2. Des moyens juridiques et matériels accrus pour lutter contre l'immigration irrégulière en Guadeloupe et en Guyane

Comme l'a récemment relevé la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine, une partie de l'outre-mer français connaît des entrées irrégulières massives qui emportent des risques aigus de déstabilisation sociale .

- Une pression migratoire toujours préoccupante

Si le nombre d'étrangers en situation irrégulière présent dans les différentes collectivités reste difficile à appréhender, compte tenu des difficultés liées à la collecte statistique, les chiffres les plus couramment retenus apparaissent particulièrement alarmants. Il y aurait en effet :

- en Guyane, environ 30.000 à 35.000 étrangers en situation irrégulière , soit près du quart de la population globale ;

- en Guadeloupe, environ 10.000 clandestins ; la situation étant particulièrement sensible dans l'île de Saint-Martin.

La Réunion reste étrangère à ce phénomène. La Martinique est également relativement épargnée . Cependant, à mesure que la lutte contre l'immigration clandestine se fait plus vigoureuse en Guadeloupe, certains acteurs locaux craignent que les flux d'immigration s'orientent désormais vers la Martinique.

La situation préoccupante de l'outre-mer face à une immigration irrégulière massive, qui appelle une réponse accrue et plus adaptée de l'Etat, s'agissant d'une question de nature régalienne, est pour l'essentiel liée au différentiel de niveau de vie que connaissent ces deux départements par rapport aux territoires voisins : Brésil, Surinam et Guyana, en ce qui concerne la Guyane ; Haïti, Saint-Domingue, La Dominique et la partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin, en ce qui concerne la Guadeloupe.

Les indicateurs de l'activité de la police aux frontières dans les quatre départements d'outre-mer font apparaître une forte mobilisation des services de l'Etat en 2005.

La Guyane se caractérise par une baisse du nombre des cas de non-admission, témoignant de la difficulté à arrêter, à la frontière, les étrangers souhaitant entrer irrégulièrement sur le territoire national. Les forces de l'ordre font désormais porter pour l'essentiel leur action sur les éloignements : au cours des huit premiers mois de 2006, 5.883 éloignements ont ainsi été pratiqués depuis la Guyane, marquant une augmentation de 60 % par rapport à la même période en 2005.

Les indicateurs de la police aux frontières montrent que La Réunion reste peu touchée par le phénomène de l'immigration clandestine : 80 étrangers en situation irrégulière (principalement Malgaches et Comoriens) ont été interpellés contre 61 en 2004 et 44 en 2003.

Principaux indicateurs de l'activité de la police aux frontières (2001-2005)

Martinique

2001

2002

2003

2004

2005

Evolution 2004/2005

Non admissions

229

161

211

244

401

+ 64,34 %

Eloignements

217

290

330

466

603

+ 29,40 %

Guadeloupe

2001

2002

2003

2004

2005

Evolution 2004/2005

Non admissions

dont Saint-Martin

394

318

213

189

285

+ 50,79 %

NC

NC

44

11

43

+ 290 %

Eloignements

dont Saint-Martin

678

686

1.053

1.083

1.253

+ 15.70 %

181

274

269

297

234

- 21 %

Guyane

2001

2002

2003

2004

2005

Evolution 2004/2005

Non admissions

4.821

1.409

3.755

1.765

1.115

- 36,83 %

Eloignements

2.978

4.244

4.852

5.318

5.942

11,73 %

Source : ministère de l'outre-mer

De fait, en 2005 , 49,79 % des éloignements d'étrangers en situation irrégulière (reconduites à la frontière et expulsions) l'ont été au départ des départements d'outre-mer et de la collectivité de Mayotte . Les chiffres disponibles pour les huit premiers mois de l'année 2006 montrent un renforcement de cette tendance, les éloignements pratiqués depuis ces collectivités représentant, avec 16.707 procédures, 53,39 % de l'ensemble des procédures exercées sur l'ensemble du territoire national .

Cette amélioration de l'action de la police aux frontières provient également de l'usage de nouvelles pratiques administratives. Ainsi, en Guyane, depuis février 2006, les invitations à quitter le territoire (IQTF) 13 ( * ) ne sont plus délivrées en raison de leur inefficacité (les clandestins en faisant l'objet demeurant dans la partie française de la forêt amazonienne) et du renfort des forces armées en Guyane qui permet désormais d'organiser les transfèrements des personnes vers Cayenne. Ainsi, sur les 809 clandestins interpellés dans ce département au cours des opérations « Anaconda » du premier semestre 2006, 737 ont été effectivement reconduits à la frontière, contre 178 sur l'ensemble de l'année 2005.

Face à cette situation, l'Etat a pris de nouvelles mesures, tant sur le plan humain que sur le plan juridique.

