N° 106
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 novembre 2025
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des finances (1) sur le projet
de loi relatif à la lutte
contre les fraudes
sociales et fiscales
(procédure accélérée),
Par M. Bernard DELCROS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
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Sénat : |
24 et 104 (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
La commission des finances a examiné le 4 novembre 2025 le rapport pour avis de M. Bernard Delcros sur le projet de loi n° 24 (2024-2025) relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.
Si texte a été envoyé au fond à la commission des affaires sociales du Sénat, celle-ci a délégué à la commission des finances l'examen des articles 1er, 3, 9, 15, 18, 19, 20 et 23. La commission des finances s'est également saisie pour avis de l'article 14.
Outre une amélioration rédactionnelle, la commission des finances a adopté trois amendements du rapporteur permettant de renforcer ce texte :
- un amendement visant à permettre au service du contrôle fiscal de mieux contrôler les terminaux de paiement électronique des professionnels, afin de détecter les flux illicites reversés sur des comptes à l'étranger ;
- un amendement tendant à permettre à l'administration fiscale et à l'administration des douanes de solliciter, dans le cadre de l'exercice de leur droit de communication auprès des établissements de crédit et assimilés, la transmission d'informations sous format dématérialisé ;
- un amendement visant à prévoir une évaluation par le Gouvernement, avant le 31 décembre 2026, des modalités de collecte de la taxe sur les transactions financières et des contrôles réalisés par l'opérateur qui en a la charge ;
Elle a en outre adopté un amendement de Mme Nathalie Goulet permettant à l'administration fiscale de prendre copie de documents lors de leurs contrôles de la régularité de la délivrance de reçus fiscaux par les organismes bénéficiaires de dons et versements en application du régime fiscal du mécénat.
I. UN PROJET DE LOI QUI S'INSCRIT DANS LE MOUVEMENT DE RENFORCEMENT DE L'ARSENAL DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE ENGAGÉ DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES MAIS DONT L'AMBITION PORTE ESSENTIELLEMENT SUR LA FRAUDE SOCIALE
En 10 ans, plusieurs textes d'envergure ont permis de consolider et de compléter l'arsenal législatif mis en place par la France pour lutter contre la fraude aux finances publiques :
- la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière, qui a notamment aggravé les peines en cas de fraude fiscale et renforcé les pouvoirs de l'administration fiscale et des douanes ;
- la loi du 9 décembre 2016, dite loi « Sapin 2 », qui comportait un important volet de dispositions relatives à la lutte contre la fraude fiscale, telles que l'introduction d'une procédure de transaction pénale pour les personnes morales ;
- la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, qui a renforcé les prérogatives de l'administration fiscale et les dispositifs de lutte contre la fraude : extension des conventions judiciaires d'intérêt public à la fraude fiscale, suppression du « verrou de Bercy », notamment ;
- le plan de lutte contre toutes les fraudes fiscales, sociales et douanières de 2023, qui s'est en particulier traduit dans plusieurs dispositions de la loi de finances initiale (LFI) pour 2024 ou la loi du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces ;
- enfin, la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques du 30 juin 2025, qui a prévu plusieurs dispositions visant principalement à lutter contre la fraude aux dispositifs d'aides à la rénovation énergétique de type « MaPrimeRénov' ».
Si le présent projet de loi s'inscrit dans la continuité des réformes susmentionnées, son ambition en matière de lutte contre la fraude fiscale est assez modeste. Ce texte contient en effet majoritairement des mesures visant à renforcer l'arsenal de lutte contre la fraude sociale.
II. LE PROJET DE LOI PROPOSE DES APPORTS LIMITÉS EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE, MAIS QUI N'EN SONT PAS MOINS UTILES POUR LES SERVICES DE CONTRÔLE
En matière fiscale, le projet de loi a pour ambition de mieux détecter la fraude, de mieux la sanctionner, et de mieux recouvrer les fonds publics indument perçus.
A. MIEUX DÉTECTER LA FRAUDE PAR UN RENFORCEMENT DE L'ÉCHANGE D'INFORMATIONS ENTRE LES DIFFÉRENTS SERVICES COMPÉTENTS
L'article 1er autorise la communication par les officiers de douane judiciaire et les officiers fiscaux judiciaires, aux administrations des douanes, et des finances publiques, sur autorisation de l'autorité judiciaire, de tous informations et documents recueillis dans le cadre de leurs enquêtes et susceptibles d'être utiles à l'exercice de la mission de contrôle de ces administrations.
