B. DES PROPOSITIONS POUR UN MEILLEUR EXERCICE DE LA PÊCHE DANS LA BANDE CÔTIÈRE

La loi d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines promulguée le 18 novembre 1997 prévoyait que le Gouvernement établirait, dans un délai de deux ans, un rapport sur l'exercice de l'activité dans les zones des 12 miles et en particulier dans les eaux territoriales. Ce rapport devait également dresser un bilan des mesures à prendre, notamment dans la perpective de la renégociation de la politique commune des pêches (PCP) en 2002.

Cette mission a été confiée à Jacques Bolopion, directeur régional des affaires maritimes de la région Paca, André Forest, chercheur au département ressources halieutiques de l'Ifremer, et Louis-Julien Sourd, ingénieur général au ministère de l'agriculture et de la pêche. Leur rapport a été remis au ministre de l'agriculture et de la pêche au début de cette année.

Ce rapport dresse le bilan des activités de petites pêche côtière . Les unités de pêche côtière (inférieures à 12 mètres) représentent 80% de la flotte française, soit 4.512 bateaux (75 % en métropole et 96 % dans les départements d'outre mer) et 43 % de sa puissance moyenne.

Le poids de la pêche côtière est aussi considérable en terme d'emplois. A elle seule, la petite pêche regroupait déjà 14.099 actifs en 1998, soit environ 48 % des actifs, chacun de ces marins générant de 1 à 2 emplois à terre. Quant à la production de la bande côtière, même si elle est très difficile à cerner avec précision étant donné la fragilité des données disponibles, elle est aussi importante. Quelque 60 % de la production de la Manche (hors algues) viendrait de la bande côtière, contre 37 % en Atlantique. En Méditerranée, 50 % des débarquements de poissons de fond, 60% des sardines et 30 % des anchois seraient aussi pêchés dans les 12 miles.

Les propositions de ce rapport s'inscrivent dans la continuité d'actions déjà entreprises, ou proposent d'étendre au niveau national des expériences positives réalisées dans certaines régions. Plusieurs de ces propositions ont retenu l'attention de votre rapporteur pour avis :

Prévoir des évolutions réglementaires tendant à une exploitation durable des ressources. Certaines propositions dans ce sens méritent d'être relevées :

Limiter la taille et la puissance des navires accédant aux 12 miles . Comme c'est le cas dans divers pays de l'Union européenne, il conviendrait de poursuivre la réflexion sur l'interdiction de la bande des 12 miles à des navires au-delà d'une certaine taille et/ou d'une certaine puissance.

Votre rapporteur pour avis constate que la limitation de la taille et de la puissance des navires est déjà appliquée dans un certain nombre de licences. Il observe que certains professionnels estiment que de telles mesures interviennent trop tardivement, ou craignent une faillite de leur navire si jamais il était contraint de pratiquer son activité au-delà des 12 milles, alors que d'autres prônent des mesures plus générales et plus radicales afin de limiter la puissance et la taille des navires dans la bande côtière.

Proscrire certains engins de pêche . Certains d'entre eux (dragues à dents, casiers à parloir...) posent problème à cause de leur impact sur le milieu et les ressources. Il conviendrait, en concertation avec les organisations professionnelles, de faire un inventaire de ces engins et de définir les conditions de leur disparition (licences non cessibles...).

Votre rapporteur pour avis partage l'objectif des licences qui est d'encadrer plus strictement un type de pêche sans l'interdire totalement (limitation du nombre et de la puissance des navires, limitation des navires tout en conservant un seuil de rentabilité et disparition progressive des excès). Il estime que la diversité des engins de pêche, permet une plus grande diversité des captures, à condition que ces engins soient bien utilisés.

Organiser la pêche à pied des coquillages . Prévoir dans un délai rapide, au moins pour la partie coquillages, la publication du décret pêche à pied prévu par la loi d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines du 18 novembre 1997. Votre rapporteur pour avis estime que sur ce point les structures professionnelles devraient pouvoir intervenir dans le futur dispositif.

