EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 13 avril 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis, sur le projet de loi n° 404 (2020-2021) de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, déposé à l'Assemblée nationale le 16 décembre 2020 par le Gouvernement.

M. Claude Raynal , président . - Nous en venons à l'examen du rapport pour avis de notre commission sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Notre commission s'est en effet saisie pour avis des articles portant des dispositions de nature budgétaire ou financière dans ce projet de loi.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Nous examinons en effet l'avis sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, dont l'examen au fond revient à la commission des affaires étrangères. Notre commission s'est saisie pour avis des dispositions relevant de son champ de compétences, à savoir les articles 1 er , 2, 4, 7, 8, 9, 11 et 13, qui traitent des enjeux budgétaires de l'aide publique au développement (APD), de l'évaluation et du contrôle de cette politique, des opérateurs de la mission « Aide publique au développement », ou encore des demandes de rapports en lien avec les sujets traités par notre commission.

Annoncé depuis 2018, ce projet de loi constitue un rendez-vous législatif attendu. Il vise, d'une part, à actualiser les dispositions de la précédente loi de 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, et d'autre part, à traduire sur le plan législatif la montée en charge des moyens consacrés à l'aide publique au développement depuis le début du quinquennat.

Comme vous le savez, le Président de la République, Emmanuel Macron, a fixé dès 2017 un objectif ambitieux : atteindre une part d'aide publique au développement s'élevant à 0,55 % du revenu national brut (RNB) en 2022. J'ai déjà eu l'occasion de le rappeler lors de l'examen des projets de lois de finances successifs, cet objectif doit permettre à la France de rattraper la contraction de son aide publique au développement au début des années 2010. Celle-ci n'a cessé de décroître pour atteindre en 2014 son niveau le plus bas, un ratio de 0,37 % du RNB.

Les conclusions du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) de février 2018 ont certes donné une feuille de route pour la politique de développement, mais sans pour autant définir une trajectoire budgétaire de la mission « Aide publique au développement », rendant nécessaire une loi de programmation.

En outre, le projet de loi vise à répondre à une demande pressante de l'amélioration du pilotage de la politique de développement, dont notre commission s'est fait l'écho à plusieurs reprises. Je ne reviendrai pas sur les clarifications apportées par le projet de loi, qui seront détaillées par la commission des affaires étrangères. En revanche, je souhaiterais insister sur un apport essentiel pour la coordination des moyens de l'État à l'étranger. Au niveau local, l'article 7 du projet de loi prévoit que l'action de l'AFD s'exerce sous l'autorité du chef de la mission diplomatique, c'est-à-dire l'ambassadeur. Cette disposition devrait permettre de mieux coordonner les services et d'éviter une concurrence dommageable entre l'AFD et les ministères de tutelle.

Cela étant dit, j'insisterai sur quatre points qui intéressent notre commission.

Premièrement, je regrette que l'intérêt budgétaire de ce texte soit aussi limité. En effet, la trajectoire financière proposée à l'article 1 er se contente essentiellement d'entériner les moyens déjà validés par le Parlement. Ainsi, l'évolution pluriannuelle des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » prévue par le texte commence en 2020 et s'achèvera en 2022. Cette disposition s'apparente à une transmission avec quelques mois d'avance du projet de loi de finances pour 2022...

Au cours des auditions menées, plusieurs arguments ont été invoqués pour tenter de justifier cette trajectoire bancale, tels que le retard pris dans le calendrier d'examen du texte, ou encore l'échéance électorale de l'année prochaine. Toutefois, ces motifs ne suffisent pas à justifier cette lacune du texte, d'autant que nous avons adopté récemment la loi de programmation pour la recherche, qui prévoit une trajectoire jusqu'en 2030 - sans parler de la loi de programmation militaire.

Afin que nous examinions une réelle loi de programmation, je vous proposerai un amendement visant à prolonger la trajectoire des crédits de paiement de la mission jusqu'en 2025, en partant du montant proposé par le Gouvernement pour 2022, soit 4,8 milliards d'euros. Compte tenu des travaux menés, j'ai acquis la conviction que cette trajectoire devait satisfaire un double objectif. D'une part, il faut consolider la progression de notre aide publique au développement, pour éviter un nouveau décrochage avec les autres pays développés. D'autre part, cette trajectoire doit être crédible, compte tenu du contexte actuel de fortes tensions sur les finances publiques.

