C. NE PAS NÉGLIGER UNE DÉPENSE FISCALE DYNAMIQUE

La reconnaissance de la Nation à l'égard de ses anciens combattants ne s'exprime pas uniquement sous la forme des crédits budgétaires du programme 169 et des dispositifs qu'ils financent. Elle comporte également plusieurs dépenses fiscales , c'est-à-dire des « dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en oeuvre entraîne pour l'Etat une perte de recettes et donc, pour les contribuables, un allègement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l'application de la norme, c'est-à-dire des principes généraux du droit fiscal français » 18 ( * ) . Cinq d'entre elles, dont trois portant sur l'impôt sur le revenu , sont rattachées à ce programme.

Ainsi, les contribuables de plus soixante-quinze ans titulaires de la carte du combattant , ainsi que leur conjoint survivant si l'ancien combattant lui-même en a bénéficié, se voient attribuer une demi-part de quotient familial . La retraite du combattant , les PMI , les rentes mutualistes dans la limite d'un plafond imposable ainsi que l'allocation de reconnaissance que touchent les harkis et leurs veuves ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu . Enfin, les versements effectués par les titulaires de la carte du combattant ou du titre de reconnaissance de la Nation (TRN) en vue de la constitution d'une rente mutualiste sont déduits du revenu imposable .

Ces dépenses fiscales devraient représenter un manque à gagner pour l'Etat de 789 millions d'euros en 2016 , en hausse de 4 % par rapport à 2015 ( + 30 millions d'euros ). En prenant comme année de référence 2010, où elles s'élevaient à 430 millions d'euros , l'augmentation est de 83 % . Ces taux doivent être mis en regard de ceux de l'évolution des crédits du programme 169 sur la même période : - 4,8 % entre 2015 et 2016 et - 22,2 % entre 2010 et 2016.

Ce dynamisme est pour l'essentiel dû au vieillissement des populations concernées : l'assouplissement, depuis maintenant une quinzaine d'années, des conditions d'attribution de la carte du combattant aux membres de la troisième génération du feu et l'âge croissant de ces derniers rendent inévitable une forte augmentation du coût de la demi-part attribuée à ceux d'entre eux qui dépassent les 75 ans et conservée par leur conjoint survivant. Ainsi, entre le 31 décembre 2011 et le 31 décembre 2014, la part des bénéficiaires de la retraite du combattant 19 ( * ) âgés de moins de 75 ans est passée de 43,4 % à 16,2 %. Alors qu'ils étaient encore 558 674 il y a cinq ans, ils n'étaient plus que 187 782 quatre ans plus tard. Dans le même temps, le nombre de bénéficiaires de cette dépense fiscale a augmenté de 43,8 %, passant de 516 500 à 742 750 , et son coût a connu une hausse de 63,5 %, passant de 260 à 425 millions d'euros par an .

De même, la déduction des versements effectués dans le cadre de la rente mutualiste concernait en 2014 un nombre d'anciens combattants supérieur de 19,2 % à celui de 2011 ( 213 780 contre 179 300 ), pour un coût qui avait augmenté dans une proportion - 27 % - plus importante ( 47 millions d'euros contre 37 millions d'euros ). Seule l'exonération de la retraite du combattant, des PMI, de la rente mutualiste et de l'allocation de reconnaissance en faveur des harkis a vu le nombre de ses bénéficiaires diminuer de 9,9 % (de 2 088 000 à 1 882 313 ) pour un coût resté inchangé à 200 millions d'euros.

Tableau n° 7 : Les dépenses fiscales associées à la mission
« Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation »

Impôt concerné

Dispositif

Nombre de bénéficiaires
2014
(ménages)

Chiffrage pour 2015
( PLF 2015 - PLF 2016 )

Chiffrage pour 2016

(en millions d'euros)

Impôt
sur le
revenu

Exonération de la retraite du combattant, des pensions militaires d'invalidité, des retraites mutualistes servies aux anciens combattants et aux victimes de guerre et de l'allocation de reconnaissance servie aux harkis et à leurs veuves

Date de création : 1934

1 882 313

200 -200

200

Demi-part supplémentaire pour les contribuables (et leurs veuves) de plus de 75 ans titulaires de la carte du combattant

Date de création : 1945

742 750

460 -520

550

Déduction des versements effectués en vue de la retraite mutualiste du combattant

Date de création : 1941

213 780

50 -39

39

Droits d'enregistrement
et de timbre

Réduction de droits en raison de la qualité du donataire ou de l'héritier (mutilé, etc.)

