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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Organisme extra-parlementaire (Appel à candidatures)

Septennat non renouvelable (Suite)

Discussion générale (Suite)

M. Alain Anziani

Mme Éliane Assassi

Mme Esther Benbassa

M. Yvon Collin

Mme Catherine Troendlé

Discussion de l'article unique

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi constitutionnelle

M. Pierre-Yves Collombat

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

M. Jacques Genest

M. Philippe Bas, président de la commission des lois

M. Alain Anziani

M. Serge Dassault

Débat : « La France dispose-t-elle encore du meilleur système de santé au monde ? »

M. Gilbert Barbier, pour le groupe RDSE

Mme Laurence Cohen

M. François Fortassin

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

M. Alain Milon

Mme Patricia Schillinger

Mme Aline Archimbaud

Mme Catherine Deroche

M. Philippe Mouiller

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion

Rappels au Règlement (Mise en cause du bicamérisme par le président de l'Assemblée nationale)

M. Bruno Retailleau

M. Jacques Mézard

M. Vincent Capo-Canellas

Mme Éliane Assassi

M. Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Vincent Placé

M. Gérard Larcher, président du Sénat

Questions d'actualité

Libération du camp d'Auschwitz-Birkenau

M. François Aubey

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire

Conséquences de la réévaluation du franc suisse (I)

Mme Élisabeth Doineau

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget.  -

Politique pénale

M. Jacques Grosperrin.  -

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Politique de la BCE

M. Yvon Collin

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Élections grecques (I)

M. André Gattolin

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Élections grecques (II)

M. Éric Bocquet

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Apprentissage

M. Alain Néri

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Crise politique en Nouvelle-Calédonie

M. Pierre Frogier

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer

Conséquences de l'appréciation du franc suisse sur les finances de certaines collectivités locales (II)

M. Philippe Paul

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget

Solidarité européenne contre le terrorisme

Mme Karine Claireaux

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Décisions du Conseil constitutionnel

Mise au point au sujet d'un vote

Saint-Barthélemy

M. Michel Magras, auteur de la proposition de loi

M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois  -

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer.  -

Mme Élisabeth Doineau

M. Michel Delebarre

M. Yvon Collin

Mme Aline Archimbaud

Mme Éliane Assassi

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Michel Magras

ARTICLE 2 (SUPPRIMÉ)

M. Michel Magras

ARTICLE 4

M. Michel Magras

ARTICLE 6

ARTICLE 9

ARTICLE 10

ARTICLE 11

ARTICLE ADDITIONNEL

Interventions sur l'ensemble

M. Michel Magras. 

Saisine du Conseil constitutionnel

Mise au point au sujet d'un vote

Université des Antilles et de la Guyane (Procédure accélérée)

Discussion générale

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche

M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commision de la culture

Mme Dominique Gillot

Mme Marie-Christine Blandin

Mme Brigitte Gonthier-Maurin

M. Michel Magras

M. Serge Larcher

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture.  -

Discussion des articles

Ordre du jour du mardi 3 février 2015

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du jeudi 29 janvier 2015

57e séance de la session ordinaire 2014-2015

présidence de Mme Isabelle Debré, vice-présidente

Secrétaire : M. Jean-Pierre Leleux.

La séance est ouverte à 9 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Organisme extra-parlementaire (Appel à candidatures)

Mme la présidente.  - M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger respectivement comme membre titulaire et comme membre suppléant au sein de l'Observatoire national de la sécurité et de l'accessibilité des établissements d'enseignement. La commission de la culture a été invitée à présenter des candidats.

La nomination des sénateurs appelés à siéger au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du Règlement.

Septennat non renouvelable (Suite)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la suite de l'examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du président de la République et à le rendre non renouvelable. Je vous rappelle que la discussion générale a commencé le 18 novembre dernier.

Discussion générale (Suite)

M. Alain Anziani .  - La proposition de loi constitutionnelle de M. Mézard n'a pas eu la faveur de la commission des lois, mais a le mérite de provoquer un débat sur nos institutions.

Quels sont, selon les auteurs du texte, les deux défauts majeurs du quinquennat ? La fin du président arbitre et l'affaiblissement de l'action publique. Si ces défauts sont réels, ils ne me semblent pas liés à la durée du mandat. La prééminence du président de la République tient à son élection au suffrage universel. Les débats relatifs au référendum de 1962 l'ont montré : Gaston Monnerville évoquant une forfaiture...

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi constitutionnelle.  - Oui !

M. Alain Anziani.  - ...d'autres un régime à la Salazar ou le plébiscite... En face, pour le Général de Gaulle, « la Nation doit avoir désormais le moyen de choisir elle-même son président, à qui cette investiture directe pourra donner la force et le moyen d'être le guide et le garant des institutions de l'État ». On en retrouve l'esprit dans l'article 5 de la Constitution de 1958, laquelle reconnait le rôle des partis, mais s'en méfie en plaçant un arbitre au-dessus d'eux, le président de la République, garant aussi de l'intégrité nationale. Cela se comprenait : la France, en 1958, venait de connaître dix-huit gouvernements en douze ans...

Depuis 1965, les Français votent pour leur président de la République sous l'oeil des caméras ; c'est un fait nouveau - de même aux États-Unis depuis l'élection du président Kennedy. Dans un premier temps, ce lien direct va sacraliser davantage la fonction présidentielle ; dans un second, le nôtre, il contribue à sa dégradation. Hier monarque républicain à l'abri des regards, le président de la République est devenu un homme comme un autre dont chacun peut commenter les qualités et les défauts.

La personnalisation du pouvoir, qui en découle, n'a que peu à voir avec la durée du mandat. Au reste, le pouvoir est aussi personnalisé en Allemagne ou au Royaume-Uni, où Mme Merkel et M. Cameron sont élus respectivement pour quatre et cinq ans.

La réduction du mandat présidentiel à cinq ans aurait été influencée par l'air du temps. Et alors ? L'air du temps est démocratique, qui commande la réduction des mandats exécutifs. M. Debré était partisan, en 1945, d'un mandat plus long que sept ans et le Général de Gaulle s'était exprimé dans le même sens en 1964... Mais la période ignorait la cohabitation, les médias, la démocratie participative, les sondages qui mettent plus fréquemment à mal la légitimité des dirigeants. La vérification de la légitimité est un souci constant, qui a par exemple conduit le Général de Gaulle à en appeler au peuple en 1962, 1968 et 1969 ; ce même souci de vérification qui provoque des tensions à la veille de chaque scrutin législatif.

Engagé pour sept ans, le président de la République se consacre sereinement à son action : ainsi pense l'auteur de la proposition de loi. Mais croit-il qu'il pourra ignorer totalement le verdict des urnes, lors de chaque élection législative, lors de chaque élection locale intermédiaire ? Comment ignorer la rapidité, la réactivité, même la versatilité du monde dans lequel nous vivons ? Le temps de l'action publique n'est pas celui de l'élection. Le titulaire d'une fonction doit répondre de sa politique avant qu'elle produise ses effets... Cela vaut pour un maire, un chef d'entreprise, une Nation ! Partout, le temps s'accélère. On ne change pas une règle constitutionnelle contre le peuple. Il veut plus, plus vite, avec plus de transparence. Comment lui dire qu'on ne lui rendra compte que tous les sept ans ?

Je partage néanmoins largement les inquiétudes relatives à la présidentialisation du régime au détriment du Parlement. La fonction du président de la République arbitre, au-dessus des partis, est toujours vivace, alors qu'aucun candidat à l'Élysée ne peut être élu sans le soutien d'un parti - et que sans parti fort, un candidat n'a aucune chance de l'être... Les Français ne se déplacent pas en masse pour élire un arbitre, mais un responsable politique.

Aller au bout de la logique présidentielle consisterait à supprimer le Premier ministre, le droit de dissolution de l'Assemblée nationale et la motion de censure, et à instaurer une vraie séparation des pouvoirs. Au fond, la balle est dans notre camp. Revoyons la place du Parlement, où trop souvent les débats ne sont qu'une longue suite de monologues... (Applaudissements de M. Philippe Bas, président de la commission des lois et de M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois)

Mme Éliane Assassi .  - La crise de notre système politique s'aggrave de jour en jour. Le parti communiste français fut le seul à combattre, dès l'origine, la Constitution de la Ve République qui la portait en germe. Ses maux sont toujours présents : personnalisation du pouvoir, crise de la représentation, déconnexion du citoyen par rapport aux lieux de décision. Cette crise est liée à la crise économique et sociale qui jette nombre de nos compatriotes dans la souffrance sociale, la crainte de l'avenir et le désespoir.

Elle vient aussi de l'incapacité des dirigeants à répondre aux attentes populaires. Les citoyennes et les citoyens veulent plus de pouvoirs, ils veulent reprendre le pouvoir, dans la ville mais aussi dans l'entreprise, où le syndicalisme est en panne, où les forces collectives sont fragmentées, où précarité et flexibilité ont fait leur oeuvre. Le président Mézard a parlé du désenchantement citoyen, il a raison ; mais il faut rappeler les dégâts que fait la précarité.

Il aura fallu l'agitation et l'hyper personnalisation du pouvoir des années Sarkozy pour que nos interrogations anciennes sur les dérives de la Vème République se diffusent. La Constitution donne un pouvoir considérable à un homme seul. Le renforcement de la fonction présidentielle est la conséquence de la réduction du mandat à cinq ans et de l'inversion du calendrier électoral qui a logiquement suivi.

Résultat : la soumission pleine et entière du Parlement au détenteur du pouvoir. C'est désastreux : bipartisme, médiatisation accrue, règne du storytelling, en sont les principaux effets. Comme aux-États-Unis, on construit ainsi de belles histoires : après « la France qui se lève tôt », et le « travailler plus pour gagner plus », c'est l'oubli du « changement, c'est maintenant » et de « mon ennemi, c'est la finance », sans parler du « moi, président, je ne ferai rien comme avant », alors que, justement, tout continue comme avant.

Il faut mettre un terme à cette dérive médiatico-politique. Sont nécessaires la suppression de l'élection du président de la République au suffrage universel direct, la fin du droit de dissolution, de la présidence du Conseil des ministres et de la conduite quasi-monarchique des conflits internationaux.

Il faut en finir avec ces reliquats de tradition bonapartiste. La proposition de loi Mézard identifie le problème. Mais il faut aller plus loin dans la remise en cause du fait présidentiel, qui doit être le symbole d'une VIème République démocratique et sociale. Les vingt-quatre révisions constitutionnelles n'ont pas suffi à combler le fossé entre le peuple et ses représentants. Il est temps de passer enfin à une République qui favorise la citoyenneté dans le pays, dans la ville, dans l'entreprise. La VIème République est une nécessité historique.

Le groupe CRC votera pour ce texte, même si sa réponse est trop limitée. (Applaudissements sur les bancs RDSE et écologistes ; M. Jean-Yves Leconte applaudit aussi)

Mme Esther Benbassa .  - Le président de la République semble très en vogue ces derniers temps. Le quinquennat est un marronnier dans notre vie politique, mais il a fallu attendre la loi constitutionnelle du 2 octobre 2000 pour l'instituer, en dépit d'une forte abstention. La contestation n'a toutefois cessé de progresser depuis.

Je ne vous apprends rien en confirmant que les écologistes sont contre tout cumul des mandats, dans le temps comme dans l'espace...

MM. Yvon Collin et Barbier.  - C'est vertueux !

Mme Esther Benbassa.  - Seule la limitation des mandats dans le temps permet une véritable alternance.

La durée du mandat du président de la République n'est pas la cause principale des dysfonctionnements de nos institutions. Les écologistes plaident depuis longtemps pour une refonte globale de celles-ci, à tous les niveaux, pour bâtir une nouvelle société. Une VIème République est à inventer, qui n'aurait pas que pour objet de réparer la Vème, régime de concentration et de confusion des pouvoirs qui favorise l'irresponsabilité et met à distance les citoyens et leurs représentants. Elle généraliserait la proportionnelle, assurerait une parité effective, ferait du président de la République le garant du bien commun, rendrait les législatives indépendantes de l'élection présidentielle avec l'élection du Premier ministre par l'Assemblée nationale.

Le groupe écologiste votera contre ce texte (Exclamations sur les bancs RDSE) car c'est à ce vaste chantier qu'il faut s'atteler maintenant. (Marques de déception sur les bancs RDSE)

M. Yvon Collin .  - Les événements tragiques de ce début d'année ont provoqué une unité nationale qu'il faudrait prolonger sur les questions institutionnelles. Notre système a en effet besoin d'un changement urgent.

Plutôt qu'une grande réforme, pourquoi ne pas privilégier des retouches ponctuelles et bien ciblées ? C'est l'objet de cette proposition de loi constitutionnelle, qui est de nature à changer réellement la pratique du pouvoir.

Aujourd'hui, les stratégies électorales prennent le pas sur les débats de fond et la recherche de l'intérêt général. Le temps politique est de plus en plus soumis à la pression du temps médiatique. Or les réformes structurelles exigent un temps long. À peine élu, on veut inverser les courbes... « L'avenir nous tourmente, le passé nous retient, c'est pourquoi le présent nous échappe », disait Flaubert... Le titulaire de la fonction comme du Gouvernement se focalise sur une probable candidature ; en politique, le courage de l'action, de prendre des décisions, fussent-elles impopulaires, n'en a que plus de force. Le quinquennat nuit à la qualité du débat public lorsque le titulaire de la fonction est aussi candidat à sa propre succession. D'où la proposition de rendre le mandat non renouvelable.

Seuls quatre pays européens élisent leur président de la République au suffrage universel direct. Mais en Finlande par exemple, le mandat de six ans s'accompagne d'un fort rééquilibrage en faveur du pouvoir législatif. En France, le quinquennat a consacré l'affaiblissement du Parlement. Le président de la République est devenu de fait le chef d'une majorité partisane et parlementaire ; il ne peut donc plus être au-dessus des partis : il ne préside pas, il gouverne. En conséquence, l'Assemblée nationale est devenue une chambre d'enregistrement, les élus étant réduits, tels les frondeurs, à ajuster ici ou là...

Revoyons l'équilibre entre exécutif et législatif. Oui, nous voulons un président de la République arbitre, un Parlement plus indépendant ; on peut conforter nos institutions sans revenir à la dérive parlementariste de la IVeme République ni en rester à la dérive présidentialiste actuelle. La cohabitation réelle est un moindre mal qu'une cohabitation larvée qui ne dit pas son nom - et le quinquennat n'en écarte pas le risque.

Il suffirait d'approuver ce texte pour améliorer nos institutions et la pratique du pouvoir. Cette proposition est simple mais elle peut changer beaucoup. (Applaudissements sur les bancs RDSE)

Mme Catherine Troendlé .  - Je souhaite remercier M. Mézard et les membres du groupe RDSE de ce débat.

La fonction présidentielle a vu ses pouvoirs considérablement renforcés, conformément aux souhaits exprimés par le Général de Gaulle dans le discours de Bayeux de 1946. La Constitution de 1958 révisée en 1962 a marqué une rupture. Le quinquennat s'inscrit dans cette lignée, qui renforce le rôle du président de la République dans un contexte d'accélération du temps politique et médiatique. Le rapporteur Hugues Portelli en a justement conclu que cette proposition de loi aboutirait à affaiblir la fonction présidentielle.

Le groupe UMP est opposé à cette proposition de loi constitutionnelle. Comme le notait le rapporteur Jacques Larcher, rapporteur, lors de la révision constitutionnelle de 2000, les institutions de la Ve République n'ont pas été conçues pour un président de la République élu au suffrage universel direct, si bien qu'il est résulté de celui-ci une forte asymétrie entre l'exécutif et le Parlement, ainsi qu'entre président de la République et Premier ministre. En dehors de l'élection, le président de la République n'est soumis à un contrôle que de sa propre initiative... Le septennat porte en germe un fort risque de cohabitation. La garde des sceaux de l'époque, Mme Guigou, relevait qu'un effet secondaire du quinquennat serait la raréfaction de la cohabitation.

Le quinquennat est adapté à l'accélération du temps à l'oeuvre dans nos sociétés.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Très juste !

Mme Catherine Troendlé.  - Il permet au peuple de faire entendre sa voix plus fréquemment ; il lui a rendu un peu de sa souveraineté. Il s'est accompagné, en 2008, d'un changement des pratiques du Parlement. Il serait illogique d'imaginer un retour au septennat non renouvelable. Ne cédons pas à une nostalgie un peu anachronique. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - C'est l'avenir d'une nostalgie !

Discussion de l'article unique

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. Leconte.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Après le mot : « procédé », la fin du dernier alinéa de l'article 12 de la Constitution est ainsi rédigée : « qu'à une dissolution par mandat présidentiel. »

M. Jean-Yves Leconte.  - Plusieurs pays de l'union européenne élisent leur président de la République au suffrage universel direct. Avec le quinquennat, qui a profondément changé notre vie politique, les législatives en France sont le troisième tour de la présidentielle. En fait, lors de la présidentielle, on ne choisit pas une politique mais celui ou celle qui a la plus grande capacité à rassembler. Le peuple n'a pas de choix réel.

Le monde moderne est rapide. Mais céder à l'immédiateté, c'est faire croire qu'on peut davantage changer les choses grâce à Twitter que par l'action... Le monde est aussi complexe ; comment peut-on confier tous les cinq ans les clés d'un pays à un seul homme ?

Vingt-sept des vingt-huit pays membres de l'Union sont des régimes parlementaires. Ce décalage avec notre pays nous empêche de peser de tout notre poids dans les négociations européennes.

Les événements de début janvier ont montré, dit-on, la force de nos institutions ; ils ont surtout montré la force de notre peuple et de son attachement à la République. Si l'exécutif en est sorti renforcé, c'est parce que président de la République et Premier ministre ont joué un rôle différent, le premier comme arbitre, le second comme chef de la majorité.

M. Hugues Portelli.  - Avis défavorable. Depuis le quinquennat, l'on ne recourt plus à la dissolution.

M. Pierre-Yves Collombat.  - La menace existe !

M. Hugues Portelli.  - La dissolution est une arme du président arbitre en cas de crise ; François Mitterrand en a usé deux fois, le Général de Gaulle en 1962 et en 1968... Il ne faut pas limiter le droit de dissolution, qui sait quelle crise peut survenir ? On pourrait se poser la question de sa suppression avec le quinquennat, où les députés sont élus dans la foulée du président de la République, mais avec le septennat, elle n'a aucun sens.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion.  - Même avis défavorable.

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi constitutionnelle .  - Merci à Mme la ministre de sa présence parmi nous ce matin, que j'interprète comme un geste d'amitié à l'égard de notre groupe - ce qui me permettra de ne pas dire ce que je pense de l'absence d'autres ministres...

Le rapporteur est figé sur une position de principe ; l'amendement va contre l'hyper-présidence.

Nous ne voulons pas revenir au passé, mais remédier à une situation qu'avait pressentie ici-même Gaston Monnerville. Nous ne sommes pas en république, mais dans une monarchie républicaine. Le pouvoir est quasi intégralement détenu par le président de la République, entouré d'une haute fonction publique très élitiste qu'on retrouve partout, jusque sur les bancs du Parlement... Le Parlement est écrasé. Il paraît que la révision constitutionnelle de 2008 a renforcé notre pouvoir... Mais nous sommes tous favorables à la suppression des semaines de contrôle, qui ne servent aucunement à peser sur l'exécutif ! Les deux partis dominants veillent à préserver le système, parce que chacun se dit qu'à la prochaine élection ce sera son tour... Et on en arrive à des situations extraordinaires, le président de la République vantant les mérites du Cese où il nomme qui il veut... Il est difficile de le dire, parce cela va contre le politiquement correct soutenu par les médias boboïstes, mais il faudra sortir de ce système qui conduit le pays dans une voie sans issue - autrement que par la rue.

