sécurité du Président de la République avec les forces militaires et le GSPR ».

Ce considérant n'est-il pas contradictoire avec votre présentation des fonctions de M. Alexandre Benalla ?

M. Philippe Bas, président. - Il ne peut pas y avoir deux définitions des fonctions de M. Alexandre Benalla, l'une dans la note de service de la présidence de la République, l'autre exposée à la préfecture de police pour obtenir un permis de port d'arme.

Or, la préfecture de police a délivré ce permis de port d'arme pour une fonction de police et de coordination de la sécurité, ce qui ne correspond ni à vos déclarations ni à celles du directeur de cabinet du Président de la République.

M. Alexis Kohler. - Je n'ai pas eu à connaître des modalités d'octroi du permis de port d'arme de M. Alexandre Benalla. J'ai rien à ajouter aux déclarations du préfet de police, autorité de délivrance du permis, et du directeur de cabinet du Président de la République.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Il y a là quelque chose de grave ! L'arrêté du préfet de police mentionne « une mission de police », ce qui est contradictoire avec vos déclarations !

M. Alexis Kohler. - Je prends bonne note de cette observation.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - M. Alexandre Benalla a joué un rôle majeur lors de l'accueil de l'équipe de France de football le 16 juillet dernier. Je souhaiterais connaître ses missions et ses fonctions précises au sein de la présidence de la République. Les réponses obtenues sont trop évasives !

Y-a-t-il « d'autres Alexandre Benalla » à l'Élysée, avec des rôles flous et une espèce « d'organisation parallèle » ? Les Français, comme les parlementaires, peuvent légitimement se poser la question.

M. Alexis Kohler. - Le directeur de cabinet du Président de la République vous a présenté les fonctions de M. Alexandre Benalla.

M. Alexandre Benalla appartenait à la « chefferie de cabinet », et plus précisément à l'équipe chargée de coordonner l'action d'autres services. Il remplissait une mission d'organisation et de coordination.

À cet égard, il n'a pas participé à la sécurisation de l'équipe de France de football, mission qui relevait du préfet de police, mais il s'occupait de questions logistiques.

Le 16 juillet dernier, le bus de l'équipe de France était attendu à la présidence de la République. Dans ce bus, M. Alexandre Benalla était en relation avec plusieurs services extérieurs à la présidence de la République, y compris avec la préfecture de police.

Si la chefferie de cabinet de la présidence de la République, en charge de l'organisation des événements, n'avait pas de relations avec les services compétents de l'État, je lui reprocherais ! Lorsque le Président de la République se déplace dans un département, la chefferie de cabinet a des discussions avec le préfet de département, cela fait partie de sa mission. Pour autant, la chefferie de cabinet ne doit pas se substituer au préfet. Chacun doit rester à sa place !

M. Alexandre Benalla exerçait une mission de coordination, à la fois pour les déplacements officiels du Président de la République, majoritairement sur le territoire national, et pour ses déplacements privés.

« Y-a-t-il d'autres Alexandre Benalla ? ». Je ne suis pas certain du sens de la question mais je vais m'efforcer d'y répondre. Il y a, évidemment, d'autres personnes au sein de la chefferie de cabinet de la présidence de la République qui exercent des missions similaires.

Y-a-t-il d'autres personnels de l'Élysée qui auraient commis des actes identiques ? Très franchement, j'espère que non. Si tel est le cas, je n'en ai pas connaissance. Les personnels de la présidence de la République ont des consignes très strictes sur ce que nous attendons d'eux en termes de comportement.

M. Philippe Bas, président. - Comptez-vous solliciter les autorités compétentes pour que le successeur de M. Alexandre Benalla bénéficie d'un permis de port d'arme ?

M. Alexis Kohler. - Pour être très franc, M. Alexandre Benalla n'a pas encore été remplacé à son poste, ce qui explique d'ailleurs que la chefferie de cabinet ait été sous tension durant les événements qu'elle a organisés en juillet.

La demande de port d'arme dépendra du profil de la personne recrutée. La chefferie de cabinet de la présidence de la République comprend principalement des personnels issus des corps préfectoraux. Je ne crois pas qu'ils aient de permis de port d'arme.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Des personnels de l'Élysée exercent-ils des missions similaires à celles de M. Alexandre Benalla, notamment en matière de coordination de la sécurité ?

M. Alexis Kohler. - M. Alexandre Benalla n'exerçait pas une mission de sécurité mais une mission de coordination et d'organisation des déplacements du Président de la République.

Il gérait d'autres dimensions que la sécurité, comme le chef de cabinet d'un ministre, qui doit coordonner la sécurité, la communication, les relations avec la presse, les rapports avec les élus...

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je reprenais les termes de l'arrêté de la préfecture de police délivrant le permis de port d'arme...

Les personnels de l'Élysée exerçant des missions similaires à celles de M. Alexandre Benalla bénéficient-ils d'un permis de port d'arme ?

M. Alexis Kohler. - Non, pas à ma connaissance. Je pense qu'il s'agit essentiellement de fonctionnaires, membres des corps préfectoraux. Je ne crois pas qu'ils disposent d'un permis de port d'arme à titre privé.

M. Philippe Bas, président. - Il y a une définition des fonctions de M. Alexandre Benalla qui diffère entre les déclarations des représentants de l'Élysée, d'une part, et l'arrêté du préfet de police, d'autre part. Cet arrêté indique que M. Alexandre Benalla était « chargé d'une mission de police, dans le cadre de son action de coordination de la sécurité de la présidence de la République avec les forces militaires et le GSPR ».

Il conviendrait donc de retenir votre définition des fonctions de M. Alexandre Benalla, pas celle communiquée au préfet de police pour l'obtention du permis de port d'arme ?

M. Alexis Kohler. - Il existe différentes missions de coordination : les relations avec les élus et la presse, la communication, la sécurité... Plusieurs services peuvent intervenir pour chacun de ces domaines, y compris pour la sécurité.

Lorsque le Président de la République se déplace dans un département, interviennent : le GSPR, les services de sécurité locaux, la police, la gendarmerie... De ce point de vue, il peut exister une mission de « coordination de la sécurité » au sein de la chefferie de cabinet. En revanche, M. Alexandre Benalla n'assurait pas la sécurité du Président de la République.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Monsieur le secrétaire général, je pense que là nous sommes devant quelque chose qui a beaucoup d'importance. Les termes de l'arrêté que vient de relire le Président Philipe Bas montrent que le port d'arme a été dévolu par le ministère de l'intérieur, dont dépend la préfecture de police, à la demande de l'Élysée, sur la base d'une définition de sa fonction comme une coordination de tâches de police. Quand on relie l'arrêté, les tâches décrites ne relèvent absolument pas de la coordination entre les différents services engagés par un déplacement présidentiel.

M. Philippe Bas, président. - À ce stade, nous prenons acte de cette contradiction. Je crois qu'il n'est pas la peine d'aller plus loin. Un certain nombre d'éléments que nous avons déjà recueillis qui vont dans le sens d'une appréciation de la fonction de M. Benalla comme étant une fonction de sécurité. Le préfet de police, lorsqu'il a été saisi, pensait qu'il s'agissait d'une fonction de sécurité. Voilà où nous en sommes sur ce point et à chacun de se faire un jugement sur la réalité de la fonction de M. Alexandre Benalla à partir des quelques indices que nous avons pu obtenir.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Ce ne sont pas des indices, ce sont des faits. Et ces faits ont pour caractéristique d'être contradictoires. Je veux que ceci soit dit et entendu.

