II. DES CRÉDITS STABLES, QUI NE REPRÉSENTENT QU'UNE PART RÉDUITE DES MOYENS PUBLICS CONSACRÉS À L'AGRICULTURE

A. LE SOUTIEN À L'AGRICULTURE PASSE PAR DE MULTIPLES CANAUX

1. Les crédits budgétaires de la mission : une dotation dont la stabilité masque d'importants mouvements internes
a) Des crédits stables en apparence, mais dans une perspective pluriannuelle de réduction

L'enveloppe de la mission « agriculture, alimentation et affaires rurales » s'établit pour 2018 à un niveau proche de celui de 2017, année où ce budget avait été fortement revalorisé, à 3,322 milliards d'euros en AE et 3,434 milliards d'euros en CP .

Crédits proposés

(en millions d'euros)

PLF 2016

PLF 2017

PLF2018

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Programme 149*

1 668

1 594

2 235

2 201

2 117

2 225

Programme 206

489

487

509

507

555

553

Programme 215

660

664

654

653

650

656

Total Mission

2 817

2 745

3 398

3 361

3 322

3 434

* Pour 2016, la ligne du programme 149 reprend les crédits du programme 154 et du programme 149, qui ont été fusionnés en 2017.

L'enveloppe globale de la mission est donc préservée pour l'année 2018, mais cette stabilité cache un mouvement de crédits interne à la mission, au sein du programme n° 149 :

- la mesure de baisse de 10,04 à 3,04 % du taux de cotisation d'assurance maladie des exploitants agricoles faisait l'objet dans le précédent projet de loi de finances d'une ligne budgétaire de 438 millions d'euros , destinée à faire compenser par le budget de l'État la perte de recettes que cette mesure représentait pour la mutualité sociale agricole (MSA). Cette mesure disparaissant en 2018, les crédits correspondant ne figurent plus au budget de la mission ;

- en sens inverse, une ligne de crédits pour dépenses imprévues est créée et dotée de 300 millions d'euros . Les documents budgétaires indiquent qu'elle est destinée à faire face aux dépenses imprévisibles imputables au programme, en particulier les refus d'apurement communautaire et les aides de crise ;

Le budget pour 2018 s'inscrit toutefois dans une perspective pluriannuelle de réduction définie par le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 . Son article 12 fixe en effet les plafonds de crédits, hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions », qui devront passer de 3,19 milliards d'euros en 2018 à 2,88 milliards d'euros en 2019 et 2,84 milliards en 2020, soit une réduction envisagée de 300 à 350 millions d'euros . On peut s'interroger dans ces conditions sur la pérennité de la ligne des dépenses imprévues introduite dans le budget 2018, qui représente précisément cette somme.

b) Des écarts importants entre crédits et besoins budgétaires, qui conduisent à une exécution budgétaire très différente des prévisions

Certains budgets connaissent une exécution très proche de la prévision initiale. Les faibles ajustements peuvent s'effectuer sur les marges de manoeuvre internes à chaque programme, en abondant des lignes sur lesquelles il reste des crédits pour alimenter celles qui auraient été calculées de manière trop juste.

Pour le budget de la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », une telle modalité de gestion des écarts entre précisions et réalisations n'a pas été possible sur la période récente, comme le montre le tableau des écarts entre crédits prévus et crédits consommés, figurant en annexe de la dernière loi de règlement.

(en millions d'euros)

PLF 2015

PLF 2016

AE

CP

AE

CP

Crédits prévus (LFI)

3 119

2 940

2 801

2 731

Crédits consommés

4 091

3 996

3 307

3 157

Ecart (en millions d'euros)

972

1056

506

426

Il a donc fallu environ 1 milliard de plus que prévu sur le budget de l'agriculture en 2015 et 500 millions d'euros en 2016.