Dès lors, comment définir cette trajectoire ? Je souhaiterais ici insister sur le caractère acrobatique d'un pilotage des crédits de la mission fondé sur un pourcentage du RNB, pour plusieurs raisons. Premièrement, l'exercice 2020 témoigne du caractère relatif de cet indicateur. Quand le RNB s'effondre, à niveau stable, notre part d'aide publique au développement gonfle ! Deuxièmement, les crédits de la mission n'ont qu'un lien indirect avec le volume total de l'aide publique au développement de la France. En effet, d'autres canaux génèrent aussi des dépenses d'aide au développement, et peuvent connaître des évolutions incertaines. C'est le cas, par exemple, des allégements de dettes, dont l'évolution annuelle est difficilement prévisible.

Sous ces réserves, il reste possible de bâtir une trajectoire budgétaire en faisant porter aux seuls crédits de la mission l'évolution de l'aide publique au développement, c'est-à-dire toutes choses égales par ailleurs.

D'après les dernières prévisions macroéconomiques du Fonds monétaire international (FMI), pour atteindre la cible de 0,7 % du RNB en 2025, comme le propose l'Assemblée nationale, il faudrait une hausse annuelle moyenne de 1,9 milliard d'euros, répartie sur les exercices 2023, 2024, et 2025. Une telle hausse me semble difficilement tenable, à un moment où, par exemple, le Royaume-Uni opte pour une réduction de son aide à 0,5 % de son RNB en raison de la crise actuelle.

Selon ces mêmes hypothèses, maintenir l'objectif de 0,55 % de notre RNB en 2025 se traduirait par une hausse annuelle moyenne de 500 millions d'euros environ.

Une telle augmentation me semble cohérente avec l'effort consenti depuis le début du quinquennat et permettrait de sanctuariser les moyens dédiés à cette politique. Compte tenu des nombreuses incertitudes pesant sur la trajectoire, je propose une actualisation de celle-ci à mi-parcours, soit en 2023. Cette révision constituera un rendez-vous nous permettant de faire le point sur nos ambitions en la matière.

Mes chers collègues, je sais que plusieurs autres amendements proposant des hausses plus importantes ont été déposés, notamment par les rapporteurs de la commission des affaires étrangères. De mon côté, je reste très attaché à une préservation des moyens de l'aide publique au développement, mais aussi à la sincérité de la programmation de nos finances publiques.

Ce premier constat se double d'un autre regret : l'absence d'information sur les besoins en fonds propres de l'AFD. Alors qu'il semblerait que la recapitalisation opérée en loi de finances pour 2021 ne permette pas de couvrir ses besoins plus d'une année, il est dommageable que cette question reste sous les radars de nos débats. Je vous proposerai un amendement sur ce point.

Enfin, l'article 1 er réaffirme plusieurs objectifs en matière de rééquilibrage de notre aide publique au développement qui sont bienvenus, tels que le renforcement de notre aide bilatérale et de la part des dons. Il contient également des dispositions visant à accroître la part de l'aide publique au développement transitant par les organisations de la société civile, et le soutien de l'État à l'action extérieure des collectivités territoriales. Ces objectifs concrétisent sur le plan législatif des engagements déjà pris par le Gouvernement en 2018.

Le deuxième point saillant du texte repose sur les dispositions relatives au contrôle et à l'évaluation de la politique de développement qu'il contient.

Tout d'abord, l'article 2 du projet de loi prévoit que le Gouvernement remette chaque année un rapport au Parlement visant à dresser un examen de la stratégie globale de l'aide publique au développement. Le contenu de ce rapport a été largement enrichi à l'Assemblée nationale. Je vous proposerai un amendement visant à le compléter. Pour la suite de nos débats, il nous faudra toutefois être vigilants dans l'articulation de ce rapport avec les documents budgétaires qui existent déjà, et ainsi éviter une dilution de l'information entre plusieurs supports.

