E. LE CAS DAR : UNE AUGMENTATION EN TROMPE-L'oeIL.

L'analyse des crédits du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CAS DAR) a été placée sous la responsabilité de votre rapporteur pour avis Jean-Jacques Lasserre.

Créé par la loi de finances pour 2006, afin de reprendre les missions précédemment exercées par l'Agence de développement agricole et rural (ADAR), et antérieurement, par l'Association nationale pour le développement agricole (ANDA), le CAS DAR est l'outil financier de soutien aux actions menées dans le cadre de la politique du développement agricole et rural prévu par l'article L. 820-1 du code rural et de la pêche maritime, et l'outil destiné à favoriser la recherche appliquée agricole et la diffusion de ses résultats. Le CAS DAR finance toutes ces actions, qui s'inscrivent dans le cadre du programme national de développement agricole et rural (PNDAR).

1. Les recettes du CAS DAR en hausse en 2015.
a) La recette unique du CAS DAR : la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitations agricoles.

Depuis sa mise en place, le CAS DAR ne dispose que d'une seule et unique recette : la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises agricoles.

Régie par l'article 302 bis MB du code général des impôts, la taxe est due par tous les agriculteurs, à l'exception de ceux qui sont imposés selon le régime du forfait.

Cette taxe est composée d'une partie forfaitaire comprise entre 76  et 92 euros par exploitant et d'une partie variable fixée à 0,19 % jusqu'à 370 000 euros de chiffre d'affaires et à 0,05 % au-delà.

L'article 52 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006, qui avait créé ce compte d'affectation spéciale, lui attribue en recettes 85 % du produit de la taxe.

b) Une augmentation de recette du CAS DAR proposée par l'article 25 du projet de loi de finances pour 2015.

Dans le but de conforter le développement agricole, et en s'appuyant en particulier sur le souci de développer l'agro-écologie, l'article 25 du projet de loi de finances pour 2015 propose d'attribuer la totalité du produit de la taxe au CAS DAR.

La recette supplémentaire correspondante s'élèverait à 22 millions d'euros, portant la recette totale du compte à 147,5 millions d'euros en 2015.

La solution proposée paraît justifiée : la taxe étant prélevée sur le chiffre d'affaires des exploitations agricoles, le reversement de 85 % seulement de la taxe, le solde revenant au budget général, pouvait paraître curieux.

Cette augmentation de la recette du compte est la deuxième en deux ans, après la forte hausse enregistrée entre 2013 et 2014 : les recettes prévues par les deux lois de finances successives étaient passées de 115 à 125,5 millions d'euros, sous l'effet d'une meilleure conjoncture agricole que prévue. Le chiffre d'affaires agricoles est en effet sensible aux variations des quantités mais aussi des prix.

2. La diversification continue des dépenses du CAS DAR.

Comme les années précédentes, le CAS DAR est décomposé en deux programmes : le programme 775 et le programme 776.

a) Le programme 775.

Intitulé « Développement et transfert en agriculture », le programme 775 est piloté par la direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires (DGPAAT) du ministère de l'agriculture.

Il constitue la traduction financière du soutien aux actions de développement agricole et rural conduites par les structures chargées du conseil aux agriculteurs.

Deux thématiques prioritaires sont reconduites en 2015 :

- la conception et la conduite de systèmes de production diversifiés et économiquement viables sur tous les territoires , basés sur les principes de l'agro-écologie en valorisant l'approche systémique ;

- l'anticipation et l'adaptation aux dynamiques globales de changement .

La moitié des effectifs des organismes bénéficiaires du programme doivent être consacrés à ces deux thématiques.

Dans le détail, la prévision de dépenses du programme grimpe de 57,5 à 70,5 millions d'euros en AE comme en CP, soit une augmentation de 22,6 % :

- comme en 2014, la part prépondérante de l'enveloppe budgétaire est destinée aux programmes pluriannuels des chambres d'agriculture et de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), pour 40 millions d'euros ;

- une enveloppe un peu plus importante doit être attribuée aux organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR), dont Coop de France : elle passe de 6 millions d'euros en 2014 à 7,6 millions d'euros, soit une augmentation de 1,6 million d'euros, qui répond à la volonté de redonner plus de poids à ces organismes ;

- l'enveloppe de 8,2 millions d'euros consacrée au soutien aux organismes assurant la génétique animale est intégralement maintenue entre 2014 et 2015 ;

- comme en 2014, une ligne de 2,5 millions d'euros est prévue pour soutenir des projets en matière de groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE). Un premier appel à projet avait été lancé en 2013 sur cette question.

