B. LES APPORTS INCONTESTABLES DU PRÉSENT PROJET DE LOI À LA LUTTE CONTRE LA MARGINALISATION

1. Le renforcement des dispositifs intéressant les immeubles collectifs à usage d'habitation et les copropriétés dégradés

En premier lieu, le présent projet de loi propose deux dispositifs visant à suppléer la carence des propriétaires ou des personnes chargées de la gestion d'immeubles collectifs à usage d'habitation dégradés :

- d'une part, l'intervention de l'autorité publique, en vue de prescrire les mesures destinées à prévenir ou à éliminer les risques graves que la dégradation des équipements collectifs de ces immeubles peut entraîner pour la sécurité de leurs occupants ( article 15 ) ;

- d'autre part, la faculté pour l'autorité de publique de procéder à l'expropriation pour cause d'utilité publique d'immeubles pour lesquels la carence de la personne chargée de leur gestion a été constatée par la voie juridictionnelle ( article 17 ). Cette possibilité est complétée par une modification du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, afin de permettre la cession ou la concession des immeubles expropriés à la suite de la procédure susvisée ( article 18 ).

En second lieu, le présent projet de loi améliore la législation relative au régime de la copropriété :

- en prévoyant que l'administrateur provisoire de copropriété - qui peut être nommé lorsque l'équilibre financier du syndicat de copropriétaires est gravement compromis ou lorsque le syndicat est dans l'impossibilité de pourvoir à la conservation de l'immeuble - peut se faire assister par un tiers dans le cadre de l'accomplissement de sa mission ( article 16 ) ;

- en offrant expressément le bénéfice de l'aide juridictionnelle aux copropriétés en difficulté qui font l'objet de plans de sauvegarde ou d'opérations programmées d'amélioration de l'habitat ( article 19 ).

Le souci de lutter contre les exclusions résultant des situations durables de surendettement des particuliers a également conduit le Gouvernement à prévoir une nouvelle procédure complétant le dispositif actuel de traitement du surendettement.

2. L'amélioration du dispositif actuel de traitement des situations de surendettement

Afin d'adapter les dispositions actuelles du code de la consommation à l'évolution du surendettement, le projet de loi modifie certains aspects ponctuels de la procédure définie aux articles L. 331-1 et suivants du code de la consommation et crée une procédure nouvelle dite de « rétablissement personnel ».

a) Des modifications ponctuelles de la procédure de traitement des situations de surendettement

Sur divers aspects, le présent projet de loi modifie le dispositif actuel de traitement des situations de surendettement.

Afin de renforcer les compétences juridiques et sociales des commissions de surendettement, le Gouvernement a d'abord souhaité rendre obligatoire la participation d'un juriste et d'une personne qualifiée en économie sociale et familiale ( article 27-II ).

Le présent projet de loi prévoit, par ailleurs, de revoir les modalités du calcul des facultés de remboursements du débiteur surendetté, afin que ne soient désormais plus prises en compte les prestations insaisissables ( article 27-III ).

Il fixe, en outre, un délai maximum d'instruction du dossier par la commission de surendettement d'une durée de cinq mois et interdit aux créancier du débiteur de percevoir des frais ou commissions en cas de rejet d'un avis de prélèvement, lorsque le dossier du débiteur a été déclaré recevable par la commission ( article 27-IV ).

Le projet de loi tend, par ailleurs, à limiter la durée du plan de redressement amiable à huit ans, sous réserve de son renouvellement pour deux années supplémentaires ( article 27-VII ).

Il vise enfin, et surtout, à permettre l'effacement des dettes du débiteur ayant une nature fiscale, parafiscale, ainsi que les dettes contractées envers les organismes de sécurité sociale ( article 27-VIII et 27-IX ).

b) La création d'une procédure de « rétablissement personnel »

L'un des aspects majeurs du présent projet de loi est la mise en place d'une procédure de « rétablissement personnel », applicable aux particuliers surendettés dont la situation financière est totalement obérée et pour lesquels il serait vain de recourir au dispositif actuel de traitement des situations de surendettement.

? Cette procédure s'inspire du régime de « faillite civile » organisé par les articles 22 à 24 de la loi du 1 er juin 1924 portant introduction des lois commerciales françaises dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, aujourd'hui codifiés aux articles L. 628-1 à L. 628-3 du code de commerce.

Le bénéfice de la faillite civile est ouvert aux débiteurs, domiciliés dans l'un des trois départements susvisés qui ne sont ni commerçants, ni artisans, ni agriculteurs lorsque leur insolvabilité notoire est constatée, sans condition de bonne foi. Cette procédure permet, par application des règles définies aux articles L. 621-33 et suivants du code de commerce, de mettre en oeuvre une procédure collective devant le tribunal de grande instance.

