E. EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 25 novembre 2014, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits « Biodiversité et Transition énergétique » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » du projet de loi de finances pour 2015.

M. Hervé Maurey , président. - Pour l'examen des crédits « Biodiversité Transition énergétique », nous avons désigné Jérôme Bignon, rapporteur pour avis. C'est, cher collègue, votre premier rapport de nouveau sénateur, mais vous avez déjà abordé ces questions en tant que député. Aussi, je pense que, sur ce sujet également, la commission va pouvoir bénéficier d'un regard d'expert.

M. Jérôme Bignon , rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter l'avis budgétaire relatif aux politiques de la biodiversité et de la transition énergétique. Il concerne les crédits de trois programmes au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » : le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité » ; le programme 159 « Information géographique et cartographique » et le programme 174 « Énergie, climat et après-mines ».

Ces trois programmes regroupent au total 918 millions d'euros, soit 13,8 % des 6,65 milliards d'euros de l'ensemble de la mission, auxquels il faut ajouter un volume important de recettes fiscales affectées aux opérateurs qui en assurent l'exécution.

Je vais vous les présenter successivement, en examinant les crédits et les principales évolutions et je m'arrêterai, pour chacun d'entre eux, sur un ou deux points thématiques, qui devront faire l'objet de notre vigilance et de notre suivi au cours de l'année 2015.

Aussi bien les politiques de la biodiversité que celles de la transition énergétique doivent cette année être à la hauteur de rendez-vous importants.

Le premier est le projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte, qui devrait être examiné par le Sénat début 2015. Premier grand rendez-vous législatif depuis le Grenelle de l'environnement, il vise à mettre en oeuvre les orientations issues des dernières Conférences environnementales et du grand Débat national sur la transition énergétique, et à opérer une véritable mutation écologique de notre modèle de développement.

Le deuxième est le projet de loi relatif à la biodiversité, adopté en juin dernier par la commission du développement durable à l'Assemblée nationale, avec Geneviève Gaillard comme rapporteure, et qui devrait rapidement venir à l'ordre du jour en 2015. Il entend renouveler les outils permettant d'agir sur la restauration des écosystèmes, la qualité de l'eau et la préservation de la biodiversité, en prévoyant notamment la création d'un nouvel établissement public administratif, l'Agence française pour la biodiversité (AFB).

Si 2014 était une année importante pour la politique de l'eau avec le 50 ème anniversaire de la loi sur l'eau, 2015 le sera également avec la 4 ème Conférence européenne sur l'eau, qui se tiendra à Bruxelles le 23 mars 2015, et le 7 ème Forum mondial de l'eau, en avril, en Corée du Sud.

Enfin, la 21 ème Conférence des parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui se tiendra à Paris dans un an, doit, nous l'espérons tous, aboutir à un nouvel accord international sur le climat, applicable à tous les pays, dans l'objectif de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2°C. Dans ce contexte, les crédits consacrés cette année à la biodiversité, à l'énergie et au climat ne peuvent pas être en-deçà de ces enjeux : il en va de la crédibilité des politiques publiques menées dans ces domaines.

Le programme 113 a pour principal objectif de mettre en oeuvre la stratégie nationale de la biodiversité 2011-2020. Il est doté de 277 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 275,9 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui est quasiment stable par rapport à l'année dernière. Il convient d'y ajouter les recettes fiscales destinées aux opérateurs, soit 2,3 milliards d'euros, principalement affectées aux agences de l'eau.

L'action n° 1 « Sites, paysages, publicité », avec 6 millions d'euros, concentre 2,2 % des crédits du programme. Elle consiste en la protection et la gestion des sites classés. C'est d'autant plus important que les lois relatives aux paysages sont anciennes et méritent d'être actualisées. Un million d'euros sera consacré à la mise en oeuvre des atlas de paysage, qui sont des outils de connaissance partagés par les acteurs du territoire. C'est un point qui sera abordé dans le projet de loi relatif à la biodiversité.

