B. DES ÉVOLUTIONS ET SITUATIONS CONTRASTÉES

Au regard des statistiques administratives effectivement disponibles, la délinquance dans les collectivités ultramarines est contrastée. Si on constate une hausse, parfois vertigineuse, des faits de délinquance dans certains territoires, ils sont à replacer dans un contexte géographique, économique et social spécifique.

Par ailleurs, certaines données sont à analyser avec précaution. Il convient de relativiser certains chiffres, dont l'augmentation peut être aussi liée à une propension plus forte à déposer plainte (en particulier pour les violences intrafamiliales) ou encore aux changements d'outils de collectes ou de pratiques de saisie qui peuvent ainsi provoquer de très fortes variations dans les données 2 ( * ) .

1. Des situations contrastées

Si, au niveau global, les taux de criminalité dans les territoires ultramarins sont plus élevés que ceux constatés dans les départements métropolitains, certaines collectivités présentent une situation spécifique en la matière. En particulier, on relève un niveau de violence élevé en Guyane, à Saint-Martin, en Guadeloupe et à Mayotte, en raison notamment des violences non crapuleuses très élevées.

Votre rapporteur regrette toutefois de n'avoir pu recueillir auprès du ministère des outre-mer des données relatives aux collectivités d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie qui auraient permis d'établir des comparaisons avec les cinq départements d'outre-mer.

a) Des territoires à la criminalité élevée

En 2014, la Guadeloupe et la Guyane sont parmi les départements les plus violents de France .

En Guyane , le nombre d'atteintes volontaires à l'intégrité s'élève à 24,2 %o, juste après Saint-Martin (24,2 %o), le taux en métropole étant de 8 %o. Depuis 2010, ce département connait une explosion des atteintes aux biens de près de 45 %. Si les vols à main armée sont en recul de 4 %, les cambriolages ont progressé de plus de 20 % entre 2010 et 2014.

En outre, les atteintes volontaires à l'intégrité physique ont progressé de 55 % sur cette même période. Si les homicides, crapuleux ou non, ont reculé de 19,5 %, les tentatives d'homicides ont, en revanche, progressé de près de 105 %.

La délinquance, parfois très violente, est généralement le fait d'actions individuelles, à l'exception notable de l'orpaillage clandestin. La Guyane représente en outre un important lieu de transit pour l'acheminement de la cocaïne à destination de l'Europe. Se développe ainsi depuis plusieurs années le phénomène « des mules » qui consiste à avaler des ovules de cocaïne de 300 grammes à plus d'un kilogramme. Ainsi, selon les éléments recueillis par votre rapporteur, plus de 400 « mules » ont été interceptées depuis le début de l'année.

L'orpaillage clandestin est le fait exclusif de ressortissants brésiliens, à l'origine également d'autres infractions, notamment le vol de véhicules, l'aide au séjour irrégulier ainsi que le proxénétisme. Enfin, la Guyane enregistre une criminalité de proximité très violente au préjudice des particuliers.

La Guadeloupe est particulièrement touchée par la circulation et l'utilisation d'armes - à feu ou blanches - qui expliquent le nombre élevé de meurtres, commis le plus souvent pour des motifs futiles. En revanche, il semblerait qu'aucune affaire criminelle n'ait révélée la présence d'organisations plus ou moins structurées approvisionnant la Guadeloupe en armes. On y relève également la présence d'une criminalité organisée, liée essentiellement au trafic de stupéfiants, les Caraïbes étant la voie de passage privilégiée de la cocaïne en provenance de la zone de production mondiale de ce stupéfiant (Colombie, Bolivie, Pérou) à destination des marchés de consommation européens.

La Guadeloupe connaît, entre 2010 et 2014, une augmentation modérée des atteintes volontaires à l'intégrité physique, égale à 5,65 %, malgré une baisse de 4,5 % entre 2013 et 2014. Les atteintes volontaires à l'intégrité physique y demeurent toutefois élevées en comparaison de celles relevées en métropole : le taux se situe à 15,59 %o en 2013 et 15,06 %o en 2014 contre respectivement 7,82 en 2013 et 7,99 en 2014 en moyenne pour la métropole. Les vols à mains armées ont également progressé de près de 13 % entre 2010 et 2014.

