3. Une reprise partielle et déséquilibrée des préconisations du Conseil d'Etat

Votre rapporteur pour avis tient à souligner que le texte de l'article 83 B est loin de reprendre fidèlement les propositions du Conseil d'Etat.

Tout d'abord, celui-ci avait souligné, s'agissant de la création d'un droit « d'opportunité » sans saisine du juge : « La mise en place d'une telle procédure de « préférence » sans fixation judiciaire du prix n'est toutefois sérieusement envisageable que si la transparence des marchés fonciers est améliorée » . Cette condition n'est pas remplie aujourd'hui.

En outre, l'absence de saisine du juge s'accompagnait, pour le Conseil d'Etat, d'assouplissements notables en matière de motivation :

- sur le fond, ne plus limiter les hypothèses de recours au droit de préemption à la notion relativement floue d'« aménagement » mais les étendre à des investissements ponctuels d'intérêt communal s'appuyant sur le bien préempté, justifiés par des impératifs de santé publique ou de sécurité publique (par exemple modification d'une voirie dangereuse) ;

- sur le plan formel, la collectivité n'aurait plus à justifier de l'existence d'un projet suffisamment précis et certain à la date de la décision de préemption. La légalité de la décision serait subordonnée à la justification, selon le cas, de la réalité de l'objectif d'intérêt général énoncé dans la décision de préemption ou de celle de l'intérêt communal qui justifie l'investissement projeté.

Aucun de ces assouplissements n'est proposé par le texte, puisque sera toujours exigée la mention, dans la décision de préemption, de « la nature du projet justifiant l'exercice de ce droit ». Cette formulation ne fait en réalité que consacrer l'assouplissement déjà intervenu de la jurisprudence du Conseil d'Etat, assouplissement qui n'est pas accompagné, dans cette jurisprudence, de la nécessité de priver le titulaire du droit de préemption de sa faculté de saisir le juge. Rien n'indique, dans la formulation retenue par l'article 83 B, que la collectivité n'aura plus à démontrer l'antériorité de l'existence du projet par rapport à la préemption , ce qui était pourtant l'un des objectifs du rapport du Conseil d'Etat.

Les dispositions relatives à la notification des DIA constituent un autre exemple d'alourdissement des procédures par le texte, à l'encontre des propositions du Conseil d'Etat. Aujourd'hui, les décisions de préemption sont uniquement notifiées au propriétaire. Le Conseil d'Etat avait constaté dans son rapport que, du coup, le délai de recours ouvert aux tiers courait longtemps après la mise en oeuvre de la préemption. Il proposait, pour simplifier et sécuriser, de prévoir que la notification de la décision de préemption au notaire chargé de la vente valait notification à l'acquéreur évincé , afin que le délai de recours commence à courir à compter de cette date. Il notait « cette mesure simple, qui suppose une modification des textes de niveau réglementaire, participerait de la sécurisation de la procédure de préemption ». L'article 83 B prévoit au contraire un alourdissement des procédures à la charge des collectivités, puisque la décision de préemption devra faire l'objet d'une publication et être notifiée non seulement aux propriétaires mais aussi à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien et aux fermiers, locataires, titulaires de droits d'emphytéose, etc mentionnés dans la DIA . Aux termes de l'article L. 213-9, c'est aujourd'hui le propriétaire qui est tenu d'informer les locataires, preneurs ou occupants de bonne foi.

A contrario , un certain nombre de propositions intéressantes de simplification avancées par le Conseil d'Etat ne sont pas reprises, comme :

- l'achèvement du rapprochement procédural du droit de préemption et du droit de priorité 92 ( * ) ;

- la reconnaissance formelle de la possibilité d'accords amiables : la fixation du prix s'effectue, dans le droit actuel, par des échanges de propositions et contre-propositions enserrés dans des délais précis. Le Conseil d'Etat proposait, dans son rapport, de prévoir que, pendant la période de discussion préalable à la saisine éventuelle du juge, un accord puisse intervenir à tout moment à un prix autre que celui figurant dans la DIA ou dans la contre-proposition de la collectivité ;

- l'unification du contentieux des décisions de préemption et des contrats directement connexes (contrat d'achat par la collectivité et contrat de revente à un tiers aménageur) au sein de l'ordre juridictionnel administratif.


* 92 Droit pour les communes d'acquérir en priorité les biens aliénés par l'Etat ou ses établissements publics.

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