L'action n° 7 « Gestion des milieux et biodiversité » concentre à elle seule, avec 265 millions d'euros en AE et 264 millions en CP, l'essentiel des crédits (95,7 %) du programme.

Concernant la mise en oeuvre de la stratégie nationale pour la biodiversité, le décret permettant de finaliser le socle réglementaire de la Trame verte et bleue a été publié le 20 juin 2014 : il s'agit d'un document-cadre qui appuie l'élaboration des schémas régionaux de cohérence écologique, les SRCE. Le premier de ces schémas a été adopté en Île-de-France en octobre 2013 et la dynamique régionale se poursuit : 3 SRCE ont été adoptés en juin et juillet 2014. La totalité des schémas devrait être adoptée en 2015. Deux millions d'euros y seront consacrés en 2015.

Pour ce qui est du réseau Natura 2000, il est quasiment achevé au niveau national, sauf en ce qui concerne la désignation des sites marins au large. Des travaux sont en cours, en vue de proposer à la Commission européenne des sites complémentaires d'ici la fin 2015. S'agissant des sites en mer, il peut y avoir des difficultés avec l'armée, notamment sur les lignes de rupture du plateau continental, où on trouve une très grande richesse biologique mais qui sont aussi parfois des zones de « cache » des sous-marins. Le réseau Natura 2000, qui n'est plus aussi conflictuel qu'il a pu l'être, comprend aujourd'hui 1 758 sites et couvre plus de 12,5 % du territoire métropolitain terrestre, 43 % de la mer territoriale et 5 % de la zone économique exclusive, hors outre-mer.

Environ 4,5 millions d'euros seront consacrés à la mise en oeuvre de la directive cadre Stratégie pour le Milieu Marin, qu'on appelle la DCSMM, et de la directive cadre sur l'eau, la DCE. Je m'y arrête un instant pour vous dire que nous entrons cette année dans une phase très importante pour la mise en oeuvre de la DCSMM. En effet, après la notification en décembre 2012 à la Commission européenne des trois premiers éléments qui doivent constituer les plans d'action pour le milieu marin, autrement appelés PAMM, à savoir « l'évaluation initiale des eaux marines », « la définition du bon état écologique des eaux marines » et « les objectifs environnementaux et les indicateurs associés », la consultation publique sur les « programmes de surveillance » vient de prendre fin en novembre 2014 pour une adoption à la fin de l'année, et la consultation publique sur les « programmes de mesures » s'ouvrira le 19 décembre 2014 avec l'objectif d'une notification à la Commission européenne fin 2015. On peut d'ailleurs se réjouir que tout se passe bien et sans retard sur l'application de cette directive.

Concernant plus particulièrement les milieux humides, un 3 ème plan d'action national en faveur des zones humides a été lancé en septembre 2014. Un nouvel élan est donné.

Enfin, concernant la préservation du milieu marin, on compte depuis septembre 2014 six parcs naturels marins. Le parc Estuaire de la Gironde et Pertuis charentais est en voie d'aboutissement et trois autres projets sont à l'étude.

J'attire votre attention sur l'exécution des crédits de ce programme. En effet, plus de 143 millions d'euros d'engagements ne seront pas couverts par des paiements au 31 décembre 2014, c'est-à-dire environ la moitié de la dotation en crédits de paiements du programme, qui s'établit à 275 millions d'euros. Cela risque fortement de contrarier la réalisation de nouveaux projets prévus dans le cadre de ce programme.

Un premier point concerne les moyens et l'ambition qui seront mis au service de la future Agence française pour la biodiversité (AFB). Consistera-t-elle en une simple fusion d'établissements existants ? Aura-t-elle les moyens de sa politique ? Vous le savez, le projet de loi biodiversité prévoit la création de ce grand opérateur public en matière de biodiversité, dont l'idée n'est pas nouvelle puisqu'on parlait déjà à l'époque du Grenelle d'une agence de la nature.

