- Lundi 2 juin 2025
- Mercredi 4 juin 2025
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins - Examen du rapport et du texte de la commission
Lundi 2 juin 2025
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile - Examen des amendements au texte de la commission
M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons les amendements au texte de la commission sur la proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile, adoptée par l'Assemblée nationale le 14 mars 2024. Nous commençons par l'examen des amendements de la rapporteure.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE LA RAPPORTEURE
Mme Sylvie Valente Le Hir, rapporteure. - L'amendement n° 117 vise à remplacer l'expression « mode éphémère » par celle de « mode express », qui correspond à la terminologie officielle.
L'amendement n° 117 est adopté.
Les amendements rédactionnels nos 118 et 122 sont adoptés.
Article 2
L'amendement de coordination légistique n° 119 est adopté.
Article 3 bis
L'amendement rédactionnel n° 120 est adopté.
Article 4
L'amendement rédactionnel n° 121 est adopté.
Les sorts de la commission sur les amendements de la rapporteure sont repris dans le tableau ci-après :
Les avis de la commission sur les amendements de séance sont repris dans le tableau ci-après :
La réunion est close à 16 heures.
Mercredi 4 juin 2025
- Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Didier Mandelli, président. - Avant de commencer notre réunion, je tiens à remercier, en notre nom à tous, Sylvie Valente Le Hir, notre rapporteure sur la proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile, dite loi fast fashion, qui a été examinée en séance lundi dernier. Elle a su tenir le cap, malgré les vents parfois violents qui ont soufflé en provenance à la fois de l'Assemblée nationale et des médias. Je remercie tous ceux d'entre vous qui ont été présents dans l'hémicycle pour la soutenir et défendre la position de notre commission. Finalement, le Sénat a adopté un texte plus équilibré que celui qui nous avait été transmis par l'Assemblée nationale.
Nous examinons maintenant le rapport de notre collègue Nicole Bonnefoy sur la proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l'État et à l'indemnisation des victimes du chlordécone.
Ce texte, qui a été adopté par l'Assemblée nationale le 28 février 2024, sur l'initiative du député Élie Califer, vise à reconnaître de manière solennelle la responsabilité de l'État dans le scandale environnemental et sanitaire que constitue la pollution au chlordécone pour les territoires de la Guadeloupe et de la Martinique.
Il y a presque deux mois, nous examinions le rapport de notre collègue Nadège Havet sur la proposition de loi, présentée par M. Dominique Théophile, relative à la reconnaissance de la responsabilité de l'État et à l'indemnisation des victimes du chlordécone, dont l'objet était, d'une part, de reconnaître la responsabilité de l'État dans les préjudices sanitaires et moraux et, d'autre part, d'instituer un régime d'indemnisation des personnes intoxiquées au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique. Lors de l'examen du texte en séance, l'auteur a fait le choix de le retirer, ce qui n'a pas permis à notre assemblée de se prononcer.
Notre collègue Nicole Bonnefoy a été désignée rapporteure de cette proposition de loi le 14 mai dernier ; je la remercie pour les travaux préparatoires qu'elle a conduits dans un temps particulièrement contraint et pour le sens du dialogue dont elle a su faire preuve.
Je vous rappelle que le délai limite pour le dépôt des amendements de séance a été fixé par la Conférence des présidents au 10 juin prochain à 12 heures. L'examen en séance publique aura lieu le 12 juin à partir de 10 h 30, dans le cadre de l'espace réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER).
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Nous avons ce matin la responsabilité immense de marquer d'une pierre blanche, en les reconnaissant, les lourds préjudices subis par les populations de la Guadeloupe et de la Martinique en raison de l'utilisation prolongée d'un produit toxique connu sous le nom de chlordécone entre 1972 et 1993.
Voilà deux mois, presque jour pour jour, notre commission examinait le rapport de notre collègue Nadège Havet, qui dressait un état des lieux implacable de la situation sanitaire et écologique que rencontrent les Antilles françaises en raison de l'utilisation passée de ce pesticide. La règle du gentlemen's agreement n'avait pas permis à la rapporteure d'alors de proposer des améliorations qui auraient permis à notre commission d'adopter le texte de Dominique Théophile. Finalement, lors de son examen en séance publique, l'auteur l'a retiré de l'ordre du jour, afin d'éviter qu'il ne soit dénaturé. Dans l'hémicycle régnait alors un sentiment mêlé de gâchis et de remords, pouvant donner l'impression d'avoir tourné le dos aux populations victimes des Antilles françaises. Ce sentiment amer et ce goût d'inachevé ont conduit le groupe SER à demander à nouveau l'inscription à l'ordre du jour de nos travaux d'un texte visant à reconnaître la responsabilité de l'État dans les dommages subis par les populations guadeloupéenne et martiniquaise.
La dernière fois, nous partagions tous la même conviction : il fallait admettre la responsabilité irréfutable de l'État, tout en encadrant les modalités du dispositif. Il ne fallait pas non plus remettre en cause l'économie générale du mécanisme actuellement applicable en matière de réparation des victimes du chlordécone. Pour mémoire, Dominique Théophile, l'auteur du texte que nous avons examiné il y un mois, proposait la mise en place d'un ambitieux dispositif de réparation des victimes du chlordécone, garanti par la création d'une nouvelle autorité administrative indépendante (AAI).
Le texte qui nous est soumis ce matin est substantiellement différent.
En effet, il ne crée pas de mécanisme de réparation intégrale ad hoc pour toutes les populations exposées au chlordécone. Il n'institue pas non plus une nouvelle autorité administrative indépendante - on connaît tous la lourdeur procédurale de ces organismes. Ce texte a donc une portée bien différente de celui de M. Théophile, mais j'estime qu'il se concentre sur l'essentiel, c'est-à-dire le symbole politique, grâce à la reconnaissance des préjudices subis. Il comporte aussi des avancées en ce qui concerne la recherche et la science, afin de pouvoir continuer à approfondir nos connaissances sur le phénomène et son incidence sur les populations.
J'aborderais à présent les points saillants du texte qui nous est soumis.
Premièrement, et il s'agit là de la pierre angulaire de cette proposition, l'article 1er reconnaît la responsabilité de l'État pour quatre chefs de préjudices.
Il s'agit tout d'abord des préjudices sanitaires. Ceux-ci ne font aucun doute. Mes auditions préparatoires, notamment celles de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), m'ont permis de mesurer l'étendue des dégâts sanitaires causés à la population en raison de la pollution des sols et des eaux. Celle-ci affecte la totalité de la chaîne alimentaire, notamment les circuits locaux, qu'il s'agisse de l'agriculture, de la pêche ou de la culture des légumes racines qui sont largement imprégnés au chlordécone dans certaines zones. Ces dommages sanitaires sont nettement objectivés par les chiffres : 95 % de la population de la Guadeloupe et de la Martinique présentent des traces de chlordécone dans le sang.
Le texte aborde aussi les préjudices moraux. Certes, ces derniers sont moins discernables, mais ils traduisent, en réalité, la crainte de développer une pathologie en raison d'une vie passée dans un environnement malsain et contaminé, en ayant conscience que l'on consomme et consommera à l'avenir des aliments présentant des traces du pesticide, et en sachant, surtout, que ce produit toxique est un accélérateur de pathologies, notamment cancérigènes. Les contours de la notion de préjudice moral peuvent sembler flous. Toutefois, leur netteté apparaît rapidement lorsque le juge administratif est conduit à examiner au cas par cas les demandes de reconnaissance du préjudice moral d'anxiété : ce dernier applique, à cette occasion, une appréciation in concreto très minutieuse. À titre d'exemple, la cour administrative d'appel de Paris, saisie par près de 1 300 requérants, a admis, en mars 2025, ce préjudice pour seulement neuf d'entre eux. Nous sommes loin d'une notion aux incidences déraisonnables.
Le troisième chef de préjudice, le préjudice environnemental, demeure actuellement au stade du développement jurisprudentiel. Cette notion n'est pas parfaitement balisée, mais elle connaît un développement devant les juridictions de droit commun. Le tribunal administratif de Paris a ainsi admis ce préjudice en 2021, dans sa célèbre décision sur « l'affaire du siècle ». En l'espèce, la pollution environnementale ne fait que peu de doute : les sols, les nappes phréatiques, les eaux de surface, les espaces maritimes à proximité des îles sont contaminés au chlordécone.
Enfin, le texte mentionne également le préjudice économique, constitué par la perte de gains pour celui dont l'activité marchande est affectée. C'est le cas des pêcheurs et des agriculteurs, sur lesquels pèsent des normes sanitaires drastiques. À cet égard, dans le cadre du plan chlordécone IV, les pêcheurs et les agriculteurs sont accompagnés pour compenser ces pertes financières.
J'estime qu'il est nécessaire de reconnaître la responsabilité de l'État pour ces différents chefs de préjudice, mais je vous propose néanmoins d'en préciser les contours. Mon amendement COM-6 vise à bien préciser que l'État a « sa part » de responsabilité. Il serait en effet inexact d'exclure l'existence de coresponsables : les exploitants des bananeraies comme les industriels phytosanitaires ayant fabriqué le chlordécone doivent, à mon sens, également endosser une part de responsabilité. Je propose également dans cet amendement d'affiner la qualification juridique du « préjudice moral », en précisant qu'il s'agit d'un « préjudice moral d'anxiété ». Cette caractérisation sémantique est en effet juridiquement plus rigoureuse : il s'agit de la seule notion admise par le juge administratif dans son office de juge de la réparation.
Au-delà de cet alinéa de principe, qui revêt une forte dimension symbolique, je souhaite désormais faire état des objectifs programmatiques que fixe la proposition de loi. À l'article 1er, il ne vous aura pas échappé que huit alinéas sur neuf sont introduits par la formule peu commune suivante : la République française « s'assigne pour objectif ». La portée normative de telles dispositions est discutable : si elles ne sont pas nécessairement assimilables à des neutrons législatifs, elles revêtent néanmoins en droit une dimension moins contraignante.
Toutefois, les objectifs suivants me paraissent primordiaux : la dépollution des terres et des eaux, à l'alinéa 2 ; la suppression du risque d'exposition en matière de sécurité sanitaire et d'alimentation, à l'alinéa 3 ; l'indemnisation des victimes de cette substance nocive, à l'alinéa 5.
En revanche, les autres objectifs me semblent plus accessoires, voire, pour certaines, inappropriés pour figurer dans un texte de loi. Je vous proposerai donc de les supprimer.
Je vous présenterai un amendement COM-2, qui vise à renforcer la recherche scientifique sur les pathologies susceptibles d'être développées par les femmes, afin de faire état des contaminations qu'elles subissent. Aujourd'hui, aucune étude n'a en effet encore été menée à son terme sur les risques propres aux femmes. Comme bien souvent, elles sont les grandes oubliées des politiques publiques et de la science. Je vous propose d'y remédier en posant le principe d'une accentuation de la recherche en faveur des pathologies propres aux femmes.
Enfin, j'évoquerai succinctement les deux autres articles de la proposition de loi.
L'article 1er bis prévoit la remise d'un rapport sur une éventuelle utilisation du chlordécone sur le territoire hexagonal et à La Réunion. Plusieurs rapports récents ont souligné que le chlordécone n'a jamais été utilisé dans ces territoires. C'est pourquoi cet article me paraît inutile ; je vous proposerai donc de le supprimer.
L'article 2, enfin, vise à instituer une nouvelle taxe assise sur les industries phytosanitaires. Si cela procède d'une bonne intention, je rappelle qu'une taxe identique existe déjà sur les industries phytopharmaceutiques. Il ne me paraît donc pas judicieux de créer une double taxation pour le même objet.
