Déclaration du Gouvernement sur la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre .  - (Mme Solanges Nadille applaudit.) Je suis accompagné de neuf membres du Gouvernement mobilisés contre le narcotrafic. Ce fléau constitue un défi de société. Il concerne l'ensemble des services de l'État et touche tous les Français. Nous devons tous mener ce combat collectif.

Ce débat devant la représentation nationale doit nous permettre d'interroger les actions menées. Nous le devons à nos concitoyens victimes du narcotrafic et à leurs familles qui vivent dans la peur. L'assassinat de Mehdi Kessaci nous l'a rappelé durement. C'est aussi l'occasion d'envoyer un message aux réseaux criminels : nous ne les lâcherons pas.

Le phénomène du narcotrafic a muté. La consommation explose : 3,7 millions de Français ont déjà consommé de la cocaïne. Son marché dépasse le cannabis en valeur, malgré 900 000 consommateurs quotidiens. Les drogues de synthèse sont en forte hausse. Le trafic de drogue est estimé à 6,8 milliards d'euros en 2025, soit trois fois plus qu'en 2010 ; il touche l'ensemble du territoire, des petites communes rurales aux centres urbains. Il menace la tranquillité publique et la santé, en particulier des jeunes, avec une consommation toujours plus importante, à un âge toujours plus précoce.

Le narcotrafic est de plus en plus connecté à des filières et des réseaux criminels internationaux. Au sein de ces réseaux sont mobilisés des trafiquants de plus en plus jeunes à qui l'on demande de mener des actions de plus en plus violentes.

C'est une guerre de mouvement. Nous devons nous adapter. Il faut une rupture : soit la dépénalisation, soit la mobilisation générale. Nous optons pour la seconde. Combattre différemment, c'est ne plus tolérer la drogue dans la société ; il faut envoyer un message politique fort.

Ne plus tolérer la drogue, c'est d'abord le dire. C'est le sens de la politique de prévention du Gouvernement. La drogue n'est pas tolérable, car elle est dangereuse. Il faut une prise de conscience, car, s'il y a moins de demande, il y aura moins d'offre.

Nous devons combattre le narcotrafic au même niveau que le terrorisme, pourquoi pas, en s'inspirant du cadre juridique qui y est appliqué.

Cette mobilisation doit concerner l'ensemble des services de l'État, et, plus largement, toute la société.

Le Sénat a déjà agi avec la loi du 13 juin dernier. Beaucoup de mesures sont d'application immédiate, mais vingt textes réglementaires seront publiés dans les prochaines semaines. Puisque c'est une guerre de mouvement, le Gouvernement présentera au premier semestre 2026 de nouvelles mesures législatives, alignant les réductions de peine des narcotrafiquants sur celles des terroristes.

Ce combat politique a aussi un volet budgétaire : le PLF 2026 prévoit 700 enquêteurs supplémentaires dans la police judiciaire et le recrutement de plus de 850 agents pénitentiaires.

Nous voulons responsabiliser les consommateurs. Comme le Président de la République l'a annoncé, nous durcirons les sanctions.

La lutte contre le narcotrafic est un combat sociétal. Les réponses du Gouvernement doivent aussi être sociales et éducatives pour une prévention efficace. Le combat contre le narcotrafic doit être mené autour des établissements scolaires, en lien avec les polices municipales. La moyenne d'âge des trafiquants mis en cause est de 21 ans. Trop de jeunes sont aspirés dans la toxicomanie et la délinquance. L'Éducation nationale est mobilisée.

Le combat est sanitaire. La santé des jeunes générations est trop importante pour l'avenir de la nation pour ne pas agir !

Le combat est économique. Le coût social des drogues est estimé à 7,7 milliards d'euros dans le monde du travail.

Le combat est financier. La lutte contre le blanchiment doit être une priorité. Nous créerons une procédure administrative de saisie des biens somptuaires sur le modèle de la lutte antiterroriste.

Le combat est diplomatique. Agir seul serait inefficace. Nous devons a minima agir entre pays européens en harmonisant nos règles, en coordonnant mieux nos services d'enquête, en protégeant mieux nos frontières. Cela veut dire intercepter les bateaux sur les routes de la drogue, dans nos eaux territoriales - la marine nationale a saisi 83 tonnes de drogue en 2025, un record outre-mer !

Le combat doit engager l'ensemble de la société française. C'est pourquoi j'appelle le Parlement à envoyer un message très clair de mobilisation par son vote. La réponse doit venir de l'ensemble de la société, acteurs publics comme privés. Les collectivités, les entreprises, les associations ont un rôle à jouer, tout comme les parents. L'Éducation nationale ne peut pas tout : nous comptons sur leur responsabilité.

Les consommateurs doivent être responsabilisés : l'État les accompagnera et les aidera.

Il serait dramatique de ne rien faire. Que le débat ait lieu ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et du RDSE)

M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur .  - Il y a moins d'un an, le Sénat adoptait à une très grande majorité la proposition de loi transpartisane visant à sortir la France du piège du narcotrafic. La discussion avait été respectueuse et constructive. Vous aviez clairement signifié que la lutte contre le narcotrafic n'était pas une question de gauche ou de droite, mais de vie ou de mort.

L'an dernier, 367 homicides ou tentatives entre délinquants ont été dénombrés, sur fond de trafic de stupéfiants. Quelque 110 personnes ont été tuées et 341 blessées. Dans le même temps, les saisies de cocaïne et de drogues de synthèse explosent et le nombre de points de deal a fortement baissé ; il faut en féliciter les forces de sécurité intérieure puisque le nombre de mis en cause a augmenté de 7 % entre 2023 et 2024. Cette hausse se poursuit en 2025. Quelque 40 % des 500 000 amendes forfaitaires délictuelles (AFD) délivrées concernent l'usage de stupéfiants.

Un tel constat nous oblige. Nos forces de sécurité intérieures se mobilisent sur la voie publique, en renseignement, en judiciaire et en police administrative, pour démanteler les trafics.

L'État se mobilise résolument depuis plus de dix ans. En 2015, sous François Hollande, le gouvernement avait expérimenté une technique innovante d'échanges de renseignements accélérés - les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), désormais généralisées à l'ensemble du territoire. En 2018, l'Office anti-stupéfiants (Ofast) était créé, dans une logique de décloisonnement voulue par le Président de la République, et désigné chef de file de la lutte anti-stupéfiants.

Ensuite, plusieurs stratégies se sont succédé, dont la stratégie de pilonnage des points de deal, puis sont venues les opérations, Place nette, par Gérald Darmanin, et Villes de sécurité renforcée, par Bruno Retailleau. Nous continuons de les faire vivre, sans coup de menton ni rupture dans l'action du Gouvernement. Mieux encore, nous voulons intensifier notre action.

Nous aurons une action résolue contre les consommateurs, puisque la consommation de drogue est à l'origine du trafic. Il faut être extrêmement sévère et répressif. L'amende forfaitaire délictuelle, qui fonctionne très bien - elle est recouvrée à près de 56 % - sera portée à 500 euros. Nous améliorerons son recouvrement. Nous réfléchissons également aux actions à mener sur le permis de conduire.

La loi de juin dernier a créé un état-major installé à la direction nationale de la police judiciaire, qui réunit 14 services et échange en permanence. Vous avez doté les préfets de moyens de police administrative - interdictions de paraître, injonctions aux bailleurs -, qui fonctionnent bien : il y a ainsi eu plus de 1 500 interdictions de paraître.

La lutte contre le narcotrafic demande des moyens : le PLF renforce la filière judiciaire, en créant 700 emplois dont 300 dédiés à la lutte contre la criminalité organisée. Ces effectifs sont très attendus. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC et du RDSE ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice .  - J'ai plaisir à évoquer la loi contre le narcotrafic, issue du Sénat - je salue Étienne Blanc et Jérôme Durain fraternellement, ainsi que François-Noël Buffet qui nous a accompagnés dans ce travail.

Le nouveau régime carcéral créé par cette loi a été validé par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel : les 66 recours contre l'État ont échoué et nous avons mis en place deux prisons de haute sécurité, à Vendin-le-Vieil et Condé-sur-Sarthe, pour y incarcérer, dans le respect des droits de l'homme et de l'État de droit, des personnes coupées de leurs réseaux de criminalité organisée.