Un premier rapport de préfiguration a été rendu par Bernard Chevassus-au-Louis et Jean-Marc Michel, que notre commission a d'ailleurs entendu, en avril 2013. Mais une nouvelle mission de préfiguration vient d'être lancée par la ministre fin octobre, pour la phase plus opérationnelle de mise en oeuvre, autour de Gilles Boeuf, Annabelle Jaeger et Olivier Laroussinie, sous le « haut patronage » d'Hubert Reeves.

Les contours de cette future agence sont encore flous. Son périmètre d'abord : à ce stade, l'ONCFS, l'ONF ou encore le Conservatoire du littoral, resteraient en dehors, mais est-ce optimal ? L'harmonisation des statuts sera également un enjeu budgétaire majeur puisque la moitié des 1 200 agents concernés sont des contractuels et qu'il s'agira de faire entrer sous plafond tous les personnels hors plafond. Le budget de l'agence, qui à ce stade, serait constitué des ressources des établissements existants, pourrait également être élargi à d'autres sources de financement : je pense par exemple à la piste, devenue serpent de mer, des redevances pour occupation du domaine public maritime. J'insiste pour ma part sur l'importance de la dimension marine de la future agence et des moyens qui y seront consacrés. Le directeur de l'agence des aires marines actuelle, indique qu'un budget de l'ordre de 40 millions d'euros et une équipe de 400 personnes serait nécessaire pour mener à bien ses missions, alors que cette agence ne dispose en 2014 que 22,2 millions d'euros et 145 ETP. Il y a toujours un appétit formidable pour lancer des aventures sans avoir forcément les moyens d'y parvenir. Les enjeux ultramarins sont considérables, puisque 97 % de la mer française est ultramarine.

Le deuxième point sur lequel je souhaite insister est celui des moyens consacrés à la politique de l'eau. Le PLF prévoit, à l'article 16, un prélèvement de 175 millions d'euros sur le budget des agences de l'eau, prélèvement qui sera renouvelé en 2016 et en 2017. Cet article est peut-être, à l'heure où je vous parle, en cours de discussion en séance publique.

Un prélèvement de 210 millions d'euros avait déjà été opéré l'année dernière et les comités de bassin l'avaient voté dans la mesure où cette ponction leur avait été présentée comme exceptionnelle. En réalité, il est devenu pérenne.

Si elles pouvaient le supporter l'année dernière, un grand nombre d'agences se retrouvent aujourd'hui dans une situation financière difficile. Le premier problème est un problème de principe : toute la législation sur l'eau en France, qu'on a même réussi à transposer au niveau européen, est remise en cause par cette idée du prélèvement. Si on pérennise ce prélèvement et que cet argent ne va plus à la biodiversité ou à l'eau, on rentre dans un nouveau système. Cela pose un deuxième problème : nous ne serons plus en mesure de respecter nos engagements européens, dans le cadre de la directive eaux résiduaires urbaines et de la directive cadre sur l'eau.

L'argument du dynamisme des redevances des agences de l'eau a été avancé à l'Assemblée nationale par la rapporteure générale du budget et par le Gouvernement, qui affirment que leurs recettes ont augmenté de 24 % entre 2010 et 2014. Mais cela ne reflète pas la réalité car ce chiffre prend pour référence l'année 2010, qui a été anormalement basse. En effet, en raison du changement opéré par la loi sur l'eau, les agences de l'eau ont mis deux ans pour mettre en place le nouveau type de redevances et on a donc observé un phénomène de rattrapage en 2012. En outre, le calcul du Gouvernement tient compte du fonds de concours pour l'ONEMA, de celui pour l'État et de la part nationale affectée au plan Ecophyto.

Ainsi, en raisonnant sur six ans et sans inclure ces prélèvements nationaux, les recettes des agences n'ont en réalité augmenté que de 2,6 % en six ans, soit moins que l'inflation, qui est d'environ 7% sur la période.

C'est pourquoi j'ai déposé en séance publique un amendement visant à supprimer cet article 16, amendement destiné à alerter les élus sur ce sujet qui risque d'avoir de réelles conséquences. Plus encore que la logique de l'investissement local, c'est un coup de canif donné à l'esprit de la politique de l'eau en France. Je sais d'ailleurs que la ministre a reçu la semaine dernière les six présidents des comités de bassin et a été très sensible à ce cri d'alerte. Mais maintenant, quelle solution pourra être trouvée ?