Mme Esther Benbassa. - M. le secrétaire général, il y a eu une mise à pied à l'endroit de M. Alexandre Benalla début mai. Il s'agit donc d'une sanction, et vous avez-vous-même parlé d'une faute. Je ne savais pas jusque-là qu'une sanction appelait une récompense. Je lis sur le facsimilé de la déclaration de M. Alexandre Benalla auprès de l'administration fiscale attestant de son changement d'adresse, qui prend effet le 9 juillet, « 11 Quai Branly ». Il y a quand même un problème, n'est-ce pas ? Il a été récompensé par un appartement au 11 Quai Branly.

Deuxièmement, je voudrais faire une rectification : j'ai posé hier la question sur la suspension du traitement de M. Alexandre Benalla. Votre collègue a indiqué que ces 15 jours de suspension feraient l'objet d'une retenue sur les droits à congé qu'il avait au titre de l'année 2017. Pour autant, il me semble que les textes applicables sont clairs : un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice. Comment M. Alexandre Benalla peut-il ainsi percevoir une indemnité compensatrice pour des congés non pris ? De plus, lorsqu'un contractuel public est licencié pour faute, cela n'ouvre normalement pas droit au versement d'une indemnité de licenciement ni même d'une indemnité compensatrice de congés annuels. M. Alexandre Benalla a-t-il bien été licencié pour faute ? De telles indemnités lui ont-elles été versées malgré cela ?

M. Alexis Kohler. - Il y a en fait deux questions : une sur le logement et l'autre sur le licenciement et la sanction.

Comme je vous le disais, la gestion interne du personnel de l'Élysée relève de la responsabilité du directeur de cabinet. Il m'en rend néanmoins compte donc je ne cherche pas à esquiver la moindre responsabilité. La liste des logements à la résidence de l'Alma est assez largement diffusée et ils accueillent très majoritairement des personnes qui font l'objet d'une nécessité absolue de service et dont les exigences de disponibilité sont particulièrement fortes. La Cour des comptes a déjà écrit très abondamment sur ce sujet.

Je n'interviens pas dans l'attribution de ces logements et ne suis pas intervenu dans l'attribution de celui de M. Alexandre Benalla. Je ne reviendrai donc pas sur ce que le directeur de cabinet a pu vous dire sur cette question. Je ne connais pas les détails de cette attribution et je pense très franchement que cela est logique : il y a une hiérarchie des responsabilités. Je fais beaucoup de choses, mais je ne m'occupe pas de l'attribution de tous les logements au sein de l'Élysée. Je m'en voudrais de vous donner une information erronée sur ce sujet qui ne serait qu'une information rapportée sur la date d'attribution ou la taille de l'appartement.

Pour ce qui est de la sanction, je reviendrai simplement sur la séquence : au moment où la sanction est prise, il y a un avertissement pouvant conduire à un licenciement. La décision de licenciement n'a pas été prise à ce moment-là. La sanction est appliquée, mais, pour des raisons de sécurisation juridique liées au terme de suspension et à la nécessité d'en assurer la robustesse, la retenue directe sur salaire s'est révélée trop fragile. Les modalités de retenue sur salaire ont donc pris la forme d'une annulation de jours de congés. C'est à la suite d'une nouvelle faute qu'il a été licencié.

Mme Esther Benbassa. - Vous ne répondez pas à la deuxième partie de ma question.

M. Philippe Bas, président. - Ce n'est peut-être pas une réponse que la commission des lois jugera satisfaisante mais c'est celle du secrétaire général. Nous ne pouvons pas le forcer à dire ce qu'il ne veut ou ne peut pas dire. Nous souhaitons néanmoins comprendre. Je comprends très bien cette idée que le patron ne puisse pas prendre toutes les décisions. C'est pour que cela qu'il y a une équipe et que l'on doit déléguer de sorte que le bureau du patron ne soit pas encombré de décisions qui sont multiples dans l'ordinaire d'une organisation. Il s'agit de bon sens.

Cependant, je sais aussi que quand on occupe une fonction de numéro un dans une équipe, et que quelque chose qui relevait de simples décisions quotidiennes prend une très grande importance politique, alors je crois, Monsieur le secrétaire général, que le moment est venu de vérifier point par point ce qui serait apparu comme des détails il y a encore trois semaines. Ce sont aujourd'hui des éléments mis bout à bout qui ont tous de l'importance pour expliquer la situation.

Notre devoir est d'y voir clair et c'est pour cela que nous vous posons toutes ces questions, y compris des questions qui peuvent paraître très ponctuelles sur le droit applicable à la sanction imposée à un collaborateur, et sur les conditions dans lesquelles cette sanction a été exécutée. Si l'on se met à la place des citoyens, il paraît surprenant que l'on ait annoncé une retenue sur salaire et que soudainement, à la faveur d'une audition de la commission des lois, on apprenne que la retenue sur salaire n'a pas eu lieu parce qu'il y a un problème juridique et qu'elle sera réalisée selon d'autres modalités. Mme Esther Benbassa nous indique alors que les modalités nouvellement choisies soulèvent des doutes quant à leur régularité.

Nous faisons émerger des éléments que nous-mêmes n'aurions pas eus à l'esprit si la question ne s'était pas posée. Je crois qu'il est temps de mettre le projecteur sur ce qui est un élément de ce dossier. C'est notre rôle de le faire. Je comprends que Mme Esther Benbassa ne soit pas totalement satisfaite de la réponse que vous apportez sur le sujet. Vous pourriez apporter des précisions ultérieures sur cette question juridique relative à l'exécution de cette sanction, afin de nous répondre plus précisément que ce vous avez pu faire ce matin en allant de manière plus approfondie examiner ce problème.

M. François Grosdidier. - Il y a deux affaires Benalla : la première est liée à son comportement du 1er mai qu'il justifie par l'article 73 du code de procédure pénale et les comportements délictuels auxquels il assiste. L'enquête judiciaire nous éclairera sur ce point.

La deuxième, celle qui nous intéresse, concerne un éventuel dysfonctionnement de nos institutions touchant à la sécurité du chef de l'État. Les syndicalistes policiers ont parlé de barbouzes, de police parallèle, et cela rajoute au malaise des policiers qui n'avaient pas besoin de cela. Or, vous nous donnez l'impression, vous-même ou ceux qui vous ont précédé, de partager des éléments de langage pour occulter cet aspect du dossier et cacher le rôle que M. Alexandre Benalla pouvait jouer en matière de sécurité.

On a un peu l'impression d'être baladé tout de même ! À vous entendre, il n'aurait été que le gentil organisateur des déplacements. Or, il venait non pas d'une agence de voyage mais de la sécurité privée. Il n'avait d'ailleurs aucune autre compétence ou référence en matière d'organisation de voyages, alors qu'il était référencé au Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), que le Général Lizurey nous a dit l'avoir appelé dans la réserve de gendarmerie en raison de son expertise en matière de protection rapprochée, qu'il était omniprésent à la préfecture de police qui traite, je crois, des problèmes de sécurité. Malgré l'opposition du service de protection, vous avez, vous-même ou l'Elysée, demandé au préfet de police cette autorisation de port d'arme.

Comme l'indiquait le président Bas, l'arrêté fait expressément référence à sa mission de sécurité, en totale contradiction avec la note que vous nous décrivez. Un des deux documents ne dit donc pas la vérité. Lorsque les faits corroborent plutôt l'arrêté que la note, il est possible de s'interroger sur la sincérité des propos qui nous sont tenus.

