B. DES MODALITÉS D'ACCUEIL ET D'INTÉGRATION DES ÉTRANGERS PERFECTIBLES

1. Le contrat d'accueil et d'intégration : un bon diagnostic, des résultats en demi-teinte

Afin de préparer l'intégration des étrangers primo-arrivants régulièrement arrivés en France, plusieurs dispositifs ont été mis en place.

- Le contrat d'accueil et d'intégration (CAI)

Le contrat d'accueil et d'intégration (CAI), défini à l'article L. 311-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) est le dispositif principal de la politique d'accueil et d'intégration.

Le contrat d'accueil et d'intégration

« Suivant la suggestion émise en 2002 par le Haut conseil à l'intégration (HCI), le Président de la République a manifesté le 14 octobre 2002 son souhait de voir accueillis dans de meilleures conditions les primo arrivants et « que chaque nouvel arrivant s'engage dans un véritable contrat d'intégration comprenant notamment la possibilité d'accéder à des formations et à un apprentissage rapide de notre langue ». Ce nouveau contrat a été immédiatement expérimenté dans plusieurs départements avec le soutien des associations, sans aucune base législative ou réglementaire. Puis son déploiement s'est effectué en trois temps.

L'article 146 de la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 institue ce contrat à titre facultatif et, pour le déployer, une nouvelle agence publique, l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) 17 ( * ) .

La loi du 24 juillet 2006 le rend obligatoire et prévoit que l'étendue de son respect entrera en ligne de compte lors de l'examen du droit au séjour.

La loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration lui superpose un « contrat d'accueil et d'intégration pour la famille » en cas de regroupement familial avec enfants. Le non-respect de ce dernier contrat peut déclencher la mise en oeuvre du contrat de responsabilité parentale. »

Source : Conseil d'État, rapport annuel 2008, p. 54

Postérieurement, l'article L. 311-9 du CESEDA a été précisé par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité 18 ( * ) , qui a renforcé la sanction attachée au non-respect de l'obligation d'assiduité et de sérieux dans le suivi des formations imposées dans le cadre du CAI.

En 2013, 108 969 personnes ont signé le CAI, contre 101 368 en 2012.

Caractéristiques du public signataire du CAI en 2013

- 63 % des signataires sont issus du continent africain (dont 59 % sont originaires du Maghreb). Les autres signataires sont majoritairement des ressortissants Turcs (4,4 %), Chinois (4 %) et Russes (2,4 %) ;

- 53,3 % du public est féminin;

- l'âge moyen des signataires est de 32 ans ;

- 45,4 % des signataires sont membres de familles de Français;

- 20,2 % relèvent de la catégorie « liens personnels et familiaux » ;

- 8,9 % sont réfugiés, apatrides (membres de familles compris) ;

- 8,2 % sont bénéficiaires du regroupement familial ;

- 4,7 % relèvent de la catégorie « travailleurs ».

Source : DGEF

Dans le cadre du comité interministériel pour la modernisation de l'action publique, le dispositif d'accueil des étrangers en France a fait l'objet d'une évaluation récente par l'Inspection générale de l'Administration et par l'Inspection générale des affaires sociales 19 ( * ) .

Les auteurs du rapport estiment que l'apprentissage de la langue et l'accès à l'emploi sont effectivement les bons vecteurs d'intégration 20 ( * ) des étrangers primo-arrivants mais que le dispositif actuel est peu efficace .

Ainsi, il a été constaté que la formation linguistique n'est pas assez ambitieuse quant au niveau de langue à atteindre : l'exigence actuelle n'est pas suffisante pour favoriser l'autonomie des personnes au sein de la société française 21 ( * ) .

Les auteurs du rapport relatif à l'accueil des étrangers primo-arrivants soulignent ainsi que le niveau de maîtrise de langue exigé est l'un des plus faibles d'Europe 22 ( * ) .

