B. UN NOUVEAU CONTRAT D'OBJECTIFS ET DE MOYENS QUI CONFIRME LA STRATÉGIE MONDIALE DE L'AFD

Le 7 juillet dernier, l'AFD a adopté un nouveau contrat d'objectifs et de moyens conclu avec l'État. Ce nouveau contrat définit les relations entre l'Etat et l'AFD, les priorités et les moyens de l'AFD pour le triennum 2010-2013.

1. Un contrat d'objectif qui vient à un moment d'incertitude entre la poursuite de la croissance et la consolidation des acquis

Soumise, jusqu'en 2008, à deux contrats d'objectifs et de moyens (COM) distincts, signés séparément avec ses deux principaux ministères de tutelle, l'AFD ne bénéficiait pas du contrat unique avec l'Etat dont le principe avait été arrêté par le Premier ministre en 2009.

Ce contrat, adopté le 7 juillet dernier, vient mettre fin à cette situation et a vocation à répondre aux différentes interrogations suscitées par la très forte évolution de l'activité de l'AFD depuis 2005.

Vos rapporteurs ne reviennent pas sur le contenu de ce contrat qui a fait l'objet d'une large analyse par la commission en mai dernier. En effet, conformément aux dispositions de la loi sur l'action extérieure de l'État, ce contrat a fait l'objet d'un avis de la part de la commission dont les préconisations ont, à l'issue d'un débat très constructif, été dans l'ensemble retenues.

Le Contrat d'objectifs et de moyens qui lie l'Etat et l'AFD précise le contenu du cadre stratégique établi par le document-cadre dans les Etats étrangers en définissant les objectifs concrets de l'activité de l'AFD au regard des moyens qui lui sont alloués. Vingt-trois indicateurs, complétés par trois indicateurs spécifiques reprenant des engagements présidentiels ou gouvernementaux de la France, sont ainsi fixés à l'Agence venant dessiner le cadre de priorités chiffrées qui structurera l'activité de l'AFD pour la période 2011-2013.

Dans les Etats étrangers, le document précise les quatre partenariats différenciés définis dans le document-cadre et indique, pour chacune de ces géographies, les cibles de concentration de l'effort financier dont la mise en oeuvre est confiée à l'AFD : au moins 60 % pour l'Afrique subsaharienne, 20 % pour les pays du pourtour méditerranéen et au maximum 10 % pour les pays émergents. Dans la continuité des décisions prises par le CICID de juin 2009, le COM réaffirme la priorité accordée aux pays pauvres prioritaires d'Afrique subsaharienne qui doivent, à l'horizon 2013, représenter plus de 50 % de l'activité en dons et plus de 80 % des subventions allouées par le ministère des affaires étrangères et européennes. Le document souligne également la nécessité d'une action ciblée en faveur des pays sahéliens. La cible, pour les pays en crise ou en sortie de crise, est, pour sa part, fixée à 10 % de l'activité en dons.

Sur le plan sectoriel, l'objectif principal est l'atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) : éducation de base et formation professionnelle, mais aussi -en cohérence avec les différents engagements pris par la France au niveau international- agriculture et sécurité alimentaire ou encore santé maternelle et infantile. Enfin, le COM s'inscrit dans la perspective initiée par l'initiative du Cap sur la croissance et l'emploi en Afrique subsaharienne et fixe des objectifs ambitieux de soutien aux PME-PMI africaines.

Enfin, en cohérence avec le souci d'optimisation de la gestion des organismes publics, le COM fixe un ensemble d'objectifs portant sur la performance de l'AFD. Il s'agit de valoriser l'expertise française via la production de connaissances de l'Agence, renforcer la qualité et l'évaluation des projets, optimiser le cycle du projet, en lien notamment avec les engagements de la France en matière d'efficacité de l'aide, ou encore améliorer la rentabilité de l'AFD.

Ce contrat d'objectifs et de moyens a été récemment décliné par l'agence dans un plan d'orientation stratégique, dit POS III, adopté le 16 novembre dernier.

2. Un contrat d'objectif et de moyens qui ne répond pas à toutes les interrogations suscitées par la diversification géographique et sectorielle de l'AFD

L'AFD a connu ces dernières années une transformation profonde et rapide, tant par la très forte croissance de ses activités que par l'extension de son champ géographique et de ses secteurs d'intervention, la diversification de ses contreparties et de son offre de produits financiers.

L'activité de l'AFD et de sa filiale PROPARCO, caractérisée par les autorisations de financement, a en effet été multipliée par plus de 3,5, de 1,9 milliard d'euros en 2004 à plus de 6,8 milliards en 2010.

Source : AFD

Au cours des dernières années, le champ d'intervention de l'AFD s'est progressivement étendu. Le CICID du 12 décembre 2002 a autorisé l'AFD à intervenir dans six nouveaux pays de la Méditerranée (Égypte, Jordanie, Syrie, Turquie) et de l'Asie du Sud-Est (Thaïlande, Chine). Le CICID de juin 2006 a ensuite procédé à une nouvelle extension de ce champ à l'ensemble des pays africains (sauf la Libye), uniquement pour les activités de prêts. Ce même CICID a, par ailleurs, autorisé l'AFD « à intervenir en Inde et au Brésil et à poursuivre ses interventions en Indonésie et au Pakistan (mandat dit « pays émergents »), par des crédits non concessionnels ou très faiblement concessionnels, sur des projets contribuant à une meilleure gestion des biens publics mondiaux (lutte contre le changement climatique, préservation de la biodiversité, lutte contre les maladies émergentes et transmissibles) et offrant un haut niveau de visibilité et d'influence à notre pays ».

Enfin, le CICID du 5 juin 2009 a autorisé l'AFD à étudier la possibilité d'intervenir dans une dizaine de nouveaux pays d'Asie et d'Amérique Latine (Mexique, Colombie, Bangladesh, Malaisie, Philippines, Sri Lanka, Kazakhstan, Ouzbékistan et Mongolie), pour des interventions ciblées sur un mandat de « croissance verte et solidaire », c'est-à-dire dans des secteurs contribuant à la lutte contre le réchauffement climatique (énergies renouvelables, efficacité énergétique, etc.) et comportant des enjeux sociaux (amélioration de l'accès aux services publics, renforcement des collectivités locales, etc.).

