Article 39
(art. L. 218-72 du code de
l'environnement)
Possibilité pour l'État de mettre le
coût de récupération d'éléments de cargaison
perdus en mer et susceptibles de présenter un risque pour
l'environnement à la charge de l'armateur ou du propriétaire du
navire
Commentaire : cet article permet à l'État de mettre en demeure l'armateur ou le propriétaire d'un navire de récupérer les éléments de cargaison que celui-ci aurait perdus en mer et qui seraient susceptibles de présenter un risque pour l'environnement, et, dans le cas où l'État serait amené à faire réaliser lui-même cette intervention, à en mettre le coût à la charge de l'armateur ou du propriétaire du navire, et non au seul propriétaire de la cargaison.
I. Le droit en vigueur
Au niveau national, l'article L. 218-72 du code de l'environnement consacre un pouvoir pour l'État d'intervenir à l'encontre des propriétaires ou armateurs des navires en haute mer, en cas d'accident de mer pouvant présenter un risque pour l'environnement.
En vertu de cet article, en cas d'avarie ou d'accident en mer survenu à tout navire, aéronef, engin ou plate-forme transportant ou ayant à son bord des substances nocives, dangereuses ou des hydrocarbures, et pouvant créer un « danger grave d'atteinte au littoral ou aux intérêts connexes 121 ( * ) », l'armateur ou le propriétaire du navire, le propriétaire ou l'exploitant de l'aéronef, engin ou plate-forme peuvent être mis en demeure de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à ce danger.
Dans le cas où cette mise en demeure reste sans effet ou n'a pas produit les effets attendus dans le délai imparti, ou d'office en cas d'urgence, l'Etat peut faire exécuter les mesures nécessaires aux frais, risques et périls de l'armateur, du propriétaire ou de l'exploitant ou recouvrer le montant de leur coût auprès de ces derniers.
Le droit international reconnaît également le pouvoir de l'État de prendre toutes les mesures visant à empêcher la pollution susceptible d'affecter ses côtes à la suite d'un accident de mer. Ce pouvoir trouve son fondement dans les stipulations de l'article 221 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, et de la convention internationale sur l'intervention en haute mer en cas d'accident entraînant ou pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures de Bruxelles du 29 novembre 1969.
Extrait de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer Article 221 - Mesures visant à empêcher la pollution à la suite d'un accident de mer 1. Aucune disposition de la présente partie ne porte atteinte au droit qu'ont les Etats, en vertu du droit international, tant coutumier que conventionnel, de prendre et faire appliquer au-delà de la mer territoriale des mesures proportionnées aux dommages qu'ils ont effectivement subis ou dont ils sont menacés afin de protéger leur littoral ou les intérêts connexes, y compris la pêche, contre la pollution ou une menace de pollution résultant d'un accident de mer, ou d'actes liés à un tel accident, dont on peut raisonnablement attendre des conséquences préjudiciables. 2. Aux fins du présent article, on entend par « accident de mer » un abordage, échouement ou autre incident de navigation ou événement survenu à bord ou à l'extérieur d'un navire entraînant des dommages matériels ou une menace imminente de dommages matériels pour un navire ou sa cargaison. |
La possibilité d'intervention en haute mer 122 ( * ) offerte aux États se limite ainsi, d'une part, aux seuls navires battant leur pavillon (sauf dans les cas exceptionnels expressément prévus par les traités internationaux), et, d'autre part, à la prévention des dangers graves et imminents de pollution à la suite d'un accident de mer susceptibles selon toute vraisemblance d'avoir des conséquences dommageables très importantes.
Dès lors, la prévention des risques pour la navigation maritime engendrés par les éléments de cargaison perdus en mer ne peut, en dehors du cas où ces éléments seraient susceptibles de causer une pollution, être regardée comme permettant la mise en oeuvre par les autorités nationales des mesures autorisées en haute mer par les conventions internationales en vigueur.
Dans son avis sur la présente proposition de loi, le Conseil d'État relevait ainsi que « s'il paraît possible d'admettre que les dispositions de l'article L. 218-72 peuvent être complétées pour trouver application dans le cas où l'accident de mer est constitué par la perte d'éléments de cargaison ne contenant pas eux-mêmes des substances nocives, dangereuses ou des hydrocarbures, mais susceptibles de constituer directement ou indirectement une menace de pollution, eu égard notamment au risque de collision avec un navire susceptible de présenter une telle menace, il semble nécessaire de modifier la rédaction de la disposition proposée pour en subordonner l'application à l'existence d'une pollution ou d'une menace de pollution et non, comme cela est proposé, à la création d'un danger pour la navigation, et pour préciser que la menace peut être directe ou indirecte . »
II. Le dispositif de la proposition de loi
Le texte initial prévoyait de compléter le premier alinéa de l'article L. 218-72 du code de l'environnement par la phrase suivante : « Il en est de même dans le cas de la perte d'éléments de la cargaison d'un navire, transportée en conteneurs, en colis, en citernes ou en vrac, susceptibles de créer un danger grave pour la sécurité de la navigation » .
III. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale
Les députés ont suivi les recommandations formulées par le Conseil d'État.
Le dispositif initial avait en effet pour finalité la « sécurité de la navigation ». Or, l'article dans lequel il s'insère, est relatif à la « protection de l'environnement ». Il aurait donc fallu considérer que les conteneurs à la dérive présentent un danger indirect pour l'environnement par l'éventualité d'un accident induit par leur présence.
Une autre option consiste à considérer que la présence d'éléments de cargaison constitue, en soi, une pollution du milieu marin et que la présence en mer, à la dérive, d'un élément de cargaison, quelque soit sa nature est susceptible, en cas de collision avec un navire, de créer une menace de pollution et d'atteinte au littoral.
Cette option a été privilégiée par les députés qui ont remplacé l'objectif de protection de « la sécurité de la navigation » par celui de la prévention d'une pollution ou d'une menace de pollution.
IV. La position de votre commission pour avis
Votre commission juge que le dispositif de l'article 39, tel que modifié par l'Assemblée nationale répond de façon plus logique à l'objectif de protection de l'environnement.
En outre, ce dispositif doit permettre, d'une part, de responsabiliser les acteurs du transport maritime 123 ( * ) , et, d'autre part, de permettre à l'État de recouvrer auprès des opérateurs concernés les sommes qu'il engage pour récupérer les éléments de cargaison en mer qui présentent un risque pour l'environnement.
Actuellement, l'état du droit ne permet effectivement que dans de rares cas à l'État de recouvrer les sommes engagées lors des opérations 124 ( * ) de récupération de conteneurs à la mer. Certes, les marchandises tombées à la mer sont bien considérées comme des épaves maritimes au sens de la loi n° 61-1262 du 24 novembre 1961 relative à la police des épaves maritimes et du décret n° 61-1547 du 26 décembre 1961 fixant le régime des épaves maritimes. Toutefois, ces textes permettent à l'État de recouvrer les frais engagés lors de l'enlèvement d'une épave présentant un caractère dangereux pour la navigation, la pêche ou l'environnement, uniquement auprès du propriétaire de l'épave et non du propriétaire du navire lorsque l'épave est un élément de cargaison perdu par celui-ci. Dès lors, le recouvrement des frais engagés devient très difficile du fait qu'il est impossible d'identifier le propriétaire de chaque élément de cargaison contenu, par exemple, dans un conteneur.
Avec l'explosion du commerce maritime international et de l'utilisation massive des porte-conteneurs, la perte de conteneurs est un phénomène qui s'accentue chaque année. Or ces conteneurs à la dérive présentent à la fois un risque pour la navigation et une menace pour l'environnement et entraînent des coûts importants pour les services de l'État 125 ( * ) qui sont obligés d'intervenir dans des conditions souvent périlleuses pour faire cesser le danger.
C'est pourquoi votre commission pour avis soutient pleinement le dispositif proposé. Toutefois, elle en appelle à la vigilance du législateur lors de la ratification prochaine par la France de la Convention sur l'enlèvement des épaves 126 ( * ) adoptée dans le cadre de l'Organisation maritime internationale (OMI) de Nairobi le 18 mai 2007 127 ( * ) , afin d'éviter une contrariété entre les dispositions du code de l'environnement ainsi modifié et celles contenues dans le code des transports qui accueillera les mesures de droit international précitée dans le droit interne.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification. |
* 121 Au sens de l'article II-4 de la convention de Bruxelles du 29 novembre 1969 sur l'intervention en haute mer en cas d'accident entraînant ou pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures.
* 122 Dans les eaux territoriales, les autorités françaises ont toute compétence pour agir. A l'encontre des navires français, les autorités françaises peuvent agir au delà de cette zone.
* 123 Les dispositions proposées n'entraveront pas la possibilité pour l'armateur contraint par l'article L .218-72 du code de l'environnement d'engager une action en garantie à l'encontre de la partie responsable de la chute du conteneur.
* 124 Selon les données disponibles, les interventions de l'Etat pour repêcher les éléments de cargaison des navires, notamment les conteneurs, auraient coûté 393.992 euros depuis 2004 pour les six interventions organisées par la préfecture maritime de Brest et 428.807 euros pour les deux interventions réalisées depuis 2002 par la préfecture maritime de Cherbourg.
* 125 Les interventions sont généralement réalisées par des bâtiments de la marine nationale.
* 126 Le conteneur peut être assimilé à une épave.
* 127 Cette convention permet notamment aux Etats un enlèvement rapide des épaves présentant une menace pour la sécurité de la navigation et l'environnement qui se situent dans leur zone économique exclusive, aux frais du propriétaire du navire.