N° 194

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 3 février 2004

AVIS

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer , par ordonnances , des directives communautaire s et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire ,

Par M. Jean-Léonce DUPONT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Jacques Legendre, Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; M. François Autain, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernand Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Serge Lepeltier, Mme Brigitte Luypaert, MM. Pierre Martin, Jean-Luc Miraux, Dominique Mortemousque, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jacques Pelletier, Jack Ralite, Victor Reux, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, Jean-Marie Vanlerenberghe, André Vallet, Marcel Vidal, Henri Weber.

Voir les numéros :

Sénat : 164 , 197 et 199 (2003-2004)

Union européenne.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Comme plusieurs autres commissions, la commission des affaires culturelles a souhaité se saisir pour avis du projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire. Cette saisine concerne la transposition, pour certaines professions, de la directive 2001/19/CE du 14 mai 2001 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.

Votre commission laissera à la commission des affaires économiques, saisie au fond, le soin de rappeler le retard pris par la France en matière de transposition des directives européennes et de détailler les raisons qui ont conduit le Gouvernement à recourir à cette procédure d'habilitation par ordonnances.

Elle rappellera seulement que le Gouvernement a mis en oeuvre, depuis novembre 2002, un plan d'action destiné à accélérer la transposition des directives. Des progrès notables ont ainsi été enregistrés dans le domaine réglementaire, mais ils s'avèrent plus modestes s'agissant des mesures de transposition de nature législative, que requièrent cependant près de 40 % des directives. En effet, l'ordre du jour chargé des assemblées parlementaires n'a pas permis au Gouvernement de leur soumettre en temps utile tous les projets de loi de transposition qui auraient permis à notre pays de respecter ses obligations communautaires.

En 2002, les chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union étaient convenus de réduire la part des directives non transposées à moins de 1,5 % (et de garantir l'application de toutes les directives dont le retard de transposition dépasse deux ans).

Or, la France se situait, en novembre dernier, au dernier rang de l'Union européenne en ce domaine, avec 3,8 % de directives non transposées. A la faveur du plan d'action précité, ce taux a été récemment réduit à 3 %, mais il reste deux fois supérieur à l'objectif communautaire.

Par conséquent, notre pays s'est exposé à de nombreux contentieux sur le plan communautaire. Il convient de préciser, en particulier, que la directive dont votre commission a souhaité se saisir a fait l'objet d'un avis motivé de la Commission européenne le 17 octobre 2003 . Cette dernière pourrait dès lors décider très prochainement de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'un recours en manquement. La transposition de cette directive aurait dû, en effet, être effectuée avant le 1 er janvier 2003.

Il faut rappeler, par ailleurs, que dans le cadre de la procédure d'habilitation, les pouvoirs dont dispose le Parlement sont contraints, les assemblées ne pouvant qu'accepter la délégation du pouvoir législatif ou la contester, en la refusant ou en en limitant le champ. Rien ne saurait en l'espèce justifier un tel refus ou une telle limitation du champ d'intervention prévu par le présent projet de loi d'habilitation. C'est pourquoi, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption du projet de loi pour les mesures relevant de sa compétence.

I. LES DIRECTIVES RELATIVES À LA RECONNAISSANCE DES DIPLÔMES ET DES QUALIFICATIONS PROFESSIONNELLES

A. DEUX APPROCHES : L'UNE SECTORIELLE, L'AUTRE HORIZONTALE

La reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles dans l'Union européenne s'est effectuée de façon progressive, dans le cadre de la construction du marché intérieur, qui vise à donner aux citoyens de l'Union une plus grande liberté pour circuler, travailler, étudier et s'établir dans d'autres Etats membres.

Dès l'origine, la Communauté européenne s'est efforcée de donner un contenu concret à ces principes, qui impliquent le droit pour les ressortissants des pays de la Communauté d'accéder à une activité professionnelle dans n'importe quel Etat membre.

