B. LA BAISSE DES CRÉDITS DE COOPÉRATION DANS LE DOMAINE DE LA DÉFENSE N'EST PAS EN LIGNE AVEC LES PRIORITÉS DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE FRANÇAISE

1. Des crédits à fort effet de levier

La coopération de défense et de sécurité, dite coopération « structurelle », par opposition à la coopération « opérationnelle » qui relève du ministère de la défense, est un réel outil diplomatique d'influence et de prévention des conflits. Elle est, depuis la réforme de 2008, portée par la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des Affaires étrangères.

En aidant les pays partenaires à structurer, dans le long terme, leurs élites militaires, elle contribue au maintien de la paix et au renforcement de leurs capacités à assumer des missions non seulement militaires mais aussi de protection civile , comme la lutte contre les catastrophes naturelles, le déminage, la dépollution...

Ces crédits ont un fort effet de levier et permettent d'agir à grande échelle avec des moyens réduits, grâce à un partenariat avec 139 autres États ou organisations internationales, dans des régions particulièrement sensibles comme la zone Sahélienne, où le renforcement des capacités des États à lutter contre la menace terroriste est un enjeu vital pour la stabilité de la région.

Avec un budget total alloué de 97,6 millions d'euros, la DCSD a assuré en 2012 2 ( * ) la gestion de 326 projets ou actions de coopération (défense) et 381 actions dans le domaine de la sécurité intérieure et de la protection civile. Elle s'est appuyée sur un réseau de 351 coopérants militaires, gendarmes, policiers et pompiers déployés dans 53 pays, complété par 473 missions de renfort temporaire. La DCSD a formé plus de 3 500 stagiaires, en France et à l'étranger, notamment dans son réseau de 17 écoles nationales à vocation régionale (ENVR) déployées en Afrique, et touché, au travers de ses différentes actions, plus de 65 000 auditeurs et stagiaires.

LES ÉCOLES NATIONALES À VOCATION RÉGIONALE

Domaine de formation

ENVR

Pays

Formation militaire générale

École d'application de l'infanterie

Sénégal

Formation militaire générale

École d'état-major

Gabon

Formation militaire supérieure

Cours supérieur interarmées de défense

Cameroun

Maintien de la paix

École de maintien de la paix

Mali

Maintien de l'ordre

Centre de perfectionnement du maintien de l'ordre

Cameroun

Sécurité intérieure

Cours d'application des officiers de gendarmerie

Sénégal

Police judiciaire

Centre de perfectionnement de la police judiciaire

Bénin

Protection civile

Institut supérieur d'études de protection civile

Burkina Faso

Déminage humanitaire

Centre de perfectionnement aux actions post-conflictuelles de déminage et de dépollution

Bénin

Sécurité maritime

École navale

Guinée équatoriale

Aéronautique

Pôle aéronautique national à vocation régionale

Cameroun

Techniques administratives et financières

École d'administration

Mali

Maintenance / Logistique

École militaire technique

Burkina Faso

Génie-travaux

École du génie-travaux

Congo

Médecine militaire

École du service de santé des armées

Togo

Médecine spécialisée

École d'application santé

Gabon

Formation infirmier / laborantin

École des personnels paramédicaux des armées

Niger

Source : ministère des affaires étrangères

L'impact d'un directeur des études français dans une école régionale africaine de maintien de la paix est considérable rapporté aux crédits budgétaires nécessaires pour le financer.

L'enjeu est de mettre les pays partenaires en situation de faire face eux-mêmes au terrorisme, à la criminalité organisée, au trafic de stupéfiants, à l'insécurité des flux maritimes....

L'impact de nos actions de formation et de structuration est considérable aussi pour organiser dans les pays partenaires une meilleure réponse aux catastrophes naturelles récurrentes (inondations, sécheresse, cyclones...). En organisant et en structurant les forces, en faisant de la planification, les progrès peuvent être considérables, car les capacités en matière de génie, de santé, de transport, de logistique ou encore de transmissions, sont bien souvent présentes, mais éparpillées.

2. Une baisse des crédits incohérente avec les priorités affichées de notre politique étrangère
a) Des crédits qui servent clairement de variable d'ajustement

Les crédits de coopération de sécurité et de défense (30,6 M€ hors titre 2), qui couvrent à la fois des dépenses de fonctionnement (appui logistique et frais de missions) et des dépenses d'intervention, connaissent dans le projet de loi de finances une baisse de 4,3%.

