III. LA POLITIQUE DU PATRIMOINE RÉDUITE À LA PORTION CONGRUE

A. LES MUSÉES : UNE PRIORITÉ À RÉAFFIRMER

1. Les musées nationaux : des marges de manoeuvre étroites

a) La nécessaire prise en compte des difficultés de gestion rencontrées par les musées nationaux

L'importance des investissements consentis au cours des exercices antérieurs comme le succès qu'ils remportent auprès des publics impliquent que le ministre de la culture dispose année après année des moyens nécessaires pour permettre aux musées d'accomplir leurs missions dans de bonnes conditions.

A cet égard, le déficit endémique des personnels dont ils souffrent comme l'étroitesse de leurs dotations d'équipement courant constituent des difficultés pérennes, qui sont autant de sujets de préoccupation.

Votre rapporteur se félicitera de la poursuite en 2002 de l'effort de résorption de l'emploi précaire engagé au cours des exercices précédents. Comme cela a été souligné plus haut, les mesures de transformation de crédits de vacations et d'heures supplémentaires en emplois bénéficieront principalement aux musées nationaux, et plus particulièrement à ceux constitués sous forme d'établissements publics.

Toutefois, il convient de souligner que si les mesures prises en ce domaine permettent d'accroître le nombre de personnels titulaires, elles ne se traduisent pas par une augmentation globale des effectifs.

Or, on relèvera que le manque de personnels demeure patent dans les musées, situation qui compromet leur ouverture au public. Ainsi, au Louvre, on déplorera la constante progression des taux de fermeture pour effectifs insuffisants qui, de 3,03 % en 1993, s'élevaient pour les sept premiers mois de l'année 2001 à 21,64 %. Cette progression compense la diminution du taux de fermeture pour travaux, ce qui conduit à constater que l'important programme de restauration ne s'est pas accompagné d'une plus grande ouverture au public du musée. Ce constat se passe de commentaire.

L'insuffisance des effectifs des musées, au-delà des conditions d'ouverture au public, a des conséquences sur la conservation des collections, notamment en ce qui concerne la tenue des inventaires qui, faute de personnels ou de soin, fait apparaître de graves lacunes.

A ce titre, votre rapporteur s'inquiètera des conditions de déroulement de l'opération de récolement des oeuvres d'art mises en dépôt engagée en 1996. Prolongée une première fois en 1999 pour une durée de trois ans, cette opération est loin d'être parvenue à son terme, cela pour deux raisons :

- la tâche se révèle très complexe compte tenu des négligences accumulées depuis des décennies et exige donc des investigations complémentaires : sur les 30 000 oeuvres qui ont fait l'objet d'un recensement, oeuvres qui ne concernent pas toutes des oeuvres appartenant aux collections des musées nationaux, 6 000 n'ont pas encore été localisées.

- par ailleurs, les moyens dont dispose la commission de récolement semblent insuffisants pour permettre d'accélérer le rythme des vérifications.

On peut craindre, si un effort n'est pas accompli, que l'opération ne puisse être achevée dans un délai raisonnable. A cet égard, il serait souhaitable que le ministère de la culture tienne mieux compte de la nécessité du récolement et mette à la disposition de la commission, notamment dans les musées nationaux, les moyens nécessaires.

Hors rémunération des personnels de l'Etat qui y sont affectés, les dotations de fonctionnement ayant le statut d'établissements publics des musées nationaux s'élèvent en 2002 à 62,13 millions d'euros (407,57 millions de francs), contre 60,7 millions d'euros (398,19 millions de francs) en 2001, soit une progression de 2,35 %. Par ailleurs, les moyens de fonctionnement des musées nationaux constitués sous la forme de services à compétence nationale connaissent une évolution comparable, passant de 22,75 millions d'euros (149,23 millions de francs) à 23,44 millions d'euros (153,76 millions de francs), en progression de 3,02 %.

En revanche, en ce qui concerne les subventions d'équipement, les indications fournies par le ministère de la culture font apparaître une quasi-stagnation des dotations entre 2001 et 2002. Elles passent de 31,63 millions d'euros (207,6 millions de francs) en 2001 à 31,68 millions d'euros (207,77 millions de francs) en 2002.