Votre rapporteur précise que six niveaux de langue existent dans le cadre européen commun de référence pour les langues (CECR), élaboré dans le cadre du Conseil de l'Europe : A1 équivaut à un niveau de découverte, A2 permet une communication simple, B1 correspond à une communication plus élaborée, permettant notamment d'exprimer ses idées, B2 correspond au niveau d'un utilisateur indépendant ou avancé, C1 à celui d'un utilisateur autonome et C2 à un niveau de langue parfaitement maitrisé 23 ( * ) .

Le niveau exigé actuellement est le niveau A1.1 , qui n'est pas défini dans ce cadre mais qui est inférieur au niveau A1 : il ne permet que de comprendre quelques expressions familières, de s'identifier et de communiquer de manière très rudimentaire 24 ( * ) .

En outre, comme l'ont relevé les auteurs du rapport précité, imposer le passage d'un diplôme spécifique, l'actuel diplôme initial de langue française (DILF), est coûteux par rapport à un système d'attestation du niveau atteint par l'étranger par l'organisme formateur.

Par ailleurs, depuis la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, le CAI est un élément devant être pris en compte dans la décision de renouvellement du titre de séjour, afin d'en faire un élément d'appréciation de l'intégration de l'étranger. En pratique, les cas de non-renouvellement du titre de séjour sont liés à d'autres critères (rupture de vie commune, titre de séjour expiré, etc.) que le non-respect des dispositions du CAI, qui n'a jamais donné lieu en tant que tel à un refus de délivrance d'un titre de séjour.

Cette situation rend ainsi d'autant plus inadaptée l'utilisation du terme « contrat » pour qualifier cet instrument : contrairement à ce que son intitulé suggère, il ne produit aucun effet de droit à l'égard des co-contractants que sont l'étranger et l'administration : le sérieux dans le suivi de la formation n'entraîne aucun droit opposable à l'administration, pas plus que le non-respect par l'étranger des dispositions de ce « contrat » ne permet en pratique à l'administration de justifier un refus de titre de séjour.

Le Conseil d'État, dans son rapport annuel pour l'année 2008 consacré au contrat, avait ainsi constaté que « conçu au départ comme un contrat d'information, facultatif ou volontaire, il [le CAI] est rapidement devenu obligatoire et fonctionne désormais comme un contrat déséquilibré dans ses obligations, comme un contrat injonction à l'égard des étrangers ou comme un contrat allégeance pour reprendre la terminologie du professeur Alain Supiot. Ce type de contrat, éventuellement assimilable à un contrat d'adhésion, s'apparente fortement à un acte unilatéral » 25 ( * ) .

En conséquence, le Conseil d'État rappelle qu'il avait recommandé en 2006 de ne pas utiliser le terme de « contrat ».

Cette critique est relayée par la doctrine : Vincent Tchen, dans son commentaire de l'article L. 311-9 du CESEDA, ajoute que « cette posture [le choix du terme « contrat »] est d'autant plus regrettable qu'elle intervient dans un domaine, celui de la police administrative, où le contrat est en tout état de cause strictement prohibé » 26 ( * ) .

- Des dispositifs complémentaires peu efficaces

Le bilan de compétences professionnelles mêle information sur les démarches d'accès à l'emploi, questions sur le parcours scolaire et universitaire du migrant et ébauche d'un projet professionnel : trop standardisé, ce bilan n'est ni compris, ni utile aux personnes qui en bénéficient 27 ( * ) .

La formation civique se caractérise quant à elle par son contenu trop dense et également très standardisée.

Enfin, le « pré-CAI », qui est un dispositif destiné au conjoint de Français âgé de moins de 65 ans ainsi qu'au ressortissant de plus de 16 ans et de moins de 65 ans pour lequel le regroupement familial a été sollicité, initié dès le stade de la demande de visa dans le pays de départ , a été également critiqué pour son efficacité limitée, les étrangers bénéficiaires de formations à ce titre n'ayant pas démontré à leur arrivée en France un niveau de langue supérieur à ceux qui n'en ont pas bénéficié 28 ( * ) .