Ce développement rapide de l'AFD a mis sous tension les différentes facettes de l'AFD dont les activités sont tiraillées entre celles d'une banque de développement soucieuse de rentabilité et d'autonomie, celles d'une agence de coopération à laquelle il est demandé une plus grande concentration de ses opérations sur les priorités africaines et celles d'un outil d'influence de la diplomatie qui la conduit loin de son métier et de sa géographie d'origine.

Ainsi, si certains interlocuteurs de vos rapporteurs affirment que les objectifs fixés par les tutelles sont largement complémentaires, d'autres considèrent qu'ils n'échappent pas à la contradiction. Ainsi il est demandé à l'AFD de contribuer toujours plus à l'APD déclarée de la France, avec un effort budgétaire qui, au mieux, stagne ou de s'inscrire dans une programmation stratégique de long terme tout en lui demandant toujours plus de réactivité par rapport aux priorités géostratégiques du moment telles que la Tunisie ou la Côte d'Ivoire.

L'adoption du COM, puis du plan d'orientation stratégique, a permis de répondre à un certain nombre de ces interrogations et inquiétudes en définissant une stratégie et en donnant du sens aux évolutions actuelles de l'agence.

Pour vos rapporteurs, trois séries d'interrogations n'ont cependant pas reçu de réponse satisfaisante : la première concerne les moyens budgétaires mis à disposition de l'agence pour intervenir dans les zones prioritaires de la coopération française ; la deuxième concerne le sens et les limites de la diversification géographique de l'agence ; la troisième concerne le modèle économique de l'agence et son caractère non lucratif.

a) L'agence ne dispose pas des moyens budgétaires nécessaires pour intervenir de façon significative dans les pays prioritaires de la coopération française.

La diversification géographique et sectorielle de l'AFD s'est déroulée, en même temps qu'une diminution des moyens d'intervention, sous forme de dons à destination de l'Afrique subsaharienne issus du programme 209 du budget de l'aide au développement. Ces deux évolutions concomitantes suscitent des interrogations sur le sens de la croissance du volume de l'activité de l'AFD par rapport aux priorités de la coopération française.

L'augmentation rapide de l'activité de l'AFD s'est en effet accompagnée d'un recul relatif en Afrique Subsaharienne et dans les pays pauvres d'Afrique.

Ainsi, la part de l'activité de l'Afrique Subsaharienne dans les engagements de l'AFD est passée de 74 % à 60 % de 2006 à 2010.

De même, la répartition des interventions entre pays moins avancés et pays plus développés correspond avant tout à la capacité de l'AFD à trouver des contreparties solvables pour des prêts. Ainsi, les engagements sont répartis, en 2009, à raison de 31 % dans les PMA et de 69 % pour les pays à revenu intermédiaire.

Source : AFD

Sur les 11 pays pour lesquels les engagements de l'AFD ont dépassé 500 millions d'euros sur la période 2005-2009, seuls quatre sont africains (Afrique du Sud, Cameroun -dont une annulation de dette de 500 millions d'euros-, Kenya et Sénégal), les autres, essentiellement des pays à revenus intermédiaires ou émergents, se situent en Méditerranée (Liban, Maroc, Tunisie et Turquie) et en Asie (Chine, Indonésie et Vietnam).

La stratégie de montée en puissance des activités de l'AFD s'est certes accompagnée du maintien d'une forte concentration de l'effort budgétaire sur l'Afrique.

Proportion de l'effort financier de l'Etat utilisé par l'AFD
en Afrique Subsaharienne

2006

2007

2008

2009

2010

Afrique subsaharienne

74%

63%

54%

57%

60%

Source : AFD

Les pays émergents d'Asie et de la Méditerranée mobilisent cependant des ressources importantes, non seulement en termes d'engagement mais aussi d'effort budgétaire de l'Etat, sous forme de subvention et de bonification de prêt.

Les engagements de l'AFD à destination des pays méditerranéens ont triplé et l'effort budgétaire qui leur est alloué a presque doublé. Les engagements à destination de l'Asie et du Pacifique sont multipliés par deux pour un effort budgétaire qui reste constant.

L'Afrique est, certes, mieux servie pour l'effort budgétaire de l'Etat puisque, sur les 13 pays pour lesquels l'effort budgétaire dépasse 100 millions d'euros sur la période, huit sont africains (Cameroun, Sénégal, Kenya, Afrique du sud, Burkina, Ghana, Mali et Madagascar) dont quatre PMA. Les autres bénéficiaires sont méditerranéens (Maroc, Tunisie, Turquie) et asiatiques (Chine et Vietnam).

Alors que la proportion de l'effort financier de l'Etat consacrée à l'Afrique subsaharienne avait atteint 74 % en 2006, elle a été ramenée à 62 % en 2007, à 53 % en 2008 et à 55 % en 2009 , soit sensiblement en dessous des 60 % demandés par le CICID en 2009 pour renverser cette tendance.

En 2010, cette proportion a atteint les 60 %. On voit ainsi les premiers effets du cadrage budgétaire défini en 2009 confirmés par le document-cadre et par le COM. Désormais, l'effort financier de l'État devra rester concentré sur l'Afrique subsaharienne et sur les pays prioritaires.

On constate toutefois que ni le document-cadre, ni le COM, ni le projet de loi de finances pour 2012 n'apportent une réponse satisfaisante à la question du niveau des moyens destinés à ces zones prioritaires.

Répartition des engagements de l'AFD en Afrique subsaharienne
par instrument et par type de pays en 2010 (en millions d'euros) :

Subventions

Prêts

Garanties

Total

En%

14 pays pauvres prioritaires

156

211

66

433

24%

PMA non prioritaires

33

151

17

201

11%

Pays à faible revenu

0

419

17

436

25%

Pays à revenu intermédiaire

14

426

42

482

27%

Multi-pays

102

100

8

209

12%

Total

321

1306

150

1778

100%

Source : AFD

L'ensemble des documents stratégiques de la coopération française définissent l'Afrique subsaharienne et les 14 pays prioritaires comme les priorités absolues de l'AFD.

Or, on constate que les 14 pays pauvres prioritaires d'Afrique subsaharienne ne représentent qu'une partie résiduelle des interventions en Afrique subsaharienne faute de crédits budgétaires sous forme de subventions suffisantes pour intervenir dans ces pays.

Même en Afrique subsaharienne, les subventions (y compris aides budgétaires globales et contrats de désendettement et de développement) n'ont représenté que 14 % de l'activité du groupe (dont les subventions-projet, avec 5 %). Tout le monde s'accorde pour dire qu'avec 156 millions de subventions pour 14 pays prioritaires, l'AFD ne dispose pas de moyens pour intervenir de façon significative.