Date de création : 1959

nd

å

å

Exonération de droits de mutation pour les successions des victimes d'opérations militaires ou d'actes de terrorisme

Date de création : 1939

nd

nc

nc

Total

2 838 843 1

675 -759 1

789 1

1 : approximation compte tenu des données manquantes

å : coût inférieur à 0,5 million d'euros

nd : non déterminé

nc : non chiffrable

Source : Commission des affaires sociales et projet annuel de performances annexé au PLF

Comme chaque année, et sans remettre en cause ni son bien-fondé, ni son périmètre, force est toutefois de constater que le pilotage de cette dépense fiscale est déficient et que ses évolutions sont mal anticipées , au vu du fort écart entre le chiffrage prévisionnel et la dépense effectivement constatée qui persiste, tout particulièrement concernant la demi-part. Ainsi, alors que les documents budgétaires annexés au projet de loi de finances (PLF) pour 2015 annonçaient un coût, pour cette même année, de 460 millions d'euros , ceux annexés au PLF pour 2016 revoient cette estimation à la hausse de 13 %, à 520 millions d'euros .

Il s'agit d'une sous-estimation récurrente , qui ne contribue pas à la bonne information du Parlement sur l'étendue des politiques publiques en faveur des anciens combattants. Le PLF pour 2016 a pris acte d'une hausse du coût de la demi-part en 2014 de 9,4 % par rapport aux prévisions faites dans le PLF pour 2015, et de 25,7 % par rapport au PLF pour 2014 ( 465 millions d'euros contre 370 millions d'euros initialement escomptés). Il en va de même pour l'année 2013 : le chiffrage définitif, présenté dans le cadre de l'examen du PLF pour 2015, est supérieur de 37 % à celui figurant dans le PLF pour 2013 ( 370 millions d'euros contre 270 millions d'euros ). L'examen des déterminants de cette dépense fiscale , c'est-à-dire essentiellement le nombre de titulaires de la carte du combattant ainsi que leur âge, aurait pourtant permis d'anticiper cette forte croissance .

De telles imprécisions ne peuvent que nourrir les critiques portées sur ces dépenses fiscales par ceux, à Bercy, dont l'objectif est d'augmenter les recettes de l'Etat. Perçues par les associations d'anciens combattants comme une remise en cause profonde de la spécificité des politiques publiques en leur faveur, ces critiques ne devraient pas être apaisées par les dispositions votées en première lecture par l'Assemblée nationale .

Les députés ont en effet introduit dans le PLF un article 2 ter , issu d'un amendement présenté par la commission des finances à l'initiative de sa rapporteure générale et de notre collègue député Dominique Baert, qui abaisse à 74 ans l'âge à partir duquel la demi-part est accordée aux titulaires de la carte du combattant. Le motif invoqué est le fait que « bon nombre de ceux qui ont été engagés par la guerre d'Algérie n'y ont pas encore droit ». Outre le fait que le choix de cette borne d'âge semble quelque peu arbitraire aux yeux de votre rapporteur pour avis et que la situation conjoncturelle évoquée, qui aura disparu d'ici deux ans, donne lieu à une modification pérenne, il est à craindre que cette mesure n'apporte de nouveaux arguments à ceux qui estiment que l'Etat n'a pas à réserver un traitement particulier aux anciens combattants .

Cet article additionnel a été voté malgré l'opposition du Gouvernement , qui a chiffré son coût à 44 millions d'euros par an. Plusieurs représentants du monde combattant, qui n'est pas à l'origine de cette demande, ont fait part à votre rapporteur pour avis de leur réserve à son égard. Ils craignent, tout comme votre rapporteur pour avis, qu'il ne soit un prétexte pour engager une réforme profonde de la politique fiscale à l'égard des anciens combattants et de leurs ayants droit, dans le seul but de réaliser des économies. Votre rapporteur pour avis tient par ailleurs à souligner que si 44 millions d'euros supplémentaires de crédits budgétaires avaient pu être débloqués au profit de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », ils auraient pu connaître un meilleur usage .


* 18 Source : Evaluation des voies et moyens, tome II, annexée au PLF pour 2016.

* 19 Qui sont donc, par définition, titulaires de la carte du combattant.

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