Pour 2017, l'exécution budgétaire sera probablement éloignée elle aussi de l'autorisation initiale donnée par le Parlement. La Cour des comptes dans son rapport d'audit de juin 2017 sur la situation et les perspectives des finances publiques avait identifié d'importants risques de dépassement des crédits sur la mission : 800 millions d'euros en provenance des refus d'apurement communautaire, 200 millions d'euros pour faire face aux conséquences de la grippe aviaire sur les élevages de canards, 200 millions d'euros pour boucler le financement de la compensation de l'exonération de cotisations pour l'emploi de travailleurs occasionnels (TODE), 200 millions d'euros provenant de reports de charges antérieures au titre de l'ICHN, 100 millions d'euros au titre des dispositifs d'intervention de FranceAgrimer et 100 millions d'euros au titre des mesures agro-environnementales et mesures en faveur de l'agriculture biologique.

Le deuxième projet de loi de finances rectificative déposé le 15 novembre dernier à l'Assemblée nationale prévoit pour sa part une ouverture de crédits supplémentaires sur la mission à hauteur de 828 millions d'euros en AE et 1,004 milliard d'euros en CP .

Ces ouvertures correspondent aux postes de dépense suivants :

- financement des apurements communautaires pour 721,1 millions d'euros ;

- ouverture de 81,5 millions d'euros pour prendre en charge la compensation de l'exonération de cotisations patronales TO-DE ;

- ouverture de 25,3 millions d'euros en AE et 160 millions d'euros en CP au titre des interventions de FranceAgriMer pour financer les pertes économiques des éleveurs touchés par la grippe aviaire ;

- ajout de 41,7 millions d'euros de CP pour régler les mesures exceptionnelles engagées pour faire face aux crises des secteurs du lait et de la viande bovine.

S'ajoutent enfin 100 millions d'euros sur le programme 206, financés par décret d'avance ratifié dans la première loi de finance rectificative, destinés à prendre en charge les frais supplémentaires liés au phénomène de grippe aviaire.

Les refus d'apurement communautaire

En application du droit européen, la Commission européenne mène des « audits de conformité » dans les États membres pour s'assurer que ces derniers distribuent les aides européennes en respectant la réglementation. Les dépenses non conformes donnent lieu à des corrections financières imposées par la Commission à l'encontre de l'État membre concerné. En France, une dizaine d'audits de conformité portant sur les dispositifs de la PAC sont menés chaque année par la Commission européenne.

Les refus d'apurement n'entraînent pas pour les agriculteurs l'obligation de rembourser les aides versées, mais imposent à l'État membre de reverser les sommes au budget communautaire.

Les refus d'apurement ont augmenté de manière spectaculaire ces dernières années :

- 2013 : 41,2 millions d'euros ;

- 2014 : 427 millions d`euros ;

- 2015 : 812,4 millions d'euros ;

- 2016 : 710,8 millions d'euros ;

Pour 2017, le refus d'apurement pourrait s'élever à 221,9 millions d'euros. Pour 2018, des risques sont identifiés pour 150 millions d'euros mais d'autres contentieux pourraient s'ajouter.

Les montants très importants en 2015 et 2016 s'expliquent principalement par les imprécisions du registre parcellaire graphique à partir duquel ont été versées les aides directes à la surface entre 2008 et 2012. Une seule décision de la Commission européenne a fixé le montant du par la France étalé sur 2015 et 2016 à 1,078 milliard d'euros.

Par leur ampleur, les refus d'apurement nécessitent l'ouverture de crédits supplémentaires.

2. Les autres ressources publiques mobilisées en faveur de l'agriculture
a) L'Union européenne, soutien indispensable à l'économie agricole

Les aides à l'agriculture reposent aujourd'hui de manière prépondérante sur les soutiens européens issus de la PAC.

La réforme de 2013 n'a pas modifié l'architecture financière de la PAC qui repose toujours sur deux piliers :

- le premier pilier finance les aides directes, sans cofinancement national. Pour la France, il représente environ 7,5 milliards d'euros par an ;

- le second pilier finance les mesures de développement rural. Des crédits nationaux sont appelés en cofinancement des crédits européens qui proviennent du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et qui s'élèvent pour la France à environ 1,4 milliard d'euros par an.

Au total, la France bénéficie sur l'ensemble de la période de programmation budgétaire 2014-2020 de 62,4 milliards d'euros (en euros constants valeur 2011) dont 52,5 milliards d'euros sur le premier pilier et 9,9 milliards d'euros sur le second pilier 10 ( * ) .

