B. UN PLAN DE PRÉSERVATION DE L'ÉLEVAGE EN MONTAGNE, PLUTÔT QU'UN PLAN DE PRÉSERVATION DU LOUP ?

1. Une espèce protégée dont le développement menace la pérennité de l'élevage
a) L'extension de la présence du loup sur le territoire national

Présent et craint dans les campagnes durant des siècles, le loup a été éradiqué du territoire national au début du 20ème siècle. Il est réapparu dans le Mercantour au début des années 1990, très probablement en provenance d'Italie, et sa présence s'est peu à peu renforcée et étendue.

Un système de suivi est mis en place dans le cadre du réseau loup par l'État et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). La méthodologie de comptage repose sur plusieurs notions : les zones de présence permanente (ZPP) permettent d'identifier le périmètre géographique de présence du loup, qui peut se déplacer sur de longues distances. L'effectif minimal retenu (EMR) permet d'estimer la population de loups sur le territoire national à la fin de chaque hiver, ces loups pouvant vivre en meute ou isolés. Enfin, le recensement des attaques constitue un indicateur supplémentaire de l'extension de la présence du loup en France. Il conviendrait d'affiner le comptage à travers un relevé d'indices hivernaux.

Le plan national loup 2013-2017 montrait une progression de la population de loups sur la période du précédent plan quinquennal 2008-2012, les ZPP passant de 25 en 2007-2008 à 29 en 2011-2012 et le nombre de loups estimés passant de moins de 200 à au moins 250 sur la même période. Parallèlement, le nombre d'attaques de loups est passé de 736 en 2008 à 1 414 en 2011 .

Alors que s'achève l'actuel plan national loup 2013-2017, le dernier bulletin du réseau loup 18 ( * ) daté de juin 2017 et issu des relevés de l'hiver 2016-2017 montre que la présence du loup progresse encore avec désormais 57 ZPP (dont 44 au sein desquelles ont été repérées des meutes de loups) contre 49 en 2015-2016. Le nombre de loups est estimé en sortie d'hiver entre 320 et 400. La croissance des effectifs est en moyenne de 12 % par an entre 1995 et 2017. Au 31 décembre 2016, on recensait 2 476 attaques et 9 112 victimes, dont les trois quarts en région Provence-Alpes-Côte-d'Azur 19 ( * ) . La même tendance à la progression des attaques se dessine cette année : fin octobre 2017, on comptait 395 attaques et 1254 victimes de plus qu'en octobre 2016.

b) Un statut d'espèce protégée

La France est tenue de protéger le loup sur son territoire du fait de plusieurs engagements qu'elle a souscrits :

- la convention de Berne de 1979 classe le loup dans la liste des espèces en danger, pour lesquelles les États parties à la convention doivent interdire la capture ou la destruction, la destruction de l'habitat et la perturbation de la reproduction ;

- la directive européenne 92/43/CEE de 1992 dite directive « habitats, faune et flore », impose aussi aux États membres de mettre en place un dispositif de protection des espèces menacées, et classe le loup au sein de cette catégorie.

Ces textes obligent à protéger la présence du loup sur le territoire français, et n'autorisent à tuer ces prédateurs que dans des conditions très restrictives, lorsqu'aucune autre solution n'existe et à condition de ne pas remettre en question la survie de l'espèce.

En droit interne, le dispositif de protection du loup, qui s'inscrit dans la même philosophie que la convention de Berne et la directive habitats, faune et flore, repose sur les articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement , qui renvoient largement la mise en oeuvre concrète des mesures de protection au niveau règlementaire.

L'article L. 415-3 du code de l'environnement punit de 2 ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende quiconque porte atteinte à ces règles de protection : ainsi un éleveur qui protégerait son troupeau en cas d'attaque en tuant un loup pourrait être poursuivi sur cette base. Un assouplissement est prévu par l'article L. 427-6 du code de l'environnement, modifié en ce sens par la loi d'avenir pour l'agriculture l'alimentation et la forêt de 2014, prévoyant la délivrance automatique par le préfet d'une autorisation de tir de prélèvement de loup valable six mois à l'éleveur ou au berger touché par une attaque avérée. Les éleveurs peuvent donc effectuer aujourd'hui des tirs de défense ou des tirs de défense renforcée (tirs par plusieurs intervenants, dans le cadre d'attaques répétées) en disposant d'une meilleure sécurité juridique.

c) Une menace croissante pour la pérennité de l'élevage ovin en montagne

Le nombre des attaques de loup n'a cessé de progresser ces dernières années, essentiellement dans le Sud des Alpes, même si l'extension de la zone géographique de présence des loups conduit à diffuser la menace plus largement sur le territoire.