Par ailleurs, ces informations seront utilement complétées par une base de données publique prévue par l'article 1 er . En outre, l'article 9 du projet de loi institue une commission indépendante d'évaluation de la politique de développement. Cette disposition concrétise une proposition ancienne, notamment portée par la commission des affaires étrangères de notre assemblée. L'objectif d'une montée en gamme de l'évaluation me semble indispensable, compte tenu de la hausse continue des moyens budgétaires qui y sont consacrés.

L'Assemblée nationale a précisé le texte, notamment en rattachant cette commission à la Cour des comptes. Sa mission est désormais de conduire des évaluations sur la politique de développement, son efficacité et son impact.

Toutefois, cette nouvelle instance soulève plusieurs questions : la Cour des comptes est-elle la mieux outillée pour conduire ces missions ? Comment s'articulera le rôle de cet organisme avec la mission d'évaluation des politiques publiques attribuée au Parlement par la Constitution et les dispositions déjà prévues dans le code des juridictions financières permettant aux présidents des assemblées de saisir la Cour des comptes de demandes d'évaluation de politiques publiques ? En outre, le dispositif est peu clair sur l'organisation de la commission : conduira-t-elle ses travaux elle-même ? À ce stade, il semblerait que la piste d'une sous-traitance à des cabinets extérieurs soit privilégiée.

En tout état de cause, je vous proposerai un amendement visant à recentrer le rôle de cette commission, et à l'articuler plus clairement avec l'évaluation menée par le Parlement.

Le troisième point intéressant notre commission est celui de l'intégration d'Expertise France au sein de l'AFD, prévue par les articles 7 et 8 du projet de loi.

Annoncé depuis 2018, ce rapprochement est motivé par la volonté de rationaliser le paysage des opérateurs français en charge du développement et de l'expertise internationale. L'objectif poursuivi par le Gouvernement est de permettre de présenter une offre plus complète à nos partenaires à l'étranger, intégrant une offre de prêts, de dons, et d'expertise technique pour leur mise en oeuvre. En outre, un tel rapprochement permettra d'étendre le champ géographique de l'intervention d'Expertise France.

Enfin, les deux opérateurs travaillent déjà de concert : Expertise France bénéficie du réseau de l'AFD comme relais de terrain, des échanges de personnels ont lieu depuis plusieurs années, et l'AFD passe des commandes à Expertise France.

Concrètement, cette intégration repose sur un schéma législatif complexe.

L'article 7 autorise l'AFD à détenir tout ou partie du capital d'Expertise France. Par ailleurs, cet article procède à un toilettage bienvenu des dispositions définissant les missions de l'AFD en les basculant au niveau législatif.

L'article 8 transforme Expertise France, qui est actuellement un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), en une société par actions simplifiée (SAS). Le texte prévoit que son capital est public et qu'il est intégralement détenu par l'État au moment de sa transformation. Le but est de permettre d'intégrer Expertise France sous forme de filiale de l'AFD. D'après la direction générale du Trésor, le choix du statut de SAS permet de prévoir des dispositions dérogatoires en matière de gouvernance, tout en maintenant un lien fort avec la tutelle.

Dans cette perspective, plusieurs dispositions du texte visent à préserver l'autonomie d'Expertise France et le rôle de l'État. Ainsi, le conseil d'administration comprendra quatre représentants de l'État, à parité avec l'AFD. Les statuts de la société sont approuvés par décret. Enfin, deux commissaires du Gouvernement sont nommés et peuvent s'opposer aux décisions du conseil d'administration. Par ailleurs, en ce qui concerne son activité, le poids de l'AFD reste minoritaire dans les commandes adressées à Expertise France, par rapport à celui de l'Union européenne, qui représente 50 % de son chiffre d'affaires.

Ce schéma d'intégration complexe s'explique par les nombreuses difficultés juridiques à surmonter pour permettre la création d'une filiale bénéficiant d'une autonomie fonctionnelle. En l'état, la rédaction du texte laisse ouverte la possibilité que l'AFD ne détienne pas tout le capital d'Expertise France. D'après les informations transmises, cette disposition visait initialement à ménager la possibilité pour l'État de détenir une fraction du capital d'Expertise France, si cela s'avérait nécessaire pour conserver ses prérogatives au sein du conseil d'administration. Cette piste semble aujourd'hui écartée par les services de l'État, qui mènent une réflexion en vue de simplifier le processus d'intégration.