Toutefois, on constate quelques améliorations avec un léger recul des atteintes aux biens (- 1,3 % entre 2010 et 2014), une baisse des homicides volontaires (22 homicides en 2014 contre 35 en 2013) et une relative stabilité des tentatives d'homicides (35 en 2014 contre 33 en 2013).

b) Des territoires plus sûrs

La Martinique connaît une situation moins dégradée que la Guadeloupe. Si on y relève un taux élevé d'atteintes volontaires à l'intégrité physique, égal à 14,8 %o, près de deux fois supérieur à la moyenne nationale (7,82 %o), en revanche, les atteintes aux biens et la délinquance financière, avec les escroqueries, infractions économiques et financières relevés dans ce département sont nettement inférieurs à la moyenne nationale (27,97 %o pour 35,38 %o en métropole pour les atteintes aux biens et 3,25 %o pour 5,15 %o en métropole pour les escroqueries, infractions économiques et financières).

Le sentiment d'insécurité reste à un niveau plus convenable qu'en Guadeloupe. La criminalité organisée en Martinique est essentiellement liée au trafic de stupéfiants favorisé par l'existence de liens entre les malfaiteurs locaux et la métropole. Ce département est particulièrement exposé aux risqués liés aux addictions (alcools et stupéfiants) à l'origine de phénomènes de poly-toxicomanie. D'autres aspects de la criminalité relèvent de plusieurs communautés étrangères : la République dominicaine pour la prostitution (en particulier dans le quartier sensible des Terres-Sainville à Fort-de-France) et Sainte-Lucie, Saint-Vincent et Haïti pour le trafic de stupéfiants.

En Martinique , la baisse des atteintes aux biens est plus marquée qu'en Guadeloupe, avec une réduction de 11,10 % entre 2010 et 2014. Les vols à main armée (armes à feu) ont progressé quant à eux de 7,11 % sur la même période. En revanche, les cambriolages, sur ces cinq dernières années, sont en recul de 25,75 %.

Depuis 2010, en Martinique, les atteintes volontaires à l'intégrité physique ont baissé de 8 % . Sur la même période, les homicides, crapuleux ou non, sont stables tandis que les tentatives d'homicides progressent de 34,21 % entre 2010 et 2014.

La Réunion se démarque quant à elle par des taux de criminalité largement inférieur à celui des départements français d'Amérique, et proche de la moyenne nationale, malgré un contexte social dégradé, qui a été à l'origine des violences urbaines de début 2014. On y relève une stabilité des vols à main armée (armes à feu) entre 2010 et 2014. Dix-neuf ont été commis en 2010 tout comme en 2014. Les cambriolages ont, quant à eux, progressé de 5,5 % sur la même période. De même, entre 2010 et 2014, La Réunion a subi une augmentation des atteintes volontaires à l'intégrité physique de 24 %. Les homicides, crapuleux ou non, ont reculé de près de 93 %, de même que les tentatives (- 85 %) entre 2010 et 2014. De même, les escroqueries, infractions économiques et financières ont diminué de 25,7 % à La Réunion.

Mayotte a connu, entre 2010 et 2014, une forte augmentation des atteintes volontaires à l'intégrité physique (+ 76,3 %), des atteintes aux biens (+ 68 %) tandis que les escroqueries, infractions économiques et financières ont baissé de 57 %. Toutefois, malgré la forte hausse observée ces dernières années, le taux de criminalité de Mayotte demeure largement inférieur à celui de l'outre-mer en général. Le taux de criminalité est de 2,08 pour 1 000 habitants ( 5,47 pour la France métropolitaine).

Enfin, à Mayotte, toujours sur la même période, les atteintes volontaires à l'intégrité physique ont augmenté de 76 % . Le même constat s'applique à Mayotte, avec une augmentation sur la même période de près de 68 % des atteintes aux biens.

En matière de délinquance économique et financière , les escroqueries, infractions économiques et financières sont en baisse dans les cinq départements d'outre-mer, à des niveaux différents, entre 2010 et 2014 : - 36,7 % en Guadeloupe, et, dans une moindre mesure, - 10,2 % en Martinique, - 16,4 % en Guyane et - 57,3 % à Mayotte sur la même période.

2. Des facteurs multiples et communs
a) La situation économique et sociale

La situation économique et sociale des territoires ultramarins est un facteur pouvant expliquer les taux de délinquance observés.

Souvent oubliés des études nationales comme votre rapporteur l'a indiqué auparavant, les territoires ultramarins sont confrontés à des difficultés économiques et sociales majeures. Les inégalités sociales y sont plus importantes que sur le reste du territoire national.

Jusqu'au début des années 2010, les outre-mer, à l'exception de la Polynésie française, ont connu une croissance économique remarquable portée principalement par le secteur marchand. Toutefois, en dépit de ce dynamisme, des retards par rapport aux régions de France métropolitaine sont à relever. La crise économique qui sévit depuis 2009 a stoppé la croissance dans la plupart des territoires, à l'exception de la Guyane et de la Nouvelle-Calédonie, en raison de la présence d'activités spécifiques : extraction du nickel en Nouvelle-Calédonie et activité spatiale en Guyane. La Polynésie française et la Martinique ont été les plus fortement touchées.