Si les attaques de loup font l'objet d'une indemnisation par l'État, on ne peut pas considérer cette indemnisation comme une réponse satisfaisante au préjudice causé aux éleveurs.

En effet, l'indemnisation ne couvre qu'imparfaitement les préjudices indirects qui peuvent apparaître à long terme comme l'avortement des bêtes du troupeau non blessées mais traumatisées par l'attaque ou encore les baisses de productivité laitière, même si le dispositif d'indemnisation prévoit en théorie une prise en charge des préjudices indirects.

En outre, la présence du loup perturbe fortement les méthodes de conduite de troupeau : la crainte constante des attaques de loup place les éleveurs en situation de stress permanent, devant rester tout le temps aux aguets. Beaucoup témoignent de leur désir de quitter le métier ou encore d'abandonner le pastoralisme ou l'élevage d'ovins. Ce traumatisme des éleveurs doit être pris en compte par les pouvoirs publics, car il fait courir un réel risque sur la pérennité de la filière ovine dans les zones de montagne, alors que cette activité rend d'importants services environnementaux et permet de conserver une occupation humaine de zones très défavorisées qui ne pourraient pas trouver d'autre vocation agricole.

Une étude récente de l'INRA sur le territoire des Grands Causses dans l'Aveyron montre que la mise en place de mesures de protection contre la prédation par les loups n'est pas réellement possible, car les élevages existant aujourd'hui deviendraient peu viables, et les paysages seraient modifiés par la nécessité de regrouper les élevages au sein de prairies temporaires fauchées, les autres espaces devenant des espaces naturels fermés et boisés, sans présence d'activités agricoles 20 ( * ) .

Source : mission loups

2. Le loup coûte de plus en plus cher aux finances publiques
a) L'indemnisation des éleveurs : des crédits en provenance du ministère de la transition écologique et solidaire

Depuis 1993, les pertes des éleveurs victimes d'attaques de loup font l'objet d'une indemnisation. L'instruction des demandes est effectuée dans chaque département par le préfet et les directions départementales compétentes (DDT et DDTM).

Le financement des indemnisations repose exclusivement sur des crédits du budget de l'État, en provenance du programme 113 « Paysages, eau et biodiversité » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », gérée par le ministère de la transition écologique et solidaire.

La ligne budgétaire qui y est consacrée est destinée à l'indemnisation des dommages causés au cheptel domestique par tous les grands prédateurs : ours, loup, lynx, les dommages causés par les loups représentant la part prépondérante de cette enveloppe.

Ces dernières années, les crédits ne cessent d'augmenter, en raison principalement de la progression des dommages causés par les loups. Dans le projet de loi de finances pour 2018, cette enveloppe augmente de plus de 40 % en passant de 2,5 millions d'euros à 3,6 millions d'euros.

Budget

PLF2013

PLF2014

PLF2015

PLF2016

PLF2017

PLF2018

Crédits (en millions d'euros)

1,6

2,1

2,15

2,5

2,5

3,6

b) Le ministère de l'agriculture mis à contribution pour le financement des mesures de protection des troupeaux

A côté de l'indemnisation, des mesures de protection des troupeaux sont prises en charge sur le programme 149 « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l'aquaculture » de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » géré par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation.

Ces crédits financent diverses mesures de protection : analyse de vulnérabilité, mise en place de clôtures, gardiennage des troupeaux, achat de chiens de protection.

Les documents budgétaires annexés à la loi de finances montrent que le montant moyen versé aux éleveurs est d'environ 7 000 €. Ces mesures sont cofinancées à 50 % par les crédits européens du 2ème pilier de la PAC.