M. Pierre-Yves Collombat .  - Cette proposition de loi affaiblit le président de la République, dites-vous... Oui, et heureusement ! On sait dans quelles conditions est née la Vème République, il fallait un pouvoir fort. Nous l'avons, nous n'avons même que lui ! « Un pays dans lequel les pouvoirs ne sont pas séparés n'a pas de Constitution », disait Montesquieu.

Qu'a-t-on fait de ce pouvoir depuis 2007 ? A-t-il vu venir la crise ? Y a-t-il remédié ? Ce pouvoir fort est en réalité ligoté, il est devenu faible. L'alternance ne change rien car c'est toujours la même politique. À force de prendre les gens pour des ânes, ils se comportent de façon surprenante...

Monarchie républicaine ? Consulat, plutôt. Comme le disait Sieyès, le pouvoir vient d'en haut et la confiance d'en bas... Nous sommes là pour entériner les décisions du pouvoir. Et vous trouvez cela génial...

Cette proposition de loi ne peut pas tout, mais elle remédie à une partie du problème. Elle fait évoluer les choses dans le bon sens. (Applaudissements sur les bancs RDSE)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe .  - Cette proposition de loi nous convient. Ce débat est essentiel, c'est notre pouvoir qui est en jeu, ce que certains ne comprennent pas... Il faut un contre-pouvoir libre dans son mode d'élection face à un pouvoir présidentiel fort. Les parlements ont toujours été contestés. C'est grave. Soyons conscients des enjeux soulevés par ce texte. Il s'agit moins d'affaiblir le président de la République que de rééquilibrer ses rapports avec le Parlement. Les deux tiers des membres du groupe UDI-UC voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs RDSE et UDI-UC)

M. Jacques Genest .  - Bien que membre de l'UMP, je suis favorable à l'amendement. Tout le monde reconnaît les limites du quinquennat ... qui ne dure que deux ans ! Oui, le président de la République est un peu un monarque. Allons au bout du régime présidentiel : supprimons le Premier ministre et donnons tout le pouvoir à un seul homme entouré de technocrates ?

Cette proposition de loi a le mérite de soulever le problème. Le quinquennat a atteint ses limites.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - Cet amendement restreint le droit de dissolution du président de la République. M. Collombat assume le souhait d'amoindrir ses pouvoirs. Or le droit de dissolution n'a pas toujours renforcé le pouvoir du chef de l'État - on en a vu des dissolutions qui n'ont pas dégagé une majorité conforme aux voeux du chef de l'État. Voici une autre interprétation du droit de dissolution : il donne la parole au peuple pour sortir d'une crise, en retrouvant une majorité. Il ne renforce pas le président de la République, mais la démocratie.

Pourquoi, dans un monde dangereux, priver le peuple français d'un moyen d'expression fort ? Dans une période de confusion, la dissolution donne le moyen de mettre en oeuvre une politique avec une majorité claire, fidèle et unie. Avis défavorable.

M. Alain Anziani .  - Vous vous trompez de proposition de loi constitutionnelle. Si votre objectif est de diminuer les pouvoirs du président de la République, modifiez le mode d'élection ! Si vous souhaitez renforcer le Parlement, proposez un régime présidentiel et dotez le seul Parlement du droit d'initiative...

L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.

M. Serge Dassault .  - On nous propose de rétablir le septennat, alors que cinq ans paraissent déjà trop longs quand les élus ne paraissent pas tenir leurs engagements ! Les conséquences de la suppression du droit de dissolution seraient néfastes pour la France.

Les Américains font des élections à mi-mandat. Ce n'est pas idiot. Ils s'assurent ainsi que la majorité n'a pas changé. Si c'est le cas, le président se soumet à une cohabitation.

Dans Devoir de vérité, François Hollande préconisait un exercice de vérification démocratique analogue. Il avait raison. Débattons d'une proposition de loi instaurant des élections à mi-mandat pour vérifier si tout le monde est content !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Je comprends que les partis qui aspirent à exercer le pouvoir la prochaine fois soient contre ce texte.

Mme Laurence Cohen.  - Ah !

M. Pierre-Yves Collombat.  - François Mitterrand parlait déjà du coup d'État permanent.

M. Hugues Portelli.  - Il a changé d'avis...

M. Pierre-Yves Collombat.  - Alain Peyrefitte disait que la Vème République était faite pour gouverner sans majorité. Nous proposons d'en revenir à l'esprit de la Constitution parce que désormais il n'y plus que des majorités en béton armé, d'où le déséquilibre actuel. Cette proposition y remédie, sans résoudre tous les problèmes, bien sûr.

La proposition de loi est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°88 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l'adoption 70
Contre 264

Le Sénat n'a pas adopté.

La séance est suspendue à 10 h 15.

La séance est reprise à 10 h 20.

Débat : « La France dispose-t-elle encore du meilleur système de santé au monde ? »

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « La France dispose-t-elle encore du meilleur système de santé au monde ? » à la demande du groupe RDSE.

M. Gilbert Barbier, pour le groupe RDSE .  - Le système de santé est-il le meilleur du monde ? Question provocatrice, voire indécente ? Comment remettre en cause cette assertion qui prit naissance avec les Lumières, dans le tablier de Bichat, et s'inscrit dans la longue suite des grands noms -  Laennec, Trousseau, Bernard, Pasteur (même s'il n'était pas médecin) - qui ont fait l'histoire de la médecine, désormais mondiale.

Être champion flatte l'orgueil national. Mais les parlementaires ont un rôle à jouer dans l'évaluation, plus que jamais nécessaire aujourd'hui, de notre système de santé qui se dégrade lentement, insidieusement, inexorablement. Didier Sicard distinguait en 1998 médecine et santé publique. Selon lui notre médecine de soins est une médecine chère, mais efficace tandis que notre santé publique jacobine s'adresse directement aux préfets - aujourd'hui aux ARS -, toute information remontant du bas étant jugée comme dénonciatrice et policière.

L'épidémiologie fait défaut. La multiplication des réformes qui se contredisent ont suscité la perte de confiance et le doute de nos concitoyens. De nombreuses études aboutissent au même constat, celui d'un système à bout de souffle. Les économistes regrettent l'absence de données épidémiologiques globales.

On peut s'enorgueillir de pépites, de la présence dans notre pays de centres de recherche de notoriété mondiale, de pôles d'excellence dans des domaines sophistiqués mais là aussi des problèmes se posent, que je n'aborderai pas aujourd'hui. Je m'en tiendrai à la dispense de soins.

Le premier problème concerne le financement. Notre pays consacre pourtant une part importante de son PIB à la santé. Y aurait-il mésusage, alors qu'on ne cesse de tenter d'endiguer un déficit sans cesse croissant ? Il faut dépenser moins, surtout mieux et différemment, quitte à revoir le mode de financement de notre protection sociale. Se fonder sur la seule activité n'est pas satisfaisant. La gestion paritaire est-elle encore adaptée ? Les difficultés ont commencé dans les années 80 avec la montée du chômage. Les ordonnances Juppé de 1995 ont créé la régulation étatique, avec l'Ondam. Depuis, la méthode des coups de rabot annuels a atteint ses limites. Il faut reprendre l'ensemble.

La dépense de soins se partage entre l'hôpital et la médecine de ville. Le premier est tabou. Il y a trop d'établissements. Certains grands CHU sont performants, d'autres ne disposent pas de toutes les spécialités et, pour subsister, traitent des patients atteints d'affections banales, avec un prix de journée excessif. Je sais que les CHU doivent fournir tous les enseignements mais des stages mieux organisés dans des établissements périphériques ou en cabinets pourraient régler le problème. Il faut repenser le rôle des CHU, comme établissements d'excellence pour les spécialités pointues, à ne pas confondre avec des établissements de proximité.

Les hôpitaux généraux souffrent de la pénurie de spécialistes de qualité. Coute que coute, il faut pourvoir les postes, et donc faire appel à des médecins aux compétences non vérifiées ou recourir à des vacataires qui assurent des remplacements à un tarif ruineux. Il faut instaurer des commissions de recrutement pour stopper la dégradation du niveau médical. En raison de la perte de confiance de la patientèle et de la crédibilité des généralistes, le recours à l'hôpital devient un pis-aller. Admettons que l'on ne peut faire tout, partout et bien. La notion de proximité est un faux argument.

Le professeur Guy Vallancien avait évalué en 2006 la qualité des plateaux techniques : 130 d'entre eux avaient été jugés insuffisants, médiocres, voire dangereux. Aucune suite n'a été donnée à son enquête. Quelle sera celle de la Cour des comptes sur la sécurité dans les maternités ? Il conviendrait de repenser la cartographie hospitalière en associant le réseau public et le réseau privé. L'ensemble des données détenues par l'assurance-maladie ne sont pas connues.

Il faut améliorer la qualité de la prise en charge, ce doit être l'objet d'une réforme hospitalière d'envergure. Il y a quelques années, Gérard Larcher estimait à 60 000 le nombre de lits excédentaires. Il est urgent de mieux prendre en charge les différentes pathologies, de façon plus efficace, à l'image du plan cancer.

Le recours aux services d'urgence est excessif, pour un coût estimé à deux milliards d'euros par l'assurance-maladie, pour 650 000 patients en 2012.

La question de la permanence des soins est posée avec celle de la démographie médicale : il faut s'interroger sur le numerus clausus, la féminisation, les modes de vie, la rémunération, le statut, la responsabilité pénale, le principe de précaution. Il y a là un problème global. Il s'agit d'un choix de société. Le dialogue singulier médecin-malade va-t-il disparaitre ?

La formation pose problème : l'art est-il devenu une science ? Alors que se multiplient les spécialités -  elles sont 32, dont 16 chirurgicales  - et que peu de place est laissée dans le cursus initial à la clinique, mal aimée par les étudiants, jugée archaïque, « qui oblige à se confronter au corps humain », comme l'écrivait encore le professeur Sicard.

Introduire dans l'enseignement une initiation à la psychologie n'est pas un luxe. Certaines disciplines sont sinistrées, d'autres menacées. Obtenir un rendez-vous avec un gynécologue obstétricien, un ophtalmologue, un pédiatre ou d'autres spécialistes exige de s'armer de patience et est parfois cause de renoncement aux soins. Il est urgent de se saisir de ce problème, dont le Conseil de l'ordre devrait assurer le contrôle et l'évaluation. Le retard en équipements lourds d'imagerie nuit à la prise en charge des malades graves. La commission des affaires sociales m'a chargé avec Yves Daudigny d'étudier la surconsommation de médicaments, notamment psychotropes. La prévention est un sujet d'avenir. Qui doit la prendre en main ? La sécurité sociale ? Les associations ? Les professionnels de santé ? Comment la financer, comment la pratiquer ?

Des campagnes sont bien menées, mais il y a encore matière à réfléchir à une plus grande efficacité.

La médecine du travail et la médecine scolaire souffrent d'une certaine marginalité alors qu'elles ont toute leur utilité pour la prévention et le dépistage.

Notre système de santé qui a longtemps été un modèle peut retrouver, à l'aube du XXIème siècle, sa grandeur. Mais rien ne se fera sans les professionnels, les patients, les financeurs et les pouvoirs publics.

Mme Laurence Cohen .  - Le Préambule de la Constitution, la Charte européenne des droits de l'homme, le programme du CNR se sont fixé pour grande ambition sociale d'ériger en droit quotidien ce qui fut longtemps le privilège d'une minorité. Cette construction sociale rencontre des difficultés et nous proposons de maintenir une protection solidaire. Pour nous, la santé n'est pas une marchandise. Notre sécurité sociale, qui repose sur le financement de chacun selon ses moyens et une distribution selon ses besoins, ne relève pas d'une utopie révolue. La grande majorité des Français souhaitent que ce système perdure et demeure public.

Hélas, nous dénonçons la fracture sociale grandissante de l'accès aux soins. Nous devons apporter une réponse globale, face à la dynamique de privatisation de notre système de santé.

La question n'est pas de savoir si notre système est le meilleur du monde, mais de dénoncer les effets négatifs des politiques d'austérité, auxquels il résiste difficilement : la loi HPST, la TAA, la diminution de l'Ondam ont des effets mortifères.

Le nombre de passage aux urgences a progressé de 75 % de 1996 à 2011. Les fermetures de maternité sont allées de pair avec celles de centres d'IVG. Les conditions de travail des professionnels se sont dégradées. Nous assistons à une véritable stratégie de transfert des pathologies et populations solvables vers le secteur privé. Or notre système de sécurité sociale pâtit d'un déséquilibre financier qui s'aggrave en raison du chômage, de la chute de la masse salariale, de la financiarisation de notre économie, sans oublier les exonérations et la fraude aux cotisations patronales. Il faut améliorer la santé financière de notre système par un financement plus juste. Soumettre les revenus financiers des entreprises à cotisations, supprimer les exonérations dont elles bénéficient, lutter contre la fraude patronale dégagerait d'importantes recettes.

Ainsi, l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, ce serait 52 milliards d'euros de ressources en plus pour notre sécurité sociale. Il faudrait remplacer les ARS par des conseils cantonaux qui assureraient un contrôle démocratique, relayé à l'échelon régional et national.

La relance de l'hôpital public est une priorité, tant en terme de financement qu'en terme de personnels. L'offre de santé doit y articuler la médecine de ville. Les centres de santé doivent disposer de moyens à la hauteur de leurs missions. Pour supprimer les obstacles dans l'accès aux soins, il faut une meilleure prise en charge par la sécurité sociale.

Le temps me manque pour traiter de la prévention et du dépistage. Les dépassements d'honoraires doivent être supprimés, la formation médicale revue. Le financement des études devrait s'accompagner d'un engagement de travailler cinq ans dans le système public. La France ne doit pas viser une médaille d'or sur un podium, mais renforcer son système et le partager avec les autres pays. Partisans d'un internationalisme progressiste, nous souhaitons une nouvelle politique mondiale de santé fondée sur les besoins des populations, la coopération et non la concurrence, la satisfaction des patients et non l'augmentation des profits d'une minorité d'actionnaires. (M. Dominique Watrin applaudit)

M. François Fortassin .  - Notre excellent collègue Gilbert Barbier a bien posé le problème. J'interviens comme élu, bien sûr, mais aussi comme malade potentiel.

Notre système de santé est au coeur de notre pacte républicain. Pour 92 % des personnes interrogées pour le compte de la fédération hospitalière de France, les patients qui ont plus d'argent ont plus de possibilité de se faire soigner. Notre système de santé n'est plus égalitaire. Des millions de personnes en sont exclues, pour des raisons financières. Cela n'est pas tolérable. La mise en place d'un observatoire des dépassements d'honoraires est un progrès.

De plus en plus de nos concitoyens, dans les zones rurales, notamment, sont touchés par des difficultés d'accès aux soins : c'est la désertification médicale. Pour y remédier, il est judicieux de construire des maisons de santé à condition que les projets immobiliers soient portés par les collectivités territoriales et les projets de santé par les médecins et professions paramédicales. Ainsi peut aussi se développer une politique de prévention. On ne trouve plus guère d'installation individuelle dans nos communes.

La mutualisation des ressources médicales assure un meilleur suivi des patients. C'est le cas dans la maison de santé que j'ai eu l'honneur d'inaugurer récemment. La féminisation des métiers de médecin ne nuit pas à la qualité...

Mme Patricia Schillinger.  - Attention à ce que vous allez dire !

Mme Laurence Cohen.  - Nous veillons ! (Sourires)

M. François Fortassin.  - ...bien sûr, mais réduit le temps que les médecins consacrent à leur pratique...

M. Alain Bertrand.  - Très bien !

M. François Fortassin.  - C'est un fait ! Les patients doivent participer eux-mêmes à l'évaluation. J'en viens à la question de la formation insuffisante des généralistes en matière de prise en charge des addictions. Il est urgent, madame la ministre, de prévoir la création de modules adaptés, dans le cadre du prochain projet de loi de santé.

Mme la présidente.  - Concluez, je vous prie.

M. François Fortassin.  - La médecine, libérale dans son exercice, doit être soumise à la puissance publique dans son organisation. Soyons optimistes : notre système de santé, s'il n'est plus le meilleur du monde, reste extrêmement performant. (Applaudissements sur les bancs RDSE)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe .  - La semaine dernière, la Cour des comptes a rendu son rapport sur les maternités, commandé par notre commission des affaires sociales. Ses conclusions ne sont pas des plus optimistes : la France est passé en dix ans du 6e au 17e rang européen au regard de la mortalité néonatale.

Ce que l'on observe au niveau des maternités vaut-il pour l'ensemble de notre système de santé ? La question révèle une inquiétude, mais aussi l'image positive que les Français se font de leur système de santé. Ainsi Jean de Kervasdoué se félicitait-il dans son Carnet de route de 2012, d'être français, après chaque séjour à l'étranger.

Notre système est-il donc menacé ? Il s'améliore mais progresse moins vite que celui d'autres pays. Le problème viendrait donc moins de la dégradation de notre système que de l'amélioration des performances des autres. Nous n'avons que la 9e espérance de vie des pays occidentaux, et sommes 3e dans le classement de la mortalité par crise cardiaque.

Certaines des contre-performances françaises n'ont rien à voir avec la qualité du système de santé car elles sont directement liées au mode de vie : la France demeure numéro 1 pour la consommation d'alcool et le tabagisme progresse chez les femmes.

Un système de santé peut être jugé à l'aune de deux critères : le service rendu au patient et son efficience. Même si les données chiffrées font défaut, tout incite à penser que notre système a de substantielles marges d'amélioration. Notre pays est 14e de l'Union européenne pour la mortalité prématurée -  avant 65 ans  - des hommes. La France est aussi mal classée pour les accidents du travail.

Elle est le pays européen où la part des dépenses de santé dans le PIB est la plus élevée : 11,2 %, près du double de l'Estonie, certes tout en bas du classement. En nombre de lits d'hôpitaux rapportés à la population, la France se situe au 8e rang européen ; elle est 17e en taux d'équipement en IRM et 20e pour les scanners. Elle demeure bien le premier consommateur européen de médicaments. Le poids du médicament dans le PIB y est le plus élevé d'Europe.

Le niveau de santé en France n'est pas en corrélation avec les dépenses engagées dans le système de soins. Les moyens sont en décalage sur les résultats, en raison de dysfonctionnements, soulignés par Gilbert Barbier, bien identifiés désormais. La création des ARS a constitué une avancée notable dans la coordination des moyens.

Beaucoup reste à faire, c'est l'objet de la prochaine loi de santé. Celle-ci aura-t-elle les moyens de nos ambitions ? La relance du dossier médical personnalisé est de nature à réduire les actes redondants et inutiles. Je l'avais proposé en tant que rapporteur général du projet de loi de financement de la sécurité sociale. On n'a pas encore réussi à faire reculer la désertification médicale, malgré les mesures déjà prises.

Cela fait plus de dix ans que la France est supposée s'être dotée d'une politique de prévention, laquelle tarde à faire ressentir ses effets. En a-t-on les moyens ou n'est-ce qu'un voeu pieux ? La France bat des records d'infections iatrogènes à cause de la culture française du médicament. Il faudrait éduquer les patients, rationaliser les prescriptions et peut-être pourrons-nous un jour dire de nouveau que nous avons le meilleur système de santé au monde. (Applaudissements sur les bancs RDSE, au centre et à droite)

M. Alain Milon .  - La question posée ce matin est simple et directe ; la réponse ne saurait l?être autant. La France a eu le meilleur système de santé au monde, mais aujourd'hui ? Selon Roger Salomon, président du Haut Conseil de santé publique, la France est désormais en la matière « un pays moyen, parfois meilleur, parfois moins bon que ses voisins selon les domaines ». La pérennité du système pourrait être menacée par un insuffisant renouvellement de la population médicale.