La progression du produit intérieur brut (PIB) par habitant est corrélée à la croissance démographique propre à chaque territoire. Ainsi, en Guyane, la croissance de la population qui est particulièrement élevée (+ 3,8 % par an) fait stagner la richesse produite par habitant. En Polynésie française, la faible augmentation du PIB a été « absorbée » par la croissance démographique.

b) La jeunesse de la population

Les taux de délinquance sont plus marqués dans les territoires où les jeunes de moins de 30 ans représentent une part significative de la population : 67 % à Mayotte, 56 % en Guyane ou 50 % en Polynésie française contre 36 % en métropole.

Sans pour autant opérer un amalgame entre jeunesse et criminalité, la délinquance spécifique des mineurs dans les territoires ultramarins représente une problématique importante.

En Martinique , la délinquance des mineurs se caractérise par des actes graves et violents, en particulier les vols de bijoux. En 2014, près de 35 % des personnes mises en cause pour violences crapuleuses sont des mineurs. Près de 33 % d'entre eux sont mis en cause pour violences sexuelles et 25 % d'entre eux le sont pour des atteintes aux biens.

En Guyane , la délinquance des mineurs se caractérise par des actes graves et violents, en particulier dans le périmètre scolaire. Entre 2010 et 2014, le nombre de mineurs mis en cause à l'occasion de crimes ou délits a progressé de près de 76 %. Sur cette même période, le nombre de mises en cause de mineurs pour atteintes volontaires à l'intégrité physique a progressé de 45,7 %. Le nombre des violences crapuleuses a, quant à lui, diminué de 38,9 %.

En revanche, pour les violences non crapuleuses, le nombre de mises en cause a progressé de 289 % tandis que, en matière de violences sexuelles, il a progressé de 66,7 % et en matière d'atteintes aux biens de 38,9 %.

À La Réunion , la place occupée par la délinquance des mineurs est inquiétante. Entre 2010 et 2014, le nombre de mineurs mis en cause à l'occasion de crimes ou délits a progressé de près de 26 %.

Le nombre de mises en cause a progressé de 20,6 % pour les atteintes volontaires à l'intégrité physique, de 32 % pour les violences crapuleuses et de 15,6 % pour les violences non crapuleuses. En revanche, ce nombre est en diminution de 5,3 % pour les atteintes aux biens. S'agissant des violences sexuelles, le nombre des mis en cause a progressé de 13 %.

À Mayotte , entre 2010 et 2014, le nombre de mineurs mis en cause à l'occasion de crimes ou délits a baissé de près de 35 %. Pourtant, sur la même période, le nombre de mises en cause pour atteintes volontaires à l'intégrité physique a progressé de 115,6 %. Il a diminué de près de 25 % pour les violences crapuleuses.

En revanche, s'agissant des violences non crapuleuses, le nombre de mises en cause a progressé de 440,7 % alors que ce nombre est stable s'agissant des violences sexuelles. Enfin, en matière d'atteintes aux biens, il a progressé de 30 %.

Parmi les cinq départements d'outre-mer, la Guadeloupe se distingue des autres départements par une baisse des mineurs mis en cause. En effet, entre 2010 et 2014, le nombre de mineurs mis en cause à l'occasion de crimes ou délits est en recul (- 6,5 %), malgré une légère hausse entre 2013 et 2014 (+ 1,2 %). Par indicateur, on relève, sur la même période, que le nombre de mineurs mis en cause dans les atteintes volontaires à l'intégrité physique a diminué de 25 %. Pour les atteintes aux biens, ce chiffre est en baisse de - 28,25 %. La baisse est encore plus marquée (- 61,5 %) pour les escroqueries, infractions économiques et financières. La baisse du nombre des mineurs mis en cause a été importante entre 2010 et 2011. Ensuite, leur nombre est resté relativement stable.

c) Les spécificités géographiques

La situation géographique des territoires ultramarins est un facteur important d'explication de certaines particularités en matière de délinquance. Ainsi, les départements de la Guadeloupe et de la Martinique se caractérisent par un trafic important de drogue en raison de leur localisation sur le marché des trafiquants, étant un lieu de passage vers les États-Unis.

La situation des territoires ultramarins au regard de la pression migratoire demeure hétérogène.