Les aides directes du premier pilier forment donc la part principale des aides économiques au secteur agricole, et s'analysent comme une subvention d'exploitation. La réforme de 2013 a rendu le système des aides directes plus complexe qu'avant avec désormais plusieurs parts.


• Les aides directes découplées , non liées à la production, représentent 85 % de l'enveloppe du premier pilier et se répartissent en plusieurs blocs :

- le paiement de base , calculé en fonction de la surface de l'exploitation, fait l'objet de mesures de convergence dans son mode de calcul afin que les agriculteurs touchent à terme, partout sur le territoire national, les mêmes montants par hectare. Le paiement de base représente une enveloppe de 3,2 milliards d'euros par an ;

- le paiement vert est versé aux mêmes agriculteurs, dès lors qu'ils s'engagent à respecter les trois critères du verdissement : diversité des assolements, mise en place de surfaces d'intérêt écologique et maintien des prairies permanentes. L'enveloppe du paiement vert est de 2,2 milliards d'euros ;

- le paiement redistributif , mesure facultative choisie par la France, permet de majorer les aides versées pour les 52 premiers hectares. L'enveloppe qui y est consacrée est de 700 millions d'euros ;

- les jeunes agriculteurs bénéficient aussi d'une majoration des aides directes, pour environ 70 millions d'euros.


• La France a aussi fait le choix de maintenir des aides couplées , qui représentent 15 % de l'enveloppe des paiements directs, soit environ 1 milliard d'euros. L'aide aux bovins allaitants est l'aide directe couplée la plus importante budgétairement, représentant 640 millions d'euros, suivie par les aides aux bovins laitiers en montagne pour 134 millions d'euros et les aides ovines, pour 120 millions d'euros.


• Enfin, les agriculteurs français bénéficient aussi de programmes opérationnels prévus par le règlement sur les organisations communes de marché dans plusieurs secteurs : le programme des aides viticoles et le programme fruits et légumes en représentent la plus grande part avec respectivement environ 200 et 100 millions d'euros par an en moyenne.

Les aides du deuxième pilier appellent des crédits nationaux en cofinancement. Le programme n° 149 porte ainsi des crédits appelés en contrepartie des aides européennes du FEADER. L'aide la plus importante est l'indemnité compensatoire de handicap naturel, qui consommé plus de la moitié de l'enveloppe du deuxième pilier pour la France, soit plus de 750 millions d'euros.

Les aides PAC jouent un rôle majeur pour équilibrer les comptes des exploitations agricoles , en particulier en période de conjoncture difficile. Une étude publiée en février 2017 par le service statistique du ministère de l'agriculture 11 ( * ) portant sur l'exercice 2015 montrait que si 15 % des exploitations avaient alors un résultat courant avant impôt (RCAI) négatif, cette proportion serait montée à 54 % sans subventions . Le RCAI moyen aurait été de 7 300 € sans subvention, au lieu des 36 600 € pour 2015. Sans les aides de la PAC, 85 % des éleveurs de bovins-viande et 60 % des éleveurs de bovins-lait auraient eu un résultat négatif.

Vos rapporteurs déplorent que la réforme de la PAC de 2013 se soit accompagnée d'une totale désorganisation dans les calendriers de versement des aides des campagnes 2015, 2016 et encore en 2017. Le décalage des versements est dû à la révision complète du référentiel des surfaces agricoles, appelé registre parcellaire graphique (RPG), imposée par la Commission européenne suite à la correction financière de plus d'un milliard d'euros exigée pour une mauvaise application des règlements européens. Pour faire face au décalage du calendrier de paiement des aides PAC, des apports de trésorerie remboursables (ATR) représentant 90 % de l'aide des années précédentes ont été mis en place. Ces aides exceptionnelles, entièrement financées sur le budget de l'État, ont pour objectif d'éviter les difficultés de trésorerie des agriculteurs en attendant le versement des aides définitives. Elles ne constituent cependant pas une solution satisfaisante, les agriculteurs n'ayant plus de visibilité sur les montants d'aide dont ils bénéficieront.

