Mercredi 18 décembre 2019

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures 5.

Audition de M. Stéphane Richard, président-directeur général d'Orange

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous recevons aujourd'hui M. Stéphane Richard, président-directeur général d'Orange. Nous sommes ravis de vous recevoir, car cela faisait cinq ans que notre commission ne vous avait pas entendu, nous aurons donc de nombreuses questions à vous poser !

Votre groupe, que l'on désigne encore comme « l'opérateur historique » dans les télécoms, reste le premier opérateur en France, tant sur les services en usage fixe que sur les services en usage mobile, et les télécoms restent votre coeur de métier. Sur ce secteur, Orange se remet progressivement des difficultés connues au début des années 2010, mais les résultats publiés pour le troisième trimestre apparaissent toujours en retrait dans l'Hexagone.

Vous reviendrez sans doute sur l'actualité du secteur, s'agissant des prix pratiqués, de la situation concurrentielle et de l'arlésienne de la consolidation, mais aussi et surtout s'agissant des investissements, auxquels nous sommes tous très attentifs, vous le savez, car nous avons à coeur de mettre fin à la fracture numérique que connaît notre territoire. Comme cela a pu être souligné par Anne-Catherine Loisier à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances, le rythme de déploiements en fibre optique est impressionnant et nous espérons qu'il le reste ! Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises, pourra sans doute compléter mon propos en soulignant que le Sénat est également très attentif au marché à destination des entreprises.

Vous reviendrez également sur le plan stratégique de votre entreprise que vous avez récemment présenté. En termes de modèle d'affaires, votre plan met en avant des cessions d'infrastructures auprès de véhicules juridiques dédiés, en vue de profiter de l'effet de levier pouvant provenir de co-investisseurs. Cette stratégie fait écho aux diverses cessions d'infrastructures effectuées par vos concurrents en France, en particulier sur les pylônes de téléphonie mobile. Cette tendance ne manque pas de nous interroger. Est-ce une tendance globale en Europe ou ailleurs ? Contrairement à d'autres, votre groupe n'est pas surendetté : quelles sont, dès lors, vos motivations ? Quelle est la motivation des fonds d'investissement pour investir dans le réseau des opérateurs ? Doit-on s'inquiéter de la venue d'investisseurs étrangers au capital pour des infrastructures aussi stratégiques ? Doit-on s'inquiéter du bon respect des obligations pesant sur les opérateurs ? Cela traduit-il un désengagement des opérateurs de leur métier de base ? Enfin, quelle sera votre stratégie sur les infrastructures 5G, qui seront encore plus critiques du point de vue stratégique ?

Ce plan stratégique a fait l'objet d'un accueil timoré des marchés financiers. Vous reviendrez sans doute sur votre compréhension de cette réaction.

Par ailleurs, confronté, comme vos homologues et concurrents, à des prix bas, votre groupe tâche de trouver des relais de croissance à travers des opérations de diversification : diversification dans les services proposés, d'abord, en investissant par exemple sur les contenus et dans les services bancaires ; diversification dans le champ géographique de votre activité, ensuite, avec, au-delà de l'Europe, l'Afrique pour premier horizon. Quel bilan tirez-vous de cette stratégie de diversification ?

En tant qu'opérateur historique, certains sujets vous sont propres. S'agissant de la qualité de service du réseau cuivre, vous pourrez dresser un premier bilan des actions engagées par votre groupe il y a bientôt un an à la demande du régulateur. C'est un sujet essentiel pour les territoires qui ne bénéficient pas encore d'une solution alternative.

Quelques questions enfin sur l'actualité législative du secteur des télécoms. Selon vous, le projet de loi audiovisuel publié par le Gouvernement il y a près de deux semaines permettra-t-il d'éviter les conflits entre opérateurs télécoms et les chaînes de télévision pouvant se traduire par une coupure de signal ?

Par ailleurs, les opérateurs télécoms soulignent souvent l'iniquité de traitement réglementaire et fiscal qu'ils subissent par rapport aux géants du numérique. Nous avons récemment déposé, au nom de la commission, une proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, qui propose de nouvelles régulations économiques du numérique. Nous serions intéressés d'entendre votre avis.

M. Stéphane Richard, président-directeur général d'Orange. - J'aborderai dans mon propos quelques sujets qui me paraissent plus importants que d'autres.

Avant d'en venir à la question des réseaux en France, je veux évoquer la situation du secteur des télécoms sur le continent européen par rapport au reste du monde. Comment l'Europe a-t-elle traité ces questions d'infrastructures de télécommunications et ces marchés depuis vingt ans par rapport au reste du monde ?

Si l'on prend un panier de consommation standard dans la téléphonie mobile, à savoir un forfait avec voix et messagerie en illimité et 20 gigaoctets de données par mois - ce qui est supérieur à la consommation moyenne -, son coût moyen dans les vingt-sept pays de l'Union européenne est de quinze euros par mois, c'est-à-dire la moitié de ce que coûte une nuit de stationnement dans un parking parisien. Quinze euros par mois pour un service certes pas vital, mais essentiel dans la vie quotidienne des gens.

En Chine, au Japon et en Corée - ces deux derniers pays ayant des niveaux de développement comparables -, qui forment la plaque asiatique, le même forfait coûte trente euros par mois. Aux États-Unis, le prix moyen est de cinquante euros par mois.

En Europe, depuis vingt ans, les politiques publiques en matière de régulation et d'attribution de fréquences ont consisté prioritairement à proposer des prix aussi bas que possible au consommateur. Un moyen a été la multiplication du nombre des opérateurs - on compte à ce jour environ 140 opérateurs mobiles sur le territoire de l'Union européenne à vingt-sept, contre trois en Chine pour 1,3 milliard d'habitants, trois aux États-Unis, trois au Japon, trois en Corée. Notre industrie est totalement fragmentée.

On ne s'est pas beaucoup interrogé en Europe sur les conséquences de cette politique sur les opérateurs. Ils se sont adaptés au prix d'une réduction massive de leurs effectifs. Par exemple, en Espagne, Telefónica comptait il y a vingt ans 76 000 salariés ; ils sont aujourd'hui 18 000. Cette transformation, pour qu'elle soit socialement acceptable, a coûté 16 milliards d'euros à Telefónica.

Il faut avoir cette toile de fond à l'esprit pour comprendre comment nous pouvons essayer de relever un certain nombre de défis en Europe.

J'en viens maintenant à la question des réseaux en France, le réseau fixe d'abord.

La grande affaire du moment, c'est le déploiement de la fibre optique. La machine fonctionne à plein régime et beaucoup d'engagements ont été pris. La France a fait un choix que je salue - Orange en a été la locomotive depuis le départ -, celui de couvrir la plus grande part possible du territoire français en fibre optique jusqu'à l'abonné. Ce choix est quasiment unique, dans cette proportion, en Europe. Seule l'Espagne a aussi fait le choix de la fibre optique, et encore dans des conditions différentes, puisque, dans ce pays, on a laissé faire le marché plus qu'en France, pays de tradition plus volontariste. En Espagne, on compte deux grands acteurs : Telefónica et nous-mêmes, qui avons beaucoup investi dans la fibre. Ailleurs en Europe, la fibre optique n'est quasiment pas déployée : ni en Allemagne, avec laquelle on se compare toujours - voilà un domaine dans lequel la France a déjà une avance gigantesque et nous sommes devant un mur d'investissements -, ni au Royaume-Uni, ni en Italie, ni en Belgique, tandis qu'elle est à peine déployée dans les pays de l'Europe centrale.

Ce déploiement est certes le résultat d'une volonté politique, mais les opérateurs ont dû faire le travail, surtout Orange. Au 30 septembre 2019, sur les presque 17 millions de foyers raccordés à la fibre optique en France, toutes zones confondues - zones très denses, zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII) et réseaux d'initiative publique (RIP) -, près de 12 millions l'ont été par Orange, soit 70 %.

Nous raccordons actuellement 10 000 logements chaque jour et nous apportons la fibre optique à un foyer français toutes les quatre secondes, essentiellement en zones AMII, zones ni tout à fait rurales ni tout à fait urbaines, mais aussi dans les RIP.

Au cours des trois dernières années, Orange a investi un peu plus de 3 milliards d'euros dans le seul déploiement physique de la fibre optique. Cet effort d'investissement se poursuivra au cours des trois prochaines années, l'objectif, dans les conditions fixées par la loi et le régulateur, étant d'assurer à hauteur de 95 % environ ce déploiement en zone moyennement dense d'ici à la fin de 2021. C'est là un chantier considérable.