S'agissant des départements d'outre-mer, La Réunion, la Martinique et, dans une moindre mesure, la Guadeloupe, ne subissent pas de pression migratoire forte tandis que la Guyane et Mayotte sont au contraire soumises à des entrées irrégulières sur leur territoire, emportant des risques aigus de déstabilisation sociale et, partant, de délinquance.

La proximité géographique d'Anjouan et de Mayotte, distantes l'une de l'autre de seulement soixante-dix kilomètres, ou celle de la Guyane avec le Suriname, le Guyana ou encore le Brésil, associée à l'écart de développement économique entre ces départements et leurs voisins, constituent autant d'éléments explicatifs de l'importance des flux migratoires clandestins.

L'exposition de la Guadeloupe à cette problématique s'explique également par sa prospérité économique dans son espace régional et sa proximité géographique avec la Républicaine Dominicaine et Haïti.

En Guyane, à la frontière brésilienne, s'est développé depuis plusieurs années l'orpaillage clandestin, conséquence concrète de l'importance de l'immigration illégale dans ce territoire, d'où la volonté de l'État et des autorités locales de réprimer les réseaux de trafiquants. En effet, le recrutement des « Garimpeiros », orpailleurs clandestins, s'effectue parmi une population brésilienne démunie de tout titre de séjour. Ainsi, des opérations menées conjointement avec les forces armées en Guyane permettent d'associer la police aux frontières de manière efficace à la lutte contre l'orpaillage clandestin.

d) Une forte circulation d'armes

Certains territoires ultramarins se distinguent par une forte détention d'armes. Cette situation résulte de traditions locales (activités de chasse, culture d'autodéfense) qui conduisent certains foyers à détenir simultanément plusieurs armes.

Armes légalement détenues (catégories A, B, C et D) par collectivité ultramarine
(au 16 novembre 2015)

A

B

C

D

Total

Guadeloupe

3

2 798

3 987

797

7 585

Martinique

0

4 023

3 281

518

7 822

Guyane

3

6 311

8 343

5 191

19 848

Saint-Pierre-
et-Miquelon

1

125

312

14

452

La Réunion

2

4 430

7 244

486

12 162

Mayotte

0

34

75

3

112

Nouvelle-Calédonie

3

3 437

28 952

3 119

35 511

Polynésie Française

0

387

1 803

222

2 412

Wallis-et-Futuna

-

-

-

-

-

Source : ministère de l'intérieur

Or, selon l'expression du directeur général des outre-mer, ces armes sont « les outils du passage à l'acte ». Plusieurs opérations ont été conduites, permettant une baisse de la circulation des armes. Cependant, les débats autour de l'article 52 de la loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer prouve un attachement vivace à la détention d'armes dans certains de ces territoires 3 ( * ) .

3. Des taux d'élucidation susceptibles d'interprétations contrastées

Les taux d'élucidation que votre rapporteur a recueillis auprès de la direction générale des outre-mer soulèvent, dans leur interprétation, un certain nombre de questions. En effet, la forte augmentation de certains faits de délinquance, en raison soit de la plus forte propension des populations à déposer plainte, soit de dispositifs de collecte de données différents, ne s'accompagne pas forcément d'une augmentation des taux d'élucidation, à l'exception notable des escroqueries, infractions économiques et financières.

En revanche, les éléments fournis à votre rapporteur témoignent, malgré les données, de taux d'élucidation assez élevés dans certains territoires ultramarins, en raison notamment de la situation insulaire de certains d'entre eux et du fort contrôle social dans certaines sociétés ultramarines.

Évolution des taux d'élucidation par départements d'outre-mer
entre 2010 et 2014
(en %)

Atteintes aux biens
(AAB)

Atteintes volontaires à l'intégrité physique
(AVIP)

Escroqueries, infractions économiques et financières
(EIEF)

Guadeloupe

- 3,02

- 3,05

+ 18,04

Martinique

- 2,29

- 5,26

+ 8,75

Guyane

- 7,95

- 10,93

- 23,73

La Réunion

- 0,37

- 5,88

+ 15,56

Mayotte

- 6,55

- 7,22

- 3,74

Source : commission des lois du Sénat


* 2 À titre d'exemple, l'isolement depuis 2007 des crimes et délits de la collectivité de Saint-Martin par rapport à la Guadeloupe à laquelle ces faits étaient auparavant rattachés provoque des variations fortes à compter de cette date.

* 3 L'article L. 345-2-1 du code de la sécurité intérieure permettant de fixer un nombre maximal d'armes détenues par une même personne simultanément en Nouvelle-Calédonie a reçu l'opposition de tous les groupes politiques représentés au congrès de la Nouvelle-Calédonie.

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