En résumé, un chiffre illustre la situation paradoxale de l'AFD en 2010 : les 14 pays prioritaires auront représenté 24 % des engagements de l'AFD en Afrique et 8 % des engagements de l'AFD dans le monde

b) La conjonction des restrictions des frais de fonctionnement et de la diversification géographique risque-t-il de conduire à une diminution des moyens des agences en Afrique subsaharienne ?

Le nouveau contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD consacré aux moyens prévoit une maîtrise de ses charges de fonctionnement et de personnel qui se trouvent désormais encadrées.

Il prévoit que cette maîtrise repose notamment sur les éléments suivants :

- un plafond d'augmentation annuelle de la rémunération moyenne du personnel en place (RMPP) fixé à 3,33 % en 2011-2013 ;

- une évolution des effectifs (cadres généraux et recrutés locaux) conforme à 1 757 en 2013 ;

- un plafond des frais généraux hors frais de personnel à 82,8 millions d'euros en 2013.

Cet encadrement conduit à réduire sensiblement la progression des frais généraux hors frais de personnel. La cible retenue suppose en effet une croissance d'environ 1 % par an contre des taux de 10 à 20 % les années précédentes. Cette maîtrise des coûts s'est traduite, dès le budget 2011, par des mesures d'économie.

Le budget 2011, adopté en mars par le conseil d'administration, prévoit un redimensionnement du réseau, notamment une révision de la présence de l'AFD à Luanda, à Sana'a et Ventiane, une réduction du budget de la production intellectuelle de 18 %, des charges de travaux, fournitures et services extérieurs de 13 % avec un moindre recours aux consultants extérieurs ainsi qu'une légère réduction des budgets de déplacement et de publication.

Ces mesures d'économie n'empêchent cependant pas l'AFD de poursuivre sa diversification géographique avec le démarrage de ses interventions en Asie centrale (Kazakhstan et Ouzbékistan), au Bangladesh et dans trois pays du Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan).

La conjonction de cette restriction des coûts de fonctionnement et la poursuite de la diversification géographiques des activités de l'AFD suscitent naturellement des interrogations.

La première concerne le réseau. L'AFD dispose d'un réseau dans une cinquantaine de pays et est dotée d'un personnel qualifié qui lui donne une connaissance du terrain remarquable. Il s'agit d'un atout précieux dont ne disposent pas tous les bailleurs de fonds. Ce réseau contribue en amont à la gestion des risques en assurant la sélection et l'instruction des projets fondées sur une connaissance directe du terrain et des interlocuteurs.

Il convient, en conséquence, de bien mesurer dans le redimensionnement du réseau les coûts et les avantages des implantations de l'AFD. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille renoncer à faire évoluer le réseau et à accroître ses effectifs là où le besoin s'en fait sentir, comme en Tunisie et en Egypte, et à les réduire ailleurs.

L'Inspection des finances avait relevé qu'en 2009 l'AFD était présente dans 17 pays, qui ne sont pas explicitement mentionnés par le CICID du 5 juin 2009, comme l'Éthiopie, Maurice, le Kenya, la République dominicaine, la Thaïlande ou la Jordanie . Elle relevait que la productivité des agences présentait une grande variabilité. Il y a donc, sans doute, des ajustements possibles dans le sens d'une plus grande efficacité, pour permettre d'adapter le réseau aux priorités de l'agence et de la France, et notamment d'ouvrir de nouvelles agences ou de renforcer les effectifs dans les pays arabes du pourtour méditerranéen.

Les normes de progression des frais de fonctionnement inscrites dans le contrat d'objectifs et de moyens conduisent nécessairement à faire des choix plus sélectifs dans l'évolution des effectifs du réseau. Dans ce contexte, vos rapporteurs s'inquiètent que la possibilité de nouvelles implantations dans de nouveaux pays en Asie centrale ou dans le Caucase ne se traduise par des réductions d'effectifs dans les zones prioritaires de la coopération française.

S'agissant des engagements financiers, il a été souvent répété à vos rapporteurs que les prêts consentis dans les pays émergents n'étaient par pris sur des sommes qui pourraient bénéficier à des pays d'Afrique subsaharienne. Autrement dit, l'arrêt des interventions de l'AFD dans les pays émergents, ne pourrait, de toute façon, pas bénéficier aux 14 pays prioritaires dans la mesure où il s'agissait de prêts non bonifiés.

S'agissant des moyens de fonctionnement de l'AFD, vos rapporteurs sont plus circonspects dans la mesure où les normes d'encadrement des frais de fonctionnement sont définies globalement. Ce qui sera dépensé dans une région du monde ne pourra vraisemblablement pas l'être dans une autre partie du monde.

Vos rapporteurs se doivent de rappeler, à cette occasion, leur opposition, déjà exprimée lors de l'examen du contrat d'objectifs et de moyens, à la fixation d'objectifs de frais de fonctionnement en valeur absolue indépendamment de l'évolution de l'activité. Des ratios d'efficience rapportant les frais généraux aux engagements ou même de marges bancaires auraient été préférables à un encadrement nécessairement arbitraire.

c) La légitimité de la diversification géographique de l'AFD suscite encore des interrogations.

En dehors de la question du réseau des agences de l'AFD, l'extension des activités de l'agence au-delà du périmètre prioritaire de la coopération française continue de susciter des interrogations au sein de la commission des affaires étrangères du Sénat.

Certains considèrent que, pour justifié qu'il soit, le mandat relatif aux biens publics mondiaux conduit à intervenir dans des pays comme la Chine, qui ont des capacités financières qui devraient leur permettre de financer eux-mêmes ce type de projet. À un moment où la Chine vole au secours de l'euro, où sa puissance financière lui permettrait de racheter la dette du Portugal ou de la Grèce, l'idée de la France de poursuivre son aide au développement en Chine suscite la perplexité. Cette perplexité est accrue par le fait que la Chine se trouve être, selon les années, le quatrième ou le sixième bénéficiaire de l'APD française au sens de l'OCDE.

Face à ces interrogations, l'AFD a supprimé toute bonification des prêts consentis à la Chine. Le directeur général de l'AFD a souligné devant la commission que ses interventions ne coûtaient rien aux finances publiques. Il a indiqué que la place de la Chine parmi les bénéficiaires de l'APD française était liée à la comptabilisation des prêts non concessionnels et des écolages.