Il est donc apparu nécessaire de coordonner entre les Etats membres les conditions d'accès aux divers emplois, en particulier en ce qui concerne l'équivalence des diplômes et des qualifications professionnelles : l'Europe a ainsi engagé une politique visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres délivrés par les systèmes d'enseignement nationaux.

1. Les directives « sectorielles »

L'approche sectorielle -la première à avoir été mise en oeuvre- a consisté à adopter des directives spécifiques pour un certain nombre de professions réglementées. Ces textes fixent les règles minimales communes pour les professions concernées et arrêtent les listes de diplômes des Etats membres qui, répondant à ces règles, bénéficient d'une reconnaissance mutuelle automatique. Ils ont concerné successivement les professions de médecin, d'infirmier responsable de soins généraux, de dentiste, de vétérinaire, de sage-femme et de pharmacien. Dans ce cas, tout citoyen de l'Union européenne ayant acquis dans un Etat membre l'expérience ou la formation professionnelle a le droit d'exercer librement sans que l'Etat d'accueil ait un droit d'appréciation.

2. Les directives « horizontales »

A partir de 1988, une approche « horizontale » a été mise en oeuvre tendant à organiser un système général de reconnaissance des diplômes et formations professionnelles. Deux directives concernent cette reconnaissance :

- La directive 89/48/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 est relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans.

Cette directive oblige les Etats membres de l'Union européenne à prendre en considération les qualifications acquises dans un autre Etat membre et à apprécier si celles-ci correspondent aux qualifications nationales exigées. Elle impose aussi aux Etats de reconnaître une valeur aux diplômes délivrés ou à l'expérience professionnelle acquise dans un autre Etat.

Le pays d'accueil a le droit d'imposer au demandeur des « mesures compensatoires », c'est-à-dire soit un stage d'adaptation ou une épreuve d'aptitude lorsqu'il existe des différences substantielles entre la formation requise et celle acquise par l'intéressé, soit une expérience professionnelle préalable lorsque les durées de formation sont différentes.

- La directive 92/51/CEE du Conseil du 18 juin 1992 met en place un second système de reconnaissance des formations professionnelles. Elle complète la directive précitée en étendant son dispositif aux enseignements supérieurs d'une durée inférieure à trois ans.

Comme pour la directive 89/48, si l'équivalence est contestée par le pays d'accueil, des compensations peuvent être requises sous forme soit de stage ou d'épreuve d'aptitude, au choix du demandeur, soit d'une expérience professionnelle préalable lorsque la différence de durée de formation dépasse un an.

B. LES PRINCIPALES MODIFICATIONS INTRODUITES PAR LA DIRECTIVE 2001/19/CE

La directive 2001/19/CE du 14 mai 2001 -qui s'inscrit dans le cadre du programme SLIM (Simplifier la législation concernant le marché unique), lancé en mai 1996 dans le but de supprimer les obstacles à l'achèvement et au bon fonctionnement du marché intérieur- vise à simplifier et clarifier ce dispositif de reconnaissance mutuelle des diplômes, titres et qualifications.

Cette directive tend à modifier certaines dispositions des directives dites « sectorielles » et des directives dites « horizontales » ou générales mentionnées ci-dessus.

Elle ne modifie pas en profondeur les dispositifs de reconnaissance de diplômes et de qualifications professionnelles existants. L'essentiel des innovations qu'elle introduit vise à une meilleure prise en compte de l'expérience professionnelle des migrants . Les Etats membres doivent ainsi examiner si l'expérience professionnelle acquise par le demandeur après l'obtention du ou des titres dont il fait état couvre les matières qui manquent à sa formation par rapport à celles couvertes par le diplôme requis dans l'Etat membre d'accueil.

Pour les professions couvertes par une directive sectorielle, la directive 2001/19/CE impose également la prise en compte, sur la base d'un examen au cas par cas, des diplômes obtenus dans un Etat tiers dès lors que leur titulaire est lui-même ressortissant de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) et que son diplôme a déjà fait l'objet d'une reconnaissance dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou de l'EEE.

