III. LA LABORIEUSE ADAPTATION DES MÉCANISMES DE RÉGULATION AUX MUTATIONS DU SECTEUR DU CINÉMA

A. LA MODIFICATION DES RÈGLES DU JEU POUR LES MULTIPLEXES : UNE oeUVRE UTILE ?

• Un nouveau dispositif législatif

Le développement considérable des multiplexes, s'il a incontestablement permis d'accroître la fréquentation en attirant un nouveau public, a aussi fait naître des inquiétudes.

Ces inquiétudes concernent l'équilibre économique du secteur de l'exploitation menacé par la concentration engendrée par la multiplication de ces établissements d'un nouveau type mais également la répartition territoriale des équipements cinématographiques, remise en cause par le poids prépondérant de complexes installés en périphérie urbaine susceptibles de mettre en péril l'existence des salles de centre ville.

Cette mutation sans précédent s'est opérée dans le cadre d'une législation inspirée de la logique de l'urbanisme commercial et fondée sur des critères pour l'essentiel étrangers aux exigences de la politique culturelle de soutien au secteur de l'exploitation.

C'est la loi du 5 juillet 1996 qui a introduit dans la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat dite loi Royer un dispositif d'autorisation pour ce type d'équipement. Ce dispositif qui, on le rappellera, ne définit pas la notion de multiplexes, soumettait à autorisation l'ouverture « d'un ensemble de salles de spectacles cinématographiques comportant plus de 1 500 places », seuil qui a été abaissé à 1 000 places par la loi du 2 juillet 1998.

Votre rapporteur a souligné à de nombreuses reprises qu'un tel mécanisme ne lui paraissait pas adapté à la spécificité d'établissements à vocation culturelle.

Cette appréciation a été au demeurant partagée par le gouvernement qui, par plusieurs biais, a tenté de l'améliorer, sans toutefois en jamais modifier profondément la logique.

Dans un premier temps, le gouvernement a souhaité préciser les critères présidant à l'octroi des autorisations. Cependant, la circulaire du 4 décembre 1998 prise en ce sens n'a que peu infléchi la pratique des commissions départementales d'équipement cinématographique (CDEC) au regard des exigences de l'aménagement du territoire, du développement urbain et de la diversité de la programmation.

Afin de garantir ce dernier objectif, le décret n° 83-13 du 10 janvier 1983 relatif aux groupements et ententes de programmation a été modifié en 1999 afin d'étendre aux propriétaires de salles placés en situation de position dominante l'obligation de souscrire des engagements de programmation, obligation qui ne s'imposait jusque là qu'aux groupements et ententes de programmation. Cette réforme, si elle correspondait à la préoccupation louable d'encourager la diversité de la programmation, comportait toutefois le risque d'estomper les différences entre celle des multiplexes et celle des salles généralistes voire même des salles d'art et essai, ce qui n'était pas forcément de nature à pénaliser les multiplexes.

Force est de constater que ce risque n'a pas été écarté par la nouvelle réglementation des multiplexes telle qu'elle a été précisée par l'article 96 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques.

Au-delà d'un nouvel abaissement du seuil à partir duquel s'applique la procédure d'autorisation, désormais fixé à 800 places, les modifications introduites portent essentiellement sur l'introduction de nouveaux critères d'appréciation des demandes afin de mieux tenir compte de la vocation culturelle de ces complexes. Ainsi, aux différents critères concernant la situation économique du secteur de l'exploitation dans la zone d'attraction du futur établissement, qui figuraient déjà dans la loi de 1996, ont été ajoutés des éléments d'appréciation liés :

- en premier lieu, à la programmation envisagée et aux relations avec les autres établissements de la zone ;

- en second lieu, au comportement passé du postulant au travers du respect des engagements de programmation pris en application de l'article 90 de la loi de 1982, en pratique ceux visés par le décret cité plus haut ;

- et, enfin, à la qualité architecturale du projet.

Votre rapporteur s'était déjà interrogé sur l'efficacité d'un tel dispositif, en l'absence d'une modification de la composition des commissions départementales comme de leurs compétences. On rappellera, en effet, que ces instances ne peuvent pas accorder les autorisations sous conditions.

Au-delà, votre rapporteur se demandera si le principe même d'une nouvelle réglementation devait être retenu.

• Une réglementation opportune ?

Compte tenu du ralentissement que l'on constate dans le rythme d'implantation des multiplexes, on peut s'interroger sur l'opportunité d'une réforme qui impose des conditions plus strictes aux nouveaux entrants sans se donner les moyens de veiller aux comportements adoptés par les multiplexes déjà autorisés.

En effet, on a assisté dès l'année 2000 à une stabilisation du rythme de création de multiplexes, avec 19 implantations contre 20 en 1998. Cette tendance se confirme en 2001 : au 1 er semestre, seulement huit établissements de ce type se sont ouverts, ce qui porte à 91 le nombre de multiplexes en activité au 30 juin 2001.