En conclusion, je rappelle qu'il y a bientôt deux mois, notre commission a rejeté la proposition de loi de notre collègue Dominique Théophile, au double motif qu'elle était juridiquement trop ambitieuse et que la règle du gentlemen's agreement, en l'absence d'accord de l'auteur, ne permettait pas de la modifier.
Aujourd'hui, avec les modifications que je vous propose, nous aboutissons, je le crois, à un texte équilibré, qui reconnaît les souffrances et les préjudices subis par les populations des Antilles françaises. Mes propositions ont fait l'objet d'un accueil constructif et favorable du président de notre commission, Jean-François Longeot, et de notre whip, Didier Mandelli.
Nos compatriotes ultramarins nous regardent et comptent sur nous pour avancer sur le long chemin de la reconnaissance. Le Parlement est, avec le chef de l'État, le seul à même d'universaliser, en les reconnaissant, les souvenirs douloureux du passé et les peurs du présent. En adoptant ce texte, nous ferions un pas en avant qui ferait l'honneur de notre commission et de notre Haute Assemblée !
M. Pascal Martin. - Ce texte s'inscrit dans la continuité des nombreux travaux parlementaires, législatifs ou de contrôle, qui ont été réalisés sur le sujet depuis une vingtaine d'années, ce qui démontre que cette pollution dévastatrice est une source de vives préoccupations pour nous, tout comme elle l'est pour la population des Antilles françaises. Le groupe Union Centriste estime tout à fait légitime de reconnaître les souffrances passées et les inquiétudes présentes des populations de la Guadeloupe et de la Martinique.
Notre rapporteure nous soumet une rédaction plus équilibrée, mieux adaptée aux réalités du terrain, expurgée des dispositions dépourvues de portée opérationnelle. Elle propose de reconnaître que l'État a « une part » de responsabilité, ce qui laisse ouverte la possibilité de rechercher des coresponsabilités. Elle souhaite également rendre la notion de « préjudices moraux » plus robuste juridiquement, en y intégrant l'anxiété, qui est reconnue par le juge administratif. Elle veut enfin développer la recherche sur les pathologies susceptibles d'être développées par les femmes en raison de leur exposition au chlordécone.
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste soutiendra les amendements de la rapporteure et votera ce texte.
M. Didier Mandelli, président. - J'indique que le groupe Les Républicains votera également ce texte. Notre rapporteure a su améliorer le dispositif pour garantir sa robustesse juridique.
M. Jacques Fernique. -Après la mésaventure qu'a connue le texte de Dominique Théophile, cette proposition de loi était nécessaire. Elle permet de reconnaître la responsabilité de l'État. Elle n'a pas de portée opérationnelle directe, mais elle assigne à la France une liste d'objectifs programmatiques, notamment en ce qui concerne l'indemnisation des victimes.
En adoptant ce texte, nous enverrions un signal bienvenu aux victimes, qui attendent des résultats concrets. La prise en compte du préjudice d'anxiété est positive. Je m'interroge toutefois sur la suppression, par l'amendement COM-1, de certaines dispositions introduites par l'Assemblée nationale, telles que le dépistage systématique du cancer de la prostate pour les hommes de plus de 45 ans ou l'instauration d'une taxe additionnelle sur les bénéfices générés par l'industrie des produits phytosanitaires.
Mme Nadège Havet. - Je salue le travail de notre rapporteure : celle-ci a trouvé un chemin qui permettra à la proposition de loi de prospérer. Je la voterai. L'État a, en effet, une part de responsabilité.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Nous voterons évidemment ce texte qui répond aux attentes des populations ultramarines, en reconnaissant la responsabilité de l'État et des professionnels impliqués dans la chaîne de distribution du chlordécone. Si sa portée opérationnelle peut sembler réduite, car elle ne crée pas de structure spécifique consacrée à l'indemnisation, elle ouvre néanmoins la voie à une meilleure considération des victimes.
M. Didier Mandelli, président. -En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi inclut les dispositions relatives :
- à la reconnaissance de la responsabilité de l'État et à ses modalités en raison de l'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone et de leur usage entre 1972 et 1993 sur les territoires de la Guadeloupe et de la Martinique ;
- aux objectifs susceptibles d'en résulter s'agissant de la dépollution des terres et des eaux contaminées par le chlordécone, de la recherche et de la prévention pour la santé des populations, de l'indemnisation des victimes du chlordécone et de l'évaluation de l'atteinte causée par le chlordécone sur les territoires de la Guadeloupe et de la Martinique.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Je vous remercie pour votre soutien. Ce texte est très attendu par les populations des Antilles françaises.
Monsieur Fernique, j'avais initialement la même position que vous sur le dépistage systématique du cancer de la prostate, mais l'Institut national du cancer et les experts médicaux déconseillent de réaliser des dépistages trop fréquents. C'est contre-productif. De même, il est déconseillé aux femmes de faire une mammographie tous les ans. Quant aux autres dispositions que je propose de supprimer, elles figurent déjà dans le plan Chlordécone IV.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'amendement rédactionnel COM-5 est adopté.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Mon amendement COM-6 vise à préciser que l'État a sa part de responsabilité, ce qui implique que des coresponsabilités peuvent être recherchées. Il s'agit aussi de définir la portée du préjudice moral, en reprenant la formule consacrée par la jurisprudence administrative de « préjudice moral d'anxiété ».
L'amendement COM-6 est adopté.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. -Mon amendement COM-2 prévoit que l'État « s'assigne pour objectif de rechercher et caractériser l'apparition de pathologies développées par les femmes en raison d'une exposition au chlordécone. » Il s'agit de réparer une injustice subie par les femmes, qui sont souvent invisibilisées. J'ai pu constater, lors de mes auditions, les conséquences néfastes pour les femmes de l'exposition au chlordécone.
L'amendement COM-2 est adopté.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Mon amendement COM-1 vise à supprimer certains alinéas qui ne sont pas indispensables.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - L'amendement COM-3 vise à supprimer l'article 1er bis, qui comporte une demande de rapport qui ne semble pas utile.
L'amendement COM-3 est adopté.
L'article 1er bis est supprimé.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - L'amendement COM-4 vise à supprimer la création d'une taxe supplémentaire sur les produits phytosanitaires. En effet, il existe déjà, depuis l'adoption de la loi de finances pour 2014, une fiscalité sur les produits phytopharmaceutiques ; cette dernière est fléchée vers l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). Le taux de cette taxe a d'ailleurs été porté de 0,3 % du chiffre d'affaires à 3,5 % en 2019. Il serait, dans ces conditions, plus utile de réfléchir au rehaussement du plafond de cette taxe lors de l'examen du prochain budget, mais cela dépasse largement le périmètre de ce texte.
L'amendement COM-4 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
Proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Didier Mandelli, président. - Nous examinons à présent le rapport de notre collègue Hervé Gillé sur la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses.
Ce texte, déposé par Mme Florence Blatrix Contat et l'ensemble des membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER), est examiné conformément à la procédure du gentlemen's agreement. Je rappelle que cet usage, qui encadre les pratiques parlementaires relatives aux propositions de loi d'initiative sénatoriale en première lecture, veut que la commission ne modifie pas une proposition de loi examinée dans le cadre d'un espace réservé sans l'accord de son auteur.
Pour mémoire, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance a été fixé par la Conférence des présidents au mardi 10 juin prochain à 12 heures. L'examen en séance publique aura lieu le 12 juin en fin de matinée et en début d'après-midi, dans le cadre de l'espace réservé au groupe SER.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - J'ai le plaisir de vous présenter les grandes orientations de mon rapport sur la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses, présentée par notre collègue Florence Blatrix Contat, que je remercie de sa présence parmi nous, ainsi que l'ensemble des membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Cette initiative législative constitue le prolongement des travaux de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau de 2023, qui était présidée par Rémy Pointereau et dont j'étais le rapporteur. Nous avions conclu que « l'effort premier doit porter sur la prévention, avec une analyse plus approfondie des substances avant mise sur le marché et une meilleure protection des aires de captage des eaux destinées à la consommation humaine, dans la mesure où le coût du traitement est au moins trois fois supérieur à celui de la prévention ». Le texte que nous examinons ce matin se veut la traduction opérationnelle de cette conviction politique forte et partagée au sein de notre assemblée.
Je salue la mobilisation sans faille de notre commission ces dernières années en faveur de l'eau et des milieux aquatiques - notre président est très sensible à cette question. Ce fort intérêt s'illustre notamment par les travaux que nous avons menés sur la résilience hydrique, sur la gestion quantitative et qualitative de la ressource, et sur la diminution des pressions de toute nature susceptibles d'altérer la qualité des eaux. Je ne doute pas que ces approches pionnières prévaudront ce matin et que le texte qui vous est proposé recueillera vos suffrages, même si le contexte politique et budgétaire est délicat. Il s'agit de protéger efficacement nos captages d'eau potable et de réduire les charges, de plus en plus lourdes, de dépollution et de traitement, qui pèsent sur les finances des collectivités territoriales.
Pour bien cerner les enjeux et la problématique, j'esquisserai en premier lieu un rapide panorama des menaces qui pèsent sur une ressource aussi fondamentale que méconnue, l'eau du robinet.
En 2024, la France comptait un peu moins de 37 800 captages actifs destinés à la production d'eau potable, dont 32 500 étaient exploités pour l'adduction collective publique. Environ 18 millions de mètres cubes d'eau y sont prélevés par jour : 96 % des captages sont réalisés en eaux souterraines et permettent de fournir 66 % des volumes prélevés ; 4 % des captages prélèvent dans les eaux superficielles et fournissent 34 % des volumes.
Les pollutions se renforcent chaque jour, car les polluants s'accumulent. Ils se dégradent selon une durée variable. Certains, tels que les polluants dits éternels, ne disparaissent pas. Chaque année, ce patrimoine indispensable à la couverture des besoins domestiques et économiques en eau potable se réduit inéluctablement, du fait de l'abandon de certains équipements. Sur la période 1980-2024, on estime ainsi que près de 14 300 captages ont été fermés. Dans un tiers des cas, la fermeture est imputable à la dégradation de la qualité de la ressource en eau. Cette situation est très préoccupante.
Parmi les captages abandonnés en raison de la dégradation de la qualité de la ressource, 41 % le sont du fait de teneurs excessives en nitrates ou en pesticides : les activités agricoles constituent un facteur de pression significatif sur la qualité de l'eau, même si elles sont loin d'être les seules à contribuer à l'altération de la qualité de la ressource, voire à sa contamination. Jusqu'à présent, aucun instrument juridique, aucune stratégie, aucun mécanisme financier n'est parvenu à inverser la trajectoire de dégradation des eaux brutes.
Un rapport interinspections de juin 2024 a ainsi fait le constat de « l'échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau pour ce qui concerne les pesticides ». Les inspecteurs alertent sur le fait que, sans mesures préventives ambitieuses et ciblées, la reconquête de la qualité des eaux est illusoire. Ils ajoutent que « la préservation de la qualité des ressources en eau brute est un impératif afin de pouvoir continuer à les utiliser pour produire des eaux destinées à la consommation humaine et éviter des coûts de traitement élevés ».
Entre trente et quarante captages sont fermés chaque année pour cause de pollution par les nitrates, les pesticides et leurs métabolites, ce qui réduit d'autant notre capacité à produire une eau de qualité constante dans le temps. En 2023, seuls trois Français sur quatre ont été alimentés en permanence par une eau respectant les limites de qualité réglementaires pour les pesticides et leurs métabolites. Ce chiffre masque de fortes disparités d'un territoire à l'autre : à titre d'illustration, en 2023, en Normandie, seulement 36 % de la population a été alimentée en permanence par des eaux conformes aux normes. On constate une dégradation progressive, qui s'accentue d'année en année.