Je salue le courage de tous les agents publics, singulièrement du ministère de la justice - quinze magistrats ont reçu des menaces de mort, plusieurs ont été mis sous protection. La tête du procureur général de Douai a été mise à prix : je salue son courage. Plusieurs agents pénitentiaires et greffiers sont sous protection.

Ce régime carcéral inspiré de l'Italie fonctionne bien. Ces personnes, les plus dangereuses de notre pays, commandaient assassinats, trafics et blanchiment depuis nos prisons.

Cette loi a créé le parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Les décrets d'application ont été publiés en quatre mois. Une circulaire créera des juges d'application des peines spécialisés. La procureure nationale en sera Mme Vanessa Perrée, actuelle chef de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc). Elle prendra ses fonctions le 5 janvier. Le Pnaco comptera une trentaine de magistrats et pourra s'appuyer sur les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs).

L'action internationale est primordiale, notamment contre le blanchiment. Nous avons obtenu des Émirats arabes unis 14 extraditions depuis le 1er janvier, alors qu'elles étaient bloquées depuis quatre ans, et ils ont réalisé, voilà 48 heures, les premières saisies et confiscations, de plus d'une trentaine d'appartements à Dubaï, dans un seul dossier. De sa prison, un narcotrafiquant marseillais gérait ainsi le blanchiment de son argent... Cette coopération est un très bon signe, étant donné l'importance de Dubaï pour les narcotrafiquants. Il faut une telle coopération avec le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, mais aussi la Thaïlande et d'autres pays d'Asie du Sud-Est.

Je remercie le Sénat de son soutien constant. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Étienne Blanc.  - Très bien.

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées .  - Les drogues sont un lent et invasif poison pour la santé. Parler de narcotrafic sans parler de prévention n'aurait pas de sens. Quelque 450 000 adultes ont consommé de la cocaïne dans l'année ; 750 000 de l'ecstasy ou de la MDMA ; 5 millions du cannabis, soit 50 % de plus qu'en 2017.

Cette banalisation a des conséquences concrètes : les passages aux urgences ont explosé - ceux liés à la cocaïne ont été multipliés par trois depuis 2012. La drogue a des conséquences sur nos familles. Elle enferme dans un engrenage qui ronge peu à peu les liens.

Le Gouvernement agit, en mettant la prévention et l'accès aux soins au coeur de la bataille.

Le premier pilier est la prise de conscience des risques : la consommation de cannabis multiple par deux la survenue des psychoses. Les risques sur la santé mentale, cardiovasculaire ou cognitive sont avérés dès la première prise. En 2026, nous mènerons une grande campagne nationale de prévention, qui combinera marketing social et actions de terrain.

Le second pilier est l'amélioration de l'offre : consultations jeunes consommateurs (CJC), centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa)... L'offre existe, mais manque de lisibilité et d'efficacité. Nous évaluons les parcours de prise en charge et l'articulation ville-hôpital pour y remédier.

Le troisième pilier est la meilleure intégration des stupéfiants dans la prévention, d'abord auprès des enfants et adolescents. Nous généralisons le dispositif Unplugged. Testé en France et en Europe, il a démontré son efficacité. Chaque contact avec un professionnel de santé doit être l'occasion d'interroger le patient sur ses habitudes et d'opérer des changements. Je souhaite aussi que nous réfléchissions à développer des métiers de santé publique entièrement dédiés à la prévention.

Le quatrième pilier est le renforcement de nos dispositifs de veille et d'alerte.

La lutte contre les drogues est au coeur des enjeux économiques, sécuritaires, démocratiques et sanitaires. Elle s'inscrit dans nos priorités pour 2026 : protéger la santé de nos enfants, renforcer la santé mentale, garantir un meilleur accès aux soins. Vous pouvez compter sur mon engagement. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)

Mme Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants .  - La loi de programmation militaire (LPM) commence à produire des résultats, en particulier outre-mer, en renforçant les capacités de nos armées - singulièrement de la marine - dans la lutte contre le narcotrafic.

Le troisième patrouilleur outre-mer de nouvelle génération a été livré à La Réunion ; il porte le nom d'un Compagnon de la Libération né à Saint-Louis et dispose d'un rayon d'action accru. Tous les patrouilleurs seront livrés d'ici à 2027. Le renouvellement des moyens aériens est également engagé, avec la livraison d'un premier Falcon 50 à Tahiti en avril, et la notification en septembre d'une tranche optionnelle de cinq avions Albatros, portant la flotte à douze appareils.

Ces premiers résultats doivent être poursuivis : début 2025, plus de 83 tonnes de stupéfiants ont été saisies, soit deux fois plus que l'année précédente. Cette hausse tient évidemment à l'augmentation des flux de cocaïne vers l'Europe, mais aussi au renforcement du renseignement, à l'expertise de notre marine nationale, dont je salue le caractère dual, et aux évolutions législatives qui ont accru nos capacités opérationnelles.

Nous pouvons ainsi affaiblir les filières criminelles, renforcer la souveraineté de la France sur ses espaces maritimes et développer une coopération internationale accrue, notamment dans le Pacifique Sud et l'océan Indien, comme nous l'avons fait avec le South Pacific Defence Ministers' Meeting (SPDMM). La France dispose d'une expertise maritime qui lui permet d'exercer un véritable leadership régional et international. (MM. Marc Laménie et Ludovic Haye applaudissent.)

M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités .  - Le monde du travail n'est pas épargné. Bien au contraire, les conduites addictives au travail constituent un enjeu croissant de santé, de sécurité et de maintien en emploi. Les médecins du travail évaluent à 7 % la proportion de salariés addicts au cannabis ; c'est deux fois plus qu'il y a 15 ans.

La prise de drogues renforce les risques : baisse d'attention, accidents, tensions entre collègues, désorganisation du travail, risque de décrochage professionnel. La drogue détruit socialement les gens et peut les conduire à la rue. Le coût social des drogues est évalué à 7,7 milliards d'euros, mais le coût humain est encore plus élevé.

Le 5e plan Santé au travail, publié le 1er janvier, renforcera l'accompagnement des employeurs et mobilisera davantage les services de prévention pour sensibiliser les salariés. Il améliorera la prise en charge des salariés consommateurs de stupéfiants. Il y a un lien entre drogue et santé mentale : soit la drogue est une fausse solution, soit elle est un facteur aggravant.

Nous renforcerons notre action grâce à la charte de l'Alliance pour la santé mentale.

La prévention suppose aussi un contrôle ferme des employeurs. Si les postes le justifient, ils peuvent déjà organiser des dépistages inopinés et s'y soustraire peut mener jusqu'au licenciement. Dans le cadre du plan Santé au travail, nous souhaitons inscrire dans le code du travail l'interdiction absolue de travailler sous l'emprise de psychotropes.

Il faut protéger particulièrement les jeunes, qui souffrent de difficultés sociales et économiques et sont des cibles faciles pour les narcotrafiquants. Le PLF renforce les moyens alloués aux établissements d'insertion professionnelle des jeunes en décrochage. Après neuf mois de prise en charge, 70 % d'entre eux trouvent un travail.

Les priorités sont claires : protéger les salariés des risques liés à la consommation de drogue, mieux accompagner les employeurs, lutter contre les risques de décrochage social.

La lutte contre le narcotrafic est notre affaire à tous et le monde du travail et des solidarités se mobilisera au service de cette grande cause. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; Mme Isabelle Florennes applaudit également.)

M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale .  - L'école n'est pas à l'abri du narcotrafic. Ce ne sont plus des faits isolés, mais une logique d'emprise structurée qui resserre ses liens et finit par mettre l'école sous pression.

Deux chiffres, tirés de « Faits établissement » : les signalements liés à la détention et la consommation de stupéfiants ont augmenté de 16 % en trois ans et ceux pour trafic dans ou aux abords d'un établissement de 56 %. Tous les territoires sont touchés ; trois quarts des cas sont hors éducation prioritaire.

Les conséquences en sont un climat dégradé, une réussite en chute libre, un absentéisme élevé et une école à la fois bouclier et refuge, comme un sanctuaire assiégé.