En définitive, même si son action est comptabilisée au titre de l'aide publique au développement, les engagements financiers de l'AFD en Chine ne correspondent ni à de l'aide, ni à un effort public, ni à du développement au sens traditionnel du terme. Alors, à quoi correspond cette activité au regard des objectifs de la coopération française ? Voilà une question récurrente que se posent les membres de la commission des affaires étrangères.

À cette question, le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD, adopté le 7 juillet dernier par son conseil d'administration, apporte une première réponse en stipulant que : « Conformément aux termes de la lettre de mission de son Directeur général et aux orientations du document cadre de coopération pour le développement, l'AFD poursuivra le développement de son activité dans les pays émergents, en veillant à limiter ses interventions concessionnelles et en privilégiant les pays représentants des enjeux stratégiques majeurs. Ces instruments viseront à la promotion d'une croissance verte et solidaire en s'efforçant de valoriser l'expertise de la France et les compétences de ses entreprises ».

Le plan d'orientation stratégique de l'AFD adopté le 16 novembre dernier poursuit la même idée en indiquant que l'expertise de l'AFD dans les pays émergents « vise une coopération bilatérale avec des experts et des opérateurs techniques français ayant des compétences et des métiers comparables, dans une optique de partage d'expérience. Elle constitue un terrain privilégié pour la mission d'influence française de l'Agence et constitue un élément essentiel de l'attractivité et de la compétitivité de l'offre AFD. ».

Il faut donc comprendre que l'AFD poursuit dans les pays émergents deux objectifs : le premier est la promotion d'une croissance verte et solidaire et le deuxième est la promotion des intérêts français .

S'agissant du premier objectif, dire que l'AFD est en mesure, par ses financements, d'infléchir la trajectoire de croissance d'un pays comme la Chine ou l'Inde vers un développement plus sobre en carbone a semblé, au regard des sommes en jeu, peu vraisemblable.

Vos rapporteurs ont néanmoins souhaité approfondir cette question à travers une mission d'évaluation de l'activité de l'AFD en Inde.

Il ressort de cette mission que l'AFD mène, dans ce pays comme dans d'autres pays émergents, une activité de banque de développement qui devrait être, à terme, rentable et qui, par ailleurs, semble conforme aux intérêts de la France.

Une des conclusions de la mission est que l'accroissement des activités de l'AFD dans les pays émergents poursuit, outre les deux objectifs précités, un objectif financier de diversification des risques et de rentabilité financière.

L'extension du champ d'intervention de l'AFD aux grands pays émergents a un double effet positif en matière de risques : d'une part ces pays sont mieux notés et moins risqués que la plupart des pays africains ; d'autre part l'Agence diversifie ses risques, qui sont répartis sur un plus grand nombre de contreparties.

Même si l'AFD n'a pas souhaité communiquer aux rapporteurs des chiffres relatifs à la marge bancaire susceptible d'être dégagée par ses activités en Inde, ces derniers en ont retiré la conviction que des projets financés permettraient de dégager une marge bénéficiaire susceptible de financer les frais généraux de l'agence.

S'agissant du premier objectif relatif aux biens publics mondiaux, la capacité de ces financements à influencer la trajectoire de croissance d'un pays comme l'Inde apparaît, en revanche, extrêmement limitée dans la mesure où les interventions de l'AFD représentent au mieux 1/1000 des financements mobilisés par l'Inde pour financer son plan quinquennal relatif aux infrastructures.

En ce qui concerne le deuxième objectif, relatif à la promotion de l'expertise française, vos rapporteurs estiment que la présence de l'AFD dans ces pays présente de nombreux avantages.

Si d'aucuns estiment qu'en allant « faire du chiffre » et promouvoir les intérêts économiques et commerciaux français, l'AFD s'est ainsi dévoyée de sa vocation et participe à une régression vers une aide déliée, vos rapporteurs constatent également que ces interventions nourrissent des relations bilatérales avec des acteurs majeurs de l'économie mondiale et qu'elles contribuent à légitimer le discours des pouvoirs publics dans les négociations internationales sur le climat.

Elles renforcent l'expertise française dans ces pays. Elles peuvent, dans le cadre d'une aide déliée, contribuer aux exportations des entreprises françaises dans la mesure où ces financements concernent des secteurs comme l'eau ou les transports urbains, où des entreprises françaises sont bien implantées.

Pour vos rapporteurs, la cohérence de ce positionnement repose néanmoins sur la rentabilité de ces interventions et le caractère limité des moyens budgétaires mis en oeuvre .

Cette diversification apparaît légitime si, à terme, le produit de cette activité peut contribuer aux résultats de l'AFD et, ainsi, indirectement au financement de ses activités dans des zones plus prioritaires de la coopération française.

Pour l'instant, votre commission n'a aucune donnée lui permettant de penser que les agences, dans les pays émergents, vont devenir des centres de profits dont les résultats profiteront à l'ensemble de l'établissement et donc aux activités déficitaires dans les pays d'Afrique francophones.

Paradoxalement, la réalité de la rentabilité des opérations dans les pays émergents ainsi que l'intérêt d'une péréquation entre les zones bénéficiaires et les zones déficitaires ne sont pas mis en avant par une institution par ailleurs très réticente à dire qu'elle gagne de l'argent en dépit d'un résultat net positif permanent.

De ce point de vue, la poursuite de la stratégie de l'AFD suscite deux séries d'observations, d'une part, sur le coût État de ses interventions et, d'autre part, sur la transparence de l'AFD quant à la rentabilité des projets qu'elle finance dans les pays émergents.

S'agissant du coût État de ces interventions, vos rapporteurs étaient naturellement favorables au plafonnement de la part de l'effort financier de l'Etat consacré au financement concessionnel dans les pays émergents.

Même plafonné à 10 %, cet effort reste conséquent. Il a représenté 77 millions d'euros en 2009, ce qui correspond à la moitié des subventions reçues par 14 pays prioritaires de la coopération française.

C'est pourquoi vos rapporteurs seront particulièrement vigilants sur la progressive disparition des bonifications d'intérêt dans ces zones.

Ils observent, à la suite de leur mission en Inde, que la perspective d'une disparition totale de la concessionnalité semble plus éloignée qu'à première vue.

Ils ont constaté, dans l'Inde du moins, que l'AFD exerçait son activité sur un marché où il existait une véritable concurrence entre les banques de développement. Dans le secteur des infrastructures, notamment, les Etats émergents ont la possibilité de choisir, entre les différentes banques de développement, les conditions les meilleures.

