B. MIEUX ENCADRER LES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION AUX OPIACÉS POUR METTRE UN TERME À LEUR DÉTOURNEMENT

Depuis près de vingt ans, et une circulaire de 1995 6 ( * ) , les traitements de substitution aux opiacés (TSO) constituent l'un des piliers de la politique française de réduction des risques à destination des personnes dépendantes de l'héroïne, afin de diminuer la mortalité liée à ce produit et les effets sanitaires de son injection. Deux médicaments ont reçu une autorisation de mise sur le marché dans ce but : la méthadone en 1995 et la buprénorphine à haut dosage (BHD), plus connue son nom de marque Subutex, en 1996.

Les conditions de prescription et de délivrance
des traitements de substitution aux opiacés

En raison de leur différence de nature, la méthadone et la BHD ne figurent pas dans la même catégorie de médicaments . La première est en effet un agoniste pur des opioïdes : elle produit les mêmes effets que l'héroïne et peut entraîner une surdose. En revanche, la seconde est un agoniste partiel, avec effets antagonistes, et ne peut pas causer de surdose.

La méthadone est donc classée comme stupéfiant et, à ce titre, tout traitement doit débuter par une prescription réalisée par un médecin hospitalier ou exerçant en centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa). Elle existe sous la forme d'un sirop ou d'une gélule , cette dernière étant réservée aux patients stabilisés. Dès la stabilisation du patient, un médecin de ville peut prendre le relais et poursuivre la prescription du traitement. La durée maximale de prescription est de 14 jours pour le sirop et de 28 jours pour les gélules.

La BHD figure sur la liste 1 des médicaments soumis à prescription obligatoire, selon la nomenclature établie par les articles L. 5132-1 et L. 5132-6 du code de la santé publique 7 ( * ) . Elle peut être primo-prescrite par un médecin généraliste, pour une durée maximale de 28 jours de traitement par ordonnance. Elle est conditionnée en comprimés sublinguaux et est disponible depuis 2006 sous forme générique .

Dans les deux cas, la prescription est faite par une ordonnance sécurisée , identifiable par le numéro du lot dont elle est issue et l'identité du prescripteur imprimée en bleu. Elle doit comporter la mention du nombre d'unités thérapeutiques par prise, du nombre de prises et du dosage 8 ( * ) . Ces médicaments sont ensuite délivrés en pharmacie d'officine. Selon l'article L. 162-4-2 du code de la sécurité sociale, le prescripteur doit inscrire sur l'ordonnance, en suivant les indications du patient, le nom du pharmacien qui sera chargé de la délivrance de la méthadone ou de la BHD, sous peine de voir la prise en charge du traitement par l'assurance maladie refusée.

Selon une étude récente de l'OFDT 9 ( * ) , entre 160 000 et 180 000 patients suivent un TSO en France en 2013, un tiers à la méthadone et deux tiers à la BHD. Il s'agit pour cette dernière à 73 % du princeps, à 24 % des génériques et à 3 % de son association avec la naloxone, le Suboxone. 80 % des usagers problématiques d'opiacés, dont le nombre est estimé à 210 000 , prennent un TSO et la France serait, parmi ses voisins européens, l'un des pays ayant la part la plus importante de personnes en TSO par rapport à sa population. D'un âge moyen de 36 ans , les patients sous TSO sont à 75 % des hommes et à 40 % en affection de longue durée (pathologies psychiatriques, hépatites virales chroniques, etc.). Dans 37 % des cas, le traitement dure déjà depuis plus de cinq ans . 57 % des personnes vues dans les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) suivent un TSO 10 ( * ) , tout comme 8 % de la population carcérale 11 ( * ) .

Il n'est absolument pas question de remettre en cause le bien-fondé des TSO, qui ont permis depuis leur apparition de faire grandement diminuer le nombre de surdoses et d'améliorer la situation sanitaire et sociale de nombreuses personnes souffrant d'une addiction à l'héroïne. Toutefois, il est indéniable que leurs détournements sont nombreux et que leur mésusage est très répandu.

En 2013, selon l'enquête Oppidum 12 ( * ) , 20 % des personnes sous traitement de Subutex le consommaient par voie intraveineuse , ce taux montant à 32 % de celles ayant obtenu ce médicament illégalement. Des trafics se développent, que ce soit à l'échelle d'une personne revendant une partie de son traitement ou à celle de réseaux internationaux. En 2012, selon les données de l'assurance maladie, 2 % des patients avaient cinq prescripteurs ou plus et 19 % en avaient trois ou plus. 1 % avaient cinq pharmaciens ou plus et 12 % trois ou plus.

La caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam), pour qui le remboursement en 2013 des 10 567 317 de boites de BHD facturées représentait un coût de 101 millions d'euros , suit les patients sous TSO et cherche à détecter les fraudes , en ciblant les consommations pouvant paraître très élevées ainsi que le nomadisme médical. En cas de suspicion de fraude, elle peut imposer la mise en place d'un protocole de soins ou suspendre les prestations après contrôle médical. Si la fraude est avérée, elle porte plainte ou inflige des pénalités financières.

Tableau n° 2 : Résultat des contrôles de la Cnam sur les assurés sociaux portant sur les fraudes aux traitements de substitution aux opiacés

Protocole
de soins

Suspension
des prestations

Dépôt
de plainte

Total

2007

934

1 042

45

2 021

2008

691

662

137

1 490

2009

705

589

71

1 365

2010

612

1 099

74

1 785

2011

500

709

41

1 250

2012

500

808

126

1 434

2013

471

626

39

1 136

Total

3 801

4 436

478

10 481

Source : Cnam

En 2013, 17 procédures de pénalités financières ont également été engagées dans des situations où le préjudice pour les caisses de sécurité sociale ne dépassait pas trois fois le plafond mensuel de la sécurité sociale, soit 9 258 euros. Elles se substituent au dépôt d'une plainte.

Trois séries de contrôles ont également été réalisées en direction des professionnels de santé , pharmaciens et médecins, en 2006, 2009 et 2013, sur la base des prescriptions de TSO réalisées et du nombre de boites délivrées.

Tableau n° 3 : Bilan des contrôles réalisés par la Cnam sur des professionnels de santé portant sur les fraudes aux traitements de substitution aux opiacés

Nombre de professionnels contrôlés

Lettre de mise en garde

Saisine
de la section des assurances sociales
du conseil
de l'ordre

Dépôt
de plainte

2006

72

20

36

2

2009

70

21

15

11

2013 1

72

8

12

9

Total

214

49

63

22

1 Chiffres provisoires

Source : Cnam

Selon les informations transmises à votre rapporteur pour avis par la Cnam, plusieurs sanctions pénales ont déjà été prononcées par les tribunaux à l'encontre des assurés sociaux comme de quatre professionnels de santé. En raison de la longueur des délais d'instruction, 18 des 22 plaintes déposées contre des professionnels de santé n'ont pas encore été jugées.

A titre d'exemple, des assurés sociaux mis en examen pour usage illicite de stupéfiants, détention non autorisée de stupéfiants et exercice illégal de la profession de pharmacien ont été condamnés à des peines d'emprisonnement ferme d'un à deux ans . Des professionnels de santé mis en examen pour faux et usage de faux ont reçu des peines de prison ferme allant de trois mois à un an , ou avec sursis allant d'un an à dix-huit mois.

Il faut toutefois aller plus loin que ces contrôles réalisés a posteriori et dont l'ampleur reste limitée. Ces TSO ne sont pas sans risques sanitaires s'ils ne sont pas prescrits dans le cadre d'un suivi médical régulier. On a ainsi vu se développer, dans de nombreux cas, une primodépendance à la BHD . Les TSO peuvent également entraîner, chez les polyconsommateurs, un transfert de dépendance vers d'autres substances comme l'alcool.

C'est pourquoi votre rapporteur pour avis estime qu'il est nécessaire de classer la BHD comme stupéfiant . Cette proposition avait été faite par la Mildt dès 2006 , malheureusement sans être approuvée par le ministre de la santé de l'époque. Alors que les mésusages n'ont depuis lors pas diminué, elle reste d'actualité. Il pourrait également être envisagé de remplacer le Subutex par ses déclinaisons génériques, qui en raison de leurs excipients semblent causer des difficultés aux injecteurs. Enfin, la généralisation du Suboxone devrait être une piste de réflexion, car en associant de la BHD à de la naloxone, qui est le principal antagoniste des récepteurs de la morphine, il ne produit aucun effet en cas d'injection et provoque des symptômes de sevrage. Il n'était toutefois prescrit qu'à 3 500 personnes en 2012, contre 105 000 pour la BHD.


* 6 Circulaire DGS/SP3/95 n° 29 du 31 mars 1995 relative aux traitements de substitution pour les toxicomanes dépendants aux opiacés.

* 7 Y sont inscrits « les substances ou préparations, ou les médicaments et produits présentant les risques les plus élevés pour la santé ».

* 8 En application de l'article R. 5132-29 du code de la santé publique.

* 9 Les traitements de substitution aux opiacés en France : données récentes ; Tendances n° 94, octobre 2014.

* 10 En 2012.

* 11 En 2010, soit environ 5 000 personnes.

* 12 Observation des produits psychotropes illicites ou détournés de leur utilisation médicamenteuse, réalisée essentiellement auprès du public des Csapa par les centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance (CEIP) et l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

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