2. Une évolution de la jurisprudence administrative qui remet en question l'utilité de la réforme proposée

Comme le proposait, dans une note annexée au rapport du Conseil d'Etat, M. Roland Vandermeeren, conseiller d'Etat, président de la cour administrative d'appel de Nantes, afin de réduire le contentieux lié à la motivation, « le Conseil d'Etat pourrait prendre l'initiative d'assouplir les positions jurisprudentielles qui viennent d'être rappelées, notamment en revenant plus ou moins sur la solution de l'arrêt Lebouc 87 ( * ) , adoptée à l'époque de l'institution des zones d'intervention foncière. L'évolution ultérieure de la législation, qui a sensiblement élargi et diversifié les objectifs en vue desquels la préemption peut être décidée, justifierait, par exemple, un réexamen de la jurisprudence ».

C'est exactement ce qu'a fait la haute juridiction administrative. En effet, le Conseil d'Etat a fait évoluer sa jurisprudence sur la motivation en deux temps. Tout d'abord, par un arrêt du 7 mars 2008 88 ( * ) , il est revenu sur la solution de l'arrêt Lebouc qui posait l'exigence, constamment réaffirmée, d'antériorité et de précision du projet fondant la préemption . Désormais, une commune peut légalement exercer le droit de préemption d'une part, si elle justifie, à la date à laquelle elle l'exerce, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si sa décision fait apparaître la nature de ce projet . Cette réalité devra être établie soit par des éléments démontrant son antériorité (lettres, notes de service, discours), soit par des précédents démontrant qu'il s'insère dans une politique dont il est l'une des manifestations et qui rend sa réalisation quasi certaine.

Dans un second temps, par trois arrêts du 20 novembre 2009 89 ( * ) , le Conseil d'Etat a précisé les exigences relatives à la motivation par référence . Après avoir permis, en 1991, de motiver le droit de préemption exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé par référence aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone , le législateur a étendu cette facilité aux cas où la commune a délibéré pour mettre en oeuvre un programme local de l'habitat ou pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux 90 ( * ) . Le Conseil d'Etat a précisé que l'obligation de faire apparaître la nature du projet dans la décision de préemption n'implique pas que celle-ci comporte le document de référence . De même, lorsque la préemption est exercée par référence au PLH, la décision n'a pas à indiquer à quelle orientation du programme elle est destinée à contribuer . L'obligation de motivation est satisfaite par la seule mention de la délibération ou du programme auquel se réfère la décision de préemption. Toutefois, la motivation ne sera suffisante que si le renvoi à la délibération-cadre ou au PLH permet, en s'y reportant, d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité entend mener au moyen de la préemption.

Cette évolution est importante puisque, pour certains juristes, elle contribue à « établir un nouvel équilibre du mécanisme de la préemption globalement bien plus satisfaisant du point de vue de l'intérêt général et des droits auxquels il porte atteinte » 91 ( * ) .

En pratique, on observe, du fait de cette évolution, un net phénomène d'inversion de tendance de la part des juridictions du premier degré : alors que les décisions des collectivités territoriales étaient systématiquement cassées sur le fondement d'une insuffisante motivation, elles sont aujourd'hui largement validées. La sécurisation de l'action menée par les collectivités est donc déjà largement intervenue et l'insuffisance de motivation est une cause d'annulation beaucoup moins importante .

Au demeurant, votre rapporteur pour avis souhaite relativiser les chiffres souvent avancés sur le contentieux de la préemption. Ainsi, le Conseil d'Etat s'alarmait, dans son rapport, que 40 % des décisions de préemption attaquées soient annulées, soit un des taux les plus élevés du contentieux administratif. Mais il faut rappeler que ces pourcentages sont calculés sur des chiffres faibles en valeur absolue : un établissement public foncier local (EPFL) peut ainsi, sur 200 préemptions, en voir 5 attaquées et 2 annulées, ce qui fait effectivement 40 %, mais au final, il s'agit seulement de 2 décisions sur 200 préemptions. Peut-on parler d'insécurité juridique ?


* 87 CE, 25 juillet 1986, Lebouc.

* 88 CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, req. N° 288371.

* 89 CE, 20 novembre 2009, Commune d'Ivry-sur-Seine, n° 316732, Commune de Noisy-le-Grand, n° 316961, Commune de Drancy, n° 313464.

* 90 Article 19 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement.

* 91 Revue de droit immobilier 2008, Pierre Soler-Couteaux, p. 358.

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