EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 26 novembre 2025, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits du programmes 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2026.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Monsieur le Président, mes chers collègues,
Le PLF 2026 qui met en oeuvre la troisième année de la LPM constitue véritablement un budget « Janus » selon que le budget pourra être adopté, ou selon qu'il faudrait à nouveau passer par une loi spéciale qui ne permet ni « marche », ni « surmarche », j'y reviendrai dans un second temps.
Je commencerai donc par être optimiste en envisageant l'issue la plus favorable. Le PLF 2026 prévoit une double hausse des crédits avec une « marche » de 3,2 Mds€ et une « surmarche » de 3,5 Mds€ qui permettront de porter à 57,15 Mds€ les crédits hors pensions de la mission « Défense » soit une hausse de 6,67 Mds€ par rapport à la loi de finances initiale pour 2025. Cette hausse devrait bénéficier en particulier au Programme 146 dont les crédits de paiement devraient passer de 18,69 Mds€ à 22,88 Mds€ soit une hausse de +22,4%.
Cette augmentation des crédits du P146 devrait permettre de porter à 44 Mds€ le montant des commandes attendues en 2026. Parmi les équipements qui pourraient être commandés, on peut citer 41 systèmes de drones tactiques légers, 1 FDI, 2 Rafale, 2 Saab GlobalEyes suédois pour remplacer les AWACS, 4 SAMP/T NG, 350 SERVAL, des lots de bombes AASM, de missiles antichars et de MTO. Les commandes devraient également comprendre 40 drones sous-marins, 25 drones de surface, 2 avions patrouilleurs et 2 satellites successeurs de Musis.
On peut donc estimer que la tendance est favorable puisque la trajectoire de la LPM est respectée pour la 3ème année consécutive et qu'un supplément de crédits important est prévu pour mettre à niveau une LPM dont nous avons eu l'occasion à plusieurs reprises - avec mon co-rapporteur - d'indiquer qu'elle était très probablement sous-financée.
La ministre des Armées a indiqué devant notre commission que près de 30 milliards d'euros de commandes seraient passées d'ici la fin de l'année qui devraient concerner le PA-NG, les SNLE 3G et le standard F5 du Rafale.
La mise en oeuvre de la LPM continue à produire des résultats tangibles. Si l'expression « économie de guerre » demeure excessive pour désigner la remontée en puissance des capacités de notre base industrielle et technologique de défense (BITD), des résultats significatifs sont perceptibles. Les cadences de production ont augmenté par exemple concernant les canons CAESAR, la production d'ASTER par MBDA et de bombes AASM par Safran. Dassault qui produisait un Rafale par mois il y a quelques années quand la France était la seule cliente en produit maintenant 3 et devrait atteindre prochainement 4 et pourrait même porter sa production à 5 Rafale.
Afin de renforcer la résilience de notre BITD, je signale également que la DGA a adressé ces derniers mois 9 « arrêtés stocks » aux principaux maîtres d'oeuvre industriels sur le fondement de l'article 49 de la LPM qui doivent permettre à la fois des stocks d'éléments nécessaires à la poursuite de programmes en cours et des stocks de rechanges pour des matériels déjà livrés.
Si l'on regarde maintenant le risque que ce budget ne soit pas adopté, au regard de l'expérience de l'année passée, il y a à craindre à la fois pour nos armées qui sont en attente de livraisons de matériels, pour nos industriels qui doivent gérer leurs chaînes de production et leurs sous-traitants et pour l'avenir des programmes qui doivent être financés.
Les industriels que nous avons interrogés sont, en effet, unanimes à regretter l'imprévisibilité croissante dans la programmation budgétaire. Tel industriel nous indique que l'absence de vote du budget a eu pour effet des reports de commandes avant un rattrapage en cours d'année. Tel autre déplore l'arrêt précoce des paiements de la DGA à la fin de l'année 2024 quand il est apparu que le budget ne serait pas voté. Tel autre, enfin, explique qu'il a dû financer sur ses fonds propres un important programme en 2025 qui est aujourd'hui fragilisé si une solution n'est pas trouvée.