Ce ralentissement concerne également les demandes d'autorisation ; leur nombre a, en effet, sensiblement diminué : alors que 80 projets avaient été examinés en 1999, chiffre le plus élevé depuis la mise en place en 1996 de la procédure d'autorisation préalable, 41 projets ont été soumis aux CDEC en 2000 et 11 au cours du 1 er semestre 2001.

Avec l'achèvement de l'équipement des grandes agglomérations, le phénomène parvient donc à son terme.

Si tous les projets ayant fait l'objet d'une autorisation étaient réalisés, le parc des multiplexes compterait 160 établissements, dont près des deux tiers seraient possédés par trois grands opérateurs : EuroPalaces, nouvelle entité issue de la fusion de Pathé et Gaumont, UGC et CGR.

On relèvera que sur les 91 multiplexes en activité au 31 juillet 2001, un tiers seulement a fait l'objet d'une procédure d'autorisation (hors projets d'extension). Dans tous les autres cas, la création a été réalisée sans passage en CDEC, les permis de construire ayant été délivrés avant l'entrée en vigueur de la loi.

A l'évidence, en ce domaine, on ne peut que déplorer le retard avec lequel le gouvernement réagit aux mutations économiques. La nouvelle réglementation constitue en ce domaine un exemple topique dans la mesure où elle n'aura vocation à s'appliquer qu'à quelques établissements.

En outre, du fait notamment de l'abaissement du seuil à 800 places, il y a fort à craindre que la nouvelle procédure s'applique moins à des projets de création de multiplexes, au sens où l'on entend ce terme habituellement, qu'à des projets de modernisation ou de restructuration des salles classiques situées en centre ville soucieuses de se moderniser pour tirer parti de l'accroissement de la fréquentation.

A cet égard, votre rapporteur s'inquiétera d'un certain « dévoiement » des mécanismes de soutien au secteur de l'exploitation qui, à force d'être modifiés pour tenir compte de difficultés -pour certaines de nature conjoncturelles- ne sont plus conformes à leur vocation initiale.

Ainsi, le dispositif destiné à limiter la prolifération des multiplexes risque de conduire à imposer à des établissements d'importance moyenne des contraintes de programmation inadaptées.

Et on doit en tout cas regretter que n'aient jamais été appliquées les dispositions adoptées en 1996 qui imposaient l'élaboration d'un rapport annuel sur l'application du dispositif d'autorisation des multiplexes ; ces rapports auraient sans doute permis de mieux mesurer le phénomène « multiplexes » et d'apprécier son évolution et ses conséquences.

De même, on s'interrogera sur les conditions d'attribution des aides sélectives, notamment en ce qui concerne les aides à l'investissement. On rappellera en effet qu'a été mise en place une aide sélective dite déplafonnée en faveur d'exploitants privés indépendants réalisant sur les villes moyennes un investissement important pour la réalisation d'un établissement de type multiplexe en centre ville avec une orientation « art et essai ». On constate, de ce fait, que l'aide sélective soutient un nombre de plus en plus important de projets relativement onéreux. Ainsi, 38 % des opérations soutenues totalisent 77 % du montant des subventions. Par ailleurs, on notera qu'entre 1992 et 2001, le nombre d'écrans classés « art et essai » est passé de 562 à 956, soit un quasi-doublement.

Si on se félicitera de la capacité des dispositifs d'aide à répondre à l'exigence de modernisation des salles, on se demandera dans quelle mesure cet objectif n'a été atteint qu'au prix d'un certain détournement des mécanismes originaux.

B. L'ENCADREMENT DES ABONNEMENTS : UNE TENTATIVE ENCORE INABOUTIE

Introduit au Sénat par voie d'amendement dans la loi relative aux nouvelles régulations économiques, le dispositif d'encadrement des formules d'abonnement n'est pas encore entré en application.

• Une genèse laborieuse

Le succès des formules d'abonnement offrant droit à un nombre d'entrées illimité lancées l'an dernier par plusieurs opérateurs a contraint le gouvernement à proposer un dispositif soumettant ces formules à l'agrément du CNC.

Faute de pouvoir les interdire mais également de recourir aux mécanismes de régulation du droit de la concurrence, le Conseil de la Concurrence ayant rejeté les demandes de mesures conservatoires, le gouvernement a proposé de manière inopinée un dispositif qui, s'il est très contraignant, n'est toujours pas appliqué, les décrets d'application n'étant pas encore parus.

Votre rapporteur regrettera les conditions imposées par le gouvernement au Parlement pour l'examen de ce dispositif. En effet, il résulte d'un amendement gouvernemental introduit au Sénat dans un texte déclaré d'urgence. Il semble y avoir un tropisme consistant à débattre du cinéma par la voie de cavaliers, ce qui a pour effet de priver en partie le Parlement de la possibilité de débattre dans des conditions satisfaisantes de la politique du cinéma et ne peut jouer qu'au détriment de la prise en compte des enjeux de ce secteur.