La recherche de la qualité fait partie de notre quotidien dans tous les domaines. Toutes les études concordent pour montrer que celle de notre système de santé laisse à désirer. La notion de soin a changé considérablement ces dernières années. Les progrès techniques et organisationnels récents l'ont rendu efficace. Initialement d'essence religieuse, il ne se réfère plus à aucune transcendance. La personne qui en bénéficie était définie par sa passivité, elle l'est désormais par ses droits et est considérée comme l'acteur principal du processus.

Les établissements de soins ont pendant les Trente Glorieuses bénéficié d'un développement continu, sans forcément prendre en considération le ressenti d'une déshumanisation, d'un cloisonnement entre services, du morcellement des tâches dû à une extrême spécialisation.

Depuis quelques années, les pays européens sont confrontés aux mêmes défis : produire une offre de qualité accessible à tous. La politique de santé demeure aux mains des gouvernements nationaux qui souhaitent que cela reste ainsi. Ce n'est pas surprenant dès lors que plus de 10 % du PIB sont en jeu. Les ministères des finances ont sans doute une prise trop forte sur le système de soins. Reste qu'il faut une régulation du marché, à plus forte raison lorsque les déséquilibres internationaux conduisent les professionnels de santé à migrer là où les salaires sont plus élevés.

Les dépenses de santé ne se réduisent pas en proportion des investissements dans la prévention ; c'est un paradoxe.

En France, le marché est imparfait : efficient pour les soins de ville, moins pour le traitement des pathologies de longue durée.

Le coût du médicament est un autre problème. Encourager les prescripteurs à se tourner vers les génériques n'a pas suffi.

Il faudra se montrer plus persuasif en matière de santé publique. Pour rester performant, le monde du soin devra ainsi s'adapter à la nouvelle donne technique, spirituelle, anthropologique. La qualité ne se décrète pas.

Mme Nicole Bricq.  - Elle s'évalue tout de même.

M. Alain Milon.  - Oui, elle se mesure : elle est liée à l'évaluation de la performance des individus et des structures. L'évaluation des pratiques professionnelles mise en oeuvre par la Haute Autorité de Santé va dans le bon sens.

La France dépense beaucoup pour sa santé, pour des résultats qui ne sont pas à la hauteur des sommes engagées. La France est le sixième pays le plus dépensier après le Luxembourg, mais le troisième en parité de pouvoir d'achat, derrière les États-Unis et les Pays-Bas. Méfions-nous toutefois des chiffres : si les indicateurs sont définis au niveau de l'Union européenne, les systèmes d'information pour les renseigner ne sont pas harmonisés. La plus grande fréquence de telle ou telle pathologie peut révéler non une situation défavorable mais un meilleur dépistage.

Reste que les tendances lourdes sont incontestables : espérance de vie, natalité, sécurité routière, hospitalisation courte, taux de mortalité par maladie cardio-vasculaire, sont nos atouts. Parmi nos faiblesses, comptons une mortalité périnatale et une mortalité prématurée avant 65 ans trop élevées, fréquence élevée des cancers, problème constant du tabac, de l'alcool, des drogues, du suicide.

Nous examinerons bientôt le projet de loi santé. Sans entrer dès à présent dans le débat, je crains que ses objectifs ne soient trop généraux. Le financement du système reste assuré pour les trois quarts par la sphère publique. Réfléchissons au moyen de redonner aux praticiens leur place dans un système que l'on a tendance à recentraliser.

Un modèle de santé est le fruit de l'histoire. Chacun est libre de se soigner ou non. Sous réserve qu'il n'altère pas la liberté des autres. Ainsi chaque citoyen est libre du choix de son médecin, à lui de s'assurer qu'il soit de qualité. Aucun autre pays n'offre une telle liberté au service de l'égalité. Préservons-la. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Patricia Schillinger .  - Notre système de santé est à la croisée des chemins. C'est l'un des plus performants au monde : le meilleur, selon l'OMS. Les femmes vivent 85 ans ; les hommes, 78 ans...

Mme Nicole Bricq.  - Ils nous rattrapent.

Mme Patricia Schillinger.  - ...malgré une alimentation riche et une forte consommation d'alcool et de tabac. Pour l'OCDE aussi, notre système continue à assurer l'une des meilleures prises en charge. Mais sa pérennité est menacée par un renouvellement insuffisant des médecins.

Les inégalités professionnelles, territoriales et sociales sont grandes et jouent très tôt, se manifestant par une prévalence précoce des caries dentaires ou de l'obésité par exemple. C'est ainsi que 39 % des Français ont déjà renoncé à des soins en raison de leur coût.

L'offre de soins est répartie de façon inégalitaire. Les délais s'allongent dans les zones rurales et les déserts médicaux se multiplient à la campagne et en banlieue. Les dépassements d'honoraires freinent l'accès aux soins. Et nos inégalités, records en Europe, s'accroissent. Les plus favorisés sont en meilleure santé, et ont 1,5 à 2 fois plus de chances de guérir que les autres. Les moins favorisées ont jusqu'à trois fois plus de risques de donner naissance à un prématuré. À 35 ans, un ouvrier a une espérance de vie de sept ans inférieure à celle d'un cadre.

En cause, une politique axée sur la performance médicale. De fait, les résultats sont bons, en matière de maladies cardiaques par exemple : mais le dépistage et la prévention sont insuffisants. Il faut en faire une priorité. La crise renforce la nécessité d'y remédier, en promouvant l'éducation à la santé. Une telle initiative serait de plus source d'économies, alors que l'on annonce une augmentation de 55 % du nombre de diabétiques d'ici 2025. Les facteurs de risques sont bien identifiés : tabac, alcool, environnement, produits illicites. Nous pouvons donc agir. Des politiques ciblées doivent être menées à cette fin et coordonnées aux autres politiques publiques. Je me réjouis que le projet de loi santé mette l'accent sur la prévention.

Dans les maternités, la sécurité des naissances demeure imparfaite. Les décrets de 1998 ne sont pas pleinement respectés.

Mme Nicole Bricq.  - C'est vrai.

Mme Patricia Schillinger.  - La Cour des comptes relève une planification insuffisante, des carences dans les effectifs, des inégalités territoriales. La sécurité de la prise en charge est insuffisante. Faire respecter les décrets de 1998 est un enjeu de santé publique fondamental.

Un mot sur les médicaments. Les génériques sont 30 % plus chers que chez nos voisins, voire 100 % pour les anti-hypertenseurs. La France a signé un document avec quinze de nos partenaires pour demander une action commune au niveau européen. Les laboratoires arguent des coûts associés à la recherche alors qu'ils n'y consacrent que 15 % de leurs investissements contre 20 à 25 % pour le marketing et la publicité. Il faut encourager la transparence, et prévenir les ruptures de stocks. Entre septembre 1992 et octobre 2013, plus de 200 ruptures ont été enregistrées. Les monopoles d'exploitation scellent notre dépendance à l'égard de l'industrie pharmaceutique. Comment, dans ce cadre, assurer la maîtrise de notre chaîne du médicament ?

Mme Nicole Bricq.  - Bonne question !

Mme Patricia Schillinger.  - Le projet de loi du gouvernement est très attendu pour préparer au mieux notre avenir. (Applaudissements à gauche)

Mme Aline Archimbaud .  - Je remercie le groupe RDSE pour ce débat qui nous aide à préparer le débat relatif au projet de loi Santé.

Le groupe écologiste salue la compétence de nombreuses équipes de professionnelles de santé, qui font vivre notre système, de grande qualité. L'OMS l'a qualifié de meilleur au monde il y a bientôt quinze ans. Depuis, la situation a évolué, en France et à l'étranger.

Les inégalités d'accès aux soins restent très fortes. Jean-Marc Ayrault m'avait confié une mission à ce sujet et j'avais proposé entre autres le tiers-payant intégral. Je salue la détermination de la ministre sur ce point et j'espère que les médecins de bonne foi qui en craignent la lourdeur administrative seront rassurés.

Je souhaite aussi que l'on endigue les dépassements d'honoraires et renforce l'offre de soins à destination des plus fragiles. Comment accepter que 30 % -  et même 40 % en Île-de-France  - des bénéficiaires potentiels ne parviennent pas à faire aboutir leur dossier de CMU-C ?

La moitié des cancers sont évitables ; les maladies chroniques, d'une manière générale, sont un fléau. Nous devons renforcer la prévention. Le constat est là, partagé. Mais les actes tardent. Le bisphénol A est interdit depuis 2015. Mais quid des autres perturbateurs endocriniens, des pesticides, des nano-matériaux ? Le projet de loi est à rééquilibrer sur ces points, en renforçant les observatoires régionaux de santé, qui doivent pouvoir suivre les populations. Nous regrettons qu'ait été adoptée ici une proposition de loi constitutionnelle prévoyant la suppression du principe de précaution.

Renforcer la prévention, réguler le prix des médicaments, séparer les décisions publiques des pressions exercées par des groupes d'intérêt sont des impératifs et des pistes d'économies. Concilions pédagogie et prévention. (Applaudissements à gauche)

Mme Catherine Deroche .  - La France dispose encore d'un bon système de santé. Le meilleur ? C'est moins sûr. Comment garantir à chacun un meilleur accès aux soins ? Ce débat est utile ; j'en remercie Gilbert Barbier.

L'Opecst s'est penché sur les progrès de la génétique et de la médecine personnalisée en général. Celle-ci aura un impact majeur en termes économiques et bouleversera notre système. Notre pays ne doit pas décrocher. Il faut pour cela mieux former nos professionnels. Le président Mézard l'a montré dans son rapport sur les dérives thérapeutiques.

La collaboration entre professionnels de soins n'est pas naturelle ; elle se développe néanmoins. La prise en charge de la maladie chronique doit s'appuyer sur l'éducation thérapeutique des patients. C'est un processus permanent. Des expérimentations sont en cours pour des pathologies cardiaques. L'impact est positif, à plus long terme, pour les comptes sociaux. La loi HPST a rendu possibles de telles expérimentations.

Nous attendons avec importance la future loi Santé. Pour relever les défis sans creuser les déficits, il faudra faire des choix politiques. Madame la ministre, vous pouvez compter sur l'implication totale du groupe UMP. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Philippe Mouiller .  - La France dispose d'un bon système de santé ; encore faudrait-il que tout le monde puisse y accéder. L'article 11 du Préambule de la Constitution de 1946 proclame en effet ce droit fondamental.

Le nombre de médecins a augmenté de 1,6 % en 2013. Le taux de médecins par habitant est bon. C'est le nombre de généralistes qui fait problème : il a baissé de 6,5 % depuis 2007 et ceux-ci vieillissent : un quart d'entre eux ont plus de 60 ans. La profession a beaucoup évolué. Elle s'est féminisée. Le temps partiel a progressé.

La médecine générale, l'installation à la campagne, l'exercice seul, séduisent moins. Résultat : les déserts médicaux progressent. La situation est plus complexe qu'il y parait, qui ne se résume pas à la division zones rurales-zones urbaines.

Nous restons attachés à la liberté d'installation. Au reste, la contrainte n'a jamais fonctionné. Il faut revoir notre organisation. La présence de médecins est un élément fondamental d'attractivité. Seule la concertation avec les élus locaux peut faire avancer les choses. Maisons de santé, télémédecine font partie des pistes à étudier.Les maisons de santé bénéficient à tous et la coordination des soins est un gage de qualité.

L'article 88 du code de déontologie médicale autorise les médecins à s'adjoindre le concours d'étudiants lorsque la situation l'exige. J'inaugurerai une maison de santé prochainement -  vous êtes la bienvenue, madame la ministre. Six ans ont été nécessaires pour mener le projet à bien, car les démarches administratives sont complexes et les délais excessifs, surtout quand des fonds européens sont associés à son financement.

Aux pouvoirs publics d'encourager les projets novateurs en simplifiant les démarches et en renforçant les procédures de coordination. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion .  - Je remercie le groupe RDSE pour son initiative, et l'ensemble des intervenants, qui témoignent de leur attachement à notre système de santé.

Ce système repose avant tout sur des professionnels qualifiés, en ville comme à l'hôpital ; des médicaments performants, distribués par un réseau dense de pharmacies ; des établissements de santé et des hôpitaux publics répartis sur tout le territoire. Je tiens à saluer le dévouement des professionnels de santé mobilisés sur le front de la lutte contre le virus Ebola, en France et en Afrique, comme de ceux qui sont intervenus lors des récents attentats.

Notre système reste excellent et le restera parce qu'il est capable d'évoluer. Ce constat est partagé par les professionnels comme par les associations de patients. C'est sur cette base que reposent la stratégie nationale de santé et le projet de loi à venir. Notre système de santé est notre fierté, une force pour notre pays. Bon nombre de ressortissants des pays voisins viennent se faire soigner en France. Nos concitoyens savent qu'ils peuvent compter sur des professionnels qualifiés, dévoués et disponibles, sur des soins de qualité.

L'excellence de notre système repose d'abord sur la qualité de nos formations. Les études de médecine, uniques en leur genre, sont parmi les plus longues et les plus complètes -  même si elles ont sans doute des défauts. Monsieur Fortassin, s'il est vrai que les jeunes médecins, notamment les femmes, ont une autre vision que leurs aînés, ne laissons pas entendre que les femmes n'auraient pas la même force de travail que les hommes...

M. Jacques Mézard.  - Nous n'avons pas dit cela !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État.  - ...ce qui emporterait la conclusion qu'elles pourraient se contenter d'un salaire moindre. La réalité, c'est qu'en tenant compte du travail domestique, elles travaillent plus que les hommes et ont moins de loisirs... (Applaudissements de Mmes Patricia Schillinger et Laurence Cohen)

Ce qui fait aussi la particularité, l'excellence de notre système, c'est l'universalité de l'accès aux soins ; c'est un des principes fondamentaux de notre République qui doit être sans cesse réaffirmé et défendu. C'est l'objet de la CMU.

L'excellence repose sur l'accès aux meilleurs traitements, aux essais cliniques, aux nouvelles techniques de diagnostic. Nous avons des plateaux techniques de pointe. La recherche est au coeur de nos centres de formation et de nos CHU.

Préserver cette excellence, c'est lutter contre les inégalités de santé, vous avez raison. C'est pourquoi la lutte contre les déserts médicaux est une priorité de ce gouvernement. Dès 2012, Mme Touraine a lancé le pacte territoire santé, dont les premiers résultats sont là : installation de plusieurs centaines de praticiens territoriaux, création de centaines de maisons de santé, succès du système des bourses publiques.

Les inégalités sont aussi le fruit des inégalités de revenus, ce qui explique l'engorgement des urgences hospitalières. On n'y débourse pas d'argent pour se faire soigner, contrairement à la médecine de ville. La généralisation du tiers payant est par conséquent indispensable. Ceux qui craignent l'inflation des consultations se trompent, les exemples étrangers le prouvent et l'explication en est simple : si sympathique soit-il, on ne consulte pas son médecin pour le plaisir, mais parce que l'on est malade...

Nous avons voulu également remettre le patient au coeur de l'organisation du système de soins, en facilitant les parcours entre médecine de ville et médecine hospitalière, en assurant une meilleure information. C'est en ce sens que nous avons diversifié les modes de rémunération des médecins libéraux, en instaurant par exemple un forfait - la rémunération à l'acte ne permet pas au praticien de prendre le temps de l'explication ou de la prévention.

Renforcer la coopération entre professionnels, améliorer la tarification des établissements de soin s'imposaient aussi. La convergence tarifaire était injuste. Une concertation est en cours pour voir comment, dans certains cas, il est possible de sortir de la T2A.

Mieux informer les patients est un autre impératif. L'article 47 du projet de loi Santé prévoit l'ouverture des données de santé, de l'assurance maladie, des hôpitaux...

M. Gilbert Barbier.  - Enfin !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État.  - ...évidemment dans des conditions de sécurité et d'anonymat.

Il faut être prudent avec les statistiques. Si vous classez les services en fonction du taux de mortalité, vous prenez le risque d'une sélection préalable des patients. Il est évident que les services qui prennent en charge des patients atteints de pathologies multiples sont a priori plus soumis au risque d'infections nosocomiales que ceux qui accueillent des personnes en meilleure santé...

La lutte contre les inégalités passe aussi par une amélioration des connaissances épidémiologiques. La prévention, oui, est une priorité. Empêcher les jeunes de tomber dans l'addiction du tabagisme, promouvoir une bonne alimentation, prévenir le surpoids sont des objectifs du projet de loi Santé. Son article 42 autorise en outre la création d'un nouvel institut qui en remplacera trois, l'INVS, l'INPES et l'EPRUS, dans un objectif de simplification et d'efficacité de la veille épidémiologique comme de la prévention.

Notre système est et demeure notre fierté.

M. Gilbert Barbier.  - Pourquoi faire une loi de santé ?

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État.  - Conforter son excellence, c'est lui permettre de continuer à protéger des millions de Français, tout en corrigeant ses imperfections. Le gouvernement compte sur le Parlement, sur le Sénat, sur vous...

M. Jacques Mézard.  - Oh ! Est-ce encore d'actualité ? Ne veut-il pas le supprimer !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État.  - ...sur votre expérience et votre sagesse pour enrichir le projet de loi Santé que Mme Touraine viendra défendre devant vous. C'est l'essentiel de mon message aujourd'hui. (Applaudissements)

M. Jacques Mézard.  - Dites-le à M. Bartolone !

La séance est suspendue à 12 h 20.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. Exceptionnellement, après en avoir discuté avec les présidents de groupes, nous commencerons par une série de rappels au règlement.

Rappels au Règlement (Mise en cause du bicamérisme par le président de l'Assemblée nationale)

M. Bruno Retailleau .  - En déclarant ce matin : « Je suis pour la suppression du Sénat en tant que Sénat sous la forme qu'on connait aujourd'hui », le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, a commis une faute grave. Il laisse entendre que le travail du Sénat ne vaut rien. Faut-il lui rappeler que 73 % des amendements votés par le Sénat sont repris par l'Assemblée nationale, que le Sénat remet les textes de l'Assemblée nationale sur l'ouvrage pour les rendre juridiquement acceptables, que notre travail sur la réforme territoriale a été salué par les élus de droite comme de gauche ? Visiblement, le président Bartolone a dû mal à supporter la qualité de nos travaux. Pis encore, il se contredit puisqu'en avril, il se déclarait, lors d'un colloque, favorable au bicamérisme. Le Sénat de gauche lui convenait visiblement. Repassé à droite, il serait une anomalie démocratique ? Conception toute personnelle de la démocratie... Enfin, en attaquant violemment, frontalement le Sénat dans son existence, le président Bartolone rompt l'unité démocratique voulue par le président de la République. (Applaudissements des bancs RDSE aux bancs UMP) Ce Sénat utile et exigeant, c'est le Sénat que nous aimons et que nous voulons pour la République française. (Mêmes mouvements)

M. Jacques Mézard .  - Comme tant d'autres ici, j'ai été choqué par les propos du président Bartolone. Toutes les expressions sont acceptables en démocratie, mais quand c'est le président de l'Assemblée nationale qui s'exprime, ce n'est pas neutre. Depuis des mois, je pense qu'il y a une volonté, au sein de l'exécutif, peut-être pas majoritaire, de supprimer la Haute Assemblée. Si c'est le cas, dîtes-le, madame et messieurs les ministres ! D'autres ont essayé à d'autres époques. Je parle au nom d'un groupe peu nombreux mais dont l'histoire se confond avec celle du Sénat, qu'il a longtemps présidé et qui a résisté à d'autres époques.