Des vérités sont à établir. Vous nous dites qu'il pouvait coordonner des services de sécurité, or, c'est la fonction d'un fonctionnaire d'autorité. Les policiers nous disent que le coordinateur se prenait d'ailleurs le plus souvent pour le supérieur. Pouvez-vous continuer à nous dire que M. Alexandre Benalla ne s'occupait pas de sécurité à l'Élysée ? À ce moment-là, pourquoi avoir écrit le contraire ?

M. Alexis Kohler. - Je n'ai pas dit que M. Alexandre Benalla ne s'occupait pas de sécurité, j'ai dit qu'il n'était pas responsable de la sécurité du Président de la République. Toutes les personnes qui travaillent à la chefferie de cabinet ont à s'occuper de sécurité. Pour ces agents, avoir une compétence particulière en matière de sécurité, reconnue par la direction générale de la gendarmerie nationale, n'est pas un handicap, bien au contraire. J'en veux pour preuve qu'ils sont très fréquemment issus du corps préfectoral.

M. François Grosdidier. - Cela ne justifie pas une autorisation de port d'armes.

M. Alexis Kohler. - Je ne reviendrai pas sur ce point. Que M. Alexandre Benalla ait exercé préalablement des fonctions de sécurité ne signifie pas qu'il y ait des « barbouzes » à l'Élysée. La sécurité du Président de la République, je le répète, est assurée par le commandement militaire du Palais et le GSPR et par eux seuls.

M. François Grosdidier. - Des contractuels en font-ils partie ?

M. Alexis Kohler. - C'est une question différente, de nature statutaire. À ma connaissance, ne travaillent dans ces services que des fonctionnaires civils et militaires.

M. Alain Richard. - Notre commission d'enquête est chargée d'établir les faits, en écartant les à peu près, les impressions et les allégations. Pour faire la lumière sur ce qui a été bien ou mal fait à la présidence de la République, nous cherchons à savoir si le comportement d'Alexandre Benalla, notamment avant le 1er mai, a révélé une confusion des fonctions et un abus de ses propres fonctions.

L'idée qu'il aurait été doté d'une voiture de police doit être écartée : le directeur du cabinet du Président de la République nous a dit que M. Alexandre Benalla disposait seulement d'une voiture adaptée, intégrée au cortège présidentiel.

Quant aux syndicats de policiers, leur audition a été très rapide, et s'ils ont formulé une appréciation très défavorable sur le comportement d'Alexandre Benalla, leur témoignage n'était pas circonstancié. Il nous faut donc essayer d'en savoir plus : à quelles dates et en quels lieux les faits allégués se sont-ils produits ? Peuvent-ils être vérifiés ?

Pour l'heure, monsieur le secrétaire général, pouvons-nous avoir communication de l'organigramme de la chefferie de cabinet, avec la définition des fonctions dévolues à chacun ? Des notes ont-elles été produites pour donner des instructions aux agents concernés et prévenir tout débordement ? Si c'est le cas, estimez-vous légitime que nous en ayons connaissance ? S'il demeure des incertitudes à cet égard, et compte tenu de la mission qui vous a été confiée de réfléchir à une réorganisation des services de la présidence de la République, comptez-vous y mettre bon ordre ?

Enfin, pourra-t-il être vérifié que, depuis le 19 mai, M. Alexandre Benalla n'a participé à aucune autre manifestation importante que les trois qui ont été mentionnées ?

M. Philippe Bas, président. - M. Alexandre Benalla a cru bon de donner un entretien au journal Le Monde, paru ce matin. Nous sommes là pour établir des faits, cela a été dit, et M. Kanner souhaite qu'à cette fin nous entendions M. Alexandre Benalla. Cet entretien nous fournit au moins quelques indications : M. Alexandre Benalla y fait état de « frictions », d' « inimitiés »... Cela donne une idée du climat de travail, du moins selon la perception de l'un des intéressés.

M. Alexis Kohler. - Monsieur le ministre Richard, je vais vérifier si des notes ont été produites et examiner avec attention la question de savoir si je peux les porter à votre connaissance, dans le cadre légal, même si cela relève de l'organisation interne de la présidence de la République.

Je vous confirme qu'il est de ma responsabilité, avec le directeur de cabinet, de prendre en compte l'ensemble des éléments qui ont été mis au jour et de voir dans quelle mesure ils justifient une refonte de l'organisation des services de la présidence. L'enquête judiciaire dira si des sanctions individuelles doivent être prises. Si l'enquête administrative conduite par l'IGPN dévoile des dysfonctionnements, il appartiendra au Gouvernement d'y mettre fin, notamment en ce qui concerne l'accueil des observateurs et la gestion de certains personnels par la préfecture de police.

Pour ma part, je suis chargé de tirer les enseignements de cette affaire sur l'organisation des services de la présidence, notamment ceux qui concourent à la sécurité du chef de l'Etat. Une réflexion a effectivement été engagée, car il existe aujourd'hui deux services distincts en charge de la sécurité du Président de la République, et il n'est pas sûr que ce dispositif soit le plus efficace. Cela dit, la sécurité du Président de la République continuera d'être assurée par des policiers et des gendarmes et non pas par des agents privés.

Nous n'avons identifié que trois manifestations à l'organisation desquelles M. Benalla ait participé depuis sa suspension : le transfert des cendres d'Antoine et Simone Veil au Panthéon, le 14 juillet et le retour à Paris de l'équipe de France de football.

M. François-Noël Buffet. - MM. Eric Morvan, Patrick Strzoda et vous-même déclarez n'avoir pas eu connaissance des relations extrêmement tendues, paraît-il, entre M. Alexandre Benalla et le GSPR.

Or, dans un entretien publié ce matin dans un grand journal du soir, M. Alexandre Benalla reconnaît « des frictions, oui, mais sous forme de non-dits ». Et il poursuit : « Moi, j'ai toujours fait les choses, non pas pour ma personne, mais dans l'intérêt du président. Mais il y a des gens qui sont formatés d'une autre façon. On fait le sale boulot. Et on s'expose forcément. Et quand on s'expose face à ce type de personnes, elles vous disent "oui" avec un sourire, mais elles n'oublient pas... Je ne fais pas partie du club. Je le ressens mais je dois en faire abstraction, car la seule chose qui compte c'est que le président soit bien. »

Ces déclarations semblent confirmer l'existence de tensions liées au rôle joué par Alexandre Benalla dans la sécurité du Président de la République...

M. Alexis Kohler. - Je ne ferai aucune conjecture à propos d'une déclaration que je n'ai pas lue. Mais je le répète : aucun incident ne m'était remonté. Je n'avais au contraire que des retours positifs sur le travail de M. Alexandre Benalla, qui s'est toujours montré très dévoué et disponible.

M. Alexandre Benalla avait d'ailleurs un profil différent de ceux que l'on croise habituellement dans les couloirs de l'Élysée, et le Président de la République l'a dit, c'est quelque chose dont on pouvait être fier, car il est important que les services de la présidence soit à l'image de notre société.

L'important est que chacun demeure dans les limites de ses responsabilités : c'est là la question.

M. Philippe Bas, président. - C'est bien celle que nous vous posons.

M. Alexis Kohler. - Y a-t-il eu des tensions entre M. Benalla et d'autres agents ? Je ne connais pas de grande organisation où il n'y en ait pas. D'ailleurs, ceux qui travaillent à la chefferie de cabinet sont souvent jalousés en raison de leur proximité avec le Président de la République ou le ministre concerné...

