Avis n° 146 (2016-2017) de M. François-Noël BUFFET , fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 novembre 2016

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N° 146

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2016

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 2017 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME III

IMMIGRATION, INTÉGRATION ET NATIONALITÉ

Par M. François-Noël BUFFET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 4061, 4125 à 4132 et T.A. 833

Sénat : 139 et 140 à 145 (2016-2017)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Après avoir entendu M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, le mardi 15 novembre 2016, la commission des lois du Sénat, réunie le mercredi 16 novembre 2016 sous la présidence de M. Philippe Bas, président, a examiné, sur le rapport pour avis de M. François-Noël Buffet, les crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2017 à la politique d'immigration et d'intégration 1 ( * ) .

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis, a d'abord indiqué que si les crédits consacrés par le projet de budget à la politique d'immigration et d'intégration étaient en hausse pour la deuxième année consécutive, cette politique demeurait le parent pauvre de la mission « Immigration, asile et intégration » , les crédits hors asile ne représentant que 31 % de la mission et ceux liés à la politique d'immigration régulière seulement 21 %.

S'agissant de la lutte contre l'immigration irrégulière , le rapporteur a noté que l'augmentation des crédits correspondait essentiellement au financement de la prise en charge des migrants à Calais et Dunkerque. Il a déploré que les instruments proposés par le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances soient insuffisants pour évaluer l'efficacité des moyens alloués du fait d'un défaut de vision globale des crédits engagés dans cette politique et du manque d'indicateurs pertinents .

Quant aux crédits dédiés à l' immigration régulière , le rapporteur a salué l'effort budgétaire en faveur de la formation linguistique et de la création de 500 places en centre provisoire d'hébergement pour les bénéficiaires d'une protection internationale. Il a cependant regretté l' insuffisance de ces moyens .

Suivant son rapporteur, la commission a donné un avis défavorable aux crédits consacrés à la politique d'immigration et d'intégration par la mission « Immigration, asile et intégration ».

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Comme les années précédentes, le présent rapport pour avis n'est consacré qu'à une partie des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». Il ne porte en effet que sur trois des quatre actions que comporte le programme 303 « Immigration et asile », à savoir « Circulation des étrangers et politique des visas », « Lutte contre l'immigration irrégulière » et « Soutien ». Il s'attache en revanche à l'intégralité du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité ». Les crédits dédiés à la garantie du droit d'asile font, quant à eux, l'objet d'un rapport spécifique de notre collègue Esther Benbassa.

Pour la deuxième année consécutive, le projet de loi de finances pour 2017 fait apparaître une hausse des crédits consacrés à la politique d'immigration et d'intégration . Se confirme ainsi la rupture d'avec les années antérieures qui voyaient ces crédits amputés au profit des montants dédiés au financement de l'asile. Pour autant, cette politique d'immigration et d'intégration demeure le parent pauvre de cette mission budgétaire .

En effet, si, à première vue, ces crédits semblent connaître une très forte croissance (+ 77,3 % en autorisations d'engagement - AE - et + 78,3 % en crédits de paiement - CP -), il faut se garder de conclusions trop hâtives.

Tout d'abord, les dépenses hors asile de la mission correspondent à seulement 31 % des crédits de la mission , les crédits dédiés à la politique d'immigration régulière et d'intégration n'en représentant que 21 %, comme l'indique le diagramme ci-dessous.

Répartition des crédits de la mission par grands thèmes

Source : commission des lois du Sénat

Or, parmi ces derniers crédits se trouvent ceux affectés à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Acteur historique de l'intégration, cet opérateur a vu ses missions profondément modifiées et largement réorientées vers l'accueil des demandeurs d'asile à la faveur de la réforme du droit d'asile par la loi du 29 juillet 2015 et, dans une moindre mesure, par la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Si votre rapporteur salue les efforts consentis par le Gouvernement sur cette mission, il s'interroge toutefois sur l'efficacité de la lutte contre l'immigration irrégulière et déplore l'insuffisance des crédits dédiés à la politique d'immigration et d'intégration.

Évolution des crédits consacrés à la politique d'immigration
et d'intégration en loi de finances initiale

LFI pour 2016

PLF pour 2017

Variation en %

AE

CP

AE

CP

AE

CP

303 - Immigration et asile

111 820 609 €

111 236 527 €

119 846 207 €

120 746 357 €

+ 7,2

+ 8,5

01 - Circulation des étrangers et politique des visas

565 000 €

565 000 €

520 000 €

520 000 €

- 8

- 8

03 - Lutte contre l'immigration irrégulière

79 880 082 €

79 956 000 €

92 517 850 €

92 657 350 €

+ 15,8

+ 15,9

04 - Soutien

31 375 527 €

30 715 527 €

26 808 357 €

27 569 007 €

- 14,6

- 10,2

104 - Intégration et accès à la nationalité française

95 609 213 €

95 463 298 €

247 840 000 €

247 900 000 €

+ 159,2

+ 159,7

11 - Accueil des étrangers primo-arrivants

40 635 798 €

40 635 798 €

181 900 000 €

181 900 000 €

+ 347,6

+ 347,6

12 - Actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière

24 538 500 €

24 538 500 €

29 731 000 €

29 731 000 €

+ 21,2

+ 21,2

14 - Accès à la nationalité française

1 204 515 €

1 058 600 €

945 600 €

1 005 600 €

- 21,5

- 5

15 - Accompagnement des réfugiés

20 243 400 €

20 243 400 €

26 725 400 €

26 725 400 €

+ 32

+ 32

16 - Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

8 987 000 €

8 987 000 €

8 538 000 €

8 538 000 €

- 5

- 5

Total hors Garantie du droit d'asile

207 429 822 €

206 699 825 €

367 686 207 €

368 646 357 €

+ 77,3

+ 78,3

Source : commission des lois du Sénat à partir du projet annuel de performances
annexé au projet de loi de finances pour 2017

I. MALGRÉ LA HAUSSE DES CRÉDITS DÉDIÉS ET UNE RECHERCHE INCONTESTABLE D'EFFICIENCE, DES INTERROGATIONS PERSISTANTES SUR L'EFFICACITÉ DE LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE

Les crédits dédiés à la lutte contre l'immigration irrégulière au sein de la mission « Immigration, asile et intégration » connaissent une augmentation, alors même que les efforts de rationalisation de ces dépenses se poursuivent. Cela témoigne de la volonté du Gouvernement d'éloigner davantage d'étrangers en situation irrégulière.