Concernant le programme 159 « Information géographique et cartographique », les crédits alloués, qui s'élèvent cette année comme l'année dernière à 97 millions d'euros, recouvrent pour l'essentiel la subvention versée à l'Institut national de l'information géographique et forestière, l'IGN, issu de la fusion en 2012 de l'IGN et de l'Institut national forestier.

J'ai entendu, dans le cadre de cet avis budgétaire, le directeur adjoint de l'Institut. Beaucoup de choses m'ont semblé particulièrement intéressante pour notre commission, notamment au titre de sa compétence aménagement du territoire. J'ai d'ailleurs eu l'impression que l'IGN était un instrument d'aménagement du territoire trop peu connu, trop peu utilisé et qui mériterait probablement d'être mieux valorisé.

Je pourrais vous raconter l'histoire de la cartographie depuis le XVII ème siècle mais je vais vous en dispenser : vous pourrez consulter mon rapport si ces questions vous intéressent.

Je tiens seulement à souligner que le projet de synergie entre les cartes cadastrales et topographiques, qui avait été prévu par l'ordonnance royale du 11 juin 1817 mais qui avait échoué à l'époque va enfin aboutir aujourd'hui, grâce à la signature, le 22 mai 2014, d'une convention relative à la constitution de la représentation parcellaire cadastrale unique (RPCU), qui devrait être achevée dans sept ans environ.

Autre point de vigilance, le contrat d'objectifs et de performance signé entre l'État et l'IGN pour la période 2013-2016, signé en mai 2014. Il devra permettre de remédier aux difficultés financières structurelles de l'établissement, qui présente un décalage entre ses recettes et ses dépenses d'investissement. Il serait intéressant de rendre visite aux personnels de l'IGN, d'autant que ce n'est pas très loin.

Dernier programme, le programme 174 « Énergie, climat et après-mines ». Ses crédits s'élèvent à 541,6 millions d'euros en AE, et 545,2 millions d'euros en CP, en baisse d'environ 8,5 % par rapport à l'exercice précédent. Ils sont quasi-intégralement destinés à garantir les droits sociaux et l'accompagnement des mineurs en cas de fermeture d'entreprises minières et ardoisières, via la subvention versée à l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs. La baisse des crédits du programme s'explique en grande partie par la diminution naturelle des ayants droits de « l'après-mines ».

Les 5 % restants de ces crédits sont donc consacrés, d'une part, à la politique de l'énergie, d'autre part, à la lutte contre le réchauffement climatique.

Au-delà de ces crédits, je souhaiterais donner un signal d'alarme sur trois sujets :

Le premier est la grande inconnue du financement de la transition énergétique : malgré les financements mis en avant par le Gouvernement, de l'ordre de 10 milliards d'euros sur 3 ans, les mesures du projet de loi ne paraissent pas clairement financées, comme nous l'avait d'ailleurs dit le Conseil économique, social et environnemental quand nous l'avons entendu. Le coût du plafonnement du nucléaire reste flou, les objectifs fixés par l'article 1 er semblent pour la plupart très optimistes et leur calendrier de mise en oeuvre difficile à croire.

Le deuxième point de vigilance concerne le fonds chaleur, dont les crédits n'ont pas cessé de diminuer depuis 2010. On sait pourtant que cet outil, institué par le Grenelle de l'environnement, est efficace sur les territoires. La Cour des comptes, dans un rapport sur le financement des énergies renouvelables a indiqué que les dotations au profit de ce fonds auraient dû augmenter pour progressivement atteindre 500 millions d'euros en 2012, puis 800 millions d'euros en 2020, selon le plan arrêté lors de sa création. Or, les décisions budgétaires successives ont limité l'enveloppe à 1,2 milliard d'euros sur la période 2009-2013, soit 240 millions d'euros seulement en moyenne annuelle, un niveau très inférieur aux intentions initiales. La ministre de l'écologie a annoncé en juin un doublement du fonds, pour atteindre 400 millions d'euros en 2017. Or, aucune précision sur les moyens d'atteindre cet objectif ne figure dans le projet de loi de finances. Il y a donc là une vraie incertitude sur laquelle nous devrons interroger le Gouvernement.