M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, vous faites les uns et les autres des efforts de concision dans vos questions et je vous en remercie. J'ai encore plusieurs demandes de question. Je vous propose de les grouper de sorte que nous puissions amener cette audition à conclusion dans une dizaine de minutes.

M. Jean-Yves Leconte. - Les bandes de vidéosurveillance ont-elles été exploitées par la présidence de la République ?

Au regard du statut du Président de la République, comment comprendre la phrase « qu'ils viennent me chercher » par rapport aux initiatives du pouvoir législatif ou de l'autorité judiciaire ?

Enfin, on constate la prééminence de la présidence de la République sur toutes nos institutions. Vous partagez des conseillers avec le cabinet du Premier ministre. On constate une faiblesse importante des conseillers ministériels. Tout cela concourt au renforcement de la présidence de la République. En tirez-vous des conclusions sur le fonctionnement de l'État et des corrections à y apporter ?

M. Philippe Bas, président. - On est en plein dans le sujet des risques de confusion des pouvoirs. Le fait que des collaborateurs soient à la fois des conseillers du Président de la République et du Premier ministre n'est-elle pas source de confusion, dans la séparation des pouvoirs constitutionnels entre le Président de la République et le Premier ministre ?

Mme Laurence Harribey. - En quoi la modification des missions de M. Alexandre Benalla caractérise la rétrogradation, alors qu'il n'y a pas eu de suspension de salaire et qu'il a été convié à un certain nombre de manifestations auxquelles il n'aurait pas dû participer ?

Comment expliquer le silence entre le 2 mai et le 18 juillet ?

Selon M. Alexandre Benalla, il n'a pas commis un délit, mais « une faute politique ».

M. François Bonhomme. - Monsieur le secrétaire général, un point de précision concernant les obligations déclaratives auprès de la HATVP. Vous avez déclaré que la loi a été respectée.

Je rappelle que ces obligations, si elles avaient été respectées, auraient pu vous éclairer sur la nature des liens entre M. Alexandre Benalla et les sociétés de sécurité privée. Conformément à l'esprit de la loi, elles auraient pu développer votre culture déontologique et prévenir tout conflit d'intérêts.

Ces manquements sont constitutifs d'un délit et relèvent d'une saisine du parquet.

Confirmez-vous que la loi n'a pas été appliquée ? Vous aviez indiqué avoir interrogé vos services pour connaître la pratique. Or la loi est claire et le débat parlementaire a tranché. Les chargés de mission relèvent de cette obligation.

M. Alain Marc. - M. Alexandre Benalla a-t-il recruté des vigiles par l'intermédiaire d'une société de sécurité privée ?

Si cela était le cas, il existerait des « doublons » au sein du personnel de l'Élysée ainsi qu'une difficulté d'articulation avec les services de police et de gendarmerie.

M. Henri Leroy. - Le 2 mai 2018, vous apprenez qu'un des collaborateurs du Président de la République a commis plusieurs infractions. Vous apprenez ensuite qu'il a obtenu des images de vidéoprotection, ce qui est également susceptible de constituer un délit.

Je rappelle que l'article 40 du code de procédure pénale dispose que « toute autorité constituée (...) qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». C'est donc le procureur qui est compétent pour apprécier les faits, pas l'administration !

Or, vous n'avez pas rempli vos obligations au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Pourquoi ? Rétrospectivement, que pensez-vous des fautes commises par M. Alexandre Benalla ?

M. Alexis Kohler. - Concernant la question de M. Jean-Yves Leconte sur les images de vidéoprotection : dès lors que nous avons eu un doute sur leur origine, à la suite d'une alerte de la préfecture de police puis d'une réunion organisée le jour même, nous avons saisi le procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Nous avons également transmis ces images au procureur et engagé, en moins de vingt-quatre heures, une procédure de licenciement à l'encontre de M. Alexandre Benalla.

S'agissant des déclarations du Président de la République, je crois que sa volonté était de refuser une « République des fusibles », dans laquelle on chercherait des boucs émissaires, indépendamment des fautes qui auraient été commises.

Le Président de la République s'estime responsable devant les Français, exclusivement devant eux, comme le prévoit notre Constitution.

M. Jean-Pierre Sueur. - Le Président de la République a récemment déclaré à propos de cette affaire : « qu'ils viennent me chercher ». De qui parlait-il ?

M. Alexis Kohler. - Je pense qu'il s'adressait à tous ceux qui dénoncent son action, qui saisissent cette affaire pour en faire un procès de nature politique. Il ne s'agit en rien d'esquiver de quelconques responsabilités de nature judiciaire, administrative ou disciplinaire.

J'ajoute qu'il faudra tirer les conséquences de cette affaire en réorganisant nos services.

M. Jean-Pierre Sueur. - La Constitution prévoit toutefois un statut particulier pour le Président de la République...

M. Alexis Kohler. - Le Président de la République n'esquive pas ses responsabilités. En vertu de la Constitution, il est responsable devant les Français, comme il l'a d'ailleurs réaffirmé.

Concernant les « conseillers communs » : une douzaine de conseillers travaillent aujourd'hui pour le Président de la République et pour le Premier ministre, dans des domaines variés. Le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) a été consulté ; cela ne pose aucune difficulté en termes de séparation des pouvoirs.

En réponse à Mme Laurence Harribey, je peux vous assurer que la modification des missions de M. Alexandre Benalla a été clairement perçue, y compris par l'intéressé, comme une rétrogradation disciplinaire, voire comme une humiliation. Cette sanction était largement connue de ses collègues.

Monsieur le sénateur François Bonhomme, vous m'avez interrogé sur la saisine de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique : je crois avoir déjà répondu à cette question à la suite des débats qui ont eu lieu ici même hier. J'ai interrogé le Secrétaire général du Gouvernement qui m'a indiqué que selon lui il était préférable de solliciter les intéressés afin qu'ils se manifestent auprès de la Haute Autorité. Pour ce qui est des circonstances de l'époque, je vous confirme que nous n'avons fait que suivre, peut-être à tort, l'instruction judiciaire nous le dira, la pratique qui avait prévalu à la présidence de la République sur cette question au cours de la mandature précédente.

Monsieur le sénateur Alain Marc, vous m'avez interrogé sur le recrutement de vigiles mais je pense vous avoir déjà répondu. En tout état de cause, je ne pourrai pas vous dire qu'aucun des membres du GSPR n'a eu dans sa vie, à un moment donné ou à un autre une activité de sécurité, puisque je ne le sais pas. Cependant, il n'y a pas d'autres membres que les membres du GSPR et ceux du commandement militaire qui assurent la sécurité du Président de la République et certainement pas des vigiles privés.

Enfin, dernier point, le sénateur Henri Leroy m'a interrogé sur l'article 40. Je reviens sur le fait que nous nous serions substitués à un pouvoir d'appréciation du procureur. Dans le cas d'espèce, je ne disposais pas, à l'époque, d'éléments me permettant de penser qu'une infraction pénale de nature délictuelle ait été commise. C'est une question qui sera tranchée par la justice.

M. Philippe Bas, président. - Un aspect important des questions posées est celui dégagé par Jean-Yves Leconte sur l'existence tout à fait officielle de proches conseillers du Président de la République qui sont également des proches conseillers du Premier ministre. C'est la première fois dans l'histoire de nos institutions que ce choix a été fait.