Je me suis rendu au collège Champollion dans le quartier des Grésilles à Dijon, partiellement incendié dans la nuit de vendredi à samedi. Ce quartier est marqué par le combat de la police contre le narcotrafic. Dès lundi matin, l'équipe était sur site, unie, debout. Je lui rends hommage : grâce à elle, l'école tient, pour refuser la fatalité.

Nous voulons une politique de prévention claire dans l'enceinte de l'école. Prévenir, c'est extraire les élèves de l'influence insidieuse des narcotrafiquants et les accueillir en sécurité dans nos murs. C'est aussi instruire. Comme l'a dit l'une des professeurs de Champollion, les élèves doivent être assis sur des chaises de classe pour ne pas finir sur des chaises de guetteur. Prévenir, c'est aussi lutter contre les conduites addictives, grâce à notre réseau de 8 000 infirmières et 9 000 psychologues, renforcés de 300 ETP dans le PLF 2026.

L'école s'engage pour que ces enfants ne soient pas un jour la proie des narcotrafiquants. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Muriel Jourda et MM. Marc Laménie et Mathieu Darnaud applaudissent également.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - La France est submergée par le narcotrafic et la criminalité organisée ; tous les territoires de la République sont concernés. Ce phénomène menace la santé publique et la sécurité de nos compatriotes. Avec la loi du 13 juin 2025, la France s'est dotée d'un état-major interministériel et du Pnaco. Face à la mondialisation des trafics, la guerre contre les trafiquants appelle une action internationale sans relâche. Afin d'éradiquer le mal à la racine, mon ministère multiplie les accords sécuritaires avec les pays de transit et de rebond. Nous renforçons nos effectifs, au sein de mon ministère, mais aussi des autres ministères que nous accueillons dans nos postes diplomatiques.

Nous orientons l'aide au développement pour financier des projets de cultures de substitution, sécuriser les ports ou lutter contre le blanchiment.

Nous avons initié à Bruxelles la création d'un régime de sanctions dédié pour interdire l'accès au territoire européen et geler les actifs de criminels réfugiés à l'étranger.

Lors de mon déplacement en Amérique Latine et dans les Caraïbes avec le Président de la République, j'ai rappelé que c'est sur cette région que porte notre premier axe d'effort, car c'est là qu'est produite la cocaïne qui déferle dans nos rues. La production explose en Colombie, au Pérou, en Bolivie. Elle transite par l'Équateur, le Brésil, le Panama, le Venezuela, le Plateau des Guyanes et les Caraïbes.

Notre deuxième axe d'effort porte sur l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. C'est au Maghreb qu'est produit l'essentiel du cannabis importé en France et de nombreux narcotrafiquants y sont réfugiés. L'enjeu est d'obtenir des extraditions, des judiciarisations sur place et des saisies d'actifs. Le Maroc est aussi un pays de rebond pour la cocaïne.

Notre troisième axe d'effort porte sur les pays des Balkans occidentaux. La coalition, créée sous les auspices de la communauté politique européenne, les amènera à prendre des mesures.

Nous ferons du narcotrafic une priorité de la présidence française du G7. Nous défendrons des initiatives en matière de renseignement ou de lutte contre le trafic en mer et les flux financiers illicites.

La lutte contre le narcotrafic s'inscrit dans la durée. Ce combat nécessite des moyens indispensables intégrés au PLF pour 2026.

Soyez assurés de la pleine mobilisation de mon ministère. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes INDEP et UC)

Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics .  - Face à la menace grave du narcotrafic et de la criminalité organisée sur notre pacte républicain, la réponse de l'État doit être totale, sans angle mort.

L'argent est le carburant du narcotrafic. Le couper, c'est couper le moteur. C'est pourquoi nous renforçons la lutte contre le blanchiment, par une coopération renforcée au sein de l'état-major contre la criminalité organisée et une mobilisation totale de mes services.

Les résultats sont là : les déclarations de soupçon ont augmenté de 90 % depuis 2020 et devraient encore croître grâce à la loi de juin dernier. Mais nous devons aller plus loin, notamment dans le secteur non financier, pour que chaque euro blanchi soit toujours un risque, jamais une opportunité.

Les moyens de Tracfin ont été renforcés et continueront de l'être. La nouvelle procédure de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants entrera en vigueur en janvier. Ainsi, l'argent sera immobilisé avant de pouvoir disparaître.

Nous adaptons nos méthodes et nos moyens. Nous renforçons massivement nos capacités de contrôle dans les ports et les aéroports avec une attention accrue sur les outre-mer. Cette modernisation a un coût - 5 millions d'euros pour un scanner fixe -, mais le coût de l'inaction serait bien plus élevé.

Je remercie les douaniers, qui ont saisi 29 tonnes de cocaïne en 2025, soit 2 milliards d'euros qui n'entrent pas dans les circuits de blanchiment.

La corruption est une attaque directe contre la République. Afin de renforcer la probité de nos agents publics, nous devons leur donner les capacités de sortir de l'engrenage, de se signaler. Le plan pluriannuel de lutte contre la corruption 2025-2029 doit être mis en oeuvre dans toutes les administrations à risque.

La lutte contre le narcotrafic est une priorité pour les Français. Les administrations de Bercy y prennent toute leur part. Face au narcotrafic, la République ne cède pas, elle se défend. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)

Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer .  - La lutte contre le narcotrafic commence sur une piste d'aéroport à Cayenne, sur une vedette en mer des Caraïbes, sur une côte des Antilles, loin de l'Hexagone. Ce que nos forces interceptent là-bas n'avait pas vocation à y rester.

Le rapport d'information de MM. Lurel, Bas et Mme Jacques décrit sans détour la place centrale du narcotrafic. Il appelle à un choc régalien et à faire de la diplomatie des outre-mer un levier stratégique contre les réseaux internationaux. Les faits confirment cette analyse. Les outre-mer sont traversées par les grandes routes mondiales de la drogue, en Caraïbes ou dans le Pacifique. Ce qui est bloqué en Guyane n'arrivera pas à Marseille, Lyon ou Paris.

En 2025, 35,2 tonnes de cocaïne ont été saisies contre 28,3 tonnes l'an dernier et quelques tonnes seulement il y a dix ans. Cette progression dit l'ampleur du phénomène, mais aussi l'intensité de l'action de l'État.

Les outre-mer sont des zones d'interception, mais aussi des territoires exposés durement frappés : consommation d'ice en Polynésie ; trafics locaux ; taux d'homicides aux Antilles cinq fois supérieur à la moyenne nationale. Pour une réponse ferme, des moyens ont été engagés, dont des aéronefs et des contrôles systématiques du transport aérien en Guyane. Frapper les flux ne suffira pas. Il faut démanteler les réseaux, assécher les financements et empêcher l'enracinement des organisations criminelles. Le renforcement de la Jirs de Fort-de-France, l'action de l'Ofast et de la police judiciaire vont dans ce sens.

Les outre-mer sont aux avant-postes. Elles encaissent les chocs en premier et protègent le territoire national. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et du RDPI)

M. Étienne Blanc .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et UC) Personne ne vous croirait si vous disiez que la concordance des dates entre le débat de ce soir et le déplacement du Président de la République, hier à Marseille, relève du pur hasard. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'en amuse.) Personne ne vous croirait non plus si vous prétendiez que cet échange ne relève pas d'une vaste opération de communication de l'exécutif, alors que la France est submergée par la vague du narcotrafic qui déferle en métropole comme en outre-mer, dans les zones urbaines comme rurales.

M. Guy Benarroche.  - Bravo !

M. Étienne Blanc.  - C'est bien au Sénat qu'en application de l'article 51-2 de la Constitution, fut décidée la mise en oeuvre de la commission d'enquête sur le narcotrafic. C'est bien le Parlement et non le Gouvernement, monsieur le Premier ministre, qui aura réveillé les consciences sur ce sujet crucial. Les Républicains considéraient qu'il était temps d'ouvrir les yeux sur une activité criminelle considérable.

J'ai remis ce rapport avec mon excellent collègue Jérôme Durain au président Larcher le 7 mai 2024. Trois chiffres résument notre constat. Le premier est le chiffre d'affaires du commerce des drogues : en 2023, on l'estimait à 6 milliards d'euros ; fin 2025, il atteindrait 8 milliards d'euros, soit 80 % du budget du garde des sceaux. Le deuxième est le nombre de délinquants qui en vivent : 250 000, pour 255 000 policiers et gendarmes. Le troisième est le plus effrayant : en 2023, la France a déploré 451 victimes d'homicides ou de tentatives liées au narcotrafic.