Cette situation oblige les services publics de l'eau à mettre en oeuvre des traitements modifiant la nature ou la propriété de l'eau avant qu'elle soit distribuée, afin de réduire ou d'éliminer le risque de non-respect des normes sanitaires. Ces traitements engendrent naturellement des surcoûts pour les gestionnaires des services publics d'eau et d'assainissement, entre 1 et 2 milliards d'euros par an pour l'ensemble du territoire national. La mise en oeuvre des traitements pour débarrasser l'eau des pesticides et de leurs métabolites pèse tout particulièrement sur les services des collectivités de petite et moyenne taille. Ces traitements peuvent se traduire, dans les départements faisant face aux pressions les plus significatives, par des augmentations des prix comprises entre 0,3 à 0,4 euro par mètre cube d'eau consommée. Nous sommes en réalité en présence d'un conflit d'enjeux : il faut sécuriser les aires de captage, tout en aidant les agriculteurs à faire face aux contraintes susceptibles d'être imposées.
Ces données et ces constats illustrent la pertinence et les bénéfices des interventions visant à limiter les pollutions diffuses dans le cadre d'une logique préventive, afin de diminuer les coûts liés à la seule approche curative. La gestion des pollutions à la source et la protection des captages d'eau potable constituent une solution pertinente et efficace sur le plan économique, d'autant que le coût du traitement des eaux brutes pour les rendre potables ne cesse d'augmenter, en raison de la hausse des coûts des réactifs et de l'énergie, mais aussi du fait de la nécessité d'éliminer un nombre croissant de polluants présents dans les nappes souterraines. La prévention est primordiale : si nous n'agissons pas rapidement, les coûts augmenteront. Ce type d'approche constitue donc un investissement rentable, car les dépenses évitées sont bien supérieures aux moyens consacrés à la prévention : l'effet de levier est estimé à un pour trois - un euro dépensé pour la prévention évite au moins trois euros de dépense curative.
C'est d'ailleurs l'approche mise en oeuvre au travers des instruments juridiques existants et des différentes stratégies nationales élaborées en faveur des points de captage. Mais le succès est relatif, comme l'illustre, malheureusement, le nombre trop élevé d'abandons de captages - un par semaine en moyenne !
Le corpus normatif encadrant la protection et la qualité de l'eau est foisonnant. Il est coiffé par la directive européenne Eau potable de 1998, qui a été refondue en 2020 : celle-ci vise à protéger la santé humaine des effets néfastes de la contamination des eaux destinées à la consommation humaine, en garantissant la salubrité et la propreté de celles-ci par le biais d'une approche fondée sur les risques en matière de sécurité sanitaire des eaux. La directive-cadre sur l'eau de 2000 vise, quant à elle, à assurer la réduction progressive de la pollution des eaux souterraines et à prévenir l'aggravation de leur pollution.
Le législateur a progressivement renforcé et perfectionné les outils de protection des points de captage, depuis la loi du 15 février 1902, qui prévoyait déjà l'acquisition en pleine propriété des terrains où se trouve le point de captage et l'établissement d'un périmètre de protection contre les pollutions.
Les différentes lois sur l'eau de 1964, de 1992 et de 2006 ont institué différents périmètres, facultatifs ou obligatoires, aux abords et au sein du périmètre hydrographique du point de captage. Toute création d'un captage d'eau potable s'accompagne aujourd'hui d'un périmètre de protection immédiat et, le cas échéant, d'un périmètre rapproché, pouvant être complété par un périmètre éloigné. Ces périmètres sont institués par la voie d'une déclaration d'utilité publique (DUP) : à ce jour, 85 % des captages sont protégés par de tels périmètres, les captages non couverts étant principalement situés en zone montagneuse.
On constate toutefois que la délimitation de ces périmètres de protection ne suffit pas à protéger efficacement contre les pollutions diffuses. Pour les captages particulièrement sensibles aux pollutions anthropiques, il convient de définir des programmes d'actions, lesquels peuvent être complétés, depuis 2007, en cas d'échec des mesures prévues dans ce cadre, par la mise en oeuvre d'une zone soumise à contrainte environnementale (ZSCE), afin d'agir sur le secteur le plus important pour la qualité de la ressource en eau potable.
La loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques a ouvert la possibilité de délimiter des aires d'alimentation de captage (AAC). Cette notion, qui repose sur une approche hydrogéologique, correspond aux surfaces sur lesquelles l'eau qui s'infiltre ou ruisselle participe à l'alimentation de la ressource en eau dans laquelle se fait le prélèvement. À l'intérieur de ces périmètres, des zones de protection peuvent être délimitées, au sein desquelles il est nécessaire d'assurer la protection quantitative et qualitative des aires d'alimentation des captages d'eau potable d'une importance particulière pour l'approvisionnement actuel ou futur.
Les collectivités territoriales peuvent également, de leur propre initiative, intégrer des prescriptions de protection des captages dans leur plan local d'urbanisme (PLU), au travers du mécanisme des servitudes de protection, l'interdiction de certaines activités sur des terrains privés ou l'acquisition des terrains autour des captages pour assurer leur protection.
Le caractère foisonnant et l'empilement de ces dispositifs constituent un facteur indiscutable d'illisibilité et de complexité, notamment pour mettre en oeuvre les actions de prévention de la dégradation de la qualité des ressources en eau. Les dispositions encadrant la protection des captages d'eau destinée à la consommation humaine relèvent en effet de quatre codes différents, ce qui est source de possibles superpositions des périmètres et de confusion à propos des plans d'action instaurant des mesures de protection et d'action.
Outre ces instruments juridiques, des stratégies ont été élaborées pour rétablir la qualité des eaux souterraines : je pense notamment aux 500, puis 1 000 « captages prioritaires » annoncés lors du Grenelle de l'environnement de 2009 et de la conférence environnementale de 2013, aux différents plans Écophyto, ou au plan Eau de mars 2023. Je pourrai aussi citer la feuille de route du Gouvernement, présentée en mars dernier, visant à améliorer la qualité de l'eau par la protection de nos captages ; elle est copilotée par les ministères chargés de l'environnement, de l'agriculture et de la santé : l'ambition est de définir 3 000 « captages sensibles » et de concentrer l'effort sur la reconquête de leur qualité. Il est prévu que l'arrêté ministériel soit publié en octobre, mais il sera probablement publié plus tard, car le dossier est complexe. Les négociations risquent d'être longues, mais il est nécessaire d'agir. Notre rôle de parlementaires est de mener une réflexion en profondeur sur ce sujet.
Que retenir de cet arsenal législatif et réglementaire ? Un constat s'impose : la lutte efficace et transformatrice contre les pollutions diffuses est encore à venir ! Nous avons collectivement échoué à protéger la qualité des eaux souterraines. Les objectifs de reconquête de la qualité des masses d'eau fixés par la directive-cadre sur l'eau ne seront pas atteints et les élus locaux feront prochainement face à un mur d'investissements et à des impasses techniques pour garantir, en tout temps et en tout lieu, une eau répondant aux normes sanitaires.
Le moment est solennel. Le délégué général de l'association Amorce nous a indiqué qu'il craignait une forte inflation des coûts de traitement au cours de la prochaine décennie, de l'ordre de 50 % à 60 %. Cette hausse se répercutera mécaniquement sur le prix de l'eau, si nous ne faisons rien aujourd'hui.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, l'urgence nous commande d'agir de façon volontariste et déterminée si nous voulons inverser la dynamique délétère de dégradation de la qualité de l'eau. Ce texte, que je vous invite à adopter, vise ainsi précisément à interdire, d'ici à 2031, l'utilisation de produits phytosanitaires au sein des zones de protection des aires d'alimentation des captages. Cette mesure constitue la première brique d'une méthode globale, plus fédératrice, assortie de moyens financiers dédiés et de mécanismes d'accompagnement et d'aide à la transition.
Ce texte ne vise nullement à désigner les agriculteurs comme responsables d'une situation qu'ils subissent eux aussi. Son dispositif doit être indiscutablement complété pour combiner mesures accompagnatrices et coercitives, au moyen d'instruments financiers - paiements pour services environnementaux (PSE), mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), aides à la conversion, contractualisation avec objectifs de moyens et de résultats, etc. - pour créer une dynamique en donnant les impulsions nécessaires. Pour agir, il faut accompagner les acteurs concernés et faire en sorte que les évolutions soient acceptables. C'est dans ce sens que je souhaite amender ce texte, en accord avec son auteure.
Afin de rééquilibrer les leviers d'action en faveur de la reconquête de la qualité des eaux brutes, je vous soumettrai dans quelques instants cinq amendements, qui visent à circonscrire l'interdiction contenue dans ce texte aux zones où cette mesure est la plus efficace et la plus transformatrice, et à trouver les voies pour accompagner le monde agricole vers la transition qui rendra notre système agricole plus durable, plus souverain et plus rémunérateur.
Je ne saurai trop vous inviter, mes chers collègues, à vous prononcer en faveur de ce texte qui vise à préserver ce que nous avons de plus précieux et de plus vital : la ressource en eau.
Il faut créer les conditions d'un dialogue efficace pour mobiliser tous les acteurs. Nous voulons mettre en avant un dialogue de gestion, assorti d'engagements réciproques, afin de négocier des objectifs et déterminer les moyens de les atteindre. L'approche serait moins coercitive pour ceux qui s'engageraient dans cette logique contractuelle. Le but est d'impulser une dynamique qui associe tous les acteurs sur le terrain, afin de préserver notre ressource en eau.
Mme Florence Blatrix Contat, auteure de la proposition de loi. - L'eau potable, ce bien vital que l'on croyait acquis, devient aujourd'hui une ressource fragile, de plus en plus rare et chère, dont il est de plus en plus difficile de garantir la conformité aux normes sanitaires.
J'ai été, pendant dix ans, vice-présidente d'un syndicat des eaux. J'ai rencontré différentes situations. L'eau d'un captage dont nous avions pu acquérir les terrains environnants ne comportait ni nitrates ni pesticides, et était parfaitement conforme aux normes sanitaires. Un autre captage était associé à une usine de traitement des eaux. Dans l'eau issue d'autres captages, les taux de pesticides atteignaient les valeurs limites autorisées, ce qui entraîne des difficultés en ce qui concerne l'information de la population et le traitement de l'eau. C'est pour cette raison que j'ai pris l'initiative de déposer cette proposition de loi.
Comme notre rapporteur l'a indiqué, 14 000 captages ont été abandonnés depuis les années 1980, dont près de 40 % d'entre eux à cause des pollutions aux nitrates et aux pesticides. En 2022, 10 millions de Français ont bu au moins une fois une eau du robinet non conforme aux normes sur les pesticides. Un tiers des nappes phréatiques est contaminé. Ce constat est accablant. En dépit des plans, des lois et des dispositifs incitatifs adoptés depuis des décennies, près d'un captage sur six n'a toujours pas de périmètre de protection. Les plans d'action qui encadrent la mise en place des aires d'alimentation des captages sont trop peu contraignants.
En réalité, la situation continue de se dégrader, les fermetures de captage s'accélèrent et ce sont nos collectivités qui en payent le prix. Quand un captage devient inexploitable, les communes, les syndicats des eaux, les intercommunalités doivent s'adapter, procéder à de nouveaux forages, mettre en oeuvre des traitements complexes, et la facture explose. On estime que les surcoûts liés à la pollution s'établissent dans une fourchette entre 1 et 2 milliards d'euros par an, ce qui est considérable.