Vous nous dites que vous ne voyez pas ce qu'il pourrait y avoir de contraire à la séparation des pouvoirs dans cette forme d'organisation. C'est pour nous un questionnement important car le titre de la Constitution traitant des responsabilités du Gouvernement est bien sûr distinct du titre de la Constitution qui traite de la responsabilité du Président de la République. Ces responsabilités ne sont pas de même nature.

Le Gouvernement dispose de l'administration et de la force armée. Lui seul exerce à travers les ministres une autorité sur les directeurs d'administration centrale. Le Premier ministre, à travers son cabinet, prend des décisions. Ces décisions figurent dans les relevés de conclusion des réunions interministérielles que l'on appelle communément « les bleus ». Si un conseiller du Président de la République est également conseiller du Premier ministre, l'on est en droit de se demander si la décision du Gouvernement est une décision du Président de la République ou une décision du Gouvernement.

Or, le Président de la République, de par son statut constitutionnel, n'est pas responsable, ni devant le Parlement ni sur le plan pénal, pendant la durée de ses fonctions et pour les décisions qu'il prend en application de ses compétences constitutionnelles. Le Gouvernement, quant à lui, est responsable devant le Parlement. Si bien que, quand un conseiller du Premier ministre prend une décision qui a été validée sous forme de « bleu » de Matignon, pour utiliser le langage commun, cette décision engage la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement et peut faire l'objet d'un contrôle du Parlement au titre de sa mission de contrôle du Gouvernement.

Néanmoins, si cette décision peut apparaître comme une décision d'un collaborateur du Président de la République, la situation est tout autre. Je crois donc qu'il y là une véritable question sur la séparation des pouvoirs dans un régime de dualité de l'exécutif entre présidence de la République et Gouvernement, qui mérite d'être posée. De ce point de vue, il me semble que la question de M. Jean-Yves Leconte est tout à fait légitime.

Ce qui fait l'objet de notre commission d'enquête est justement l'interférence entre un conseiller de la présidence de la République avec le fonctionnement normal d'une opération de maintien de l'ordre. Je suis donc obligé de vous dire, de même que vous avez fait examiner à la suite de notre audition d'hier du directeur de cabinet la question des déclarations d'intérêts et de patrimoine des collaborateurs du Président de la République auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qu'il y a là de mon point de vue une sorte de désordre institutionnel et de confusion à laquelle je crois qu'il serait bon de remédier. J'ai bien entendu la réponse que vous nous avez faite tout à l'heure.

Je crois que, avec beaucoup de spontanéité vous avez considéré qu'il n'y avait pas de problème et que personne ne vous l'avait signalé. Je vous le signale, parce que ce n'est ni une question simple, ni une question banale. Il s'agit de la fusion du Gouvernement et de la présidence de la République, fusion qui n'est pas prévue par la Constitution.

M. Alexis Kohler. - C'est une question qui relève de l'organisation du pouvoir exécutif. Je ne pense pas qu'elle touche à la séparation des pouvoirs. Je souhaite revenir sur l'organisation au sein de l'exécutif et le rôle des cabinets. M. le Président, vous avez occupé le poste que j'ai l'honneur d'occuper...

M. Philippe Bas, président. - C'était la préhistoire et l'ancien monde, je veux bien reconnaitre qu'il y ait des différences.

M. Alexis Kohler. - Je pense que sur le point que je vais soulever, je peux vous indiquer, par anticipation, que rien n'a changé. Les conseillers des cabinets ministériels ne sont pas une autorité politique et n'ont pas vocation à se substituer à elle. Que les conseillers soient communs ou pas, à la fin, et je pense qu'il est bon qu'il en soit ainsi et le reste longtemps, c'est bien l'autorité politique qui prend la décision. Ce ne sont pas les conseillers techniques qui prennent les décisions, ce ne sont pas eux qui signent les décrets, ce ne sont pas eux qui signent les actes de nature règlementaires. Il serait mauvais pour l'organisation de notre pays qu'il en soit ainsi. Pour cette raison, la difficulté que vous semblez voir ne me paraît pas en être une. Je suis désolé de conclure sur ce désaccord entre nous.

M. Philippe Bas, président. - C'est votre appréciation, Monsieur le secrétaire général.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je ne sais pas si nous allons rester sur un désaccord, Monsieur le secrétaire général, mais il y en a un en tout cas entre les déclarations qui nous ont été faites par M. le directeur de cabinet, qui, nous parlant de la sanction infligée à M. Alexandre Benalla, nous a confirmé hier avoir pris seul sa décision, tandis que publiquement, le Président de la République a déclaré mardi que c'était lui qui avait confirmé la sanction. Pouvez-vous nous éclairer sur cette contradiction ?

M. Alexis Kohler. - J'ai répondu incidemment à cette question en vous indiquant qu'il n'y a pas eu de débat entre nous sur ce sujet. Le principe de la sanction et la décision de la sanction étaient de l'ordre de l'évidence. Il était de l'ordre de l'évidence qu'elle intervienne rapidement et qu'elle soit notifiée rapidement. Le directeur de cabinet m'a informé, et non rendu compte, de son souhait de principe de prendre une sanction. Je lui ai donné mon plein accord et j'en ai rendu compte au Président de la République. Le lendemain, le directeur de cabinet m'a informé de la décision qui allait être notifiée à M. Alexandre Benalla. Je lui ai confirmé mon plein accord avec la décision et j'en ai rendu compte au Président de la République.

M. Philippe Bas, président. - Merci, Monsieur le secrétaire général, ce sera le mot de la fin. Je vais vous remettre la lettre que les rapporteurs et moi-même nous venons de signer pour vous demander quelques compléments d'information qui sont apparus nécessaires au fil des questions qui ont été posées et des réponses que vous avez apportées.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de Mme Catherine Di Folco, vice-présidente -

La réunion, suspendue à 11 h 10, est reprise à 11 h 15.

Article 13 de la Constitution - Audition de M. Jean-Raphaël Alventosa dont la nomination aux fonctions de médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques est envisagée par le Président de la République

Mme Catherine Di Folco, présidente. - Nous allons procéder à l'audition de M. Jean-Raphaël Alventosa, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques. À l'issue cette audition publique, nous procéderons au vote qui se déroulera à bulletins secrets comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. Conformément à l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait pas procéder à une telle nomination si les votes négatifs au sein de notre commission et de la commission des lois de l'Assemblée nationale représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

La fonction de médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques a été créée par la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique. Nommé pour une durée de six ans non renouvelable, ce médiateur sera chargé de faciliter les relations entre les établissements de crédit et les candidats, les partis ou groupements politiques, notamment lorsque leurs demandes de prêt sont refusées. Il s'agit ainsi d'un rôle de médiation, dépourvu de tout pouvoir coercitif.

M. Jean-Raphaël Alventosa, candidat aux fonctions de médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques. - Je vous remercie de m'auditionner alors que votre calendrier et l'actualité son très chargés. Je vous présenterai d'abord comment je comprends la mission qui pourrait m'être confiée, si vous en donnez l'autorisation, et ensuite je vous présenterai rapidement mon parcours professionnel antérieur.

La mission tout d'abord. Pourquoi créer un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques ? La loi pour la confiance dans la vie politique a été inspirée par les difficultés rencontrées par des candidats et des partis politiques en matière d'accès au financement bancaire. Son article 30 prévoyait une ordonnance autorisant le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires, sous la forme d'une structure dédiée surnommée « banque de la démocratie », en cas de défaillance avérée du marché, à compter du 1er novembre 2018. Son article 28 prévoit la création d'un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques. Or, en l'absence de défaillance avérée du marché, il a finalement été décidé de ne pas créer de banque de la démocratie. La ministre de la justice s'est exprimée à ce sujet, le 16 juillet, devant l'Assemblée nationale. Ainsi, seul l'article 28, relatif au médiateur, est opératoire. Il existe en effet des difficultés qu'il convient de traiter, résiduelles dans les cas de demandes de prêt, plus notables dans les cas de demandes d'ouverture de compte.

