III. UN HORIZON : LA CONCURRENCE

A. UN PROCESSUS ENTAMÉ EN 1989

1. Un processus continu depuis 15 ans

Le secteur postal n'est que tardivement entré dans le champ des préoccupations des instances communautaires : la poste n'est en effet pas mentionnée dans le traité de Rome. Le développement et la transformation de ce secteur et l'apparition de nouveaux segments de marché, concurrentiels et à plus forte valeur ajoutée, ont progressivement appelé une intervention au niveau européen.

Cette intervention a d'abord été contentieuse 13( * ) : elle a, dans un premier temps, concerné le respect, dans le secteur postal, des règles de concurrence posées par le Traité instituant la communauté européenne.

Après toute une série de décisions dans les années 1980 et 1990, un célèbre arrêt de la Cour de Justice sur l'étendue du monopole postal en Belgique 14( * ) considérait d'ailleurs, en 1993, que les dispositions du Traité en matière de concurrence « permet[tent] aux Etats membres de conférer à des entreprises qu'ils chargent de la gestion de services d'intérêt économique général, des droits exclusifs qui peuvent faire obstacle à l'application des règles du traité sur la concurrence, dans la mesure où des restrictions à la concurrence, voire une exclusion de toute concurrence, de la part d'autres opérateurs économiques, sont nécessaires pour assurer l'accomplissement de la mission particulière qui a été impartie aux entreprises chargées des droits exclusifs ».

Cette décision, importante, a ainsi posé, en droit communautaire, les fondements de la reconnaissance du service public (notamment postal) et de la nécessité d'assurer son financement par un monopole sur certaines activités.

2. Deux étapes décisives : le Conseil informel d'Antibes en 1989 et le « Livre vert postal » en 1992

C'est en 1989, sous présidence française de la Communauté, au Conseil informel d'Antibes, qu'est lancé le débat européen sur le secteur postal . M. Paul Quilès, alors ministre français en charge du secteur postal, préparait à cette époque la réforme de l'administration des P et T, qui allait conduire, avec l'adoption de la loi précitée du 2 juillet 1990 sur l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, à la séparation de La Poste et de France Télécom, qui, d'administration de l'Etat, sont devenus deux établissements publics.

L'objectif fixé en 1989 était la définition d'un cadre réglementaire européen en matière postale .

La Commission européenne a publié, en juin 1992, une communication 15( * ) intitulée : « Livre vert sur le développement du marché unique des services postaux », document d'orientation destiné à organiser le débat sur les propositions législatives communautaires.

Ce document, qui donnait l'analyse de la Commission sur l'état du secteur postal européen, proposait également une politique que cette dernière considérait comme opportun de mener. Partant du constat que « le principe politique le plus fondamental est le besoin d'assurer la poursuite du service universel et donc de garantir que la mission de service public qui incombe aux administrations postales s'exerce dans de bonnes conditions économiques et financières », le Livre vert :

- excluait la libéralisation complète comme le maintien du statu quo (synonyme, aux yeux de la Commission, d'une absence d'harmonisation européenne et donc de marché unique postal) ;

- proposait une solution « d'équilibre », combinant ouverture accrue du marché et renforcement du service universel, via le maintien sous monopole d'un portefeuille de services (les services « réservés ») destinés à en assurer le financement . La Commission indiquait ainsi que « cette option part du principe qu'en vue d'assurer le service universel, il est nécessaire d'apporter certaines restrictions au marché libre. (...) L'objectif d'un service universel peut justifier l'établissement d'un ensemble de services réservés, lesquels aideraient à garantir la viabilité financière du réseau du service universel »

Notons-le au passage : c'est dans le secteur postal qu'est, pour la première fois, apparue en droit communautaire la notion de « service universel », déclinaison européenne de la notion française de service public.

3. Le sommet de Dublin de 1996 et une directive du 15 décembre 1997 qui laissait le temps de l'adaptation

Après la publication de « lignes directrices pour le développement des services postaux communautaires » en 1993, le Conseil, par une résolution du 7 février 1994, a fixé les objectifs de la future réglementation postale : garantir la fourniture, à l'échelon communautaire, d'un service universel de qualité accessible à tous ; assurer sa viabilité économique en définissant un secteur réservé à son prestataire qui soit suffisamment large ; concilier libéralisation graduelle et garantie du service universel.

