EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
(art. L. 2224-12-4 du code général des
collectivités territoriales)
Protection des usagers
contre
les variations anormales de leur facture d'eau
Commentaire : cet article oblige le distributeur à informer les usagers en cas de consommation d'eau excessive, que celle-ci résulte d'un mauvais fonctionnement du compteur ou d'une fuite sur les canalisations privatives.
I. Le droit en vigueur
Les règlements et la tarification des services d'eau et d'assainissement relèvent des articles L. 2224-12 à L. 2224-12-5 du code général des collectivités territoriales (CGCT).
L'article L. 2224-12-4 du CGCT décompose le prix de l'eau selon une facturation dite du « binôme » :
- une partie fixe correspondant à une redevance d'abonnement au service ;
- et une partie variable dépendant du volume d'eau consommé.
La logique d'un tel dispositif est que la tarification du service public de la distribution d'eau potable soit proportionnée aux volumes consommés .
La partie privative du réseau de canalisation relève de l'abonné, qui doit prendre en charge l'entretien ainsi que les réparations de celui-ci le cas échéant. Toutefois, il peut arriver que des fuites d'eau ne soient pas détectables, notamment lorsqu'il s'agit de canalisations souterraines ou situées dans une cave. Dans une telle situation, l'abonné ne s'aperçoit de l'existence d'une fuite qu'au moment où il reçoit la facture du service de distribution de l'eau, qui reste encore très souvent annuelle. Il peut également arriver que le compteur, propriété du distributeur d'eau, fonctionne mal et indique un niveau de consommation sans rapport avec la consommation réelle. A la demande de l'abonné, le service doit vérifier le compteur.
Les pratiques actuelles révèlent qu'à la demande de l'abonné, le service peut aussi procéder à une remise gracieuse lorsqu'il existe une justification particulière qui n'est pas contraire à l'intérêt général. En cas de gestion en régie, l'assemblée délibérante doit se prononcer sur chaque dossier individuel.
Pour la facturation de l'assainissement, les services procèdent à une diminution de l'assiette de la redevance d'assainissement sur le fondement de l'article R. 2224-19-2 97 ( * ) du code général des collectivités territoriales, seul le volume générant des eaux usées collectées par le service d'assainissement étant facturé.
Toutefois, les pratiques des services d'eau potable et d'assainissement restent hétérogènes sur le territoire national, celui-ci en comptant plus de 30 000.
Certains services d'eau ont introduit, dans le règlement de service ou dans le contrat de délégation, des clauses instituant un plafonnement du montant de la facture en cas de fuites importantes, le niveau du plafonnement n'étant pas le même pour tous les services.
D'autres services d'eau facturent le volume d'eau distribué, compte-tenu des coûts de production et de distribution, considérant par ailleurs qu'il appartient à l'abonné de vérifier périodiquement son compteur afin de s'assurer de l'absence de fuite sur la partie du réseau enterré dans sa propriété.
Il existe également des « assurances anti-fuites » proposées aux abonnés par des sociétés spécialisées. Le principe de ces assurances fait l'objet d'avis divergents.
Enfin la Médiation de l'Eau, qui a été mise en place en 2009, traite notamment des cas 98 ( * ) qui ne trouvent pas de solution locale. Le premier retour d'expérience de la Médiation de l'Eau montre que lors du traitement des litiges, la recherche de l'origine de la fuite permet, in fine, au cas par cas, dans le cadre d'un règlement amiable, de faire payer au consommateur et au service leur juste part respective.
II. Le dispositif de la proposition de loi
Cet article propose d'insérer un nouveau paragraphe dans l'article L. 2224-12-4 du CGCT. Le texte initial prévoit ainsi que :
- dès que le service d'eau potable constate une augmentation anormale du volume d'eau consommé par l'occupant d'un local d'habitation susceptible d'être causée par la fuite d'une canalisation, il doit en informer sans délai l'abonné ;
- le service doit procéder à cette information si le volume d'eau consommé depuis le dernier relevé excède le double du volume d'eau moyen consommé par l'abonné ou par un ou plusieurs abonnés ayant occupé le local d'habitation pendant une période équivalente au cours des trois années précédentes ou, à défaut, le volume d'eau moyen consommé dans la zone géographique de l'abonné dans des locaux d'habitation de taille et de caractéristiques comparables ;
- l'abonné n'est tenu au paiement de la part de la consommation excédant le double de la consommation moyenne, que si le service d'eau potable, après enquête, établit que cette augmentation n'est pas imputable à une fuite de canalisation.
III. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale
A l'initiative du rapporteur de la commission des lois, les députés ont prévu les éléments suivants :
- l'abonné n'est pas tenu au paiement de la part de la consommation excédant le double de la consommation moyenne, s'il présente au service d'eau potable, dans le délai d'un mois à compter de l'information transmise par ce dernier, une attestation d'une entreprise de plomberie indiquant qu'il a fait procéder à la réparation d'une fuite sur ses canalisations privatives . Les députés ont jugé que le régime de « preuve négative 99 ( * ) » initialement prévu était trop complexe, de même que le mécanisme lui-même, l'enquête diligentée par le service d'eau se déroulant sur la propriété privée de l'usager.
Dès lors, si l'usager n'est pas en mesure de prouver que la hausse de sa consommation est due à une fuite, il devra, comme aujourd'hui, s'acquitter de la totalité de la facture. Dans le cas contraire, c'est le gestionnaire qui supportera le coût de la fourniture d'eau excédant le double de la consommation moyenne de l'abonné, celui-ci n'étant redevable que du double des factures moyennes antérieures.
- dans le même délai d'un mois, l'abonné peut également demander au service d'eau de vérifier le compteur afin de s'assurer que la surconsommation n'a pas pour origine le mauvais fonctionnement de celui-ci . Les députés ont ainsi souhaité que l'usager puisse explicitement demander au service d'eau de procéder à cette vérification. L'abonné ne sera tenu au paiement de la part de la consommation excédant le double de la consommation moyenne que si le service d'eau établit que cette augmentation n'est pas imputable à un défaut de fonctionnement du compteur.
- un décret en Conseil d'État doit préciser les modalités d'application des dispositions législatives .
IV. La position de votre commission pour avis
La tarification de l'eau est un sujet important pour nos concitoyens, car de nombreux usagers contestent des factures d'eau exorbitantes souvent liées à des fuites indétectables à l'oeil nu. En effet, lorsqu'une fuite n'est pas visible ou n'est pas détectée à temps, et que le relevé de consommation n'est effectué qu'une ou deux fois par an, il arrive qu'une famille puisse se voir facturer des milliers de mètres cubes d'eau au lieu des 120 mètres cubes en moyenne. Puisque le compteur a tourné, le distributeur n'aura d'autre choix que de facturer l'eau, même si elle n'a pas été réellement consommée. Or, les particuliers ne disposent pas toujours des moyens techniques pour contrôler l'état du réseau de canalisation privatif.
Concrètement, le dispositif envisagé revient à créer une obligation pour l'exploitant de surveiller les consommations et d'alerter l'usager si c'est nécessaire, car il arrive parfois que le diagnostic soit trop tardif .
L'auteur du dispositif à l'Assemblée nationale estime ainsi qu'il est de nature à « éviter des contentieux aux enjeux financiers importants souvent jugés par les tribunaux d'instance, et qui peuvent concerner des personnes aux revenus modestes ». Le président Jean-Luc Warsmann ajoute qu'il s'agit d'une véritable « simplification dans la vie de nos concitoyens, en attendant la généralisation des compteurs intelligents, qui sont équipés de systèmes d'alerte en cas de consommation anormale ».