Presque tous les territoires se sont dotés d'un RIP. Orange assurera environ 30 % du déploiement. Deux questions se posent : d'une part, qu'attend-on de nous s'agissant des RIP que nous opérons, selon des régimes juridiques différents ; d'autre part, qu'en est-il des RIP que nous n'opérons pas ?

S'agissant des RIP que nous opérons, nous essaierons de tenir nos engagements. Le chantier est gigantesque et il faut bien comprendre que nous pouvons faire face à des aléas de production.

S'agissant des RIP que nous n'opérons pas, nous avons clairement dit que nous en serions les clients. La raison en est simple : nos clients actuels qui utilisent le cuivre veulent passer sur la fibre quand elle est disponible, le cas échéant à travers ces RIP tiers. Nous avons commencé à acheter de la fibre via ces RIP, dont nous sommes, et de loin, le premier client. Dans le passé, il a pu y avoir une ambiguïté, mais elle n'a plus lieu d'être.

S'agissant des RIP que nous opérons, nous avons effectivement décidé de créer au sein d'Orange une entité baptisée Orange Concessions afin d'y placer les quatorze RIP dont nous avons été attributaires sur l'ensemble du territoire. Cette entité portera nos investissements dans ces RIP, à savoir un peu plus de 1,5 milliard d'euros. L'objectif est aussi qu'un ou plusieurs partenaires financiers se joignent à nous pour apporter des fonds et soulager un peu notre effort d'investissement, compte tenu des autres investissements que nous devons faire - déploiement de la fibre, de la 5G... Comme toute entreprise, nous essayons d'optimiser l'allocation de nos ressources. À l'échelle du groupe, nos investissements se montent à presque 8 milliards d'euros par an.

Ce mécanisme ne remet pas en cause les engagements pris à l'égard des collectivités. Au contraire, il nous permettra, avec l'appui de partenaires que nous sélectionnerons - pas des fonds spéculatifs américains ! -, de sécuriser nos opérations.

J'en viens au cuivre, qui soulève deux questions : l'entretien du réseau cuivre, sujet récurrent, et l'avenir de ce réseau. Chacun doit comprendre qu'on ne pourra conserver indéfiniment deux réseaux fixes en France : un réseau de fibre optique et un réseau de cuivre. La perspective qui s'offre à nous, c'est celle du « décommissionnement » du cuivre, c'est-à-dire son retrait. Ce processus a déjà démarré : au cours des quatre dernières années, 80 000 tonnes de cuivre ont déjà été retirées de nos réseaux en France, en particulier dans les zones très denses, où la fibre a été largement déployée.

Nous estimons qu'une dizaine d'années seront nécessaires pour mener à son terme ce processus, soit à l'horizon de 2030. Les opérations de « décommissionnement » débuteront réellement en 2023. Le délai fixé par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) est de cinq ans entre le moment où est annoncée la sortie du cuivre et le moment où celle-ci est effective afin de permettre aux utilisateurs et aux collectivités de gérer correctement cette transition. Nous pensons d'ailleurs que ce délai de cinq ans est trop long, et c'est la raison pour laquelle nous avons demandé à l'Arcep de raccourcir ce délai de façon que l'on puisse s'engager plus nettement dans un processus de disparition du cuivre.

En attendant, le réseau cuivre rend encore beaucoup de services et il subit malheureusement aussi de nombreux chocs, notamment des chocs météorologiques. Se pose également la question du service universel.

Ce réseau cuivre est vulnérable aux incidents météorologiques comme les tempêtes ou aux tremblements de terre. Comme Enedis avec son réseau de distribution de l'électricité, nous avons été très affectés ces derniers temps par tout ce qui s'est passé en Aquitaine et en Drôme-Ardèche. D'ailleurs, on n'a pas forcément mesuré à leur juste mesure les dégâts causés par ces chutes de neige sur les infrastructures. Pour Enedis, le coût de cette séquence météo très précoce dans l'année n'avait jamais été atteint ces dernières années. Pour notre part, nous avons dû faire appel à plus de 750 techniciens venus en renfort de toute la France pour procéder au plus vite aux réparations nécessaires. Tout n'est pas encore réglé, et j'écoutais d'ailleurs à la radio ce matin un reportage dans lequel un habitant d'un petit village de l'Ardèche se plaignait que sa ligne, depuis le 14 novembre, n'avait toujours pas été rétablie. Mais les travaux à mener sont considérables, sachant que plusieurs milliers de poteaux ont été mis à terre. Surtout, il ne suffit pas de redresser un poteau pour que la ligne passe de nouveau : nous avons eu beaucoup de dégâts dans nos installations fixes, qui nécessitent des travaux beaucoup plus longs.

Sachez en tout cas que nous avons engagé un plan spécifique pour consacrer davantage de moyens au traitement de la boucle locale cuivre. Nous avons ainsi recruté 500 personnes de plus que ce qui était prévu, augmenté en 2019 de 17 % le budget de maintenance et de réparation par ligne de cuivre, et mis en place une sorte de task force centralisée qu'on déploie quand survient un problème météorologique.

Les indicateurs Arcep du service universel sont respectés, il n'y aura pas matière à sanction. Le service universel est un peu surréaliste : personne ne peut le faire, et personne ne veut être candidat. Nous étions le seul candidat, et s'il n'y avait eu personne, nous aurions été contraints de le faire... Le service universel ne rapporte que des coûts et des ennuis ; en cas de dysfonctionnement, nous risquons d'énormes sanctions économiques. Néanmoins, nous sommes heureux d'être l'opérateur du service universel, nous mettons les moyens nécessaires et nous serons au rendez-vous des indicateurs de suivi.

Nous avons plusieurs chantiers sur la téléphonie mobile. Nous déployons la 4G. Le « New Deal » entre les opérateurs et l'État prévoit 5 000 sites supplémentaires pour améliorer - enfin ! - la couverture des zones blanches - les résorber totalement serait compliqué... C'est énorme, sachant qu'Orange a 22 000 sites. Cela changera totalement la donne. En contrepartie, l'État nous a attribué plus longtemps les fréquences de téléphonie mobile sans coût supplémentaire. Certes, on trouve toujours le temps trop long, car les délais s'empilent entre les différents acteurs, mais le plus souvent ce n'est pas la faute des opérateurs. En France, construire une antenne prend en moyenne deux ans entre l'identification du site et la mise en service, contre huit mois en Allemagne...

Mme Sophie Primas, présidente. - Si ce n'est pas avant les élections municipales...

M. Stéphane Richard. - À cela s'ajoute que nous ne recevons pas toujours un accueil très chaleureux lorsque nous installons une antenne ; les gens veulent avoir une bonne couverture réseau, mais sans antennes... Mais nous respectons les délais du « New Deal ».

Nous sommes dans les starting-blocks sur la 5G. Orange est présent en France, mais réalise la moitié de son activité ailleurs, principalement en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Il y a un mois, nous avons lancé la 5G en Roumanie. En 2020, nous serons prêts à le faire partout où nous aurons des fréquences et des conditions claires sur le déploiement physique, et notamment sur les partenaires industriels. En Espagne, nous avons acheté des fréquences, et nous commençons le déploiement. En France, le déploiement se fera à l'été 2020.

Faut-il travailler avec Huawei ? Huawei est, de très loin, le premier équipementier mondial avec un chiffre d'affaires supérieur à 100 milliards de dollars. Sa part de marché est supérieure à 30 %, davantage en Europe, en Afrique, en Asie, mais elle est nulle aux États-Unis. Les Américains bannissent les Chinois, mais cela n'a aucune conséquence pour eux, car ils ne les utilisent pas ; mais il y a des conséquences pour d'autres pays !

En Europe, Huawei est présent dans de nombreux pays, dans lesquels Orange est aussi présent. Orange, comme Iliad, n'utilise pas d'équipements Huawei en France. Un réseau mobile, ce sont des antennes - c'est la partie « radio », des liens de collecte - c'est la partie « fixe », et des équipements de coeur de réseau - c'est-à-dire des équipements informatiques, du software, notamment pour la signalisation des appels. Bouygues et SFR utilisent certes des équipements radio Huawei, mais aucun opérateur en France n'a Huawei comme fournisseur de coeur de réseau, nous utilisons des équipements américains.

La sécurisation des données est importante pour les équipements de coeur de réseau, absolument pas pour la partie radio, malgré un mythe qui perdure sur des micros qui seraient posés sur les antennes... C'est une foutaise totale ! Le principe de précaution peut influencer certains choix, mais c'est un fait, personne n'a prouvé le risque sur la partie radio.