Cette remise en cause des commandes s'est par ailleurs accompagnée d'une dégradation des délais de paiement qui, selon un industriel rencontré, peuvent aller de 1 à 3 mois et qui constate une multiplication par 4 du niveau de créances de fin d'année de l'État entre 2022 et 2024. Ces retards de paiement fragilisent la filière et en particulier les ETI et les PME. Ils constituent un frein à une hausse des investissements pour faire face à des besoins qui seraient démultipliés en cas de conflit.
Ceci étant dit, le constat global que nous pouvons faire en cette fin d'année demeure encourageant. Concernant par exemple les munitions qui constituent un poste prioritaire comme l'a rappelé le chef de l'État lui-même le 13 juillet dernier, les progrès sont nets à défaut d'être suffisants. La capacité de production totale de KNDS en obus de 155 mm a ainsi été portée significativement au-dessus de 100.000 tandis que les armées poursuivent le recomplètement des missiles anti-char de courte portée, de roquettes pour les LRU, d'obus de mortier pour le nouveau système MEPAC de 120 mm monté sur Grifon. Plusieurs centaines d'AASM sont livrés chaque année par Safran et la capacité de production des différents missiles de MBDA a été doublée depuis 2023.
Lors de son audition devant notre commission le 22 octobre dernier, la ministre des Armées a déclaré que ce PLF 2026 constituait « la première année du futur projet de loi d'actualisation de la LPM 2024-2030 » qui devra aller jusqu'au terme de la LPM actuelle.
Dans les faits, si l'état-major des armées nous a laissé entendre que le texte du projet de loi était déjà bien avancé, il devrait être déposé sur le bureau d'une des assemblées d'ici quelques semaines.
Les industriels auditionnés considèrent tous qu'ils ont besoin de stabilité et de visibilité pour poursuivre leur montée en puissance. Ils attendent donc avec beaucoup d'attention le dépôt du projet de loi relatif à l'actualisation de la LPM qui doit permettre de renforcer la sincérité de la LPM 2024-2030 compte tenu des impasses de financement qui accompagnaient la loi adoptée par le Parlement le 1er août 2023. L'actualisation doit ainsi à la fois conforter les engagements qui figurent dans le texte de 2023 sur le plan des financements mais également ouvrir la voie à des engagements complémentaires permettant d'acquérir des capacités nouvelles qui n'étaient pas évoquées dans la programmation originelle.
Avant de céder la parole à mon collègue co-rapporteur, j'indique que la double hausse prévue par le PLF 2026 dans un contexte budgétaire que chacun d'entre nous a à l'esprit doit bien évidemment être saluée. Notre commission devra veiller à ce que l'actualisation de la LPM permette de renforcer la sincérité de la programmation budgétaire et que tous les choix soient bien explicités au terme d'un dialogue qui doit être préalable. Pour l'ensemble de ces raisons, je propose que la commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146 dans la mission « Défense » afin de rappeler l'importance de l'adoption de ce budget.
M. Hugues Saury, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues,
Comme l'a rappelé ma co-rapporteure nous avons eu l'occasion l'année dernière de rappeler que la LPM 2024-2030 adoptée en août 2023 avait été calibrée au plus juste voire en-deçà des besoins réels pour ce qui concerne plusieurs programmes d'intérêt majeur. Nous avions ainsi indiqué « que la question même du format même de la LPM ne pourra pas être très longtemps ignorée ». Nous ne pouvons donc que nous réjouir d'une prochaine actualisation de la LPM prévoyant de nouveaux moyens qui devrait prendre la forme d'un projet de loi déposé dès que la situation budgétaire aura été clarifiée.
Cette actualisation de la LPM devra permettre de tirer les conclusions de la fin de l'ambiguïté majeure du texte initial de 2023 qui en réalité ne tranchait pas véritablement la question de l'avenir de la menace russe. Les déclarations du chef d'état-major des armées lors de ses auditions au Parlement sont venues lever tout doute sur la réalité de cette menace. C'est bien une « LPM de préparation au combat » qui est aujourd'hui devenue nécessaire après la LPM « de réparation » 2019-2025 et une LPM initiale 2024-2030 « de transformation ».
J'en viens maintenant aux grands programmes en commençant par ceux qui visent à renouveler nos capacités majeures.