A titre personnel, votre rapporteur pour avis considère néanmoins que des améliorations substantielles du dispositif proposé auraient pu être envisagées, de nature, selon lui, à éviter les risques de contentieux :
- préciser que le dispositif concerne les réseaux enterrés en faisant mention de fuites « indétectables ». En effet, cette précision permet d'éviter de déresponsabiliser les abonnés qui négligeraient les réseaux intérieurs ou de susciter des comportements frauduleux en cas de besoin ponctuels importants, le dispositif n'étant applicable qu'aux canalisations enterrées dont les fuites ne sont pas immédiatement visibles à l'oeil nu. Dès lors ces dispositions ne doivent pas s'appliquer aux consommations anormales dues à des fuites visibles, à la négligence ou à la faute de l'abonné ;
- remplacer l'information « sans délai » par une « information dans les meilleurs délais et au plus tard lors de l'envoi de la facture après relevé » . En effet, l'exigence d'une information sans délai est irréaliste en pratique puisqu'elle ne peut se faire qu'après relève du compteur (manuel ou télé-relève). C'est pourquoi il apparaît plus pertinent d'introduire une obligation d'information dès que le service d'eau potable constate une augmentation du volume d'eau consommé supérieure au double de la consommation antérieure ;
- p réciser le dispositif d'évaluation de la consommation d'eau . En effet, il est difficile de définir un niveau de consommation d'un client donné en l'absence d'historique, tout comme il est difficile de définir un « volume d'eau moyen consommé dans la zone géographique de l'abonné, dans des locaux d'habitation de taille et de caractéristiques comparables ». Il est important de préciser que c'est au service d'eau de réaliser cette estimation avec l'ensemble des données en sa possession ;
- préciser les modalités de preuve de réparation de la fuite . En effet seule une « facture » peut servir à attester de la bonne réparation de la fuite et non une simple « attestation » qui peut, au demeurant, être une attestation de complaisance ;
- encadrer l'utilisation de ce dispositif dans le temps en évitant les demandes répétées de la part d'abonnés qui ne feraient pas le nécessaire pour entretenir leur réseau intérieur . C'est pourquoi, il convient de limiter le bénéfice de la mesure à un dégrèvement au cours d'une période de quatre années pour une même habitation ;
- distinguer le service d'assainissement et le service d'eau . En effet, pour la redevance assainissement, les dispositions de l'article R. 2224-19-2 sont applicables, le dégrèvement s'appliquant à tout le volume lié à la fuite et pas simplement au volume facturé en eau si celui-ci n'a pas été rejeté dans le réseau de collecte. Autrement dit, une fuite qui n'occasionne pas de rejet à l'égout n'est pas à l'origine de dépenses supplémentaires pour le service d'assainissement.
A la suite d'un large débat, et à l'initiative de MM. Michel Doublet et Daniel Laurent, Charles Revet, Jean-Claude Merceron, Pierre-Yves Collombat et les membres du Groupe Socialiste, votre commission pour avis s'est toutefois prononcée pour la suppression de cet article considérant qu'il crée une obligation très lourde et impossible à mettre en oeuvre par les services d'eau potable.
Les commissaires ont notamment fait valoir que la définition de l'augmentation anormale de la consommation ne correspond pas seulement à des cas de fuites chez l'abonné, mais aussi à d'autres situations fréquemment rencontrées : par exemple, pour des activités artisanales, agricoles ou industrielles qui ne sont pas continues tout au long de l'année, ou pour des résidences qui ne sont pas occupées de façon régulière. On constate alors de fortes variations des consommations d'eau qui n'ont rien « d'anormales ».
Ils ont par ailleurs observé que la disposition concernant la vérification du compteur à la demande de l'abonné était inutile, cette faculté existant actuellement dans tous les services d'eau potable.
Ils ont enfin expliqué que les collectivités ont déjà la possibilité de plafonner le montant des factures, ou d'accorder des remises gracieuses, dans le cas où l'abonné justifie qu'une fuite après compteur était vraiment indétectable par lui, jugeant qu'il n'était donc pas nécessaire de légiférer dans ce domaine.
Votre commission vous propose de supprimer cet article. |
* 97 Cet article dispose que « Les volumes d'eau utilisés pour l'irrigation et l'arrosage des jardins, ou pour tout autre usage ne générant pas une eau usée pouvant être rejetée dans le système d'assainissement, dès lors qu'ils proviennent de branchements spécifiques, n'entrent pas en compte dans le calcul de la redevance d'assainissement ».
* 98 Selon les informations transmises par la Médiation de l'Eau, 34 % des litiges concernent des fuites non détectables et 27 % sont relatifs à des « surconsommations inexpliquées ».
* 99 Le service d'eau doit prouver que la hausse n'est pas due à une fuite pour que l'usager paye l'intégralité de sa facture.