Un appel d'offres sur la 5G va être publié. Les opérateurs télécoms pourront-ils travailler avec Huawei ? Nous ne le savons pas. Un décret prévoit que les opérateurs notifient leurs équipements radio auprès de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), qui a deux mois pour nous signifier son accord, sachant que silence vaut rejet. Sans préjuger de leur décision, je suppose que les opérateurs habitués à travailler avec Huawei en 3G vont souhaiter continuer avec eux pour la 5G, à moins de supporter un coût important. Orange est libre puisque notre réseau radio est assuré par Nokia et Ericsson.

Il y a quatre opérateurs en France, et malgré certaines tentatives antérieures de passer à trois opérateurs, aucune opération n'est en projet, de sorte que nous devrions rester quatre. Par contre, il existe des marges de progression dans la mutualisation des réseaux, au moins dans certaines zones. Bouygues et SFR ont mutualisé leurs réseaux, tandis qu'Orange et Iliad sont indépendants. La mutualisation des réseaux se renforcera probablement en Europe, pour des raisons principalement économiques - les investissements sont énormes et les prix bas, les coûts de maintenance élevés - tout en garantissant une différenciation par la qualité. Il y a aussi des enjeux écologiques : les antennes coûtent cher en énergie, il y a parfois une contestation sociétale, nos concitoyens s'élevant parfois contre une course effrénée à la technologie et la numérisation, et appelant à plus de sobriété.

Comme tous nos pairs en Europe, nous avons décidé de filialiser, au sein d'Orange, une entité spécifique rassemblant nos 40 000 sites mobiles européens. Nous sommes ainsi dans les meilleures conditions pour mutualiser et participer, le cas échéant, à une nouvelle compagnie européenne, pour plus de flexibilité et d'efficacité.

Orange s'est engagé dans un plan stratégique ambitieux, Engage 2025, pour améliorer son empreinte carbone et environnementale et répondre à l'urgence climatique. L'objectif est d'atteindre la neutralité carbone en 2040, soit dix ans avant les accords de Paris. Nous voulons utiliser 50 % d'énergies renouvelables dès 2023, contre 2025. Ce sera un effort important, car nous sommes actuellement à 18 %. La priorité sera donnée au solaire - ce sera même la seule énergie utilisée en Afrique -, nous renouvellerons nos flottes avec de l'hybride et de l'électrique, et nous développerons l'économie circulaire.

Nous avons saisi l'opportunité donnée par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) pour rédiger notre « raison d'être ». Plus de 130 000 salariés sur 150 000 ont participé à la consultation, de même que de très nombreuses parties prenantes, comme des élus de la République. Nous avons dévoilé cette raison d'être il y a dix jours : « Orange est l'acteur de confiance qui donne à chacune et à chacun les clés d'un monde numérique responsable. » Elle sera proposée à l'assemblée générale des actionnaires l'année prochaine en vue de l'inscrire dans nos statuts.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Je salue les efforts réalisés par Orange. Nous avons rappelé à la ministre, qui se félicitait lors de l'examen du projet de loi de finances du déploiement massif de la fibre, que c'était d'abord l'oeuvre des entreprises... Cet avantage est réel, mais malheureusement, les entreprises françaises n'en bénéficient pas et elles ont toujours des problèmes d'accès à Internet. Peuvent-elles espérer rapidement des améliorations, malgré un contexte parfois difficile ?

Suite à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que vous avez déposée pour demander une plus grande clarification entre les instances d'instruction et de sanction du régulateur, appelez-vous à une clarification de la loi ?

Nous saluons votre stratégie en matière de responsabilité sociale de l'entreprise (RSE), mais pourquoi remplacer les poteaux en bois par des poteaux composites - avec du plastique - ou en métal, venant de l'autre bout de la planète ? Pour quel intérêt environnemental ? Plantez des arbres si vous voulez être neutre en carbone...

Quelle place tient l'offre technologique satellitaire chez Orange, notamment pour les zones les plus éloignées ?

Quelles sont les perspectives de déploiement de la 5G ? Des décrets ont été publiés récemment. Envisagez-vous un « New Deal » sur la 5G avec le Gouvernement ?

Mme Élisabeth Lamure. - La délégation aux entreprises du Sénat a rendu un rapport sur la numérisation des PME. De nombreux bâtiments hébergeant des entreprises, notamment des PME, sont en quelque sorte oubliés lors du déploiement de la fibre, alors qu'ils sont situés dans des zones denses, dans lesquelles les logements sont raccordés en fibre jusqu'à l'abonné (FttH). Selon des spécialistes, 40 000 adresses d'entreprises ne seraient pas desservies. Qu'en pensez-vous ?

À la suite de ce rapport, nous avons réfléchi, avec M. Patrick Chaize, président du groupe numérique du Sénat, à la concurrence sur le marché à destination des entreprises. Le régulateur a favorisé l'arrivée d'un opérateur neutre sur le marché de gros, qui est aujourd'hui menacé de disparition. Si tel devait être le cas, afin de garantir aux entreprises l'accès à la fibre sur un réseau neutre et ouvert, nous pourrions créer par la loi une obligation d'activation du réseau FttH. Que pensez-vous de nos travaux ? Ils seront mis en ligne dans la journée sur le site Internet du Sénat.

M. Pierre Louault. - Il y a un véritable problème d'entretien du réseau cuivre. Dans mon village, un utilisateur s'est vu privé de téléphone et d'Internet pendant trois mois. Il y a un mois, une panne a touché une trentaine d'usagers durant trois semaines, alors qu'on parle d'un débit de 0,5 mégabit... Il y a défaillance, même si la rentabilité n'est pas au rendez-vous...

Les réseaux de téléphonie mobile ne sont pas assez mutualisés. Nous avons dû nous battre pour n'avoir qu'un seul pylône, mais avec trois antennes... Le pylône 4G d'un de vos concurrents mesure cinq mètres de plus, il est donc plus efficient que le vôtre. Et vous êtes toujours à l'étage le plus bas, avec une moins bonne desserte. Pourquoi vous acharnez-vous à ne pas mutualiser ? Le régulateur a tort d'engager une guerre des prix plutôt qu'une guerre de l'investissement...

Mme Patricia Morhet-Richaud. - Le Gouvernement s'était engagé à publier, dans un délai de deux mois, les textes d'application de la loi dite « 5G ». Ils ont été publiés avec deux mois de retard, et le cahier des charges pour la 5G est encore en cours de consultation. Les attributions sont prévues pour le printemps 2020, avec six mois de retard sur le calendrier initial. Le Gouvernement a annoncé un prix de réserve des fréquences de plus de deux milliards d'euros, ce qui a suscité un mécontentement des opérateurs, alors que l'Arcep avait recommandé de ne pas aller au-dessus de 1,5 milliard d'euros. Dans ce contexte, notre pays peut-il rester dans la course de la 5G ? Pensez-vous toujours pouvoir commercialiser vos premières offres 5G au printemps prochain ?

Dans une lettre ouverte, 21 opérateurs européens ont alerté récemment la nouvelle Commission européenne sur l'impossibilité pour eux, en l'état actuel, de s'adapter en termes d'investissements et d'innovation aux grandes lignes d'évolution proposées par Mme von der Leyen concernant la concurrence et le numérique. Orange a notamment dénoncé la fragmentation du marché des télécoms européen à l'heure de la 5G. Quel regard portez-vous sur les objectifs portés par Mme Margrethe Vestager, la commissaire européenne chargée du numérique ?

Comment Orange entend-il prendre en compte les nouveaux enjeux numériques du XXIe siècle, comme la lutte contre le déversement de contenus malveillants en ligne ou la protection des données personnelles ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous en avons largement débattu hier en séance publique !

M. Bernard Buis. - Avec les intempéries qui ont touché la Drôme - grêle, tempête, séisme et chutes de neige -, nous avons pu mesurer la vulnérabilité des réseaux, avec des conséquences préjudiciables importantes pour la population, notamment les personnes les plus vulnérables et les entreprises. Collectivement, nous avons constaté qu'Orange n'a pas pris en compte ces crises malgré l'urgence, et nous regrettons l'absence de participation aux points de situation demandés par les autorités. Les élus locaux nous font part de leur mécontentement récurrent. Les dégradations sont légion, aucune politique de rénovation n'est définie. Il y a de nombreux fils à terre, même en dehors de toute situation exceptionnelle. Orange a une obligation de faire fonctionner le réseau et une obligation de moyens pour le rétablir. Nous souhaitons la mise en place d'un référent auprès des élus pour qu'ils puissent rapidement faire remonter leurs problèmes et avoir des réponses aux questions posées. Orange, désigné opérateur pour le service universel, doit assurer cette continuité du réseau. Que ferez-vous pour améliorer la situation de nos concitoyens ? Enfin, il y a un retard de la fibre de plus d'un an en zone AMII, notamment à Portes-lès-Valence et à Bourg-de-Péage.