Par ailleurs, je rappelle que les charbons actifs sont importés. Il s'agit donc aussi d'une question de souveraineté et de santé publique. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a clairement établi que l'exposition chronique aux pesticides s'accompagne de pathologies graves, en particulier chez les femmes enceintes, les enfants et les agriculteurs. Nous avons le devoir d'anticiper.
Allons-nous dès lors continuer simplement à réparer, à grands frais, les conséquences de notre inaction ? Ou bien allons-nous enfin protéger nos ressources en eau à la source ? C'est l'orientation de cette proposition de loi, qui vise à interdire de manière progressive l'usage et le stockage des pesticides. Je tiens à saluer le travail de notre rapporteur, qui l'a rendue plus opérationnelle. Ses amendements tendent à introduire des paliers progressifs, à protéger les agriculteurs qui utilisent peu d'intrants ou exercent en agriculture bio, à instaurer un accompagnement technique et financier pour réaliser la transition, à cibler des zones critiques et à développer une logique contractuelle, par le biais d'engagements réciproques entre les exploitants et les gestionnaires de l'eau.
Ce texte est une réponse collective à un problème structurel, qui est devant nous. Il reconnaît le rôle central des agriculteurs et leur propose un chemin réaliste vers une agriculture plus durable sur des zones vitales pour notre alimentation en eau. Il répond aussi à la demande de nombreux élus de toute sensibilité, qui souhaitent la création d'outils efficaces, car les coûts deviennent trop importants. Les politiques incitatives ont produit des résultats, mais ceux-ci sont trop limités, trop locaux, pour inverser une tendance nationale. Les objectifs de réduction des pesticides ne sont pas atteints et les masses d'eau restent, pour beaucoup d'entre elles, en mauvais état. Il est temps de franchir un cap.
Ce texte prolonge les recommandations du Sénat, de l'Assemblée nationale, des agences de l'eau, des associations d'élus, des rapports d'inspection, etc. Il va dans le sens des conclusions de la mission d'information sénatoriale sur la gestion durable de l'eau que nous avions conduite voilà deux ans. La question de la qualité de l'eau dépasse les clivages politiques. Elle constitue un enjeu de santé, de justice territoriale et de solidarité.
Mes chers collègues, nous avons l'occasion de faire un choix en responsabilité pour la santé publique, pour nos finances publiques, pour nos communes, pour notre souveraineté. Je vous encourage à soutenir cette proposition de loi.
M. Pascal Martin. - Le groupe Union Centriste partage le constat de notre rapporteur : les stratégies existantes pour rétablir la qualité des eaux ont échoué. Il convient de mettre en oeuvre des politiques publiques transversales, dans une logique d'accompagnement - c'est très important - et d'aide à la transition des pratiques et des méthodes culturales.
Le texte mobilise pour l'essentiel le levier coercitif. Il vise à interdire, à partir de 2031, l'utilisation et le stockage de produits phytosanitaires et des engrais minéraux au sein des périmètres de protection des aires d'alimentation des captages. Si cette approche peut paraître pertinente dans certains cas, notamment là où les pressions sur les ressources sont les plus fortes, ce profond changement des pratiques agricoles risque de fragiliser la viabilité agronomique et économique des exploitations concernées. Il est donc indispensable de prévoir des mesures d'accompagnement des agriculteurs. La lutte contre les pollutions diffuses ne sera efficace que si le monde agricole et l'ensemble des acteurs de l'eau sont associés.
Il nous paraît cependant quelque peu prématuré de légiférer alors que le Gouvernement vient de présenter sa feuille de route stratégique visant à améliorer la qualité de l'eau par la protection de captage. Ce chantier devrait aboutir d'ici à la fin de l'année. Attendons ses conclusions.
Ensuite, dans le contexte actuel de crise agricole que nous connaissons, et compte tenu des négociations en cours entre les deux assemblées sur ce sujet, il ne semble pas judicieux d'adopter des contraintes supplémentaires pesant sur les agriculteurs.
Cependant, nous saluons le travail de notre rapporteur, qui s'est efforcé de rendre le texte plus acceptable en introduisant quelques mesures d'accompagnement bienvenues. Malheureusement, compte tenu des éléments de contexte et de temporalité que j'ai évoqués, le groupe Union Centriste ne pourra pas approuver cette proposition de loi, et, par cohérence, votera contre les amendements du rapporteur, même si certains vont dans le bon sens.
M. Didier Mandelli, président. - J'indique que ce sera aussi la position du groupe Les Républicains.
M. Olivier Jacquin. - Ce texte est bienvenu. Voilà un peu plus de vingt ans que je suis en politique et que je m'intéresse à ces questions. Or, très peu de progrès ont été réalisés pour protéger les périmètres de captage. Les fermetures de captage continuent à être, comme l'a dit Hervé Gillé, le principal outil politique de régulation de la qualité de l'eau. Cette situation aboutit à un désastre écologique considérable.
J'ai été membre de la commission d'enquête sénatoriale sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Celle-ci a permis de s'intéresser à la question de la qualité des eaux. Tous les industriels de l'eau minérale ont pris des mesures pour protéger leurs périmètres de captage, en interdisant l'utilisation des produits phytosanitaires et en soutenant les cultures à bas niveaux d'intrants. Nous connaissons tous, mes chers collègues, dans nos départements respectifs, des situations où l'on a pu, par le recours à des outils de maîtrise foncière ou grâce à une contractualisation forte, changer de type d'agriculture, ce qui s'est accompagné d'une amélioration considérable de la qualité de l'eau.
Ce texte est véritablement un texte de santé publique. En tant qu'agriculteur, je souscris aux propos de notre rapporteur et de l'auteure de la proposition de loi. Nous n'avancerons pas sans un accompagnement important des agriculteurs, par le biais, par exemple, des paiements pour services environnementaux, des mesures agroenvironnementales et climatiques, ou de la contractualisation dans le cadre de la politique agricole commune.
Alors que le Gouvernement commence à travailler sur la question des périmètres de captage, le moment semble opportun, contrairement à ce que vient de dire notre collègue Pascal Martin, pour lui envoyer un signal fort.
M. Ronan Dantec. - Depuis toujours la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) est opposée à la protection des espaces de captage, et ce pour des raisons idéologiques : elle ne souhaite pas voir apparaître ainsi de grands espaces qui seraient la vitrine d'une autre agriculture.
On sait, comme notre rapporteur l'a rappelé, que cette absence de protection des périmètres coûte très cher à la société française, aux collectivités territoriales, et génère des risques en termes de santé publique.
Le travail du Sénat est de trouver la voie pour parvenir à protéger les périmètres de captage, ce qui est indispensable en raison du changement climatique. Si le réchauffement moyen est de 4 degrés Celsius, la question de l'eau deviendra particulièrement prégnante.
Dès lors, soit le politique regarde ailleurs et laisse la société se réguler, parce que les uns et les autres n'ont pas les mêmes intérêts politiques et ne développent pas les mêmes argumentaires à partir de l'analyse de la situation actuelle ; soit, nous nous efforçons, comme le Sénat avait coutume de le faire, de trouver la voie d'un compromis, pour éviter d'assister à une judiciarisation accrue sur le terrain, à des plaintes massives contre les agriculteurs. Voyez ce qui se passe autour de Redon, où des élus locaux, qui ne sont pourtant pas de gauche, s'opposent fortement à une partie du monde agricole pour la préservation des nappes phréatiques. Une logique d'affrontement est déjà à l'oeuvre dans la société, la sensibilité aux questions de l'eau ne fera que croître.
L'examen de cette proposition de loi doit être l'occasion pour le Sénat de faire des propositions et d'orienter la réflexion du Gouvernement. S'abstenir d'agir ne serait pas responsable. N'attendons pas l'élection présidentielle qui aura lieu dans deux ans. Le Sénat a toujours su trouver des compromis. Ne nous privons pas des leviers parlementaires à cause de postures politiciennes. Vu l'urgence sanitaire et économique, il ne serait pas responsable de ne pas voter cette proposition de loi. Si nous ne faisons rien, cela coûtera un pognon de dingue ! Si nous cédons à la FNSEA, qui s'oppose pour des raisons purement idéologiques à la protection des périmètres de captage, nous manquerons une opportunité.
M. Didier Mandelli, président. - Notre rapporteur pourra sans doute, afin de vous répondre, nous préciser le contenu de l'audition de la FNSEA organisée dans le cadre de ses travaux préparatoires.
Mme Kristina Pluchet. - Il existe des zones de protection autour des périmètres de captage. Elles ne sont peut-être pas suffisantes, mais les agriculteurs sont déjà soumis à des contraintes. Je m'interroge sur l'interdiction du stockage des produits phytosanitaires. De même, si l'on élargit les périmètres, que se passera-t-il ? Que fera-t-on des exploitations d'élevage, des coopératives ou des usines déjà existantes qui se retrouveront incluses dans les nouveaux périmètres ? Faudra-t-il les délocaliser ? Le texte est muet à cet égard. Il mérite une étude d'impact approfondie. De nombreux points sont à revoir. Dans sa rédaction actuelle, cette proposition de loi mériterait des éclaircissements.
M. Alexandre Basquin. - Ce texte constitue une vraie opportunité. Je salue son auteure pour son audace et son volontarisme. Je salue aussi le travail pertinent de notre rapporteur. Les arguments et les chiffres qui ont été avancés montrent bien qu'il faut tout mettre en oeuvre pour préserver la ressource en eau et maintenir sa qualité.
Nous soutenons ce texte, même si les amendements du rapporteur amoindrissent sa portée, en ce qui concerne les exemptions ou la réduction des sanctions. Nous ne sommes pas hostiles à un accompagnement des agriculteurs - loin de là ! Nous avons en effet tout à gagner collectivement à ne pas opposer agriculture et préservation de l'eau.
Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky votera la proposition de loi, mais s'abstiendra sur les amendements.
M. Jean-Claude Anglars. - Je remercie notre rapporteur d'avoir rappelé toutes les mesures qui ont été adoptées sur le sujet depuis 1902.
La solution retenue dans cette proposition de loi est brutale, même si je peux partager certains éléments du constat. Je pense notamment aux territoires d'élevage, où coexistent des espaces pour le bétail et des périmètres de protection des captages. Ces derniers existent déjà.
Sur de tels sujets, je préfère le dialogue local. L'adoption par l'Europe de mesures agro-environnementales s'est ainsi accompagnée d'un dialogue permanent entre les agriculteurs, les acteurs des territoires, le Gouvernement et les autorités européennes. Il est dangereux de proposer une interdiction systématique d'un certain nombre de produits et de pratiques. Le monde agricole se sent agressé, et c'est normal.
J'aurais préféré que nous nous inspirions des conclusions de la mission commune d'information du Sénat sur les pesticides qui avait été présidée par Sophie Primas et dont la rapporteure était Nicole Bonnefoy. Il était préconisé de conclure des chartes locales. Il convient de privilégier une approche territorialisée pour résoudre les problèmes. C'est d'ailleurs ce qui se fait déjà.
En tout cas, je suis opposé à l'interdiction de l'utilisation et du stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux au sein des périmètres de protection des aires d'alimentation des captages. Voilà une mesure brutale et contre-productive. Cela se retournera contre les auteurs du texte. Dans les territoires, notamment de montagne, nous avons mis en oeuvre des pratiques de concertation : inspirons-nous de cette démarche.