2. Un dispositif coûteux dans un contexte de restriction des crédits

Si le dispositif actuel se caractérise par son efficacité relative, il est cependant coûteux , alors même que les crédits de la mission immigration, hors asile, font l'objet d'une diminution continue.

Les diverses formations dispensées au titre de l'intégration ont engendré en 2013 une dépense de près de 50 millions d'euros .

La formation linguistique dispensée à l'occasion du CAI est la dépense la plus importante puisqu'elle représente près de 29 millions d'euros en 2013, 41 millions d'euros, si l'on y ajoute les formations linguistiques prescrites pour renforcer l'intégration.

Coût des différents instruments de la politique d'intégration en 2013

« Pré-CAI » à l'étranger

2 903 860 €

Formation linguistique CAI

29 003 015 €

Formation linguistique prescrite pour renforcer l'intégration

12 211 613 €

Bilan de compétences

5 396 392 €

Formation civique et session d'information « Vivre en France » et « Droits et devoirs des parents »

5 596 €

Total

49 520 476 €

Source : DGEF

3. Une politique d'intégration nationale mal articulée avec les dispositifs locaux d'insertion

La politique d'intégration menée au plan national s'articule mal avec les politiques menées au plan local, comme l'ont souligné les représentants de la direction générale des étrangers en France (DGEF), lors de leur audition par votre rapporteur.

Les auteurs du rapport sur l'évaluation de la politique d'accueil des étrangers primo-arrivants constatent ainsi que les plans départementaux d'intégration des populations immigrées (PDI) et les plans régionaux d'intégration des populations immigrées (PRIPI) ont des effets relativement limités en raison d'un investissement variable des partenaires (Pôle emploi, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), les agences régionales de santé (ARS) et l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)) et surtout en raison de la faiblesse des moyens consacrés 29 ( * ) .


* 17 Cette agence n'est pas entièrement nouvelle puisqu'elle prend la suite de l'OMI (Office des migrations internationales) et regroupe également les missions de service public autrefois confiées à une association, le service social d'aide aux émigrants (SSAE).

* 18 Dossier législatif : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl10-027.html .

* 19 Rapport conjoint de l'IGA et de l'IGAS sur l'évaluation de la politique d'accueil des étrangers primo-arrivants, octobre 2013.

* 20 Ils sont étroitement liés d'ailleurs : les inspections constatent ainsi que « l'absence de maîtrise de la langue française est identifié par Pôle emploi comme un frein spécifique à l'emploi », tome I, p. 28.

* 21 La performance de la formation linguistique s'apprécie actuellement au regard du taux de réussite au diplôme initial de langue française (DILF). L'inscription à cet examen fait suite à la formation linguistique délivrée dans le cadre du CAI. Elle intervient dans un délai de 18 mois au plus après la signature du contrat. Au 30 juin 2014, on recense 95 250 DILF délivrés. En 2013, le taux de réussite à l'examen pour les candidats qui s'y sont présentés est de 92,1%.

* 22 « La France est le seul pays qui fixe pour les migrants un objectif de maîtrise de sa langue aussi modeste », rapport précité, tome I, p. 8. Cf. annexe 3.

* 23 Cf. annexe 1 pour la définition précise et le détail de chacun de ces niveaux.

* 24 Cf. annexe 2 pour la définition précise de ce niveau.

* 25 Conseil d'État, rapport public annuel 2008, p. 157.

* 26 CESEDA commenté, édition 2015, LexisNexis, p. 139.

* 27 Au titre de l'année 2013, 43 865 bilans ont été prescrits. Une enquête réalisée sur les résultats du bilan de compétences professionnelles en 2013 a montré que 3 mois après le BCP, 20,2 % des personnes avaient trouvé un emploi, chiffre qui passe à 25,7% après 6 mois.

* 28 Rapport sur l'évaluation de la politique d'accueil des étrangers primo-arrivants, octobre 2013, tome II, p. 9.

* 29 Rapport précité sur l'évaluation de la politique d'accueil des étrangers primo-arrivants, octobre 2013, tome I, p. 30.

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