Le dernier point de vigilance concerne la lutte contre le réchauffement climatique, avec notamment la conférence des parties qui se tiendra à Paris en décembre 2015. Cette dernière devra aboutir un nouvel accord sur le climat, qui soit applicable à tous et qui permette de maintenir le réchauffement climatique mondial en deçà de 2°C d'ici à la fin du siècle. C'est pourquoi le débat parlementaire à venir sur la transition énergétique devra être l'occasion d'engager résolument la France sur la voie d'une transition vers un modèle décarboné. Je suis convaincu qu'il est absolument nécessaire d'articuler lutte contre le changement climatique et politique de préservation de la biodiversité. Dans son rapport « Planète vivante » de septembre 2014, le Fonds pour la nature (WWF) indiquait que la Terre a perdu la moitié de ses populations d'espèces sauvages en quarante ans, sous l'effet combiné de la dégradation de leurs habitats, des pratiques agricoles, de la pollution et du changement climatique. En Europe, à titre d'exemple, selon une étude publiée le 3 novembre dernier par le journal scientifique Ecology Letters , plus de 400 millions d'oiseaux d'espèces communes ont disparu en 30 ans.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a fait adopter lors d'une seconde délibération sur l'article 32 un amendement minorant les crédits de la mission de 33 millions d'euros. Cette baisse affecte le programme 113 à hauteur de 4 millions d'euros, le programme 159 à hauteur de 860 000 euros et le programme 174 à hauteur de 800 000 euros.

Les crédits des programmes que je viens de présenter ont certes été en partie préservés, mais ils ne semblent pas à la hauteur des enjeux cruciaux qui nous attendent, non pas dans trois ou cinq ans, mais en 2015. Aucun signal positif n'est donné, à travers ces crédits, concernant le financement de la transition énergétique ou celui de la mise en oeuvre de la nouvelle gouvernance de la biodiversité. En regardant uniquement les crédits, j'aurais plutôt eu tendance, à titre personnel, à vous proposer de donner un avis favorable. Mais il n'y a aucune lecture par rapport aux perspectives importantes qui sont devant nous. C'est pourquoi je vous proposerai, mes chers collègues, de donner un avis défavorable aux crédits de ces trois programmes.

M. Hervé Maurey , président. - Concernant le prélèvement sur les agences de l'eau, outre ce qui a été dit par le rapporteur sur le non-respect du principe qui veut que l'usager paye une redevance pour une destination particulière, on commence concrètement à voir dans nos territoires des difficultés des agences de l'eau à financer des projets. Dans le département dont je suis élu, il y a des collectivités qui ont travaillé pendant des années avec les agences de l'eau sur des projets d'assainissement collectif qui doivent aujourd'hui y renoncer. C'était donc une bonne chose de déposer des amendements pour supprimer le prélèvement.

M. Rémy Pointereau . - Je voudrais féliciter notre jeune rapporteur qui finalement est un rapporteur expérimenté, qui a travaillé déjà beaucoup à l'Assemblée nationale sur les questions de biodiversité et de transition énergétique. Son travail est très argumenté. Je voudrais insister sur la question du prélèvement des agences de l'eau. C'est encore de l'argent en moins pour la mise aux normes des stations d'épuration, pour la recherche sur les écosystèmes et les continuités écologiques, etc. C'est scandaleux, d'autant que ce n'est pas la première fois. Je me souviens que nous avons été confrontés à un prélèvement important lorsque Dominique Voynet était ministre de l'environnement. C'est la raison pour laquelle le groupe UMP s'associe au point de vue du rapporteur avec un avis défavorable.