En 2014, ces crédits d'intervention serviront à nouveau, au sein d'un programme 105 particulièrement contraint, de variable d'ajustement, comme votre commission l'avait dénoncé à plusieurs reprises par le passé.

Après la baisse drastique qui avait particulièrement affecté ses crédits d'intervention (-40% en 2007-2008), le budget de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) n'a connu une relative stabilisation qu'entre 2009 et 2011. La décrue a ensuite repris et devrait s'accélérer sur la période 2013-2015.

BUDGETS EXÉCUTÉS, TOUS TITRES, EN €

Année

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013 (Lfi)

2014 (PLF)

2015 (prév.)

Budget exécuté

106 418 616

97 987 683

95 359 000

95 366 490

91 847 251

91 005 955

90 415 787 3 ( * )

4 ( * )

dont

HT2

51 433 285

28 333 284

33 069 640

33 312 819

32 852 975

27 800 601

31 953 742

30 579 388

29 205 034

dont

T2

54 985 331

69 654 399

62 289 360

62 053 671

58 994 276

63 205 354

58 462 045

62 235 080

Source : Ministère des Affaires étrangères, réponse au questionnaire budgétaire de votre commission

Le « recentrage forcé » qu'est contrainte d'opérer la direction de la coopération de sécurité et de défense pour faire face à cette diminution se poursuivra donc dans les années qui viennent.

En 2014, le recentrage sur quelques axes prioritaires sera amplifié : terrorisme, trafics, criminalité organisée, piraterie.... La préservation de notre influence passera par des actions de formation, de conseil de haut niveau et d'enseignement du français et par le soutien aux exportations d'équipements, malgré la baisse continue du nombre de coopérants, qui va s'accentuer puisque nous franchirons en 2013 le « plancher » des 300 coopérants dans le monde.

NOMBRE DE COOPÉRANTS PAR ANNÉE ET PAR ZONE :

Année

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Afrique subsaharienne

266

255

252

246

245

240

225

Hors Afrique subsaharienne

68

67

64

64

65

63

60

Totaux

334

322

316

310

310

303

285

Source : DCSD, ministère des affaires étrangères

Chaque année, la DCSD redéploye une vingtaine de postes par fermeture de projets achevés et création de nouveaux projets liés à des priorités politico-militaires, en tenant compte du plafond ministériel d'emplois, ce qui a abouti en 2013 pour la DCSD à la réduction de 5 ETP.

La DCSD connaitra une nouvelle baisse de 5 ETP en 2014 . Dans ses réponses écrites au questionnaire de votre commission, le ministère des affaires étrangères indique qu'en plus de cette réduction, « un gel de 11 postes de coopérants a été imposé à la DCSD dans le cadre de la maîtrise de la masse salariale des coopérants militaires. Cette mesure permettra d'économiser 950 000 euros sur l'exercice 2013 et compensera en partie les dépassements enregistrés sur le titre 2, essentiellement imputables aux dysfonctionnements du logiciel de traitement de la solde des militaires Louvois ». L'attrition des moyens est donc encore plus importante que ne le laissent supposer les seuls documents budgétaires.

Votre commission déplore que l'effort budgétaire porte sur des dépenses qui ont pourtant un fort effet de levier, qu'il s'agisse de diplomatie économique et de soutien à l'export, de francophonie, de présence de conseils de haut niveau auprès de dirigeants ou de formation des élites militaires.

b) Un coup porté à notre capacité à accompagner l'émergence d'une architecture de sécurité africaine

L'attrition des moyens de la coopération de défense est avant tout un coup porté à notre capacité à faire émerger des forces de sécurité africaines qui puissent prendre en charge la sécurité du continent.

Car les actions de la DCSD sont menées à 70% en Afrique subsaharienne, ce qui est cohérent avec la concentration des défis sécuritaires sur ce continent (terrorisme, trafics divers dont la drogue, immigration illégale, instabilité politique, insécurité maritime...). La coopération de défense contribue non seulement à la formation des armées mais aussi à la consolidation des capacités de sécurité civile des pays africains, qui sont deux enjeux majeurs pour la sécurité sur le continent.