Le Sénat est l'expression de la liberté. Nous avons souvent manifesté - ensemble, chers collègues socialistes - notre attachement au Sénat.

M. Jean-Louis Carrère.  - Et on le refera !

M. Jacques Mézard.  - Je ne sais pas, car ce qui est en cause est fondamental. Nous sommes foncièrement attachés au bicamérisme. (Applaudissements au centre et à droite)

Quelques heures après une émission qui n'honore pas le service public...

M. Philippe Dallier.  - C'est le moins qu'on puisse dire !

M. Jacques Mézard.  - ...ces propos du président de l'Assemblée nationale ne peuvent que traduire une volonté. Cette volonté, nous allons la combattre avec force, avec conviction. On ne peut pas constamment remettre en cause les institutions !

Chers collègues socialistes, vous avez été nombreux à faire campagne en septembre ; vous n'êtes pas allés dire : supprimons le Sénat ! (Applaudissements au centre et à droite) Lorsque le président Bel a été élu, vous avez magnifié le Sénat. Relisez son discours d'investiture où il décrivait le Sénat comme « défenseur des libertés publiques, des libertés individuelles et des libertés territoriales » ! En avril 2014, le président Bartolone lui-même louait le bicamérisme, alliance de la puissance du suffrage universel et de la réalité des territoires. Toutes les assemblées ont besoin de se moderniser : il en est qui feraient mieux de balayer devant leur porte avant de donner des leçons aux autres ! (Applaudissements sur les bancs UMP, UDI-UC, RDSE ; plusieurs sénateurs socialistes et CRC applaudissent aussi)

M. Vincent Capo-Canellas .  - Le groupe UDI-UC a été étonné des déclarations du président de l'Assemblée nationale. Je réaffirme notre conception d'un Sénat, défenseur des libertés au service des territoires, qui apporte sa valeur ajoutée à l'écriture de la loi, qui éclaire l'avenir.

Notre assemblée a toujours montré qu'elle a été à même de dépasser les clivages pour mener les réformes utiles au pays. Nous ne comprenons pas qu'un président d'une assemblée puisse ainsi critiquer l'autre assemblée, cela va contre tous les usages. Cet esprit de réforme, le Sénat se l'applique à lui-même.

Monsieur le président, vous poursuivez les réformes engagées sous votre premier mandat, en ayant constitué des groupes de travail pour moderniser notre institution. Au lendemain d'une émission de télévision caricaturale, tendancieuse, dénigrant notre maison (Applaudissements au centre et à droite), le groupe UDI-UC sera à vos côtés pour défendre notre institution et la démocratie. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC, UMP et RDSE)

Mme Éliane Assassi .  - Les déclarations de M. Bartolone sont pour le moins maladroites, voire regrettables. On ne jette pas ainsi en pâture à l'opinion, sur un plateau de télévision, un sujet aussi essentiel pour le devenir de nos institutions et de la démocratie. M. Bartolone a mis en place au Palais Bourbon un groupe de réflexion sur l'avenir de nos institutions ; qu'il le laisse travailler sans faire d'annonces. Ses propos peuvent contribuer à nourrir la défiance populaire, envers le personnel politique, avec de possibles dérives populistes. (Applaudissements sur les bancs CRC, des bancs RDSE jusqu'aux bancs UMP).

Mon groupe demande depuis longtemps un débat sur une VIe République, rénovée, dans la plus grande responsabilité, sérénité et transparence possibles, pour l'ensemble de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes, écologistes, au centre et à droite).

M. Jean-Pierre Sueur .  - En ce lieu où Victor Schoelcher s'est levé pour combattre l'esclavage, où Victor Hugo a défendu le progrès, les libertés et la République, nous défendons le Sénat, non de manière corporatiste, mais parce que nous sommes profondément attachés au travail que nous y faisons tous. Le grand tort de l'émission d'hier, c'est de n'avoir pas parlé du travail législatif que nous faisons ici. (Applaudissements) Nous sommes pour le bicamérisme, car s'il y a une chambre unique, plus de débat, plus de navette, plus de construction patiente de la loi, afin qu'elle soit la meilleure possible. Défendons le Sénat, la loi, l'esprit de la loi, indissociable de la République. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Jean-Vincent Placé .  - À peine trois semaines après les évènements dramatiques qui ont meurtri le pays, et la mobilisation exemplaire des Français attachés aux valeurs de la République, le moins que l'on puisse dire, c'est que tout ce qui fait en sorte que surgissent des failles dans cette unité est malvenu. Les propos du président de l'Assemblée nationale sont inadaptés et inopportuns. Cela dit, nous ne pouvons pas être seulement sur la défensive. Les parlementaires écologistes de l'Assemblée nationale et du Sénat ont toujours été pour le bicamérisme. (Applaudissements sur les bancs écologistes) La navette est essentielle à la loi. Il faut prendre le temps de l'écrire. Quand il s'agit par exemple de la sécurité du pays, on ne peut faire rapidement la loi dans la seule Assemblée nationale.

Avec franchise et sincérité je le dis aussi, l'émission d'hier était catastrophique pour l'image du Sénat. Nous devons nous renforcer. Répondons au président Bartolone, que nous sommes utiles, que nous travaillons. Soyons exemplaires, transparents, sur les comptes de la maison Sénat et des groupes politiques, sur l'IRFM. Oui au Sénat, au bicamérisme, à la modernité, à la rénovation, engagée par le président Larcher. C'est la meilleure réponse à apporter au président Bartolone. (Applaudissements sur les bancs écologistes, RDSE, au centre et à droite)

M. Gérard Larcher, président du Sénat .  - J'ai été élu président du Sénat pour tous et toutes, que vous ayez ou non voté pour moi. Le bicamérisme, c'est plus de démocratie, plus de liberté, plus de représentation des territoires, pour la République. Cette responsabilité, je l'assumerai pleinement et sans faiblesse. On me dit rond, je suis aussi un homme de décision. Assemblons-nous autour de la République, y compris lorsqu'on pense VIe ! Moi, je suis profondément attaché à la Ve République, sur laquelle le président de la République a pu s'appuyer dans ces jours difficiles.

Nos deux groupes de travail fonctionnent. Il faudra du courage, le moment venu, pour adopter les méthodes de travail de nos assemblées et pas seulement du Sénat. Les commissions mixtes paritaires ne doivent pas être caricaturales. Nos trois rapporteurs nous feront le moment venu des propositions : vous ne serez pas déçus ! Dans ces temps de crise et de désarroi, on ne peut jouer ainsi avec les institutions de la République. J'ai dit au président de la République que je lui remettrai directement le fruit de mes réflexions sur l'engagement républicain et le sentiment d'appartenance nationale à la fin du mois de mars. Nous avons besoin de nous sentir de la même République, quel qu'en soit le numéro, attachés aux valeurs fondamentales de notre pays et à la modernité, en puisant dans nos traditions la force du devenir ! (Mmes et MM. les sénateurs de l'UMP et de l'UDI-UC se lèvent et applaudissent ; Mmes et MM. les sénateurs socialistes, RDSE, écologistes  et CRC applaudissent également)

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. (Exclamations)

Libération du camp d'Auschwitz-Birkenau

M. François Aubey .  - Le 27 janvier 1945 est une date dans la mémoire de l'humanité : les troupes soviétiques découvraient l'horreur de la Shoah en entrant dans le camp d'Auschwitz-Birkenau. Ce n'est que plus tard que l'opinion publique mondiale allait prendre conscience de l'horreur de cette extermination méthodique des juifs : 6 millions de morts, dont 1,5 million d'enfants, les trois quarts des juifs d'Europe, plus d'un tiers des juifs dans le monde. Le devoir de mémoire ne saurait se limiter aux jours de commémoration. Il faut lutter contre l'oubli et l'ignorance, pour que tous les Français de confession juive se sentent pleinement chez eux dans notre pays. Il faut transmettre aux nouvelles générations la mémoire de la Shoah -  car les inquiétudes sont vives. À Toulouse, à Vincennes, plus largement dans les rues, les cours d'école, les réseaux sociaux, l'antisémitisme prospère toujours, utilisant toujours les mêmes armes, négationnisme, complotisme et haine de l'autre.

Que compte faire le gouvernement pour traduire les engagements du président de la République de renforcer les sanctions ? (Applaudissements)

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire .  - Je suis fier d'intervenir dans votre Haute Assemblée -  le nombre de ministres présents témoigne de notre respect pour le Sénat.

L'ensemble du gouvernement est mobilisé pour lutter contre le racisme et l'antisémitisme, et tout particulièrement les ministres de l'intérieur, de la justice, de l'éducation nationale et de la défense. Personne en France ne doit avoir peur parce qu'il est juif, musulman, catholique, parce qu'il croit ou ne croit pas. La laïcité est le ciment de la République. Il est du devoir de l'État de la défendre. Protection des lieux de culte et des écoles d'abord, renforcement des sanctions ensuite, devoir de mémoire enfin. La présence de nombreux anciens déportés autour du président de la République lors de la cérémonie au Mémorial de la Shoah a rendu celle-ci extrêmement émouvante. Mais après l'émotion vient le temps des responsabilités. Merci d'avoir rappelé la nécessité de renforcer les sanctions.

Le président de la République a annoncé mardi une réflexion sur le concours national de la résistance et de la déportation. Il doit associer plus de jeunes, de tous les horizons. Seul le savoir, la connaissance permettront la clairvoyance. Ceux qui mettent en cause cette mémoire collective trouveront sur leur chemin la République, dont nous défendrons toujours les valeurs : liberté, égalité, fraternité. (Applaudissements sur tous les bancs)

Conséquences de la réévaluation du franc suisse (I)

Mme Élisabeth Doineau .  - Le 15 janvier, la Banque nationale suisse a désindexé le franc suisse qui s'est immédiatement apprécié de 20 %, pour se retrouver à parité avec l'euro. Cette réévaluation a des conséquences désastreuses pour plus de 1 500 collectivités qui avaient souscrit, dans les années 2000, sous l'influence de banquiers peu scrupuleux, des emprunts libellés en francs suisses. Avec la crise financière, les taux se sont envolés devenant emprunts toxiques. Des collectivités locales, des hôpitaux, des établissements publics font face ainsi à des charges immenses qui explosent du fait de décisions d'autorités étrangères, au point de mettre en cause leur capacité à assurer la continuité du service public. Ces dettes ont parfois été contractées il y a plus de dix ans, par des équipes qui ont été renouvelées deux fois depuis lors. Ce risque financier pose aussi un vrai problème démocratique. Les élus locaux sont impuissants. Monsieur le ministre, je vous appelle à l'aide. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs écologistes)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget.  - Le gouvernement a constaté, comme vous, cette brutale appréciation du franc suisse, que personne n'avait anticipée et qui provoque une inquiétude, parfois davantage. Certaines collectivités locales ont été victimes d'une politique commerciale agressive de Dexia, dont le gouvernement précédent a tiré les conséquences en logeant les emprunts toxiques dans la Société de financement local (Sfil), une structure bénéficiant de la garantie de l'État, comme le Parlement l'a accepté en 2010. Il va de soi que si la Sfil connaissait une défaillance, celle-ci serait prise en charge par l'ensemble des contribuables français.

Nous avons là des responsabilités partagées. Un fonds d'appui aux collectivités locales a été mis en place avec un barème d'accompagnement qui doit être réévalué en fonction de la nouvelle donne. Celle-ci doit être appréciée, qualifiée, c'est ce que nous avons commencé à faire avec M. Sapin, les services du ministère et la structure en question. Le coût pourrait s'élever à plusieurs centaines de millions, voire un milliard d'euros. Nous avons consulté l'ARF, l'ADF, certains établissements hospitaliers aussi ; au moment où de nombreux élus locaux préparent le vote de leur budget. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Politique pénale

M. Jacques Grosperrin.  - Notre pays s'est retrouvé dans un élan unanime pour condamner la barbarie et défendre nos valeurs. Cependant, l'unité nationale ne doit pas servir des calculs politiciens. Il est de notre devoir de nous exprimer sans concessions car le défi persiste.

Quand M. Valls parle d'apartheid dans les quartiers, pense-t-il qu'il va apaiser les tensions ? Le risque est grand qu'au contraire il renforce le sentiment de victimisation. Quand il dit que la jeunesse doit s'habituer à vivre longtemps avec le terrorisme, est-ce un aveu d'impuissance ? Quand, madame la ministre de la justice, vous refusez le rétablissement de l'indignité nationale, n'est-ce pas la suite de votre laxisme pénal ? (Vives protestations sur les bancs socialistes)

C'est moins la loi qui fait problème que son exécution ; or vous avez annoncé un désarmement pénal.

M. Jean-Pierre Caffet.  - C'est scandaleux !

M. Jacques Grosperrin.  - Un plan quinquennal de construction de places de prison a été supprimé, alors qu'il faudrait 30 000 places supplémentaires. Suspendre des peines planchers, peines de protection : autant d'aubaines pour les djihadistes. (Vives protestations sur les bancs socialistes)

M. Jean-Louis Carrère.  - Provocation !

M. Jacques Grosperrin.  - L'UMP travaille à des propositions. Allez-vous enfin faire évoluer votre politique pénale particulièrement inadaptée au contexte actuel ? (Vives protestations sur les bancs socialistes)

M. David Assouline.  - C'est honteux ! Retirez vos propos !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - À en juger par vos propos, vous semblez n'avoir pas lu la loi de réforme pénale. Celle-ci a pour but de renforcer l'efficacité et l'individualisation des peines et elle a été élaborée à la suite d'une large conférence du consensus qui a rassemblé des personnes de toute sensibilité politique, dont la vôtre, monsieur le sénateur.

Considérant que l'efficacité de la sanction pénale est liée à l'individualisation de la peine, nous avons voulu rendre aux magistrats leur liberté pour décider de la peine la plus efficace. Il faut aussi en finir avec les sorties de prison sèches, avec votre politique qui avait conduit au triplement de la récidive entre 2005 et 2011.

M. Michel Vergoz.  - C'est bien de le rappeler !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Dans le même temps, mes services renforcent les moyens du parquet antiterroriste. Je l'ai dit devant votre commission d'enquête sur le djihadisme, dont on constate aujourd'hui le caractère visionnaire.

Il faut éviter les confusions. La tradition du Sénat, n'est-ce pas le travail en commun, les rapports rédigés en commun par un membre de la majorité et un de l'opposition ? D'ailleurs, votre commission d'enquête sur le djihadisme réunit des sénateurs des divers groupes et aussi de plusieurs commissions permanentes.

Nous n'avons jamais songé à vous rendre responsables des crimes de Mohammed Merah. Même en pleine campagne électorale ! Jamais le président Hollande ne s'est départi de son sens des responsabilités, qui l'empêchait d'imputer à des institutions les crimes commis par des individus. (Vifs applaudissements à gauche)

Politique de la BCE

M. Yvon Collin .  - Dimanche dernier, la victoire de Syriza en Grèce a fait ressurgir le spectre du défaut de paiement grec. Le cas grec délivre un message et invite à une réflexion de la politique monétaire de la zone euro.

La Banque centrale européenne a d'ailleurs décidé d'un programme d'assouplissement quantitatif, avec un rachat programmé de 1 140 milliards d'euros d'actifs. Il s'agit d'augmenter la quantité de monnaie en circulation, afin de ramener l'inflation autour de 2 % et de faire renouer la zone euro avec la croissance. Les dirigeants européens attendaient depuis longtemps cette décision.

Cependant, faire tourner la planche à billets pour doper les exportations ne sera efficace que si les réformes structurelles se poursuivent et les investisseurs sont suffisamment rassurés. Que pense le gouvernement de cette décision de la Banque centrale européenne ? Comment la France compte-t-elle l'accompagner ? (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics .  - Le gouvernement français demandait depuis plus de neuf mois une telle évolution de la politique monétaire de la BCE. L'euro était surévalué, ce qui est un obstacle pour nos exportations. Les taux d'intérêt ont considérablement baissé. Hier soir, le taux à dix ans des bons du Trésor français est tombé à 0,5 % ! C'est dire combien les investisseurs font confiance à la France. Encore faut-il que l'ensemble de l'économie puisse profiter de ces taux bas. Grâce à la décision de la BCE, il y aura plus d'argent dans l'économie européenne, et donc plus de croissance et plus d'emplois.

Mais la politique monétaire ne peut pas tout. Sur le plan budgétaire, il convient de diminuer les déficits publics à un rythme compatible avec la croissance. Il faut aussi poursuivre les réformes structurelles et, dans le cadre du bicamérisme, auquel je rends hommage, vous aurez bientôt à examiner la loi Macron.

Politique monétaire, politique budgétaire, réformes : voilà les trois clés de la croissance. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Élections grecques (I)

M. André Gattolin .  - L'histoire repasse parfois les mêmes plats. Il y a trois ans, j'interrogeais le gouvernement sur la situation en Grèce. Croissance en berne, chômage, quasi déflation, le peuple grec se débat toujours dans d'inextricables difficultés, alors que le contexte social, économique et politique a beaucoup évolué. En 2012, pour éviter le défaut de paiement, la Troïka a imposé à la Grèce les éternelles recettes du FMI : baisse des salaires, des pensions, des emplois publics, des remboursements de santé.

Depuis son adhésion, l'Union européenne a fermé les yeux sur les problèmes structurels de la Grèce, où une petite oligarchie - armateurs, église orthodoxe, détenteurs de comptes à l'étranger - bénéficie d'énormes privilèges. Il ne faut pas s'étonner de la victoire de Syriza dans ces conditions. Enfin, des voix se sont élevées pour proposer une renégociation de la dette grecque, en échange de réforme indispensable comme celle du cadastre et d'une lutte renforcée contre la fraude et l'évasion fiscales.

Quelles propositions fera la France pour relever un défi qui n'est pas qu'économique et financier, mais met en jeu des valeurs démocratiques censées fonder le projet européen ? (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics .  - Nous respectons la démocratie, en Grèce comme en France, et le peuple grec s'est clairement exprimé. Il y a une nouvelle majorité, de nouveaux responsables, dans tous les sens du terme, et c'est avec eux que l'Union européenne doit discuter pour rechercher des solutions, à commencer par le problème de la croissance : ce pays a perdu un quart de sa richesse ! Un pays dont le PIB a chuté de 25 % par rapport à 2009, est dans la souffrance.

Il y a des vrais problèmes, qu'une élection n'abolit pas. Il ne faudra pas que la situation économique grecque se dégrade. Se pose aussi la question de la soutenabilité d'une dette qui atteint 175 % du PIB. Cela demeure. J'ai souhaité, avec le président de la République, faciliter le dialogue et la recherche d'une solution avec la Grèce, tout en réfléchissant aux réformes indispensables, pour lutter en particulier contre la fraude et l'évasion fiscales. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

Élections grecques (II)

M. Éric Bocquet .  - Dimanche dernier, le peuple grec a clairement exprimé son refus de l'austérité imposée par la Troïka : 27 % de chômage dont 55 % chez les plus jeunes, dette publique égale à 175 % du PIB ! La Grèce est dans le chaos économique et social, la dignité du peuple grec était atteinte. Cela n'a pas empêché le commissaire Moscovici de soutenir l'action de M. Samaras avant les élections.

Selon le Canard enchainé, Alexis Tsipras écrivait en mai 2012 à François Hollande, juste après son élection, pour lui exprimer l'espoir qu'il remettrait l'Europe sur les bons rails. Il est temps de répondre enfin à cette lettre.