Pour la seconde année consécutive, ces dotations ne font l'objet d'aucune réévaluation.

Cette rigueur budgétaire ne permet que la poursuite des opérations lancées les années précédentes, le renouvellement et la mise aux normes des installations techniques ainsi que l'exécution du programme de rénovation des installations de sûreté et de sécurité.

Votre rapporteur soulignera une nouvelle fois la modestie de ces crédits face aux besoins des musées nationaux, qu'il s'agisse de ceux qui ont bénéficié de programmes de rénovation de grande envergure comme le Louvre qui doit faire face au renouvellement et à l'entretien d'équipements coûteux ou de ceux, parfois plus modestes, dont les conditions de fonctionnement, dans certains cas, mettent en péril les collections.

Pour les premiers, l'importance des besoins de maintenance ne laisse guère de marge pour lancer de nouvelles opérations muséographiques. A cet égard, on notera que les importants projets d'aménagement en cours au Louvre, qu'il s'agisse de la rénovation de la salle des Etats en vue d'une meilleure présentation de la Joconde, de la restauration de la galerie d'Apollon ou de la création d'un espace destiné aux malvoyants, sont pour l'essentiel financés par les recettes du mécénat.

Les dotations prévues en 2002 permettront donc de poursuivre :

- les programmes de restauration engagés : travaux de rénovation des espaces d'accueil du musée d'Orsay, restructuration du musée de l'Orangerie des Tuileries à Paris, financement des études de maîtrise d'oeuvre pour la restructuration du musée Adrien Dubouché à Limoges, extension du musée de la coopération franco-américaine à Blérancourt, achèvement de la restructuration du musée des arts décoratifs...

- la mise en oeuvre du plan de sûreté et de sécurité concernant la mise à niveau des installations techniques ainsi que la rénovation des installations électriques (Orsay, Galeries nationales du Grand Palais, musée-château de Fontainebleau, musée-château de Compiègne, ateliers du Centre de recherche et de restauration des musées de France à Versailles...).

Ces crédits contribueront également au chantier du futur musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée à Marseille en permettant de rémunérer le programmiste et d'acquérir un ensemble immobilier nécessaire à la création de réserves.

b) Les crédits d'acquisition : des moyens insuffisants pour accroître le patrimoine muséographique

Au cours des dernières années, l'origine du financement des acquisitions des musées nationaux a été sensiblement modifiée. En effet, les difficultés financières auxquelles a été confrontée la Réunion des musées nationaux (RMN) qui finançait jusque là pour moitié les acquisitions l'ont conduit à réduire sa participation, contraignant l'Etat à prendre le relais par le biais de son versement à la RMN (article 43-92 article 30) et du fonds du patrimoine (article 43-92 article 60).

Le tableau ci-dessous retrace l'origine des crédits d'acquisition destinés aux musées nationaux depuis 1990.

Évolution des crédits d'acquisition destinés aux musées nationaux
(au 1 er novembre 2001)

(en francs)

ANNEE

SUBVENTIONS ETAT

CREDITS RMN

TOTAL

Subvention annuelle Chapitre 43-92
art. 30

Fonds du patrimoine Chapitre 43-92
art. 60

Autres (1)

Dotation RMN Chapitre 0655-71

Dons et legs affectés Chapitre 657-12

« Mécénat » Chapitre 657-13

1990

29,7

22,9

0,60

47,7

38,0

2,9

141,8

1991

16,5

8,40

0,50

46,4

1,6

2,6

76,0

1992

32,72

11

0,61

57,64

18,47

5,33

125,77

1993

16,56

1,50

0,30

40,55

3,81

7,04

69,76

1994

14,26

15

0,62

77,29

20,42

11,72

139,31

1995

7,28

9,3

0,20

55,0

6,3

9,7

87,6

1996

6,05

36,20

0,00

43,62

0,95

7,79

94,61

1997

7,87

55,75

0,05

26,51

37,13

14,87

142,18

1998

11,87

74,23

0,5

54,5

15,5

16,26

172,86

1999

11,87

59,46

0,8

48,01

30 ,58

24,29

145,01

2000 (2)

11,87

36,99

-

52

41,31

11,33

153,5

2001

11,87

35,6

-

54

14,3

12,7

128,47

(1) Commission nationale de la photographie

(2) Evaluation au 1 er novembre 2001

Faute pour les produits des dons et legs et du mécénat d'avoir atteint un niveau comparable à ceux observés au cours des deux exercices précédents, on observe en 2001 une diminution du budget d'acquisition des musées nationaux.