La Commission a, dans cette perspective, publié en 1995 une proposition de directive dont l'adoption relevait de la procédure de la codécision, et un projet de communication sur l'application des règles de concurrence au secteur postal. Ces propositions allaient au delà de ce que le Sénat considérait comme souhaitable pour le marché postal communautaire.

Aussi votre commission s'était-elle saisie de ce projet de directive, et avait-elle adopté une résolution 16( * ) , devenue résolution du Sénat à l'issue de sa discussion en séance publique le 21 mai 1996. Dans cette résolution, le Sénat soutenait la définition proposée pour le service universel postal, demandait une modération de l'ouverture à la concurrence proposée par la Commission, souhaitait que la date de révision de cette directive soit repoussée et que cette révision s'effectue dans le cadre de le procédure de la codécision.

Le Gouvernement de l'époque avait d'ailleurs obtenu de nos partenaires européens une ouverture suffisamment mesurée pour laisser à notre opérateur postal le temps de l'adaptation.

C'est, d'abord, lors de Conseils des ministres tenus en juin 1995, sous présidence française, et mars 1996, que des avancées significatives avaient été obtenues de nos partenaires, puis, grâce à l'intervention décisive des Chefs d'Etat français et allemand, au sommet de Dublin, en décembre 1996, qu'un compromis politique fut élaboré, permettant d'aboutir à une position commune préfigurant la directive du 15 décembre 1 997.

Au total, ce texte consacre un large périmètre de services réservés et n'ouvre donc que faiblement le marché postal européen à la concurrence, sans toutefois porter préjudice au droit des Etats membres à accélérer, s'ils le souhaitent, la libéralisation -ce que sept d'entre eux ont, à des degrés divers, déjà fait-.

PRINCIPALES DISPOSITIONS DE LA DIRECTIVE 97/67

La directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service17( * ) (dénommée « directive postale ») a défini les caractéristiques du service postal universel que doivent garantir tous les Etats membres, établi des normes de qualité pour les services transfrontaliers, ainsi que des principes tarifaires et de transparence des comptes.

Les limites maximales communes des services que les Etats membres peuvent réserver au(x) prestataire(s) du service universel dans la mesure où le maintien du service universel l'exige sont fixées à 350 grammes et cinq fois le tarif normal pour un envoi du premier échelon de poids.

La directive fixe également des principes devant régir les procédures d'autorisation de la prestation de services postaux non réservés, de même que la séparation des compétences réglementaires et des fonctions opérationnelles dans le secteur postal.

La directive postale fixe ensuite un calendrier pour la poursuite du processus d'ouverture des marchés postaux à la concurrence :

- la Commission devait présenter, pour le 31 décembre 1998, une proposition concernant la poursuite progressive et contrôlée de l'ouverture du marché postal, en vue notamment de libéraliser le courrier transfrontière et le publipostage et de revoir à nouveau les limites de prix et de poids ;

- le Conseil et le Parlement devaient se prononcer sur cette proposition avant le 1er janvier 2000 ;

- les mesures décidées devaient entrer en vigueur le 1er janvier 2003.

L'ouverture à la concurrence requise par la directive 97/67 est faible : la Commission européenne a chiffré à 3 % la part du courrier soumise à la concurrence du fait de la directive.

Il faut, en outre, garder à l'esprit que La Poste exerce déjà une part importante de son activité dans le secteur concurrentiel , qu'il s'agisse des services financiers ou de l'activité « colis ».

Dans le cadre de la directive actuellement en vigueur, les services « réservés » (exerçables sous monopole) représenteraient, d'après la Commission, 70 % du chiffre d'affaire postal . Appliqué au chiffre d'affaire postal du groupe La Poste, ce ratio amène à considérer que 47 milliards de francs de chiffre d'affaires sont aujourd'hui sous monopole, soit environ la moitié du chiffre d'affaires total du groupe.

La directive de 1997 offrait une occasion idéale de préparer l'opérateur à la concurrence, avec une ouverture encore modérée à la concurrence, mais une perspective de libéralisation accrue incitant à l'adaptation. La plupart de nos voisins européens l'ont compris. En France, votre commission réclame depuis 1997 des réformes dont aucune n'a été, à ce jour, amorcée.

4. La deuxième directive postale : vers une libéralisation totale ?

a) La proposition initiale de la Commission du 20 mai 2000

Conformément au processus prévu par la directive postale de 1997, mais avec quelques mois de retard, la Commission européenne a établi le 20 mai 2000 une proposition de directive, modifiant 6 articles de la directive 97/67/CE du 15 décembre 1997 :

- l'article 2 sur les définitions terminologiques,

- l'article 7 sur les services réservés,

- l'article 9 sur les conditions d'accès au marché non réservé,

- l'article 12 sur les principes de tarification du service universel,

- l'article 19 sur le règlement des litiges,

- l'article 27 sur la durée d'application de la directive.