Qu'entend faire le gouvernement français pour aider le gouvernement grec à reconstruire l'économie et la société grecques ? La Grèce va avoir besoin de notre soutien (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics .  - Je ne suis pas là pour surveiller les échanges postaux. Ce n'est pas de mes compétences. En revanche, je recevrai lundi le ministre des finances grec. Beaucoup s'expriment au nom du nouveau gouvernement grec avant de l'avoir entendu. Ce serait pourtant le premier respect à lui témoigner que de le laisser s'installer et s'exprimer en responsabilité.

La France veut faciliter le dialogue. Le chaos en Grèce serait terrible pour la Grèce et une mauvaise chose pour toute l'Europe.

Le gouvernement grec a dit qu'il ne souhaitait pas sortir de l'euro ni remettre en cause les traités européens. Cela posé, restent bien sûr des plages de discussion. Ce nouveau gouvernement grec veut réformer son administration fiscale. Il a raison, la lutte contre la fraude fiscale doit être une priorité. Chacun doit payer les impôts qu'il doit.

Un mot sur la dette. Elle n'est plus détenue par « la finance privée » mais par des institutions puissances publiques. La France détient 42 milliards d'euros de dette grecque. Restructurer la dette grecque, oui, pour alléger le fardeau. L'annuler, non, car ce serait reporter son poids sur le contribuable français. Le gouvernement grec ne le veut pas, nous non plus (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Apprentissage

M. Alain Néri .  - De nombreux jeunes souhaitent bénéficier d'une formation professionnelle en alternance, pour préparer un CAP, un master ou un BTS. Des écoles proposent des formations théoriques, souvent onéreuses, mais il revient aux jeunes de trouver un stage. Or ils vont de refus en refus... Désabusés, ils vont s'inscrire à Pôle Emploi. On ne peut accepter une telle situation : insertion professionnelle et insertion sociale vont de pair. Il faut redonner espoir à ces jeunes, que les entreprises puissent répondre à leurs désirs. C'est une question de solidarité nationale. Ne pourrait-on envisager une mesure analogue à l'obligation faite aux employeurs d'embaucher une certaine proportion de personnes handicapées ? Ce serait une mesure citoyenne. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social .  - Merci de cette question. Tous les acteurs s'accordent pour saluer l'apprentissage, qui est une voie d'excellence. Elle permet aux établissements de trouver des salariés compétents et à 70 % des jeunes apprentis de trouver un travail. Un plan d'action en faveur de l'apprentissage a été lancé en septembre par le président de la République avec les partenaires sociaux : 100 millions d'euros y sont consacrés dans le budget 2015. Les entreprises pourront affecter une plus grande part de la taxe d'apprentissage aux CFA.

Une aide de 1 000 euros par apprenti a été créée. L'autorisation préalable à l'embauche de jeunes apprentis pour des travaux dangereux sera remplacée par une simple déclaration Une bourse sera créée pour que les jeunes sachent quels sont les postes disponibles dans leur région. (M. Alain Néri approuve)

L'apprentissage est une grande cause. Je compte sur vous pour populariser ces mesures et rappeler aux entreprises qu'aimer l'apprentissage, c'est bien, mais qu'embaucher des apprentis, c'est mieux ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Crise politique en Nouvelle-Calédonie

M. Pierre Frogier .  - Je veux évoquer la crise politique que traverse la Nouvelle-Calédonie, elle est en réalité une nouvelle péripétie liée à l'usage détourné de l'article 121 de la loi organique de 1999 qui permet à une formation minoritaire de provoquer la chute du gouvernement du territoire, en faisant démissionner l'ensemble de ses membres. Une telle utilisation a été déjà dénoncée par le Conseil d'État en avril 2011.

Faute de trouver une majorité à l'Assemblée du Territoire, la minorité détourne l'article 121 à seule fin de prendre la présidence du gouvernement. La situation est inédite et absurde : la Nouvelle-Calédonie se retrouve avec deux gouvernements identiques : l'un élu mais incapable de désigner un président, l'autre, démissionnaire, chargé d'expédier les affaires courantes. Ce sont ceux-là même qui sont à l'origine du blocage qui se retournent vers l'État.

Vous avez dit, madame la ministre, que l'État prendrait ses responsabilités. Lesquelles ? Dissoudra-t-il notre assemblée, qui fonctionne normalement et vient d'adopter plusieurs textes à l'unanimité ? Reverra-t-il la loi organique, comme je l'entends dire, pour permettre l'élection du président à la majorité relative ? Ce serait une nouvelle atteinte à l'esprit des accords de Nouméa et une remise en cause de notre modèle de gouvernement, qui oblige les partisans du maintien dans la France et les indépendantistes à rechercher le consensus. Quelles responsabilités allez-vous prendre, madame la ministre ? (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer .  - Vous avez raison de souligner combien la situation en Nouvelle-Calédonie nous préoccupe. Au moment où nous préparons la sortie des accords de Nouméa, tous les élus doivent travailler ensemble.

Nous souhaitons que les élus exercent leur responsabilité et trouvent une solution pour élire un président et un vice-président de l'assemblée, mais il n'est pas imaginable que l'État se substitue aux élus ni les stigmatise. Nous leur demandons d'être fidèles à leurs responsabilités et à leur engagement. Le Haut-Commissaire travaille à rapprocher les points de vue afin de trouver une solution raisonnable, consensuelle. Il n'est pas question de rétablir une sorte de tutelle sur la Nouvelle-Calédonie, l'objectif est au contraire de renforcer son autonomie. Espérons que le consensus prévaudra, comme pour tous les problèmes à régler d'ici à la consultation de 2018.

L'esprit du 11 janvier, l'esprit d'unité nationale, doit aussi prévaloir en Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; MM. Pierre Frogier et Robert Laufoaulu applaudissent aussi)

Conséquences de l'appréciation du franc suisse sur les finances de certaines collectivités locales (II)

M. Philippe Paul .  - La décision de la Banque nationale suisse d'abandonner le taux plancher du franc suisse a frappé de plein fouet les collectivités, mais aussi les hôpitaux qui ont souscrit des emprunts toxiques indexés sur la parité de l'euro avec le franc suisse. Ma commune de Douarnenez a vu son taux passer de 5,71 % à 9,88 % - soit 100 000 euros de frais financiers supplémentaires, peut-être demain 240 000 si le taux atteint 15 %. Encore n'est-elle pas la plus mal lotie, les taux pouvant monter jusqu'à 25 %. L'utilité et le fonctionnement du fonds de soutien sont en question. Les indemnités dues en cas de remboursement anticipé sont devenues inabordables. Comment le gouvernement entend-il aider les collectivités concernées à faire face à cette situation exceptionnelle ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Très bonne question !

M. Philippe Paul.  - Je veux enfin rendre hommage à nos militaires de l'armée de l'Air, décédés en mission le 26 janvier sur la base d'Albacete, et adresser nos condoléances attristées à leurs familles ainsi qu'à nos armées, qui accomplissent leur tâche dans des conditions difficiles. (Applaudissements des bancs RDSE jusqu'aux bancs à droite)

M. le président.  - Merci de cet hommage auquel nous nous associons tous, monsieur le ministre de la défense.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Merci aussi de cet hommage, qui me touche comme Mosellan. Le gouvernement organise une cérémonie solennelle mardi matin aux Invalides.

La situation que vous avez évoquée évolue de jour en jour. Certains taux atteignent 25 %. Il appartiendra aux spécialistes de voir s'il est plus judicieux de rembourser ces emprunts immédiatement ou non, ou encore d'aider les collectivités à passer ce cap délicat. Il faudra probablement concentrer nos aides sur les collectivités confrontées à des situations insoutenables. En un mot, voir comment traiter chaque dossier au mieux et au meilleur moment. Chacun sait que les responsabilités sont diverses. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Solidarité européenne contre le terrorisme

Mme Karine Claireaux .  - Lors de son discours au forum de Davos, le président de la République a rappelé la solidarité exceptionnelle qui a suivi les terribles attentats de janvier. Elle doit se retrouver au niveau international et d'abord européen dans la lutte contre le terrorisme, car la France ne peut agir seule. La propagande, la radicalisation, le recrutement des terroristes sont facilités par la mondialisation, la rapidité d'Internet. Face à ce fléau mondial, les pays doivent s'entraider. Le programme de Stockholm prévoyait des actions spécifiques de prévention et de protection, mais elles tardent à être mises en oeuvre, à commencer par le PNR, bloqué par le Parlement européen. Ces actions sont-elles suffisantes ? Quel bilan en tirer ?

Le sommet européen du 12 février sera consacré à la lutte anti-terroriste. Peut-on envisager la création d'une cellule dédiée au sein de l'Union européenne pour coordonner au niveau européen la lutte contre le terrorisme ? (Applaudissements sur quelques bancs socialistes)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense .  - Je vous prie d'excuser M. Cazeneuve, qui se trouve à une réunion des ministres de l'intérieur de l'Union européenne. Le Conseil européen du 12 février sera consacré à la lutte contre le terrorisme. À cette occasion, le gouvernement français insistera sur quatre orientations. La première est la détection, le contrôle et l'entrave des déplacements des combattants étrangers, ce qui suppose une modification du code Schengen, en ouvrant en particulier la possibilité de consulter systématiquement le système d'information lors du franchissement des frontières extérieures de l'espace Schengen.

Deuxième orientation, le PNR européen, jusqu'à présent bloqué par le Parlement européen. Bernard Cazeneuve sera à Bruxelles la semaine prochaine pour rencontrer les députés européens.

Troisième orientation, le signalement des sites incitant au terrorisme et le partenariat avec les opérateurs Internet. Bernard Cazeneuve se rendra aux États-Unis pour rencontrer les acteurs de l'internet.

La dernière concerne le renforcement de la lutte contre le trafic d'armes à feu en Europe.

Quant à la coordination en matière de renseignement, elle progresse. Tous les pays démocratiques sont concernés par la menace et doivent lutter ensemble contre le terrorisme : c'est ce à quoi s'emploient le président de la République et le gouvernement. (Applaudissements)

Décisions du Conseil constitutionnel

M. le président.  - Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 29 janvier 2015, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l'acceptation des libéralités par les associations déclarées, l'exonération de taxes intérieures de consommation pour les produits énergétiques faisant l'objet d'un double usage et la détention provisoire - examen par la chambre de l'instruction de renvoi.

La séance est suspendue à 16 h 20.

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

La séance reprend à 16 h 35.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Jacky Deromedi.  - Lors du scrutin n°88 sur la proposition de loi constitutionnelle portant à sept ans la durée du mandat du président de la République et à le rendre non renouvelable, M. Pointereau souhaitait voter pour, et non contre.

Mme la présidente.  - Acte vous est donné de cette mise au point, qui sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

Saint-Barthélemy

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy (demande du groupe UMP).

M. Michel Magras, auteur de la proposition de loi .  - Les dispositions de cette proposition de loi organique, élaborées en vue d'un projet de loi de toilettage du statut des collectivités d'outremer, sont issues d'une délibération du conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélemy. Elles sont inspirées par l'expérience des années écoulées depuis la loi organique du 21 février 2007 et portent, d'une part, sur les transferts de compétences, d'autre part sur la participation à l'exercice des compétences conservées par l'État.

Jamais l'État n'a été aussi présent à Saint-Barthélemy que depuis qu'elle est devenue collectivité. Parallèlement à l'élargissement des compétences de la collectivité, nous voulons renforcer sa coopération avec l'État. Le droit a été reconnu à certaines collectivités, dont Saint-Barthélemy, d'adapter le droit national à leurs spécificités locales si l'intérêt de la collectivité est avéré.

L'économie de Saint-Barthélemy est mono-sectorielle et fragile. La collectivité, qui fait partie de la zone dollar, est confrontée à la concurrence des pays voisins pour attirer les touristes. Nous avons aussi à coeur, non pas de nous développer, mais de maitriser notre développement pour préserver notre environnement, bien gérer notre espace de 24 km2 et préserver la cohésion sociale.

Le droit de préemption de la collectivité, où la pression foncière est élevée, doit ainsi être ajusté pour mieux protéger les espaces naturels. Chaque disposition doit être rapportée au contexte local.

La commission veut supprimer l'article 2, dont la rédaction est sans doute insatisfaisante, mais qui se justifie. Saint-Barthélemy est une collectivité dotée de l'autonomie. Or en matière pénale et en matière de police et de sécurité maritime, les délibérations de la collectivité sont transmises au ministère de l'outremer, qui propose un décret au Premier ministre ; ce décret, une fois publié, est soumis à la ratification du Parlement. Il s'écoule en moyenne plus de deux ans avant l'entrée en vigueur de nos délibérations. Nous voulons y remédier. Une autre disposition permet à la collectivité de participer aux compétences de l'État en matière de recherche et de constatation des infractions ; une fois entrées en vigueur, les sanctions peuvent toutefois rester lettre morte faute d'agents habilités - nous y avons été confrontés en matière d'environnement.

L'entrée et le séjour des étrangers relèvent des libertés fondamentales. Cependant, il faut là encore veiller à l'intérêt de la collectivité. L'économie de celle-ci est fondée précisément sur l'entrée des étrangers... En outre, les règles de séjour ne doivent pas être détournées, comme c'est souvent le cas, faute de coopération avec l'État. Dans certains cas, il est impossible à la collectivité d'exercer sa compétence en matière d'accès au travail des étrangers. Une coopération plus étroite avec l'État par le biais de la participation aux compétences de celui-ci est indispensable, dès lors que la portée des avis de la collectivité est faible. Nous sommes souvent consultés en urgence, parfois après la saisine du Conseil d'État...

Nous sollicitons de pouvoir participer davantage à l'exercice des compétences de l'État. Cette participation, nous ne l'avions pas demandé en 2003 en ce qui concerne la protection sociale, par prudence. C'est toutefois une demande du Cese et de la population. L'Observatoire régional de la santé en Guadeloupe (ORSAG) a souligné que le contexte local compliquait la gestion du système de santé à Saint-Barthélemy, que certains habitants rechignaient à s'adresser à l'administration... L'enjeu, c'est l'accès au service public et la qualité de celui-ci. Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont les deux seules collectivités d'outre-mer sans organisation propre de protection sociale, ce qui est considéré, non comme une atteinte à l'unité de la République ou au principe d'égalité, mais comme une adaptation du principe de solidarité à leurs caractéristiques propres. Pas plus qu'en 2003, la collectivité ne souhaite exercer pleinement la compétence, elle se place elle-même sous la tutelle de l'État et ne veut en aucune façon se soustraire à la participation à la solidarité nationale.

Notre proposition est assortie d'un élargissement du champ de la fiscalité sociale. Le problème de la compétitivité-coût se pose à Saint-Barthélemy, dont l'économie repose essentiellement sur l'industrie du tourisme, qui est une industrie de main d'oeuvre. Les entreprises ne perçoivent pas le CICE. Nos concurrents sont avantagés par une main d'oeuvre moins chère et par la parité euro-dollar. Je vous proposerai un ajustement des taux qui aura les mêmes effets que le CICE. En outre, une gestion moins distante permettra de réduire les reste-à-recouvrer.

Un nombre important de véhicules de location circulent sur l'île ; nous devons nous doter d'outils de régulation. De même, si nous pouvons immatriculer les navires, il importe que nous puissions aussi délivrer les cartes et titres de navigation.

S'agissant du fonctionnement de la collectivité, le président de celle-ci doit pouvoir être habilité à ester en justice en son nom pour la durée de son mandat. L'article 9 clarifie les règles de majorité tandis que l'article 10 supprime le rapport spécial sur la situation de la collectivité, qui ne se justifie pas au regard de la taille de celle-ci.

J'espère vous convaincre tous du bien-fondé de ce texte.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois  - Cette proposition de loi présente de grandes vertus. Voilà sept ans et demi que Saint-Barthélemy possède un statut de collectivité d'outre-mer au sens de l'article 74 de la Constitution et des lois du 21 février 2007. La collectivité en a fait le bilan et elle propose, par la voie de son dynamique sénateur, des aménagements pertinents.

Les représentants des collectivités territoriales que nous sommes ne peuvent qu'être séduits par la démarche suivie, alliant recherche du consensus et pragmatisme. Le sur-mesure institutionnel pratiqué en outre-mer depuis qu'il a été consacré par la Constitution en 2003 peut nous inspirer.

La proposition de loi traduit les propositions adoptées par le conseil territorial le 20 décembre 2013 ; le conseil exécutif a réaffirmé son soutien le 24 décembre dernier.

Commune intégrée au département de la Guadeloupe en 1946, puis devenue avec Saint-Martin un arrondissement de ce département, Saint-Barthélemy est devenu une collectivité à part entière en 2007, en s'appuyant sur la révision constitutionnelle de 2003 et en arguant de la distance de 230 kilomètres qui la sépare de la Guadeloupe. Ce choix a été confirmé à plus de 95,5 % des suffrages exprimés lors d'une consultation locale le 7 décembre 2013.

Elle exerce un pouvoir législatif autonome en matière d'environnement, d'urbanisme, de fiscalité, d'aménagement ou de tourisme. Sous réserve d'adaptation, les lois et règlements de l'État s'y appliquent de plein droit, sauf en matière de droit d'asile et d'entrée et de séjour des étrangers.

Cette proposition de loi organique comprend deux séries de dispositions statutaires. Concernant le fonctionnement des institutions, certaines transposent le droit commun des collectivités territoriales : possibilité pour le président d'ester en justice, délégations, règles de majorité ou de quorum... Notre commission des lois les a adoptés, sous réserve de quelques modifications, de même que les articles 11 et 12 tendant à fluidifier les relations entre le conseil exécutif, le conseil territorial et le conseil économique, social et culturel. En revanche, la commission a supprimé l'article 8, pour préserver le caractère collégial de l'exécutif.

D'autres dispositions concernent les compétences de la collectivité. M. Magras proposait, en matière pénale, que les délibérations de la collectivité deviennent applicables après quatre mois en l'absence de réponse de l'État. Cela aboutirait à déposséder l'État de sa compétence pénale régalienne, ce qui est interdit par l'article 74 de la Constitution.

À l'article 4, la commission des lois a approuvé le transfert de la réglementation du nombre de véhicules autorisés à circuler sur l'île, qui s'élèvent à quelque 11 000 pour 9 200 habitants. La collectivité devra bien sûr respecter les règles constitutionnelles comme la liberté d'entreprendre.

L'article 5 créait une caisse de prévoyance sociale regroupant l'ensemble des risques. Cela ne relevait pas de la loi organique.

La commission des lois s'est assurée de la sécurité juridique du texte et de sa constitutionnalité. Au nom de la commission, je salue le travail de M. Magras et son engagement au service de nos concitoyens d'outre-mer. Espérons que le gouvernement nous aidera à faire prospérer ce texte.

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer.  - Sept ans après la loi organique de 2007 qui a érigé Saint-Barthélemy en collectivité d'outre-mer dotée de l'autonomie, nous sommes appelés à examiner un texte nourri de l'expérience du terrain. C'est en effet à l'usage que l'on voit si les règles doivent évoluer. Si Saint-Barthélemy n'est pas confronté aux mêmes difficultés que les autres territoires ultramarins, des évolutions sont possibles pour répondre aux attentes de la population.

La commission des lois a utilement complété le texte en renforçant à l'article premier les prérogatives du conseil territorial en matière de préemption, et en exigeant un avis motivé. À l'article 2, je partage les avis de la commission de préserver les compétences régaliennes de l'État en matière pénale. Il est certes souhaitable de résoudre les difficultés, comme d'associer la collectivité à la gestion de l'entrée et du séjour des étrangers. Nous réfléchissons à une clarification des règles applicables en la matière.

La commission des lois a confirmé le pouvoir donné à la collectivité de fixer des sanctions administratives.