Cette évolution résulte de la stabilité du montant de la contribution de l'Etat comme de l'incapacité de la RMN à affecter une part plus significative de ses ressources aux acquisitions.

En effet, le montant des crédits du chapitre 43-92 article 30, versés à la Réunion des musées nationaux afin que cet établissement puisse procéder à des acquisitions au profit des musées nationaux, n'a pas fait l'objet de réévaluation depuis 1997. Ils restent fixés depuis cette date à 1,81 million d'euros (11,87 millions de francs).

Par ailleurs, la part du fonds du patrimoine consacrée aux musées nationaux demeure réduite à la portion congrue, représentant à peine un tiers des crédits inscrits à ce titre. En 2001, sur un montant total de 14,52 millions d'euros (95,24 millions de francs), 5,43 millions d'euros (35,6 millions de francs) ont été utilisés pour acquérir des oeuvres destinées à enrichir les collections des musées nationaux. En 2002, si l'on peut espérer une allocation des crédits de ce fonds plus favorable dans la mesure où le programme d'acquisition du futur musée du quai Branly parvient à son terme, force est de constater que son enveloppe globale ne progresse que modestement (+ 1,92%) pour atteindre 14,81 millions d'euros (97,15 millions de francs).

L'analyse faite par votre rapporteur du saupoudrage des crédits du fonds du patrimoine mais également de leur affectation peu justifiée au regard de son objet initial, a été partagée par le rapport de l'Inspection générale des finances sur les moyens d'acquisition d'oeuvres d'art par l'Etat remis au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en septembre 2001. Votre rapporteur ne pourra que soutenir les propositions de ce rapport qui propose d'accroître régulièrement le montant des crédits du fonds du patrimoine mais également d'instituer en son sein une « réserve » pour les trésors nationaux, réserve qui puisse être reportée d'une année sur l'autre.

A l'évidence, les musées nationaux continuent à subir les conséquences de la crise financière de la RMN, crise qui les a privés d'une partie non négligeable des recettes de leurs droits d'entrée, qui, on le rappellera, sont versées pour une grande partie à cet établissement. Et cela alors qu'ils connaissent à nouveau une augmentation de leur fréquentation.

Ce constat est d'autant plus préoccupant que le redressement de la RMN n'est pas encore opéré.

Les résultats globaux de l'année 2000 se sont révélés inférieurs aux prévisions, la RMN ayant dû opérer un prélèvement sur son fonds de roulement de 76 224 euros (0,5 million de francs) au lieu du reversement prévu initialement à hauteur de 3,29 millions d'euros (21,6 millions de francs). Par ailleurs, si le résultat d'exploitation se situe légèrement au dessus de l'équilibre, l'origine des écarts avec le budget initial provient de deux phénomènes préoccupants, l'aggravation des déficits, d'une part, des expositions temporaires et, d'autre part, des services éditoriaux et commerciaux, imputables certes à des facteurs exceptionnels (survalorisation des stocks, intégration des déficits antérieurs de la filiale italienne notamment).

Ces évolutions ont conduit la RMN à revoir ses prévisions financières pour la période 2002-2003. Si votre rapporteur ne peut remettre en cause la nécessité de l'effort de rigueur budgétaire, il regrettera qu'il s'opère au détriment de l'ouverture des musées au public et des budgets d'acquisition.

En effet, le déficit envisagé des expositions temporaires pour 2002 et 2003, largement supérieur à la tendance moyenne des dix dernières années, contraint la RMN à augmenter les droits d'entrées, à retarder la réouverture de certains musées et à procéder à un ajustement à la baisse des dépenses d'acquisition.

Cette situation ne peut guère permettre une politique d'acquisition ambitieuse, pourtant nécessaire au rayonnement des musées nationaux et, au-delà, d'assurer dans de bonnes conditions la mise en oeuvre de la loi du 31 décembre 1992 4( * ) .