D'après ce que j'ai lu, les difficultés, rapportées par les partis et certains candidats lors des campagnes récentes, semblent s'expliquer principalement par le risque de crédit que répugnent à prendre les banques, ainsi que par des démarches insuffisantes des candidats qui conduisent aux refus des banques. Certains dysfonctionnements s'expliquent par la méconnaissance mutuelle entre les acteurs : les banques méconnaissent souvent les problématiques relatives aux candidats et aux partis, notamment les règles et délais liés aux échéances électorales, tandis que les candidats et les partis connaissent mal les outils financiers mobilisables et leur fonctionnement. L'articulation entre les délais d'octroi de prêt et les échéances électorales peut poser des difficultés car les banques attendent en général l'ouverture de la campagne officielle pour rendre leur décision de crédit. Les candidats qui engagent des démarches auprès des banques pour obtenir un emprunt ne savent pas non plus toujours à qui s'adresser, sollicitent rarement plusieurs acteurs et font peu jouer la concurrence. Si je suis nommé, j'enquêterai sur ces difficultés. Dans ces cas, un médiateur pourrait limiter les problèmes, en principe résiduels.

Aux termes de l'article 28 de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques est chargé de concourir au financement légal et transparent de la vie politique, c'est-à-dire de favoriser ou susciter toute solution de conciliation en matière de prêt et d'accès à un compte bancaire, en facilitant le dialogue entre le demandeur - les candidats à un mandat électif, les partis politiques, les groupements politiques, les mandataires financiers ou les associations de financement électorales - et les établissements de crédit et les sociétés de financement, afin de favoriser l'égalité de tous devant le suffrage, l'expression pluraliste des opinions et la participation équitable des partis politiques à la vie démocratique de la Nation. Le décret du 27 mars 2018 précise les conditions de la saisine et la procédure de médiation.

Le médiateur aura pour mission de mettre en relation les acteurs et de régler les difficultés résiduelles. Il devra orienter les candidats et les partis vers les acteurs bancaires et les outils existants. Il interviendra aussi auprès des acteurs bancaires pour les inciter à répondre favorablement aux demandes malgré les risques supposés. Enfin, les candidats et les partis pourront saisir le médiateur en cas de problèmes de refus d'ouverture de compte et de refus de crédit.

Son travail devrait être, au moins dans un premier temps, plus simple que celui qui relève de la médiation du crédit aux entreprises, qui se caractérise par des secteurs variés, des outils de financement complexes, des situations diverses, et la mobilisation de dispositifs publics spécifiques (garanties de la BPI). Au contraire, a priori, l'analyse des risques d'un crédit aux candidats ne pose pas de difficulté de principe car il s'agit de crédits standards. La difficulté résidera dans le caractère cyclique de l'activité, avec un pic de charge considérable lors des élections. La capacité à traiter correctement un éventuel « effet avalanche » sera déterminante dans le succès du dispositif.

La saisine du médiateur est encadrée : elle sera recevable si le demandeur a fait face, au cours des six derniers mois précédant sa demande, à deux refus (de prêt ou d'ouverture de compte) ; la demande devra intervenir dans un délai donné avant le premier tour du scrutin (dix jours ouvrés en matière de prêt, cinq jours ouvrés en matière d'ouverture de compte). Une fois saisi, le médiateur disposera de deux jours pour statuer sur la recevabilité de la demande d'un candidat et de cinq jours pour les demandes relatives à un prêt pour les partis ou les groupements politiques.

La procédure de traitement des demandes est plus classique. Contrairement à la saisine, elle pourrait s'inspirer de celle appliquée dans la médiation du crédit aux entreprises. Les établissements de crédit ou sociétés de financement seraient informés immédiatement de l'ouverture d'une médiation les concernant. Ils auraient deux à cinq jours pour indiquer s'ils reviennent sur leur décision. Le médiateur devra, sans attendre, trouver une solution : soit saisir d'autres établissements, soit proposer toute solution qu'il jugera utile, que, comme dans toute médiation, les parties seront libres de refuser.

Il me semble nécessaire que le médiateur connaisse bien le marché du crédit aux candidats et aux partis. Il lui appartiendra de mener une action de veille et de suivi pour posséder une connaissance fine des acteurs bancaires et des outils mobilisables par les candidats et les partis. Je pense qu'une documentation devrait pouvoir être élaborée à cette occasion, utilisable de manière quasi-automatique.

Enfin, pour anticiper les éventuelles difficultés, le médiateur devra mener une action de pédagogie, notamment sur les délais. Un des moyens sera de référencer les bonnes pratiques ; les procédures et les délais devraient être standardisés. Des accords généraux pourraient être passés avec les banques. Le médiateur pourrait aussi fournir aux candidats une documentation sur les délais, les formes à respecter en matière de demande de crédit et la palette des outils mobilisables. L'inconnu viendra du surgissement aléatoire d'un nombre plus ou moins grand de candidats de manière concomitante avant les élections.

L'objectif sera donc d'instaurer un dialogue serein et efficace avec tous les acteurs pour réduire au maximum les inconnues et éviter un déferlement de difficultés au moment des élections. Pour cela, il sera évidemment important de travailler avec les banques et les services de la Banque de France. Les banques connaissent les procédures de médiation, mais pas encore en matière de financement politique : on conçoit facilement leurs hésitations, compte tenu des contraintes réglementaires, ou des réglementations spécifiques qu'elles ne maitrisent pas toujours. Plus globalement, elles peuvent aussi s'inquiéter des risques pour leur réputation locale ou nationale. Le médiateur devra donc établir un lien de confiance avec les établissements concernés, afin de rendre visible sa fonction, tout en les rassurant sur l'objectif qui est de faciliter le financement de la vie politique, sous certaines conditions. Il lui faudra aussi travailler en intelligence avec la Banque de France et s'appuyer sur ses services départementaux, qui connaissent déjà la médiation du crédit aux entreprises et qui sont proches des parties prenantes.

Pour réussir dans sa mission, le médiateur devra aussi bien cerner les contraintes de la vie politique, notamment liées aux élections, être en relation avec les partis et les groupements politiques, notamment les trésoriers, pour pouvoir préparer au plus tôt la résolution des conflits. Il devra être à l'écoute de tous les partis sans exclusive, afin de pouvoir faire en sorte que tous aient un égal accès au financement. Il devra aussi collaborer avec les services préfectoraux qui sont les interlocuteurs privilégiés des candidats.

Le médiateur devra veiller à l'indépendance et à l'impartialité de ses actions. En raison de la nouveauté du dispositif et de la sensibilité des questions traitées, les attentes seront fortes et son action pourrait susciter quelques interrogations. Il devra agir hors de toute influence partisane ou professionnelle, d'autant plus qu'il sera fonctionnellement rattaché au ministère de l'intérieur. Il ne pourra avoir de mandat national. Il ne pourra recevoir aucune instruction d'aucune autorité. Il ne pourra non plus avoir d'intérêts financiers dans les établissements.