À l'article 6, je ne suis pas opposée à ce que les règles et cotisations sociales diffèrent à Saint-Barthélemy. Il me parait également utile que le président soit habilité pour toute la durée de son mandat à ester en justice, sous réserve d'en rendre compte régulièrement.

Tous les sujets ne pourront être traités ici, notamment ce qui concerne les habilitations en matière sociale.

Néanmoins, je suis à votre disposition pour avancer. Je partage votre souci de préserver l'environnement insulaire et, en partie, de limiter la circulation routière. Nous veillerons à ce que ce texte soit examiné dans un délai raisonnable à l'Assemblée nationale. Nous faisons aujourd'hui oeuvre utile. (Applaudissements)

Mme Élisabeth Doineau .  - Le 7 décembre 2003, les électeurs de Saint-Barthélemy se sont prononcés très majoritairement en faveur de la transformation de leur commune en collectivité. Ce fut chose faite en 2007, avant que l'île ne devint en 2013 un territoire d'outre-mer pour l'Union européenne.

Cette proposition de loi organique tire les conséquences pratiques de ce nouveau statut. Elle résulte d'un premier bilan de la pratique institutionnelle locale et vise à le rendre plus efficace. Certaines dispositions de ce texte ne font que transposer le droit commun des collectivités territoriales, aux articles 9 et 10.

S'agissant des compétences de la collectivité, nous saluons la position équilibrée de la commission des lois, qui a su concilier efficacité et respect des règles constitutionnelles.

Le volet social ne relevait pas de ce texte : nous suivons, là aussi, la commission. Considérant que les politiques menées doivent l'être au plus près des citoyens, dans un souci d'efficacité et dans le respect de la Constitution, nous soutenons ce texte.

Saint-Barthélemy est une île sous le vent ; poursuivons notre travail législatif sans les alizés ! (Applaudissements)

M. Michel Delebarre .  - L'initiative de M. Magras n'est pas étonnante. Depuis la révision constitutionnelle de 2003, à l'occasion de laquelle le président Chirac avait déclaré que l'heure du statut unique était dépassée, nos outre-mer ne cessent de s'interroger sur l'adaptation des règles nationales à leur situation propre.

Jean-Jacques Queyranne notait naguère que, plus que la Guadeloupe très liée à la métropole, Saint-Barthélemy et Saint-Martin s'étaient ouverts depuis longtemps à leur environnement régional. L'évolution statutaire, voulue par la population, a conduit la collectivité de Saint-Barthélemy à exercer de nouveaux pouvoirs.

Sept ans après, les élus de Saint-Barthélemy estiment des adaptations nécessaires. Leur démarche constructive doit être saluée.

Une seconde proposition de loi, renvoyée à la commission des affaires sociales, concerne la sécurité sociale. « Si l'on jugeait selon les apparences, personne n'aurait jamais voulu manger un oursin », disait Pagnol. (Sourires) Or ce texte comprenait quelques piquants que la commission des lois a opportunément ôtés. Je pense à l'article 5 qui tendait à créer une caisse locale de prévoyance sociale, et qui inquiétait car on pouvait y voir la préfiguration du transfert à la collectivité de la compétence sociale.

Alors que M. Magras propose de rétablir cet article et le suivant, le groupe socialiste demandera au Sénat de confirmer la position de la commission des lois. Il est vrai que le traitement des dossiers connait parfois quelques lenteurs, en raison de l'éloignement de la Guadeloupe... Au gouvernement de régler le problème.

Nous nous félicitons aussi que la commission des lois ait refusé le transfert à la collectivité de Saint-Barthélemy de compétences pénales, à l'article 2 ; c'était méconnaître nos règles fondamentales.

Je regrette néanmoins le retard pris dans la publication des décrets d'homologation par le gouvernement, et dans celle des rapports d'évaluation par la collectivité comme par l'administration déconcentrée de l'État. Ils n'aiment pas les rapports, ils ne les écrivent pas, et après ils disent que ces rapports ne servent à rien, s'en remettant, figurez-vous, à la délibération collective... (Sourires)

Les auteurs de cette proposition de loi organique souhaitent aussi étendre le droit de préemption de la collectivité en supprimant les conditions de résidence lorsque la préemption est motivée par la sauvegarde ou la mise en valeur d'espaces naturels.

La commission des finances a déclaré irrecevable notre amendement qui étend le droit de préemption à la cohésion sociale, estimant que cela s'apparenterait à une aggravation des charges publiques. Soit, mais ce raisonnement imparable ne s'applique-t-il pas à l'ensemble de l'article premier ?

« La République franchit un pas de plus vers la réconciliation de son unité et de sa diversité », selon la belle formule de Jacques Gillot, lors de l'examen de la loi conférant à Saint-Barthélemy, le statut de collectivité.

Saint-Barthélemy a fait le choix d'un développement par le tourisme haut de gamme ; l'équilibre économique qui s'ensuit doit être préservé. Je salue le travail du rapporteur qui a amélioré la rédaction et la présentation du texte en le débarrassant de dispositions excessives. Le groupe socialiste se félicite de l'avis défavorable de la commission des lois sur la création de la caisse de sécurité sociale. Nous n'en aurons pas terminé avec ce texte, qui doit aller à l'Assemblée nationale. Ce texte a une autre vertu : ne connaissant pas Saint-Barthélemy, je n'ai qu'une envie, c'est de me rendre sur place ! (Sourires)

Mme Éliane Assassi.  - Vous n'êtes pas le seul !

présidence de M. Thierry Foucaud, vice-président

M. Yvon Collin .  - L'évolution statutaire de Saint-Barthélemy est le fruit d'une longue histoire. Le temps écoulé a permis à cette toute jeune entité de se familiariser avec les prérogatives attachées à son nouveau statut. Ce texte a donc été longuement muri.

La préservation de l'environnement est l'un de ses objectifs, alors que l'île aux paysages paradisiaques vit principalement du tourisme haut de gamme, intégré, mais très rémunérateur, qui a évité les dérives trop souvent constatées ailleurs.

La régulation du parc automobile est un autre enjeu économique, social et environnemental, afin d'assurer un développement maîtrisé.

Le volet institutionnel apporte des améliorations pertinentes et de bon sens au fonctionnement du conseil territorial.

Nous avons toutefois des réserves. Nous mettons en garde les collectivités désireuses d'exercer des prérogatives régaliennes. Le régime du « tout est applicable, sauf... » préserve le principe de libre administration, lequel ne saurait aboutir à ce que des décisions concernant les libertés publiques dépendent d'une collectivité territoriale.

Cela dit, nous voterons à l'unanimité ce texte.

Mme Aline Archimbaud .  - Il est primordial pour notre rôle démocratique de parlementaires que nous donnions force et constance à des initiatives telles que cette proposition de loi, dont je félicite l'auteur.

Je soutiens plusieurs de ses dispositions, notamment l'article premier. En tant qu'écologiste, j'estime très utile de protéger la biodiversité particulièrement fragile dans un système insulaire qui est l'un des atouts majeurs de l'outre-mer.

De même, nous sommes favorables à l'article 2.

Je ne soutiens pas pour autant toutes les dispositions de ce texte comme l'article 5, supprimé en commission, mais en partie repris par l'amendement n°4. Auteure d'un rapport au Premier ministre  sur l'accès aux soins, je suis sensible à la situation due à l'éloignement des habitants de Saint-Barthélemy, d'une caisse de sécurité sociale, et à la piètre qualité du service qui leur est rendu -longs délais, dossiers perdus, etc...

Il y a là une réalité, madame la ministre, qui exige d'agir sans délai. Pourquoi ne pas créer sur place un service d'accueil des populations, afin que les dossiers ne trainent pas durant des mois ? L'article 6 supprime la référence à l'analogie avec la Guadeloupe en matière de cotisations sociales. Mais il y a débat sur la volonté affichée par les auteurs de diminuer les charges sociales et d'autoriser l'État à déroger à des mesures d'ordre général sur la protection sociale.

Se pose en outre la question fondamentale de la solidarité nationale, qui est à la base de la sécurité sociale. Quels sont les droits acquis, à titre individuel, par ceux qui ne travaillent qu'un temps à Saint-Barthélemy ?

Bref, l'amendement n°4 pose problème. Notre vote final dépendra du sort fait aux amendements. (M. André Gattolin applaudit)

Mme Éliane Assassi .  - Cette proposition de loi semble empreinte de bon sens. Saint-Barthélemy est la seule collectivité d'outre-mer à avoir répondu à la demande de votre prédécesseur, madame la ministre, de dresser un bilan de l'application de la loi statutaire. Ce statut nécessite quelques adaptations, après près de huit ans d'usage, sans qu'il soit remis en cause.

La clarification du fonctionnement des institutions de l'île vont dans le bon sens. La commission des lois a amélioré ou précisé certains points.

L'élargissement de certaines compétences est plus délicat. En particulier, la participation de la collectivité à certaines compétences régaliennes, qui en dessaisissent l'État, et j'ai été sensible à celles qui concernent l'entrée et le séjour des étrangers, avec la pression migratoire, qui s'exerce autant en Guadeloupe qu'à Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Je crains la tentation de fixer des règles spécifiques à ces collectivités, ce qui menacerait l'unité de la République.

La commission des lois a supprimé à juste titre l'article 2 concernant le transfert de certaines dispositions de droit pénal : c'est interdit par la Constitution. La création d'une caisse locale de prévoyance sociale couvrant l'ensemble des risques n'était pas admissible. La commission des lois a raison : cela ne relève pas d'une loi organique. Mais il y a plus : je refuse de voir une portion du territoire français s'affranchir du principe de solidarité nationale, afin de ne pas participer au financement du déficit des caisses de la Guadeloupe.

M. Michel Delebarre.  - Eh oui.

Mme Éliane Assassi.  - Je me félicite que notre commission ait eu la sagesse et la clairvoyance de supprimer ces deux articles. Si notre discussion confirme cette suppression, le groupe CRC votera cette proposition de loi organique dans le texte issu des travaux de notre commission. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Michel Magras .  - Initialement, cet article n'étend le droit de préemption qu'en cas de transfert entre résidents pour préserver les espaces naturels dans un territoire où le foncier est un enjeu majeur. La collectivité mène une politique rigoureuse à cet égard. Nous voulions nous préserver aussi, sur notre petite île, d'utiliser une extension du droit de préemption à la seul fin de bloquer certains projets.

La collectivité ne hiérarchise pas le droit de préemption. Elle considère simplement que les objectifs à caractère social sont suffisamment garantis.

L'article premier est adopté.

ARTICLE 2 (SUPPRIMÉ)

M. Michel Magras .  - Cet article prévoyait initialement trois dispositions. J'admets que la procédure d'approbation tacite pourrait être interprétée par le Conseil constitutionnel comme un dessaisissement des compétences régaliennes de l'État. Cela vaut pour le a) de l'article initial, mais pas pour le b).

Ce n'est pas faire injure à l'État que de considérer que la participation à l'exercice des compétences est prévue dans notre loi organique. Il s'agit d'adapter les règles relatives à l'entrée et au séjour des étrangers à la situation particulière de Saint-Barthélemy. Avec une économie entièrement dépendante du tourisme, les conditions d'entrée des visiteurs sont un sujet important. Quant au c), il concernait la procédure pénale. La rédaction initiale a été corrigée par un amendement que je présenterai tout à l'heure.

L'article 2 demeure supprimé 

L'article 3 est adopté.

ARTICLE 4

M. Michel Magras .  - Cet article 4 propose le transfert de deux compétences. L'une relève du commerce, afin de réguler le nombre important de véhicules de location. L'autre concerne l'immatriculation des navires. Dans ce cadre, la collectivité est entièrement sous le contrôle de l'État et du Parlement.

Quant au devenir de la protection sociale, je mesure sa dimension symbolique. Il ne s'agit en aucun cas de transfert de compétences. L'intention de Saint-Barthélemy est connue : elle a fait l'objet d'une proposition de loi que j'ai déposée au Sénat. Elle n'entend pas se soustraire à la solidarité nationale. Elle propose même une taxe de solidarité, qu'elle serait la seule collectivité d'outre-mer à pratiquer.

M. le président.  - Amendement n°11, présenté par M. Delebarre et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Supprimer cet article.

M. Michel Delebarre.  - Nous sommes saisis de deux amendements : cet amendement de suppression de l'article et de l'amendement n°5 rectifié de M. Magras qui met en cause les premières dispositions, puisqu'il se limite à l'immatriculation des seuls véhicules terrestres à moteur, amendement de repli en quelque sorte, que je suis prêt à voter, mais qui tombera si mon amendement de suppression est adopté.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission.  - La commission a donné un avis favorable à l'amendement de M. Magras. Il y a sur l'île de Saint-Barthélemy plus de 11 000 véhicules pour 9 200 habitants. L'amendement n°5 rectifié répond donc au souhait de la commission.

M. Michel Delebarre.  - Il ne viendra pas en débat si l'on vote l'amendement n°11.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission.  - Il faudrait donc retirer l'amendement n°11.

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Je comprends votre volonté, mais réglementer le nombre de véhicules de location me parait peu cohérent avec la volonté de développer le tourisme. Sagesse.

M. le président.  - Amendement n°5 rectifié, présenté par MM. Magras, Milon, Bignon, Karoutchi, Bizet, del Picchia et D. Robert, Mme Deromedi et MM. Laufoaulu, Fontaine, Grand, Nougein, Mandelli et Pierre.

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 10° Location de véhicules terrestres à moteur. »

M. Michel Magras.  - La collectivité est compétente en matière de circulation routière, mais sur un espace restreint de 24 km2, il y a aussi des problèmes de stockage et de stationnement sauvage. L'activité de location de voitures doit être examinée à l'aune de l'espace qu'elle occupe. Le droit du commerce n'est pas de notre compétence. La collectivité pourrait conditionner l'ouverture d'une activité de location de voitures à la présence d'un espace adapté au stationnement.

Sur une petite île comme la nôtre, l'enjeu n'est pas de créer du développement mais de le limiter pour éviter l'asphyxie. D'où mon amendement n°5 rectifié, pour que l'on nous donne le droit d'agir à l'égard de l'activité qui exerce la plus forte pression en matière de défiscalisation.

M. Michel Delebarre.  - Cela va dans le bon sens.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur.  - Retrait de l'amendement n°11. Avis favorable à l'amendement n°5 rectifié.

M. Michel Delebarre.  - Très bien !

L'amendement n°11 est retiré.

L'amendement n°5 rectifié est adopté.

L'article 4, modifié, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par MM. Magras, Milon, Bignon, Pierre, Bizet, del Picchia et D. Robert, Mme Deromedi et MM. Laufoaulu, Fontaine, Grand, Mandelli, Karoutchi et Nougein.

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 3° du I de l'article L.O. 6214-3 du code général des collectivités territoriales, après les mots : « immatriculation des navires ; », sont insérés les mots : « carte et titre de navigation des navires de plaisance à usage personnel non soumis à francisation ou de moins de vingt-quatre mètres ; ».

M. Michel Magras, rapporteur de la commission.  - Actuellement, la collectivité de Saint-Barthélemy ne peut procéder qu'à l'immatriculation des navires de plaisance, dès lors que la carte de circulation délivrée lors de l'immatriculation est un titre de sécurité. Elle est bien compétente pour fixer les règles en matière de sécurité maritime sous le contrôle de l'État mais il lui est impossible de délibérer les cartes ou les titres de navigation. Cette situation rend incomplète sa compétence en matière d'immatriculation des navires. La situation actuelle multiplie les interlocuteurs administratifs et allonge les délais de traitement, en l'absence de services déconcentrés des affaires maritimes à Saint-Barthélemy.

Notre amendement simplifie la procédure en étendant la compétence de la collectivité pour les services non-soumis à francisation ou de moins de 24 mètres.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur.  - Le sujet est très précis. Faute d'informations suffisantes, la commission des lois s'en remet à l'avis du Gouvernement.

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Difficile ! Les délais sont trop longs. Il faudra que nous examinions de près la situation actuelle pour la rendre plus satisfaisante. L'acte de francisation et celui d'immatriculation se matérialisent par un seul document. Aussi ne peut-on aujourd'hui vous donner satisfaction. Avis défavorable.

M. Michel Delebarre.  - Grâce à M. Magras, nous visitons des contrées que nous ne connaissons pas. Donner des autorisations pour des navires de 24 mètres, j'en suis baba ! Je ne suis guère favorable à une telle décentralisation. À quand des autorisations pour des yachts de 112 mètres ? J'ai cru comprendre que M. Magras se satisferait d'une mesure visant les bateaux de 7 mètres.

Madame la ministre, si l'on s'en tenait là, le gouvernement pourrait-il réexaminer sa position et M. Magras serait-il satisfait ?

M. Michel Magras.  - Ces 7 mètres, 24 mètres, ce sont des paliers fixés par les lois nationales. Un navire de moins de 7 mètres n'a pas à être francisé. Il circule dans les eaux intérieures sur lesquelles nous sommes déjà compétents. La francisation est un acte régalien qui appartient aux douanes. Il est question de dématérialiser la procédure.

La carte de circulation est soumise à des critères de sécurité, établies par une liste, contrôlée et vérifiée par des inspecteurs. L'État a des services dédiés, le contrôle se fait en collaboration entre nos services et ceux des affaires maritimes. Si l'on prévoyait une convention, cela me donnerait une satisfaction. Moins de 7 mètres, cela permettrait aux propriétaires de petits bateaux de pouvoir circuler plus rapidement, alors que tous les bateaux sont aux normes européennes, ce que des agences privées vérifient, pour un prix que je pourrais vous dire...

M. Michel Delebarre.  - Ici, vous pouvez tout dire !

M. Michel Magras.  - Ce prix s'élève à 1 700 euros. Donc, je suis prêt à accepter votre proposition : 7 mètres.

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Il y a des vérifications que nous devons effectuer. Je propose, sans changer maintenant de position, que nous y travaillions durant la navette.

M. Michel Delebarre.  - Que fait-on ? On suspend ? (Sourires)

M. Michel Magras.  - J'entends bien. Mais comment se déroulera la navette, je ne sais. Y aura-t-il une seconde lecture ? Une CMP ? Je crains que l'Assemblée nationale n'introduise une disposition nouvelle. Je suis enclin à rectifier mon amendement pour viser les bateaux de moins de 7 mètres, tout en poursuivant le travail, madame la ministre, avec vos services et ceux des affaires maritimes, en souhaitant que les vôtres continuent à piloter le processus.

M. le président.  - Vous rectifiez votre amendement ?

M. Michel Magras.  - Oui, en supprimant les mots après « non soumis à francisation ».

M. le président.  - Ce sera l'amendement n°1 rectifié ter.

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Ma position reste inchangée.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur.  - Sagesse.

L'amendement n°1 rectifié ter est adopté et devient un article additionnel.

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié, présenté par MM. Magras, Milon, Bignon, Karoutchi, Bizet, del Picchia et D. Robert, Mme Deromedi et MM. Laufoaulu, Fontaine, Grand, Nougein, Mandelli et Pierre.