Cependant, les instruments proposés par le projet annuel de performances se révèlent insuffisants pour évaluer l'efficacité de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière en raison du défaut de vision globale des crédits engagés dans cette politique, d'une part, et du manque d'indicateurs pertinents, d'autre part.

A. UNE VOLONTÉ AFFICHÉE D'AUGMENTER LE NOMBRE D'ÉLOIGNEMENTS

Au sein de la mission « Immigration, asile et intégration », les crédits dédiés à la lutte contre l'immigration irrégulière sont pour l'essentiel portés par l' action n° 3 du programme 303 .

Avec 92,5 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 92,7 millions d'euros en crédits de paiement (CP) , ses crédits représentent 9,9 % des crédits du programme et sont en augmentation de près de 16 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2016. Par rapport à l'exécution 2015, l'augmentation n'est toutefois que d'environ 8 % en autorisations d'engagement tandis que les crédits de paiement baissent de 1,5 %.

Contrairement à ce qu'affirme le projet annuel de performances, l'action n° 3 ne regroupe que les crédits nécessaires à la mise en oeuvre de l'éloignement contraint des étrangers en situation irrégulière , à l'exclusion notable toutefois des dépenses de personnel. Elle ne comprend donc que les dépenses afférentes à la préparation à l'éloignement selon les deux modalités de la rétention et de l'assignation à résidence, et les dépenses d'éloignement proprement dit.

L'augmentation globale des crédits de cette action masque des disparités importantes selon les postes budgétaires, dont certains font l'objet d'une réelle rationalisation. Cette augmentation est, en réalité, principalement le fait du poste de la prise en charge sanitaire qui croît de 14,2 millions d'euros correspondant en quasi-totalité au financement des camps pour l'accompagnement et la prise en charge des migrants à Calais et Dunkerque , selon le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2017 2 ( * ) . Pour le reste, elle témoigne néanmoins de l' effort accru d'éloignement de ressortissants de pays tiers.

1. Une sous-occupation persistante du parc de rétention administrative en dépit des efforts de rationalisation

La rétention administrative est mise en oeuvre au travers de deux dispositifs : les centres de rétention administrative (CRA) et les locaux de rétention administrative (LRA). Y sont assimilés, du point de vue budgétaire, les dépenses engagées pour la zone d'attente des personnes en instance (ZAPI) de Roissy.

Les crédits dédiés à la rétention administrative se répartissent en :

- dépenses de fonctionnement dit « hôtelier » comprenant les prestations de restauration, de blanchisserie, de maintenance préventive et curative des locaux, de sécurité incendie, d'entretien immobilier ; selon le projet annuel de performances, le projet de loi de finances pour 2017 ramènerait ces crédits à 19 millions d'euros, ce qui marquerait un retour au niveau de ceux de la loi de finances initiale pour 2015 ;

- dépenses d'investissement pour un montant de 3,1 millions d'euros en AE et 3,3 millions d'euros en CP pour financer des travaux de mise en conformité et d'accessibilité de plusieurs CRA, ainsi que la création de nouvelles places dans les CRA de Lille-Lesquin et Coquelles ;

- dépenses d'intervention pour la prise en charge sanitaire (8 millions d'euros en AE=CP) et l'accompagnement social, que ce soit sous la forme d'assistance humanitaire à la zone d'attente de Roissy ou sous celle d'une assistance juridique en CRA (6,3 millions d'euros en AE=CP).

Au total, les dépenses consacrées à la rétention se monteront donc en 2017 à plus de 36 millions d'euros en AE et 33,6 millions en CP , soit une baisse de 3 % en AE et de 11,75 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2016.

Après des efforts portés sur les dépenses de fonctionnement via la mutualisation des marchés de blanchisserie, nettoyage et restauration à partir de 2013, ainsi que la réorganisation de l'assistance juridique par une mise en concurrence, les efforts de rationalisation des dépenses se portent désormais sur le parc immobilier lui-même . Une étude réalisée par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) en 2015 a conduit à l'élaboration d'un référentiel immobilier de prestations et de marchés qui comprend en particulier un concept de construction dont le Gouvernement attend des économies substantielles tant en investissement (jusqu'à 500 000 euros pour chaque construction nouvelle) qu'en fonctionnement (jusqu'à 20 % d'économie).

Si votre rapporteur salue ces efforts de rationalisation, il continue de s'interroger toutefois sur la sous-occupation chronique des CRA. Certes les taux d'occupation connaissent depuis quelques années une amélioration, cependant ce taux n'était encore que de 52,5 % au 1 er semestre 2016, avec de fortes disparités selon les CRA : autour de 89 % pour les CRA de Paris mais seulement 35,6 % au CRA de Metz et 14,9 % au CRA d'Hendaye sur la même période.

Or les dépenses liées aux CRA sont largement composées de frais fixes , comme le rappellent régulièrement les documents budgétaires. C'est pourquoi l'optimisation des capacités de ces CRA , passant en particulier par la transformation de places pour les familles en places pour personnes isolées, telle qu'elle était annoncée dans le cadre du Plan Migrants de l'été 2015, devrait être accélérée .

2. L'assignation à résidence : un dispositif en développement

L'assignation à résidence s'effectue soit au domicile de la personne concernée, soit dans un lieu déterminé par l'autorité administrative 3 ( * ) . Elle n'apparaît dans les comptes de l'État que dans ce second cas et figure au sein de l'action n° 3 du programme 303, sans être formellement distinguée des dépenses liées aux dispositifs de rétention.

L'assignation à résidence prenait traditionnellement la forme de placements en structures hôtelières en pension complète. Depuis 2015, elle peut également s'effectuer en structures associatives à titre onéreux, dans le cadre de l'expérimentation de « centres de retour ».

L'expérimentation des centres de retour

Lancée en avril 2015, l'expérimentation d'un centre de retour pour étrangers déboutés de leur demande d'asile à Vitry-sur-Orne, en Moselle, s'inspire du dispositif belge des « maisons de retour » 4 ( * ) .

Ce dispositif est proposé à des familles qui se sont vu refuser une protection internationale et ne peuvent prétendre rester sur le territoire pour un autre motif.

