B. UNE REPRISE TARDIVE ET PARTIELLE DES PRÉCONISATIONS DU CONSEIL D'ETAT
La présente proposition de loi s'appuie, s'agissant du droit de préemption, sur des travaux antérieurs menés au sein du Conseil d'Etat. Mais la reprise des préconisations de ce dernier est à la fois tardive , au regard des évolutions jurisprudentielles intervenues depuis, et partielle , aboutissant finalement à un texte largement déséquilibré.
1. Les préconisations du rapport du Conseil d'Etat de 2007
Le Conseil d'Etat, saisi par le Premier ministre, a adopté, en 2007, une étude évaluant les pratiques et le contentieux propres au droit de préemption et proposant un certain nombre de pistes pour améliorer celui-ci 84 ( * ) .
Il convient tout d'abord de relever que, si l'institution du droit de préemption urbain est fréquente (80 % des communes dotées d'un document d'urbanisme l'ont institué), ce droit est en réalité peu utilisé en pratique puisqu'il concerne environ 1 % des déclarations d'intention d'aliéner (DIA). D'après une autre étude menée en 2008 85 ( * ) , les acquisitions par voie de préemption représentent environ un quart des acquisitions réalisées par les collectivités pour leurs opérations.
Le rapport du Conseil d'Etat relevait que le droit de préemption souffrait d'une fragilité juridique procédurale résidant dans la notion de « projet », interprétée par la jurisprudence administrative de manière exigeante. Ainsi les communes devaient justifier de l'existence d'un projet « certain et précis » pour exercer le droit de préemption. Autre source de leur fragilité, l'exigence de motivation de la décision, qui devait faire mention du projet.
L'enquête menée par le Conseil révélait que le défaut ou l'insuffisance de motivation était à l'origine d'environ 44 % des annulations, et l'absence de projet de nature à justifier l'usage du doit de préemption à l'origine d'environ 22 %. Le tiers restant était principalement constitué de décisions prises par une autorité incompétente (7 %), en vue d'un autre objet que ceux énumérés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme (5 %) ou encore, dans une moindre mesure, des décisions prises hors délai ou en l'absence d'avis préalable du service des Domaines. Sur la période 1990-2005, le Conseil d'Etat, juge de cassation, avait, dans 48 % des pourvois dont il était saisi, annulé les décisions de préemption au fond. 50 % de ces annulations étaient fondées sur le défaut ou l'insuffisance de motivation, 12,5 % sur la méconnaissance de l'article L. 300-1 et 10 % sur l'absence de projet suffisamment précis et certain.
Par rapport au droit européen, le Conseil d'Etat estimait que la préemption était compatible avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme car elle constituait une « atteinte justifiée par un motif d'intérêt général et proportionnée ». Il ajoutait toutefois que la pratique de la préemption, comme celle de l'expropriation, devait prendre en compte l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de 2002 86 ( * ) ayant sanctionné l'appropriation de biens privés par des personnes publiques à des fins de valorisation . Il estimait en conclusion que la jurisprudence de la CEDH ne nécessitait pas de bouleversement du cadre juridique du DPU.
Enfin, le rapport relevait l'existence de certaines utilisations abusives et peu transparentes du droit de préemption, qu'il qualifiait toutefois de « marginales ».
Outre une série d'aménagements, le Conseil d'Etat proposait, afin de répondre à l'insécurité liée à la notion de projet, de créer, dans des conditions strictes , deux droits distincts : un droit « de préférence », aux conditions de la DIA et un droit de préemption dans des périmètres restreints, avec possibilité de contester le prix devant le juge, assorti d'un droit de délaissement.
* 84 Conseil d'Etat, Le droit de préemption, La documentation française, 2008.
* 85 Etude de l'Association des études foncières (ADEF).
* 86 CEDH, 2002, Mothais de Narbonne.