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° L'article L.O. 6214-5 est ainsi rédigé :

« Art. L.O. 6214-5.  -  Dans les conditions prévues à l'article L.O. 6251-3, la collectivité peut participer, sous le contrôle de l'État, à l'exercice des compétences qui relèvent de l'État en matière de :

« 1° Droit pénal en vue de la répression des infractions aux règles qu'elle fixe dans les matières mentionnées à l'article L.O. 6214-3 ;

« 2° Police et de sécurité maritime ;

« 3° Recherche et constatation des infractions aux règles qu'elle fixe dans les matières mentionnées à l'article L.O. 6214-3 ;

« 4° Entrée et séjour des étrangers, à l'exception du droit d'asile, de l'éloignement, des étrangers et de la circulation des citoyens de l'Union européenne. » ;

2° Le premier alinéa du I de l'article L.O. 6251-3 est remplacé par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Le conseil territorial est habilité, dans le respect des garanties accordées sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques, à adopter des actes dans le domaine :

« 1° Du droit pénal. Ces actes doivent respecter la classification des contraventions et délits. Les peines qu'ils instituent ne peuvent excéder le maximum prévu pour les infractions de même nature par les lois et règlements en vigueur ;

« 2° De la recherche et de la constatation des infractions aux règles que la collectivité fixe dans les matières mentionnées à l'article L.O. 6214-3. Les règles prévues pour les fonctionnaires et agents de la collectivité et des établissements publics sont fixées dans les mêmes limites et conditions que celles prévues par la loi pour les agents de l'État n'ayant pas la qualité d'officier ou d'agent de police judiciaire ;

« 3° De l'entrée et du séjour des étrangers, à l'exception de l'exercice du droit d'asile, de l'éloignement des étrangers et de la circulation des citoyens de l'Union européenne. »

M. Michel Magras.  - Cet amendement reprend le b) et le c) de l'article 2 initial de ma proposition de loi, en comblant les insuffisances relevées par la commission des lois dans ce dispositif. Il s'agit aussi de garantir le respect effectif des règles fixées par la collectivité.

Selon l'actuelle répartition des compétences fixée par la loi organique statutaire, la collectivité fixe les règles en matière d'accès au travail des étrangers, l'État demeurant compétent en matière d'entrée et de séjour des étrangers. Chacun connait l'enjeu que constitue l'immigration sur une île touristique comme la nôtre à l'égard de la sécurité, mais aussi de la cohésion sociale.

Saint-Barthélemy aurait les mêmes compétences que la Polynésie française en la matière, selon l'article 41 du statut de ce territoire. La compétence de l'État resterait inchangée.

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié ter, présenté par MM. Magras, Milon, Bignon, Bizet, del Picchia et D. Robert, Mme Deromedi et MM. Laufoaulu, Fontaine, Grand, Nougein et Pierre.

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° L'article L.O. 6214-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Dans les conditions prévues au premier alinéa, la collectivité peut participer à l'exercice des compétences qui relèvent de l'État en matière de protection sociale, allocations familiales, retraites et assurance chômage, y compris en matière de cotisations sociales et autres prélèvements destinés au financement de la protection sociale. » ;

2° L'article L.O. 6251-3 est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« III.  -  Dans les conditions prévues au I, le conseil territorial est habilité à adopter des actes en matière de protection sociale, allocations familiales, retraites et assurance chômage, y compris en matière de cotisations sociales et autres prélèvements destinés au financement de la protection sociale. Ces actes ne peuvent avoir pour effet de réduire les garanties accordées dans ces domaines sur le territoire national. »

M. Michel Magras.  - Cet amendement récrit l'article 5 initial de la proposition de loi, en créant une caisse de prévoyance sociale, mais sans exercer la compétence de l'État. Il s'agit de rapprocher de la population un service public fondamental. Actuellement, seul un agent - mis à disposition par la collectivité - est présent, et ne peut que collecter les documents, pour les transmettre à une autre administration, distante de 250 kilomètres par mer, mais pas les traiter. Le taux de 27 % de non recouvrement observé par l'ORSAG s'explique par les entreprises qui quittent l'île. Il y a donc un intérêt fiscal à assurer un meilleur contrôle car la collectivité touche la CVAE sur ces entreprises.

La collectivité sera placée sous la tutelle de l'État. Les cotisations à Saint-Barthélemy sont alignées sur le droit national, mais il n'est pas prévu d'appliquer le CICE, à ce stade, aux collectivités d'outre-mer. Notre projet répond à un impératif social et économique. Nous garantissons à la population tous les droits qui existent au niveau national.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur.  - Sur l'amendement n°4 rectifié, le Gouvernement a été habilité par la loi du 15 novembre 2013 à rédiger une ordonnance pour Saint-Barthélemy d'ici le 15 mai 2015. Où en est-on, madame la ministre ? S'agissant de l'entrée et du séjour des étrangers extérieurs à l'Union européenne, la commission est consciente des spécificités de l'île, mais une solution administrative, élaborée par les services de l'État serait plus pertinente. Avis défavorable.

L'amendement n°6 ter prépare la mise en place d'un régime de sécurité sociale plus adapté à la situation économique de l'ile. Il soulève plusieurs questions sur le fonctionnement d'un régime spécial de protection sociale. Le gouvernement nous en dira sans doute plus. D'autres collectivités d'outre-mer, comme la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française, ont un tel régime, car elles exercent la compétence en matière de sécurité sociale. La commission a émis un avis défavorable, après un long débat.

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Il y a là une difficulté. M. Magras cherche un équilibre mais, à ce stade, sa proposition est encore un peu boiteuse. Les dysfonctionnements liés à l'éloignement doivent être résorbés. L'ordonnance est en cours de rédaction. En Polynésie, la compétence a été transférée, ce n'est pas le cas pour Saint-Barthélemy.

M. Michel Delebarre.  - M. Magras souhaite surtout ouvrir le débat et rechercher des solutions pour l'avenir. Sur le fond, difficile de lui donner satisfaction avant un examen détaillé des conséquences de telles mesures... Je l'invite à retirer ces amendements.

Mme Karine Claireaux.  - Je soutiens M. Magras : tout ce qui a trait au social est ingérable. Le rattachement administratif à une autre collectivité est intolérable. Il faut trouver une solution très vite pour avancer sur ce dossier : ce qui a trait aux habitants de Saint-Barthélemy doit être traité à Saint-Barthélemy.

M. Jérôme Bignon.  - Je suis du même avis. S'il y a quelques chose qui doit être proche des gens, c'est bien la sécurité sociale ! Nous, sénateurs, nous avons cinquante mètres à parcourir pour aller voir quelqu'un de la sécurité sociale ; pensons à ceux qui ont deux cent cinquante kilomètres à parcourir sur mer ! Les habitants de Saint-Barthélemy, comme ceux de la Somme, réclament plus de proximité. Cela ne remet pas en cause les compétences régaliennes de l'État. Je ne doute pas de votre bonne volonté, madame la ministre, mais vous n'aurez pas les moyens de résoudre ces problèmes d'éloignement, ne rêvons pas !

Nous soutenons donc les amendements de M. Magras. Votons-les ! Si l'on trouve une solution au cours de la navette, tant mieux. L'ordonnance est en cours de rédaction, dites-vous. Très bien, mais à quel stade en est-on ? Je ne remets pas en cause la bonne foi de la ministre, mais entre ce qu'on veut et ce qu'on fait, il y a parfois une vraie différence... Profitons de ce véhicule-ci.

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

M. Michel Magras.  - Pourquoi ces deux amendements sont-ils en discussion commune ?

L'argument du caractère non organique de l'amendement n°6 rectifié est recevable. Mais il faudra bien trouver un moyen pour que les habitants de Saint-Barthélemy soient traités comme les autres citoyens français. Pour l'heure, ce n'est pas le cas. Sur le logement, par exemple, la collectivité n'a pas encore écrit ses règles, sept ans après la loi organique. Devra-t-on à chaque fois en passer par une ordonnance ? D'accord pour retirer l'amendement n°6 rectifié ter, mais pourquoi l'amendement n°4 rectifié ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - La question est très complexe. La préoccupation de M. Magras est légitime. Mais sa proposition soulève un problème d'ordre juridique, sur l'articulation des compétences du territoire et celles de l'État : les actes prévus au deuxième alinéa de l'amendement n°6 rectifié ter risquent d'être un coup d'épée dans l'eau puisqu'ils devront être validés par l'État. Mieux vaudrait se donner le temps de la réflexion pour construire un système efficace. Cela suppose de résoudre un certain nombre de problèmes - qui relèvent plus de la commission des affaires sociales que de la commission des lois. Les résidents de Saint-Barthélemy vivent parfois ailleurs, à Saint-Martin ou à la Guadeloupe. La situation est différente à Saint-Pierre et Miquelon, plus isolé. Se pose aussi la question du champ d'action de la caisse.

En matière d'assurance chômage, le régime est paritaire et dépend d'une convention entre les partenaires sociaux, avec un agrément de l'État. Difficile donc de concevoir une caisse qui traite à la fois de la sécurité sociale - assurance maladie, assurance vieillesse, indemnisation des accidents du travail, prestations familiales - et de l'assurance chômage.

Je ne ferme nullement la porte à des évolutions, mais celle que vous proposez soulève des questions très délicates. Je préférerais qu'on élabore avec les élus du territoire un système, si le gouvernement y est disposé, qui tienne vraiment la route. Tel qu'il est rédigé, l'amendement n'apporte pas vraiment de réponse opérationnelle au problème que vous soulevez. D'où cet avis techniquement défavorable, si l'on peut dire.

Peut-être pourrez-vous retirer votre amendement, si le gouvernement vous rassure sur sa volonté d'avancer ?

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Je vous propose, monsieur Magras, de transformer votre amendement en une demande de rapport sur ce sujet complexe. Cela permettrait de matérialiser ce travail commun.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur.  - Il y aura deux lectures, bien sûr. Les deux amendements sont en discussion commune car ils portent sur le même article, mais peuvent être retirés individuellement.

M. Michel Magras.  - On ne peut introduire en deuxième lecture des dispositions qui n'aient été débattues en première lecture. En toute sincérité, ayant entendu M. Delebarre et Mme Assassi, je ne vais pas profiter de la majorité du Sénat pour faire voter un texte qui serait repoussé à l'Assemblée nationale... Pour obtenir l'unanimité du Sénat, je suis prêt à m'incliner. Un rapport ? Il y en a déjà un très détaillé. Nous ne nous sommes pas lancés à la légère.

J'accepte donc de retirer ces amendements et me félicite que le Sénat ait eu ce débat. (Applaudissements sur les bancs UMP)

L'amendement n° 4 rectifié est retiré, ainsi que l'amendement n°6 rectifié ter

Mme la présidente.  - Amendement n°8 rectifié, présenté par MM. Magras, Milon, Bignon, Karoutchi, Bizet, del Picchia et D. Robert, Mme Deromedi et MM. Laufoaulu, Fontaine, Grand, Nougein, Mandelli et Pierre.

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le cinquième alinéa du I de l'article L.O. 6251-3 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Nonobstant les dispositions prévues au quatrième alinéa du présent I, en l'absence de transmission du projet de décret dans le délai prévu au deuxième alinéa du présent I, le projet ou la proposition d'acte entre en vigueur après ratification par la loi, y compris lorsque l'acte intervient dans le domaine du règlement. »

Mme la présidente.  - Amendement n°9 rectifié, présenté par MM. Magras, Milon, Bignon, Karoutchi, Bizet, del Picchia et D. Robert, Mme Deromedi et MM. Laufoaulu, Fontaine, Grand, Nougein, Mandelli et Pierre.

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le cinquième alinéa du I de l'article L.O. 6251-3 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

 « Nonobstant les dispositions prévues au quatrième alinéa du présent I, en l'absence de transmission du projet de décret dans le délai prévu mentionné au deuxième alinéa du présent I, le projet ou la proposition d'acte entre en vigueur après ratification par la loi. »

M. Michel Magras.  - Ces deux amendements, très proches, visent à réduire les délais d'adoption des actes établis par la collectivité. Le délai est de deux mois ; je propose que le Parlement puisse valider ces projets d'actes.

J'ai déjà utilisé cette méthode pour le code du commerce, mais cela n'a pu se faire pour le code de l'environnement. Il a fallu procéder par ordonnance pour la partie législative, la partie réglementaire n'étant toujours pas validée. Ces amendements sont une innovation, certes, mais la marge de créativité qui m'est laissée est très faible...

Mme la présidente.  - Sous-amendement n°14 rectifié à l'amendement n° 9 rectifié de M. Magras, présenté par M. Darnaud, au nom de la commission.

Amendement n°9 rectifié, alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

« En l'absence de publication d'un décret d'approbation ou de refus d'approbation dans un délai de trois mois à compter de la transmission prévue au deuxième alinéa, la loi peut approuver totalement ou partiellement une proposition ou un projet d'acte intervenant dans le domaine de la loi. »

M. Mathieu Darnaud, rapporteur.  - Il y a là un vrai sujet. Les amendements nos8 et 9 modifient la procédure d'approbation des actes de la collectivité Saint-Barthélemy quand ils procèdent d'une compétence de l'État. Le Parlement ne peut pas se prononcer si le gouvernement ne publie pas de décret, ou s'il le publie avec retard. Pourtant, en matière législative, le Parlement est compétent. L'amendement n°9 rectifié de M. Magras est conforme à l'article 74 de la Constitution puisque l'approbation reste expresse. L'inertie gouvernementale n'empêcherait plus le Parlement de se prononcer.

Le sous-amendement qui a été rectifié apporte deux précisions.

D'une part, le délai au terme duquel le Parlement pourrait directement approuver ou non des propositions ou projets d'acte relevant de sa compétence serait de trois mois à compter de la transmission de la proposition ou du projet d'acte au gouvernement. En effet, l'amendement se réfère à l'absence de transmission d'un projet de décret au Premier ministre. Or cette circonstance relève du travail interne du gouvernement et ne fait pas l'objet d'une publicité permettant de déterminer avec certitude l'expiration du délai.

D'autre part, il est précisé que l'approbation directe du législateur peut être totale ou partielle, comme il est actuellement prévu pour le décret. À défaut, le législateur devrait rejeter en bloc la proposition ou le projet d'acte en cas de désaccord sur un seul article.

Favorable à l'amendement n°9 si notre sous-amendement est adopté ; défavorable à l'amendement n°8.

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Même avis. Le sous-amendement est de nature à donner satisfaction à tout le monde.

L'amendement n°8 rectifié est retiré.

Le sous-amendement n°14 rectifié est adopté.

L'amendement n°9 rectifié, sous-amendé, est adopté et devient un article additionnel.

L'article 5 demeure supprimé.

ARTICLE 6

Mme la présidente.  - Amendement n°12, présenté par M. Delebarre et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Supprimer cet article.

M. Michel Delebarre.  - Nous supprimons l'article 6 par cohérence avec la suppression de l'article 5.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur.  - La suppression de l'article 5 n'entraîne pas nécessairement celle de l'article 6, qui met fin à l'obligation d'un même niveau de prélèvements sociaux à Saint-Barthélemy et en Guadeloupe. Retrait, sinon avis défavorable.

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Même avis.

M. Michel Magras.  - M. Delebarre a raison : cet article avait en effet son intérêt si l'article 5 était voté. Lorsque Saint-Barthélemy a été détaché de la Guadeloupe, le législateur a souhaité faire bénéficier la collectivité des avantages de son département d'origine -essentiellement des abattements. Pour moi, ces deux articles vont de pair. Si la règle ne change pas, restons-en là.

L'amendement n°12 est retiré.

L'article 6 est adopté.

L'article 7 est adopté.

L'article 8 demeure supprimé.

ARTICLE 9

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par MM. Magras, Milon, Bignon, Karoutchi, Bizet, del Picchia et D. Robert, Mme Deromedi et MM. Laufoaulu, Fontaine, Grand, Nougein, Mandelli et Pierre.

Alinéa 6

Compléter cet alinéa par les mots :

et contresignées par les membres du conseil exécutif chargés de leur exécution

M. Michel Magras.  - Cet amendement précise que les décisions du conseil exécutif doivent être contresignées par les membres du conseil exécutif.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur.  - Avis favorable.

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Idem.

L'amendement n°3 rectifié est adopté.

L'article 9, modifié, est adopté.

ARTICLE 10

Mme la présidente.  - Amendement n°13, présenté par M. Delebarre et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Supprimer cet article.

M. Michel Delebarre.  - J'ai dit, lors de la discussion générale, que M. Magras avait une attitude toute particulière envers les rapports... On ne les fait pas -ce qui permet de dire des années après, qu'il n'en faut pas... Je m'oppose à cette logique. Dans les collectivités locales continentales, nous avons des tas de rapports à faire. C'est parfois pénible, mais nous ne pouvons nous en dispenser.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur.  - La collectivité de Saint-Barthélemy produit quand même des rapports. Ce fut d'ailleurs la seule des collectivités d'outre-mer à avoir répondu à la demande de votre prédécesseur, madame la ministre, sur l'évolution du statut. En l'espèce, ce rapport ne paraît pas indispensable. Il existe bien d'autres occasions.

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Les rapports sont utiles pour la démocratie. Toutes les collectivités locales y sont soumises.

M. Michel Delebarre.  - Très bien !

M. Michel Magras.  - Il n'existe pas, à ma connaissance, une collectivité en France qui fournisse autant de rapports que Saint-Barthélemy ! Si on en trouve une, je rectifierai mes propos en séance publique... Nous sommes déjà en avance dans le domaine social, nous avons des rapports dans tous les domaines. Le conseil exécutif se réunit toutes les semaines, ses actes sont publiés et affichés, les occasions de contrôler l'exécution des délibérations sont nombreuses. Ce rapport, ce sont des frais supplémentaires. Croyez-moi, nous rendons compte.

L'amendement n°13 n'est pas adopté.

L'article 10 est adopté.

ARTICLE 11

Mme la présidente.  - Amendement n°7 rectifié bis, présenté par MM. Magras, Milon, Bignon, Karoutchi, Bizet, del Picchia et D. Robert, Mme Deromedi et MM. Laufoaulu, Fontaine, Grand, Nougein, Mandelli et Pierre.

Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« S'il y a lieu, le président adresse également aux conseillers territoriaux l'avis rendu par le conseil économique, social, culturel et environnemental.

M. Michel Magras.  - Texte même.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur.  - Avis favorable.

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Sagesse.

L'amendement n°7 rectifié bis est adopté.

L'article 11, modifié, est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

Mme la présidente.  - Amendement n°2 rectifié bis, présenté par MM. Magras, Milon, Bignon, Karoutchi, Bizet, del Picchia et D. Robert, Mme Deromedi et MM. Laufoaulu, Fontaine, Grand, Nougein, Mandelli et Pierre.

Avant l'article 12

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° À la fin de l'intitulé du chapitre III du titre II du livre II de la sixième partie, les mots : « et culturel » sont remplacés par les mots : « , culturel et environnemental » ;

2° À la fin de l'article L.O. 6220-1, les mots : « et culturel » sont remplacés par les mots : « , culturel et environnemental » ;

3° À la fin du premier alinéa, aux première et seconde phrases du deuxième alinéa, au troisième alinéa, à la fin de la première phrase du quatrième alinéa, à la première phrase de l'avant-dernier alinéa et à la fin du dernier alinéa de l'article L.O. 6223-1, les mots : « et culturel » sont remplacés par les mots : « , culturel et environnemental » ;

4° À la première phrase des premier et deuxième alinéas, au troisième alinéa, à la première phrase des trois derniers alinéas de l'article L.O. 6223-2, les mots : « et culturel » sont remplacés par les mots : « , culturel et environnemental » ;

5° Aux premier et second  alinéas du I, au premier alinéa, à la fin du 1° et au 2° du II, au premier alinéa du IV et au V de l'article L.O. 6223-3, les mots : « et culturel » sont remplacés par les mots : « , culturel et environnemental ».

M. Michel Magras.  - Cet amendement étend le rôle du conseil économique, social et culturel au domaine de l'environnement, comme au niveau national.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur.  - Avis favorable.

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Idem.

L'amendement n°2 rectifié bis est adopté, et devient un article additionnel.

L'article 12 est adopté.