Hébergées dans un ancien foyer de travailleurs migrants géré par la société mixte ADOMA sous le régime de l'assignation à résidence, ces familles reçoivent régulièrement la visite d'agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui ont pour mission de les convaincre de rentrer dans leur pays d'origine et de leur proposer, le cas échéant, l'aide au retour. La gendarmerie se rend sur place une fois par semaine pour assurer le pointage des familles hébergées.

Initialement de 40 places, le centre a vu sa capacité doublée en juin 2016.

À ce jour, le bilan de l'expérimentation fourni par le ministère de l'intérieur est le suivant.

Depuis son ouverture, 61 familles représentant un total de 236 étrangers déboutés du droit d'asile ont été accueillies dans le dispositif. 51 familles, représentant un total de 188 personnes, en étaient sorties au 21 septembre 2016 et 10 familles représentant un total de 48 personnes s'y trouvaient.

Sur les 188 personnes sorties du dispositif :

- 36 familles, représentant un total de 135 personnes (72 %), ont quitté le territoire dont :

• 28 familles, représentant un total de 99 personnes (53 %), ont accepté l'aide au retour ;

• 8 familles, représentant un total de 36 personnes (19 %), ont été éloignées de manière contrainte ;

- 11 familles, représentant un total de 37 personnes (20 %), sont déclarées en fuite ;

- 4 familles représentant un total de 16 personnes (8 %) ont été retirées du dispositif pour des raisons médicales.

Ce bilan a été jugé suffisamment satisfaisant pour que soit engagée une démarche d'ouverture d'autres dispositifs de préparation au retour sur le territoire métropolitain.

Source : commission des lois du Sénat à partir des éléments fournis
par la direction générale des étrangers en France (DGEF)

Le recours à l'assignation à résidence a connu un essor certain depuis la mise en oeuvre de la circulaire du 6 juillet 2012 visant à généraliser l'assignation à résidence comme alternative au placement en rétention administrative dans le cas de familles avec enfant mineur 5 ( * ) . La loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France devrait encore renforcer ce phénomène dans la mesure où elle a érigé l'assignation à résidence en règle et fait de la rétention administrative l'exception. Cependant, les nouveaux outils mis à disposition des préfectures pour améliorer l'efficacité de l'éloignement en cas d'assignation à résidence et favoriser le recours à cet instrument juridique (recours à la force publique pour les escortes au consulat, visite domiciliaire) ne sont entrés en vigueur qu'au 1 er novembre 2016 faute de décret d'application pris avant cette date. Fin août 2016, la rétention administrative représentait 83,72 % des mesures prononcées à l'encontre d'étrangers en instance d'éloignement, l'assignation à résidence 16,28 %.

Part respective de l'assignation à résidence et de la rétention administrative
dans les décisions préfectorales

Mesure ordonnée

2013

2014

2015

Cumul à fin août 2014

Cumul à fin août 2015

Cumul à fin août 2016

Assignation à résidence

1 618

6,27%

2 998

10,70%

4 020

13,28%

1 843

10,03%

2 671

13,44%

2 887

16,28%

Rétention administrative

24 173

93,73%

25 016

89,30%

26 261

86,72%

16 534

89,97%

17 198

86,56%

14 849

83,72%

Source : commission des lois du Sénat d'après les réponses fournies au questionnaire budgétaire

Si les crédits dédiés à l'assignation à résidence ne peuvent être aisément retracés au sein des dépenses de fonctionnement de l'action n° 3, les documents budgétaires montrent une hausse régulière et importante de ces crédits : après avoir connu une croissance de plus de 123 % en 2013, puis de 40 % en 2014 avec 0,66 million d'euros, ils ont atteint 0,97 million d'euros en exécution 2015 6 ( * ) . Le projet annuel de performances indique, quant à lui, que ce poste sera de 1,5 million d'euros en 2017 .

À ce premier montant doit être ajouté, au titre des dépenses d'intervention, 1,8 million d'euros pour financer environ 180 places dans les dispositifs de préparation au retour pour accompagner des demandeurs d'asile déboutés, après 1,9 million d'euros pour 200 places budgété dans le projet de loi de finances pour 2016. Ce montant correspond à un prix de journée de 27 euros. 0,56 million d'euros servirait à financer l'expérimentation lancée en Moselle et 1,24 million d'euros pour d'autres dispositifs en cours de développement.

La rétention administrative et l'assignation à résidence ne concernent pas les mêmes publics, les personnes placées en rétention n'offrant pas les garanties de représentation 7 ( * ) exigées pour être assignées à résidence. Aussi la comparaison des prix de journée ne fait-elle guère sens, la différence résidant pour l'essentiel dans les coûts de personnel affecté à la surveillance des personnes retenues.

En revanche, une comparaison des prix de journée entre les différents dispositifs d'assignation à résidence (hébergement hôtelier avec accompagnement social ou centre de retour) mis en regard des taux d'éloignement effectif serait un indicateur intéressant pour évaluer l'expérimentation des centres de retour avant de la généraliser le cas échéant.

3. Une priorité à l'éloignement vers les pays tiers qui renchérit les coûts

Les crédits consacrés à l'éloignement des migrants en situation irrégulière progressent de 10,6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2016 pour atteindre 33 286 000 euros.

Là encore le Gouvernement met en avant ses efforts de rationalisation. La hausse des postes de billetterie centrale et des aéronefs directement affrétés par le ministère de l'intérieur pour procéder aux éloignements s'expliquerait donc essentiellement par l'augmentation du nombre d'éloignements, mais également par la priorité donnée aux éloignements hors Union européenne . Le projet annuel de performances fixe en effet un objectif de 45 % des retours hors Union européenne.

B. L'INSUFFISANCE DES OUTILS POUR CONDUIRE UNE RÉELLE ÉVALUATION DE LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE

Les crédits dédiés à la lutte contre l'immigration irrégulière comprennent en réalité bien d'autres crédits que ceux figurant au sein du programme 303.

Comme l'indique le document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration », annexé au projet de loi de finances pour 2017, quatre autres programmes concourent à l'objectif « veiller au respect de la législation en matière d'entrée et du séjour sur le territoire ». Parmi ceux-ci on en relèvera essentiellement trois 8 ( * ) .