Dans ce contexte, la suppression de tout élément de concessionnalité doit être évaluée au regard de la concurrence. En Inde, les interventions de l'AFD offraient des taux d'intérêt moins intéressants que ses concurrents japonais et allemand sur des durées souvent plus longues. Compte tenu de son implantation très récente dans les pays émergents, il apparaît donc difficile de supprimer à court terme tout élément de bonification. Dès lors, le montant de l'effort financier de l'Etat consacré au financement concessionnel dans les pays émergents ne semble pas exorbitant par rapport au montant très élevé des contrats de financement signés par l'AFD.

S'agissant de la transparence de l'AFD sur la rentabilité des opérations financées dans les pays émergents, vos rapporteurs ont constaté que celle-ci avait, à plusieurs reprises, refusé de communiquer des données sur les marges bancaires susceptibles d'être dégagées des opérations effectuées en Inde et en Chine.

De deux choses l'une : soit ces opérations sont déficitaires et conduisent l'AFD à prélever sur ses frais de fonctionnement pour poursuivre ses activités dans les pays émergents. Si cela est le cas, compte tenu de l'étroitesse des marges de manoeuvre de l'agence en Afrique subsaharienne, vos rapporteurs seraient d'avis d'examiner plus avant la pertinence des implantations de l'AFD dans ces pays : soit ces opérations sont bénéficiaires ou le seront à terme.

Vos rapporteurs ont tendance à privilégier la seconde hypothèse. Ils comprennent que l'AFD est dans la situation complexe d'intervenir en Chine ou en Inde au titre de l'aide au développement, sous le statut juridique et fiscal d'un organisme non lucratif d'agence de coopération au développement, pour y conduire des opérations financières économiquement rentables sur des projets intéressant, les entreprises et les expertises françaises.

Cette situation complexe, qui explique la difficulté à communiquer sur une éventuelle péréquation entre les activités rentables dans les pays émergents et celles menées en Afrique, n'a pas permis de mettre en valeur la cohérence de la stratégie, ni de clarifier aux yeux des contribuables les motivations de l'activité de l'AFD dans ces pays.

En conclusion sur ce point, votre commission des affaires étrangères, alertée par ses rapporteurs, estime qu'il n'est pas normal que le Parlement ne soit pas informé des objectifs et des conséquences de l'extension géographique des activités du principal opérateur français d'aide au développement.

L'AFD intervient aujourd'hui dans une centaine de pays et compte 68 agences et bureaux. Le nombre de ces implantations s'est accru de 30 % depuis 2005 sans que le Parlement n'ait eu à se prononcer sur cette stratégie. On refuse aujourd'hui de lui donner les informations nécessaires pour comprendre les conséquences financières de ces nouvelles implantations.

On peut se demander si les membres du conseil d'administration sont eux-mêmes informés de la rentabilité à terme des activités de l'AFD dans ces géographies.

En 2012, l'AFD devrait démarrer ses interventions en Asie centrale (Kazakhstan et Ouzbékistan), au Bangladesh et dans trois pays du Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) 42 ( * ) .

Vos rapporteurs comme d'autres membres de la commission se sont interrogés sur les objectifs de l'AFD dans ces pays. S'agit-il d'aide au développement ? De soutien au commerce extérieur français ? De coopération politique ? Ces interventions entraîneront-elles la consommation de crédits budgétaires ? Si c'était le cas, ces crédits seront-ils prélevés sur les crédits de subventions déjà faibles que la coopération française dirige prioritairement vers l'Afrique subsaharienne ?

3. Un modèle économique et des relations financières avec l'Etat à clarifier

Le nouveau contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD est arrivé après une période de croissance sans précédent des engagements financiers de l'AFD, à l'issue de laquelle la pérennité du modèle économique de l'AFD et la nature de ses relations financières avec l'Etat soulevaient des interrogations.

La très forte croissance des activités a été techniquement rendue possible par l'existence de fonds propres, accumulés depuis la fondation de l'AFD, qui permet, à l'AFD, en sus de l'adossement à l'Etat, de bénéficier sur les marchés d'une signature triple AAA.

Or aujourd'hui, l'agence est en train d'atteindre le plafond des engagements d'activités, autorisé par le ratio bancaire « grands risques », dans plusieurs pays stratégiques comme la Tunisie et le Maroc.

En outre, cette croissance a aussi entraîné une diminution du ratio de solvabilité, de l'ordre de 50 % en 2005-2006 à 28 % au 30 juin 2011.

Cette situation a suscité une demande de redéfinition de la répartition du résultat net entre l'Etat et l'AFD qui, depuis 2004, est entièrement capté par l'Etat, qui a ainsi bénéficié de versements cumulés de plus d'un milliard d'euros sur la période.

Au-delà de la répartition du dividende, la multiplication des financements croisés entre l'Etat et l'AFD a également créé des tensions dans une période de restrictions budgétaires.

La relative opacité des relations croisées entre l'Etat et l'AFD, tant en matière de bonifications versées par l'Etat, de politique de provisionnement du portefeuille par l'AFD que de rémunération des différentes activités que l'AFD exerce pour le compte de l'Etat, ne permet pas d'avoir une vision d'ensemble claire des relations budgétaires entre l'AFD et ses tutelles.

Enfin, la concomitance d'une période de très forte croissance et de restriction budgétaire étatique conduit à s'interroger sur la nécessité d'une période de stabilisation de l'activité du groupe AFD autour de 7 milliards d'engagements.

En effet, aux interrogations internes sur le fait de savoir si l'architecture interne et les procédures de l'Agence mises en place pour une activité de 2 milliards d'engagements sont encore pleinement pertinentes pour des engagements trois fois plus importants s'ajoutent les demandes des pouvoirs publics de participer aux efforts de réduction des coûts de fonctionnements des opérateurs de l'Etat.

Si ce contexte milite pour une phase de stabilisation, celle-ci aurait été cependant contradictoire avec des objectifs d'engagements plus ambitieux en Afrique, renforcés par les nombreux engagements politiques et une demande de financement croissant dans les pays émergents qui, investissant de façon massive, sont très demandeurs des interventions de l'AFD.