L'article 3 permet à la direction générale des finances publiques (DGFiP) de transmettre à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) les informations que l'administration fiscale recueille dans le cadre de ses contrôles, pour permettre soit l'immatriculation d'office d'entreprises exerçant une activité occulte, soit la radiation d'office d'une entreprise non établie dans l'Union européenne qui ne respecte pas l'obligation de désigner un représentant fiscal. La commission a adopté un amendement COM-98 du rapporteur de clarification rédactionnelle du dispositif.
L'article 9 tend à étendre à l'ensemble des parquets la faculté de communiquer à l'Autorité des marchés financiers (AMF) toute pièce de procédure pénale ayant un lien direct avec des faits susceptibles d'être soumis à l'appréciation de sa commission des sanctions, prérogative réservée, en l'état actuel du droit, au Parquet national financier (PNF).
L'article 15 renforce les obligations imposées aux professionnels de la vente de biens de luxe en étendant leur assujettissement à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) pour toute transaction supérieure à 10 000 euros, et non plus uniquement pour les transactions supérieures à ce même plafond effectuées en espèces ou au moyen de monnaie électronique. Il s'agit d'anticiper l'entrée en vigueur en juillet 2027 du sixième paquet « anti blanchiment » de l'Union européenne qui prévoit également cette disposition.
B. MIEUX SANCTIONNER LES DÉLITS DE FRAUDE AUX FINANCES PUBLIQUES LES PLUS GRAVES
L'article 18 vise à criminaliser l'escroquerie aux finances publiques en bande organisée, en portant la peine d'emprisonnement encourue pour ce type d'infraction à 15 ans, contre 10 ans dans le droit actuel. Ce dispositif avait déjà été adopté par le Sénat, à l'initiative de notre collègue Nathalie Goulet, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques. Il avait toutefois été censuré par le Conseil constitutionnel au motif qu'il constituait un cavalier législatif.
Plusieurs services ont sensibilisé le rapporteur sur l'intérêt opérationnel que pourrait représenter l'ajout dans le texte d'une mesure qui permettrait de porter la garde à vue à 96 heures pour le crime d'escroquerie aux finances publiques en bande organisée, contre 48 heures dans le droit commun. Le Gouvernement a fait le choix de ne pas retenir cette disposition dans le projet de loi, compte tenu du risque de censure par le Conseil constitutionnel d'une telle disposition.
L'enjeu d'une éventuelle introduction
à l'article 18 de la faculté d'étendre
à 96 heures la garde en cas d'escroquerie aux finances
publiques
en bande organisée
Les auditions du rapporteur ont mis en lumière un débat sur l'opportunité d'inscrire le crime d'escroquerie aux finances publiques en bande organisée dans le champ de l'article 706-73 du code de procédure pénale (CPP), qui permet la mise en oeuvre de la garde à vue dérogatoire prévue par l'article 706-88 du CPP, pouvant être prolongée jusqu'à 96 heures, contre 48 heures dans le droit commun. Plusieurs services ont souligné l'intérêt opérationnel de cette mesure, mais la question de sa conformité à la Constitution a été très débattue entre différents services consultés par le rapporteur, plus particulièrement sur le caractère disproportionné de l'atteinte aux droits de la défense et à la liberté individuelle que ferait peser l'application d'une garde à vue à 96 heures pour l'escroquerie aux finances publiques en bande organisée.
Le Conseil constitutionnel a déjà considéré que l'application de la garde à vue de 96 heures pour des infractions comparables1(*) était contraire à la Constitution, dans la mesure où celles-ci ne portaient pas directement atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes.
Si plusieurs arguments soulevés en audition peuvent conduire à nuancer cette jurisprudence, le rapporteur estime que le risque que le Conseil constitutionnel applique un raisonnement analogue à l'application de la garde à vue de 96 heures au crime d'escroquerie aux finances publiques en bande organisée est bien réel.