Le mérite de notre rapport est d'avoir montré dans le détail le fonctionnement de cette entreprise criminelle, pointé les lacunes de l'État et fait des recommandations. Le président du Sénat nous a demandé d'en tirer une proposition de loi, qui a été adoptée à l'unanimité du Sénat et promulguée en juin dernier.

Pourquoi a-t-il fallu attendre ce travail sénatorial pour considérer le narcotrafic comme un péril pour la nation ? Ces dernières années, les gouvernements successifs furent d'une passivité désolante. Monsieur le Premier ministre, vous voulez l'effacer ce soir en venant accompagné de neuf ministres ! Comme si le nombre voulait démontrer la force d'une volonté politique, dont je doute. Mais nous n'allons pas bouder notre plaisir et sommes heureux d'accueillir ce conseil des ministres délocalisé ! (Sourires)

Il faut perdre cette insupportable habitude politique qui fait de tout sujet sur lequel le Gouvernement a communiqué un problème réglé. Si des mesures concrètes naissent de notre débat, il aura été utile. Sinon, il n'en restera que du vent.

Monsieur le ministre de l'intérieur, qui êtes en charge des élections municipales, que mettez-vous en oeuvre pour écarter les candidatures de proches des réseaux de narcotrafiquants, qui ont compris que ce sont les maires qui décident de l'installation de caméras, attribuent les logements sociaux et ont autorité sur la police municipale ? Donner à des narcotrafiquants le moindre pouvoir dans ces domaines serait dangereux. Comment écarterez-vous ce risque, alors que vos fichiers ont été pillés cette nuit par des personnes dont, sans doute, les narcotrafiquants sont proches ?

Madame la ministre de la santé, pourquoi si peu de campagnes contre les drogues alors qu'il y en a contre le tabac ou l'alcool ?

Monsieur le ministre de l'éducation nationale, je tenais une réunion sur le narcotrafic à Clermont-Ferrand. L'adjoint à la sécurité a révélé que la directrice d'une école primaire lui avait appris que, dans la cour de récréation, des enfants inséraient des feuilles de platane dans des petites enveloppes pour jouer au deal de cannabis. Que ferez-vous concrètement et quand, en tant qu'éducateur de la jeunesse de notre pays ? Un grand nombre de lycéens nous ont dit qu'ils n'avaient jamais entendu parler de drogue dans leur cursus scolaire.

Madame la ministre de l'outre-mer, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Saint-Martin sont devenues des zones de rebond. Les stocks de cocaïne, considérables, sont protégés par les armes, avant d'être acheminés par bateau. Les forces navales que nous avons auditionnées ont besoin de frégates, de vedettes, d'hélicoptères pour surveiller les Caraïbes infestées par la drogue. Que ferez-vous pour répondre aux cris de détresse des élus d'outre-mer ? Ils n'ont qu'un mot à la bouche : « Ne nous abandonnez pas ! »

Monsieur le ministre des affaires étrangères, les entreprises criminelles sont de puissantes multinationales. Agirez-vous seul, avec l'Europe ou nos alliés pour faire céder ces pays refuges - Émirats arabes unis, Maroc, Algérie et tant d'autres - sur les extraditions, la confiscation des avoirs criminels et les échanges de renseignements ?

Dans un contexte de perte d'influence de la France, nous attendons vos réponses avec impatience, mais aussi avec inquiétude.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez accompagné sans ambiguïté nos travaux. Comment pouvez-vous nous expliquer que les décrets d'application sur le nouveau statut de repenti, sur les infiltrés, sur les indicateurs, sur l'anonymisation des procédures ne soient pas encore signés ? On nous les annonce dans trois, quatre, voire six mois...

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - C'est la loi ! C'est vous qui avez fixé la date dans la loi !

M. Étienne Blanc.  - Curieuse contradiction : d'un côté, vous saluez les mérites de la loi, et de l'autre, vous procrastinez.

Madame la ministre des comptes publics, vous avez été constante dans votre discours sur la faiblesse de nos finances publiques. Sur les 7 à 8 milliards d'euros de chiffre d'affaires du narcotrafic, l'État n'a saisi que 117 millions d'euros en 2023 : 6 à 7 milliards d'euros se sont donc évaporés dans la nature, sous les yeux d'un Gouvernement impuissant et impécunieux. Vous avez des moyens considérables pour doter la marine, la douane, la police, la gendarmerie, des moyens qui leur manquent cruellement.

Nous pourrions continuer la litanie des manques et incohérences... Mais ce sujet ne saurait tolérer plus longtemps les atermoiements de l'exécutif et ces insupportables campagnes de communication, comme hier à Marseille. Déclarer qu'on va porter l'amende forfaitaire délictuelle à 500 euros, alors qu'on en recouvre moins de la moitié...

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux et M. Laurent Nunez, ministre.  - C'est faux !

M. Étienne Blanc.  - Ces campagnes de communication nous lassent. Le Président de la République aurait été bien mieux inspiré de nous dire comment saisir les 50 % qui manquent...

M. Laurent Nunez, ministre.  - Je l'expliquerai après.

M. Étienne Blanc.  - Agitation médiatique, poudre aux yeux : on ne peut pas traiter aussi légèrement de sujets aussi graves.

Nous avons écrit que la France était au bord du gouffre. Ces mots n'étaient pas excessifs. En terminant nos travaux, nous avons pris connaissance d'une déclaration de magistrats mexicains, dans laquelle ils disaient que la France n'était pas un narco-État, mais que certains signes inquiétaient : meurtres, violence, corruption. Au Mexique, les choses avaient commencé ainsi, mais ils avaient réagi trop tard...

Le Gouvernement doit armer la France contre une guerre terrible. Il faut le faire pour la France, mais aussi pour cette jeunesse perdue -  qui chouffe, qui deale, qui charbonne, qui menace, qui rançonne, qui assassine... Les 600 pages que nous avons rédigées expliquent pourquoi et comment nous en sommes arrivés là, mais nous n'avons pas pu entrer dans le détail de ces drames humains qui s'étalent dans notre presse quotidienne régionale. Je pense à ce gosse de 15 ans, enlevé par une bande rivale, attaché au fond d'une cave, lardé d'une cinquantaine de coups de couteau, brûlé vif au chalumeau, avant que son corps démembré ne soit rendu aux siens. La vidéo de son martyr a circulé sur les réseaux sociaux pour intimider. Voilà la réalité du narcotrafic.

De grâce, moins de mots, moins de communication, moins d'esbroufe : menez cette bataille pour la sécurité des Français, et surtout pour tenter de sauver cette jeunesse perdue. (Applaudissements)

Mme Audrey Linkenheld .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Chaque jour, le piège du narcotrafic se referme un peu plus, menaçant notre sécurité, notre cohésion sociale et à terme, peut-être, notre État de droit. L'assassinat de Mehdi Kessaci nous l'a rappelé tragiquement.

La question du narcotrafic se pose à nouveau au Parlement, quelques mois après le vote d'une proposition de loi transpartisane coconstruite après une longue commission d'enquête sénatoriale.

Sur la demande du groupe socialiste, le Gouvernement nous sollicite... Nous serons au rendez-vous. Nous l'avons montré avec Jérôme Durain, président de la commission d'enquête et corapporteur de la proposition de loi. La commission d'enquête a fourni un diagnostic documenté et complet, qui a permis de dépasser les impressions et les postures, pour établir des constats solides.

Le narcotrafic n'est plus un phénomène périphérique : désormais inscrit dans le quotidien de millions de nos concitoyens, il se diffuse territorialement, s'ubérise, utilise les réseaux sociaux et les plateformes cryptées. Les menaces liées au narcotrafic sont sécuritaires, sanitaires, sociales, économiques et même démocratiques. Lorsqu'un territoire bascule, lorsque la loi du plus fort remplace celle de la République, lorsque l'État recule, toute la confiance se fissure.

Alors que faire ? Renforcer encore le cadre juridique ? Nous n'avons pas de raison de nous y opposer. Mais mettons déjà en oeuvre le cadre actuel : appliquez la loi votée il y a six mois.