Réglementer la pêche aux filets . Les rapporteurs ont ressenti une demande de réglementation de la pêche aux filets, et notamment quant aux longueurs autorisées par navire, y compris de la part des intéressés. Pour satisfaire cette aspiration, il faudra faire appel à des solutions techniques originales, notamment pour la mesure des filets mis à l'eau. Votre rapporteur estime qu'il y a là un véritable problème qui dépasse d'ailleurs le cadre français et qui mériterait d'être examiné à la fois aux niveaux national et communautaire, puisque le nouveau texte sur les mesures techniques qui a pris effet le 1 er janvier 2000 réglemente essentiellement les maillages.

Mieux réglementer la pêche de plaisance . Les textes existants sont globalement admis, mais comporteraient des failles ou des lacunes à redresser, à partir d'une concertation préalable au niveau national. Les conditions d'application seraient en revanche à renvoyer au niveau des préfets de région. Par ailleurs, il existe un réel besoin d'harmonisation entre les différentes régions. Quelques pistes mériteraient d'être explorées :

- instaurer un permis de pêche annuel pour la pêche de plaisance ;

- limiter les apports par pêcheur plaisancier, par navire et par jour ;

- conserver les engins de pêche autorisés aux plaisanciers, mais prévoir de manière précise et rigoureuse le marquage des casiers et des filets ;

- fournir un cadre sur la manière dont doivent être organisés les concours de pêche ;

- couper les queues des poissons pêchés par les plaisanciers pour contrecarrer une vente éventuelle ;

- vendre les poissons pêchés pendant les concours de pêche sportive, au profit des oeuvres sociales des marins ou remise à l'eau de certaines prises (pêche sportive), notamment quand celles-ci sont effectuées sur des stocks soumis à quotas.

Rénover le système de recueil des statistiques de pêche

Les apports des navires de petite pêche sont quasi inconnus, aussi bien en ce qui concerne les quantités que les espèces et les valeurs, sauf dans quelques régions où un système de collecte de l'information a été mis en place. Ce vide statistique empêche de conduire des actions pertinentes sur l'évaluation des ressources et des flottilles, de mesurer son poids économique réel et ne permet donc pas d'émettre des orientations sur la petite pêche. Il est donc impératif de prendre en compte la petite pêche dans le cadre de la réforme du système nationale des statistiques de pêche.

Cette action est considérée par votre rapporteur pour avis comme prioritaire. Elle nécessite un effort budgétaire, une approche adaptée à la spécificité de la petite pêche, mais ne présente pas de difficultés particulières sur les plans méthodologique et technique. Sa réussite suppose une réelle implication des professionnels, avec une intensification du dialogue entre les différents acteurs du système.

Protéger de manière renforcée les espaces de grand intérêt halieutique

La protection des espaces concernés, les estuaires, des récifs coralliens et certaines zones par petits fonds à proximité des côtes, identifiés comme des frayères ou des nourriceries pour certaines espèces, apparaît importante, d'autant plus que la reconquête d'un secteur détruit ou abîmé se révèle très coûteuse.

Les actions préconisées sont de plusieurs ordres : confirmer l'interdiction du chalutage dans la bande des 3 miles. Son interdiction doit être maintenue sur l'ensemble du littoral et les nombreuses dérogations dont il bénéficie doivent être revues de manière systématique. Bon nombre de ces activités de chalutage en zone côtière ne sont rentabilisées qu'au travers de pratiques non conformes aux réglementations nationales et européennes. Elles se font au détriment de l'intérêt général des professionnels eux-mêmes. La solution passe ici par un examen détaillé des justifications des dérogations, de l'extinction de celles qui posent problème, de la mise en oeuvre dans certains cas particuliers et limités d'engins ou de techniques de pêche réellement sélectifs et ciblant certaines espèces particulières.

Il est également proposé d'instaurer des parcs, réserves et cantonnements. Cela implique la prise en compte de questions d'ordres social et/ou économique sur le milieu naturel et son usage, et doit relever d'une approche consensuelle permettant de définir entre partenaires reconnus les objectifs, les ambitions et les usages possibles des zones protégées. Dans un certain nombre de régions (Méditerranée, Antilles), les parcs, réserves, cantonnements sont considérés par les professionnels comme des outils de gestion au même titre que d'autres mesures. L'utilisation d'outils juridiques existants paraît possible (Natura 2000, parcs marins...) mais la création d'un système ad hoc pourrait être envisagée. L'objectif de ces dispositifs étant de préserver autant que faire se peut des zones définies dans lesquelles toute extraction, rejet de dragage ou implantation industrielle polluante seraient interdits et la pêche professionnelle ou plaisancière réglementée de manière particulière et restrictive.

