B. LA PROPOSITION ALTERNATIVE DÉFENDUE PAR LA FRANCE

Un consensus se dégage sur la nécessité de réformer la Politique commune de la Pêche qui, au titre d'acquis de la construction européenne, doit être préservée mais dont les dysfonctionnements et les incohérences sont patents.

Toutefois, dès le 2 janvier dernier, le Sénat a exprimé sa préoccupation à l'égard des axes de réforme dessinés par le Livre vert de la Commission en votant une résolution européenne 7 ( * ) , dont le texte est joint en annexe à ce rapport.

1. Les pistes ouvertes par la résolution européenne votée par le Sénat le 2 janvier 2002

Concernant la préservation de la ressource, le Sénat a exprimé le souhait que les TAC et quotas redeviennent un instrument central de gestion des ressources . En effet, la limitation des captures par la détermination au niveau européen de Totaux Admissibles de Capture (TAC) et leur répartition entre Etats sous forme de quotas nationaux présentent plusieurs avantages :

- en tant qu'instrument de gestion de la ressource, il s'agit de l'outil le plus direct. A cet égard, il est aussi le mieux compris par la profession ;

- en tant qu'instruments de régulation et de répartition des accès, les TAC et quotas s'appuient sur des bases historiques objectives et simples. Dans ce sens, ils permettent une grande clarté dans les critères d'allocation, alors même que l'effort de pêche est un paramètre technique dont le mode de mesure est encore aujourd'hui mal cerné.

Toutefois, le Sénat convenait que des ajustements devaient toutefois être proposés pour redonner au régime des TAC et quotas toute son efficacité.

Ces ajustements devraient permettre de :

- gérer les TAC sur une base pluriannuelle, ce que la Commission envisage également mais d'une manière trop globalisante. Une approche pluriannuelle contribuera à régler le conflit récurrent entre les impératifs socio-économiques de court terme, impliquant nécessairement une progressivité dans les variations des TAC, et la gestion de la ressource sur les moyen et long termes ;

- augmenter le nombre de stocks couverts et mieux prendre en compte la pêche simultanée d'espèces différentes. En effet, certains stocks étant fréquemment capturés simultanément, leur gestion ne peut être considérée séparément ;

- renforcer et harmoniser les contrôles au niveau communautaire ;

- impliquer les professionnels dans le processus d'élaboration des TAC afin d'accroître la concertation et la transparence, donc la compréhension, et de partager la responsabilité de gestion de la ressource ;

- développer la recherche afin d'améliorer l'évaluation des stocks, la connaissance des espèces, des engins et des pêcheries.

En matière de recherche , le Sénat insistait sur la nécessité d'une coopération entre les chercheurs et les professionnels, dont l'expérience et les connaissances permettront la mise en oeuvre des solutions techniques et technologiques les plus adaptées.

Surtout, il suggérait de développer une contre-expertise , permettant d'apprécier la qualité des évaluations scientifiques disponibles, éventuellement de pouvoir les remettre en cause par des études plus complètes ou mieux documentées et d'orienter le champ d'investigation de la recherche aux domaines et aux espèces qui représentent le plus grand intérêt pour le secteur des pêches de la Communauté dans son ensemble. Un tel débat scientifique apparaît en effet indispensable pour asseoir la crédibilité des limitations de capture.

A cet égard, s'agissant de la pêche minotière -destinée à la production de farines de poissons-, qui prélève un million et demi de tonnes de poissons, soit presque autant que la pêche espagnole et la pêche française cumulées, son impact sur la ressource, notamment par des captures annexes ou par les déséquilibres induits sur la chaîne alimentaire, mériterait d'être étudié de plus près.

En outre, la résolution du Sénat encourage la mise en oeuvre d'instruments complémentaires de gestion de la ressource : amélioration de la sélectivité des engins pour « trier sur le fond plutôt que sur le pont », arrêts temporaires de pêcherie (notamment pendant les périodes de frai) du type de celles pratiquées en Bretagne pour la coquille Saint Jacques...

Le Sénat invitait également à améliorer la politique de contrôle pour la rendre efficace et équitable. En effet, au même titre que les limitations de capture, la politique de contrôle en mer et à terre constitue un moyen primordial pour assurer une pêche durable, or elle présente aujourd'hui de graves défaillances. Un meilleur contrôle des pêches -exigeant standardisation des procédures de contrôle, uniformité, équité et transparence dans l'application- est certainement une clef de la réussite de la politique commune des pêches et de l'efficacité de ses instruments de gestion. Le Sénat souhaitait que soit envisagé à cette fin le développement du corps des inspecteurs communautaires .

En revanche, le Sénat a exprimé sa ferme volonté de rompre avec la logique capacitaire de gestion de la flotte.

Observant que les plans d'orientation pluriannuels (POP) constituaient, à l'origine, un complément aux différents instruments du volet « ressources » de la Politique commune de la Pêche, votre rapporteur souligne qu'au gré d'une dérive dans la hiérarchie des instruments, le POP a progressivement supplanté les outils qu'il avait seulement pour objet de renforcer.

Au prix de destructions lourdes menaçant l'équilibre socioéconomique et la vie de nombreuses régions littorales, les POP ont démontré leur inefficacité -reconnue par la Commission- face à leur extraordinaire coût social et administratif. Principales cibles du mécontentement des professionnels, les POP sont jugés arbitraires et inéquitables, leur gestion opaque, leurs effets pervers et paralysants.

Après plus de quinze ans de destruction capacitaire, la casse de 8.000 navires qu'envisage à nouveau la Commission, n'est plus une réponse acceptable face à la surexploitation de certains stocks. L'encadrement de la flotte, selon les termes de la résolution du Sénat, doit respecter le principe de subsidiarité, chaque Etat pouvant choisir sa politique d'aide à la flotte, dans le respect des quotas de pêche fixés.

Enfin, le Sénat a estimé indispensable que soit prise en compte la dimension sociale de la pêche : la Commission prévoit la reconversion éventuelle des 28.000 professionnels qui pourraient être affectés par son projet de réforme.

Mais elle ne propose pas de réduire les distorsions de régimes sociaux entre les pays membres de l'Union, ni d'améliorer ou d'harmoniser les conditions de travail très différentes des marins-pêcheurs dans les différents pays de l'Union. De surcroît, elle néglige le rôle déterminant que joue la pêche -notamment petite 8 ( * ) - pour la cohésion économique et sociale de nombreuses régions littorales et la mission d'animation et d'aménagement du territoire qu'elle remplit.

Pour conclure, la position du Sénat peut se résumer ainsi : la première exigence de la Politique commune de la Pêche doit être de garantir une pêche durable, ce qui implique effectivement de limiter l'exploitation de la ressource mais ne passe pas exclusivement par une réduction de la puissance et du nombre de nos navires. En assurant une utilisation plus responsable des instruments de gestion et d'encadrement des activités de pêche et en améliorant leur efficacité par un contrôle renforcé, la viabilité à long terme de l'activité de pêche, comme celle de la ressource, peuvent être garanties simultanément et non alternativement.

* 7 Rapport 2001-2002 de M. Alain Gérard : Avenir de la politique commune de la pêche.

* 8 La petite pêche côtière se caractérise par des sorties inférieures à 24 heures. Les navires de la petite pêche représentent 80 % des entreprises de pêche et 50 % des équipages en France. L'importance économique de ce segment se mesure donc autrement que par les quantités débarquées.

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