Le programme 176 « Police nationale » de la mission « Sécurités » regroupe en particulier les crédits des personnels affectés à la lutte contre l'immigration illégale et les trafics de migrants, dont les actions sont coordonnées par la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) au moyen de l'Unité de coordination opérationnelle de lutte contre l'immigration irrégulière. Y participent, outre la police aux frontières, des effectifs de la sécurité publique, de la police judiciaire (en particulier les groupes d'intervention régionaux et l'office central pour la répression de la traite des êtres humains), des compagnies républicaines de sécurité et de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP). Les crédits correspondant, portés par l'action n° 4 « Police des étrangers et sûreté des transports internationaux », se montent à 811 504 264 euros en AE=CP dans le projet de loi de finances pour 2017. Le plafond d'emplois sera porté de 11 966 ETPT en 2016 à 13 175 en 2017.

Le programme 152 « Gendarmerie nationale » de la même mission « Sécurités ». Les documents budgétaires ne permettent cependant pas d'identifier précisément les montants et personnels consacrés par ce programme à la lutte contre l'immigration irrégulière.

Le programme 111 « Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations du travail » de la mission « Travail » comprenait une action n° 4 dédiée à la lutte contre le travail illégal. L'emploi d'étrangers sans titre de travail constitue effectivement une des infractions constitutives de la définition du travail illégal. Cependant, cette action ne comportait aucun crédit, les moyens associés, uniquement de personnel (inspection du travail), étant portés par le programme 155 de la même mission.

Selon votre rapporteur toutefois, devraient également être inclus dans le coût de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière au moins deux autres types de dépenses.

1. Les aides au retour, un dispositif qui se cherche encore

Comme l'expérimentation des centres de retour le montre, le dispositif des aides au retour participe pleinement de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière, qui ne saurait se limiter aux seuls dispositifs de contrainte. Votre rapporteur estime d'ailleurs qu'à condition d'être utilisé de manière adéquate, ce dispositif incitatif peut finalement conduire à de véritables économies, le coût des dispositifs contraignants tels que la rétention étant difficilement compressible, comme cela a déjà été dit.

L'aide au retour, délivrée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), est composée de deux volets.

Le premier volet, l' aide au retour en tant que telle, consiste en une aide administrative et matérielle à la préparation du voyage vers le pays de retour - réservation des billets de transport aérien, aide à l'obtention des documents de voyage, acheminement du lieu de séjour en France jusqu'à l'aéroport de départ en France et assistance lors des formalités de départ à l'aéroport. S'y ajoutent une prise en charge des frais de réacheminement depuis le lieu de départ en France jusqu'à l'arrivée dans le pays de retour couvrant le transport des personnes et des bagages, ainsi qu'une allocation d'un montant forfaitaire. Ces allocations sont versées en une seule fois, au moment du départ. L'ensemble de cette aide ne peut être délivré qu'une seule fois, à la condition d'une présence en France depuis au moins six mois.

Le second volet, l' aide à la réinsertion , est un « accompagnement financier pour la mise en oeuvre d'un projet de réinsertion » dans le pays de retour, « l'examen et la sélection des projets de réinsertion (étant) assurés par l'OFII en fonction du caractère pérenne des projets, des revenus qu'ils sont susceptibles de procurer ainsi que de l'apport personnel de chaque bénéficiaire ».

Constatant les « effets pervers connus [de l'aide au retour] , incitant les ressortissants européens à s'installer en France pour bénéficier d'une aide lucrative et inédite en Europe » 9 ( * ) , le Gouvernement a mis en oeuvre, à compter du 1 er février 2013, une réforme de cette aide qui distingue désormais deux régimes : l'un, de droit commun, pour les ressortissants des pays tiers, l'autre, dédié aux ressortissants communautaires, qui a connu une plus forte diminution des montants alloués.

À la suite de cette réforme, le nombre des retours aidés a fortement diminué , cette diminution étant plus marquée pour les ressortissants communautaires que pour les ressortissants extra-communautaires . Une étude sur l'impact de la nouvelle aide au retour menée au nom de l'OFII a montré que « si la diminution des montants des aides s'est accompagnée d'un recul très fort des retours des ressortissants communautaires, elle a eu un impact très limité sur le retour des ressortissants extra-communautaires, dont la décision de retour n'est pas principalement déterminée par l'incitation financière mais par des facteurs macro et micro, exogènes à l'aide financière et variables, selon les groupes de migrants » . L'objectif était pourtant bien d'encourager le recours à l'aide au retour pour ces populations.

Évolution des aides au retour distribuées depuis 2011

Bénéficiaires de l'aide au retour

dont aide au retour pays tiers

part du total

évolution

dont aide au retour Union européenne

part du total

évolution

2011

15 840

6 839

43 %

9 001

57 %

2012

17 573

6 824

39 %

- 0,2 %

10 749

61 %

+ 19,4 %

2013

7 386

5 492

74 %

- 19,5 %

1 894

26 %

- 82,4 %

2014

5 868

5 423

92 %

- 1,3 %

445

8 %

- 76,5 %

2015

4 758

4 479

94 %

- 17,4 %

279

6 %

- 37,3 %

1 er sem. 2016

2 364

2 247

95 %

117

5 %

Source : commission des lois du Sénat d'après les réponses fournies au questionnaire budgétaire

Aussi une nouvelle refonte de l'aide au retour a-t-elle été mise en oeuvre en 2015 afin de renforcer son attractivité et d'augmenter en particulier le nombre de demandeurs d'asile déboutés susceptibles d'en être bénéficiaires. Cela a conduit à une réévaluation des montants qui sont désormais les suivants :

- 650 euros par personne pour les ressortissants de pays tiers soumis à visa,

- 300 euros par personne pour les ressortissants de pays tiers dispensés de visa et le Kosovo,

- 50 euros par personne pour les ressortissants de l'Union européenne.

En outre, le directeur général de l'OFII peut, à titre exceptionnel, accorder une majoration de ces aides dans la limite de 350 euros afin de favoriser les sorties de centres d'accueil des demandeurs d'asile ou d'hébergements d'urgence pour demandeurs d'asile et l'évacuation de campements et squats.

Le rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'État pour 2015 indiquait que, compte tenu des délais de mise en oeuvre de la réforme introduite courant 2015, le plein effet de la mesure était attendu pour l'exercice suivant. Cependant, selon les informations recueillies par votre rapporteur, l'exercice 2016 n'a pas beaucoup vu progresser les retours aidés dans la mesure où les efforts de l'OFII se sont davantage portés sur ses nouvelles missions au titre de l'asile ainsi que sur la réforme de la formation linguistique plutôt que vers l'aide au retour.