Votre rapporteur pour avis est favorable à ce type de dispositif, sous réserve que les professionnels conservent un rôle actif dans le système de décision lors de la mise en place de zones protégées.

Définir un schéma national des extractions en mer et des immersions des vases de dragage

La croissance des demandes nouvelles de permis miniers apparaît préoccupante, à la fois par les quantités et par le caractère épars des zones proposées. Les auteurs du rapport suggèrent que soit élaboré, en concertation avec tous les usagers, un document destiné à guider les services de l'Etat lors de l'instruction des dossiers et comportant un certain nombre de recommandations sur les méthodes et les politiques d'extraction qui perturbent le moins le milieu, sur les procédures de contrôle de l'activité et sur les secteurs qui sont à exclure totalement en raison de leur richesse halieutique. Un tel schéma pourrait être régional ou national.

Il est également proposé de fixer des conditions précises de rejet en mer des sédiments de dragage, il convient de fixer aux collectivités responsables des ports des règles de rejet en mer lorsqu'à proximité se trouve une zone conchylicole ou aquacole, d'intérêt halieutique ou touristique. Les rapporteurs proposent que, dans un premier temps, dans le cadre de directives générales interministérielles et après avis scientifique, les préfets fixent des périmètres autour des zones concédées où tout rejet de vases de dragages est interdit. Au-delà de ce périmètre, pourraient être également fixés les règles auxquelles doivent obéir les dépôts de dragage et les conditions dans lesquelles au préalable les sédiments à draguer sont analysés. Dans une deuxième étape, les directives pourraient également fixer des secteurs où tout rejet serait interdit. Il est cependant clair que la solution à terme se situe en amont (prévention des rejets de polluants).

L'ensemble de ces propositions apparaissent satisfaisantes. Votre rapporteur insiste cependant sur le fait que tout rejet en mer devrait faire l'objet d'un avis délibératif des professionnels. De même en matière d'extractions, il convient de dénoncer l'absence de consultation des professionnels dans les instances attributives de quotas et d'instaurer un suivi contradictoire de ces activités impliquant extracteurs et professionnels de la pêche.

Renforcer et conforter le rôle des organisations professionnelles

Face à l'accroissement du rôle des comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins (CRPM), comme interlocuteurs des collectivités territoriales et de l'Etat et comme lieu privilégié de défense des intérêts de la profession, trois propositions sont formulées :

Il est tout d'abord proposé de renforcer les moyens de fonctionnement des CRPM. Une des difficultés que rencontre aujourd'hui le secteur tient au fait que les structures professionnelles ne disposent pas des moyens indispensables pour remplir les rôles qui leur sont assignés par les textes réglementaires. Le budget minimum nécessaire au fonctionnement correct d'un " petit " comité régional peut être évalué entre 600.000 francs et 800.000 francs, cette somme couvrant les salaires d'un directeur et d'une secrétaire, les frais de fonctionnement, la location de bureaux et les déplacements nécessaires des dirigeants professionnels. Or, l'addition des taxes parafiscales et des cotisations supplémentaires volontaires donne actuellement pour la quasi-totalité des comités régionaux un produit global d'environ 250.000 à 400.000 francs. Le rapport insiste donc sur la nécessité d'assurer au minimum à chaque comité régional des ressources sûres tournant autour de 600.000/800.000 francs. Cette fourchette minimale pourrait atteindre 1,6 à 2 millions de francs pour le plus grand comité régional (la Bretagne). Est soulignée, à l'inverse, la nécessité de conserver pour les comités régionaux restants des structures légères, efficaces et donc d'éviter toute bureaucratisation avec des permanents en nombre important.