Le jugement prononçant l'ouverture de la procédure a pour effet de suspendre les poursuites individuelles et les procédures civiles d'exécution jusqu'au jugement clôturant la procédure, d'obliger les créanciers à déclarer leurs créances à un mandataire, et d'interdire au débiteur de payer les dettes antérieures, à l'exception des dettes courantes. L'issue de la procédure consiste soit dans le redressement judiciaire, si un plan d'apurement des dettes peut être établi, soit dans la liquidation judiciaire qui emporte effacement des dettes du débiteur.

Dans le cadre du rapport du groupe de travail commun sur le surendettement de votre commission des Lois et de votre commission des Finances, votre rapporteur avait, en 1997, écarté l'application pure et simple du régime de la faillite civile à l'ensemble du territoire français, compte tenu des inconvénients qu'elle présentait en termes de déresponsabilisation des débiteurs et de fraude 9 ( * ) .

Force est cependant de constater que le nouveau visage du surendettement rend aujourd'hui indispensable le recours à une procédure permettant d'offrir un « nouveau départ » aux particuliers dans l'impossibilité de faire face, dans un délai raisonnable, à leur passif en raison d'un accident de la vie.

Votre commission constate d'ailleurs que la procédure proposée par le présent projet de loi présente des avantages notables par rapport à la procédure de faillite civile : la bonne foi du débiteur est une condition d'ouverture de la procédure de rétablissement personnel ; cette dernière ne concerne que les dettes non professionnelles du débiteur ; en outre, cette nouvelle procédure ne fait pas disparaître le rôle des commissions de surendettement qui demeure central.

? Rappelons également qu'en se dotant d'une procédure offrant aux particuliers la possibilité de voir leurs dettes effacées, le présent projet de loi introduit en droit français une procédure présentant des similitudes avec des mécanismes prévus par les législations de plusieurs Etats étrangers.

Aux Etats-Unis d'Amérique , la loi fédérale sur la faillite 10 ( * ) , assimilant les particuliers à des entrepreneurs, permet ainsi d'offrir à certains surendettés la possibilité d'un « nouveau départ » ( fresh start ). Le débiteur est notamment fondé, au titre de la procédure de liquidation prévue par le code, à réclamer auprès du juge l'apurement de ses dettes, en échange de l'abandon de ses biens dont la vente assure le désintéressement des créanciers 11 ( * ) . Certains biens constituant l'actif ne peuvent néanmoins pas être réalisés dans le cadre de cette procédure.

Au Royaume-Uni , la loi sur la faillite de 1986 12 ( * ) permet aux personnes physiques, commerçants ou non, de voir leurs dettes effacées à l'issue d'une procédure au cours de laquelle, après jugement déclaratif de faillite, un syndic réalise la masse de la faillite et la distribue aux créanciers, certains biens du débiteur ne pouvant cependant être liquidés.

Au Danemark , la loi sur la faillite, adoptée en 1984, offre aux débiteurs surendettés non commerçants la possibilité de voir leurs dettes effacées au terme du plan de redressement et ce, de façon inconditionnelle, cet effacement ne dépendant pas, en principe, du respect par le débiteur des obligations du plan.

? La nouvelle procédure mise en place par le projet de loi se caractérise cependant par une grande complexité, tant en elle-même que dans son articulation avec la procédure existante de traitement des situations de surendettement, comme en témoigne le schéma établi page suivante.

Ainsi, aux termes du V de l'article 27 du présent projet de loi, la nouvelle procédure ne serait ouverte, devant le juge d'instance, que si la bonne foi et la situation irrémédiablement compromise du débiteur sont constatées.

Le juge ne pourrait ouvrir la procédure de rétablissement personnel qu'après avoir été saisi en ce sens par une commission de surendettement ou, le cas échéant, par le débiteur lui-même si celle-ci n'a pas instruit son dossier dans un délai de cinq mois, voire par le juge de l'exécution, saisi d'une contestation de la décision de la commission refusant de transmettre le dossier du débiteur au juge d'instance.

Une fois la procédure ouverte, le juge nommerait un mandataire chargé de recenser les créanciers et de dresser un bilan de la situation économique et sociale du débiteur. A compter de cette désignation, le débiteur ne pourrait plus aliéner ses biens sans l'accord du mandataire. Le juge pourrait également faire procéder à une enquête sociale et ordonner un suivi social du débiteur.

Lorsque le débiteur possède des biens permettant d'apurer une partie de son passif, le juge, après le dépôt du rapport du mandataire, désignerait un liquidateur chargé de vendre les biens du débiteur afin de désintéresser les créanciers. Enfin, il prononcerait soit la clôture de la procédure, lorsque le passif est entièrement apuré, soit la clôture pour insuffisance d'actif, si tous les créanciers n'ont pu être désintéressés.