Trois nouveautés marquent le programme pour 2015 :

- la modique ligne de crédit pour soutenir les thématiques innovantes, dotée en 2014 de presque 600 000 euros, disparaît totalement en 2015 ;

- une ligne nouvelle destinée à soutenir des projets régionalisés de développement de l'agriculture biologique est créée : elle est dotée de 2,1 millions d'euros ;

- enfin, le mouvement le plus important sur le programme 775 voit l'ouverture d'une ligne de 10 millions d'euros pour soutenir le programme d'assistance technique de FranceAgrimer, visant à développer l'agro-écologie . Cette ligne nouvelle compense une partie des baisses de crédits budgétaires de FranceAgrimer, provenant du programme 154.

b) Le programme 776.

Intitulé pour sa part : « Recherche appliquée et innovation en agriculture », le programme 776 est piloté par une autre direction du ministère de l'agriculture : la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER).

Il sert à financer les actions mises en oeuvre par les instituts techniques agricoles en matière de recherche appliquée, et diffuser le progrès technique. Aux deux thématiques du programme 775 s'ajoute une autre problématique à laquelle le programme 776 doit répondre : l'amélioration de la compétitivité de l'agriculture. Les actions subventionnées doivent elles aussi s'inscrire dans le cadre fixé par le PNDAR.

Là encore, l'enveloppe du programme augmente de manière sensible entre 2014 et 2015, pour passer de 68 millions d'euros à 77 millions d'euros, soit une progression de 13,2 % :

- environ 55,5 % des crédits du programme sont destinés aux programmes pluriannuels de recherche menés par les instituts techniques agricoles regroupés au sein de l'Association de coordination technique agricole (ACTA). Les 13 instituts concernés (Arvalis, CTIFL, Institut de l'élevage, Itavi, Itab ...) se voient affecter 42,7 millions d'euros pour 2015, comme en 2014 ;

- comme en 2014, une réserve de 1,4 millions d'euros est constituée pour financer des actions d'accompagnement portant sur des thématiques d'actualité ou situations d'urgence qui ne relèvent pas de la programmation pluriannuelle ;

- les appels à projets répondant aux orientations stratégiques du PNDAR bénéficient d'1 millions d'euros de plus en 2015 par rapport à 2014, avec 14,5 millions d'euros pour les thématiques suivantes : « innovation et partenariat », « recherche technologique », « réseaux mixtes de recherche » et « semences et sélection végétale » ;

- enfin, FranceAgrimer, là encore, bénéficie de 17,9 millions d'euros en 2015, contre 10 millions d'euros en 2014, pour mettre en oeuvre ses programmes d'expérimentations. Il s'agit là encore d'une compensation des pertes de crédits budgétaires enregistrées par FranceAgrimer sur le programme 154.

3. Le CAS DAR ne devient-il pas un fourre-tout illisible et risqué ?
a) Le PNDAR au coeur du CAS DAR.

Instrument financier de la mise en oeuvre du PNDAR, le CAS DAR est conçu comme un outil d'orientation, qui apporte des ressources à des projets plutôt qu'à des structures.

La Cour des comptes, dans ses rapports d'exécution annuels du CAS DAR, demande régulièrement que la part des appels à projets soit accrue au sein des deux programmes.

Toutefois, il faut nuancer l'idée que ces crédits seraient des crédits ordinaires de fonctionnement pour leurs bénéficiaires : la mise en place du PNDAR 2014-2020 s'est accompagnée de deux contrats d'objectifs signés par le ministère d'une part avec les chambres d'agriculture, d'autre part avec le réseau des ACTA.

Le PNDAR 2014-2020

Établi fin 2013, le PNDAR 2014-2020 a pour objectif de conforter le développement et la diffusion de systèmes de production performants à la fois du point de vue économique, environnemental, sanitaire et social.