Là aussi, l'enveloppe en faveur du pastoralisme connaît une tendance nette à l'augmentation ces dernières années, sous l'effet essentiellement de la progression des dépenses au titre de la protection des troupeaux contre les grands prédateurs. Dans le projet de loi de finances pour 2018, cette enveloppe connaît une augmentation spectaculaire de 5 millions d'euros.

Budget

PLF2013

PLF2014

PLF2015

PLF2016

PLF2017

PLF2018

Crédits en faveur du pastoralisme (en millions d'euros)

11,4

11,1

10,8

11,5

11,3

16,3

Dont mesures grands prédateurs

6,5

6,2

6,9

7,4

7,6

12,6

Le dernier budget exécuté en 2016 montrait de forts besoins de crédits, avec l'engagement de 10,555 millions d'euros sur l'année sur les seules mesures de protection contre la prédation par le loup, représentant 2 420 dossiers, soit bien plus que l'enveloppe de 7,4 millions d'euros prévue.

Si l'on peut se réjouir de la prise en charge par la collectivité de mesures de protection qui ne doivent pas être laissées à la charge des éleveurs, vos rapporteurs soulignent toutefois que le loup coûte de plus en plus cher aux finances publiques.

En outre, on peut s'interroger sur l'efficacité réelle des mesures de protection, compte tenu de la progression du nombre d'attaques qui suit la courbe de progression du nombre des loups présents sur le territoire.

3. Quelles perspectives pour la politique de protection de l'élevage de montagne contre les attaques de loup ?
a) La fin du programme national loup 2013-2017

Comme les autres espèces protégées, le loup fait l'objet d'un programme national d'action qui est revu tous les cinq ans. Ce programme organise l'intervention des différents acteurs institutionnels : ministères, services déconcentrés, ONCFS.

Le programme 2013-2017 s'inscrit dans la continuité du précédent plan avec pour objectifs d'affiner la connaissance et le suivi biologique des populations de loups présents sur le territoire, l'amélioration des mesures de protection des troupeaux contre la prédation, le maintien d'un dispositif d'indemnisation le plus complet possible et le développement de la coopération transfrontalière, notamment avec l'Italie et l'Espagne.

La question la plus sensible reste celle des autorisations de tirs de prélèvement, effectués en dehors de tout cas d'attaque. Un arrêté interministériel du 18 juillet 2017 fixe à 40 le nombre-plafond de loups pouvant être détruits du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018, les loups prélevés par des tirs de défense étant déduits de ce total, contre 36 en 2015-2016 et en 2016-2017.

b) La préparation du futur plan national loup

Alors que le bilan global du précédent plan national loup n'a pas encore été rendu public, un nouveau plan est en préparation pour la période 2018-2022. Ce nouveau plan suscite des craintes sur de nombreux points :

Le renforcement des contraintes sur les tirs de prélèvement pourrait amener à les rendre quasiment impossibles et leur limitation à certains territoires et certaines périodes pourrait conduire à des inégalités de traitement entre éleveurs.

Des craintes existent aussi sur l'introduction de nouveaux critères d'indemnisation, notamment l'instauration de mesures de conditionnalité à l'instar de ce qui existe pour les aides européennes.

La centralisation de la gestion du loup par un préfet coordinateur pourrait aussi éloigner les décideurs des territoires.

Plus profondément, les éleveurs craignent légitimement que la protection des troupeaux soit sacrifiée au profit d'un objectif de développement de la présence du loup et de la préservation de continuités écologiques avec les pays voisins.

Vos rapporteurs appellent le Gouvernement à mettre en oeuvre un nouveau plan loup qui définisse clairement un objectif de préservation de l'élevage, en particulier dans les zones de montagne, qui sont les plus touchées par la prédation.


* 18 http://www.oncfs.gouv.fr/Bulletin-dinformation-du-reseau-Loup-download130.

* 19 Source : mission loup, pilotée par la préfecture de Région d'Auvergne-Rhône-Alpes ( http://www.auvergne-rhone-alpes.developpement-durable.gouv.fr/mission-loup-r1323.html ).

* 20 Source : https://inra-dam-front-resources-cdn.brainsonic.com/ressources/afile/416658-33e37-resource-rapport-aveyron-8nov2017-complet.pdf.

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