Établissant un équilibre entre, d'une part, les exigences de protection de notre patrimoine et, d'autre part, les droits des propriétaires et le principe de libre circulation des biens, la loi de 1992 prévoit que l'Etat peut refuser à un bien présentant « un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l'histoire, de l'art et de l'archéologie » le certificat autorisant l'exportation. Ce refus, valable trente mois depuis la loi du 10 juillet 2000, ne peut être renouvelé à l'issue de ce délai.

La logique de la loi de 1992 voulait qu'en cas de refus du certificat, l'administration tire, dans le délai de validité du certificat, les conséquences de l'interdiction d'exportation, en entamant une procédure de classement, s'il s'agissait d'un bien mobilier ou d'archives, en le revendiquant s'il s'agissait d'un bien culturel maritime ou d'un objet découvert à l'occasion de fouilles archéologiques, ou encore en l'achetant pour le faire entrer dans les collections publiques.

Ce dispositif s'est révélé dans les faits peu efficace dans la mesure où, comme la Cour de Cassation l'a rappelé dans un arrêt du 20 février 1996, la loi du 31 décembre 1913 prévoit que, lorsqu'il est effectué sans le consentement du propriétaire, le classement d'un objet mobilier peut « donner lieu au paiement d'une indemnité représentative du préjudice résultant (pour ce dernier) de l'application de la servitude de classement d'office ».

Un revirement de jurisprudence étant peu probable en raison du caractère incontestable du fondement de cette indemnisation et une modification de la loi de 1913 ne pouvant guère être envisagée compte tenu de l'interprétation dégagée par le Conseil constitutionnel du principe d'égalité devant les charges publiques, l'Etat n'a donc guère d'autre possibilité pour retenir les trésors nationaux que de les acheter.

La loi du 10 juillet 2000, votée à l'initiative du Sénat, a certes perfectionné ce dispositif législatif en permettant d'éviter le cas absurde où l'Etat, alors même qu'il disposerait des crédits nécessaires, ne pourrait acquérir le bien du fait du refus du propriétaire de vendre. Toutefois, elle ne l'a pas rendu plus opérant, faute pour le ministère de la culture d'avoir pu ou su dégager les moyens budgétaires nécessaires pour acquérir les oeuvres qui font l'objet d'un refus de certificat.

Ce constat est d'autant plus affligeant que les refus de certificat ne sont décidés qu'avec parcimonie et ne frappent qu'un nombre restreint d'oeuvres. Depuis 1992, seules 95 oeuvres ont fait l'objet d'une telle décision alors que le ministère de la culture est saisi de près de 5 000 demandes de certificat par an.

Sur ce total :

- 39 ont été acquises pour les collections publiques pour une valeur totale de 46,35 millions d'euros (304,05 millions de francs), financée pour 26,6 millions d'euros (174,5 millions de francs) -soit 57,39 %- par l'Etat ou des établissements publics ;

- 14 oeuvres ont finalement reçu le certificat sans que l'Etat ait pu les acquérir ;

- 9 n'ont fait l'objet d'aucune nouvelle demande après l'arrivée à échéance du refus de certificat ;

- 32 sont toujours soumises à interdiction d'exportation.

Le rapport de l'Inspection générale des finances a estimé à environ 200 millions de francs (30,39 millions d'euros) par an le montant des crédits nécessaires à l'application de la loi de 1992.

Faute de pouvoir compter dans l'immédiat sur un accroissement des crédits budgétaires ou à tout le moins une amélioration des mécanismes d'acquisition, les recettes du mécénat apparaissent comme une variable d'ajustement essentielle.

A ce titre, votre rapporteur ne pourra que se féliciter de l'introduction par le Sénat dans le projet de loi relatif aux musées de France de deux dispositions fiscales visant à accorder des réductions d'impôt aux entreprises qui par des dons, aident l'Etat à acquérir des trésors nationaux ou achètent pour leur propre compte de telles oeuvres. La réduction d'impôt est égale, dans le premier cas, à 90 % du montant du don versé et, dans le second cas, à 40 % de la valeur d'achat de l'oeuvre. Ces dispositions attractives et lisibles devraient permettre de mobiliser les entreprises en vue d'assurer le maintien sur le territoire des trésors nationaux.

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