J'en arrive à mon dernier point, qui regroupe diverses dispositions relevant de la compétence de notre commission.

L'article 4 prévoit la possibilité pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) de financer des actions de coopération dans le domaine de la mobilité, dans la limite de 1 % de leurs ressources affectées aux services de mobilité. Ce plafond exclut le versement « transport » des entreprises. Il s'agit d'un dispositif facultatif, inspiré d'autres dispositifs similaires existants, tels que le « 1 % déchets » et le « 1 % énergie ». Ce dispositif devrait permettre de financer près de 100 millions d'euros d'actions de coopération, même si le contexte actuel des finances publiques locales n'est peut-être pas très porteur.

De plus, l'article 1 er a été complété en première lecture à l'Assemblée nationale afin d'intégrer des dispositions relatives à la restitution des biens mal acquis. Ces dispositions s'inspirent directement de la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur, que notre commission avait examinée au fond en 2019. Cependant, la mise en oeuvre effective de ces dispositions nécessitera une traduction dans le prochain projet de loi de finances. En effet, il est prévu qu'un nouveau programme de la mission « Aide publique au développement » permette de retracer les recettes issues de la confiscation de ces biens. Les personnes auditionnées ont toutes salué ces dispositions, et le rôle d'avant-garde du Sénat en la matière. Néanmoins, le texte proposé ne permet pas réellement de répondre à une interrogation déjà soulevée lors de nos débats en 2019 : comment pouvons-nous nous assurer que ces avoirs restitués ne soient pas réinjectés dans des circuits de corruption ? Je vous proposerai un amendement sur ce point pour tenter d'apporter une réponse.

Enfin, les articles 11 et 13 prévoient que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur les sujets suivants.

Premièrement, il s'agit d'un rapport sur les transferts de fonds vers les pays bénéficiaires de l'aide publique au développement. L'article 11 prévoit ainsi deux demandes de rapports. La première porte sur le dispositif de bibancarisation, c'est-à-dire la possibilité pour les banques des pays en voie de développement de commercialiser certains de leurs services en France au bénéfice des personnes expatriées. La seconde porte sur les modalités de réduction des coûts de transaction des envois de fonds vers les pays bénéficiaires de l'aide publique au développement de la France. Ces rapports permettront de dresser un bilan des dispositifs en vigueur.

Deuxièmement, l'article 13 prévoit la remise d'un rapport au Parlement évaluant les possibilités de dispense de criblage des bénéficiaires finaux de l'aide publique au développement qui participent à la stabilisation de zones de crise. Il s'agit ici de relayer une demande de certaines ONG, qui souhaitent être exemptées des procédures de vérification visant à s'assurer qu'elles ne participent pas au financement d'activités terroristes ou de blanchiment d'argent par exemple. C'est un sujet délicat, pour lequel il conviendrait de disposer d'éléments objectifs, que le rapport pourrait apporter.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Merci pour la qualité de ce rapport, sur un sujet qui peut parfois susciter des réactions épidermiques et qui concerne une politique publique à laquelle la France est depuis longtemps attachée. La trajectoire pour l'aide publique au développement aurait dû faire l'objet d'une définition au début de ce quinquennat, pour la période 2017-2022. L'absence de cette définition met en difficulté les assemblées et le Gouvernement : dans le texte qui est sorti de l'Assemblée, la trajectoire est prévue jusqu'à 2022... Atypique pour une loi de programmation ! Les assemblées se prononcent sur des trajectoires telles qu'elles les imaginent.