Mme Marta de Cidrac. - Je m'interroge sur les chiffres qui illustrent les enjeux dont nous débattons ce matin. Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, près de 12 500 captages actifs ont été fermés en vingt ans, dont 34 % à cause de pollutions aux nitrates et aux pesticides. Pour quelles raisons les autres captages ont-ils été fermés ? On se focalise sur le volet agricole, mais il y a certainement d'autres sources de pollution.
M. Michaël Weber. - Je remercie l'auteure de cette proposition de loi qui va dans le sens de l'histoire. Je salue aussi le travail de notre rapporteur, qui s'est efforcé de trouver un consensus.
Il n'y a pas de brutalité à essayer de trouver des solutions à un problème qui préoccupe nos concitoyens. La qualité de l'eau, comme celle de l'air, suscite chez nos concitoyens de grandes inquiétudes.
Certains ont évoqué le calendrier en indiquant qu'il n'était pas opportun d'adopter ce texte maintenant. Il est vrai que, depuis un an, la question des difficultés du monde agricole est prégnante. Il faut reconnaître la valeur ajoutée de l'agriculture. Mais la commission d'enquête sur les eaux minérales a démontré sans ambiguïté qu'il y avait un problème de qualité des eaux. Il faut tenir compte de ces deux éléments. On ne peut pas se contenter de dire que le contexte est défavorable et invoquer les difficultés des agriculteurs. C'est d'ailleurs le même argument que l'on nous opposait lors de l'examen de notre proposition de loi visant à préserver des sols vivants l'an dernier.
Notre président nous a dit que le rapporteur nous préciserait le contenu de ses échanges avec la FNSEA. Mais le Sénat ne doit pas être sous la tutelle de la FNSEA !
M. Didier Mandelli, président. - Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit ! Je faisais simplement état des discussions préalables que j'ai eues avec le rapporteur à propos de ses travaux préparatoires.
M. Michaël Weber. - J'ai participé à plusieurs auditions avec le rapporteur. Il est toutefois maladroit de ne mentionner qu'un seul organisme...
M. Didier Mandelli, président. - Ce n'est pas moi qui l'ai cité !
M. Michaël Weber. - Ce texte va dans le sens des attentes de nos concitoyens. Ces derniers comprendraient mal qu'on ne l'adopte pas, alors que l'on fait par ailleurs le constat de l'existence de problèmes relatifs à la qualité des eaux. Des protections des captages existent déjà, certes, mais elles sont notoirement insuffisantes. Ce texte prévoit des mesures d'accompagnement. N'attendons pas que le Gouvernement présente son plan d'action. Si nous parvenons à un consensus au Sénat, nous pourrions orienter sa réflexion.
Le groupe SER votera ce texte, ainsi que les amendements du rapporteur.
M. Damien Michallet. - Le Sénat a pour vocation de rechercher le consensus. Je rejoins la position de l'opposition sur ce sujet, mais ce n'est pas rare.
Toutefois, je déplore que cette proposition de loi s'inscrive dans une approche très dogmatique : on prétend agir au nom de tout le monde, mais sans s'intéresser aux gens. On fait les mêmes erreurs que pour le dispositif « zéro artificialisation nette » (ZAN). Nous sommes tous d'accord sur le fond, mais l'approche retenue n'est pas bonne. On va braquer les gens dans les territoires. L'approche est unilatérale et trop parisienne.
Il faut penser par les territoires, et non pour les territoires. Laissons les élus locaux faire leur travail. Si les mesures de protection ne sont pas suffisantes, aidons les territoires à les améliorer, mais n'imposons pas. On ne peut pas tout résoudre depuis Paris. Chaque cas est spécifique. Le Sénat doit penser aux territoires. Nous devons les accompagner, pour qu'ils puissent traiter cette question, en fédérant l'action des associations locales, des agriculteurs et surtout des consommateurs d'eau.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Mon collègue a raison : laissons les territoires s'organiser. Je voudrais témoigner de l'expérience d'une agglomération qui a su gérer son champ captant, en lien avec les agriculteurs, les syndicats d'agriculteurs et les chambres d'agriculture. L'eau affleurait parfois sur les sols et alimentait une petite rivière, l'Escrebieux. Nous avons acheté les terrains environnants. Les agriculteurs ne payent pas de loyer et ils sont indemnisés en fonction du choix des cultures. Nous indemnisons même les associations de chasseurs pour qu'elles achètent des munitions en céramique, qui ne contiennent pas de plomb, car ces dernières sont susceptibles de contaminer la nappe phréatique. Quand on le veut, on peut mettre en oeuvre des mesures qui fonctionnent sur le terrain ; cela suppose des moyens et du dialogue, mais cela fonctionne, y compris avec les syndicats agricoles.
J'aurais aimé que l'auteure de cette proposition de loi ou le rapporteur nous propose de modifier le code de l'urbanisme. Les nappes sont essentiellement alimentées par les eaux pluviales. Or, dans certains territoires, la gestion des eaux pluviales à la parcelle n'est pas obligatoire. Les eaux pluviales vont dans le réseau d'assainissement et alimentent la station d'épuration. Le délégataire de service public pour l'eau et l'assainissement ne s'en plaindra certainement pas, puisqu'il a alors à traiter de l'eau propre à 97 %, quand on le paye pour nettoyer de l'eau sale ! Or, pendant que la station d'épuration est pleine, le reste des eaux va dans la nappe. Il conviendrait donc de réfléchir à la question de l'infiltration des eaux pluviales.
La protection des nappes phréatiques est aussi un problème d'État. Dans mon territoire, la consommation de l'eau de la nappe est interdite aux femmes enceintes et aux nourrissons de moins de 6 mois, en raison de la pollution au perchlorate d'ammonium due aux munitions employées durant la Première Guerre mondiale. Quand la nappe est remplie, le taux des polluants est faible, mais, en période estivale, quand le niveau de la nappe est faible, la concentration des polluants augmente mécaniquement et dépasse parfois les taux limites définis par l'Europe. Cette dernière a d'ailleurs un rôle important à jouer en la matière. En tout cas, il faut veiller à ce que les eaux pluviales retournent au sol.
Nous n'avons pas parlé non plus des futures centrales nucléaires, les EPR, ni des usines de fabrication de batteries pour les voitures électriques, qui vont consommer des millions de mètres cubes d'eau supplémentaires, ce qui aura des conséquences sur le niveau des nappes phréatiques. Certaines de ces infrastructures seront installées en bord de mer, mais désaliniser l'eau de mer coûte très cher et personne ne veut payer.
Il conviendrait donc de dépasser la simple question de la protection des champs captants, et de s'intéresser au code de l'urbanisme, afin de préparer l'avenir et d'anticiper les conséquences de l'installation de nouvelles structures industrielles très consommatrices d'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je vous remercie pour ces nombreuses interventions, qui enrichissent utilement nos échanges.
Je commencerai par formuler une remarque générale. Le texte dont nous débattons doit être apprécié à la lumière des amendements qui ont été déposés. Autrement dit, la lecture politique de ce texte passe nécessairement par une analyse tenant compte de sa version amendée. Or certaines observations que vous avez faites laissent à penser que les amendements proposés n'ont pas été pris en considération.
Ainsi, s'agissant de l'horizon de 2031, nous ne sommes plus sur cette échéance, car le texte a été substantiellement modifié. Nous parlons désormais d'un délai de dix ans à compter de la promulgation de la loi, ce qui est un ajustement majeur en matière de calendrier. Ce délai me semble être une position raisonnable dans la perspective d'une stratégie d'accompagnement. Dès lors, l'argument que vous avez avancé ne tient plus.
Plusieurs d'entre vous ont souligné la nécessité d'associer l'ensemble des acteurs, en exprimant des réserves sur la stratégie d'accompagnement financier. C'est précisément ce que nous visons au travers de nos amendements. Nous proposons en effet un dispositif préalable, qui a d'ailleurs retenu l'attention de la FNSEA. Je me permets ici de reprendre une remarque formulée par Didier Mandelli : lors d'un échange en amont, nous avons évoqué les différentes positions exprimées lors des auditions et il est apparu que, sur le fond, celle de la FNSEA n'était pas très éloignée de celle que nous défendons. Elle s'inscrit dans un contexte donné que je comprends parfaitement. J'ai bien conscience du décalage qui peut exister entre une responsabilité syndicale nationale et les difficultés qu'il y a à faire passer des messages au niveau local.
Sur la question des contrats d'engagements réciproques, que nous posons comme une pierre angulaire, notre volonté est claire : nous voulons, avant toute logique coercitive, instaurer un dialogue à l'échelle des territoires, impliquant chaque partie prenante dans les aires d'alimentation des captages. Il s'agit là d'un dialogue d'engagement réciproque où l'on négocie les objectifs à atteindre et les moyens à mobiliser avec les acteurs locaux, dans une perspective particulièrement territorialisée.
Le Girondin que je suis souhaite réagir à la logique excessive que certains d'entre vous ont suggérée. En effet, l'approche que nous défendons est ultra-territorialisée. Les points de captage d'eau potable sont tous différents, de sorte qu'il serait absurde d'appliquer un dogme uniforme au niveau national. Ce sont les diagnostics locaux qui orientent les mesures à mettre en oeuvre.
Je le redis, notre méthode repose bien sur une approche territorialisée, négociée avec les parties prenantes. Telle est notre volonté. Et, en ce qui concerne le calendrier, l'objectif demeure fixé à dix ans à compter de la promulgation de la loi. Nous nous laissons ainsi du champ pour déployer les actions nécessaires.
S'agissant du travail en cours avec le Gouvernement, il convient de parler clair : pensez-vous vraiment qu'un projet de loi gouvernemental verra le jour d'ici à la fin de l'année, ou en 2026, compte tenu du contexte institutionnel et politique que vous connaissez aussi bien que moi ? Vous le savez pertinemment : il y a 99 % de chances qu'aucun texte ne soit présenté.
Le Gouvernement lui-même, à tout le moins plusieurs ministres chargés de ce dossier, reconnaissent l'intérêt des initiatives parlementaires, qui permettent de faire vivre des projets. Nous nous inscrivons clairement dans cette dynamique.
Jean-Claude Anglars a évoqué une forme de brutalité, mais ce terme ne correspond pas à la réalité. Ce que je décris ici, c'est une stratégie d'accompagnement, reposant sur la négociation des moyens. Si nous avions le temps, nous pourrions en débattre, car c'est un sujet qui le mérite, mais l'ordre du jour ne le permet pas. L'objectif est clair : il s'agit d'essayer de négocier des briques financières à différents niveaux d'intervention pour consolider l'action territoriale.
S'agissant de la remarque de Marta de Cidrac sur les fermetures de captages, il faut le dire sans ambiguïté : certaines relèvent, certes, de problèmes liés à la pollution, mais d'autres s'expliquent par un manque de ressources, par des processus de rationalisation engagés à un moment donné, voire par des systèmes devenus obstrués ou dysfonctionnels. Toutes ces situations conduisent également à des fermetures au niveau des aires de captage.
Je rappelle aussi, pour faire écho aux propos de Jean-Pierre Corbisez que la gestion des eaux pluviales s'intègre désormais pleinement aux politiques d'urbanisme, dans les PLU et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). C'est dans ce cadre que doit se construire une véritable stratégie pour le pluvial.
Aujourd'hui, certains schémas de cohérence territoriale (Scot) indiquent clairement qu'il y aura moins de permis de construire parce que la ressource en eau diminue. Il convient de garder cette donnée à l'esprit.