M. Alain Duran. - Dans votre projet, vous annoncez la fin du réseau téléphonique fixe pour un remplacement par la fibre en 2030. J'habite une zone de montagne. Votre objectif me semble difficilement atteignable pour de simples raisons géographiques. Le réseau cuivre reste un cordon ombilical pour la montagne.

Vous annoncez un plan d'action avec des moyens et des embauches importantes. Mais nous ne vivons pas dans le même monde. Dans l'Ariège, nous avons de nombreux poteaux qui ne sont soutenus que par les lignes. Un maire m'a indiqué qu'il n'avait plus de réseau sur sa commune depuis huit jours. C'est un problème de sécurité, notamment pour les personnes âgées qui sont coupées du monde. J'aimerais que vous nous donniez un vrai bilan, des résultats plutôt que les moyens mis en oeuvre. Sur le terrain, nous ne voyons pas de changement. La fibre n'arrivera pas partout. Dites-nous-en davantage sur les solutions alternatives, comme le satellite.

M. Henri Cabanel. - Je ne doute pas que vous connaissez la réalité des territoires ruraux et de l'hyper-ruralité. La semaine dernière, j'ai dû régler un problème avec le délégué régional d'Occitanie, M. Thierry Alignan, concernant une commune de 65 habitants, qui avait été privée de téléphonie mobile et d'Internet, car les batteries des antennes de WiMAX sont souvent volées. Le maire avait reçu une lettre d'Orange qui avait décidé de couper les lignes fixes, car l'Arcep n'autoriserait plus certaines fréquences... Comme la secrétaire de mairie n'est présente qu'une demi-journée par semaine, il est dans une situation ubuesque : il n'a plus aucun contact téléphonique alors qu'il a la responsabilité d'une commune. Vous avez comparé la situation avec Enedis, mais ils réagissent plus rapidement...

Au-delà des aléas climatiques, le réseau n'est pas régulièrement réparé. Certaines communes restent parfois un mois sans téléphone fixe, alors que votre mission de service public serait de réparer ces lignes. Quels moyens vous donnez-vous pour réparer le plus rapidement possible ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Orange est l'opérateur qui a été choisi pour mettre en place le vote électronique en 2020 pour les Français de l'étranger. Vous prévoyez d'envoyer un code par SMS aux électeurs. Nous avons testé le dispositif il y a quelques semaines, mais il s'avère que la réception du SMS est très compliquée, avec un taux d'échec très important. Quelles améliorations prévoyez-vous ? Cela concerne deux millions de Français de l'étranger, qui mettent parfois une heure en avion, cinq heures en voiture pour voter au consulat.

M. Laurent Duplomb. - Je suis souvent interpellé par les élus sur le changement des poteaux de téléphone. Les poteaux en bois sont de plus en plus souvent remplacés par des poteaux en composite ou des poteaux en fer. Selon Frédéric Gravière, directeur des relations avec les collectivités locales pour l'Auvergne, si les contrats avec la filière bois sont encore valables deux ans, l'utilisation des poteaux en bois pose problème : leur poids est élevé, il faut deux personnes et une machine pour les manipuler ; on doit leur apposer un traitement antiputréfaction, néfaste pour l'environnement ; le composite est trois à quatre fois plus solide, et sa maintenance plus aisée ; les poteaux de bois ne durent que vingt à trente ans, contre bien plus pour les poteaux en composite.

Je comprends ces arguments, mais pour relancer la filière bois et maintenir ses emplois, tout en répondant à la demande de nos concitoyens, j'espère que vous changerez votre fusil d'épaule... Je pense que c'est ce qu'attendent la population et les entreprises françaises de la filière bois.

Mme Anne Chain-Larché. - Nous nous félicitons du développement de la fibre dans les territoires, mais vous avez aussi développé un réseau cuivre dense. Les collectivités ont investi pour développer la fibre dans les zones rurales, sur de l'argent public, avec des opérateurs intermédiaires. Orange arrive alors en se mettant quasiment les pieds sous la table...

Tous les territoires n'ont pas fait le choix du FttH. Il y a des prises isolées qui sont encore desservies par des réseaux cuivre. De nombreux fils restent au sol. Vous nous avez vanté les 500 personnes embauchées, mais nous ne les voyons pas localement ! Vous faites parfois appel à des sous-traitants qui ne connaissent pas les territoires. Et lorsque les fils traversent des zones boisées, vous renvoyez la responsabilité à l'Office national des forêts (ONF) ou aux propriétaires privés en cas de tempête... Nous revenons à une situation digne du XIXe siècle. Vos techniciens ne peuvent plus grimper sur les poteaux. La situation est inexplicable. Certains ne veulent pas passer par la fibre optique, dont l'abonnement est plus coûteux.

M. Pierre Cuypers. - Dans mon village de la Brie, à 65 kilomètres de Paris, nous n'avons plus de téléphone fixe depuis août. Malgré de multiples demandes de la municipalité, il a fallu que j'intervienne pour que la situation soit résolue. Moi-même, le week-end dernier, j'ai été privé de réseau téléphonique et d'Internet durant quatre jours. J'ai fini par être dépanné lundi après-midi. Selon le technicien, le réseau est inutilisable, il y aurait 1,5 kilomètre de lignes à changer, en raison de l'usure des câbles. Nous n'attendrons pas indéfiniment, la fibre ne sera peut-être pas là dans dix ans !

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous propose de passer plus rapidement sur les problèmes d'entretien du réseau cuivre en zone rurale, qui ont déjà été largement évoqués.

M. Daniel Gremillet. - Monsieur Richard, je félicite votre entreprise. Il faut savoir d'où l'on part... Vous avez été exemplaire sur l'aménagement du territoire, tout le monde ayant accès au réseau cuivre, comme à l'électricité. Mais désormais, le très haut débit exclut, alors qu'auparavant vous aviez rassemblé. Dans la station de ski Rouge Gazon, qui emploie 30 salariés, il n'y a plus de téléphone...

M. Stéphane Richard. - SFR est à l'origine du problème. Je leur transmettrai le message...

M. Daniel Gremillet. - Nous l'avons fait aussi. Auparavant, vous aviez le monopole. Mais cette dégradation du service est valable pour tous les opérateurs. Plus ils investissent, plus ils mettent de poteaux, plus nous avons de coupures. Comment l'expliquer ? Inspirez-vous du travail du Sénat. Je me réjouis des propos de mes collègues sur les poteaux. Il faut faire un bilan carbone de tous les matériaux. Le bois stocke du carbone, et planter un arbre vous permet de capter des gaz à effet de serre...

Mme Sylviane Noël. - Lors des débats sur la loi Pacte, le Sénat a voulu concilier des objectifs de sécurité et d'obligation de déploiement de la 5G. Avez-vous suffisamment de visibilité sur les autorisations de l'Anssi ?

Quel est votre avis sur la proposition de loi de notre présidente, Mme Sophie Primas, visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, notamment sur la neutralité des terminaux et sur la lutte contre les acquisitions prédatrices à travers les nouveaux pouvoirs qui seraient confiés à l'Autorité de la concurrence ?

M. Franck Montaugé. - Il y a quelques jours, j'ai visité votre site rennais sur la cyberdéfense. Que pensez-vous du niveau de protection des entreprises françaises, de toute taille et nature ?

Vous commercialisez, depuis novembre dernier, une enceinte connectée avec un assistant personnel, Djingo, et l'assistant vocal d'Amazon, Alexa. Comment vous protégez-vous contre le risque d'écoute de vos clients, que ce soit pour de l'espionnage ou du transfert de données ?

Ces produits contiennent de l'intelligence artificielle. Constituent-ils pour vous une vitrine ? Quelles sont vos ambitions en matière d'intelligence artificielle ? La France doit être forte dans ce secteur.

Vous avez évoqué les zones AMII. Comment pouvez-vous garantir le respect du calendrier initial pour le fibrage des villes moyennes ?

M. Martial Bourquin. - Concernant les zones blanches et grises, s'il y a parfois des améliorations à un endroit, la situation se détériore ailleurs... On avait dit que, avec un investissement de 3 milliards d'euros, on arriverait à régler ces problèmes. L'Arcep vous avait invité à le faire rapidement. Vous connaissez les problèmes de démographie médicale dans certains territoires. Faute de réseau, des médecins vont partir, de même que des PME. Attention à ne pas créer des fractures territoriales. Ces problèmes touchent désormais des villes moyennes : à certaines heures, il n'y a presque plus de débit...

Par ailleurs, délocalisez-vous vos centres d'appel ?