Trois orientations stratégiques sont fixées :

- augmenter l'autonomie et améliorer la compétitivité des agriculteurs et des exploitations françaises par la réduction de l'usage des intrants de synthèse ou ayant un impact sur la santé publique ou l'environnement, tout en maintenant des niveaux de production rémunérateurs. La conquête de l'autonomie passe aussi par la construction d'une position plus forte, individuelle et surtout collective, dans la chaîne de valeur ;

- promouvoir la diversité des modèles agricoles et des systèmes de production : la diversité au sein des parcelles, au sein des combinaisons entre l'animal et le végétal, au sein des exploitations et des territoires en vue de renforcer leur résilience, et de minimiser les risques économiques et environnementaux ;

- améliorer les capacités d'anticipation et de pilotage stratégique des agriculteurs et des acteurs des territoires.

Ces orientations stratégiques sont mises en oeuvre selon les objectifs opérationnels suivants :

- favoriser le repérage, la production et la diffusion d'innovations sur les systèmes et les modes d'organisation ;

- construire des dynamiques territoriales innovantes en multipartenariat ;

- optimiser la production, la capitalisation, la diffusion et l'usage des données (références), des méthodes, des outils et des résultats en misant sur leur interopérabilité.

La mise en oeuvre de ces orientations et objectifs opérationnels s'appuie sur des modalités nouvelles :

- actions thématiques transversales au sein des réseaux ou inter-réseaux ;

- deux chantiers nationaux relatifs à la mutualisation des données et à la capitalisation et diffusion des résultats ;

- appel à propositions pour la mise en place des programmes pluriannuels des têtes de réseaux et organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR) ;

- projets pilotes régionaux de développement agricole et rural.

Ces modalités complètent le dispositif existant constitué par :

- les programmes pluriannuels de l'APCA, des chambres régionales d'agriculture, de l'ACTA, des instituts techniques ;

- le programme pluriannuel pour le progrès génétique animal mis en oeuvre par FranceAgrimer ;

- le programme d'expérimentation mis en oeuvre par FrancdeAgrimer ;

- les appels à projets et les actions d'accompagnement.

b) Une extension dangereuse des missions du CAS DAR

Sur les 22 millions d'euros de recettes supplémentaires engrangées en 2015 par le CAS DAR, ce sont presque 18 millions d'euros qui vont en réalité à FranceAgrimer , dont la dotation provenant du programme 154 a été fortement réduite. Ainsi, seuls 4 millions d'euros supplémentaires iront réellement au CAS DAR en 2015.

Un tel mouvement est loin d'être anodin. Il traduit une débudgétisation de certaines dépenses , comme cela avait été le cas pour la génétique animale à l'occasion de la loi de finances pour 2011, qui avait été sortie du budget de la MAAFAR pour passer au CAS DAR.

Ce véritable « tour de passe-passe » n'est pas sans poser quelques difficultés :

- La première difficulté tient aux particularités du compte d'affectation spéciale . Gagées par une recette, les dépenses du compte doivent être ajustées en cas de moindre recette. Or, le retournement de la conjoncture agricole fait peser un réel risque sur le niveau de perception effectif de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitations agricoles. Si plusieurs millions d'euros venaient à ne pas être perçus, sur quels postes les économies seraient-elles réalisées en priorité. Votre rapporteur pour avis ignore quelle sera la réponse, mais constate que les lignes budgétaires des missions du budget général sont plus sûres que les lignes budgétaires ouvertes au sein des compte d'affectation spéciale.

- La deuxième difficulté tient à la lisibilité du cadre offert par le CAS DAR : en récupérant des missions auparavant exécutées par FranceAgrimer sur son budget d'intervention, le CAS DAR répond-il encore à sa vocation ? Même si, formellement, le programme d'expérimentation de FranceAgrimer comme son programme d'assistance technique devront répondre au cahier des charges du PNDAR, on peut s'interroger sur la force de ce lien. Votre rapporteur pour avis a l'impression que ce transfert répond davantage à une logique d'opportunité : la disponibilité de crédits sur le CASDAR permet dans le même temps de réduire les crédits du programme 154.

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