Des progrès ont été réalisés : création du Pnaco, amélioration des saisies-confiscations, nouveaux pouvoirs des préfets, création de quartiers pénitentiaires, actions internationales présentées en novembre, tout cela va dans le bon sens. Mais seulement 14 % des 37 décrets d'application de la loi ont été publiés : il faut aller plus vite !

Nous avons aussi des propositions : ainsi de la proposition de loi visant à encadrer l'utilisation de véhicules surpuissants par les jeunes détenteurs du permis ou de la proposition de loi de Laurence Rossignol sur le proxénétisme, tant réseaux de proxénétisme et de drogue sont imbriqués.

Notre ligne est claire : oui à la réduction de l'asymétrie entre narcotrafic et forces de police, mais à condition de ne pas déséquilibrer le rapport entre sécurité et liberté. Notre boussole est celle du Conseil constitutionnel : l'efficacité ne saurait justifier un affaiblissement de l'État de droit.

Oui, la priorité est de faire plus de prévention. La lutte contre le narcotrafic ne se résume pas à la lutte contre les narcotrafiquants. Nous devons aussi nous intéresser aux produits et à ceux qui les consomment. Mais il ne suffit pas de les réprimer davantage ou de vouloir les responsabiliser à tout prix. Comme l'a dit la commission d'enquête Blanc-Durain : il faut gagner la bataille culturelle.

Des enfants de plus en plus jeunes sont recrutés comme guetteurs, vendeurs ou pire, en raison d'un cumul de vulnérabilités -  décrochage scolaire, précarité sociale, problèmes de santé mentale... Nous avons besoin de campagnes de prévention plus percutantes. L'État fait beaucoup moins contre la drogue que contre le tabac et l'alcool. Évitons de moraliser -  je pense à l'annonce du Président de la République...  - et adaptons le discours au public visé, qu'il consomme à titre récréatif ou qu'il soit en proie à des difficultés personnelles ou professionnelles.

Dire cela, ce n'est pas lancer le débat sur la dépénalisation - qui viendra probablement un jour -, c'est accepter d'échanger sans tabou.

Nous avons besoin de prévention, de réduction des risques, de prise en charge médicale. Les haltes soins addictions (HSA), sauvés dans le PLFSS, devront être étendues. Je regrette que le Gouvernement ne les ait pas citées.

Prévenir, c'est aussi investir dans l'éducation, l'insertion, le logement, l'emploi, la mobilité. Il nous faut une politique globale structurée, articulée autour du sanitaire, du social du sociétal, et associant nos collectivités.

Je salue la présence ce soir de tous les ministres concernés.

Puisque le modèle a fonctionné pour le volet répressif - l'acte 1 de notre lutte commune contre le narcotrafic -, nous vous proposons de l'appliquer pour l'acte 2, sur le volet prévention. Le Sénat s'honorerait à lancer rapidement la commission d'enquête sur la prévention et l'accompagnement. Il faudra inclure dans la prévention les produits stupéfiants connus, mais aussi les autres, comme le protoxyde d'azote dont la consommation explose - la récente proposition de loi de Marion Canalès en demande l'interdiction. Donnons-nous les moyens de combattre ce fléau, pour éviter que ne se reproduisent de tragiques accidents, comme celui de Mathis à Lille.

Nous plaidons pour un renforcement des moyens. Mais nos amendements pour mieux doter la police et la justice ont été rejetés. Dans le PLFSS, nous avons aussi demandé que soient soutenus la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), les associations, les centres sociaux, les clubs de sport, les éducateurs.

Pour que le piège du narcotrafic ne se referme pas, le groupe SER répond positivement aux questions posées par le Gouvernement. Nous souscrivons à une grande partie des solutions esquissées - ce qui ne veut pas dire que nous serons d'accord sur tout -, sans perdre de vue le double impératif de vivre en sécurité et en liberté. (Applaudissements)

Présidence de M. Xavier Iacovelli, vice-président

Mme Isabelle Florennes .  - (Applaudissements sur les travées des groupeUC et INDEP et du RDSE) Je rends hommage à nos policiers, gendarmes, douaniers et magistrats, qui sont en première ligne face au narcotrafic. Submersion, ce mot décrit bien ce que nous subissons. Le narcotrafic n'est plus cantonné aux grandes métropoles : il a gagné les villes moyennes, les petites communes et même les zones les plus rurales. La valeur du trafic a bondi de 189 % en treize ans, pour atteindre 6,8 milliards d'euros.

Alors que la commission d'enquête et la proposition de loi sont une success story du Sénat, nos travaux législatifs sont décousus et les structures travaillent trop en silo. La politique des petits pas législatifs - un mikado de cinq textes parcellaires sur le blanchiment en moins de six mois - ne fonctionne pas.

Arrêtons de dire qu'il faut frapper au portefeuille, quand nous ne recouvrons que 2 % des avoirs criminels ! Comment être efficace quand la plateforme d'identification n'a pas toutes les licences nécessaires et que les services ne peuvent même pas échanger leurs données ? Et l'on vient d'apprendre que le ministère de l'intérieur a fait l'objet d'un piratage... Comment être opérationnel quand certains décrets ne sont toujours pas publiés ? Il faut renforcer et réarmer nos procédures de saisie et de confiscation. L'enquête patrimoniale doit être menée pendant l'enquête, mais aussi après le jugement. Ainsi de ce trafiquant qui achète de l'immobilier à Dubaï en cryptomonnaie grâce à son portable, depuis sa cellule aux Baumettes... Car oui, 100 % des dossiers de criminalité organisée comportent désormais l'usage de cryptomonnaies.

Le blanchiment est un autre volet de la lutte contre la criminalité organisée. Je salue le travail de Mme Goulet, qui regrette de ne pouvoir être présente ce soir. La proposition de loi adoptée le mois dernier vise à lutter contre les sociétés éphémères, cheval de Troie de la criminalité organisée : 20 à 25 milliards d'euros de fraudes à la TVA par an ! On nous dit qu'il ne faut pas entraver la liberté de commerce ; résultat : des milliers d'entreprises - kebabs, barbiers... - n'ont pour seule vocation que le blanchiment, le carrousel de TVA ou la fraude aux Urssaf.

Blanchir est devenu un métier, un service. Nous avons besoin de bâtir une politique d'ensemble avec les services, pas avec des experts ou pseudo-experts qui oublient le terrain. La délinquance financière est devenue un levier stratégique du crime organisé.

Cette guerre contre le narcotrafic passe aussi par davantage de fermeté dans nos prisons - trop longtemps, nous avons fermé les yeux sur les objets introduits en détention - et par une lutte sans complaisance contre la corruption, où qu'elle se niche. Je salue la création des deux prisons de haute sécurité.

Les maires, en première ligne, ont besoin d'une feuille de route : droit de préemption, formation des policiers municipaux à la détection des commerces éphémères, notamment.

Adoptez une position plus volontariste, pour étendre ce travail sur le narcotrafic à l'ensemble de la criminalité organisée, notamment le blanchiment. L'augmentation des moyens alloués à la douane - plus 3,6 % par rapport à 2025 - doit être poursuivie et amplifiée.

Le groupe UC propose la création d'un groupe de suivi des textes à la suite des deux commissions d'enquête sénatoriales, Blanc-Durain et Goulet-Daubet. (Applaudissements)

M. Pierre Médevielle .  - « La drogue est une gangrène », disait Jacques Chirac en 2003. Vingt ans plus tard, force est de constater que cette gangrène a fortement progressé. Le narcotrafic n'est pas une délinquance parmi d'autres : il est l'axe central d'une criminalité organisée, structurée, financiarisée et violente, qui conteste par la force l'autorité même de l'État.

Longtemps cantonné à certains quartiers ou à quelques grandes métropoles, il s'étend désormais aux villes moyennes, aux zones périurbaines, aux territoires ruraux, jusque dans les collèges, les lycées et les vestiaires des stades. Pour certains, les coups de feu ne sont pas plus qu'un bruit de fond.