L'article 13 est adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. Michel Magras - Merci au rapporteur, au président de la commission des lois, au gouvernement. Le débat a été instructif pour ceux qui ne connaissent pas Saint-Barthélemy. Je regrette de n'avoir pas toujours été suivi, mais je suis heureux que certaines dispositions aient été adoptées et qu'on ait reconnu que je soulevais des problèmes réels, sur lesquels la réflexion devra progresser.

Saint-Barthélemy est une collectivité inscrite dans la République française, ses habitants souhaitent être traités comme tous les citoyens français. Merci encore.

L'ensemble de la proposition de loi organique est mis aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°89.

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 231
Pour l'adoption 231
Contre 0

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - C'est un triomphe !

Saisine du Conseil constitutionnel

Mme la présidente.  - Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu'il a été saisi le jeudi 29janvier 2015, par plus de soixante sénateurs, de la loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des affaires intérieures.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Jacky Deromedi.  - Lors du scrutin n°88, M. Daniel Laurent a été déclaré comme votant contre alors qu'il souhaitait voter pour.

Mme la présidente.  - Acte vous est donné de cette mise au point, qui sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

La séance est suspendue à 19 h 25.

présidence de M. Thierry Foucaud, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

Université des Antilles et de la Guyane (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance n°2014-806 du 17 juillet 2014 modifiant le chapitre unique du titre VIII du livre VII de la troisième partie du code de l'éducation relatif aux dispositions applicables à l'université des Antilles et de la Guyane pour y adapter le titre V de la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche et les ordonnances n°2008-1304 du 11 décembre 2008 et n°2014-807 du 17 juillet 2014 modifiant la partie législative du code de l'éducation (Procédure accélérée).

Discussion générale

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Ce projet de loi est l'aboutissement de la création de l'université des Antilles. Martinique et Guadeloupe ont une tradition universitaire ancienne qui remonte jusqu'en 1883 ; d'abord un institut de droit à Fort-de-France, puis d'autres formations. Il fallut toutefois attendre 1970 pour qu'un centre universitaire multidisciplinaire commun fut créé à la Guyane et aux Antilles pour une université de plein exercice en 1982, mettant fin au rattachement historique à l'université de Bordeaux. Les collectivités territoriales ont beaucoup investi pour moderniser et équiper les campus et offrir aux étudiants des conditions très favorables.

Cependant, les relations entre le pôle guyanais et le pôle antillais se sont tendues : je vous renvoie au rapport Gillot-Magras. À l'automne 2013, le campus guyanais fut bloqué. Le protocole d'accord du 4 novembre 2013 prévoyait la création d'une université de Guyane au plus tard à la rentrée 2016. Le décret parut en fait dès le 30 juin 2014 et l'université guyanaise vit le jour à la rentrée au 1er janvier 2015. Je salue les équipes sans qui cette rapide création n'eut pas été possible.

Il ne s'agit pas ici que d'un changement de périmètre. Le gouvernement a souhaité que le cadre juridique de la nouvelle université des Antilles soit adapté aux réalités locales, par l'ordonnance du 17 juillet 2014, issue d'une large concertation.

Certaines innovations proviennent de la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013 : comme ailleurs, un conseil académique s'est substitué aux anciens conseils scientifiques et conseils des études et de la vie universitaire. Vu l'urgence, l'ordonnance a également fixé les conséquences de l'autonomisation du pôle guyanais : parité des pôles régionaux dans les instances de l'université ; capacité d'organisation administrative et pédagogique reconnue aux pôles ; mandat de cinq ans non renouvelables du président, de façon à assurer l'alternance. Toute alternance obligatoire se serait en revanche heurtée au principe de l'équité devant le suffrage.

Votre commission a utilement complété le texte pour consacrer la création d'une université antillaise autonome. En revanche, le gouvernement s'en tient à la position des élus locaux sur le principe d'une élection libre des vice-présidences des conseils de pôle : j'énonce sur ce point des réserves sur les modifications apportées par la commission.

Merci à ceux qui ont préparé ce texte, en particulier à Christian Forestier qui n'a pas ménagé sa peine, merci aux sénateurs qui y apportent leur soutien, dans l'intérêt de notre jeunesse. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commision de la culture .  - La transformation de l'université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles est rendue nécessaire par la création d'une université de la Guyane de plein exercice par le décret du 30 juillet 2014. Nous avons travaillé en bonne intelligence en commission et je remercie Mme Gillot pour son travail, salué par les élus locaux. Le rapport qu'elle a rédigé avec M. Magras nous a inspirés.

Nous avons voulu un statut de l'université des Antilles solide juridiquement, cohérent et de nature à garantir l'attractivité de l'établissement auprès des enseignants et des étudiants. L'université des Antilles compte des équipes de renommée internationale dans les domaines du développement durable, de la santé, des études caribéennes... Ne répétons pas les erreurs du passé.

Le champ d'habilitation donné par la loi du 22 juillet 2013 ne permettait pas au gouvernement de substituer l'université des Antilles à l'université des Antilles et de la Guyane dans le code de l'éducation. Cette dernière continue donc d'exister juridiquement, alors même qu'une université de la Guyane de plein exercice est en place depuis le 1er janvier 2015.

Nous avons voulu sécuriser les choses, avec une université des Antilles assise sur deux pôles, martiniquais et guadeloupéen. Les pôles sont identiques comme des regroupements de composants pouvant se voir déléguer des compétences du conseil d'administration. Ils détiennent d'ailleurs des compétences propres, de même que leur président. La commission des affaires culturelles a procédé aux modifications législatives que le champ d'une habilitation interdisait au gouvernement.

L'université des Antilles conservera la même personnalité juridique que l'ancienne université des Antilles et de la Guyane. Nous avons rapproché la composition des conseils du droit commun, afin d'améliorer la représentation des équipes de recherche, incontournables. Nous avons évité toute confusion entre les services de l'université et ceux des pôles. Le texte met également en oeuvre la proposition n°11 du rapport Gillot-Magras. Les tickets pour la présidence et les deux vice-présidences des pôles sont en effet indispensables, pour garantir la confiance réciproque, tant les forces centrifuges sont aujourd'hui puissantes. Nous privilégions une logique de projet, alors que jusqu'ici les frontières insulaires étaient déterminantes. Des pôles autonomes pleinement associés à l'établissement dans un modèle fédéral plutôt que des listes centrées sur les pôles, voilà qui nous paraît utile.

Certains vice-présidents de pôle se sont par le passé opposés au président de l'université sur des questions stratégiques. Ainsi, le pôle guyanais s'était plaint de ne pas avoir bénéficié des redéploiements promis. Tenons compte des erreurs du passé ou nous assisterons à de nouvelles scissions ! La défiance est forte en Guadeloupe à l'égard de la présidente actuelle de l'université. Les tenants d'une université de plein exercice maintiennent que l'égalité de traitement n'avait pas été respectée, alors que même le budget provisoire prévoit d'accorder 53 % des ressources à la Guyane.

Alors que le paysage universitaire national se réorganise autour de pôles cohérents, comment admettrait-on que l'université des Antilles éclate ?

Une université des Antilles solide, cohérente et pleinement opérationnelle : voilà le choix qu'a fait la commission. (Applaudissements)

Mme Dominique Gillot .  - À la suite des troubles survenus lors de la rentrée 2013/2014, M. Magras et moi-même, dans notre rapport, avons conclu qu'il fallait fonder l'avenir sur trois principes : territorialité, solidarité, attractivité. Nous avons constaté de graves dysfonctionnements sur fond de malaises identitaires. La focalisation sur les postes et les moyens, voire les personnes, a souvent empêché de soutenir d'autres projets d'intérêt commun, voire de défendre l'université. Enfin, des procédures disciplinaires et judiciaires ont été lancées pour sanctionner les abus.

Il est indispensable de conforter l'université des Antilles devenue indépendante. Au début de la crise, étudiants et enseignants avaient des revendications concrètes, sur les moyens alloués à leur université, et dénonçaient les coteries. Il appartient à l'État de défendre l'intérêt général. Il ne faudrait pas qu'une duplication systématique de nos établissements, au nom de la proximité, mette en cause leur spécialisation. Dans une période de harcèlement et de violence verbale, il a fallu de la ténacité à la présidente pour surmonter la crise et éviter que de nouvelles tensions n'apparaissent entre Martiniquais et Guadeloupéens. Pour éviter les travers anciens, nous avons fait en sorte de reconnaître l'autonomie des pôles sans renoncer à l'unité de l'établissement. C'est pourquoi la commission de la culture propose que les électeurs désignent en même temps le président et les deux vice-présidents représentant chacun des deux pôles. Rien n'avancera si chacun des membres du trio peut revendiquer une légitimité propre.

Les conditions d'études et l'offre de formation sont excellentes à l'université des Antilles qui doit constituer l'armature d'un système de formation et de recherche au service des jeunes antillais. Un quart seulement des bacheliers locaux s'inscrivent sur place : c'est dire l'enjeu d'attractivité. Souhaitons que tous les enseignants saisissent cette opportunité de remise à plat. Seule université francophone dans la région, l'université des Antilles sera un fer de lance de notre savoir et de notre culture.

Merci à vos services et à votre cabinet, madame la ministre, pour leur aide : ils m'ont aidée à débroussailler ces informations. Merci à Jacques Grosperrin pour son soutien aux propositions du rapport. À terme, j'espère un regroupement entre l'université des Antilles et l'université de la Guyane, porteur d'excellence universitaire. Le groupe socialiste votera évidemment ce projet de loi. (Applaudissements)

Mme Marie-Christine Blandin .  - Je salue le travail de longue haleine réalisé par Mme Gillot, dans un contexte difficile, une situation explosive, avec des dérives inacceptables qui ont montré la nécessité d'une plus grande vigilance de l'État.

Ce projet de loi de ratification d'ordonnances - méthode que je dénonce - fait suite au riche rapport de Mme Gillot et M. Magras. Merci à l'ancien président de la délégation à l'outre-mer, Serge Larcher, et à Jacques Grosperrin, de s'en être inspiré.

La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane ont encore beaucoup de possibilités à exploiter qu'il s'agisse de la connaissance de leurs sols et de leurs écosystèmes ou du développement d'une économie respectueuse des hommes et des femmes, de leur diversité, de leur environnement, capable de leur fournir une énergie adaptée.

Rendons effective et qualitative la formation des futurs enseignants sur place. Il y a besoin de pédagogues de talent locaux, qui donnent aux étudiants perspectives et énergie.

Hélas, le gouvernement est allé au-delà du champ de l'habilitation, et nous avons dû travailler dans l'urgence. Les écologistes sont particulièrement méfiants, ayant vu comment la loi agricole avait remis en question un pan entier de la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche.

D'autres dispositions n'ont pas été retenues, notamment celles relatives à l'École européenne de Strasbourg, élitiste et peu conforme à l'objectif de démocratisation du savoir.

Nous voterons le projet de loi mûri par la commission, afin que chicanes et bisbilles cèdent le pas à l'intérêt des jeunes antillais. (Applaudissements)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin .  - La situation de l'université des Antilles et de la Guyane est préoccupante depuis des années. C'est pourquoi la commission de la culture a souhaité l'élaboration d'un rapport. Cette structure rassemblant trois pôles éloignés a du mal à fonctionner harmonieusement. Loin de fédérer, elle a laissé place à la concurrence entre territoires pour les postes et les moyens.

La loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, directement issue de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, est à l'origine de ces dysfonctionnements : les attentes du pôle guyanais sont méconnues, la direction centrale est accusée de capter des postes et de procéder à des affectations d'opportunité...

La crise s'est soldée à la rentrée 2013 par une fracture. Le gouvernement en a tiré les conséquences en créant une université de la Guyane de plein exercice.

À l'origine, ce projet de loi ne faisait que ratifier des ordonnances, mode de législation auquel nous nous opposons. Cependant, l'encadrement de l'habilitation n'ayant pas permis au gouvernement de tenir compte de la scission de l'université des Antilles et de l'université de la Guyane, la commission de la culture l'a fait à sa place. Un ticket de trois candidats pour la présidence et les vice-présidences garantira la cohérence stratégique et l'unité de l'établissement.

À ne considérer que la forme de ce projet de loi, nous voterions contre. Cependant cette loi semble aménager une sortie de crise. Ne sous-estimons pas pour autant les tensions persistantes. Nous nous abstiendrons, en formant le voeu que cette loi réunisse.

M. Michel Magras .  - Le projet de loi vient clore un chapitre de l'histoire universitaire des Antilles et de la Guyane dont on aurait préféré faire l'économie. Président de la délégation à l'outre-mer et co-rapporteur de la mission consacrée à ce budget par la commission de la culture, je veux témoigner de la stabilisation de la situation locale. Avançons à présent, pour tirer parti des potentialités extraordinaires de ces têtes de pont de la France en Amérique que sont la Martinique et la Guadeloupe.

Conserver un même écrin universitaire commun aux deux départements est indispensable pour conserver une taille critique. En outre, la démographie vieillissante fait que la population universitaire est en léger repli, et l'université n'attire encore guère d'étudiants étrangers. L'université des Antilles ne saurait non plus évoluer dans un sens diamétralement opposé à celui où se sont engagées les autres universités françaises. Le contexte budgétaire interdit enfin une nouvelle scission.

Il convient malgré tout de tenir compte des spécificités locales tout en maintenant l'unité de l'établissement : c'est l'objet de la nouvelle architecture construite par la commission de la culture.

La loi a également fort opportunément renforcé la représentation des organismes de recherche au sein des instances universitaires. Les organes jouent un rôle déterminant dans le développement territorial.

Merci à la commission de la culture d'avoir retenu plusieurs propositions que j'avais formulées avec Mme Gillot. À l'heure où le Sénat s'interroge sur ses méthodes de travail, voilà un bel exemple de synergie entre contrôle du gouvernement et initiative législative !

Je forme le voeu que cette loi marque un nouveau départ, que les esprits s'apaisent, que l'université des Antilles renforce son rayonnement et qu'elle renoue bientôt des liens avec l'université de Guyane. (Applaudissements)

M. Serge Larcher .  - L'université des Antilles et de la Guyane a subi bien des secousses ces dernières années, jusqu'au séisme de 2013 qui s'est soldé par la scission du pôle guyanais. Ce qui est fait est fait et je souhaite plein succès à l'université de la Guyane. La commission des affaires culturelles vient opportunément compléter l'ouvrage entamé par la délégation à l'outre-mer qui s'était déplacée aux Antilles, il y a un an.

Ce travail commun est une belle innovation qui illustre la complémentarité entre travail de contrôle et travail législatif. Merci à Mme Gillot pour son expertise et sa pugnacité.

La spécificité de nos territoires implique une université des Antilles dotée de deux pôles. La situation locale ne pourrait s'accommoder d'une nouvelle crise. Dispenser un enseignement et mener une recherche de qualité suppose une taille critique. La refondation d'une nouvelle université des Antilles doit se faire avec la préoccupation constante de la complémentarité et de la cohérence, en adéquation avec les besoins des territoires. La réussite de cette nouvelle architecture universitaire suppose enfin une forme de solidarité entre l'université des Antilles et l'université de la Guyane, une répartition équilibrée de l'offre de formation et de recherche. À l'heure où la France vise à l'excellence universitaire, il faut aussi encourager la coopération internationale.

Les ressources marines, la biodiversité exubérante de la région devraient pouvoir attirer nombre d'étudiants. Un Erasmus caribéen et latino-américain serait une bonne initiative. Faisons de ces universités des outils du développement des Antilles et de la Guyane ! (Applaudissements)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture.  - Je veux me joindre à cette belle unanimité. Mme Férat aurait souhaité y prendre sa part, si elle n'était pas alitée. Je suis heureuse de voir que le travail exemplaire de Mme Gillot et de M. Magras, lancé sous la présidence de Mme Blandin, a préparé les débats de ce soir. Merci à M. Grosperrin qui a travaillé en continuité avec Mme Gillot et M. Magras. Tous les jeunes de la République ont droit à une formation d'excellence. La commission a amélioré le texte, preuve, s'il en fallait, de l'utilité du Sénat.

Merci encore à tous nos collègues, et notamment à nos collègues ultramarins. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier, l'article premier bis, l'article premier ter, l'article 2 et l'article 3 sont successivement adoptés.

L'ensemble du projet de loi est adopté.

Prochaine séance mardi 3 février 2015 à 9 h 30.

La séance est levée à 22 h 40.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

Ordre du jour du mardi 3 février 2015

Séance publique

À 9 heures 30

1. Questions orales

À 14 heures 30

2. Éloge funèbre de Jean-Yves Dusserre

À 15 heures et éventuellement le soir

3. Proposition de résolution européenne sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis, présentée, en application de l'article 73 quinquies du Règlement.

Rapport de M. Jean-Claude Lenoir, fait au nom de la commission des affaires économiques et texte de la commission (n°199, 2014 2015).

4. Proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires.

Rapport de M. Hugues Portelli, fait au nom de la commission des lois (n°254, 2014 2015).

Texte de la commission (n°255, 2014 2015).

En outre, de 15 heures à 16 heures :

Scrutins pour l'élection d'un membre titulaire et d'un membre suppléant représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini.

(Ces scrutins secrets se dérouleront, pendant la séance, dans la salle des Conférences.)

Analyse des scrutins publics

Scrutin n° 88 sur l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du président de la République et à le rendre non renouvelable.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants :338

Suffrages exprimés :334

Pour :70

Contre :264

Le Sénat n'a pas adopté

Analyse par groupes politiques :

Groupe UMP (143)

Pour : 6 - MM. Jacques Genest, Daniel Gremillet, Alain Milon, Philippe Mouiller, Jackie Pierre, Louis Pinton

Contre : 135

N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Gérard Larcher, président du Sénat, Mme Isabelle Debré, présidente de séance

Groupe socialiste (111)

Pour : 1 - M. Jean-Yves Leconte

Contre : 110

Groupe UDI-UC (43)

Pour : 27

Contre : 9 - MM. Jean-Marie Bockel, Vincent Capo-Canellas, Vincent Delahaye, Mme Jacqueline Gourault, MM. Hervé Maurey, Pierre Médevielle, Michel Mercier, Aymeri de Montesquiou, Henri Tandonnet

Abstentions : 2 - M. Daniel Dubois, Mme Sophie Joissains

N'ont pas pris part au vote : 5 - M. Olivier Cigolotti, Mmes Nathalie Goulet, Sylvie Goy-Chavent, Teura Iriti, M. Gérard Roche

Groupe CRC (19)

Pour : 19

Groupe du RDSE (13)

Pour : 13

Groupe écologiste (10)

Contre : 10

Sénateurs non-inscrits (9)

Pour : 4

Abstentions : 2 - M. Jean-Noël Guérini, Mme Mireille Jouve

N'ont pas pris part au vote : 3 - MM. Michel Amiel, David Rachline, Stéphane Ravier.

Scrutin n° 89 sur l'ensemble de la proposition de loi organique portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants :342

Suffrages exprimés :231

Pour :231

Contre :0

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques :

Groupe UMP (143)

Pour : 142

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, président du Sénat

Groupe socialiste (111)

Pour : 1 - Mme Dominique Gillot

Abstentions : 110

Groupe UDI-UC (43)

Pour : 43

Groupe CRC (19)

Pour : 19

Groupe du RDSE (13)

Pour : 13

Groupe écologiste (10)

Pour : 10

Sénateurs non-inscrits (9)

Pour : 3

Abstention : 1 - M. Philippe Adnot

N'ont pas pris part au vote : 5 - MM. Michel Amiel, Jean Louis Masson, David Rachline, Stéphane Ravier, Alex Türk.