M. Didier Mandelli, président. - Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer qu'il inclut les dispositions relatives aux obligations et interdictions découlant de la reconquête de la qualité des eaux souterraines ; à la délimitation de périmètres de protection des captages d'eau potable, aux prescriptions s'appliquant au sein des zones ainsi délimitées et à l'entrée en vigueur des dispositifs réglementaires ou contractuels associés ; aux sanctions susceptibles d'être prononcées en cas de non-respect des prescriptions relatives à la protection des aires de captage d'eau potable.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Mon amendement COM-1 vise à redéfinir le périmètre d'application du dispositif de prohibition des usages et du stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux, en se référant à des zones qui font l'objet d'une délimitation obligatoire. L'interdiction serait d'application systématique au sein des périmètres de protection immédiate et rapprochée, lorsque le point de prélèvement est considéré comme sensible, c'est-à-dire lorsque les résultats d'analyse de la qualité de l'eau font apparaître des niveaux excédant des seuils fixés par arrêté. Cette même interdiction concernerait également les engrais minéraux au sein des zones vulnérables aux pollutions par les pesticides.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'amendement COM-2 vise à compléter le texte par un volet indispensable dédié à l'accompagnement. J'insiste à nouveau sur la nécessité de proposer la création d'un contrat d'engagements réciproques, afin d'assurer la protection de la ressource en eau potable entre un exploitant agricole et le gestionnaire chargé de la production ou de la distribution de l'eau potable. Ce contrat vise à réduire les pollutions diffuses, mais en ayant un accord librement consenti par les parties. Nous sommes donc dans une démarche clairement volontariste, dans ce cadre, avant d'arriver à la démarche coercitive.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à réécrire la disposition relative au décret fixant les seuils intermédiaires de réduction de l'usage et du stockage des produits phytopharmaceutiques et des engrais minéraux, en tenant compte de la création des contrats d'engagements réciproques. Il s'agit de respecter le rythme de diminution des usages de systèmes fixés par décret, à moins qu'un exploitant n'ait conclu un contrat d'engagements réciproques, qui implique un dialogue d'accompagnement.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à différer l'entrée en vigueur de l'interdiction d'utilisation et de stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux portée initialement par l'article 1er. Nous avons bien vu qu'il fallait donner du temps dans ce cas de figure, d'où le délai de dix ans à compter de la promulgation de la loi.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
L'article 1er n'est pas adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'amendement COM-5 vise à supprimer l'article 2 relatif à la sanction prévue en cas de violation de l'interdiction introduite à l'article 1er. Je souligne également l'effort qui a été fait pour diminuer le montant des amendes, dans la mesure où le montant de 75 000 euros nous a semblé trop important. Nous l'avons divisé par dix et il est désormais proportionné au niveau du chiffre d'affaires net produit par l'exploitation, ce qui protège les petites exploitations. Nous avons donc fait un geste supplémentaire pour atténuer la brutalité du texte.
L'amendement COM-5 n'est pas adopté.
L'article 2 n'est pas adopté.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
Proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Didier Mandelli, président. - Nous en venons au dernier point de notre ordre du jour, l'examen de la proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins déposée le 27 mars dernier par Mme Mathilde Ollivier et plusieurs de ses collègues.
Comme évoqué précédemment, cette proposition de loi est aussi examinée conformément à la procédure du gentlemen's agreement.
Pour mémoire, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance a été fixé par la Conférence des présidents au mardi 10 juin prochain à 12 heures. L'examen en séance publique aura lieu le 12 juin au cours de l'après-midi, dans le cadre de l'espace réservé au groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST).
M. Jacques Fernique, rapporteur. - J'ai le plaisir de vous présenter mon rapport sur la proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins, déposée par Mathilde Ollivier et plusieurs collègues le 27 mars dernier. Ce texte vise deux objectifs complémentaires : renforcer l'ambition de nos aires marines protégées et accompagner le secteur de la pêche vers des pratiques plus durables. Il repose sur un constat simple et étayé par la science : la préservation de la biodiversité marine et celle des activités de pêche dans leur diversité sont un combat commun.
Nos sociétés dépendent étroitement des océans pour leurs modes de vie, et la subsistance de plus d'un habitant sur dix de la planète repose sur la pêche.
Les océans, qui couvrent 70 % de la surface de la planète, nous rendent en outre de précieux services écosystémiques. D'une part, ils absorbent chaque année un tiers de nos émissions de CO2, ce qui leur confère un rôle majeur en matière d'atténuation du changement climatique. D'autre part, le bon état des écosystèmes côtiers, comme les mangroves, les herbiers et les récifs coraliens, contribue à réduire l'impact de la hausse du niveau de la mer et des tempêtes sur les territoires littoraux à travers l'accélération des phénomènes d'accrétion.
Malheureusement, les océans et leurs écosystèmes sont aujourd'hui touchés de plein fouet par les effets du changement climatique ainsi que par de multiples pressions d'origine anthropique. Le constat est alarmant : 94 % des habitats marins et côtiers d'intérêt communautaire en métropole sont en mauvais état selon l'Office français de la biodiversité (OFB). Dans les outre-mer, 29 % des récifs coralliens sont en diminution et 29 % des oiseaux des terres australes sont menacés. Sur les 4 732 espèces animales marines présentes en France et évaluées dans le cadre de la liste rouge mondiale de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 2022, pas moins de 336 espèces, soit 7 % d'entre elles, sont considérées comme éteintes ou menacées.
Cette érosion de la biodiversité marine fragilise, de fait, les services écosystémiques rendus par les océans et menace directement l'avenir du secteur de la pêche. Avec un tel rythme de dégradation des écosystèmes, nous sommes véritablement au pied de la vague et à l'aube d'un changement de paradigme, sur le plan écologique bien sûr, mais également sur le plan socio-économique pour l'ensemble de la filière pêche.
Au-delà des effets du changement climatique et des pollutions marines, la surexploitation des stocks de poissons constitue le principal facteur de déclin de la biodiversité marine. La surpêche, qui désigne, selon l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), les cas où la pression de pêche exercée sur un stock de poissons est supérieure à celle permettant son exploitation maximale durable, a concerné 20 % des volumes débarqués en France en 2023. De multiples espèces ont d'ailleurs été classées comme « surpêchées », comme le maquereau dans l'Atlantique et le chinchard en Manche Est et en mer du Nord, ou comme « effondrées », à l'instar de la sole en Manche Est et du merlu en Méditerranée. On observe en outre une baisse de plus en plus marquée du renouvellement des générations - il y a moins de poissons jeunes et juvéniles -, ce qui constitue un risque de déclin de l'abondance de certaines populations.
Les pratiques de pêche non sélectives, comme le chalutage, se révèlent particulièrement dommageables pour l'équilibre des écosystèmes marins et des réseaux trophiques, car elles conduisent à capturer des poissons juvéniles et des espèces non visées. Le chalutage de fond endommage en outre les fonds marins et conduit à un brassage des sédiments qui libère du CO2.
Face à ces enjeux, l'Union européenne a adopté en 2020 une stratégie en faveur de la biodiversité prévoyant, d'ici à 2030, la mise sous protection d'au moins 30 % des mers de l'Union, dont 10 % sous protection stricte. La Commission européenne a défini cette notion de « protection stricte », en s'inspirant de celle qui a été retenue par l'UICN : ne peuvent être admises dans ces zones que les activités compatibles avec l'objectif de conservation ou de restauration des milieux.
La France a traduit les objectifs européens au niveau national au travers de la stratégie nationale des aires protégées (Snap) publiée en janvier 2021, qui fixe l'objectif de protéger au moins 30 % du territoire d'ici à 2030, dont 10 % sous protection forte. Cette stratégie a été consacrée au niveau législatif par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et Résilience.
La notion de protection forte retenue par la France, définie dans un décret d'avril 2022, se révèle très en deçà des standards définis au niveau européen et international, puisqu'elle ne bannit sur le principe aucune activité, pas même celles qui compromettraient la conservation des milieux, comme la pêche au chalut. La France a en effet choisi d'adopter une approche dite « au cas par cas », en fonction des circonstances locales, qui ne permet pas de fixer une ligne claire en matière d'exigences de protection. Des zones de protection forte sont en cours d'identification au niveau national, mais compte tenu de l'approche volontairement souple - pour ne pas dire vague - retenue par la France, il n'est vraiment pas certain qu'elles s'avèrent efficaces.
Certes, d'un point de vue quantitatif, la France semble sur la bonne voie pour respecter ses engagements chiffrés : 33 % des eaux françaises sont désormais couvertes par des aires marines protégées. Mais en pratique, elles ne sont - je cite les nombreux spécialistes des écosystèmes marins que j'ai entendus - que des « aires de papier », dans lesquelles les pratiques ayant de forts impacts pour les écosystèmes ne sont que peu, voire pas du tout, réglementées.
Les aires sous protection stricte, qui correspondent aux préconisations internationales, ne représentent en réalité que 1,6 % des eaux françaises, et 0,04 % en métropole. Leur répartition géographique est fortement déséquilibrée, puisqu'elles se trouvent quasi exclusivement dans les terres australes et antarctiques françaises et au large de la Nouvelle-Calédonie. L'écart entre les résultats annoncés par la France et la réalité est donc flagrant : en Méditerranée, 59 % des eaux françaises sont dans des aires marines protégées, mais 0,1 % seulement sont protégées de manière stricte. En Manche Est et en mer du Nord, 40 % de la façade est en théorie protégée, mais seulement 0,01 % de manière stricte.
Or de nombreuses études scientifiques ont démontré les liens entre l'efficacité d'une aire marine protégée et son niveau de protection. La protection stricte a des impacts très bénéfiques pour la biodiversité marine et, dès lors, en termes d'abondance des ressources halieutiques. De même, une zone modérément protégée n'est efficace écologiquement que si elle est à proximité d'une zone strictement protégée.
Des études ont en outre démontré l'existence d'un effet « réserve » à proximité des zones strictement protégées, qui désigne l'augmentation de la quantité de biodiversité autour de cette zone et, donc, la hausse des captures de pêche.
Tenant compte de ces constats scientifiques, l'article 1er de la proposition de loi vise, premièrement, à remplacer dans le code de l'environnement la notion de « protection forte » par celle de « protection stricte » pour mettre notre droit en cohérence avec les standards internationaux en matière d'aires marines protégées. Le dispositif définit cette notion conformément à celle retenue par l'Union européenne et par l'UICN.
Deuxièmement, chaque façade maritime devrait être à 10 % couverte d'aires marines protégées sous protection stricte.
Enfin, des zones tampons seraient mises en place autour des zones strictement protégées. L'objectif est d'y interdire le chalutage et les activités industrielles ainsi que la pêche récréative, au profit des professionnels de la pêche artisanale. Ces derniers bénéficieront de manière prioritaire de l'effet réserve entraîné par la zone adjacente. Il s'agit - j'insiste sur ce point - d'une mesure non seulement environnementale, mais aussi sociale.
Certains acteurs auraient voulu aller plus loin en interdisant totalement le chalutage au sein des aires protégées, comme le préconise l'UICN. Par pragmatisme, nous n'avons pas pris cette direction, nous concentrant sur les zones placées sous protection stricte, ce qui me semble opportun pour faciliter la conciliation des usages. De fait, ce texte vise non pas à sanctuariser les aires marines protégées, mais à assurer une protection efficace sur des périmètres bien délimités, afin que cette classification produise des résultats et que ces espaces ne relèvent pas d'un simple affichage.
Cela étant, j'ai été attentif au cours de mes auditions préparatoires aux craintes et aux réticences émanant en particulier du secteur de la pêche, suscitées par l'objectif de placer 10 % de chaque façade maritime sous protection stricte. Cette mesure aurait le mérite de permettre une protection équilibrée de notre espace maritime, mais elle pourrait soulever des difficultés sur certaines façades, comme celle de la Manche qui subit déjà de fortes contraintes en matière d'usages.