M. Serge Babary. - Merci de votre implication et de vos énormes investissements. Vous réalisez 50 % de votre activité à l'étranger. Pouvez-vous nous brosser un rapide panorama de l'implantation de vos activités à l'étranger ?

M. Franck Menonville. - Les raisons de la dégradation du réseau cuivre sont multifactorielles : défaut d'entretien, problèmes climatiques, effondrement d'arbres... Quelles priorités territoriales avez-vous sur la 5G pour éviter les problèmes connus pour la 4G ?

M. Yves Bouloux. - Quel intérêt y-a-t-il à développer une banque Orange, par rapport à votre métier principal, et comment l'intégrer à vos activités ?

M. Jean-Pierre Moga. - Joël Labbé aurait pu vous poser cette question : les poteaux en fer sont creux. À la campagne, les oiseaux cherchent à faire leur nid sur le haut des poteaux. Ils risquent de tomber à l'intérieur et de mourir. Mettez-vous des bouchons en haut de vos poteaux ? La faune a besoin d'être protégée. Suivez la demande de mes collègues, continuez à mettre des poteaux en bois !

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est une demande pour Noël !

M. Michel Raison. - Répondez sans langue de bois !

Mme Sophie Primas, présidente. - Pouvez-vous développer votre stratégie de diversification, que ce soit dans la banque, la cybersécurité et les maisons connectées ? Avez-vous déjà des résultats à nous présenter ?

La consolidation française a du mal à se concrétiser. Avec de nombreux opérateurs en Europe, peut-on envisager une consolidation européenne ?

M. Stéphane Richard. - Je me réjouis que ces questions de réseau et de connectivité soient toujours aussi vivaces au sein de la représentation nationale. Ces rencontres sont aussi l'occasion pour vous-mêmes, élus de la République, d'entrer plus profondément dans la problématique de l'entreprise, ses contraintes, ses injonctions contradictoires, ses vraies marges de manoeuvre. Car derrière nous, nous avons les Français et les Françaises !

M. Laurent Duplomb. - C'est pour cela qu'on le dit !

M. Stéphane Richard. - Je ne suis pas parisien : je suis originaire d'un petit village de Lozère, Vialas. Les questions de la ruralité et des zones blanches ne me sont donc pas du tout étrangères.

Nous avons des indicateurs macro-économiques relatifs au réseau cuivre, mais je pense que cela ne répondrait pas à vos questions sur les désordres locaux que vous avez constatés. Ce réseau a 40 ans. Il a été construit avec des matériaux des années 1970, qui résistent mal à l'épreuve du temps. Il est très vulnérable à l'eau, notamment aux inondations, pluies torrentielles et tempêtes. Orange a déployé des moyens supplémentaires, tant curatifs que préventifs, pour le conforter, mais on constate des dysfonctionnements et des coupures. Il est parfois très difficile d'identifier le problème : comprendre l'origine d'une coupure dans un hameau peut prendre plusieurs jours ! Sachez que nous n'abandonnerons pas le réseau cuivre. Je m'insurge contre ceux qui affirment qu'Orange ne fait rien et n'est pas réactif ! Je suis le porte-parole des centaines de techniciens d'Orange qui, à chaque intempérie majeure, viennent prêter main-forte à leurs collègues ; ils travaillent par rotations de trois semaines, loin de chez eux, et certains viennent même d'outre-mer ! Certains événements nécessitent des délais et Enedis rencontre les mêmes difficultés - ils ont parfois mis dix jours pour rétablir l'électricité, ce qui est encore plus pénalisant. Depuis l'an dernier, Orange a nommé un référent par département sur le réseau cuivre. Vous avez donc désormais un interlocuteur parfaitement identifié. Les maires ont également des applications à leur disposition pour faire remonter les problèmes en temps réel. Je ne prétends pas que nous sommes capables de résoudre les difficultés dans des délais toujours appropriés, mais nous mettons les moyens et faisons face à nos missions.

Mme Sophie Primas, présidente. - Quel est le montant de l'enveloppe budgétaire que vous consacrez au réseau cuivre ?

M. Stéphane Richard. - Le budget pour l'entretien de ce réseau est de 500 millions d'euros par an, réparations non comprises, car elles sont accomplies par une autre entité de l'entreprise.

L'élagage est un vrai problème. Il existe des servitudes et le maire dispose d'un pouvoir de police, mais il est parfois délicat à exercer. Beaucoup de dégâts sur nos réseaux aériens sont en effet liés au caractère déplorable de l'élagage. C'est un combat que nous devons mener en commun, notamment contre le manque de civisme.

J'ai une préférence toute personnelle pour les poteaux en bois, pour des questions d'esthétique, notamment sur les petites routes de campagne. Mais les arguments en faveur des poteaux composites sont réels et nous nous sommes engagés dans un remplacement progressif des poteaux en bois par des poteaux composites. Je suis assez sensible à l'ensemble de vos arguments sur ce sujet, même si mes services techniques ne vont pas nécessairement apprécier mes réponses.

Il y a un décalage aujourd'hui entre la disponibilité de la fibre pour le grand public et pour les entreprises, ce n'est pas normal. C'est essentiellement lié aux éléments de régulation, et marginalement aux ambitions insuffisantes d'Orange. Mais, en 2020, notre nouvelle offre de fibre dédiée aux entreprises (FttE) devrait nous permettre de développer la fibre pour entreprises à grande échelle et d'atteindre quatre fois plus de clients en 2023 qu'en 2020. La fibre doit irriguer le tissu économique et nous sommes en retard. Avec l'émergence de Kosc Telecom, l'Arcep nous a demandé de faciliter les choses, ce que nous avons fait. Cela n'a pas fonctionné pour diverses raisons, mais franchement, ce n'est pas la responsabilité d'Orange. Nous ne mettrons des bâtons dans les roues de personne.

Nous avons d'ailleurs retiré notre QPC concernant l'Arcep. Depuis, un dialogue extrêmement constructif s'est noué avec le régulateur. Orange n'est pas là pour créer des difficultés, mais nous réagissons lorsque nous considérons que nous sommes injustement traités ou attaqués. Y a-t-il un problème de sécurité juridique sur les décisions de sanction de l'Arcep ? Peut-être, beaucoup de gens le disent.

Une de nos filiales, Nordnet, commercialise nos offres satellitaires, afin d'apporter une connectivité dans des territoires difficilement desservis par les réseaux fixes ou cellulaires. En France, cela restera nécessairement limité, car nous investissons massivement dans la fibre qui va pouvoir se déployer presque partout. Orange a signé un accord avec Eutelsat pour le lancement d'un satellite de dernière génération ; cela devrait permettre de relancer la filière satellitaire française - il s'agit d'un satellite français construit par Thalès - et de proposer une nouvelle offre de bande passante par satellite en 2021.

Le contenu des annonces concernant les enchères sur la 5G n'est pas idéal, mais il s'agit d'un point d'équilibre raisonnable. Le dessin de l'appel d'offres - avec une partie en gré à gré et une partie en appel d'offres - est une bonne solution, car il sécurise les acteurs. Le prix de réserve annoncé est élevé, mais d'une part, le prix de réserve a toujours été élevé dans notre pays, d'autre part, la situation n'est pas comparable avec l'Allemagne ou l'Italie où ces prix ont atteint des sommes astronomiques car les situations n'étaient pas les mêmes. Ce schéma ne devrait pas poser de problème de déploiement de la 5G. Ces enchères arrivent un peu tard, mais nous ne sommes plus à six mois près : ne dramatisons pas, la France n'est pas spécialement en retard.

Les opérateurs sont extrêmement attentifs à la sécurité des infrastructures : Orange compte 2 000 experts sur les questions de sécurité, nous sommes l'un des principaux acteurs européens de la cybersécurité et cette question est au coeur de nos missions et de nos valeurs. Nous sommes en relation permanente avec l'Anssi et les autres acteurs de la sécurité des réseaux. Mais c'est aussi une question plus géopolitique - c'est le principe de précaution : quand vous utilisez un matériel étranger, vous créez une forme de dépendance. Orange se conforme à l'analyse des risques géopolitiques pays par pays. Il ne faut pas mélanger ces deux aspects de la question de la sécurité, ils sont de nature différente.

Orange partage un tiers de son réseau mobile avec d'autres opérateurs : nous pratiquons donc la mutualisation. De même, nous avons fait des ouvertures de sites à nos concurrents, comme les toits-terrasses par exemple. Et nous devrons aller encore plus loin dans la mutualisation afin d'améliorer notre couverture dans les zones peu denses.

Le commissaire européen chargé de l'agenda numérique est Thierry Breton, ancien dirigeant de France Télécom. J'ai beaucoup d'estime et d'amitié pour lui. Sa nomination est une excellente nouvelle pour nous, pour la France et pour l'Europe.