Le lancement de la réalisation du standard F5 du Rafale est prévue en 2026 pour une date prévisionnelle de livraison du premier exemplaire en 2033. Mais la question du moteur demeure un sujet. Le groupe Safran qui produit le moteur actuel M 88 du Rafale a proposé une évolution incrémentale (T-REX) permettant de porter de 7,5 tonnes à 9 tonnes la poussée du moteur au travers d'un nombre limité de modifications du moteur actuel. Une telle évolution serait utile pour accroître la capacité d'emport, la capacité d'interception et la survivabilité au combat. Ce surcroît de puissance doit notamment permettre l'emport du futur missile nucléaire ASN4G qui sera plus lourd que le missile actuel ASMPA-R.
Le problème, comme nous l'avions déjà dit l'année dernière, c'est que la LPM ne prévoyait pas de crédits pour ce développement. Si l'État a finalement contribué en 2025 pour un peu plus de la moitié au coût des études, le PLF 2026 ne prévoit pas, en l'état, de crédits alors que les besoins sont estimés à plusieurs dizaines de millions d'euros par le motoriste français. Les échanges conduits avec l'EMA ont permis d'établir que le dialogue se poursuivait avec l'industriel pour répartir la prise en charge de ce coût afin de poursuivre les travaux qui sont considérés comme prioritaires. Nous souhaitons vivement que ces échanges aboutissent et que l'on puisse avancer.
Un mot ensuite sur le renouvellement de notre dissuasion nucléaire dont les crédits augmentent de +6,7%.
La composante aéroportée a bénéficié cette année de la mise en service du missile de croisière ASMPA-R à capacité nucléaire qui a fait l'objet d'un tir d'évaluation dans le cadre de l'opération Diomède le 13 novembre 2025. La mise en service de son successeur, l'ASN4G reste prévue à l'horizon 2035.
La composante océanique a vu en octobre 2025 la mise en service opérationnelle du missile balistique M51.3. Par ailleurs, la DGA a notifié, le 28 août 2025 à ArianeGroup, le marché de développement et de production de la quatrième version (M51.4) du missile balistique stratégique M51 appelé à être déployé après 2035 à la fois à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) actuels type Le Triomphant et des futurs SNLE de 3e génération, en phase de réalisation.
Le porte-avions nucléaire de nouvelle génération constitue un autre programme structurant. Alors que la découpe des premières tôles et la confection des chaudières nucléaires ont déjà commencé le gouvernement devrait décider avant la fin de l'année le lancement de la réalisation en notifiant aux industriels concernés, notamment Naval Group et les Chantiers de l'Atlantique, un premier marché portant sur l'ingénierie du bateau et la réalisation des chaudières nucléaires. Ce premier marché laisserait ouvertes certaines options concernant les fonctionnalités qui devraient être précisées dans un second marché attendu en 2028/2029. Le recours à deux marchés subséquents doit permettre notamment de doter le bâtiment d'un système de combat et des équipements électroniques et numériques les plus récents.
Vous avez, comme nous, entendu à la fois le chef d'état-major des Armées et le chef d'état-major de la Marine évoquer la question d'une future « permanence à la mer » aéronavale. Nous aurons donc le temps d'en reparler d'autant que tout dépendra de la possibilité ou non de prolonger le Charles-de-Gaulle.
Un mot concernant le format de la flotte de frégates de 1er rang. Nous nous félicitons de l'accroissement de l'armement des futures FDI qui seront mises en service en 2031 et 2032 avec 32 cellules Sylver pour être en mesure de lancer davantage d'Aster mais nous jugeons utile que l'armement des FDI n°1, n°2 et n°3 soient également renforcé car ce sont elles qui seront exposées à des menaces renforcées dans les années à venir.
J'en viens maintenant aux choix stratégiques pour l'avenir que nous devrons faire pour maintenir certaines capacités (successeur du Rafale, missiles de croisière) mais aussi de combler des manques devenus problématiques (feux de profondeur, chars lourds).
Je commencerai par évoquer le programme STRATUS ou Futur Missile Anti-Navire/Futur Missile de Croisière conduit par la France, le Royaume-Uni et l'Italie. Il est constitué de deux missiles complémentaires (un supersonique manoeuvrant et un subsonique furtif) capables de remplir quatre missions pour les forces françaises à l'avenir : celle de frappes antinavires, de frappes dans la profondeur, de capacité de suppression des défenses ennemies SEAD/DEAD et la destruction d'aéronefs à très haute valeur ajoutée.