Le nouveau contrat d'objectif et de moyen n'a pas répondu à l'ensemble de ces interrogations.

a) L'accord sur la répartition du dividende n'est pas satisfaisant

Le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD prévoit pour la première fois que « l'Etat fixera des règles précises et pluriannuelles de distribution du résultat net de l'AFD, calibré afin d'assurer, outre la rémunération de l'actionnaire unique, une incitation interne à la bonne gestion financière et un maintien des fonds propres de l'Agence à un niveau adapté à ses mandats et à sa stratégie ».

Votre commission s'est félicitée que le principe d'une distribution du résultat, qui assure une incitation interne à la bonne gestion financière, et le maintien des fonds propres soient clairement édictés dans le contrat.

D'après les informations dont disposent vos rapporteurs, l'accord envisagé prévoit que l'Etat prélèvera dorénavant 75 %, jusqu'à 75 millions d'euros, de résultats, puis 50 % entre 75 millions et 140 millions et renvoie à une négociation ultérieure la détermination du prélèvement pour des résultats supérieurs à 140 millions d'euros.

Les prévisions de résultats de l'AFD pour les deux prochaines années se situant entre 80 millions et 100 millions d'euros, le taux moyen de prélèvement de l'Etat devrait se situer plus proche de 75 % que de 50 %. Dans ce contexte, l'AFD pourrait abonder ses fonds propres d'environ 20 à 25 millions d'euros.

Cette mesure semble insuffisante pour contenir les évolutions des ratios prudentiels dans les prochaines années.

Comme le souligne la Cour des comptes, « les besoins de fonds propres additionnels sont estimés par l'AFD entre 200 millions d'euros et 400 millions d'euros d'ici 2012 » ;« il serait préférable de ne pas poursuivre sur la lancée actuelle sans baliser la trajectoire ». Lorsqu'on compare à d'autres établissements ayant un objet similaire, on constate en effet que la taille de leurs fonds propres est souvent plus importante. Ainsi, la BERD a-t-elle récemment augmenté ses fonds propres de 20 à 30 milliards d'euros pour un niveau d'engagement de 8 milliards par an comparable à celui de l'AFD.

L'augmentation proposée des fonds propres appliquée au ratio « grand risque » permet une augmentation d'environ 5 millions d'engagements sur les pays proches du plafond comme la Tunisie ou le Maroc.

Cette augmentation permettra-elle à l'Agence, dans un contexte prudentiel évolutif, de poursuivre la croissance de ses engagements pour mettre en oeuvre les engagements pris par la France dans le cadre du « Partenariat de Deauville » ?

La question fait l'objet de réponse divergente selon les interlocuteurs. Mais, il est à noter que la mise en oeuvre de la règlementation « Bâle III » devrait desserrer ces contraintes dès 2013 en permettant à l'AFD de comptabiliser dans ses fonds propres la totalité de la « ressource à conditions spéciales » (RCS) que lui octroie l'État (prêts très avantageux du Trésor à l'AFD au taux fixe 0,25%, d'une durée de 30 ans dont 10 de différé), alors qu'aujourd'hui cette RCS n'est comptabilisable qu'à hauteur de la moitié des fonds propres de base de l'Agence.

On observera que si l'AFD avait pu intégrer dans ses réserves les 1,1 milliard d'euros distribués à l'Etat depuis 2004, la capacité d'engagement au regard des « grands risques aurait été de 275 millions d'euros », ce qui est plus en phase avec les demandes actuelles des pays comme le Maroc ou la Tunisie.

Votre commission considère que cet arrangement, fruit d'un compromis entre des positions éloignées, ne correspond à aucune logique économique et financière, sinon à celle, louable mais finalement indifférente à l'objet de l'AFD, de ne pas diminuer une source de financement d'un Etat aujourd'hui impécunieux.

Votre commission a estimé qu'une distribution du résultat net pour moitié pour l'Etat et pour moitié pour les fonds propres de l'AFD serait une mesure plus judicieuse. Il est, par ailleurs, essentiel que cette règle figure dans le COM et non dans une lettre conjointe du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre du budget.

Compte tenu de son activité de crédit, les fonds propres de l'AFD sont un élément de ses ressources. Dès lors, il apparaît singulier de prévoir les objectifs et les moyens de l'AFD dans un contrat et de soustraire cette ressource-là du contrat. En outre, laisser au seul ministère des finances le soin de définir cet élément essentiel de l'équilibre financier de l'AFD est en contradiction avec l'idée d'une cotutelle de l'AFD.

En conclusion, la commission demande à ce que le prélèvement de l'Etat sur le résultat net soit limité à 50 % et que cette clef de répartition soit inscrite dans le contrat et se réserve la possibilité de l'imposer par voie d'amendement.

b) Le COM n'a pas permis d'effectuer un choix entre une stabilisation ou une poursuite de la croissance des engagements de l'AFD

Quelques semaines après l'adoption du contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD, le plan d'orientation stratégique de l'agence (POS 3) ne définit pas une trajectoire d'activité mais recense des scénarios possibles. Le COM, présenté comme la feuille de route pour les trois années à venir n'a donc pas réussi à lever les incertitudes quant aux moyens et aux objectifs de l'opérateur pivot de la coopération française. De ce fait, le POS 3 comme son prédécesseur le POS 2 propose trois scénarios pour les futures autorisations de financement du Groupe AFD :

- scénario 1 de « stabilisation » : le montant des autorisations croît de 500 millions d'euros par an en 2012 et 2013 et est stabilisé à 8 milliards d'euros à partir de 2014 ;

- scénario 2 de « croissance maitrisée » : mêmes hypothèses pendant la période couverte par le COM, puis croissance annuelle des autorisations pour atteindre 10 milliards d'euros en 2016 ;

- scénario 3 « volontariste » : montant d'autorisation cible de 12 milliards en 2016.

Ces scénarios confirment le doublement, dans tous les cas, de l'encours de crédit, principalement influencé par le niveau des autorisations accordées au cours du POS antérieur en raison de l'inertie importante du portefeuille.

La période couverte par le POS3 peut être scindée en deux séquences : la période couverte par le premier COM (jusqu'à 2013) devrait faire l'objet d'une croissance des nouvelles autorisations de financement de 7 milliards en 2012 à 8 milliards d'euros en 2013.

Pour la période 2014-2016, les hypothèses retenues varient d'une stabilisation des nouvelles autorisations de financement à 8 milliards à une augmentation progressive à 10 ou 12 milliards d'euros. Ces hypothèses seront affinées lors de la préparation du deuxième COM, en tenant compte notamment de l'évolution de la conjoncture internationale et des perspectives de moyens confiés à l'Agence pour cette période, notamment de ses fonds propres.