Je partage pour l'essentiel les orientations du président Requier. Il faut être attentif à l'ambition de fixer un pourcentage du RNB, car l'évolution de celui-ci peut avoir des conséquences fortes sur les montants en question. Merci, en tout cas, pour l'attention que vous portez aux rapports d'évaluation et de contrôle confiés à des organismes extérieurs. Vous avez, avec des mots bien choisis, et avec beaucoup de précautions, expliqué comment l'on passe de l'idée d'un contrôle par un organisme indépendant, confié à la Cour des comptes, à la sous-traitance à un organisme privé. Arrêtons la plaisanterie : le contrôle fait partie des fonctions originelles du Parlement, et nous gagnerions à ce que les assemblées puissent faire sereinement ce travail. Le Gouvernement a suffisamment d'outils et d'éléments à fournir, dans une démocratie en bonne santé, pour que cela se fasse sans problème. Cela fait partie de l'équilibre des pouvoirs, tel que la Constitution de la V e République l'a prévu - les modifications proposées constituent la voix de la sagesse.

M. Michel Canevet , rapporteur spécial de la mission « Aide au développement » . - Je salue la qualité du rapport, auquel je souscris totalement. Une programmation pluri-pluriannuelle déterminée doit être établie. C'est l'objet des amendements que le président Requier va proposer. Il est bienvenu d'orienter l'action en priorité vers un certain nombre de pays. Les événements à Haïti ce week-end montrent aussi qu'il n'est pas toujours facile de mener des actions de développement dans des pays instables ou connaissant des problèmes d'insécurité. Le déploiement de moyens supplémentaires est nécessaire, mais doit rester raisonnable, vu la situation de nos finances publiques. Je déposerai en séance un amendement sur le rôle et la place du Parlement dans l'évaluation de la politique d'aide au développement, dans le sens de ce qu'a indiqué le rapporteur général.

M. Rachid Temal , rapporteur de la commission des affaires étrangères . - Ce texte était attendu depuis bien longtemps. Il est enfin arrivé, et chacun pourra noter qu'il permet de nombreuses avancées, notamment sur le ciblage de dix-neuf pays. Il n'en reste pas moins qu'il y a encore quelques zones à améliorer. L'article 1 er calibre la politique d'aide au développement. La spécificité de ce texte est que la programmation s'arrête en 2022, alors que nous avons des objectifs jusqu'en 2025. Nous souhaitons une programmation, mais aussi de l'honnêteté intellectuelle - et financière, ce qui est du ressort de votre commission. On peut toujours annoncer qu'on fera 0,7 %, les montants correspondants constitueraient de hautes marches. Nous proposons plutôt de faire en sorte d'atteindre 0,6 % en 2025, avec des propositions concrètes, tout en conservant un objectif à 0,7 %. Il faut être réaliste. La taxe sur les transactions financières a été créée uniquement pour l'aide au développement. Or seuls 30 % de son produit y est aujourd'hui consacré, en raison du dynamisme de son rendement. Nous souhaitons faire croître cette part.

Nos amendements sont assez proches des vôtres sur la programmation. Vous proposez 0,55 %, nous proposons 0,6 %. Le Gouvernement nous dira comment il entend atteindre 0,7 %. L'idée serait de mettre les chiffres sur la table et de conserver une clause de revoyure en 2023.

M. Hugues Saury , rapporteur de la commission des affaires étrangères . - Une commission indépendante d'évaluation était attendue et réclamée depuis longtemps. La formule retenue, auprès de la Cour des comptes, lui garantit une certaine autonomie. Nous souhaitons en préciser la composition. Le texte ne mentionne que sa création, et l'existence d'une sorte de droit de tirage du Parlement, sans autre précision. Nos amendements prévoient notamment la présence des parlementaires : deux sénateurs et deux députés siégeront dans cette commission. Nous précisons aussi que les rapports devront être rendus au Parlement sous huit mois, comme c'est le cas pour ceux de la Cour des comptes.

M. Claude Raynal , président . - On voit se multiplier les projets de loi programmation sectoriels - défense, recherche, développement solidaire - qui risquent de ne pas coïncider avec le projet de loi de programmation des finances publiques...

M. Roger Karoutchi . - Cela fait déjà trois ou quatre ans que l'AFD est sous le feu des critiques et que nous appelons à une redéfinition de la politique d'aide publique au développement.