Le projet de loi de finances pour 2017 prévoit toutefois une enveloppe de 10,5 millions d'euros pour financer les aides au retour et à la réinsertion économique. Ces crédits figurent à l'action n° 11 du programme 104 de la mission « Immigration, asile et intégration » comme dépenses d'intervention au profit des ménages.

2. Les dépenses de justice, les véritables frais cachés de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière

Le document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration » ne fait état que de deux types de dépenses de justice :

- l'aide juridictionnelle versée aux avocats et les dépenses de développement de l'accès au droit et du réseau judiciaire de proximité spécifiques aux étrangers, portées par le programme 101 « Accès au droit et à la justice » de la mission « Justice »,

- les dépenses consacrées à la Cour nationale du droit d'asile par le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

Or une réflexion sur le financement de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière ne peut faire l'économie de la question des dépenses et frais de justice eu égard au poids que représente le contentieux des étrangers.

Ainsi, selon le rapport public 2014 du Conseil d'État, ce contentieux représente plus de 32 % des affaires portées devant les tribunaux administratifs, 44 % de celles portées devant les cours administratives d'appel et 15 % devant le Conseil d'État. S'il comprend également les questions de refus de délivrance de visas, ce contentieux est surtout celui des refus de titre de séjour assortis de mesures d'éloignement (pour l'essentiel, des obligations de quitter le territoire français - OQTF).

Si la juridiction judiciaire est nettement moins sollicitée comparativement, l'office du juge des libertés et de la détention dans certains tribunaux est toutefois largement préempté par le contentieux des étrangers . Celui-ci est en effet appelé à statuer sur la prolongation du maintien en zone d'attente ou en rétention et, désormais également, sur la décision elle-même de placement en rétention.

Ainsi, par exemple, le tribunal de grande instance de Meaux, qui a dans son ressort les centres de rétention du Mesnil-Amelot, consacrait au traitement du contentieux de la rétention, à l'annexe judiciaire sise à côté du centre de rétention, en semaine, 2 ETPT de magistrats (contre 1 ETPT pour le traitement du contentieux pénal et 0,4 ETPT pour le contentieux des hospitalisations sous contrainte) et, durant les fins de semaine et jours fériés / chômés, 2 magistrats le samedi uniquement (un magistrat titulaire et un magistrat de renfort, dans les faits systématiquement appelé à intervenir) - contre 2 magistrats de service durant deux jours, le suppléant n'étant que très exceptionnellement sollicité, pour le contentieux pénal. Avec la réduction du délai de saisine du juge des libertés et de la détention de cinq à deux jours par la loi du 7 mars 2016 précitée, des audiences devront également se tenir le dimanche. Un greffe de cinq personnes se trouve en permanence à l'annexe délocalisée.

Par ailleurs, la nature même de ce contentieux concernant des requérants souvent non francophones implique d'importants frais de justice, en particulier des coûts d'interprétariat .

S'agissant du contentieux de la rétention plus spécifiquement, il continue de générer d'importants coûts d'escorte . En effet, seuls les CRA de Coquelles, Marseille et du Mesnil-Amelot sont équipés de salles d'audience délocalisées opérationnelles, la salle de Nîmes ne pouvant fonctionner du fait de sa situation à l'intérieur de l'enceinte du CRA, contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation 10 ( * ) . Si 100 % des audiences du juge des libertés et de la détention se déroulent à l'annexe judiciaire à Marseille et au Mesnil-Amelot, seulement 55,3 % de ces audiences ont lieu à l'annexe de Coquelles ; les magistrats administratifs refusent pour leur part toujours de se rendre dans ces salles d'audience délocalisées.

Encore faut-il bien comprendre que le recours à ces salles d'audience délocalisées ne supprime pas toute escorte mais en amoindrit le coût : au 1 er semestre 2016, une audience en salle délocalisée de Coquelles coûte 109,46 euros correspondant à un seul gardien de la paix, contre 271,23 euros pour une audience au tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer correspondant au coût de l'escorte et du transport, soit une différence de 147,78 %.

Quant à la visio-conférence, il semblerait qu'elle ne soit toujours pas utilisée.

Par-delà les coûts toutefois, il semble indispensable à votre rapporteur de prendre en compte le malaise des magistrats administratifs qui ont le sentiment d'un contentieux vain dans la mesure où l'exécution des décisions confirmées par le juge administratif leur apparaît dérisoire 11 ( * ) . « On travaille pour rien », témoignent ainsi les représentants syndicaux des magistrats administratifs, qui regrettent qu'une partie importante de leur tâche revienne à juger de nouvelles décisions prises à l'encontre des mêmes requérants, donc à se prononcer sur les mêmes moyens à quelques mois ou quelques années d'intervalle selon les différentes procédures possibles. Ils soulignent que l'affaire Dibrani, qui a mis en exergue le grand nombre d'arrêtés de refus de séjour et d'éloignement pris à l'encontre des mêmes ressortissants et partant l'intervention successive de plusieurs juges, n'a en réalité rien d'exceptionnel.

S'il n'est nullement dans l'intention de votre rapporteur de remettre en cause le droit au recours, ces éléments soulèvent la question de la qualité initiale des décisions préfectorales de refus de titre et d'éloignement puis de la défense de ces décisions devant les juridictions . L'enjeu se situe dès lors dans le renforcement des services juridiques des préfectures, qui relèvent du programme 307 « Administration territoriale » de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». À cet égard, votre rapporteur se félicite que la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur se soit saisie du sujet et réfléchisse à une nouvelle organisation à même d'encourager la professionnalisation des agents et la mutualisation des ressources existantes.

Surtout, ces éléments soulignent la faible efficacité du dispositif global de lutte contre l'immigration irrégulière , que l'indicateur de performance 3.1 choisi par le Gouvernement depuis 2014 occulte dans la mesure où il ne rapporte pas le nombre de décisions exécutées au nombre de décisions prononcées. En outre, écarter les retours aidés et ne se focaliser que sur les éloignements forcés revient à amputer la politique de lutte contre l'immigration irrégulière de l'un de ses instruments indispensables, l'objectif final de cette politique étant de faire appliquer le droit au séjour.

C'est pourquoi votre rapporteur propose de revoir l'indicateur 3.1 et de lui substituer le taux d'exécution des mesures d'éloignement prononcées. En se basant sur les chiffres du rapport « Les étrangers en France » pour 2014 , le taux d'exécution des mesures d'éloignement prononcées serait de 22,3 %, dont 70,6 % d'exécution forcée, 22,2 % de départs spontanés et 7,2 % de départs aidés (cf. tableau ci-après).