Le dispositif est inédit. Son démarrage sera crucial. La loi prévoit que le médiateur remette un rapport annuel sur son action. En application du décret, il doit remettre aussi un rapport aux ministres signataires, au plus tard le 30 septembre 2019, dans lequel il établira un bilan de sa mission et proposera des mesures d'amélioration, notamment réglementaires. L'expérience des élections européennes permettra de mieux identifier les besoins et les réponses pouvant être apportées. S'agissant des moyens, son équipe sera resserrée. Peut-être sera-t-il utile de la renforcer dans les mois précédant chaque élection compte tenu du pic de charge prévisible. En conclusion, je rappelle que le dispositif de médiation pour les entreprises s'est révélé efficace et a été conforté par tous les acteurs.

J'en viens maintenant à mon parcours. Je suis un fonctionnaire de l'État. J'ai travaillé de manière rapprochée avec de nombreux responsables politiques, notamment Henri Emmanuelli, Pierre Joxe, puis François Léotard, Charles Millon, Alain Richard, Philippe Séguin, etc. J'ai toujours travaillé dans des secteurs difficiles, le plus souvent en crise ou à réformer profondément et rapidement. Ma première expérience a été la réforme d'un secteur agricole, le secteur de la production d'alcool de betteraves, au début des années 80 ! J'avais dû, alors que j'étais conseiller au cabinet du ministre du budget, négocier pendant deux ans, directement avec les betteraviers, pour supprimer le privilège budgétaire dont ils jouissaient depuis la première guerre mondiale. Le projet fut voté à l'unanimité par les deux chambres. J'ai beaucoup travaillé aussi à l'époque sur la décentralisation.

J'ai géré pendant plusieurs années, en concertation avec les organisations syndicales, une des premières réformes du statut de la police nationale pour décloisonner les corps. Dans un registre différent, j'ai également initié, sans dommages, les premières coupes importantes dans le budget de la défense.

Soucieux de pédagogie, j'ai été professeur pendant quelques années à l'Université de Paris V, où mon enseignement portait sur la prospective de l'État, son fonctionnement et surtout ses dysfonctionnements. J'ai constamment collaboré avec le ministère des finances pour améliorer les règles de gestion de l'État, et j'ai aussi activement participé à l'élaboration de la LOLF de 2001. J'ai souhaité participer à la mise en oeuvre de cette constitution financière, en travaillant du côté du contrôleur, c'est-à-dire pour la Cour des comptes pendant une dizaine d'années.

J'ai monté un cours de management public à l'École nationale d'administration, au début des années 2000, car je considère que le lien entre la pratique et la théorie est essentiel dès lors qu'il s'agit de la gestion de l'État.

Je tente d'expliquer dans beaucoup d'enceintes internationales, au nom de la Cour des comptes, que la vision du contrôle supérieur de l'État devrait être améliorée.

L'expérience que j'ai acquise tout au long d'un chemin semé de réussites mais aussi d'échecs m'a donné un certain sens de la gestion des crises, ce qui justifie sans doute la proposition de ma nomination par l'exécutif. Enfin, je crois pouvoir dire que j'ai une passion pour le service de l'État.

Mme Catherine Di Folco, présidente. - Ce propos liminaire nous montre que vous avez cerné les contours de la loi et de cette mission.

Vous avez occupé plusieurs postes à haute responsabilité, notamment au sein de l'ancienne direction de la comptabilité publique et des services financiers du ministère de la défense. Vous avez également été nommé conseiller maître de la Cour des comptes en 1999 et vous avez été son directeur des relations internationales entre 2011 et 2015. Quelle est, plus précisément, votre expérience professionnelle en matière de financement de la vie politique et de droit électoral, mais aussi de fonctionnement du système bancaire ? Avez-vous déjà travaillé au sein des établissements de crédit ou participé à leur contrôle ?

M. Jean-Raphaël Alventosa. - Je n'ai jamais travaillé au sein de services financiers. Mon parcours s'est accompli entièrement au sein des services de l'État, qu'il s'agisse de décentralisation, de police nationale, de défense ou du secteur de la production de l'alcool de betteraves.

Pour ce qui est du financement de la vie politique, je n'en connais que ce que j'en ai entendu dire et je n'ai aucune expertise. J'ai bien compris que l'article 30 sur la création de la banque de la démocratie avait donné lieu à des difficultés d'interprétation. La ministre de la justice estime qu'il n'y a pas lieu de créer cette institution dans la mesure où la défaillance n'est pas avérée. Mon expérience du financement de la vie politique reste cependant toute récente.

Mme Catherine Di Folco, présidente. - Vous n'avez pas participé au contrôle d'établissements de crédit ?

M. Jean-Raphaël Alventosa. - Non.

Mme Catherine Di Folco, présidente. - Avez-vous déjà participé au fonctionnement concret d'une campagne électorale, notamment pour apprécier la rigueur des règles imposées aux candidats ? Avez-vous déjà occupé la fonction de mandataire financier lors d'une campagne électorale ?

M. Jean-Raphaël Alventosa. - Non, et c'est d'ailleurs pour cela qu'on a choisi mon profil. Je n'ai jamais oeuvré, ni dans les banques, ni dans le financement électoral. Comme citoyen, je participe bien sûr à la vie de ma commune et j'ai entendu parler des difficultés rencontrées par certains candidats.

Mme Catherine Di Folco, présidente. - Les bénévoles qui oeuvrent auprès des candidats sont parfois en difficulté face à la complexité du droit électoral...

M. Jean-Raphaël Alventosa. - D'après ce que j'ai lu, 94 % des élus aux législatives ne rencontrent aucun problème. En revanche, les banques font preuve d'une grande réserve à l'encontre des partis ou des candidats moins connus. Le médiateur doit faire en sorte que tous ceux qui souhaitent dire quelque chose à la nation puissent être entendus.

Il sera difficile de gérer des milliers de demandes dans les conditions fixées par le décret. J'espère que les difficultés ne concerneront que peu de cas.

Mme Catherine Di Folco, présidente. - En 2006, vous écriviez dans la revue Pouvoirs que le « règne de l'audimat, qui dicte des choix rapidement enlevés, relève de la démagogie et du plébiscite et privilégie les réactions à chaud ». Comment appréhenderez-vous la pression médiatique dont pourrait faire l'objet le médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, notamment au moment de l'élection présidentielle ?

M. Jean-Raphaël Alventosa. - Comptez sur mon indépendance connue de tous ceux de ma génération pour échapper au règne de l'audimat et ne pas céder à l'empressement. Dans le monde, la plupart des institutions de contrôle cèdent à la pression médiatique, ce qui les empêche de procéder à l'évaluation des politiques publiques. Il y a un temps pour l'urgence et un temps pour la réflexion. Établir le bon diagnostic est la condition sine qua non pour trouver le bon remède.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Avez-vous une estimation du nombre d'équivalents temps plein (ETP) dont vous bénéficierez ? Comment assurerez-vous leur indépendance sur un sujet aussi sensible que celui du financement de la vie politique ? De quels relais disposerez-vous dans les territoires en vue des élections municipales de 2020 ? Comment améliorer le contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne et de financement de la vie politique sur les comptes des partis et groupements politiques et sur les comptes de campagne ?

M. Jean-Raphaël Alventosa. - Je suis un fonctionnaire souvent partagé entre les problèmes financiers et les problèmes de métier. Je privilégie la voie moyenne, dans une sagesse que j'espère bonne conseillère. J'aurai peu de moyens et j'en demande très peu. Je disposerai de deux ETP fournis par le ministère de l'intérieur, dont une secrétaire et un attaché. J'ai la prétention de penser que trois personnes suffisent pour faire un diagnostic. Je compte reprendre l'analyse avec l'ensemble des partis politiques et des services bancaires. Le réseau existe, il suffit de le faire fonctionner. En tant qu'ancien professeur de management public, je sais que c'est possible.