Elle prévoit, par ailleurs, des dispositions transitoires concernant les ressortissants italiens, au profit des pharmaciens et de certains professionnels exerçant l'art dentaire.

Votre rapporteur rappelle, pour mémoire, que votre commission avait -en 1998- été saisie d'une proposition de résolution présentée par M. Michel Barnier sur la proposition de directive devenue directive 2001/19/CE. Suscitait alors l'inquiétude le niveau de formation exigé pour l'accès aux formations menant aux professions d'encadrement sportif. Mais ces professions ne sont pas concernées par le présent projet de loi.

II. LA TRANSPOSITION PAR ORDONNANCE DE LA DIRECTIVE 2001/19/CE

Votre commission s'est saisie du projet de transposition par ordonnance, pour certaines professions, de cette directive, transposition prévue par le 5° du II de l'article 1 er du présent projet de loi .

A. UNE TRANSPOSITION LIMITÉE À CERTAINES PROFESSIONS

1. Des modifications limitées concernant certaines professions médicales et para-médicales

Les mesures de transposition que prévoit l'avant-projet d'ordonnance -qui a été communiqué à votre rapporteur- ne concernent que les médecins, les infirmiers, les sages-femmes, les praticiens de l'art dentaire, les pharmaciens et les assistants de service social. Les dispositions visées doivent bien faire l'objet d'une transposition législative, et non réglementaire, dans la mesure où le législateur est compétent pour fixer les principes fondamentaux de l'enseignement, donc des conditions d'accès et d'exercice des professions.

Cet avant-projet, qui n'a cependant pas encore fait l'objet d'un examen interministériel, comporte neuf articles, dont l'un tend à modifier le code de l'éducation et les autres, les codes de la santé publique et de l'action sociale et des familles.

• Les modifications concernant le code de l'éducation visent exclusivement les professions médicales et dentaires.

Elles tendent à introduire deux articles après l'article L. 632-12 du code qui vise à favoriser à la fois la mobilité étudiante (en facilitant l'accès des étudiants étrangers européens au troisième cycle français), le changement de spécialité des médecins français et européens en cours de vie professionnelle, et l'accès à la qualification de spécialiste de médecins étrangers non communautaires. Ces deux articles imposeraient qu'il soit désormais tenu compte, pour les spécialistes en médecine et en art dentaire, de la formation spécialisée du demandeur, de son expérience professionnelle, de sa formation complémentaire et de sa formation médicale continue, ceci dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Il convient de préciser qu'en visant ainsi, non seulement les acquis de l'expérience, mais aussi la formation complémentaire et continue du ressortissant, seraient ainsi transposées les dispositions de la directive 2001/19, mais aussi certaines dispositions des directives sectorielles antérieures et non complètement transposées. En effet, l'obligation pour les Etats membres d'accueil de tenir compte de la formation spécialisée initiale accomplie par le candidat dans son Etat d'origine ou de provenance, est prévue par l'article 6 de la directive 78/686 visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres du praticien de l'art dentaire, et par l'article 8 de la directive 93/16 visant à faciliter la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes, certificats et autres titres, et elle n'a pas encore été transposée en droit interne. Il est donc nécessaire d'y procéder à l'occasion de la transposition de la directive 2001/19 précitée.

D'après les informations communiquées à votre rapporteur, ces dispositions devront être complétées par des mesures d'ordre réglementaire. Il s'agirait tout d'abord d'un décret en Conseil d'Etat qui pourrait être commun aux deux formations et préciserait notamment la composition du dossier constitué par l'intéressé, la durée du traitement du dossier (le délai de quatre mois étant dérogatoire à celui prévu par l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations), l'institution d'un jury chargé d'apprécier le dossier du candidat, les modalités d'exemption de certaines épreuves des diplômes ou certificats présentés par le candidat. Enfin, un certain nombre de textes devraient être modifiés, notamment l'arrêté du 4 août 1987 relatif au certificat d'études cliniques spéciales mention « orthodontie ».