Pour cette raison, je vous proposerai un amendement visant à assouplir cette disposition. Il vise l'établissement par décret d'objectifs chiffrés de protection stricte pour chaque façade maritime. Il s'agit de garantir la contribution de chacune à l'objectif national de placer 10 % de nos eaux sous ce statut, tout en tenant compte des spécificités et des enjeux en matière de biodiversité et de pression anthropique.
J'en arrive à l'article 2 de cette proposition de loi, dont la portée est véritablement socioéconomique. Loin de certains discours, il ne s'agit en aucun cas d'opposer préservation des écosystèmes, économie et emploi. Bien au contraire ! L'article 2 repose sur des constats économiques robustes et documentés scientifiquement, qu'il serait déraisonnable - pour ne pas dire irresponsable - de ne pas prendre en compte si nous voulons assurer la survie à terme de nos emplois et de notre économie bleue.
Premier constat : parmi la diversité des activités de pêche exercées en France, toutes ne contribuent pas de la même manière, loin de là, à l'emploi, à la performance économique, au bon usage des deniers publics et, naturellement, à la préservation des écosystèmes.
L'attention de la société civile se porte depuis longtemps sur l'activité de chalut de fond, un type de filet mobile qui racle à grande échelle le fond des mers, sans distinction des espèces, et qui induit une véritable gabegie en matière de ressources halieutiques, d'émissions carbonées, mais aussi de subventions publiques sous la forme de détaxes substantielles sur le gasoil.
Certes, la pêche au chalut de fond revêt une importance économique significative en volume et en valeur pour le secteur - elle représente 25 % des volumes pêchés en France, dont 4,23 % dans l'Hexagone, et 30,4 % de la valeur, dont 5,1 % dans l'Hexagone -, mais cette pratique compromet bel et bien l'ensemble de la ressource halieutique sur le moyen terme et donc l'avenir de la filière. Les indicateurs en matière de surpêche, de capture des juvéniles et de surface de fonds marins abrasée sont sans commune mesure entre les chaluts de fond et les autres types d'activités.
Nous sommes bel et bien, avec le chalut de fond, à la veille d'un changement de modèle qu'il convient d'anticiper et d'accompagner au plus près de l'ensemble des parties prenantes, et tout particulièrement des emplois concernés. En effet, cette pratique concerne 3,78 % des emplois de la filière pêche dans l'Hexagone. Il faut avoir une vigilance particulière sur certaines façades maritimes, notamment l'Atlantique, où 7 % des emplois de la filière pêche en dépendent.
À cet effet, l'article 2 vise à impulser le lancement et l'animation par l'État d'une démarche à portée socioéconomique majeure : une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond vers des pratiques d'avenir plus durables, pour garantir la survie de l'ensemble des autres activités du secteur dans leur diversité.
J'en viens à mon second constat. Un autre type d'activité suscite depuis plusieurs années l'attention de la société civile, mais aussi des professionnels : celle des méga-chalutiers, ou navires-usines. Ils sont conçus pour racler le fond de la haute mer par centaines de tonnes par jour, leur usage est parfois dévoyé. En effet, il n'est pas peu fréquent que ceux-ci viennent directement exercer une concurrence déloyale avec les plus petits engins dont le modèle économique dépend exclusivement des eaux territoriales, par opposition à la haute mer.
De manière plus large, j'aborderai maintenant un critère bien plus intéressant et pertinent pour réfléchir à l'avenir de la filière : celui de la performance socioéconomique des différentes activités de pêche, soit l'efficience, sur le plan de l'économie et de l'emploi, des efforts et des ressources engagés, en termes de valeur ajoutée ou en nombre d'équivalents temps plein (ETP) créés par volume débarqué, et de subvention par valeur ajoutée. In fine, on peut constater une forte décroissance de chacun de ces indicateurs en fonction de la taille des navires. Entre les côtiers et les industriels, la valeur ajoutée par tonne débarquée chute ainsi d'un facteur 2,6 pour les fileyeurs, d'un facteur 4,6 pour les chaluts démersaux et d'un facteur 4,4 pour les chaluts pélagiques.
Il est ainsi proposé au travers de l'article 2 de tirer toutes les conséquences socioéconomiques de ce constat. Il prévoit qu'un certain type de navires ne puisse plus exercer d'activité dans les eaux territoriales françaises, de manière à réserver ces dernières en priorité aux embarcations de plus petite taille. Pour ce faire, « l'usage des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à vingt-cinq mètres [serait] interdit à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes », soit vingt-deux kilomètres environ, à compter du 1er janvier 2026. Cette mesure aura de considérables bénéfices en matière de protection des écosystèmes côtiers, s'agissant à la fois des écosystèmes biologiques, c'est-à-dire des milieux marins - ils sont très riches et sensibles dans la bande côtière -, et des écosystèmes socioéconomiques de la filière pêche.
Comme les spécialistes en biologie marine et en ressources halieutiques entendus lors de mes travaux préparatoires l'ont souligné, cette proposition de loi est raisonnable, judicieusement ciblée et fondée sur l'état des connaissances en matière de protection des écosystèmes marins.
Nous nous apprêtons à accueillir, la semaine prochaine, la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, à Nice : tous les yeux sont tournés vers la France. Mes chers collègues, je vous invite à adopter cette proposition de loi pour que notre pays soit à la hauteur de la responsabilité qui est la sienne.
Tous les visiteurs du jardin du Luxembourg peuvent admirer en ce moment, sur les grilles du jardin, les magnifiques clichés de l'exposition « L'Océan vivant ». Pour traduire en actes concrets la communication déployée par notre institution, je vous propose une démarche pour nous mettre en cohérence. Au-delà des mots et des images, puissions-nous être au rendez-vous écologique, mais aussi socioéconomique des défis maritimes du XXIe siècle !
Mme Mathilde Ollivier, auteure de la proposition de loi. - Même si Jacques Fernique a résumé les enjeux principaux, je reviendrai sur la raison d'être de cette proposition de loi et sur son inscription à l'ordre du jour des travaux de notre niche parlementaire pendant le sommet des Nations unies pour les océans.
La France a eu des objectifs ambitieux à l'échelle internationale en matière de protection des océans : traité sur la conservation et l'utilisation durables de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, dit traité de la haute mer, moratoire sur l'exploration et l'exploitation des fonds marins... À présent, nous avons besoin de clarté sur la mise en oeuvre de nos objectifs à l'échelle nationale, notamment en ce qui concerne les aires marines protégées.
Vous avez dû entendre les interrogations de la société civile sur la réalité de cette protection. Au travers de cette proposition de loi, nous avons essayé de préciser ce que sont ces aires en alignant, dans l'article 1er, la réglementation française sur les objectifs européens et internationaux en matière de « protection stricte ».
« Protection stricte » signifie qu'aucune exploitation ni aucune destruction ne peut avoir lieu dans un certain nombre d'aires marines, représentant 10 % des eaux françaises. Actuellement, seulement 0,1 % de nos eaux sont réellement protégées, 1,6 % si l'on prend en compte les territoires ultramarins.
L'objectif est aussi de nous aligner sur la science : cette protection stricte est l'un des outils les plus efficaces pour la préservation et la gestion durable des écosystèmes marins et de la biodiversité. Sa mise en place a de vraies conséquences : la quantité de biomasse augmente en abondance dans ces aires marines. Les conséquences sont donc positives tout autour - cet effet est appelé « débordement » (spillover) -, bénéficiant aux pêcheurs. D'ailleurs, dans certaines parties du monde, il est possible de voir par satellite les bateaux pêcher à la limite de ces aires. Cantonner la pêche à certaines zones est un outil séculaire de préservation locale de la ressource sauvage.
L'article 2 de cette proposition de loi porte sur la transition des flottilles de chaluts de fond. L'objectif est non pas pour l'instant de les interdire dans certaines zones, mais d'amorcer la transition de cette pêche destructrice, alors que 94 % des fonds marins hexagonaux sont détériorés. Il est nécessaire d'agir ! Par ailleurs, le chalut de fond représente 20 % à 30 % de prises accessoires : vu les volumes, les conséquences sur la biodiversité sont majeures.
La pêche française fait face à une baisse d'environ 10 % des volumes. Elle est liée à certaines contraintes, comme le Brexit, et à une baisse de la ressource. De plus, 30 % du chiffre d'affaires du chalut de fond est dépensé pour payer le carburant : il faut procéder là aussi à une transition vers une pêche plus durable. Du point de vue de la biodiversité marine, 88 % des espèces surexploitées en France le sont à cause du chalut.
Du fait d'une situation critique dans un certain nombre de ports de la Manche, nous inscrivons dans la proposition de loi l'interdiction des bateaux de plus de vingt-cinq mètres. Cette demande avait été formulée par les comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins des Hauts-de-France et de Normandie pour restreindre l'accès à la bande des douze milles aux bateaux-usines, lesquels peuvent pêcher jusqu'à 250 tonnes de poisson par jour en allant au-delà de vingt-cinq kilomètres de nos côtes, et la réserver aux pêcheurs côtiers.
Le changement climatique a une incidence importante : il réduira de 10 % les volumes pêchés en France d'ici à 2050. Nos captures ont déjà été divisées par trois entre 1966 et 2022. L'argument de la souveraineté alimentaire qui nous est souvent opposé ne tient donc pas. Nous avons besoin de modèles innovants : les aires marines protégées contribuent à la protection, à la restauration et à la résilience de la biodiversité marine pour assurer la durabilité de la pêche française sur le moyen terme, avec des emplois pérennes en mer et sur terre.
M. Pascal Martin. - Je partage pleinement le constat rapide fait par Jacques Fernique sur l'état des milieux marins.
Je souhaiterais faire un bref rappel législatif. J'ai été rapporteur d'une partie de la « Climat et résilience »d'août 2021 : je me suis notamment penché sur les aires protégées à l'occasion de l'adoption de l'article L. 110-4 du code de l'environnement, tendant à placer d'ici à 2030 au moins 30 % du territoire de métropole et d'outre-mer, terrestre et maritime, sous le statut d'aires protégées, et 10 % au moins sous protection forte.
Cette loi est récente puisque comme je l'ai dit elle date seulement d'août 2021 : elle a moins de quatre ans. Je suis attaché à la stabilité juridique. Or la présente proposition de loi vise à modifier le dispositif établi alors que nous n'en avons pas encore tiré toutes les conséquences. Mes divergences avec le rapporteur et l'auteure de la proposition de loi relèvent donc avant tout de la méthode.
Le législateur avait privilégié dans ce texte un objectif global, lequel permet une différenciation territoriale, qui nous est chère au Sénat. Certaines façades maritimes, comme la Manche, sont particulièrement contraintes en matière de densité des activités en mer, induisant des conflits d'usage potentiels. Il pourrait être plus facile de mettre en place des zones de protection ailleurs.
À ce jour, les zones sous protection forte sont en cours d'identification sur chaque façade maritime pour atteindre l'objectif national de 10 % des eaux en 2030. La notion de « protection forte » retenue par la France diverge de celle de « protection stricte » ici proposée. La protection stricte conduit à exclure par principe certaines activités compte tenu de leurs conséquences sur les écosystèmes et à n'admettre que celles, peu nombreuses, qui sont compatibles avec les objectifs de conservation. La protection forte ne vise pas à supprimer systématiquement la pression humaine : elle se fonde sur une approche au cas par cas, en fonction des enjeux écologiques et des activités présentes dans chacune des zones. Il s'agit d'une approche plus souple, fondée sur la concertation locale et la prise en compte de la différenciation territoriale.