Je veux saluer l'implication des pouvoirs publics : forces de sécurité intérieure, douanes, Ofast, magistrats spécialisés. Les saisies atteignent des niveaux inédits. La marine nationale a saisi plus de 83 tonnes de drogue en 2025, pour une valeur estimée à 3,6 milliards d'euros, soit une hausse de 70 % par rapport à 2024. Mais ces résultats traduisent surtout l'ampleur d'un trafic industrialisé. Les milliers de points de deal, la rapidité de reconstitution des réseaux montrent l'existence d'une véritable économie parallèle, qui s'appuie sur les nouvelles technologies, les cryptomonnaies, les messageries cryptées. Les réseaux sont spécialisés, fonctionnant selon un taylorisme criminel.

Malgré les progrès réalisés par les services d'enquête, nos agents doivent disposer de moyens accrus. Les réseaux survivent aux arrestations et parfois même à l'incarcération de leurs chefs. Monsieur le garde des sceaux, vous avez pris le problème à bras-le-corps.

Derrière ces chiffres, il y a des drames humains. La drogue fait des victimes parmi ceux qui la vendent, parmi ceux qui la consomment, mais aussi parmi ceux qui n'ont rien demandé. Je pense à cette étudiante fauchée par une balle perdue, à celles et ceux qui vivent sous la menace, à ceux qui refusent la loi du silence et en paient le prix.

Les produits sont importés, les méthodes aussi. La violence des cartels latino-américains gagne l'Europe : armes de guerre, règlements de comptes en pleine rue, tout jeunes tueurs à gages.

Alors que les ports sont des points névralgiques de la lutte contre les trafics, Le Havre a besoin de moyens supplémentaires. La corruption devient un levier stratégique. Le narcotrafic ne prospère pas sans blanchiment massif ; tant que l'argent du crime circulera plus vite que nous ne le saisissons, les réseaux conserveront un avantage décisif.

Il y a enfin la question des consommateurs - l'éléphant dans la pièce. Sans eux, pas de trafic de drogue. Responsabilité pénale, prévention et soins ne sont pas incompatibles. L'expérience néerlandaise est un échec. Derrière un rail de cocaïne en boîte de nuit, il y a des chambres de torture et des exécutions. Les consommateurs portent une très lourde responsabilité. Un kilo de cocaïne s'achète 1 000 euros en Amérique latine et se revend jusqu'à 60 000 euros en Europe. En 2023, plus de 1 million de Français ont consommé au moins une fois de la cocaïne ; c'est deux fois plus qu'en 2017.

Nous ne connaissons pas encore les ravages observés ailleurs, notamment avec le fentanyl aux États-Unis, mais les signaux faibles sont là : il faut agir vite et fermement. Ce n'est pas la justice qui est défaillante, mais ses moyens : nous avons besoin de places de prison sécurisées.

Face à une économie criminelle mondialisée, la réponse doit être globale - pénale, financière, technologique. La lutte contre le narcotrafic exige des moyens et du courage. Les Indépendants soutiendront l'initiative du Gouvernement. C'est une bataille de longue haleine, que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre. (Applaudissements)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Il y a encore quelques années, le narcotrafic était perçu comme un phénomène périphérique, cantonné à certains quartiers des grandes métropoles. Cette illusion s'est dissipée. Il n'est plus une menace diffuse : il est omniprésent et touche notre sécurité, notre jeunesse, notre santé publique et l'intégrité même de l'action publique. Alors que la République est directement défiée, le Gouvernement a choisi de répondre sans détourner le regard.

Comme l'a montré la commission d'enquête sénatoriale, nous faisons face à un double phénomène préoccupant : l'émergence de nouveaux produits dévastateurs à bas coût et la banalisation des drogues dites dures, au premier rang desquelles la cocaïne. Derrière les chiffres des saisies records, une réalité brutale : près de 1,1 million de Français ont consommé de la cocaïne en 2023...

Il faut assumer une vérité dérangeante : le consommateur est un maillon du système. Il finance la violence, alimente la corruption et rend possible l'enrôlement des plus jeunes. La réponse doit donc être ferme. Les amendes forfaitaires délictuelles constituent un outil pertinent - quand elles sont recouvrées. La proposition du Président de la République d'en augmenter le montant vise à mettre fin à la banalisation de la consommation. Mais la répression seule ne suffit pas : c'est aussi un enjeu de santé publique, de prévention et de prise en charge des addictions.

Cette économie criminelle prospère grâce à l'enrôlement des jeunes. Proposer 150 à 200 euros par jour à un adolescent rend le recrutement tragiquement simple. En 2023, 19 % des mis en cause pour trafic de stupéfiants étaient mineurs. Il faut protéger davantage nos jeunes et les éloigner durablement de ces logiques de domination fondées sur l'ultraviolence, les fusillades, les assassinats ciblés et les rackets. Je pense à la famille Kessaci.

Cette violence frappe l'ensemble du territoire, avec une acuité particulière en outre-mer. La marine y accomplit un travail remarquable, mais ses capacités doivent être renforcées. Aux Antilles, le narcotrafic pénètre profondément le tissu social ; en Guyane, le phénomène des mules touche toutes les strates de la société. Le dispositif « 100 % contrôle » a permis de ralentir le trafic, mais il mobilise fortement les forces de l'ordre. D'autres solutions existent, comme des scanners corporels, une demande de notre collègue Marie-Laure Phinéra-Horth qui mérite une réponse rapide.

Face à cette menace, nous avons choisi d'agir. La loi sur le narcotrafic renforce les pouvoirs de l'État : fermetures administratives, allongement des gardes à vue, lutte contre le blanchiment. Le travail des services de police et de renseignement est remarquable, mais il faut aller plus loin et taper plus fort. La création du Pnaco marque un changement de paradigme. La lutte doit aussi se poursuivre en détention : l'isolement des grands narcotrafiquants dans des quartiers hautement sécurisés est indispensable pour empêcher la poursuite des activités depuis la prison.

La situation est alarmante, mais il n'y a pas de fatalité. Il nous faut renforcer notre cadre juridique, nos dispositifs de prévention et nos moyens face à une menace en constante évolution. Ce combat est une question de sécurité, mais aussi de souveraineté. Forces de l'ordre, magistrats, agents pénitentiaires, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et élu locaux doivent être protégés. La République ne doit pas céder. Le RDPI réaffirme son soutien résolu à l'action du Gouvernement. (Applaudissements)

M. Jérémy Bacchi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Notre groupe a fait le choix de la responsabilité en votant la proposition de loi Narcotrafic, parce que les trafics s'étendent, que les réseaux criminels se structurent, se professionnalisent, se financiarisent, et que l'emprise mafieuse gagne de nombreux territoires - Marseille, mais aussi d'autres villes. Un cap a été franchi avec l'assassinat de Mehdi Kessaci. La menace va crescendo.

Nous avons voté ce texte en acceptant qu'il fasse l'impasse sur certains sujets majeurs, pour trouver un compromis politique. Mais si l'on refuse de les traiter, cette loi sera insuffisante. La lutte contre le narcotrafic ne peut être uniquement répressive ni se limiter à l'aval : elle doit être globale, cohérente et déterminée.

Le narcotrafic est avant tout une économie criminelle et mondialisée, qui ne prospère que parce que ses profits peuvent être investis, et recyclés. Sans blanchiment, pas de trafic à grande échelle. Or ce blanchiment s'opère à travers des circuits financiers identifiables - en tablant sur la négligence, la complaisance, voire la complicité de certains acteurs. Lorsque les banques ferment les yeux, préfèrent la rentabilité au respect de la loi, elles deviennent des maillons de la chaîne criminelle.

On ne peut afficher une fermeté absolue contre les trafiquants et être indulgents envers ceux qui font circuler l'argent sale. Il nous faut renforcer la justice financière, les moyens d'enquête spécialisés, les contrôles bancaires et les sanctions, pour que le blanchiment devienne un risque réel, dissuasif, systématiquement poursuivi.

Le trafic de drogue est par nature transnational : les drogues consommées ici sont produites ailleurs et les profits blanchis au-delà de nos frontières. La France ne peut prétendre lutter efficacement sans une stratégie internationale ambitieuse, fondée sur une coopération judiciaire et policière renforcée et sur des exigences politiques claires vis-à-vis des États producteurs ou complaisants. La lutte contre le narcotrafic doit devenir un enjeu diplomatique.