Selon la direction générale de l'AFD, entendue par votre commission, le niveau dépendra de la consolidation de ses fonds propres. M. Dov Zerah a, en effet, souligné que « le schéma sur lequel nous avons fonctionné pendant cette décennie arrive à ses limites, puisque notre ratio de solvabilité est aujourd'hui inférieur à 30 %. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à nos autorités de tutelle une augmentation des fonds propres. Cette demande n'a pour l'instant pas reçu de réponse positive. Nous avons proposé différentes modalités dont certaines sont indolores pour les finances publiques. ».

De son côté, le directeur général du trésor a souligné devant la commission que : « La situation de l'AFD au regard des ratios de solvabilité est très confortable puisque celui-ci avoisine les 29 %, une situation très nettement supérieure à certains de ses homologues ».

S'agissant du ratio de solvabilité de l'Agence, la limite prudentielle de 8% est en effet aujourd'hui loin d'être atteinte. Le ratio de solvabilité de l'AFD est, en outre, dans la moyenne de ses pairs ; il est très supérieur à celui de la KfW allemande (9,5%), qui dispose, il est vrai, d'une garantie publique, et à celui d'Oséo (environ 9% au 31 décembre 2011, après recapitalisation). Le ratio « core Tier 1 » de l'AFD s'établissait quant à lui à 18% à fin 2010.

Les projections de bilan effectuées par l'AFD dans le cadre de l'élaboration de son plan d'orientation stratégique pour 2012-2016 montrent que même dans le scénario d'engagements le plus ambitieux, qui fait l'hypothèse d'une augmentation de 5 milliards des engagements en cinq ans, pour atteindre 12 milliards en 2013, les limites prudentielles auxquelles est soumise l'AFD ne seront pas franchies à moyen terme.

Au-delà de ces appréciations divergentes, il convient de savoir, au regard des marchés, si l'AFD doit être considérée comme une entité autonome responsable financièrement de l'ensemble de ses engagements et, notamment, de ses prêts souverains jusqu'au dernier euro ou s'il faut prendre en compte l'adossement de l'AFD à l'État et le recours possible au Club de Paris.

Dans le premier cas, l'AFD doit disposer des fonds propres nécessaires pour accroître ses autorisations de financement au-delà des limites actuelles. Or compte tenu des engagements passés et de l'inertie du bilan comptable, le ratio de solvabilité risque de décroître de façon très rapide pour atteindre des niveaux particulièrement bas dans les années 2015/2016.

Dans le second cas, la question du niveau des fonds propres ne se pose qu'en termes de respect des ratios prudentiels.

Il faut, en outre, souligner que le niveau des fonds propres de l'AFD influence celui des capitaux libres dont la rémunération constitue une source essentielle de l'excédent brut d'exploitation de l'agence qui lui permet de financer des activités non rémunérées comme la production de connaissances, ou déficitaires comme la gestion des subventions. L'enjeu des fonds propres ne concerne donc pas seulement la politique de risque de l'agence mais également son niveau d'activité.

c) Un modèle économique qui suscite des interrogations ?

L'examen du contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD a conduit vos rapporteurs à mieux comprendre le modèle économique complexe de l'AFD. Sans prétendre à une compréhension exhaustive des mécanismes financiers particulièrement raffinés, il leur semble que ce modèle mériterait une clarification.

(1) L'AFD est-il un établissement non lucratif ?

De par son objet social, l'AFD n'a pas vocation à générer un profit. S'il est demandé à son directeur général une gestion efficiente de l'agence, ni sa lettre de mission ni le contrat d'objectifs et de moyens ne fixent d'objectifs en matière d'excédent d'exploitation. Le caractère non lucratif de cet établissement est d'ailleurs parfois une condition juridique de son établissement dans certains pays comme l'Inde.

Il reste que l'AFD, ces dernières années, a dégagé un résultat net qui oscille entre 100 et 200 millions d'euros.

Evolution du résultat net de l'AFD

Réalisé
2005

Réalisé
2006

Réalisé
2007

Réalisé
2008

Réalisé 2009

Réalisé 2010

Résultat net de l'AFD (en M€)

189,1

247,8

288,5

167,2

246,5

103,7

Résultat distribué

94,5

247,8

288,5

167,2

220,0

70,6*

en % du résultat net

50%

100%

100%

100%

89%

68%*

Part du résultat prélevée par l'Etat

94,5

247,8

288,5

167,2

220,0

70,6*

en % du résultat distribué

100%

100%

100%

100%

100%

100%

Source : AFD

Selon le plan d'orientation stratégique récemment adopté par l'AFD, « le résultat comptable dégagé sur un exercice s'explique notamment par : une sinistralité constatée inférieure, jusqu'à présent, à la marge censée la couvrir et la rémunération des capitaux libres .... Les revenus bruts dégagés par la rémunération des capitaux libres représentent 100 à 120 millions d'euros/an et permettent de couvrir le coût des activités non rémunérées (production de connaissances, CEFEB, appui conseil aux pouvoirs publics français), ou déficitaires (prestations et subventions), laissant un solde de l'ordre de 50 millions d'euros/an. »

Il est, par ailleurs, dit que les activités de prêts ne sont globalement pas conçues pour produire un excédent d'exploitation : « la tarification qui s'applique à l'essentiel des prêts a été établie sans marge bénéficiaire, de manière à obtenir un résultat économique nul ». Il s'avère toutefois que la tarification des prêts est fixée de façon homogène quels que soient la géographie, la nature des projets financés et leur montant. Autrement dit, la tarification ne varie pas en fonction du cours réel de l'instruction et du suivi des projets, mais intègre une marge de nature à couvrir in fine l'ensemble des coûts de fonctionnement de l'AFD.

C'est dans cette tarification que repose un élément de péréquation. Péréquation, d'une part, entre les activités rentables de crédits et de production financière et des activités déficitaires de gestion de subventions, de production intellectuelle, de conseils, de partenariats et de communication, d'autre part, entre zones géographiques, dans la mesure où la marge bancaire de l'AFD est produite dans les zones les plus prospères alors que les activités de gestion de prêts ou de subventions, dans les zones les moins pourvues, sont globalement déficitaires.

Ce modèle économique présente l'avantage relativement efficient de peser faiblement sur les deniers publics, puisqu'une partie des activités qui pourraient être financées par le budget de l'État sont prises en charge par l'AFD au titre de ses frais de fonctionnement grâce aux marges effectuées sur les projets les plus bénéficiaires.