Sans préjudice de la liberté des Etats-membres à libéraliser plus rapidement leur marché, le dispositif proposé consistait en une poursuite de l'ouverture à la concurrence, en deux étapes.

La première, qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 2003, consistait en un abaissement général des limites de poids et de prix actuelles pour les services qui peuvent continuer à être réservés (c'est-à-dire exercés sous monopole). Parallèlement, toutes les limites de poids et de prix auraient été supprimées en ce qui concernait le courrier transfrontalier sortant et le courrier express. En outre, des « services spéciaux » auraient été définis, qui ne pouvaient entrer dans le périmètre des services réservés .

L'étape ultérieure, pour laquelle la décision aurait du intervenir au 31 décembre 2005 au plus tard, aurait pris effet au 1er janvier 2007 ; il s'agissait d'une nouvelle restriction des droits exclusifs encore accordés aux prestataires du service universel, conservés dans la seule mesure où cela est strictement nécessaire au maintien du service universel. L'ampleur de cette nouvelle avancée aurait du être déterminée par le Parlement européen et le Conseil le 31 décembre 2005 au plus tard, sur proposition de la Commission, présentée avant le 31 décembre 2004 .

b) La position du Parlement européen le 11 décembre 2000

Le Parlement européen s'est prononcé en séance plénière le 11 décembre 2000 sur la proposition de directive, adoptée dans le cadre de la procédure de codécision . De façon assez inattendue pour le Commissaire européen concerné, et à l'initiative du député anglais Brian Simpson (PSE), alors que les propositions du rapporteur de la commission saisie au fond, le député Markus Ferber (PPE, Allemagne), soutenaient globalement celles de la Commission européenne, le Parlement européen a adopté une série d'amendements demandant notamment :

- la suppression de la notion de services spéciaux ;

- la fixation de nouvelles limites, plus larges, de poids et de prix des services réservés à 150 grammes et quatre fois le tarif de base ;

- la suppression de l'étape de libéralisation de 2007 tout en demandant à la Commission européenne de présenter une évaluation de l'état du secteur postal avant le 31 décembre 2003 ;

- le report au 31 décembre 2004 de la date limite de transposition de la nouvelle directive ;

- la prise en compte des différences géographiques et du coût, variable, du service universel selon les configurations géographiques de chaque Etat membre ;

- la mise en valeur du principe d'adaptation du service universel aux évolutions technologiques.

c) La résolution du Sénat votée le 14 décembre 2000

A l'issue d'un débat de qualité, en commission comme en séance publique, le Sénat a, quant à lui, adopté, le 14 décembre dernier, une résolution sur la proposition de directive de le Commission, qui partait du constat suivant :

- la poursuite de la construction d'un marché communautaire unifié des services postaux a été approuvée par la France, en mars 2000, au Conseil européen qui a réuni les chefs d'Etat et de gouvernement à Lisbonne ;

- l'Union européenne reconnaît désormais la place des services d'intérêt général et leur rôle dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale ;

- un marché postal unifié est de nature à favoriser la modernisation de l'économie française et à offrir de nouvelles opportunités à La Poste ;

- mais le processus ainsi engagé doit, au travers du service universel postal institué par l'Union européenne, garantir la pérennité des principes du service public postal, notamment la péréquation tarifaire et l'adaptabilité des missions ;

- or, cette pérennité ne saurait être garantie si la viabilité économique de La Poste, opérateur public du service public, n'est pas assurée . Le Gouvernement français n'a, pourtant, depuis 1997, engagé à La Poste aucune des réformes de structure nécessitées par la libéralisation programmée au niveau européen .