J'en viens à la prévention sanitaire et à la santé publique. La consommation progresse, les dépendances s'aggravent, les usagers sont de plus en plus jeunes. Pourtant, la réponse sanitaire demeure sous-dimensionnée. Les structures de soins sont saturées, les dispositifs de prévention manquent de moyens. On ne réduira pas durablement l'emprise des trafiquants sans une politique de santé publique ambitieuse et dotée de moyens. Or, dans le budget pour 2026, les moyens de la santé diminuent. L'expérimentation des haltes de soins addictions n'est pas pérennisée, malgré des évaluations convergentes soulignant leur efficacité. Dans le même temps, les crédits de la Mildeca baissent, les moyens des associations sont réduits et 4 000 postes d'enseignants sont supprimés alors même que l'on affirme vouloir renforcer la prévention. La sécurité est un droit fondamental, la santé l'est tout autant : les opposer serait une erreur politique et stratégique.

Enfin, je veux insister sur la protection de l'enfance. Les 350 000 mineurs et jeunes majeurs qui relèvent de l'aide sociale à l'enfance constituent des cibles privilégiées des réseaux mafieux, qu'il s'agisse de trafic de stupéfiants ou de prostitution. Ces enfants sont recrutés, exploités, parfois sous la contrainte, dans les foyers censés les protéger. C'est un échec collectif. Comment parler de fermeté tout en laissant prospérer un vivier de main-d'oeuvre pour ces mafias ? La protection de l'enfance est une condition centrale de l'efficacité de notre action.

Partout où l'État recule, les mafias progressent ; partout où les services publics s'affaiblissent, les trafiquants s'installent. Nous avons pris nos responsabilités en votant ce texte. Il faut désormais aller au bout, assumer une approche globale, avec de vrais moyens, en traitant enfin le blanchiment, la santé publique et la protection de l'enfance. À défaut, le piège du narcotrafic continuera de se refermer. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, UC et du GEST)

M. Raphaël Daubet .  - La loi de 2025 sur le narcotrafic a renforcé les capacités d'enquête, clarifié les compétences juridictionnelles et consolidé l'arsenal pénal. Nous attendons les décrets d'application.

Dans la foulée, la commission d'enquête que j'ai présidée, avec Nathalie Goulet pour rapporteure, a dirigé les regards sur le blanchiment. Le narcotrafic est une économie intégrée, structurée, avec pour seule finalité de « faire du fric ». Nous avons étudié le devenir de l'argent issu des activités criminelles organisées. La diversification est incroyable, mais tous ces trafics ont un point commun : le blanchiment est un passage obligé.

Première conséquence : le crime financier vient ouvrir une brèche dans l'économie légale, où se stabilise l'écrasante majorité des profits criminels. Il y a une interpénétration croissante entre économie licite et économie criminelle, le blanchiment se fait par normalisation ; des entreprises légales servent à recycler des fonds illicites. C'est là que le risque démocratique apparaît et que l'État de droit recule.

Deuxième conséquence : la corruption devient un risque systémique. Elle permet aux entreprises criminelles de s'installer dans l'économie et même dans les marchés publics, comme le constatent la Cour des comptes ou l'IGPN. Résultat, une corruption diffuse, à bas bruit, qui fragilise l'intégrité de l'action publique. Nous proposons une approche par les risques, permettant d'identifier les territoires, secteurs et fonctions concernés. Nous préconisons de renforcer les peines et les obligations de prévention. Le Gouvernement a adopté un plan de lutte anticorruption de 36 mesures, je m'en réjouis. Pourvu que les moyens suivent.

Troisième conséquence : tant que les trafiquants pourront jouir de leur patrimoine, ils prendront des risques et considéreront la prison comme un accident du travail qui ne les empêche pas de s'enrichir.

La lutte contre le blanchiment souffre d'un défaut structurel : un empilement de dispositifs sans cohérence d'ensemble. Sur le plan préventif, il y a les obligations déclaratives auprès de Tracfin, dont l'efficacité varie selon les professions assujetties. Sur le plan répressif, l'arsenal est puissant, mais sa mise en oeuvre entravée par le cloisonnement des services, la fragmentation des données, le déficit d'enquêteurs spécialisés - la réforme de la police judiciaire de 2023 a aggravé les choses. En cause également, notre retard technologique : le blanchiment exploite les cryptoactifs, les mécanismes d'opacification, les montages juridiques complexes, or les outils de l'État sont obsolètes. Enfin, la coopération internationale est un défi, car les réseaux criminels n'ont pas de frontière. Je salue les bonnes nouvelles qui arrivent des Émirats arabes unis.

La loi de 2025 est pensée en aval, mais le blanchiment se joue en amont, dans les zones grises du droit économique. La proposition de loi que nous avons portée avec Mme Goulet vise à combler cet angle mort.

M. Michel Canévet.  - Excellent !

M. Raphaël Daubet.  - Il faudra aller plus loin encore dans une logique de prévention des schémas de blanchiment.

La lutte contre le narcotrafic ne se gagnera pas uniquement sur le terrain pénal, mais quand le crime cessera d'être rentable. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Guy Benarroche .  - Ce point d'étape fait suite à la commission d'enquête que nous avions demandée avec mes collègues des Bouches-du-Rhône, Marie-Arlette Carlotti et Jérémy Bacchi. Si le narcotrafic touche tout notre territoire, Marseille est un laboratoire avancé de la criminalité organisée.

Notre assemblée a mené des travaux de qualité. La loi Narcotrafic a traduit les 35 recommandations du rapport de MM. Blanc et Durain : viser le haut du spectre, taper au portefeuille, lutter contre le blanchiment, créer un statut de repenti, instituer un Pnaco. Nous avions soutenu ces grandes mesures, mais alerté sur la nécessité d'y attacher des moyens.

Je ne ferai offense à personne en disant que la Jirs que le Pnaco remplace n'a que très peu fonctionné, faute de moyens. La loi Narcotrafic est là, mais sa mise en oeuvre patine. La réforme précipitée de la police judiciaire n'a pas aidé ; nous plaidons pour une revalorisation de la filière de l'investigation financière.

Commencez déjà par publier les décrets ! Seuls cinq l'ont été, sur trente-deux... Hâtez-vous, notamment sur le statut du repenti. C'est le moment, action !

La question de la criminalisation du blanchiment se pose. La coordination des tribunaux judiciaires et des tribunaux de commerce doit être améliorée, et les contrôles de traçabilité renforcés.

Il y a aussi tout ce qui n'est pas dans le texte. Rien sur l'urgence d'en faire une grande cause nationale. Rien sur la prévention à l'égard des consommateurs et des personnes en grande précarité, cibles privilégiées des narcotrafiquants. Rien sur les mesures d'information pour éviter d'entrer dans la consommation ou dans le trafic. Rien sur le parcours de soins, la prise en charge des addictions.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Et ce que fait Mme Rist ?

M. Guy Benarroche.  - Rien sur l'intérêt de la dépénalisation, aucune mesure de santé publique. Rien sur la politique de la ville, sur la lutte contre la précarité, le logement, l'insertion par l'école et le travail. Rien sur l'accompagnement social des victimes et de leurs familles - c'est pourtant une demande des familles, que nous avons fait auditionner, mais notre amendement s'est heurté à l'article 40, faute d'engagement du Gouvernement. Alors, engagez-vous, monsieur le Premier ministre !

Le Président annonce un relèvement du montant des amendes forfaitaires délictuelles, qui sont au mieux inefficaces...

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Oh là...

M. Guy Benarroche.  - Faute de moyens pour la justice, l'accès au juge est entravé, au mépris du droit de la défense et de l'individualisation des peines.

Le Président fustige la consommation « festive », oubliant que la consommation ne crée pas l'offre. La cocaïne gagne toutes les professions, tous les endroits -  pas que chez certains jeunes.

Il annonce 500 policiers supplémentaires, chiffre que personne ne peut vérifier. Les maires demandent à connaître le nombre réel de policiers nationaux sur leur territoire.

Il se vante d'avoir diminué par deux les points de deal, comme un préfet de la Belle époque se féliciterait d'avoir réduit les accidents de calèche en contrôlant les attelages... Or les modalités de distribution ont changé, les système « Ubershit » se répandent sur tout le territoire !