Votre rapporteur renouvelle ici, en outre, son souhait de disposer d'un document transversal retraçant l'ensemble des dépenses concourant à la politique de lutte contre l'immigration irrégulière , qu'il convient de distinguer de l'immigration régulière afin de ne pas participer à certains amalgames.

Évolution de l'exécution des mesures d'éloignement 2010-2014

Mesures détaillées

2010

2011

2012

2013

2014

Retour de ressortissants
de pays tiers

prononcées

66 877

76 526

72 333

80 178

81 979

exécutées

11 975

17,9%

11 775

15,4%

12 769

17,7%

11 415

14,2%

12 040

14,7%

dont forcées

6 401

53,5%

4 015

34,1%

4 136

32,4%

4 656

40,8%

6 515

54,1%

dont spontanées

3 437

28,7%

5 363

45,5%

6 645

52%

5 377

47,1%

4 060

33,7%

dont aidées

2 137

17,8%

2 397

20,4%

1 988

15,6%

1 382

12,1%

1 465

12,2%

Réadmission
de ressortissants de pays tiers

prononcées

10 849

7 970

6 204

6 287

6 178

exécutées

3 504

32,3%

5 728

71,9%

6 316

101,8%

6 038

96%

5 314

86%

Renvoi de ressortissants communautaires

prononcées

6 620

9 608

12 331

10 932

8 072

exécutées

4 143

62,6%

5 424

56,5%

7 727

62,7%

5 300

48,5%

4 135

51,2%

dont forcées

2 129

51,4%

2 804

51,7%

2 934

38%

3 382

63,8%

3 332

80,6%

dont spontanées

855

20,6%

1 418

26,1%

1 810

23,4%

1 400

26,4%

721

17,4%

dont aidées

1 159

28%

1 202

22,2%

2 983

38,6%

518

9,8%

82

2%

Total

prononcées

84 346

94 104

90 868

97 397

96 229

exécutées

19 622

23,3%

22 927

24,4%

26 812

29,5%

22 753

23,4%

21 489

22,3%

dont forcées

12 034

61,3%

12 547

54,7%

13 386

49,9%

14 076

61,9%

15 161

70,6%

dont spontanées

4 292

21,9%

6 781

29,6%

8 455

31,5%

6 777

29,8%

4 781

22,2%

dont aidées

3 296

16,8%

3 599

15,7%

4 971

18,5%

1 900

8,4%

1 547

7,2%

Source : commission des lois du Sénat à partir du rapport « Les étrangers en France » 2014

II. UNE HAUSSE ENCORE INSUFFISANTE DES CRÉDITS CONSACRÉS À L'IMMIGRATION RÉGULIÈRE

L'action n° 1 du programme 303 « Circulation des étrangers et politique des visas » et surtout le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité » regroupent l'ensemble des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » concourant à l'accueil et à l'intégration des étrangers admis à séjourner sur le territoire français.

Ces crédits affichent globalement une hausse importante qu'il convient néanmoins de nuancer s'agissant tout particulièrement de la subvention pour charges de service public attribuée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui intègre désormais les taxes autrefois affectées ( cf. infra ). À périmètre constant, la hausse des crédits est tout de même de 20,1 % en AE et 20,4 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2016 .

Évolution des crédits du programme 104 hors changement de périmètre

LFI pour 2016

PLF pour 2017

Variation en %

AE

CP

AE

CP

AE

CP

104 - Intégration et accès à la nationalité française

95 609 213 €

95 463 298 €

114 840 000 €

114 900 000 €

20,1

20,4

11 - Accueil des étrangers primo-arrivants

40 635 798 €

40 635 798 €

48 900 000 €

48 900 000 €

20,3

20,3

12 - Actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière

24 538 500 €

24 538 500 €

29 731 000 €

29 731 000 €

21,2

21,2

14 - Accès à la nationalité française

1 204 515 €

1 058 600 €

945 600 €

1 005 600 €

- 21,5

- 5,0

15 - Accompagnement des réfugiés

20 243 400 €

20 243 400 €

26 725 400 €

26 725 400 €

32,0

32,0

16 - Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

8 987 000 €

8 987 000 €

8 538 000 €

8 538 000 €

- 5,0

- 5,0

Source : commission des lois du Sénat à partir du projet annuel de performances
annexé au projet de loi de finances pour 2017

Si un réel effort est réalisé pour la formation linguistique des primo-arrivants dans le cadre du nouveau contrat d'intégration républicaine, votre rapporteur estime toutefois insuffisants les montants consacrés par le projet de loi de finances pour 2017 à la politique d'immigration régulière eu égard à l'enjeu majeur que constitue dans notre société l'intégration des populations immigrées : dès lors que ces personnes ont été admises sur le territoire, la République est dans l'obligation de parvenir à leur intégration. Cela est particulièrement vrai s'agissant des réfugiés et autres bénéficiaires d'une protection internationale.

A. LA HAUSSE BIENVENUE QUOIQUE TROMPEUSE DE LA SUBVENTION DE L'OFFICE FRANÇAIS DE L'IMMIGRATION ET DE L'INTÉGRATION

Pivot traditionnel de la politique d'immigration et d'intégration, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a vu au cours de ces dernières années ses missions profondément accrues et modifiées alors même que ses ressources demeuraient à un niveau inchangé. Le projet de loi de finances pour 2017 confirme à cet égard la rupture initiée par la loi de finances initiale pour 2016 par un abondement en effectifs et en moyens.

Le financement de l'OFII était jusqu'à présent essentiellement assuré par l'affectation de diverses taxes correspondant aux droits de timbre acquittés par les étrangers ou aux taxes sur la main d'oeuvre étrangère dues par les entreprises. Cependant, depuis la loi de finances pour 2012, le montant de ces taxes était plafonné.

Le projet de loi de finances pour 2017 modifie la structure des ressources de l'OFII par une mesure de reversement dans le budget général de l'ensemble des taxes et redevances précédemment affectées en contrepartie d'une augmentation de la subvention pour charges de service public de l'opérateur .

Ce changement de périmètre entraîne ainsi une forte hausse des crédits affectés à l'action n° 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants » qui porte désormais la quasi-totalité des ressources de l'opérateur, ces crédits passant de 40 635 798 euros en loi de finances initiale pour 2016 à 181 900 000 euros en 2017 en AE=CP.