Il est ensuite suggéré de mieux coordonner l'action entre les structures professionnelles des secteurs de la pêche, de l'aquaculture et de la conchyliculture. Il est proposé qu'à l'initiative du CNPM soient organisées des réunions de coordination entre les comités régionaux par façade, soit lorsque des sujets le nécessitent, sinon au moins une fois par an. Dans le même sens, il convient de prévoir des réunions périodiques entre les sections régionales conchylicoles et les comités locaux pour résoudre des conflits, certes souvent mineurs mais relativement nombreux, entre les deux professions, notamment sur les conditions d'exercice de la pêche dans le cadre de l'armement conchyliculture-petite pêche.

Il est, enfin, proposé d'apporter, au sein des structures professionnelles, une attention accrue aux questions de gestion des ressources et d'environnement. Les auteurs du rapport ont regretté qu'un certain nombre de comités régionaux aient peu soulevé les questions environnementales, aussi bien sur un plan général (qualité des eaux) qu'au plan de la ressource. Il a semblé que cette situation amenait à un manque de propositions constructives pour la gestion des pêches en zone côtière, notamment pour juguler la surexploitation des ressources et la surcapacité de capture et résoudre les conflits qui en découlent.

Procéder à un toilettage des textes réglementaires régionaux et mener des actions fortes et ciblées contre les fraudeurs

L'un des problèmes auquel sont confrontés les professionnels du secteur est le volume et la complexité des textes réglementant la pêche en zone côtière. Cette complexité engendre des difficultés de compréhension, d'application et de contrôle, voire des divergences d'interprétation entre les services de l'Etat. Cette situation est encore compliquée par le jeu des dérogations de toutes sortes, notamment dans la bande des 3 miles. Une mise à plat de cette réglementation permettant de faire un état des lieux devrait être faite, afin d'envisager une refonte des textes, permettant qu'ils soient compris et acceptés de tous.

Consolider les concertations plaisance/pêche professionnelle et mener des actions énergiques contre la " fausse " plaisance

Il est proposé, partout où cela n'a pas lieu, des concertations périodiques et institutionnelles avec trois objectifs principaux : inventorier les points de conflit, faire évoluer les réglementations et déterminer les zones sensibles, lutter contre les pratiques frauduleuses. En ce qui concerne la " fausse " plaisance, le rapport estime que cette pêche frauduleuse, qui s'effectue pour l'essentiel à partir de navires ou en action de plongée, constitue en fait un travail illégal non déclaré. En métropole, le caractère saisonnier des " braconniers ", le fait qu'ils travaillent sur des secteurs bien connus et relativement peu étendus, doit conduire à des actions énergiques et ciblées. Il est suggéré d'organiser des opérations interministérielles de contrôle associant les affaires maritimes, la gendarmerie, la douane, la direction du travail et de l'emploi.

Maintenir sur le littoral un réseau de ports et de lieux d'amarrage pour la petite pêche

Le rapport " Bolopion " réaffirme l'intérêt du maintien d'un vrai réseau des ports de petite pêche implantés sur tout le littoral. Il précise que cette politique doit s'accompagner de deux éléments :

- revoir les listes de points de débarquement autorisés. Il est nécessaire de maîtriser les points de débarquements effectués hors des criées. L'existence d'un certain nombre d'entre eux, proches des criées, totalement inadaptés ou non utilisés, ne se justifie pas. La loi d'orientation du 18 novembre 1997 précise les conditions d'agrément de ces points dans le triple objectif de garantie de la qualité sanitaire des produits débarqués, d'amélioration de la connaissance statistique, et de rationalisation des conditions de débarquement.

- vérifier l'état sanitaire des produits vendus et mettre en place des instruments de vente adaptés. L'acceptation de la vente et de la commercialisation en dehors des halles à marée doit s'accompagner d'une réflexion portant sur les conditions de mise en marché des produits débarqués. Surtout, les conditions du contrôle sanitaire par les services vétérinaires sont à préciser. Il convient, bien sûr, de maintenir des règles sanitaires fermes pour les produits ainsi débarqués, mais aussi d'accepter des adaptations.

Votre rapporteur pour avis estime que ce rapport a l'avantage de mettre en évidence l'ensemble des grands problèmes de la pêche côtière et de proposer des solutions. Il constate que la plupart étaient réclamées par les professionnels eux-mêmes depuis bien longtemps. Il souhaite que les mesures proposées, qui recueillent l'approbation des pêcheurs puissent servir de base à l'élaboration d'une véritable politique française de la pêche maritime.

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