• Les modifications concernant les codes de la santé publique et de l'action sociale

Ces modifications -dans le détail desquels il ne sera pas entré- concernent les professionnels suivants  : les médecins, les infirmiers, les sages-femmes, les praticiens de l'art dentaire, les pharmaciens et les assistants de service social (avec des dispositions spécifiques, ainsi qu'il a été dit précédemment, pour certains professionnels italiens).

Le cas des architectes et des géomètres-experts

S'agissant des architectes et des géomètres-experts, on aurait pu concevoir que les dispositions législatives, qui s'imposent également à ces professions, soient adoptées par ordonnance sur la base de la présente habilitation. D'après les informations données à votre rapporteur, en l'état actuel des discussions interministérielles, le Gouvernement souhaiterait plutôt, par souci de cohérence, inclure lesdites dispositions dans un prochain projet de loi comportant d'autres dispositions relatives à ces deux professions.

2. Une exigence de transposition déjà satisfaite pour d'autres professions

Seules sont concernées par l'avant-projet d'ordonnance les professions mentionnées ci-dessus, la transposition ayant déjà été réalisée, ou devant l'être par voie réglementaire, pour les autres professions concernées par la directive, à l'exception mentionnée ci-dessus des architectes et des géomètres-experts. En effet :

- s'agissant des professions paramédicales (hors  infirmiers) et de psychologues, les dispositions législatives sont déjà conformes à la directive (articles L. 4321-4, L. 4322-4, L. 4331-4, L. 4332-4, L. 4341-4, L. 4342-4, L. 4351-4, L. 4361-4, L. 4362-3, L. 4371-4 du code de la santé publique et article 44 de la loi du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social modifiée par l'ordonnance 2001-199 du 1 er mars 2001) ;

- pour les vétérinaires, la transposition ne nécessitait pas de disposition législative, celle-ci ayant été effectuée par voie réglementaire (arrêté du 29 juillet 2002) ;

- pour les experts-comptables, les mesures seront prises par ordonnance sur le fondement de l'habilitation prévue par l'article 27 de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.

Pour les autres professions réglementées (avocats, éducateurs sportifs, guides touristiques...), la transposition ne nécessite pas de dispositions législatives, mais exclusivement d'ordre réglementaire.

B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Votre commission se félicite, tout d'abord, que le Gouvernement ait -conformément aux engagements pris auprès des présidents des assemblées parlementaires- communiqué le projet d'ordonnance, ce qui permet bien évidemment à celles-ci de se prononcer en toute connaissance de cause sur le présent projet de loi.

Elle relève par ailleurs avec satisfaction que l'habilitation sollicitée par le Gouvernement est définie de manière circonscrite et précise. Elle respecte les strictes exigences imposées par le droit communautaire afin que soit prises l'ensemble des mesures permettant de garantir le respect des objectifs de la directive concernée.

Compte tenu de l'ordre du jour prévisible des assemblées parlementaires, votre commission s'interroge toutefois sur le délai dans lequel le Gouvernement sera en mesure de présenter les dispositions concernant les professions d'architecte et de géomètre-expert , dans un prochain projet de loi comportant d'autres dispositions relatives à ces deux professions. Sur le fond, une telle solution retient évidemment sa préférence, mais le risque contentieux lié au retard de transposition des dispositions concernées ne devrait-il pas inciter à la prudence ?

Enfin, votre commission ne peut que soutenir la démarche du Gouvernement tendant à combler le retard de la France en matière de transposition des directives européennes dans le droit national. Elle formule, par conséquent, le voeu que soit respecté le délai fixé par l'article 10 du présent projet de loi pour la transposition par ordonnance de la directive 2001/19/CE, à huit mois suivant la promulgation de celui-ci.

Sous réserve de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi pour les mesures relevant de sa compétence.

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