C'est pour l'ensemble de ces raisons que votre commission considérait que, si elle était retenue en l'état, la proposition de directive de la Commission pourrait menacer l'équilibre financier de La Poste, car celle-ci supporte encore, en propre, le coût de missions d'intérêt général ne pouvant plus être financées par les seuls revenus de ses activités . C'est dans ce contexte, et non par refus idéologique de la concurrence, à son sens pleinement compatible avec un service public de qualité, que la résolution du Sénat demandait au Conseil, que :

- les services réservés aux prestataires de service universel englobent les envois de correspondance intérieure et les envois de correspondance transfrontière sortante qui sont soit d'un poids inférieur à 150 grammes, soit d'un prix inférieur à trois fois le tarif public applicable à un envoi de correspondance du premier échelon de poids de la catégorie la plus rapide ;

- les services spéciaux soient clairement définis comme des services à haute valeur ajoutée n'interdisant d'aucune façon l'adaptabilité du service universel et son possible élargissement à des prestations tendant à se banaliser au fur et à mesure de l'évolution du secteur postal.

d) La position commune du Conseil du 15 octobre 2001

Contrairement aux propos optimistes de M. Christian Pierret devant votre commission quelques jours auparavant, le Conseil des ministres n'est pas parvenu à l'accord que souhaitait la présidence française le 22 décembre 2000, qui aurait été proche du vote du Parlement européen.

Les négociations se sont donc poursuivies sous présidence suédoise et ont abouti sous présidence belge du Conseil, nettement plus favorable à la libéralisation que la présidence française.

Une nouvelle proposition a été présentée par la Commission le 21 mars 2001, ne retenant qu'une partie (11 sur 47) des amendements votés par les députés européens, la Commission rejetant les amendements les plus importants (portant sur les services spéciaux, le périmètre du domaine réservé et le calendrier de révision de la directive).

Le Conseil européen de Stockholm du 23 et 24 mars 2001 a demandé au Conseil et au Parlement européen d'adopter la directive sur les services postaux avant la fin 2001, ce à quoi la présidence belge a oeuvré.

C'est ainsi que le Conseil « Télécom » du 15 octobre dernier a abouti à un accord politique , à la majorité qualifiée, avec le vote contraire de la délégation néerlandaise et l'abstention de la délégation finlandaise, sur une position commune sur la proposition modifiée de directive modifiant la directive 97/67/CE.

L'accord porte sur une libéralisation en trois étapes : 2003, 2006 et l'« étape décisive » en 2009. Pour ce qui est de l' « étape décisive » , la Commission procèdera à une étude prospective destinée à évaluer, pour chaque Etat membre, les incidences de l'achèvement du marché intérieur des services postaux sur le service universel. Sur la base des conclusions de cette étude, la Commission présentera, avant le 31 décembre 2006, un rapport au Parlement européen et au Conseil assorti d'une proposition confirmant, le cas échéant, la date de 2009 pour « l'achèvement » (selon les termes du relevé de conclusions du Conseil) du marché intérieur des services postaux, ou « définissant une autre étape » à la lumière des conclusions de l'étude .

L'échéancier de libéralisation -repris ci-après- prévoit une décision du Parlement européen et du Conseil, conformément à la procédure de codécision, avant la fin de 2007 pour confirmer « l'étape décisive » de libéralisation.

CALENDRIER DE LA LIBÉRALISATION POSTALE

 

Courrier ordinaire

Publipostage

Courrier transfrontalière sortant

01/01/2003

Services réservés :

100 g/3 x tarif de base

Services réservés :

100 g/3 x tarif de base

Services réservés :

0 g excepté dans les cas visés ci-dessous (*) (max.100 g)

01/01/2006

Services réservés :

50 g/2,5 x tarif de base

Services réservés :

50 g/2,5 x tarif de base

Services réservés :

0 g excepté dans les cas visés ci-dessous (*) (max.50 g)

30/06/2006

Etude prospective de la Commission (évaluation des incidences que l'achèvement du marché intérieur des services postaux pourrait avoir sur le service universel dans chaque Etat membre)

31/12/2007

Décision du Parlement européen et du Conseil confirmant l'étape décisive

01/01/2009

Etape décisive

(*) Dans les cas où cela est nécessaire pour assurer la prestation du service universel, par exemple, quand certaines activités postales ont déjà été libéralisées ou à cause des caractéristiques spécifiques propres aux services postaux dans un Etat membre.

Cette position commune appelle deux commentaires :

Dans le court terme, une large enveloppe de services réservés est préservée, comme le demandait la délégation française. Toutefois, ce « répit » dans le rythme de la libéralisation ne vaut que s'il est utilisé pour engager une modernisation du cadre d'activité postal.

Dans le moyen terme, et c'est une différence de taille par rapport à la proposition initiale de la Commission, l'horizon de la libéralisation totale est désormais implicitement affiché , même si les négociations ont finalement permis d'exclure toute automaticité de l'« étape décisive », dont le contenu exact n'est pas défini. N'oublions pas qu'un groupe de délégations était favorable au fait de fixer une date automatique de libéralisation totale (de préférence 2009). Cette inscription de « l'étape décisive » dans le texte de la proposition de directive marque indiscutablement la progression de leur thèse au sein du Conseil.

