EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 26 novembre 2025, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Philippe Paul, vice-président, a procédé à l'examen des crédits de la mission « Défense » - programme 178 - Préparation et emploi des forces.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Monsieur le Président, Chers collègues,
Michelle Gréaume et moi-même sommes heureux de présenter devant vous aujourd'hui notre analyse des crédits du programme 178 « Préparation et emploi des forces » de la Mission Défense.
Le programme 178 constitue quelque part le « coeur » de la mission Défense, puisqu'il regroupe l'ensemble des moyens destinés à permettre aux forces de se préparer et de mener à bien leurs missions. Son objet est donc avant tout le futur du champ de bataille. Dans le contexte actuel, que nous ont décrit avec beaucoup de précisions les différents chefs d'État-Major entendus par la Commission, il est donc essentiel de le doter des moyens nécessaires.
Les crédits du programme progressent ainsi de 11 % pour s'établir à près de 16 milliards d'euros, soit le quart de la mission Défense. Le programme a bénéficié non seulement de la marche prévue par la LPM, mais également de la « surmarche ». Il a surtout été tenu compte du retour d'expérience des combats en Ukraine et au Moyen-Orient pour muscler les dispositifs qui devaient l'être.
Sur 5 ans, le programme aura donc progressé de 50 %. Cela traduit la continuité de notre engagement à doter les forces des moyens nécessaires à leur action. Pour autant, en la matière, nous savons bien qu'il faudra du temps avant de récupérer pleinement notre capacité opérationnelle, sérieusement écornée par la période des « dividende de la paix » qui a vu fondre le budget de nos armées. Je vais reprendre les mots du Chef d'État-Major de l'Armée de Terre : « Pour être libres, il faut être craints ; pour être craints, il faut être forts. Nous devons nous tenir prêts, et le faire savoir, à nos alliés comme à nos adversaires ». Avec notre réarmement et notre aguerrissement, nous préparons moins la guerre que les conditions d'une paix fondée sur le respect et la vigilance.
J'en viens maintenant à l'emploi des crédits. Autant le dire d'emblée, avec Michelle Gréaume, nous avons entendu les représentants des trois armées, et tous donnent acte à la loi de finances d'avoir bien tenu compte de leurs remarques comme de leurs besoins. Dès lors, leur inquiétude porte moins sur l'adoption de ce budget que sur sa non adoption... Mais c'est un sujet qui dépasse le cadre de nos travaux ce matin, même si je dois insister sur le fait qu'un retour à la loi de finances pour 2025 aurait des conséquences graves et immédiates en termes de signal vis-à-vis de nos compétiteurs mais aussi de nos hommes engagés dans la défense de notre territoire, qui ont déjà douloureusement vécu l'épreuve de la loi spéciale en début d'année.
Face à la hausse de la conflictualité, les armées s'adaptent donc, et avec Michelle Gréaume nous allons insister sur les deux points les plus significatifs en termes budgétaires pour notre programme : les matériels et les hommes.
Le maintien en condition opérationnel est une condition sine qua none de notre action. Près de la moitié des crédits du programme, soit plus de sept milliards d'euros, y est consacrée. Nous assistons cependant à une évolution très profonde de la philosophie de cet entretien, que le Chef d'État-Major de l'Armée de l'Air et de l'Espace a synthétisé avec la formule suivante : « Il est nécessaire de passer d'un Maintien en conditions opérationnelles de contrat de contrat à un maintien en conditions opérationnelles de combat ». Le temps n'est plus en effet à une paisible planification des tâches d'entretien, adaptée au format choisi pour l'armée durant 20 ans. Nos forces doivent pouvoir être mobilisées à tout instant, et endurer un combat violent et d'attrition.