Au-delà de cette mesure de périmètre, cette augmentation des crédits de l'action n° 11 est trompeuse à plusieurs titres.

En premier lieu, la mesure de transfert des taxes affectées n'est pas réalisée à montant constant. Alors que les taxes affectées étaient plafonnées à 140,6 millions d'euros en 2016, le montant reversé du budget général sera seulement de 133 millions d'euros , en application du taux d'effort de 5 % fixé par le Premier ministre dans sa lettre de cadrage d'avril 2016.

En deuxième lieu, déduction faite de cette mesure de transfert, la subvention pour charges de service public de l'OFII augmente de 8,26 millions d'euros, soit 20 %, et son plafond d'emplois passe de 936 ETPT en 2016 à 1 014 en 2017 .

Certes, votre rapporteur se félicite de l'augmentation des moyens de l'OFII enregistrée depuis l'an passé en loi de finances initiale. L'examen de l'exécution budgétaire au cours des dernières années invite toutefois à la prudence dans la mesure où les crédits alloués initialement ont fait l'objet de mesures de régulation importantes en cours d'année . Ainsi, en 2015, la subvention initiale de 10,4 millions d'euros avait été réduite à 4,4 millions d'euros en exécution ; en 2016, malgré l'important abondement opéré par voie d'amendement au cours de l'examen du budget qui avait abouti à une subvention de 38,9 millions d'euros inscrite en loi de finances initiale, la subvention versée ne devrait être que de 22,6 millions d'euros.

Enfin, votre rapporteur tient à mettre en garde contre un effet déformant de la maquette budgétaire . Bien que l'OFII soit rattaché budgétairement au programme 104 , l'évolution de ses missions au cours de ces deux dernières années sous l'effet des réformes législatives mais également des événements tend à en faire un acteur de premier plan de la garantie du droit d'asile , en théorie couverte par l'action n° 2 du programme 303.

En effet, la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile a confié à l'opérateur l'intégralité de la gestion des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile, de leur accueil et de la détection des vulnérabilités au sein du guichet unique, à leur hébergement dans le cadre du dispositif national d'accueil, en passant par la gestion de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA). La hausse du flux de l'asile depuis 2015 a, par ailleurs, conduit à une mobilisation de ses services sur plusieurs opérations : desserrement de la « jungle » de Calais, évacuation des campements en Île-de-France, acheminement et accueil des demandeurs d'asile depuis l'Italie et la Grèce dans le cadre de la relocalisation.

Or, hormis un transfert de 2,55 millions d'euros correspondant aux frais de gestion de l'ADA du programme 303 vers le programme 104, les documents budgétaires ne sont pas le reflet fidèle de cette nouvelle situation . L'état des dépenses par destination de l'opérateur pour 2016 fait bien apparaître 15,8 millions d'euros de dépenses d'intervention pour le premier accueil des demandeurs d'asile, mais il ne distingue pas parmi les dépenses de personnel ou de fonctionnement ce qui relève de l'asile. Il s'avère pourtant que les guichets uniques ont mobilisé, en 2016, 97 ETP contre 77 initialement prévus, que la gestion de l'ADA, du fait des montants en jeu (25 millions d'euros mensuels en moyenne), nécessite des moyens également importants, et que les diverses opérations évoquées ci-dessus ont rendu nécessaire un abondement de la ligne « transport des demandeurs d'asile » au sein du budget de l'établissement de 1,5 million d'euros.

Dès lors, votre rapporteur s'interroge sur l'opportunité du maintien du rattachement de cet opérateur au programme 104.

B. LE COUP DE POUCE À LA FORMATION LINGUISTIQUE DANS LE CADRE DU PARCOURS D'INTÉGRATION RÉPUBLICAINE

Seule mesure de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France à être entrée en vigueur au moment de l'élaboration du projet de loi de finances pour 2017, la réforme du contrat d'accueil et d'intégration, désormais intitulé contrat d'intégration républicaine, y trouve sa traduction budgétaire.

1. La réforme du contrat d'accueil et d'intégration en contrat d'intégration républicaine

En vertu des nouvelles dispositions en vigueur depuis le 1 er juillet 2016, le parcours personnalisé d'intégration s'articule avec la délivrance des titres et de séjour. Il se prépare dès le pays d'origine et commence à l'arrivée en France.

Le migrant admis au séjour est en effet reçu sur la plateforme de l'OFII où il bénéficie :

- d'un test de positionnement linguistique afin de déterminer si son niveau linguistique est suffisant pour être dispensé de la formation linguistique (niveau A1 du cadre européen commun de référence pour les langues, - CECRL) ;

- d'un entretien personnalisé avec un auditeur de l'OFII permettant d'évaluer sa situation familiale, sociale et professionnelle, de prescrire les formations qu'il lui faudra suivre dans le cadre du contrat d'intégration républicaine (formation civique composée de deux modules - Principes et valeurs de la République française ; Vivre et accéder à l'emploi en France - et formation linguistique si nécessaire) et de l'orienter vers l'offre de services territoriale.

À l'issue de ce premier accueil, la signature du contrat d'intégration républicaine matérialise l'engagement de l'étranger à suivre les formations prescrites dans le cadre du parcours d'intégration républicaine pendant un an.

Le suivi assidu et sérieux de ces formations ainsi que le respect des valeurs de la République conditionnent désormais l'obtention de la carte de séjour pluriannuelle d'une durée de deux à quatre ans créée par la loi du 7 mars 2016.

À l'issue du parcours d'intégration de cinq ans, l'étranger peut prétendre à la délivrance de la carte de résident à la condition d'avoir atteint un niveau A2 du CECRL de connaissance du français.

2. La hausse correspondante des crédits dédiés

La première étape du parcours d'intégration - l'accueil des primo-arrivants et la formation au cours de la première année - est financée par l'action n° 11 déjà évoquée. La hausse de ses crédits doit donc couvrir les dépenses d'entretien approfondi, de test linguistique, de formation civique et, le cas échéant, de formation linguistique au cours de la première année pour environ 110 000 personnes. Si la formation civique s'adresse à tous les primo-arrivants, en revanche la formation linguistique ne devrait pas être systématiquement prescrite. Toutefois, l'élévation du niveau de langue désormais requis permet d'anticiper un doublement du nombre de bénéficiaires par an, passant de 25 000 à 50 000 personnes.