Le renforcement des capacités en matière de protection civile est considéré aujourd'hui comme un pilier de la sécurité globale de l'État. Éligible aux financements extérieurs, notamment européens, la protection civile est un outil à dimension politique et sécuritaire qui touche directement la protection et le bien-être des populations, en apportant des réponses non seulement aux soucis quotidiens, mais aussi aux catastrophes naturelles ou accidentelles de grande ampleur (sécheresse, inondation, incendie, accidents de la route,...).

Ces actions sont en ligne directe avec les grandes priorités affirmées par notre politique étrangère. Elles tendent à agir dans le long terme pour la constitution de capacités propres des pays africains. Tel est précisément l'objectif défendu par le gouvernement, et tel sera l'objet du prochain sommet de l'Elysée des 6 et 7 décembre prochains consacré à la paix et la sécurité en Afrique.

Aussi, cette baisse des crédits est-elle difficilement compréhensible.

C'est en effet notamment la coopération de défense qui concrétise le soutien de la France à l'édification de l'architecture africaine de sécurité, et notamment à la Force africaine en attente (FAA) de l'Union africaine, prévue en 2015 - qui pourrait être baptisée " Capacité africaine pour une réponse urgente aux crises ", d'après le récent sommet tenu de l'Union africaine en Afrique du Sud-. À ce titre, un coopérant militaire français, mis en place par la DCSD, assure les fonctions d'officier de liaison auprès de l'Union africaine. Il anime le réseau des trois autres conseillers politico-militaires placés dans les organisations sous-régionales africaines, auprès de la CEDEAO, la CEEAC et l'EASFCOM (poste gelé pour un an, jusqu'à l'été 2014, pour répondre au besoin de réduction de la masse salariale des coopérants français).

La prise en compte d'une jeunesse en déshérence, les problématiques si cruciales de démobilisation/réinsertion d'anciens combattants et la réduction de forces de sécurité trop nombreuses influent directement sur la stabilité des États fragiles. Mis en oeuvre dans plusieurs pays (Madagascar, Guinée, Côte d'Ivoire, Tunisie, Tchad, Burundi,...), le Service Civique d'Aide au Développement (SCAD) propose une formation professionnelle réalisée en milieu civil mais dans un environnement militaire inspiré du système de service militaire adapté français (SMA). Cet outil, créé et soutenu par la coopération de défense, est un outil adapté aux domaines d'action de l'Union Africaine qui s'est approprié le dossier en souhaitant élargir et développer le concept au niveau continental.

Sur la base des besoins exprimés par ses partenaires africains, la coopération de défense apporte ainsi sa contribution à la prévention des conflits et à la reconstruction post-conflits, domaines où s'expriment clairement la nécessité du lien entre sécurité et développement. À ce titre, les initiatives Protection civile et SCAD , tout comme leur stratégie de diffusion sur le continent, constituent des pistes intéressantes de coopération rénovée avec le continent africain en matière de paix, de sécurité et de développement, pistes qui pourront être évoquées à l'occasion du Sommet de l'Élysée.

Alors que l'opération SERVAL au Mali aura coûté près de 650 millions d'euros en 2013, comment expliquer que les crédits consacrés justement à la prévention et à la consolidation des capacités de sortie de crise de nos partenaires africains, pourtant modestes, soient rognés à ce point ? Quelle cohérence avec notre volonté affichée de mettre en place une « approche globale » dans la gestion des crises et de proposer des solutions pérennes, au-delà de la seule réponse militaire ? Quelle continuité par rapport à nos priorités qui sont, à juste titre, de donner un sens africain à la présence militaire française en Afrique et de consolider, par notre coopération, les organisations sous-régionales africaines (CEDEAO etc..) dans le cadre de la constitution de l'architecture de sécurité africaine portée par l'Union Africaine ?


* 2 Source : rapport annuel 2012 de la DCSD

* 3 Alors que les données 2007 à 2012 correspondent aux consommations (rapport annuel de performance), le budget exécuté 2013 est donné à titre indicatif et correspond à la loi de finances initiale.

* 4 L'arbitrage du titre 2 n'ayant pas été rendu à ce jour, il n'est pas possible pour le moment de fournir le montant du budget global prévisionnel pour les exercices 2014 et 2015.

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