La proposition de directive doit encore être soumise en deuxième lecture au Parlement européen.

B. QUELLE ADAPTATION A LA CONCURRENCE ?

1. Respecter enfin les engagements de 1997

Malgré l'opportunisme du Gouvernement en cette matière, profitant de multiples « véhicules législatifs 18( * ) » pour transposer -sans bruit- la directive postale de 1997, au moins deux points importants de cette directive n'ont toujours pas été transposés en droit français ou réellement mis en pratique.

a) Les modalités de la régulation postale

L'article 22 de la directive impose la désignation d'autorité(s) réglementaire(s) nationale(s) pour le secteur postal, « juridiquement distinctes et fonctionnellement indépendantes » des opérateurs postaux.

La Commission européenne a mis en demeure la France, par lettre du 3 août 2000, de se conformer aux obligations de la directive, considérant que, de par ses tâches, le Ministère de l'économie et des finances ne peut être considéré comme fonctionnellement indépendant de l'opérateur postal public La Poste. En effet, elle estime qu'un même ministre ne peut à la fois exercer la fonction d'autorité réglementaire nationale et la fonction de tutelle d'un opérateur postal.

Toutefois, la Commission souligne qu'elle n'impose pas de définition du statut d'une ou plusieurs autorités réglementaires nationales, qui peuvent être une autorité publique ou une entité indépendante désignée à cet effet, cette définition relevant de la compétence de l'Etat membre (considérant 39 de la directive postale). De même, il ne s'agit pas pour la Commission de contester le régime de la propriété d'un opérateur postal en France, notamment le cas où l'Etat est totalement ou partiellement propriétaire de l'opérateur postal chargé du service universel. Le droit européen est, en vertu du traité, neutre à cet égard.

Dans leur réponse, les autorités françaises estiment au contraire que la réglementation nationale assure une séparation des fonctions de réglementation et d'exploitation postale, en particulier depuis la mise en place d'un « médiateur du service universel postal ».

Votre Commission des Affaires économiques n'en est pas convaincue.

b) La clarification de la comptabilité du prestataire de service universel

Les obligations comptables fixées par l'article 14 de la directive sont essentielles : elles visent en effet à rendre transparents les coûts des différents services et à rendre vérifiable le fait que des subventions croisées du secteur réservé au secteur non réservé ne se produisent pas.

La transparence comptable, c'est la clé de la confiance de la Commission européenne et des concurrents dans le comportement du prestataire du service universel. C'est donc la condition de l'absence de remise en cause non seulement des services réservés, mais aussi de services concurrentiels vitaux à son activité, tels que les services financiers. C'est enfin, le meilleur moyen de déterminer le coût réel du service universel.

Or, La Poste ne respecte pas toujours ses obligations en la matière.


Depuis 1996, La Poste établit un compte analytique des branches du courrier et des services financiers : ce compte identifie également les charges du réseau postal et les charges de structure de La Poste, avant leur répartition sur les deux métiers. Pour établir cette comptabilité par métiers, La Poste a mis en place un dispositif de recueil des données comptables et des statistiques de production. Les charges de La Poste sont extraites de la comptabilité générale et classées par nature en une centaine de postes ; elles sont ensuite ventilées en 450.000 centres d'analyse correspondant, en général, à un secteur d'activité d'un établissement (ex : tri courrier en bureau de poste).

En 1998, cet outil a connu une amélioration méthodologique importante puisqu'il a distingué un troisième métier correspondant aux activités « colis » de La Poste.

En 1999, des affinements supplémentaires ont été mis en oeuvre, dans le sens d'une plus grande identification des charges imputables directement aux métiers, d'une amélioration des clés de ventilation et d'une meilleure répartition du résultat financier.

Toutefois, la Cour des Comptes, dans un rapport particulier relatif à la comptabilité analytique de La Poste, tout en soulignant que le système actuel de recueil des données, particulièrement détaillé, ne faisait pas l'objet de critiques fondamentales, a présenté les limites de la méthode employée par La Poste et indiqué les pistes à développer.