M. Jérôme Bignon , rapporteur. - Nous sommes tous conscients des difficultés. Il ne s'agit donc pas d'alourdir les charges en privant l'État de 175 millions d'euros de recettes. Une solution consisterait à laisser l'argent aux agences et à débudgétiser une partie des crédits du programme 113, par le biais d'un amendement sur la deuxième partie que je déposerai la semaine prochaine si mon premier amendement à l'article 16 est adopté. Ainsi, ce serait une opération blanche pour le Gouvernement mais l'argent de l'eau resterait à l'eau. On préfigurerait ainsi le financement de la future Agence française pour la biodiversité.

M. Hervé Maurey , président. - C'est une position de sagesse.

M. Ronan Dantec . - Certains se rappellent que j'étais un peu « grognon » lors de la réunion de bureau où nous avons réparti les avis budgétaires. Finalement, je trouve que c'est une excellente chose que ce soit la majorité sénatoriale et l'opposition nationale qui aient un certain nombre de rapports, et notamment sur l'environnement. Cela donne lieu à des moments tout à fait intéressants. J'espère que le compte-rendu sera fidèle, pour les années qui viennent...

Tout d'abord sur la transition énergétique, je ne suis pas d'accord avec le rapporteur. Je trouve que ce budget est intéressant puisqu'il fonctionne plus en termes de garanties et d'outils mis à disposition des territoires pour faire. Ce n'est pas l'État qui va payer la transition énergétique. J'en tiendrais presque un discours libéral. Mais c'est bien le modèle économique qui permet la transition énergétique. L'État doit créer les conditions de la transition énergétique. L'année qui vient devra dire si les collectivités se saisissent de ces outils financiers. Avec un million de garanties ou de prêts à taux réduit, on peut faire des milliards et engager la transition énergétique à la bonne échelle.

Il reste encore des simplifications administratives sur le développement rapide du renouvelable, sur la maîtrise par les territoires d'un certain nombre d'outils de la transition énergétique comme la distribution, même si j'ai cru comprendre qu'il n'y avait plus beaucoup de soutien sur ce sujet. Mais globalement, je pense que l'État prend les choses dans le bon sens. Il ne s'agit pas de financer les choses, mais permettre de faire. Monsieur le Président, il serait utile que nous ayons une analyse concrète avant la loi de finances de l'année prochaine sur la façon dont les territoires se sont saisis de ces outils de financement et quels sont les éventuels obstacles qui demeurent. Je ne partage donc pas le pessimisme du rapporteur, même si j'ai trouvé que son rapport était très complet et très pédagogique.

Je suis en revanche tout à fait d'accord avec lui sur le Fonds chaleur. À Nantes, nous avons développé, grâce au Fonds chaleur, un réseau de chauffage urbain qui aujourd'hui s'autofinance, ce qui correspondrait à 9 % des émissions de gaz à effet de serre du territoire.

Sur l'eau, je suis globalement d'accord sur le principe qui veut que l'argent de l'eau va à l'eau. Il y a trois ans, nous avions déjà parlé de hold-up sur les agences de l'eau. À l'époque c'était Nathalie Kosciusko-Morizet qui le défendait. Les malfrats ont donc changé mais le hold-up demeure. C'est donc devenu une tradition bien installée au sein de l'État de prendre dans la caisse des agences de l'eau. Il faudrait y mettre un coup d'arrêt. Je rejoins le rapporteur : nous avions là un levier intéressant pour abonder le budget de l'Agence française pour la biodiversité. En outre, beaucoup de lobbies ont fait pression pour réduire le périmètre de l'agence. Or, nous avions là une occasion d'avoir une seule police environnementale, des agents moins spécialisés mais qui interviennent sur l'ensemble du périmètre. Le résultat est peu rationnel et implique plus de dépenses de l'État pour un résultat moindre. Malheureusement, on voit bien qu'il y a un décalage entre le discours général et la confrontation aux cas particuliers. J'espère que le rapporteur sera persuasif pour qu'un jour, toutes les structures soient rassemblées au sein de l'Agence pour la biodiversité. On ne peut pas se lamenter sur le nombre d'oiseaux qui disparaissent et ne pas être capable de relâcher six ours dans les Pyrénées. C'est une vraie faiblesse.