Margrethe Vestager sera toujours en charge des questions de concurrence et de concentration. C'est une femme de très grande qualité et qui a beaucoup d'autorité. Je l'ai récemment félicitée pour le courage avec lequel elle a attaqué la question des conditions concurrentielles avec les Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft - : les enquêtes réalisées par l'Europe sont récentes, et c'est la première fois que l'on s'attaque à des entreprises comme Apple et Google. Cela mérite d'être salué.

Mais Bruxelles n'a pas beaucoup encouragé la concentration dans l'industrie des télécoms. Ce n'est pas seulement de la faute de Mme Vestager : les pouvoirs publics nationaux ne s'intéressent pas non plus à cette question et l'opinion publique a plutôt tendance à préférer plus d'opérateurs, afin de faire baisser les prix.

L'Europe a un rôle à jouer sur l'intelligence artificielle, la cybersécurité et la souveraineté numérique. En effet, tous les acteurs européens produisent des données, qui sont ensuite aspirées par les acteurs de l'internet américains. Aux États-Unis, le Cloud Act permet aux autorités américaines de puiser dans les données détenues par les acteurs américains sur le sol américain, sous prétexte d'assurer la sécurité nationale américaine. Cela existe aussi en Chine. L'Europe, aujourd'hui ouverte à tous les vents, doit s'en doter. Nous soutenons les projets de clouds souverains européens. Ce sera une des thématiques importantes de M. Breton et Mme Vestager.

Nous sommes très engagés sur la protection des données et la lutte contre les contenus malveillants. Nous appliquons strictement le Règlement général sur la protection des données (RGPD), mais cela n'est pas suffisant. Il faudrait, a minima, que les règles de la directive ePrivacy s'appliquent à tous les acteurs, y compris les Gafam : c'est ce que nous appelons le « level playing field », des conditions de concurrence et de régulation identiques pour tout le monde. Par exemple, vous êtes probablement nombreux à utiliser WhatsApp, que Facebook a racheté 19 milliards d'euros ; cet achat a été validé par la Commission européenne en deux mois, alors qu'elle a rendu une décision négative sur la dernière concentration européenne après 18 mois d'enquête !

Mme Sophie Primas, présidente. - J'en déduis que vous devez penser le plus grand bien de notre proposition de loi !

M. Stéphane Richard. - Tout à fait. J'y apporte un soutien sans réserve. Nous serons vos alliés et vos auxiliaires pour porter ces messages.

WhatsApp a une fonctionnalité d'appel. Quelle est la différence entre un WhatsApp audio et un appel classique sur votre téléphone ? Aucune, pourtant ces deux services sont soumis à des réglementations différentes. Et les appels WhatspApp sont beaucoup plus difficilement couverts par le régime des interceptions légales : c'est un problème et c'est d'ailleurs pour cela que WhatsApp est très utilisé par les délinquants. Nous militerons de façon inlassable pour que les règles soient les mêmes pour tous.

S'agissant du vote électronique pour les Français de l'étranger, nous allons enquêter rapidement afin de vous rassurer au maximum. C'est un progrès, mais à condition, bien évidemment que ça marche !

Orange a longtemps été suspectée de ne pas aller sur des réseaux tiers ; et maintenant on lui reproche d'aller dans les réseaux des autres ! Mais ces réseaux publics ne vivent que si nous y allons. Il y a d'ailleurs des cas où nous souhaitions faire le RIP, mais où nous n'avons pas été retenus - dans ces hypothèses, il ne nous reste pour seule possibilité que d'aller sur des réseaux déployés par d'autres. Je pense qu'on ne peut pas nous le reprocher. On devrait même nous en remercier.

Il existe effectivement des réglementations très contraignantes sur l'utilisation des nacelles - deux techniciens, l'un dans la nacelle, l'autre à terre - ainsi que j'ai pu moi-même l'expérimenter. C'est aussi une question de sécurité.

La fibre n'est pas plus coûteuse que le cuivre : le prix de l'abonnement de base est le même. C'est un choix que nous avons fait, contrairement à d'autres pays. Certes, le revenu moyen d'un abonné est supérieur sur la fibre que sur le cuivre, mais cela s'explique par un niveau de consommation de services supérieur. Les travaux pour apporter la fibre sont supportés par Orange et la fibre apporte des avantages incomparables : des débits quasi illimités, un télétravail facilité, des perspectives pour le maintien à domicile des personnes âgées ou la télémédecine.

Les cybermenaces explosent, sous de nombreuses formes, très souvent crapuleuses - de grandes entreprises ont dû s'acquitter de plusieurs centaines de millions d'euros. Leur protection n'est pas optimale et il existe des marges de progrès. Mais ce n'est pas encore un sujet de préoccupation quotidienne des dirigeants - hormis ceux qui en ont déjà fait les frais. Orange apporte son expertise aux entreprises avec Orange Cyberdéfense qui intervient notamment auprès des 40 entreprises du CAC 40, pour faire de la surveillance et répondre aux incidents. Nous travaillons également avec les ministères de la défense et de l'intérieur.

Nous avons développé, grâce à une équipe mixte franco-allemande, notre assistant vocal Djingo. Nous proposons aussi un dispositif de reconnaissance vocale sur les télécommandes de télévision. Nous avons signé un accord avec Amazon pour que l'on puisse accéder aux services Orange via leur assistant vocal Alexa, et réciproquement. C'est la première fois qu'Amazon signe un tel accord équilibré, entre les deux parties. Les données de chacun sont clairement réparties. Aucun micro n'est caché dans l'enceinte Djingo. Je conseille néanmoins de ne pas laisser l'enceinte en veille permanente afin de consommer moins d'électricité et d'éviter des fonctionnements inappropriés.

Nous sommes engagés sur les zones AMII, à hauteur de 10 millions de prises, soit 2,5 millions par an. Notre plan de marche devrait nous permettre de respecter nos engagements et d'éviter de payer de lourdes sanctions. Orange a en effet accepté d'entrer dans ce système - un engagement unilatéral assorti de sanctions -, alors même qu'il n'y a pas d'argent public et que notre caractère d'opérateur historique a disparu depuis 20 ans quand le secteur a été ouvert à la concurrence ! C'est une situation assez inédite dans le monde économique moderne. Mais nous tiendrons nos engagements. Je rappelle que nous déployons la fibre  très rapidement: le principal opérateur américain - AT&T -déploie six millions de prises par an, mais sur l'ensemble du territoire des États-Unis.

La construction de 5 000 sites va améliorer la situation des zones blanches ; mais sachez que la construction d'un site nécessite encore deux ans pour des raisons administratives.

Nous avons des risques de saturation des réseaux car la demande augmente de 50 % chaque année ! Nous allons devoir absorber cette explosion du trafic et c'est aussi pour cette raison que nous avons besoin de la 5G.

Nous n'avons pas de centres d'appels traitant des clients français grand public en dehors de France - nos sous-traitants peuvent néanmoins en avoir. Nous avons quelques plateformes de services aux entreprises à l'étranger, notamment à l'île Maurice et en Égypte, ce qui nous permet d'assurer un service vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais nous observons que nous avons de moins en moins d'appels : 110 millions par an il y a dix ans, contre 25 millions l'an prochain.

Nous sommes présents dans sept pays européens : tout d'abord, l'Espagne où nous sommes n° 2, mais aussi la Pologne où nous avons repris l'opérateur historique, la Roumanie où nous sommes n° 1, la Belgique, la Luxembourg, la Moldavie et la Slovénie. Cela représente 30 % du chiffre d'affaires du groupe hors de France.

Nous comptons 130 millions de clients en Afrique et au Moyen-Orient, soit 15 % de notre chiffre d'affaires réalisé dans vingt pays, souvent sensibles, dont la Jordanie, l'Égypte, la Tunisie, le Maroc, le Mali, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Cameroun, le Botswana, Madagascar, l'île Maurice, etc. Nous assurons également l'opérateur de connectivité des armées françaises en Afrique. Près de la moitié de nos salariés sont hors de France. Nous sommes un groupe multinational dont la partie non française se développe plus vite que la partie française.

Nous sommes satisfaits du démarrage d'Orange Bank avec 500 000 ouvertures de comptes en deux ans. À plus de 60 %, ses clients sont actifs sur leur compte, soit plus du double de la moyenne observée dans les autres banques numériques. Nous en attendons des bénéfices croisés entre nos métiers, par exemple sur le financement des terminaux qui sont de plus en plus chers - dans un contexte où le modèle historique de subvention à l'acquisition du terminal devrait changer pour diverses raisons - ou le cashback, c'est-à-dire les avantages liés à la détention du compte dans les boutiques Orange. Orange Bank va être déployée partout : elle a été lancée en Espagne il y a un mois, et sera prochainement lancée en Pologne, en Roumanie, en Belgique. Nous avons aussi monté l'an dernier une banque en Afrique pour l'ensemble du continent africain. Le paiement par téléphone augmente de manière exponentielle en France : Orange Bank fait 25 % des paiements en France par téléphone - sans plafond contrairement au paiement sans contact avec la carte bancaire.