PROJET DE LOI INITIAL

L. 1989 + L. 1995 + L. 1998

Impossibilité manifeste pour le débiteur de bonne foi de faire face à l'ensemble de ses dettes échues ou à échoir (L. 331-2)

Particulier surendetté

Saisine de la commission départementale de surendettement
(L. 331-4)

le cas échéant : saisine du JEX par la commission pour suspension des procédures d'exécution (= 1 an)
(L. 331-5)

Examen

Constat

Absence de ressources ou biens saisissables de nature à permettre d'apurer tout ou partie du passif

(L. 331-7-1 a contrario )

Existence de ressources ou biens saisissables de nature à permettre d'apurer tout ou partie

du passif (L. 331-7-1 a contrario )

Saisi à la demande, le cas échéant:}

Si bonne foi + accord du débiteur

Procédure de rétablissement personnel devant le juge d'instance

- du débiteur (si pas de décision de}

la commission dans les 5 mois) }

1. Jugement d'ouverture, après appréciation
de la situation + bonne foi.
A défaut : renvoi en commission de surendettement (L. 331-3-6 nouveau )

2. Nomination d'un mandataire

- du JEX (si contestation de la }
décision de la commission de }
ne pas saisir ? examen de sa situation} 2 types de mesures en 2 étapes 2 types de mesures en 2 étapes

(L. 331-3-7 nouveau )

2. Nomination d'un mandataire

Situation du débiteur
irrémédiablement compromise
(L. 331-3-1 nouveau )

Débiteur ne possédant pas de biens autres que des biens meublants nécessaires à la vie courante
(L. 331-3-4 nouveau )

Débiteur possédant des biens autres que des biens meublants nécessaires à la vie courante
(L. 331-3-4 a contrario )

1. PLAN CONVENTIONNEL 1. MORATOIRE (= 3 ans)
DE REDRESSEMENT sur toutes créances ? alimentaires

Si conciliation et accord des ? fiscales
parties (= 8 + 2 ans) 2. REEXAMEN DE LA SITUATION
(L. 331-6 modifié ) À L'ISSUE DE LA PÉRIODE

à défaut ,

3. Rapport dans les 4 mois + 3. Rapport 2 mois 2. RECOMMANDATIONS Reconstitution Situation
désignation d'un liquidateur
(L. 331-3-2 (sauf dettes alimentaires) (L.331-7) du patrimoine d'insolvabilité
nouveau ) pour vente des biens + rendues exécutoires par décision Recommandations Recommandations
du JEX (L.332-1) (L. 331-7) en vue de l'effacemt

4. Désintéressement des créanciers 4. Décision du juge (L. 331-3-4 nouveau ) rendues exécutoires total ou partiel des
par rang de sûretés (L. 331-3-5 nouveau ) par JEX (L. 332-1) créance alimentaires

5. Clôture de la procédure clôture en principe : clôture Exceptionnellement, si la liquidation et fiscales pour 8 ans,

clôture pour pour insuffisance d'actif peut être évitée : rendues exécutoires
insuffisance d'actif sans vente de biens plan de redressement (= 10 ans) par le JEX (L.332-1)

+ mesures de suivi social éventuelles + Inscription au FICP pour 5 ans Inscription au FICP pour 8 ans (L. 333-4)

(L. 331-3-3 nouveau ) (L. 331-3-5 nouveau )Lorsque le débiteur ne possède que des biens meublants nécessaires à la vie courante ou des biens non professionnels indispensables à l'exercice de son activité, le juge prononcerait, sans désigner de liquidateur et faute d'actif réalisable, la clôture de la procédure pour insuffisance d'actif. Toutefois, il pourrait, de manière exceptionnelle établir un plan de redressement si la liquidation peut être évitée.

Dans tous les cas, le juge pourrait ordonner des mesures de suivi social et le débiteur ferait l'objet d'une inscription au fichier des incidents de paiements (FICP) pour une durée de cinq ans.

Outre sa complexité, la procédure retenue par le texte initial du projet de loi comporte un certain nombre de contradictions.

La compétence du juge d'instance pour connaître de cette procédure en est la première illustration, alors que le juge « naturel » du surendettement est, depuis 1998, le juge de l'exécution.

Les possibilités de va-et-vient, à plusieurs stades de la procédure, entre la procédure de rétablissement et la procédure de traitement du surendettement « classique » en est une autre, de même que la multiplication des stades auxquels la condition de bonne foi et l'existence d'une situation irrémédiablement compromise sont examinées.

En première lecture, l'Assemblée nationale a cependant apporté des modifications substantielles au dispositif, modifications qui vont dans le sens d'une amélioration sensible des procédures instituées par le projet de loi.

* 9 « Surendettement : prévenir et guérir », op. cit., pages 65 à 68.

* 10 US Bankrputcy Act (1978).

* 11 Ibid., chapitre 7 : « liquidation bankruptcy ».

* 12 Insolvency Act (1986).

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