Quant au problème d'indépendance, je lirai avec précaution les CV pour sélectionner les profils les mieux à même de fournir le plus de garanties. Une équipe de trois personnes, c'est modeste ; si elle est de qualité, ce sera un gage de succès.

Les préfectures et les banques seront autant de relais dans les territoires. L'exécutif a écarté la création de guichets. Nous n'avons pas besoin qu'il y en ait partout. L'administration française est composée de gens dévoués et compétents. Je m'appuierai sur elle et cela devrait fonctionner.

Nous aurons peu de temps pour poser le diagnostic, car j'aimerais pouvoir le faire avant la fin de l'année, en tout cas avant les élections européennes.

J'ai commencé à réfléchir aux améliorations possibles. Si la médiation ne pouvait pas fonctionner, au-delà des problèmes de logistique, il faudrait faire des propositions y compris à caractère réglementaire et législatif, comme le prévoit le décret.

M. Jean-Yves Leconte. - À quels mission et programme budgétaire serez-vous rattaché ?

Je vous trouve bien optimiste. Nous travaillons sur le droit au compte qui a ses spécificités pour les Français de l'étranger. On nous a souvent indiqué que les échanges avec les banques étaient difficiles, notamment à cause d'une application trop rigoureuse de la quatrième directive anti-blanchiment qui vise les personnes politiques exposées. Des témoignages font ressortir les difficultés de mise en oeuvre de ce texte depuis 2017.

En outre, votre mission fonctionnera par à-coups : les élections européennes seront gérables, les élections locales sans doute plus difficiles, car les candidatures seront plus nombreuses. Comment parviendrez-vous à la mener à bien sans modification législative d'ici 2020 ? Vous aurez besoin d'une analyse très en amont.

M. Jean-Raphaël Alventosa. - Soyez persuadé que je suis conscient de la difficulté de la mission qui repose sur le nombre de cas difficiles à régler. Je saurai très vite où sont les points sensibles. Le programme « Vie politique » du ministère de l'intérieur dont relève la médiation ne fera pas de moi un représentant de ce ministère, d'autant que l'exécutif m'a surtout choisi pour ma réputation d'indépendance.

Le droit au compte pose effectivement une difficulté, en termes de délais, souvent bien trop longs. Il faudra y remédier tant du côté des acteurs financiers que des candidats.

Je reste sceptique sur les trois risques avancés par les banques qui ne souhaitent pas développer ce qui pourrait pourtant devenir un marché pour elles, à savoir l'accès au crédit, l'image et la non-conformité juridique aux réglementations européennes. Au-delà des discours, le risque lié au crédit n'existe que dans le cas exceptionnel où les comptes de campagne seraient rejetés. Quant au non remboursement par l'État des frais de campagne au candidat, c'est un risque qui n'est pas plus lourd que celui qu'induit un crédit à la consommation, car des assurances de rehaussement existent qui couvrent le débiteur dont la qualité est insuffisante.

Les banques ont prononcé 44 refus liés à des raisons de non-conformité juridique. Ces refus ont concerné 42 % des candidats aux législatives et 62 % d'entre eux ont estimé qu'ils n'étaient pas justifiés. Pour l'instant, le risque de non-conformité à la réglementation semble surdimensionné. En général, les candidats aux élections ne sont ni des fraudeurs, ni des facteurs de terrorisme, ni même des personnalités politiques exposées... De plus, la réglementation ne permet pas de refuser une relation d'affaires sous prétexte qu'elle impliquerait une personne politique exposée.

Quant au risque lié à l'image, je n'y crois pas. Depuis le 1er janvier 2018, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est tenue de publier l'identité des prêteurs. Attendons quelques mois pour mesurer les effets de cette obligation. Il n'y a pas de risque de réputation, ni de risque prudentiel qui mettrait en cause la solvabilité et les fonds propres de la banque.

Il n'y a donc pas de risque d'image : l'image dépend de la politique de communication et de la politique commerciale de la banque.

Bref, il y a des difficultés, mais il ne faut pas les grossir avant la mission, et avant d'avoir entendu toutes les parties prenantes. Il faudra au moins passer le cap de 2019 !

M. Christophe-André Frassa. - Le médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques sera investi d'une mission de médiation, sans aucun pouvoir coercitif à l'égard des établissements de crédit. Que feriez-vous, concrètement, si le système bancaire refusait un prêt à un parti politique solvable ? Si une banque refusait d'ouvrir un compte au nom d'un candidat à une élection, ou lui offrait un accès limité aux moyens de paiement ? Lors des dernières élections législatives, 42 % des candidats se sont vu refuser l'ouverture d'un compte bancaire.

Mme Agnès Canayer. - Initialement, l'action du médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques devait être complétée par la création d'une banque de la démocratie, projet qui semble devoir rester dans les cartons et sur lequel le Sénat avait émis de sérieuses réserves. L'inspection générale de l'administration (IGA) et l'inspection générale des finances (IGF) ont rendu un rapport sur ce sujet. Quelle est votre opinion sur cette banque de la démocratie ?

M. Jean-Raphaël Alventosa. - Bien sûr, une banque peut refuser. La jurisprudence de la Cour de cassation dit qu'une banque exerce un métier commercial qui est libre : elle n'est pas obligée d'ouvrir un compte ou d'octroyer un prêt. Que pourra faire le médiateur ? Demander les raisons pour lesquelles la banque refuse. Trouver d'autres banques, aussi, puisque le rapport de l'IGA et de l'IGF, dont j'ai eu connaissance très récemment, fait état d'un marché financier intéressé par ce secteur. Cela dit, je rappelle que 94 % des candidats aux élections législatives qui ont recueilli plus de 5 % des suffrages n'ont eu aucun problème à contracter des emprunts. Il faudra surtout s'enquérir des raisons, car il y a souvent beaucoup de non-dits de part et d'autre. Nous n'allons pas non plus obliger les banques à faire un métier qui n'est pas le leur...

Il ne m'appartient pas de parler de la banque de démocratie mais je peux comprendre, comme citoyen et comme ancien financier, qu'on n'aille pas si vite. Sans préjudice de ce que vous déciderez le moment venu, il ne me paraît pas forcément nécessaire de créer une banque parce qu'on a quelques problèmes avec un certain nombre de personnes. Le rapport de l'IGA et de l'IGF était censé justement apporter un peu de clarté : il en ressort qu'il n'y a pas de défaillance avérée du marché. Prudence, donc : c'est le sens de la solution du médiateur, avant de faire intervenir la cavalerie lourde s'il le faut dans quelques années.

Mme Catherine Di Folco, présidente. - Merci.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 12 h 10, est reprise à 12 h 15.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Raphaël Alventosa aux fonctions de médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques

Mme Catherine Di Folco, présidente. - Nous avons procédé à l'audition de M. Jean-Raphaël Alventosa, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques.

Nous allons désormais procéder au vote.

Le vote se déroulera à bulletins secrets, comme le prévoit l'article 19 bis du Règlement du Sénat, et les délégations de vote ne sont pas autorisées, en vertu de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote.

Le dépouillement se déroulera le mardi 31 juillet 2018 à 14 h 15, de manière simultanée avec la commission des lois de l'Assemblée nationale.

Il est procédé au vote.

La réunion est close à 12 h 20.