Cette procédure contestable n'a pas été très efficace puisqu'à peine la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques promulguée, il est apparu nécessaire de modifier le dispositif retenu par le biais de l'article 25 de la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel.

• Un dispositif très rigide

Le dispositif proposé initialement par le gouvernement, au prétexte d'un encadrement de ces formules, visait essentiellement à consacrer peu ou prou, en les soumettant à l'agrément du CNC, les pratiques existantes mises en place par les opérateurs les plus importants.

Cependant, lors de l'examen parlementaire, de nouvelles conditions ont été imposées qui, par leur caractère contraignant, limitent de fait les possibilités de développement de ces formules.

Les conditions posées par la délivrance de l'agrément à ces formules visent :

- d'une part, à assurer la transparence de la recette en prévoyant la fixation d'un prix « forfaitaire » par place qui sert de base à la rémunération des ayants droit et d'assiette à la TSA destinée à alimenter le compte de soutien ;

- d'autre part, à éviter que les exploitants situés dans la zone d'attraction d'un opérateur de carte ne pâtissent d'une telle pratique commerciale. Tout exploitant qui, à lui seul, détient plus de 25 % des entrées ou des recettes au niveau national doit donc, lorsqu'il propose une formule d'abonnement aux spectateurs, offrir aux exploitants de la même zone d'attraction détenant moins de 25 % des entrées ou des recettes dans la zone considérée, à l'exception de ceux réalisant plus de 0,5 % des entrées au niveau national, de s'associer à cette formule « à des conditions équitables et non discriminatoires ». Par ailleurs, l'Assemblée nationale a imposé en nouvelle lecture une obligation supplémentaire à l'opérateur : garantir à ces derniers « un montant minimal de la part exploitant par billet émis au moins égal au montant de la part réservée aux distributeurs sur la base du prix de référence » auquel il s'engage vis-à-vis de l'ensemble des distributeurs avec lesquels il conclut des contrats de location.

Cette dernière condition risque, comme l'a souligné au demeurant Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, à l'Assemblée nationale, de « reporter l'essentiel des coûts de location sur le groupe exploitant qui a pris l'initiative de la carte » (JO - Débats Assemblée nationale - p. 5203).

Cette condition très contraignante a été imposée alors qu'aucun élément statistique ne permettait d'apprécier les conséquences économiques pour le secteur de l'exploitation de ces nouvelles pratiques commerciales.

Elle compromet la possibilité pour les opérateurs qui initient de telles formules de les rentabiliser : leur intérêt financier réside dans la capacité à attirer un nouveau public et à supporter des pertes en attendant que soit atteint le point d'équilibre où l'augmentation du nombre des abonnés compense la diminution des marges.

La rigidité introduite dans ce calcul économique par la garantie accordée aux petits exploitants accroît de manière significative le risque que prennent les grands circuits qui lancent ces formules, tout en renforçant leur attractivité pour les petits exploitants.

Dans ces conditions, on peut se demander si les formules actuelles d'abonnement ne seront pas progressivement abandonnées, en dépit du succès qu'elles remportent auprès du public et du surcroît de fréquentation qu'elles engendrent.

On peut aussi relever que le gouvernement a estimé nécessaire, avant même la promulgation de la loi sur les nouvelles régulations économiques, de modifier ce système afin de corriger la définition des grands exploitants qui sont tenus d'associer les autres exploitants à leurs formules d'abonnements. Ainsi, ne serait pas soumise à cette obligation une catégorie d'exploitants intermédiaires, dont la définition résulte d'un relèvement de certains seuils prévus par la loi : seuls sont désormais tenus de respecter cette condition les exploitants qui détiennent plus de 25 % des entrées dans une zone d'attraction donnée ou plus de 15 % des entrées dans la zone de Paris et de la petite couronne, ou qui, à l'échelon national, réalisent plus de 3 % des recettes, et non plus 0,5 %. Cette catégorie ne concernerait qu'une quinzaine d'exploitants et, pour la région parisienne, seulement deux ou trois.

Tout en soulignant les inconvénients des expédients auxquels avait recouru le gouvernement pour légiférer sur ce sujet, votre commission s'était interrogée sur l'opportunité de retenir une nouvelle définition des seuils qui remet en cause un dispositif législatif quelques jours après son entrée en vigueur, au bénéfice d'un nombre très limité d'entreprises.

Pour l'heure, votre rapporteur ne peut que constater que la nouvelle réglementation n'est toujours pas entrée en vigueur faute de texte d'application qui, en l'espèce, doit prendre la forme d'un décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil de la Concurrence.

Par ailleurs, il relèvera également que le Conseil de la Concurrence qui avait été saisi par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à la demande de la ministre de la culture et de la communication et par certains exploitants, s'il a rejeté dès le 25 juillet 2000 les demandes de mesures conservatoires, n'a pas encore rendu de décision définitive sur le fond.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page