Augmenter les crédits de 50 % en deux ans n'a pas de sens : l'aide publique au développement, ce n'est pas seulement distribuer des enveloppes, ce sont des projets qui doivent être montés avant d'être financés ; cela demande du temps.

Je note cependant deux points positifs dans ce texte : le renforcement de l'aide bilatérale et la réaffirmation de l'autorité de l'ambassadeur sur les agences de l'AFD à l'étranger.

Notre politique de développement a besoin d'être redéfinie au regard de ce que font nos grands concurrents, or cela n'a pas été fait depuis la suppression du ministère de la coopération. Depuis cette même suppression, l'AFD n'a plus vraiment de tutelle : c'est un État dans l'État. Certes, le ministre des affaires étrangères en a pris conscience et essaye de faire évoluer le contrôle de son ministère sur l'AFD, mais cela demeure léger. Le politique a-t-il réellement repris la main ? Je n'en suis pas certain.

Je suis réticent sur ce texte qui est un tissu de généralités - protection des populations, droits de l'eau, assainissement, etc. - dont aucune ne constitue un véritable choix de politique de développement.

M. Éric Bocquet . - Je m'interroge aussi sur l'évolution de la part de notre aide publique au développement dans le PIB qui est passée de 0,43 % en 2018 à 0,55 % en 2022 ; l'atteinte de l'objectif de 0,7 % du PIB en 2030 nécessiterait une hausse supplémentaire de 0,15 point. Mais les calculs établissant cette cible ont été réalisés à une époque où le PIB mondial atteignait les 12 000 milliards d'euros. Or, depuis 2018, le PIB mondial a été multiplié par sept pour dépasser les 85 000 milliards et la pandémie coûterait à elle seule 22 000 milliards. Le Gouvernement a-t-il confirmé qu'il s'engageait à atteindre l'objectif de 0,7 % en 2030 ? Cet objectif demeure-t-il pertinent dans le contexte de la pandémie ? Est-il crédible au regard de notre situation budgétaire et des recherches d'économies qui nous sont annoncées ?

M. Vincent Capo-Canellas . - Le texte du projet de loi prévoit la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement sur les coopérations entre l'AFD et la Caisse des dépôts et consignations : quel rôle cette dernière joue-t-elle en matière d'aide publique au développement ?

M. Patrice Joly . - Merci à notre rapporteur. Cette loi aurait dû être l'occasion de refonder notre accompagnement et de passer enfin d'une logique de la condescendance à une véritable logique de co-développement, fondée sur la reconnaissance d'une égale dignité humaine. Car, pays aidés et pays aidants, nous sommes confrontés aux mêmes défis : drame sanitaire, pauvreté, insécurité alimentaire, questions environnementales, parité, etc.

L'objectif de 0,7 % du PIB revient comme une « Arlésienne » et les annonces ne sont jamais tenues. Quel serait le niveau satisfaisant ?

Mme Christine Lavarde . - Présidente d'un groupe interparlementaire d'amitié, j'entends souvent dire que l'AFD négligerait les projets de petite taille ; or son directeur général le conteste vivement. Avez-vous des informations sur ce point ?

M. Pascal Savoldelli . - Je préside une fondation qui intervient au Mali et dans les Comores. La France doit organiser un co-développement sur les enjeux de l'eau et de l'assainissement, les questions énergétiques, ou encore celles de la formation et de la qualification, en lien avec les collectivités territoriales et le secteur marchand.

Je rejoins Roger Karoutchi : monter un projet, cela prend plusieurs années ; par exemple, quand on amène l'eau dans un village, il faut aussi réfléchir à la place sociale nouvelle des femmes, au réemploi des porteurs d'eau, etc. Dans certains pays, nous nous heurtons au pouvoir central et aux pouvoirs locaux. Et l'on constate que les collectivités territoriales travaillent de moins en moins avec les villes-centres, afin d'éviter les pesanteurs administratives et politiques.

Si l'on veut vraiment aborder les questions sanitaires de co-développement, il faut lever les brevets sur les vaccins. Nous sommes dans une pandémie, pas dans une épidémie : produisons des vaccins et vaccinons tout le monde !