Pour conclure, je crois qu'il y a un double discours, qu'on retrouve sur Ecomouv. Je pense que c'est une bonne chose qu'on n'ait pas inscrit le dédit Ecomouv dans ce budget. Car tant qu'il n'est pas inscrit, l'avenir n'est pas totalement fermé. Or, aujourd'hui, l'État se trouve sur un dédit d'un milliard environ pour une facture annuelle de fonctionnement d'Ecomouv de 250 millions d'euros. Est-ce qu'il est raisonnable de tout arrêter ? Ou peut-on trouver une solution de repli pour garder, y compris peut-être à perte pour quelques années, le dispositif Ecomouv, pour permettre à d'autres de l'utiliser, notamment les régions. On pourrait régionaliser le dispositif, en Alsace par exemple. Mais quels élus défendront ce principe d'une régionalisation d'Ecomouv demain dans la campagne des régionales ? Le problème sur les budgets de l'environnement, c'est qu'au-delà des grandes phrases, quand on entre dans le détail, il y a un fossé qu'on ne franchit jamais.

J'étais donc heureux d'entendre une grande partie des propos du rapporteur. Néanmoins je ne suivrai pas son avis car pour une fois qu'un budget est préservé, il ne faut pas bouder son plaisir.

M. Hervé Maurey , président. - Je tiens à préciser que la mauvaise humeur de Ronan Dantec ne venait pas de la répartition des avis budgétaires entre l'opposition et la majorité mais venait de la répartition au sein de l'opposition.

Mme Odette Herviaux . - Je félicite moi aussi le rapporteur pour son propos très intéressant et documenté, ce dont je ne doutais pas pour avoir vu comment Jérôme Bignon a présidé l'Agence des aires marines protégées pendant des années. J'ai quelques remarques.

Je suis d'accord avec le rapporteur lorsqu'il dit que les crédits ne peuvent pas être en-deçà des enjeux. Mais, comme le disait mon collègue Ronan Dantec, il n'y a pas que les crédits qui comptent, il y a aussi la volonté politique.

Lorsqu'on parle de la préservation du milieu marin, il est vrai que l'on peut regretter l'insuffisance des moyens. Mais, comme je le disais à l'époque où j'étais à l'Agence des aires marines protégées, c'est une bonne chose de se donner les moyens de sa politique, néanmoins on ne peut faire que la politique de ses moyens. Très souvent, je crois que les agences ont un peu tendance à faire grossir leurs besoins et à augmenter un peu la nécessité.

Enfin, sur les problématiques des milieux marins, mon collègue Jacques Cornano voulait également rappeler le problème, tant d'un point de vue de santé publique que de biodiversité, de la pollution marine par les algues sargasses, en Guadeloupe et en Martinique. Il faudra en tenir compte.

Sur le programme 159, j'apprécie votre discours sur l'IGN. J'ai eu l'occasion de rencontrer les personnels du SHOM, le service hydrographique et océanographique de la marine. Il faut mettre en synergie ces organismes pour définir plus finement le trait de côte. On sait qu'avec le réchauffement climatique et avec l'avancée des côtes, nous devrons avoir une cartographie précise et de plus en plus fine.

M. Hervé Poher . - Je voudrais tout d'abord remercier le rapporteur. Il a parlé de transition, de biodiversité, de climat : cela veut dire que dans l'année qui vient, il sera possible de faire beaucoup de choses, de se dépasser et de dépasser nos clivages politiques. En effet, le paysage, la biodiversité, ou encore la nature, c'est autre chose, c'est amoureux davantage que politique. Je vous remercie donc de nous avoir donné un peu d'espoir.

Je regrette néanmoins de ne pas vous avoir pris comme avocat lorsque j'étais président du comité de bassin de l'agence de l'eau Artois-Picardie pendant dix ans. La situation n'était pas facile. J'y ai mis tout mon coeur, toute mon énergie et tout mon temps, avec un seul mot d'ordre : la directive cadre sur l'eau. J'ai mobilisé tout le monde, et notamment les collectivités, pour rattraper ce challenge.