La Cour rappelle que la comptabilité analytique doit satisfaire à deux objectifs : répondre aux exigences réglementaires de transparence des coûts qui sont posées aux niveaux national et européen et procurer, à tous les échelons de l'entreprise, un instrument d'aide à la gestion et au pilotage. Tout en soulignant la potentialité des outils développés par La Poste, notamment en matière de calcul de coûts, la Cour a constaté que ce deuxième objectif n'était que partiellement atteint. En outre, le secteur postal étant caractérisé par l'importance des coûts mutualisés entre produits, la Cour souligne l'incertitude liée à l'imputation des charges indirectes .

La Poste a, depuis, fait le choix de développer, depuis plusieurs mois, une méthode alternative à celle des coûts complets, reposant sur le principe d'une comptabilité par activités (tri, distribution, guichet, ...) dont les coûts sont ensuite répartis sur les produits, selon un principe dit de « coûts incrémentaux ».

Un groupe de travail, rassemblant des représentants de différents services du Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et La Poste a été constitué sur ce sujet. Son programme de travail comporte l'examen successif des différents points de méthode (objectifs du système comptable, comparaison internationale, principes de répartition des charges des grandes étapes du processus de production : distribution, tri, transport, réseau, structure...).

Parallèlement, les exigences imposées à La Poste ont été formalisées sur le plan réglementaire, par le décret du 8 février 2001 modifiant l'article 33 du cahier des charges de La Poste, qui impose à cette dernière une « tenue de comptes séparés pour chacun des services dont l'exclusivité lui est réservée d'une part, et pour les autres services, d'autre part, en isolant parmi ces derniers, ceux qui relèvent de l'offre de service universel et ceux qui relèvent de ses activités financières ».

Sur le plan opérationnel, les ministres ont demandé à La Poste, qui s'y est engagée, de produire des comptes analytiques sur le nouveau modèle avant la fin de l'année 2001.

Pourtant, et votre Commission des Affaires économiques le déplore, la mise en place de cette nouvelle compatibilité analytique semble n'avancer qu'à pas de fourmis .

2. Préparer La Poste par une loi d'orientation postale

Depuis la publication du rapport d'information précité, rédigé par le Président Gérard Larcher « Sauver la Poste : devoir politique, impératif économique 19( * ) », en octobre 1997, votre commission ne cesse de réclamer la discussion d'une grande loi d'orientation postale, qui assure l'avenir de La Poste et intègre les évolutions rendues nécessaires par l'évolution du secteur, aussi bien que par le droit communautaire.

Le Gouvernement s'était, un temps, engagé à cette discussion.

Ainsi, au compte rendu des débats de l'Assemblée nationale du 2 février 1999, lors de la discussion du projet de loi d'orientation d'aménagement du territoire, figurent les propos suivants du ministre chargé de la poste, tenus au sujet de l'amendement de transposition de la directive postale déposé par le Gouvernement (réitérés au Sénat le 25 mars 1999) :

« La Commission supérieure du service public a été consultée sur ce texte (...). Nous comprenons sa préoccupation, (...) que je sais partagée sur tous ces bancs, que puisse être examiné par le Parlement un projet d'ensemble se rapportant à ces questions du service public de La Poste.

« C'est pourquoi, comme je l'ai indiqué à la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, j'ai proposé au premier ministre que le Gouvernement dépose, dans les prochains mois, un projet de loi qui donnera aux activités postales un cadre juridique complet et qui confortera ainsi la lisibilité d'ensemble de notre réglementation relative au service public. Il permettra, par ailleurs, de débattre largement -je pense que nous en avons besoin- du service public, de sa modernisation, de son encouragement par les pouvoirs publics et par le Gouvernement ».

On sait bien qu'il n'en a rien été, le Gouvernement demandant au contraire au Parlement de l'habiliter à finir de transposer par voie d'ordonnance la directive postale de 1997, ce qui lui fut finalement refusé par le Parlement, à l'initiative de la commission des lois, saisie au fond de ce texte, de votre commission, saisie pour avis 1 et de son rapporteur, notre collègue Ladislas Poniatowski.

Votre Commission des Affaires économiques estime en effet, depuis plus de quatre ans, qu'une loi d'orientation postale est nécessaire pour assurer l'avenir de La Poste et tracer son chemin dans un nouvel environnement libéralisé. Elle doit aborder sans tabous les questions essentielles : statut de l'entreprise et garanties pour son personnel, prise en charge des retraites, services financiers, aménagement postal du territoire, compensation des missions d'intérêt général.

Sans doute ce sujet sera-t-il un des enjeux de la prochaine législature.

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