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Monsieur Témal, atteindre 0,6 % du RNB en 2025, ça coûterait environ 900 millions d'euros supplémentaires par an entre 2023 et 2025... Cela peut sembler faible en pourcentage, mais ce sont des sommes importantes.

Pour Roger Karoutchi, je n'ai pas l'assurance que cette loi de programmation sera respectée. S'agissant du portage politique de la politique de développement, le directeur général de l'AFD nous a dit préférer un ministre de tutelle qui gagne ses arbitrages à un secrétaire d'État qui les perd.

Éric Bocquet et Patrice Joly, nous reparlerons des chiffres au moment de l'examen de mes amendements.

Vincent Capo-Canellas, depuis 2017, la Caisse des dépôts et consignations et l'AFD disposent d'un fonds d'investissement commun, STOA, doté de 600 millions d'euros environ, mais le rapprochement des deux entités n'est plus à l'ordre du jour.

Christine Lavarde, depuis deux ans, avec les fonds solidaires pour les projets innovants (FSPI), le ministère a décidé d'augmenter les enveloppes dont bénéficient les ambassadeurs pour financer de petits projets locaux qui sont très appréciés sur le terrain : en quelque sorte, ils ont recréé ce qui nous avait été supprimé avec la réserve parlementaire...

Pascal Savoldelli a fait essentiellement un dégagement politique. Votre position sur les vaccins est généreuse.

M. Michel Canevet , rapporteur spécial . - La semaine dernière, devant la commission des affaires étrangères du Sénat, le ministre a clairement affirmé que la politique de développement faisait partie intégrante de la politique étrangère de la France, et c'est une très bonne chose.

L'AFD demeure un sujet d'interrogation : il faut cadrer son action et la stabiliser à hauteur de ses 12 milliards d'euros d'engagements annuels. Ce texte a le mérite de clarifier le « qui fait quoi » : l'ambassadeur coordonne l'action des intervenants au sein du comité local de développement et valide les projets.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Les relations entre ambassadeur et agence de l'AFD sont variables selon les pays : c'est souvent une question de personnes.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-141 supprime la disposition selon laquelle le projet de loi fixerait les conditions du contrôle et de l'évaluation de la politique de développement par le Parlement. En effet, il s'agit d'une des missions constitutionnelles du Parlement qui relève de l'article 24 de la Constitution, qui n'a pas à être encadrée par une loi de programmation.

L'amendement COM-141 est adopté.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-142 établit une trajectoire financière pour les crédits de la mission « Aide publique au développement » de 2022 à 2025 : avec une augmentation de 500 millions d'euros par an après 2022, nous atteindrions l'objectif de 0,55 % du PIB en 2025, toutes autres composantes de l'aide publique au développement égales par ailleurs. Certes, les rapporteurs de la commission des affaires étrangères voudraient plus, mais cela coûterait plus cher... Je propose également une évaluation à mi-parcours, en 2023, afin d'actualiser cette trajectoire.

L'amendement COM-142 est adopté.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-143 supprime un alinéa qui agrège plusieurs composantes budgétaires de l'aide publique au développement pour les années 2020 à 2022. La portée de cette disposition est nulle : elle se borne à additionner les montants des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement », ceux de la mission « Plan de relance » et les ressources du fonds de solidarité pour le développement. C'est du pur affichage, et non de la programmation budgétaire.

L'amendement COM-143 est adopté.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-144 supprime la disposition selon laquelle les services de l'État disposent de moyens cohérents avec les ressources prévues par le projet de loi. L'aide publique au développement transite par de multiples canaux, qui ne requièrent pas tous une hausse des moyens humains en contrepartie de l'augmentation des moyens budgétaires. En outre, l'AFD et Expertise France ont déjà vu leurs effectifs croître de façon importante au cours des dernières années.

M. Claude Raynal , président . - Ne poussons pas au crime...

L'amendement COM-144 est adopté.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-145 traite de la restitution des recettes issues de la cession des biens mal acquis. Le ministère des affaires étrangères disposera désormais d'une ligne budgétaire dédiée, mais je propose qu'il définisse au cas par cas les modalités de cette restitution, afin que celle-ci se déroule dans les meilleures conditions, compte tenu des contextes locaux propres à chaque zone.