Cela commençait à aller mieux lorsque j'ai été chargé de demander au ministre le report des dates de la directive cadre sur l'eau, à 2021, voire à 2027. Malgré tous les efforts que l'on faisait en Picardie, l'état des eaux était difficile avec les nitrates, les perchlorates, les phosphates, les métaux lourds.

Les agences de l'eau ne font pas de profit. Si les recettes ont augmenté, c'est à cause des taxes pour l'ONEMA ou pour le plan Ecophyto. Ce n'était pas de l'argent qui restait dans les caisses des agences. En Artois-Picardie, pour terminer l'année 2013, on a dû ouvrir de nouvelles lignes de trésorerie. Je ne peux pas accepter qu'on prenne de l'argent aux agences de l'eau. C'est pourquoi je m'abstiendrai sur ces crédits. L'eau doit rester à l'eau, le message est important.

M. Jérôme Bignon , rapporteur. - Merci de votre écoute à tous. Il est vrai que ces sujets sont très mobilisants et que dans les années qui viennent, nous aurons à travailler sur le réchauffement climatique, l'eau ou encore la biodiversité. Malgré nos sensibilités politiques différentes, malgré nos approches différentes, on doit pouvoir trouver les moyens de se parler intelligemment, c'est la raison pour laquelle nous sommes membres de cette commission du développement durable. Monsieur Dantec, je crois que l'avenir nous départagera sur un certain nombre de points. Je n'ai pas d'hostilité à l'idée du cercle vertueux des collectivités mais ces dernières n'ont pas plus d'argent que l'État. Sur le Fonds chaleur, s'il fonctionne tout seul, tant mieux, mais je demande à voir. Sur l'eau, nous sommes sur la même ligne. Sur l'Agence française pour la biodiversité, les résistances que vous avez évoquées sont réelles. En tant que président de l'Agence des aires marines protégées, j'ai donné mon sentiment à l'époque et il n'a pas été entendu. Ce qui est intéressant dans cette future agence, au-delà de ses missions, c'est son modèle de gouvernance. Par exemple, le fait d'avoir neuf établissements publics pour les neuf parcs nationaux est beaucoup trop lourd.

Sur les parcs marins, il faut compter déjà trente personnes par parc, mais également un backoffice assuré par l'Agence. En comptant cela, nous ne sommes pas très loin des 400 personnes nécessaires que j'évoquais.

Sur l'IGN, j'ajoute que sa fusion avec l'Institut forestier a été très intéressante car on est en train d'y créer une véritable ingénierie de la cartographie dynamique pour connaître notre territoire forestier. Des jeunes en contrat d'avenir qui vont être formés ont même été embauchés.

Merci Hervé Poher pour vos remerciements. Je connais bien l'agence Artois-Picardie. Je sais les ravages de l'industrie et de l'agriculture sur nos sous-sols. Dans ces conditions, c'est à 2040 qu'il va falloir reporter la directive cadre sur l'eau.

Je vous informe à ce sujet que concernant les amendements de suppression de l'article 16 du projet de loi de finances dont nous parlions tout à l'heure et qui viennent d'être examinés en séance, certains ont été retirés et d'autres ont été rejetés. Le Gouvernement a donné un avis défavorable et la commission des finances a demandé leur retrait. Il faudra continuer le combat tout de même car une politique de l'eau sans moyens pour l'assurer n'existe plus.

M. Hervé Maurey , président. - Il est regrettable que le Sénat ait rejeté cet amendement de suppression. Je voudrais dire à Hervé Poher, qui semble un peu embarrassé de ne pas être forcément en accord avec le Gouvernement qu'il soutient, que j'ai également connu cette situation quand j'ai été élu en 2008. J'ai retenu une phrase du président Gérard Larcher qui avait dit à l'époque que la loyauté, ce n'était pas l'inconditionnalité. Quand on est dans la majorité on doit être loyal et voter les textes importants mais on n'est pas obligé d'être d'accord sur tout.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits « Biodiversité - Transition énergétique » du projet de loi de finances pour 2015.

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