La seconde étape du parcours d'intégration, au-delà de la première année, fait l'objet de l' action n° 12 « Actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière ». Elle doit financer sur l'ensemble du territoire des actions de formation linguistique, de formation civique et des mesures d'accès aux droits. L'augmentation de ses crédits de 21,2 % par rapport à 2016 sera consacrée au développement des actions de formation linguistique de niveau A2 .

C. LA TRADUCTION TROP TIMIDE D'UNE VOLONTÉ SÉNATORIALE : L'ACCOMPAGNEMENT DES BÉNÉFICIAIRES D'UNE PROTECTION INTERNATIONALE

Au coeur des préoccupations du Sénat lors de l'examen de la loi relative à la réforme du droit d'asile, le sort des bénéficiaires d'une protection internationale est désormais mieux pris en compte par le Gouvernement. Les crédits consacrés à l'action n° 15 « Accompagnement des réfugiés » continuent ainsi de progresser dans le projet de loi de finances pour 2017 pour s'établir à 26 725 400 euros en AE=CP, soit une augmentation de 32 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2016 .

La majeure partie de cette majoration, soit 5 millions d'euros, sera consacrée à la création de 500 places supplémentaires en centre provisoire d'hébergement (CPH) au 1 er janvier 2017 . Ces places s'ajoutent à celles créées en 2015 à la suite du Plan Migrants, portant la capacité totale à 2 101 places . Si l'effort est à saluer, il reste dérisoire eu égard au nombre de bénéficiaires d'une protection, en hausse continue depuis 2013 : en 2015, 19 450 personnes ont obtenu une protection (statut de réfugié ou bénéfice de la protection subsidiaire) ; au 1 er semestre 2016, leur nombre s'élevait déjà à 12 060. Or seules 1 500 à 1 600 personnes auront été hébergées en CPH au cours de l'année 2016.

Certes, tous les bénéficiaires d'une protection n'ont pas vocation à intégrer un CPH, ceux-ci étant censés n'accueillir que les personnes les plus vulnérables. Cependant, la part des jeunes gens de moins de 25 ans bénéficiaires d'une protection s'accroît et ce public, bien que non vulnérable, connaît de grandes difficultés pour accéder au logement dans le cadre des dispositifs de droit commun dans la mesure où il ne peut disposer du revenu de solidarité active et n'est souvent pas solvable. En outre, le raccourcissement de la durée de séjour en centre d'accueil pour demandeurs d'asile réduit d'autant le temps de préparation à la sortie, rendant parfois nécessaire le « sas » du CPH avant l'entrée dans les dispositifs de droit commun.

C'est pourquoi votre rapporteur préconise que soit pleinement exploitée la disposition introduite à son initiative dans la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, confiant aux CPH une mission d'accompagnement des bénéficiaires d'une protection qui ne sont pas hébergés, mais néanmoins présents dans le département.

*

* *

La commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés à la politique d'immigration et d'intégration par la mission « Immigration, asile et intégration ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction générale des étrangers en France (DGEF)

M. Pierre-Antoine Molina , directeur général

Mme Agnès Reiner , sous-directrice de l'accueil et de l'accompagnement des étrangers

M. Christian Chassaing , sous-directeur du pilotage et des systèmes d'information

M. Florian Valat , adjoint au directeur de l'asile

M. Jean de Croone , chef de service, adjoint au directeur de l'immigration

Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF)

M. David Skuli , directeur central

M. Fernand Gontier , directeur central adjoint de la police aux frontières

Mme Véronique Lefaure , sous-directrice adjointe des ressources

Tribunal de grande instance de Meaux

M. Jean-Pierre Ménabé , président

M. Alain Chêne , premier vice-président chargé de la coordination du pôle des juges des libertés et de la détention

Syndicat de la juridiction administrative (SJA)

M. Serge Gouès , président, premier conseiller à la cour administrative d'appel de Paris

M. Thomas Breton , secrétaire général adjoint, premier conseiller au tribunal administratif de Montreuil

Union syndicale des magistrats administratifs (USMA)

Mme Sophie Tissot , présidente

M. Arnaud Iss , chargé de mission « contentieux des étrangers »


* 1 Les compte rendus de ces réunions sont consultables à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html

* 2 À la suite du démantèlement de la « jungle » de Calais, ces montants seraient utilisés pour accompagner la reconversion des associations sur place et le reliquat serait affecté à d'autres actions au sein du programme, selon M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/commission/fin/pjlf2017/np/np15/np152.html#toc64

* 3 Les personnes ne disposant pas d'un hébergement stable, décent et légal doivent se voir proposer un hébergement dans une structure de type hôtelier. Les nuitées et les repas sont alors pris en charge, conformément à une circulaire du 9 juillet 2013.

* 4 Votre rapporteur avait pris connaissance de ce dispositif à l'occasion de la mission sur les centres de rétention administrative. Cf. La rétention administrative : éviter la banalisation, garantir la dignité des personnes , rapport d'information n° 773 (2013-2014) de Mme Éliane Assassi et M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r13-773/r13-7736.html#toc88

* 5 Circulaire n° NOR INTK1207283C du 6 juillet 2012 relative à la mise en oeuvre de l'assignation à résidence prévue à l'article L. 561-2 du CESEDA, en alternative au placement des familles en rétention administrative sur le fondement de l'article L. 551-1 du même code.

* 6 Cf. rapports annuels de performances annexés aux projets de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes pour les années 2013, 2014 et 2015.

* 7 Garanties fondées sur des documents écrits (justificatif de domicile, livret de famille...) démontrant que l'étranger ne va pas se soustraire à l'assignation à résidence.

* 8 Le quatrième programme, le programme 183 « Protection maladie » de la mission « Santé », porte en effet les crédits de l'aide médicale d'État (AME) qui ne peuvent être intégrés à la lutte contre l'immigration irrégulière à proprement parler.

* 9 Cf. rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement et d'approbation des comptes pour 2013.

* 10 « La proximité immédiate exigée par l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est exclusive de l'aménagement spécial d'une salle d'audience dans l'enceinte d'un centre de rétention » (Cour de cassation, 1 re chambre civile, 16 avril 2008, n° 06-20390).

* 11 Le taux d'annulation des OQTF devant le juge administratif en 2015 est de 7,51 % (données DSED-MI).

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