L'amendement COM-145 est adopté.

Article 2

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - La date limite de remise du rapport annuel du Gouvernement au Parlement avait été initialement fixée au 15 septembre ; l'Assemblée nationale l'avait avancée au 15 juin. Mon amendement COM-146 la fixe au 1 er juin, afin de la faire correspondre avec la date limite de dépôt du projet de loi de règlement.

L'amendement COM-146 est adopté.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-147 précise que le rapport annuel du Gouvernement au Parlement indiquera le volume des engagements annuels de l'AFD dans chacun des pays où elle intervient. Nous disposerons ainsi de la liste des projets et de leurs montants.

L'amendement COM-147 est adopté.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-148 reformule et précise la disposition selon laquelle le rapport transmis au Parlement doit intégrer une évaluation de la communication mise en oeuvre pour promouvoir la politique d'aide au développement de la France.

L'amendement COM-148 est adopté.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-149 supprime la disposition selon laquelle un débat en séance publique se tient à l'Assemblée nationale et au Sénat sur le rapport annuel du Gouvernement au Parlement. L'article 48 de la Constitution prévoit en effet que chaque assemblée fixe son ordre du jour : ce n'est pas à la loi de programmation de le faire !

M. Claude Raynal , président . - Cela relève en effet du Règlement de chaque assemblée.

L'amendement COM-149 est adopté.

Article 5

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Avec mon amendement COM-150 , je propose, par coordination avec les amendements que je vous présenterai sur les articles 7 et 8 dont nous nous sommes saisis pour avis, que les députés et sénateurs membres du Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) ne soient pas désignés par les commissions des affaires étrangères, mais, respectivement, par le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat.

L'amendement COM-150 est adopté.

Article 7

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Même chose s'agissant des députés et sénateurs membres du conseil d'administration de l'AFD.

L'amendement COM-151 est adopté.

Article 8

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Même chose s'agissant des députés et sénateurs membres du conseil d'administration d'Expertise France.

L'amendement COM-152 est adopté.

Article 9

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-153 précise le rôle de la commission indépendante placée auprès de la Cour des comptes, afin d'écarter toute confusion avec l'évaluation conduite par le Parlement.

L'amendement COM-153 est adopté.

Article additionnel après l'article 10

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-154 complète le document de politique transversale sur la politique française en faveur du développement afin d'y inclure une évaluation pluriannuelle des besoins en fonds propres de l'AFD. Celle-ci avait en effet fait l'objet d'une recapitalisation additionnelle à hauteur de 500 millions d'euros par un amendement gouvernemental au projet de loi de finances pour 2021 adopté en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale : c'est regrettable, car le Sénat n'avait pas pu en débattre. Il convient d'assurer l'information du Parlement sur l'évolution prévisionnelle des besoins en fonds propres de l'AFD.

L'amendement COM-154 est adopté.

Article 13 (rapport annexé)

M. Jean-Claude Requier , rapporteur pour avis . - Mon amendement COM-155 est de coordination.

L'amendement COM-155 est adopté.

M. Claude Raynal , président . - La commission des affaires étrangères, qui se réunira demain matin, examinera les amendements que nous venons d'adopter. S'ils n'étaient pas repris, je vous propose que nous donnions mandat à notre rapporteur pour les déposer en vue de leur examen en séance publique.

La commission donne un avis favorable à l'adoption des articles 1 er 2, 4, 7, 8, 9, 11 et 13 du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Article 1 er

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-141

Adopté

M. REQUIER

COM-142

Adopté

M. REQUIER

COM-143

Adopté

M. REQUIER

COM-144

Adopté

M. REQUIER

COM-145

Adopté

Article 2

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-146

Adopté

M. REQUIER

COM-147

Adopté

M. REQUIER

COM-148

Adopté

M. REQUIER

COM-149

Adopté

Article 4

Article 5

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-150

Adopté

Article 7

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-151

Adopté

Article 8

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-152

Adopté

Article 9

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-153

Adopté

Article additionnel après l'article 10

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-154

Adopté

Article 11

Article 13

Rapport annexé

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-155

Adopté

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