Est-ce que l'ensemble du modèle économique peut être considéré comme non lucratif ? C'est une question qu'on est en droit de se poser au regard du montant des dividendes redistribués à l'État, qui dépasse très largement les 50 millions d'euros par an précités. On peut toutefois observer que le résultat redistribué à l'État d'environ 200 millions d'euros est très inférieur aux ressources allouées par le budget à l'AFD qui avoisinent en tout le milliard. En revanche, force est de constater que les activités de l'AFD sont, selon les pays, plus ou moins désintéressées.

Ce modèle présente l'inconvénient d'une véritable opacité. L'ensemble des financements croisés ne permet pas d'évaluer les activités à leur coût réel. En outre, tout semble se passer comme si les services de l'AFD profitent de cette complexité pour conserver des marges de manoeuvre face à des tutelles peu outillées pour suivre les circuits financiers de l'AFD.

Selon le dernier plan d'orientation de l'AFD, ce modèle économique non lucratif aurait, en outre, atteint un certain nombre de limites

« Du fait de cette tarification non lucrative qui a été ajustée en 2007 pour s'adapter à l'évolution des marchés financiers, les marges des produits à venir seront plus faibles que celles passées et devraient peser sur la formation des résultats futurs. Les possibilités d'accroître les produits de commissions et les marges sont encore faibles, pour au moins trois raisons : la concurrence entre développeurs ; les conventions d'établissement dans les pays partenaires qui prévoient le plus souvent que l'AFD mène une activité non-lucrative ; le risque de brouiller l'image de l'Agence et qu'elle soit perçue comme exerçant une concurrence anormale vis-à-vis d'opérateurs privés. »

« La différence entre lecture économique et lecture comptable ne posait pas de problème en l'absence de dividende. Ceci n'est plus le cas depuis 2004 avec le versement d'un montant cumulé d'1,1 Md€ de dividendes. ».

Vos rapporteurs ont du mal à comprendre ce que signifient concrètement ces observations.

S'agit-il, devant la pression exercée sur les frais de fonctionnement, d'un pas en avant vers une modification des tarifications, qui consisterait à prévoir, pour certains prêts, dans certains pays et secteurs, une véritable marge bénéficiaire, avec le risque souligné de brouiller l'image de l'Agence et qu'elle soit perçue comme exerçant une concurrence anormale vis-à-vis d'opérateurs privés ?

Il s'agit sans doute là d'un débat important qui doit, selon vos rapporteurs, être précédé d'une plus grande visibilité sur la rentabilité réelle des différentes activités de l'AFD, par instrument mais aussi par pays.

Ce débat n'est, en outre, évidemment pas indépendant du débat sur les relations financières entre l'AFD et l'État.

(2) La rémunération de l'AFD par l'Etat pour les opérations gérées pour son compte a-t-elle encore vocation à couvrir les frais réels ?

Le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD précise les ressources budgétaires à la disposition de l'agence et définit, dans son principe, les règles de redistribution du résultat net issu de l'utilisation de ses ressources entre l'Etat et l'AFD. Sous réserve des observations sur l'absence de définition des modalités de répartition du résultat dans le corps de contrat, ce dernier offre une visibilité appréciable sur une partie des relations budgétaires AFD/Etat, mais sur une partie seulement.

Ainsi, pour 2010, l'AFD a trouvé sur les marchés financiers plus de 2 milliards d'euros de financement, elle a bénéficié de moins d'un milliard de crédits budgétaires, elle a reversé un peu plus de 70 millions de son résultat net à l'État. Les relations financières ne s'arrêtent cependant pas là.

L'Etat, par le biais des prestations exécutées pour son compte par l'AFD, a une influence non négligeable sur la formation de ce résultat net. En effet, l'AFD effectue, pour le compte de l'Etat, des prestations qui sont soit intégralement financées sur les fonds propres de l'AFD, comme les activités d'appui et de conseils aux pouvoirs publics, soit partiellement rémunérées par l'Etat, comme la gestion des subventions, du soutien aux ONG ou aux collectivités territoriales.

Ces prestations ont fait l'objet d'un transfert de compétence de l'Etat à l'AFD et font apparaître un déficit structurel à la charge de l'AFD.

Or, le périmètre de ces prestations est évolutif, en particulier dans le domaine du conseil aux pouvoirs publics, des partenariats ou de la communication. Si l'on considère la seule gestion des subventions, de l'aide budgétaire globale et des contrats désendettement développement (C2D), progressivement transférée à l'AFD depuis 2004, celle-ci est structurellement déficitaire du fait de la faible rémunération de l'AFD pour la gestion de ces prestations.

Le tableau ci-dessous présente un bilan financier de la gestion des subventions-projets selon la comptabilité analytique de l'AFD (montants en M€) :

(1) Données 2006 retraitées car mise en place de la comptabilité analytique par métier en 2007.

(2) Pour chaque exercice, la base de calcul de la rémunération est égale à 50% des engagements de subvention + 50% des décaissements de subvention.

L'article 12 de la convention-cadre prévoit une rémunération de l'AFD pour les opérations qu'elle effectue pour le compte de l'Etat, pour chaque type de concours, par le produit d'un taux forfaitaire (10 % pour les dons, 1 % pour les ABG et 2 % pour les C2D) et d'un indicateur d'activité. Depuis l'exercice 2010, les crédits budgétaires affectés à la rémunération de l'agence sont répartis entre les programmes 110 et 209 au prorata des activités entrant sous ces deux programmes.

Cette situation n'est pas conforme à la convention-cadre entre l'Etat et l'AFD qui visait un financement équilibré de chaque activité en prévoyant que « les rémunérations de l'AFD visent à couvrir ses coûts réels ».

Votre commission aurait souhaité en conséquence que ce principe soit rappelé dans le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD.

Sur les modalités, il conviendra de trouver, sur la base d'un chiffrage partagé entre l'AFD et les tutelles, le niveau et le mode de rémunération le plus adapté.

Votre commission estime que la révision de la convention-cadre entre l'AFD et l'État devrait être l'occasion de mettre à plat l'ensemble des flux financiers entre l'agence et les différents ministères de tutelle.


* 42 Conformément à ses statuts (art. R516-5 du code monétaire et financier), l'AFD est autorisée à intervenir hors de la zone de solidarité prioritaire sur instruction conjointe des ministres compétents, généralement réunis en CICID.

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