MBDA a participé au financement du programme en 2025 et un dialogue est en cours avec la DGA pour déterminer l'équilibre économique du programme qui est considéré comme prioritaire par le ministère des Armées d'autant plus qu'il constitue la pierre angulaire de la coopération en matière de défense entre la France et le Royaume-Uni dans le cadre des accords de Lancaster House.
J'en viens maintenant au SCAF qui n'a pas avancé dans la bonne direction au cours de cette année 2025. Nous sommes aujourd'hui confrontés à un double blocage, à la fois industriel et politique. Sur le plan industriel, Dassault reproche à la filiale allemande d'Airbus de ne pas avoir été en mesure de réaliser les sous-ensembles techniques dont il avait la responsabilité. Cette situation a participé à la dégradation des relations entre les bureaux d'études, et a amené Dassault à demander une révision de la gouvernance pour plus d'efficacité.
Mais cette question d'organisation industrielle n'est pas le seul obstacle à l'avancée du projet. Comme nous l'évoquions l'année dernière, la question des restrictions allemandes à l'exportation qui accorde un droit de véto au Bundestag n'a pas été résolue ce qui met en péril le modèle économique même du futur programme.
Nous verrons dans les prochaines semaines comment évoluera ce projet mais on ne peut que regretter la manière dont a été conduit ce programme en lançant les études sans avoir clarifié, au préalable, les apports de chacun, la répartition des rôles et sans avoir levé les obstacles politiques pourtant identifiés comme autant de lignes rouges par le précédent ministre des Armées.
Je terminerai en évoquant brièvement l'avenir de nos capacités terrestres. Le réarmement allemand a pour conséquence des commandes importantes de Léopard 2A8 qui auront pour effet de repousser le calendrier du programme MGCS. Ce temps supplémentaire pourrait être utile pour développer des technologies de rupture mais il risque de créer un trou capacitaire en France autour de 2037/2047 qui amène à se poser la question de l'acquisition d'une capacité de transition. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet mais j'observe que l'achat d'un nouveau char franco-allemand pourrait constituer un signe fort pour relancer l'entreprise KNDS et l'intérêt même du programme MGCS.
Je terminerai en évoquant la question des feux de profondeur. Une consultation est en cours pour développer une capacité souveraine et un rendez-vous est prévu au printemps 2026 pour tester des démonstrateurs. D'un autre côté, les partisans de l'achat d'une solution « sur étagère » immédiatement disponible ne désarment pas et évoquent le système indien Pinaka qui pourrait, en outre, constituer un « offset » du programme indien du Rafale. Nous souhaitons que les tests du printemps prochain permettent d'établir clairement les performances et les coûts de chaque système afin qu'un choix éclairé soit réalisé.
Sous réserve de ces remarques, j'estime que les efforts réalisés pour maintenir la « marche » de la LPM et y adjoindre une « surmarche » plaident pour recommander à la commission de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146 dans la mission « Défense ».
Mme Michelle Gréaume. - Notre position sera la même sur ce programme que sur le reste de la mission et nous voterons contre. Nous désapprouvons cette logique de guerre et défendons la coopération.
M. Rachid Temal. - Je reviens sur l'accord entre Safran et ses partenaires indiens pour développer un nouveau moteur. Dans trente ou quarante ans il pourrait y avoir plusieurs chasseurs de 6ème génération en Europe et dans le monde ce qui crée une interrogation.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Le programme SCAF est dans une période de flou. On espère que l'année prochaine permettra d'avancer car la France a besoin de trouver des partenaires.
M. Jean-Luc Ruelle. - Je souhaite rappeler quelques points de vigilance concernant les 101 milliards d'euros de commandes qui restent à payer. Il convient d'éviter les retards industriels et les livraisons sous tension dans les forces ; de prévenir les capacités industrielles insuffisantes ; de faire attention à l'inflation des coûts ; de rattraper notre retard sur les drones et la lutte anti-drones et d'adapter le format de notre force aérienne.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Les militaires attendent les nouveaux matériels et sont prêts à les réceptionner.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146.