- Des moyens matériels et humains renforcés

En Guadeloupe , 191 fonctionnaires sont affectés à la police aux frontières qui a vu ses effectifs augmenter de plus de 29 % depuis le 1 er janvier 2006. Dans le cadre de l'agrandissement du centre de rétention administrative du Morne, à Pointe-à-Pitre, 27 fonctionnaires de plus sont prévus d'ici la fin des travaux, qui devrait intervenir en 2007. La gendarmerie nationale est désormais fortement impliquée dans la lutte contre l'immigration irrégulière.

En Guyane , 214 fonctionnaires sont affectés à la police aux frontières qui a vu ses effectifs augmenter de 55 % depuis le 1 er janvier 2003. Parmi les cinq escadrons de gendarmes mobiles, deux, installés à Maripasoula, sont spécialement chargés de la lutte contre l'immigration clandestine. Outre les nouveaux effectifs policiers mentionnés dans les développements qui précèdent, il convient de relever l'engagement de travaux de mise aux normes et d'extension du centre de rétention administrative de Cayenne-Rochambeau qui devrait ainsi passer de 36 à 60 places à l'horizon 2007/2008.

- Des moyens juridiques nouveaux et adaptés à la situation particulière des départements d'outre-mer

Par la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, le législateur a adapté aux spécificités des départements d'outre-mer les règles applicables à l'entrée et au séjour des étrangers, comme l'autorise l'article 73 de la Constitution.

Complétant certains dispositifs dérogatoires déjà en vigueur en Guyane et à Saint-Martin, cette loi a prévu, en particulier :

- l'extension à l'ensemble de la Guadeloupe , pour une durée de cinq ans, du régime de l'absence de caractère suspensif des recours contre les décisions d'éloignement ;

- l'éloignement d'office des équipages de nationalité vénézuélienne se livrant à des activités de pêche illicites en Guyane ;

- l'extension, en Guyane, du périmètre dans lequel des visites sommaires de véhicules, à l'exception des véhicules non collectifs, peuvent être pratiquées aux fins de rechercher et constater des infractions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers ;

- l'institution, dans certaines zones du territoire guadeloupéen, de possibilités de visites sommaires dans les mêmes conditions ;

- la destruction ou l'immobilisation des embarcations, véhicules ou aéronefs non immatriculés ayant servi à commettre des infractions à l'entrée et au séjour des étrangers en Guyane et en Guadeloupe ;

- la limitation au seul département d'outre-mer où elle a été délivrée de l'autorisation de travail liée à une carte temporaire de séjour comportant la mention « vie privée et familiale » ;

- le renforcement pendant cinq ans, en Guadeloupe, des mesures autorisant les contrôles d'identité dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine.

Pour permettre une meilleure évaluation des conditions de l'immigration dans les départements d'outre-mer, cette loi a également créé des observatoires de l'immigration en Guadeloupe et en Martinique , à l'instar des commissions déjà créées en Guyane et à La Réunion. Ces organes ont pour mission d'évaluer l'application de la politique de régulation des flux migratoires et les conditions d'immigration dans chacun de ces départements d'outre-mer. Chaque observatoire peut proposer au Gouvernement les mesures d'adaptation rendues nécessaires par les caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. Il comprend les parlementaires, des représentants de l'Etat et des collectivités territoriales, ainsi que des représentants des milieux économiques et sociaux du département d'outre-mer concerné 14 ( * ) .

Les observatoires de Guyane et de La Réunion, initialement prévus par la loi du 26 novembre 2003 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et à la nationalité ont, plus de deux ans après la publication de cette loi, été institués par deux décrets n°s 2005-1593 et 2005-1594 du 13 décembre 2005. Présidés par le préfet de région, ils comprennent chacun plus d'une trentaine de membres. Installé le 31 mars 2006, l'observatoire de la Guyane a décidé la mise en place de quatre groupes de travail relatifs : à la jeunesse et l'éducation, au travail illégal, aux aspects sanitaires et à l'accompagnement social, ainsi qu'au statut des frontaliers et à l'état civil sur le Maroni.

En tout état de cause, comme l'avait fortement mis en exergue le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine, l'une des clés de la lutte contre l'immigration clandestine outre-mer ne peut provenir, à terme, que « d'une politique volontariste en faveur du développement des pays sources », qui « devrait tout particulièrement s'appliquer aux Etats voisins des collectivités ultramarines qui, à l'exception du Brésil, ne bénéficient que de manière limitée de l'aide publique au développement » 15 ( * ) .

* 13 Remplacées depuis la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration par les obligations à quitter le territoire français (OQTF), qui sont désormais couplées aux décisions de refus de titre de séjour.

* 14 Voir l'article L. 111-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 15 Rapport n° 300 (2005-2006), précité, tome 1, p. 107.

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