En 2019, nous avons lancé des services liés à la maison connectée. Les chiffres sont encore limités, mais il y a un vrai potentiel de développement sur ces offres basées sur la box ainsi que sur la télésurveillance - encore peu développée en France.

Au-delà du simple accès Internet, nous développons donc diverses activités : les contenus (bouquets de chaînes), la maison connectée, et, demain, les services dans le domaine de la santé, de la surveillance des maladies chroniques, etc.

Mme Sophie Primas, présidente. - Avec deux heures et demie d'audition, nous avons peut-être battu un record qui marque l'intérêt du Sénat pour ces questions. Je vous remercie de la franchise de vos propos.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l'activité des entreprises alimentaires françaises - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous allons maintenant examiner le rapport sur la proposition de loi de Daniel Gremillet modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l'activité des entreprises alimentaires françaises.

M. Michel Raison, rapporteur. - Comme vous le savez, notre commission a adopté le 30 octobre dernier un rapport d'information dressant un premier bilan du titre Ier de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim) un an après son adoption et soulignant de premières tendances inquiétantes que nous connaissons tous. À ce stade, alors que le seuil de revente à perte a été revalorisé de 10 % dans la grande distribution, les agriculteurs n'en ont pas vu la couleur, car la grande distribution a adapté son modèle à la nouvelle loi. Le ruissellement ne fonctionne pas.

Tout d'abord, compte tenu de la hausse des marges des distributeurs sur les produits des grandes marques, celles-ci sont davantage mises en avant dans les linéaires au détriment des marques propres des produits de PME.

Ensuite, la guerre des prix n'a pas cessé, elle s'est déplacée vers les produits du rayon « droguerie, parfumerie, hygiène » et vers les produits sous marques de distributeur (MDD). Les fournisseurs, souvent des PME, retrouvent du volume de ventes avec ces derniers produits, mais après de très dures négociations sur les prix. De plus, ces produits gagnant des parts de marché, les produits sous marques propres sont encore dévalorisés, alors qu'ils créaient de la valeur ajoutée pour ces entreprises bien réparties dans nos territoires et créatrices d'emplois.

Enfin, la grande distribution a revu son modèle de promotion pour réduire l'effet de l'encadrement. En effet, si les produits offerts sont différents, l'encadrement des promotions ne s'applique pas. Par exemple, la grande distribution a substitué à la promotion « un cidre brut acheté, un cidre brut offert », celle consistant à proposer « un cidre brut acheté, un cidre doux offert ».

Ces premières tendances sont inquiétantes, alors que l'expérimentation doit encore durer une année avant la présentation du rapport d'évaluation à la fin de l'année 2020, qui permettra de disposer d'éléments complémentaires.

Notre rapport d'information révélait aussi trois effets néfastes concernant l'encadrement des promotions en volume, la difficile renégociation des prix pour des filières produisant des denrées à forte composante de matières premières et la potentielle remise en cause du modèle coopératif par l'ordonnance prise par le Gouvernement, cette dernière ne respectant pas le champ d'habilitation fixé par le Parlement. Notre commission a déposé une proposition de loi afin de prendre trois mesures d'urgence visant à les corriger. Cosignée par plus de 130 sénateurs de toutes tendances, elle sera examinée en séance publique le 13 janvier prochain. Il serait optimal qu'elle puisse être adoptée avant la fin des négociations commerciales qui s'ouvriront en février.

Je rappelle que notre objectif n'est pas de démanteler la loi Égalim. Toutefois, des failles sont d'ores et déjà constatées ; dès lors, pourquoi ne pas agir ? Certaines entreprises ont déjà perdu entre 30 % et 50 % de leur chiffre d'affaires depuis le début d'année à cause du seul encadrement des promotions. Dans deux ans, il sera sans doute trop tard. Enfin, certains des effets de la loi aboutissent à détruire de la valeur et donc à réduire directement le revenu des agriculteurs. Notre seule ambition est de faire en sorte que la loi Egalim soit un succès : il convient pour cela de limiter ses effets de bord.

L'article 1er de la proposition de loi prévoit un double assouplissement de l'encadrement des promotions en volume. Il tend à exclure de cet encadrement les produits à caractère saisonnier marqué, ces produits étant déterminés par l'autorité administrative compétente.

La filière cunicole nous a informés que l'encadrement des promotions exposait les producteurs de lapins à une réduction des ventes annuelles évaluée entre 10 % et 15 %. Il s'agit en effet d'un produit saisonnier : très vendu au printemps et à l'automne, il l'est beaucoup moins en été et est donc vendu en promotion à cette période. L'encadrement des promotions a conduit par conséquent les distributeurs à moins référencer ce produit durant l'été, avec le risque de ventes nulles. Les producteurs de foie gras nous ont confirmé qu'ils prévoyaient une baisse de 25 % en volume. Aucune filière ne peut endurer un tel choc sur la durée.  Pour le champagne, les chiffres sont équivalents, avec une baisse de 21 % par rapport à l'année dernière. Enfin, certaines entreprises au modèle particulier pâtissent directement de cet encadrement des promotions. Ainsi, une PME produisant des produits apéritifs, très saisonniers et référencés uniquement lorsqu'ils sont susceptibles d'être vendus par beau temps, vend presque toute sa production en promotions. Avec l'encadrement, elle a constaté depuis le début d'année un recul de 12 % de son chiffre d'affaires. Nous devons donc réagir.

Je vous propose, sans toucher au dispositif de la proposition de loi, d'adopter un amendement de coordination juridique et de ne pas inscrire dans la loi la faculté accordée à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) d'exonérer certaines entreprises de l'encadrement des promotions.

L'article 2 tend à expérimenter, pour quelques filières, la mise en place d'une clause de révision automatique des prix en cas de variation des cours des matières premières. Les acteurs, à l'exception de la grande distribution, trouvent l'idée intéressante. Je vous proposerai un amendement visant à en simplifier le fonctionnement. Je rappelle que nous entendons borner l'expérimentation à un faible nombre de filières très exposées, afin d'en mesurer les résultats. Par exemple, la filière de la charcuterie et celle des pâtes alimentaires pourraient être concernées.

Enfin, l'article 3 vise à corriger une anomalie juridique. J'ai été rapporteur au Sénat de la loi Egalim, nous n'avons jamais évoqué l'engagement de la responsabilité d'une coopérative pour des prix abusivement bas. M. Moreau, rapporteur à l'Assemblée nationale, partage ce point de vue. C'est pour éviter ce type de fantaisies que nous avions convenu de circonscrire le champ d'habilitation de l'ordonnance sur les coopératives aux seules mesures annoncées.

Lorsque le Gouvernement dépasse ainsi le champ d'habilitation que lui a donné le Parlement, il y a deux manières d'agir. La première est de porter le contentieux devant le juge administratif, ce qui a été fait par Coop de France. Le juge analysera les débats parlementaires et cette proposition de loi envoie un signal fort dans le cadre de cet examen contentieux. La seconde, qui n'est pas incompatible avec la première, est de débattre du contenu de l'ordonnance devant le Parlement lors de sa ratification. Le Parlement doit exercer cette fonction de contrôle, sauf à admettre sans rien faire qu'il a été dessaisi de ses droits par le Gouvernement.

L'article 3 propose donc de ratifier l'ordonnance tout en en modifiant le contenu pour supprimer les mesures qui sortent du champ de l'habilitation.

Ces mesures d'urgence se veulent donc pragmatiques.

À mon sens, entrent dans le champ des dispositions présentant un lien direct ou indirect avec le texte les mesures suivantes, qui reprennent logiquement les différents points du texte : les mesures tendant à modifier les modalités d'application de l'ordonnance relevant le seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions ; les mesures améliorant les dispositifs de modification des prix convenus entre les parties en cours d'année ; les mesures tendant à modifier les modalités d'application de l'ordonnance sur les coopératives.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci mon cher collègue. La loi Egalim contient, certes, d'autres scories, mais nous n'avons pas touché à l'économie globale du texte. Les protestations, notamment de la part des organisations agricoles, indiquent que celles-ci n'ont sans doute pas lu attentivement le texte. La disparition des transformateurs n'enrichirait en effet pas les agriculteurs.