Chargée du versement des aides, l'Agence de services et de paiement, auditionnée par vos rapporteurs, a indiqué que l'année 2018 serait celle du retour à un calendrier normal de versement des aides . Le ministre s'est également engagé sur cette échéance. Vos rapporteurs insistent sur la nécessité de tenir ces engagements et souhaitent disposer d'un bilan annuel des échéanciers et des montants de chacune des aides PAC versées.

b) Des soutiens budgétaires, fiscaux et sociaux
(1) Les autres soutiens budgétaires à l'agriculture

La mission : « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » n'est pas la seule à porter des crédits budgétaires destinés au secteur agricole :

- ainsi, le programme n° 143 intitulés : « enseignement technique agricole » relevant de la mission intitulée « Enseignement scolaire » comporte des crédits gérés par le ministère de l'agriculture et destinés aux établissements publics et privés d'enseignement agricole pour 1,452 milliard d'euros en 2018 à destination des 165 000 élèves de l'enseignement technique agricole. Ces élèves connaissent un taux très élevé d'insertion professionnelle, dans des métiers qui sont en lien avec la nature mais pas nécessairement en devenant agriculteurs ;

- le programme n° 142 intitulé : « enseignement supérieur et recherche agricole » relevant de la mission : « Recherche et enseignement supérieur » comporte aussi des crédits gérés par le ministère de l'agriculture, qui s'élèvent à 346 millions d'euros.

- en outre, le programme n° 172 intitulés : « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » relevant de la même mission porte les subventions aux organismes de recherche qui interviennent fortement dans le domaine agricole : l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui bénéficie d'une subvention de presque 700 millions d'euros et l'Institut national de la recherche en sciences et technologies pour l'environnement (IRSTEA), qui bénéficie d'une subvention de presque 61 millions d'euros ;

- le programme n° 195 , intitulé : « régimes de retraite des mines, de la SEITA et divers » relevant de la mission : « Régimes sociaux de retraite », dispose aussi de crédits destinés à financer le régime de retraite complémentaire des exploitants agricoles dit RCO, à hauteur de 55 millions d'euros, pour financer la revalorisation de la RCO décidée en 2014. Le complément de financement est apporté par l'affectation de la taxe farine, qui risque de disparaître.

Enfin, on estime qu'environ 1 milliard d'euros d'aides budgétaires diverses sont apportés à l'agriculture par les collectivités territoriales, notamment dans le cadre du cofinancement régional des mesures du deuxième pilier de la PAC.

(2) Des allègements fiscaux et sociaux

L'agriculture française est aussi destinataire de diverses mesures fiscales et sociales.

- les dépenses fiscales rattachées à la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » s'élèvent à plus de 2,8 milliards d'euros, dont les deux tiers correspondent au taux réduit de taxe sur les carburants ;

- les agriculteurs bénéficient aussi d'allègements sociaux . Les différentes mesures de réduction du coût du travail pour les salariés agricoles sont évaluées à 1,3 milliard d'euros. En outre, l'allègement total de cotisations patronales pour les travailleurs occasionnels (dispositif TO-DE) est évalué à 480 millions d'euros. Enfin, la réduction de 7 points de la cotisation maladie des exploitants agricoles était évaluée à 438 millions d'euros.

Le total des allègements fiscaux et sociaux pour 2018 figurant au tableau des concours publics à l'agriculture est estimé par le Gouvernement à environ 5 milliards d'euros .

Il faut se garder d'interpréter hâtivement ces chiffres .

D'une part où il existe des imprécisions sur les bénéficiaires des niches fiscales ou sociales : ainsi le coût de l'allègement de la fiscalité sur les carburants est imputé au budget de l'agriculture alors que le secteur des transports de marchandise en bénéficie aussi pour une part importante.

D'autre part, ces allègements sont calculés sur une base théorique, en faisant comme si l'agriculteur relevait d'un autre domaine d'activité. Or, les spécificités de l'agriculture justifient des adaptations des règles sociales et fiscales, qui ne peuvent pas dans ces conditions être analysés comme des « cadeaux ».


* 10 Source : La PAC, traverser le cap dangereux de 2020, rapport d'information du Sénat de M. Gremillet, Mme Gruny, MM. Haut et Montaugé, déposé le 20 juillet 2017.

* 11 Agreste - Les Dossiers n° 38 - Février 2017.

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