Le Premier ministre parle du narcotrafic et de la criminalité organisée comme d'une menace pour notre pacte républicain -  or la spirale infernale commence par l'abandon du pacte républicain : égalité des chances, services publics, hôpitaux, accès aux soins et à la prévention, aide sociale à l'enfance, policiers de proximité, politique de la ville, rénovation urbaine, logement, tout cela concourt à la prévention. Au-delà, nous plaidons pour un accompagnement rapide des familles menacées ou endeuillées, rôle que certaines associations s'efforcent de jouer, dont celle de mon ami Amine Kessaci.

Le recrutement du crime organisé se nourrit de la précarité, qui se nourrit du décrochage scolaire. Il faut alerter dans les écoles, dès le primaire, sur l'enrôlement insidieux des réseaux, les dangers physiques, les risques pénaux. Une attention doit être portée à la prévention sanitaire. Enfin, notre groupe proposera une convention citoyenne...

M. Michel Canévet.  - N'importe quoi.

M. Guy Benarroche.  - ... et un cycle de réunions associant magistrats, policiers et douaniers.

Remettre l'humain et les habitants au coeur de la réflexion, écouter le terrain, les associations, les victimes et leurs proches.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Guy Benarroche.  - Il faut penser une prévention globale et réparer enfin le pacte républicain. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur les travées du groupe SER)

M. le président.  - C'est fini, vous avez beaucoup débordé.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Je rappelle que ce sont les parlementaires eux-mêmes qui ont fixé les dates des décrets d'application dans la loi, ce qui est inhabituel. Certains décrets ne peuvent être publiés car vous avez prévu un avis préalable de la Cnil, ce qui prend cinq à six mois.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Bref, ce n'est pas de votre faute...

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - Il est donc un peu malvenu de reprocher au Gouvernement les délais qui en découlent.

Pour ce qui est du ministère de la justice, nous n'attendons plus qu'un seul décret, sur le statut du repenti. Convenez que six mois pour organiser, avec le ministère de l'intérieur et le service interministériel d'assistance technique (Siat), toute une filière permettant l'anonymisation des repentis, leur mise à l'abri, parfois à l'étranger, leur logement, leur changement d'identité, voire d'apparence, c'est peu. L'Italie a mis cinq fois plus de temps pour créer son statut du repenti. On peut faire vite, mais si un repenti se fait éliminer par l'organisation criminelle, vous serez les premiers à me reprocher d'être allé trop vite !

Sur le régime carcéral, nous avons été très rapides. Monsieur Blanc, vous auriez pu souligner ce point positif, qui corrige un oubli de votre texte initial.

Vous avez été élu local : vous savez bien que jusqu'ici, on ne judiciarisait pas la possession d'un joint. L'AFD est une amende pénale, ce qui signifie une inscription au casier judiciaire -  ce qui interdit notamment de passer le concours de l'ENM  - mais aussi la possibilité de contrôles de police : on peut trouver à cette occasion des armes blanches, des quantités de drogue ou des irrégularités administratives. Ces amendes sont très bien recouvertes, contrairement à ce que vous dites. Une disposition du PLF établit le lien entre l'AFD, la DGFiP et les commissaires de justice.

Je regrette que la présidente de la commission des lois ne nous ait pas suivis, lors de l'examen du texte Narcotrafic, sur les mesures de simplification des procédures en matière de criminalité organisée. Chacun sait qu'une grande partie des difficultés que nous rencontrons provient des manoeuvres dilatoires visant à faire sortir la personne de détention provisoire pour vice de forme. Certains avocats pénalistes en font leur principale stratégie : tout est bon pour éviter le procès.

Le nombre de détenus pour criminalité organisée a augmenté de 42 % en deux ans, à 19 500. Plus de 5 000 procès sont en attente d'audiencement.

Cela tient à la paupérisation du ministère de la justice que nous avons trouvée en arrivant : en 2016, M. Urvoas parlait même de clochardisation. En 2012, et encore en 2017, le ministère comptait huit fois moins de procureurs et de magistrats que l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou l'Italie.

La simplification du processus pénal est cruciale : la forme ne doit pas l'emporter sur le fond. Je proposerai d'avancer sur ce point dans la loi Sure. Les droits de la défense doivent être respectés, mais les chambres d'instruction ne doivent pas être embolisées pour des questions de pure forme. J'espère être suivi par le Sénat.

M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur .  - Il faut beaucoup d'humilité sur ces sujets. Le taux de recouvrement de l'amende forfaitaire délictuelle, c'est 53 %. On pourrait monter à 62 %, si les policiers avaient accès aux adresses postales, comme les contrôleurs dans les transports. Une autre piste, évoquée par le garde des sceaux, est de mobiliser les commissaires des finances publiques. Sous François Hollande, on appliquait l'amende douanière : à Saint-Ouen, nous avions éradiqué des points de deal rien qu'en notifiant des amendes aux acheteurs. Je suis confiant.

Oui, il faut une campagne de communication offensive, le Premier ministre l'a annoncée dans son discours.

À Marseille, monsieur Benarroche, la division par deux des points de deal est une réalité. On est passé de 160, il y a trois ans, à 80. Le phénomène Ubershit ne nous a pas échappé. Lorsque j'étais préfet de police, nous avions créé des groupes dédiés, à la demande du ministre Darmanin, et démantelé de nombreux réseaux.

À Marseille, nous avons toujours maintenu les effectifs ou les avons fait progresser, notamment ceux de la police judiciaire.

Monsieur Blanc, je le dis avec modestie et humilité : comme haut fonctionnaire, j'ai un peu d'expérience sur ces sujets, depuis 2012 et même avant. Je ne les ai pas découverts avec votre travail, même si votre rapport est évidemment un plus. Nous apprenons du passé. Vous avez vu le film BAC Nord, qui montre l'absence de coordination entre services. Le ministre de l'intérieur de l'époque, Bernard Cazeneuve, envoie un jeune préfet de police expérimenter une méthode qui sera ensuite généralisée sur tout le territoire. Sous le quinquennat Macron, on crée l'Ofast, on évite le fonctionnement en silo. Cela fait dix ans qu'on travaille sur le trafic de stupéfiants, avec humilité, car l'organisation est plus structurée, il faut s'adapter en permanence. Mais on ne peut pas dire que rien n'a été fait pendant dix ans. (M. Guy Benarroche proteste.) Ce n'est pas vrai.

La loi Narcotrafic donne des outils exceptionnels, je le reconnais volontiers. Le Président de la République a voulu caler le dispositif de lutte contre le narcotrafic au même niveau que la lutte contre le terrorisme, ce sera très bénéfique. Tout ce qui a été fait par les gouvernements successifs a été positif. Nous essayons de faire toujours mieux et toujours plus.

M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale .  - La politique de prévention doit être ambitieuse et adaptée. Il faut commencer tôt et viser juste, car le regard de l'enfant a une dimension presque prescriptive sur le comportement de son environnement.

Nous avons toujours abordé cette question à l'aune de la santé publique. Il faut désormais faire comprendre aux jeunes que la consommation de drogue finance un circuit criminel.

L'école, c'est un bloc. Les tentacules des narcotrafiquants ne s'y accrocheront pas si l'on fait tous bloc autour de l'école -  parents, élus, associations compris. Si nous ne laissons rien passer, nous aurons fait des progrès en termes de prévention et d'éloignement de la pression du narcotrafic.

La déclaration du Gouvernement sur la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°130 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 342
Contre 0

La déclaration du Gouvernement est aprouvée.

Prochaine séance demain, jeudi 18 décembre 2025 à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 55.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 18 décembre 2025

Séance publique

De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures À l'issue de l'espace réservé au groupe UC et au plus tard de 16 heures à 20 heures

Présidence : Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente, Mme Sylvie Robert, vice-présidente, M. Xavier Iacovelli, vice-président

1Proposition de loi visant à protéger les jeunes de l'exposition excessive et précoce aux écrans et des méfaits des réseaux sociaux, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues (Procédure accélérée) (Texte de la commission, n°202, 2025-2026)

2. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à simplifier la sortie de l'indivision successorale (Texte de la commission, n°195, 2025-2026)

3. Proposition de loi visant à garantir la continuité des revenus des artistes auteurs, présentée par Mme Monique de Marco et plusieurs de ses collègues (n°107 rect., 2024-2025)

4. Proposition de loi visant à mieux concerter, informer et protéger les riverains de parcelles agricoles exposés aux pesticides de synthèse, présentée par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues (n°107, 2025-2026)