Dans ce contexte, les États-Majors ont su s'adapter et engager une révision de leurs procédures. Très concrètement, les matériels doivent pouvoir être réparés en continu et le plus rapidement possible, y compris sur le terrain. Nous retirons de cette volonté trois éléments :
- tout d'abord, la constitution de stocks de pièces détachées par les armées, mais également par les industriels, comme le permet l'article 49 de la LPM. Sept industriels devraient être concernés en 2027 ;
- ensuite, une forme « d'hybridation » des contrats, en lien constant avec les industriels. L'idée est que les différentes composantes doivent disposer d'une capacité d'adaptation et d'autonomie propre. Ainsi, la Marine mène des opérations de « MCO continu » avec des opérations de maintenance en dehors des périodes de révision technique. La disponibilité des sous-marins français s'avère d'ailleurs très supérieure à d'autres flottes. Dans l'armée de Terre, le programme Ambition MCO-Terre 2030 vise à réinternaliser une partie de l'ingénierie et du stock.
- enfin, les armées s'attachent à remettre les impératifs opérationnels et la gestion des risques au coeur de leur réflexion. Les chefs d'État-Major, par un dialogue avec les industriels, cherchent donc à estimer le risque d'utiliser un matériel dans des conditions qui s'écartent des normes civiles, ce qui implique une prise de risque assumée.
L'ensemble de ces éléments, qui supposent une forme de révolution dans nos armées, constitue le socle de notre préparation à la haute intensité.
Nous vous proposons donc de valider les crédits du programme 178 tels qu'ils nous sont présentés.
Mme Michelle Gréaume, rapporteure. - La politique de maintien en condition opérationnelle des matériels que vient de vous présenter Olivier Cigolotti doit bien entendu s'articuler avec un aguerrissement des troupes. Nos armées ont été en mesure, en finalement peu de temps, de mettre en place une brigade « bonne de guerre » en 2025, et visent maintenant la division en 2027, ce qui constitue une étape cruciale et complexe. L'objectif est bien entendu de nous préparer à la « haute intensité », ce terme que l'on croyait disparu mais qui figure plus de 20 fois dans la dernière Revue Nationale Stratégique. Il importe cependant d'aborder cette notion avec la prudence requise en rappelant qu'elle ne peut s'entendre que dans un cadre strictement défensif et compatible avec une logique de désescalade et de souveraineté nationale.
Or l'acquisition des réflexes de combat et l'appropriation de la chaine logistique prend au moins autant de temps que le lancement d'un programme industriel. Mais hélas, nous manquons de temps. Aussi, la volonté des armées est de durcir les conditions d'entrainement afin de donner les meilleures chances aux hommes d'exercer leur mission au service de la Nation. Cette préparation, aussi exigeante soit-elle, doit s'inscrire dans un horizon de stabilité et de paix : renforcer nos capacités, c'est avant tout garantir que notre pays puisse prévenir les crises, protéger les populations et contribuer à la désescalade. Ces efforts doivent être menés avec le souci constant des conditions humaines et professionnelles des personnels.
La loi de finances prévoit donc des crédits d'activités opérationnelles qui s'élèvent en 2026 à 1,3 milliard d'euros, un montant stable qui dissimule en fait une hausse modérée de l'activité en raison de la baisse des prix du carburant. La LPM prévoyait un pallier avant une montée en puissance à partir de 2028.
L'accent est particulièrement mis sur l'Armée de Terre, dont les moyens progressent de 5 %.
Il reste cependant une forte incertitude autour de la question sensible du stock de munitions, qui tarde à être reconstitué. Comme cela nous a été rappelé durant nos auditions, les hommes doivent s'entrainer dans des conditions proches du réel, et on ne peut pas supposer qu'ils sauront se servir d'un matériel de pointe s'ils le découvrent sur le champ de bataille. Je vais reprendre les propos du CEMA devant notre commission le 5 novembre : « Je souhaite que les armées tirent davantage, nous allons commander des munitions d'exercice pour que nos artilleurs puissent s'entraîner davantage » Les capacités industrielles doivent donc suivre, et ce n'est pas toujours le cas, par exemple pour les obus de 40 mm du nouveau Jaguar destiné à remplace les AMX. L'incertitude budgétaire n'aide cependant pas à relancer les chaines de production.
L'année 2026 sera enfin marquée par l'exercice ORION, pour Opération de grande envergure pour des armées Résilientes, Interopérables, Orientées vers le combat de haute intensité et Novatrices.