L'article 19 vise à durcir les sanctions applicables au délit de mise à disposition d'instruments facilitant la fraude fiscale, en les portant à cinq ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende2(*). Il permet également d'inclure le délit de fraude fiscale, les délits comptables ainsi que le délit de mise à disposition d'instruments facilitant la fraude fiscale parmi les infractions justifiant le recours à des techniques spéciales d'enquête3(*), dans les cas les plus graves, et notamment, lorsque ces infractions sont commises en bande organisée.
L'article 14 prévoit enfin de relever de 9,2 % à 25 % le taux de la CSG applicable aux revenus d'activités illicites, d'en supprimer la déductibilité partielle du revenu imposable et à interdire le cumul des revenus de remplacement servis par France Travail avec ce type de revenus.
C. MIEUX RECOUVRER LES FONDS PUBLICS INDUMENT PERÇUS
L'article 20 permet, d'une part, de renforcer les obligations déclaratives à l'égard des administrateurs de trusts, et d'autre part, d'harmoniser le dispositif de majorations encourues en cas de rectification due à une omission déclarative d'un administrateur de trust.
L'article 23 porte, quant à lui, sur l'allongement d'un an du délai spécial de reprise de l'administration fiscale, qui expirerait désormais à la fin de la deuxième année suivant celle de l'évènement qui a ouvert ce délai - demande de renseignement auprès d'un État étranger, ouverture d'une enquête judiciaire pour fraude fiscale ou révélation dans le cadre d'une procédure judiciaire ou contentieuse d'omissions ou d'insuffisances d'imposition -, de façon à améliorer le taux de recouvrement sans réduire les garanties accordées aux contribuables.
III. LA COMMISSION PROPOSE QUATRE MESURES ADDITIONNELLES POUR RENFORCER L'AMBITION DU TEXTE
La commission partage naturellement l'objectif porté par le présent projet de loi, mais estime que son ambition pourrait être renforcée. À cet égard, elle a adopté trois amendements du rapporteur :
- un amendement COM-100 permettant aux agents de la DGFiP d'accéder dans le cadre de leurs droits de visite des locaux professionnels, aux terminaux de paiement électronique (TPE) des commerçants. Cette mesure répond à un besoin opérationnel clairement exprimé par les services du contrôle fiscal. Le développement des paiements par carte bancaire s'accompagne aujourd'hui de nouvelles formes de fraudes consistant notamment à utiliser des TPE orientant les flux financiers vers des comptes à l'étranger non connus de l'administration fiscale. Cette mesure permettra donc à la DGFiP de retracer plus facilement les flux transitant par ces TPE pour échapper à l'impôt.
- un amendement COM-99 permettant aux agents de l'administration fiscale et des douanes d'imposer que les réponses au droit de communication bancaire prennent désormais la forme de flux dématérialisés. Cette disposition leur permettra de disposer d'informations plus facilement exploitables par les outils de traitement de données utilisés pour assurer un meilleur ciblage de leur contrôle. Elle avait également été adoptée par le Sénat à l'initiative de notre collègue Nathalie Goulet, lors de l'examen de la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, avant d'être censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu'elle constituait un cavalier législatif.
- un amendement COM-101 prévoyant la réalisation par le Gouvernement d'une évaluation du dispositif de recouvrement de la taxe sur les transactions financières et sur le contrôle de la collecte par la DGFiP. Les travaux du rapporteur, ainsi que ceux de la Cour des comptes4(*) et de l'ancien rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale Charles de Courson5(*) ont en effet mis en évidence des doutes sur l'efficacité de ce mode de collecte.
La commission a en outre adopté un amendement COM-103 de Mme Nathalie Goulet permettant à l'administration fiscale de prendre copie de documents lors de leurs contrôles de la régularité de la délivrance de reçus fiscaux par les organismes bénéficiaires de dons et versements en application du régime fiscal du mécénat.
* 1 Décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013 pour le délit de fraude fiscale et décision n° 2014-420/421 QPC du 9 octobre 2014 pour le délit d'escroquerie en bande organisée.
* 2 Contre trois ans et 250 000 euros d'amende dans le droit actuel.
* 3 Écoutes, captations de données, surveillances et infiltrations.
* 4 Cour des comptes, La taxe sur les transactions financières et sa gestion, référé du 5 juillet 2017.
* 5 Rapport d'information déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur l'application des mesures fiscales (M. Charles de Courson), n° 1888