M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. - Je remercie tous nos collègues qui ont cosigné ce texte, fruit du travail de l'ensemble des sénateurs du groupe de suivi. Les auditions ont confirmé nos analyses quant au bilan à dresser de la première année d'application de la loi Égalim ; il y a donc urgence à modifier les expérimentations de manière responsable pour éviter que des entreprises, donc des emplois et des producteurs, ne disparaissent, ce qui n'est évidemment pas l'objet du texte initial.

S'agissant de l'article 3, cette mesure était le seul point d'accord unanime en commission mixte paritaire entre le Sénat et l'Assemblée nationale ; il y va donc du respect du travail parlementaire.

Je soutiens les ajustements proposés par notre rapporteur et je suis très satisfait que ce texte passe devant le Sénat dès le début de l'année 2020 et que l'Assemblée nationale soit en mesure de s'en emparer dès le 14 janvier. Les négociations commerciales s'achèveront fin février et le Sénat aura pu apporter des ajustements avant cette date. Notre travail vise seulement à améliorer la loi Egalim, à la rendre plus efficiente, afin que le dispositif fonctionne, sachant que, en 2020, le groupe de suivi s'attaquera au titre II du texte. Je souhaite donc que ce texte soit voté avec une majorité significative afin de renforcer notre analyse sur la nécessité d'ajuster la loi.

Mme Anne-Catherine Loisier. - En complément, j'insiste sur le fait que notre démarche est vertueuse. La loi Égalim prévoit des expérimentations, ce qui signifie que toutes ses conséquences ne sont pas maîtrisées. Aujourd'hui, un certain nombre d'effets négatifs se font jour, il est donc de notre responsabilité d'y remédier. Par exemple, l'encadrement des promotions crée pour certaines entreprises des barrières à l'entrée sur le marché. Depuis un an, la croissance du chiffre d'affaires des marques issues des PME a diminué de 3 % et ces entreprises nous appellent à l'aide, nous avons donc adopté une démarche d'amélioration de la loi pour lui donner une meilleure efficacité.

M. Michel Raison, rapporteur. - Je remercie les membres du groupe de travail, en particulier Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier. Nous avons travaillé ensemble et je ne suis que le porte-parole de ce trio !

M. Laurent Duplomb. - Chacun sait que j'ai peu d'engouement pour la loi Egalim. Combien de temps perdu ! Les trois sujets de ce texte avaient déjà été relevés, des amendements défendus et des mesures introduites dans le projet de loi. La commission mixte paritaire s'est pourtant conclue sur une fin de non-recevoir. Notre seul gain avait été d'obtenir un engagement sur l'article 8 concernant les coopératives, qui n'a pas été tenu.

Le problème, c'est que cette loi met l'accent sur l'alimentation, alors qu'il faudrait un texte sur la situation de l'agriculture aujourd'hui et sur le dénigrement que nous subissons. Les 2 500 amendements déposés à l'Assemblée nationale sur le titre II d'Égalim comme le discours du Président de la République à la Sorbonne ouvrant la porte à la diminution du budget de la politique agricole commune (PAC) et à la possibilité de subsidiarité pour les États ont amplifié un phénomène existant de diffamation et de critiques et lui ont donné plus de poids. Peut-être parviendrons-nous à améliorer la situation, mais l'agriculture a besoin de plus : il manque à la loi Egalim un projet sur l'agriculture, un titre III qui traite de l'ensemble du revenu et des charges des agriculteurs. Les députés auraient dû écouter le Sénat et poser la question du projet global envers l'agriculture.

M. Henri Cabanel. - Ce texte est vertueux, en effet ; nous sommes dans notre rôle de recherche d'intérêt général en corrigeant cette loi, dont certains articles posent des problèmes, que nous essayons de résoudre ici. Je souhaite que le voeu de Daniel Gremillet de voir cette proposition de loi discutée à l'Assemblée nationale avant fin février soit exaucé : la balle est dans le camp des députés, nous aurons fait notre part pour corriger le tir.

M. Joël Labbé. - Il s'agit ici de tenter de corriger à la marge une loi qui est passée à côté. Laurent Duplomb affirme qu'il faut légiférer sur l'agriculture et pas sur l'alimentation, je tiens la position exactement inverse : à mon sens, ces deux dimensions sont définitivement liées l'une à l'autre. Il évoque un dénigrement de l'agriculture dans la population française, il me semble que c'est exagéré et je ne le ressens pas. Il y a des critiques qui concernent certaines pratiques et leurs conséquences.

L'agriculture est pieds et poings liés face à l'industrie agroalimentaire et la grande distribution, laquelle trouve toujours des solutions de contournement, suivant une logique financière. Nous devons favoriser tout ce qui permettra de sortir de la grande distribution et de redistribuer sur les territoires à travers de nouvelles filières et de nouveaux types de magasins qui ne seront pas liés à la grande distribution, laquelle, en échec en périphérie, cherche d'ailleurs à réinvestir les centres-bourgs. Il faut une réappropriation de l'alimentation par les territoires, par les producteurs agricoles, par les transformateurs, un nouveau système relocalisé permettant de répondre, certes partiellement, mais de manière grandissante, aux besoins de la population et aux intérêts des producteurs. Pour cela, il convient de donner les moyens aux territoires de s'organiser.

J'ai beaucoup de réserves sur ce texte, qui ne va pas au bout des choses. C'est mieux que rien, mais cela ne permettra pas d'aller loin.

Mme Sophie Primas, présidente. - En tant que présidente, je me dois de rester neutre, mais je bous intérieurement !

M. Michel Raison, rapporteur. - Mon cher collègue Joël Labbé plus nous ferons de vente directe, plus nous relocaliserons, plus tout le monde sera heureux, c'est vrai, mais cela restera marginal. Nous avons, hélas, encore besoin de la grande distribution, même si l'on déteste ses méthodes. Quant à l'agroalimentaire, nous avons aussi de belles entreprises qui travaillent plutôt bien.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Michel Raison, rapporteur. - L'amendement  COM-1 vise à réaliser une coordination juridique afin de s'assurer que la dérogation ne s'applique qu'à l'encadrement des promotions en volume. 

L'amendement COM-1 est adopté.

M. Michel Raison, rapporteur. - La DGCCRF permet déjà à certaines entreprises de déroger à ces dispositions. Elle l'a fait pour une entreprise à notre connaissance à ce jour. Consacrer cette possibilité au niveau de la loi ne changerait donc rien et n'apporterait pas, selon les auditionnés, une sécurité juridique suffisante à ce dispositif particulier. Dans ce cas, autant en rester à la situation actuelle. Tel est l'objet de l'amendement COM-2.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

M. Michel Raison, rapporteur. - L'amendement  COM-3 vise à simplifier la mise en oeuvre de la mesure expérimentale de révision automatique des prix sur trois ans.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

L'article 3 est adopté sans modification.

Intitulé de la proposition de loi

M. Michel Raison, rapporteur. - L'amendement  COM-4 vise à supprimer le mot « françaises » de l'intitulé du texte. En effet, la proposition de loi entend préserver les activités des entreprises alimentaires signataires des contrats régis par le code de commerce, qu'elles soient françaises ou non. Nous nous conformons ainsi aux règles européennes.

L'amendement COM-4 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Groupe de travail sur les moyens mis en oeuvre par l'État en matière de prévention, d'identification et d'accompagnement des agriculteurs en situation de détresse - Désignation des membres

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous devons procéder à la désignation des membres du groupe de travail sur les moyens mis en oeuvre par l'État en matière de prévention, d'identification et d'accompagnement des agriculteurs en situation de détresse. À l'occasion de l'examen en commission de la proposition de loi de notre collègue Henri Cabanel, nous avons fait le constat que, au vu de l'ampleur et de l'importance de cette problématique, nous avions besoin de temps pour investiguer, entendre les personnes concernées et aller sur le terrain. La constitution de ce groupe de travail permettra d'engager une réflexion approfondie sur le sujet, en associant des représentants des différents groupes politiques. J'ai donc reçu les candidatures suivantes : Mmes Patricia Morhet-Richaud et Anne-Marie Bertrand et MM. Laurent Duplomb et Jackie Pierre pour le groupe Les Républicains ; MM. Alain Duran et Jean-Claude Tissot pour le groupe socialiste et républicain ; Mme Françoise Férat et M. Pierre Louault pour le groupe Union centriste ; Mme Noëlle Rauscent pour le groupe La République en Marche ; Mme Cécile Cukierman pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ; M. Henri Cabanel pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen ; M. Franck Menonville pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires.

Je vous propose donc de nommer nos douze collègues membres de ce groupe de travail. Bien entendu, ses travaux seront ouverts aux autres sénateurs intéressés par le sujet.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 12 h 5.