Il s'agit d'un entrainement interarmées de très grand format qui se déroulera à partir du mois de février et devrait permettre de tester dans des conditions aussi réalistes que possible notre chaine logistique et le degré de préparation de nos hommes. La précédente édition avait rassemblé 12 000 hommes et de très nombreux pays. ORION sera donc une étape décisive vers la division « bonne de guerre » prévue pour 2027, et devrait s'avérer riche d'enseignements pour nous.
Je voudrais enfin parler d'un sujet qui nous tient à coeur avec Olivier Cigolotti, celui du Service de Santé des Armées, le SSA.
Il a pour mission le soutien santé opérationnel des forces armées et de la Gendarmerie nationale stationnées sur le territoire national, hors métropole ou projetées sur les théâtres d'opérations.
Le SSA bénéficie d'un budget de 1,5 milliard d'euros, dont le tiers sur ce programme, emploie près de 15 000 personnels, gère huit hôpitaux militaires, 16 centres médicaux et 190 antennes médicales sur le territoire national.
Le SSA traduit, si on y réfléchit bien, la promesse républicaine faite aux soldats que tout sera fait pour les ramener à la maison dans les meilleures conditions que la Nation puisse offrir. Il est à ce titre central dans la gestion des armées.
Il est aujourd'hui confronté à trois défis :
- le premier est celui du recrutement et de la fidélisation des personnels. Je ne vous apprends rien en vous disant que la ressource médicale est rare dans les territoires, la médecine militaire ne fait pas exception à la règle, elle est peut-être même plus complexe pour elle en raison des conditions d'exercice. Là encore, les choses progressent lentement : les départs de médecins et d'infirmiers ont régressé de 43 % depuis 2016. Cependant, il reste 109 postes à pourvoir, en particulier dans les spécialités chirurgicales et dans la radiologie. La formation initiale a été relancée, mais il faudra plusieurs années avant d'en voir les effets. Le recours aux contractuels s'est donc généralisé, mais nous constatons avec Olivier Cigolotti que le plafond d'emploi n'a pas été relevé, ce qui traduit à l'instant T une diminution des praticiens en exercice. Nous souhaitons que cela soit corrigé très rapidement, peut-être avec l'actualisation promise de la LPM.
- le deuxième défi est celui de la préparation aux nouvelles formes de conflit. La médecine de guerre doit redevenir une médecine prête à affronter une guerre de haute intensité, avec des pertes significatives. La transparence du champ de bataille, désormais absolue comme l'a révélé le conflit en Ukraine, appelle à une évolution des paradigmes : comment allez chercher un camarade blessé alors que les drones vrombissent partout ? Où installer l'hôpital médico-chirurgical dit de « rôle 3 », qui constitue la prochaine étape de notre préparation, avant le transfert vers les hôpitaux d'instruction des armées ? La question est complexe, et toute l'organisation doit être repensée, en lien avec la médecine civile qui aura nécessairement un rôle à jouer.
- troisième et dernier défi, le SSA est engagé dans des chantiers immobiliers de très grande ampleur avec le futur hôpital d'instruction des armées à Marseille sur le site de Sainte-Marthe. Les travaux devraient débuter en 2028, et la livraison est prévue pour la mi 2031. Cette nouvelle structure est indispensable pour compléter notre infrastructure médicale. Le SSA poursuit également une politique d'investissements ciblée sur les hôpitaux de Percy, et Bégin.
Un dernier mot avant, de conclure : nous avons été très marqués avec Olivier par l'engagement et le sens du devoir des militaires que nous avons pu rencontrer, en en audition mais également en diverses occasions. L'avis favorable que nous recommandons pour les crédits du programme 178 est donc aussi une forme de reconnaissance de leur dévouement et de leur compétence. Cet avis favorable s'accompagne naturellement d'une vigilance quant à l'usage de ces crédits, pour qu'ils servent pleinement l'intérêt général et la protection de la Nation.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Je veux juste compléter mon propos pour faire suite aux remarques de notre collègue Jean-Luc Ruelle sur le programme 146. Il n'y a pas d'inquiétudes à avoir sur la capacité des armées à absorber les matériels, elles y sont prêtes et sont en réalité plutôt dans l'attente, la seule incertitude porte plutôt sur la capacité des industriels à honorer les engagements pris.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 178 « Préparation et emploi des forces » de la mission « Défense ».