Nous nous opposerons à l'amendement du rapporteur visant à assouplir l'objectif de couvrir au moins 10 % de l'espace maritime par des aires sous protection stricte d'ici à 2030 : il contient toujours la notion de « protection stricte » alors que mon groupe privilégie la protection forte.
En définitive, le fait de remplacer la notion de protection forte par celle de protection stricte constituerait un changement de méthode de nature à déstabiliser les processus en cours. Il serait opportun d'attendre le déploiement complet du dispositif adopté dans la loi « Climat et résilience » afin d'en évaluer l'efficacité totale.
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera contre cette proposition de loi et contre les amendements proposés par Jacques Fernique.
M. Didier Mandelli, président. - Mon groupe aura la même position.
M. Michaël Weber. - Le sommet des Nations unies aura lieu dans quelques jours. La France, en pointe sur le sujet, est très attendue, d'autant que la biodiversité marine se reconquiert plus rapidement que la biodiversité terrestre. Ce constat confirme que la réorientation de nos politiques peut produire des effets en matière de biodiversité marine et que nous avons les moyens d'agir.
La différence entre protection forte et stricte est le coeur du débat. Les points de vue de nos groupes divergent. Concentrer toutes les protections sur un territoire donné ne suffit pas à inverser la perte de biodiversité : il faut créer des interdépendances entre espèces, d'autant que la France a un domaine maritime important.
La plus-value de ce texte est d'essayer de trouver des solutions. Il ne faut pas faire tout un monde de l'identification de 10 % d'espace maritime à protéger ! Je retiens d'ailleurs l'argument sur le chalut de fond : il faut prendre en compte ce sujet. Il importe d'accompagner la transition des pratiques de pêche, en ayant conscience de ses implications pour le monde économique.
Notre groupe votera en faveur des amendements et de ce texte.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Je remercie le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour de nos travaux à l'approche de la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, la semaine prochaine, à Nice. Étant issu d'un département côtier, j'estime qu'il est temps de protéger la pêche artisanale contre les dégâts de la pêche industrielle. Il faut délimiter les zones d'activité, surtout pour des raisons de protection des fonds marins.
Je regrette l'absence d'une véritable étude d'impact avec une cartographie précise des aires marines protégées (AMP), car les territoires côtiers métropolitains et d'outre-mer ne sont pas les mêmes, notamment en matière de modèle socioéconomique. Par exemple, la pêche artisanale et l'industrie liée à la pêche des grands chalutiers se côtoient à Boulogne. Nous pourrions cibler notre protection sur certaines zones critiques comme les récifs coralliens de nos départements et régions d'outre-mer ou les herbiers de Posidonie en Méditerranée.
Pour atteindre 30 % d'AMP et 10 % de zones sous protection stricte, l'Agence française pour la biodiversité aurait besoin d'un renforcement drastique de ses moyens de surveillance. Or, mes chers collègues, je ne bouderai pas mon plaisir en rappelant que, il y a quelques semaines, vous présentiez ces agents comme des cow-boys : les traiterez-vous bientôt de pirates ?
Mon groupe votera ce texte, car la préservation des espaces maritimes est cruciale, voire vitale.
Mme Kristina Pluchet. - Protéger les écosystèmes marins est louable, mais je remarque un vide. Il est question dans ce texte d'interdire les colosses des mers qui détruisent nos fonds marins, mais les parcs éoliens offshore semblent oubliés. Ils ont pourtant des conséquences catastrophiques sur la vie marine, en raison des champs électromagnétiques qui perturbent et désorientent la faune. Ces parcs prospèrent sur l'ensemble du littoral français, à moins de douze milles marins.
Je citerai l'exemple du béluga et de l'orque qui se sont échoués sur les rives de la Seine, il y a deux ans, au moment du forage des parcs offshore de Fécamp et de Courseulles-sur-Mer. Je ne vous parle même pas des dizaines de dauphins retrouvés morts sur les plages de Veules-les-Roses et sur toute la côte de la Manche.
Pourquoi interdire un colosse, mais pas l'autre ? Ce texte n'est pas abouti : il est dommage de ne pas traiter des ravages des parcs offshore sur l'ensemble du littoral français.
M. Ronan Dantec. - L'intervention précédente conduit donc à préconiser l'interdiction de toute activité humaine affectant un cétacé, ce qui équivaut à une interdiction totale et définitive de la pêche française ! Nous qui sommes, dans mon groupe, des personnes plus modérées, nous cherchons en permanence des compromis.
J'entends que la protection stricte ne fasse pas l'objet actuellement d'un accord entre nous. Toutefois, les méga-chalutiers causent des dommages colossaux, en détruisant la chaîne trophique, et fragilisent toutes les filières : ne pourrions-nous pas nous mettre d'accord pour conserver les dispositions sur ce sujet, pour montrer que le Sénat avance dans le bon sens ?
L'avenir de la pêche française est en jeu. Étant d'origine finistérienne et sénateur de Loire-Atlantique, où se trouvent les principaux ports de pêche du littoral, je peux vous assurer qu'elle est en grande difficulté, notamment sociale : si nous n'agissons pas, elle n'aura plus de modèle économique et donc plus d'avenir. Face à cette souffrance du secteur, il peut être tentant de ne pas vouloir en rajouter, au nom d'une situation déjà anxiogène. Le cas échéant, nous ne ferions pas notre travail de législateur et nous ne définirions pas de stratégie permettant de remonter le niveau de la ressource. Je rappelle que la seule criée qui fonctionne bien est celle d'Audierne, où il n'y a pas de chalut.
Il faut s'interroger sur la manière de bien gérer la ressource pour conserver un potentiel de pêche suffisant, sans quoi nous connaîtrons des aberrations. Le chalut nécessite déjà une tonne de carburant pour pêcher une tonne de poissons !
Pour citer les études de l'Institut des sciences naturelles de Belgique, il semble que les parcs éoliens offshore jouent plutôt un rôle de protection des espèces. Il faut rappeler que le comité des pêches de Saint-Nazaire a été toujours un soutien du parc éolien situé au large de la ville.
Mme Nadège Havet. - Le nord du Finistère dispose d'un parc marin où aucune activité n'est interdite. Néanmoins, une importante concertation permet de se mettre d'accord sur l'usage dévolu à chacune des zones. Ainsi, alors qu'elle était difficile à pêcher il y a quelques années, la langouste est de retour en Bretagne.
Face aux inquiétudes, il est nécessaire - je partage les propos de Pascal Martin - de disposer d'un maillage très fin. Déjà la moitié de la façade maritime bretonne, la plus grande de France métropolitaine, est constituée d'aires marines protégées. Cette situation est source de tensions, notamment en raison du trafic et des activités militaires nécessitant des zones de passage. Il faudra donc envisager de manière globale le calcul des 10 % de protection forte et non pas par zones.
Il faut évaluer les politiques en cours sans ajouter de contrainte. Aussi, à ce stade, je me prononce en faveur d'une abstention, même si mon groupe n'a pas encore arrêté de position.
M. Jacques Fernique, rapporteur. - J'entends l'argument de la stabilité juridique et du fait d'en rester à une approche souple : dans certains secteurs, la concertation locale pour se mettre d'accord sur des mesures de protection fonctionne. Néanmoins, même si la loi « Climat et résilience » n'est en vigueur que depuis quatre ans, ses mesures sont éprouvées.
La littérature scientifique, qui est le juge de paix, nous montre que la protection stricte est efficace pour restaurer les écosystèmes et reconstituer les ressources halieutiques. En revanche, aucune publication n'établit d'éventuels bénéfices tangibles de la protection à la française des aires marines protégées. Il existe une approche à la française, mais pas une protection de la biodiversité qui fonctionne à la française !
Monsieur Corbisez, le rapport contient des cartes très précieuses. J'en avais été demandeur depuis le début, car, même si j'ai été dans une vie antérieure professeur d'histoire-géographie, j'étais un peu perdu !
Les parcs éoliens offshore sont des colosses, mais les nuisances proviennent de leur installation. Les effets sur la biodiversité sont positifs. Toutefois, selon les standards de la Commission européenne et de l'UICN, il est impossible d'autoriser ce type d'activité en zone de protection stricte.
Adopter les dispositions relatives aux méga-chalutiers serait un signal fort : la petite pêche côtière serait soutenue, ce n'est pas une activité négligeable du point de vue économique, de l'emploi ou de la valeur ajoutée. Le rapport montre que cette valeur est inversement proportionnelle à la taille des navires. Pour l'essentiel, l'interdiction des méga-chalutiers dans la bande des douze milles ne concernerait que quelques navires hollandais. C'est une mesure d'évidence là où la situation est la plus tendue, à savoir en Manche et en mer du Nord, où cette nécessité fait consensus.
S'agissant de la mise en place de zones de protection stricte : les acteurs de la pêche se braqueraient-ils, comme j'ai pu l'entendre au cours des auditions ? Je me souviens de la crise du thon rouge en 2005-2008 : la situation à l'époque était explosive. Si l'on avait reculé le temps de dégager un consensus, les résultats que les mesures de protection stricte ont permis d'obtenir n'auraient pas été atteints. De fait, personne ne souhaite revenir en arrière et la rentabilité économique est bien au rendez-vous.
M. Didier Mandelli, président. - Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer qu'il inclut les dispositions relatives aux objectifs de la France en matière de couverture du territoire national par des aires protégées et à l'encadrement des usages dans ces aires ; à la transition des navires de pêche de chalut de fond vers d'autres pratiques de pêche ; à l'exclusion de certaines typologies de navires dans certaines zones de l'espace maritime.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à assouplir l'objectif d'identifier au moins 10 % d'aires marines protégées sous protection stricte par façade maritime et bassin maritime ultramarin, objectif figurant dans la rédaction initiale de la proposition de loi.
En effet, cette mesure ambitieuse permettrait d'être à la hauteur des engagements européens et internationaux de la France en matière de protection des écosystèmes marins, mais elle constituerait un changement radical de paradigme par rapport à la méthode définie dans la loi « Climat et résilience », en cours de mise en oeuvre. En outre, il convient d'éviter une approche uniforme afin de tenir pleinement compte des spécificités de chaque territoire, sur le plan à la fois des enjeux de biodiversité rencontrés, des pressions anthropiques constatées et des contextes locaux d'un point de vue socioéconomique.
Dès lors, dans un souci de différenciation territoriale, cet amendement a pour objet la publication d'un décret qui visera à décliner l'objectif global de placer sous protection stricte au moins 10 % de l'espace maritime sous souveraineté ou juridiction française, de sorte que chaque façade et bassin maritime ultramarins contribue, en fonction de ses caractéristiques, à l'atteinte de cette ambition nationale. Afin de garantir l'appropriation de ces objectifs par les parties prenantes, ceux-ci seront définis après consultation des conseils maritimes dans l'Hexagone et en outre-mer. Il s'agit ainsi d'assurer l'acceptabilité sociale du dispositif en faisant le pari que la démonstration par l'exemple convaincra les pêcheurs des bienfaits des réserves, avant d'étendre ces dernières.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-2 est un amendement d'harmonisation rédactionnelle.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à assurer une meilleure cohérence intellectuelle de la formulation de l'alinéa 7.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
L'article 1er n'est pas adopté.
M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement d'harmonisation rédactionnelle COM-4 vise à remplacer le mot « flottilles » par le mot « navires ».
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
L'article 2 n'est pas adopté.
Article 3
L'article 3 n'est pas adopté.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
M. Jacques Fernique, rapporteur. - Même si la commission n'a pas adopté de texte, le débat en séance sera utile : il est bon que nous montrions, dans le contexte du sommet de Nice, notre réel intérêt pour ces problématiques.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
La réunion est close à 12 heures.