B. DES CHOIX COMPLÉMENTAIRES STRATÉGIQUES S'IMPOSENT POUR RÉPONDRE AUX NOUVELLES MENACES

Le changement durable des conditions de sécurité en Europe oblige à préparer dès maintenant les moyens dont pourront disposer les Armées au cours des décennies 2030 et 2040. Compte tenu des délais de développement et de production, certaines décisions devront donc être prises soit en 2026 soit en 2027 pour permettre aux industriels de se mettre en ordre de marche. Cette programmation au-delà même de la LPM 2024-2030 doit permettre de maintenir certaines capacités (successeur du Rafale, missiles de croisière) mais aussi de combler des manques devenus problématiques (feux de profondeur, chars lourds).

1. Des capacités à renouveler sans tarder pour conserver une capacité de traitement des objectifs à haute valeur ajoutée
a) Le programme STRATUS de remplacement des SCALP et des EXOCET

Le programme STRATUS ou Futur Missile Anti-Navire/Futur Missile de Croisière conduit par la France, le Royaume-Uni et l'Italie est constitué de deux missiles complémentaires (un supersonique manoeuvrant et un subsonique furtif) capables de remplir trois missions pour les forces françaises à l'avenir : celle de frappes antinavires, de frappes dans la profondeur, et de capacité de suppression des défenses ennemies SEAD/DEAD. MBDA estime que le niveau de maturité atteint durant la phase d'évaluation est très satisfaisant et permet d'engager la phase de développement dès maintenant afin de permettre une mise en service autour de 2032-2035.

Le missilier a participé au financement du programme en 2025 et un dialogue est en cours avec la DGA pour déterminer l'équilibre économique du programme qui est considéré comme prioritaire par le ministère des Armées, d'autant plus qu'il constitue la pierre angulaire de la coopération en matière de défense entre la France et le Royaume-Uni dans le cadre des accords de Lancaster House.

Les rapporteurs considèrent comme indispensable la poursuite du programme STRATUS en 2026 afin de tenir la cible de mise en production et de consolider à la fois la coopération franco-britannique et le « modèle MBDA » d'entreprise européenne intégrée.

b) Le développement d'un chasseur de 6ème génération et d'un « cloud de combat » européen

Le programme de Système de combat aérien du futur (SCAF) connaît une phase de réexamen approfondie à l'issue de sa phase 1B (2023-2026) et avant de décider le lancement d'une phase 2 (2026-2030) sur fond de désaccords persistants entre industriels français et allemands. Une telle phase de remise à plat constitue une étape normale de tout programme industriel de cette envergure. Deux problèmes semblent néanmoins persister et constituer autant de pierres d'achoppement. Un désaccord subsiste, en effet, entre les deux industriels sur les conditions de réalisation de certains sous-ensembles du projet (work package) tandis que la question des restrictions à l'exportation allemandes n'a pas été complètement résolue, notamment par l'accord franco-allemand du 23 octobre 2019.

Dans ce contexte, Dassault continue à demander une révision de la gouvernance afin de se voir reconnaître la qualité de maître d'oeuvre du projet et la capacité de choisir les sous-traitants sur l'unique critère de la compétence. L'article du Financial Times7(*) du 17 novembre 2025 annonçant un recentrage du programme SCAF autour du « cloud de combat » est venu rappeler les désaccords et esquisser une voie de sortie pour assurer l'interopérabilité et la connectivité des futurs aéronefs européens. Les rapporteurs estiment que l'impasse actuelle aurait pu être évitée si la répartition des rôles avait été mieux définie dès le début en tenant compte des compétences de chaque acteur industriel.

2. Le renforcement de nos capacités terrestres dans la perspective d'un engagement aux frontières de l'Europe

La guerre en Ukraine a montré l'importance du rôle de l'artillerie de longue portée. Si le Caesar donne pleinement satisfaction, l'abandon progressif des capacités de frappe en profondeur est une faiblesse à combler au plus vite. Par ailleurs, même si son utilisation est devenue délicate, le char lourd conserve toute son utilité pour percer un front et traiter des objectifs dans des zones contestées.

a) Un choix stratégique pour retrouver une capacité de frappe en profondeur (FLPT)

Le ministère des Armées a notifié en octobre 2024 à deux groupements constitués par MBDA/Safran d'une part et ArianeGroup/Thales d'autre part une consultation dans le cadre d'un partenariat d'innovation visant à l'acquisition d'une capacité souveraine pour la Frappe Longue Portée Terrestre (FLPT) qui doit donner lieu à une démonstration mi-2026. Cette compétition vise à donner un successeur au LRU dont le nombre est devenu résiduel, après la cession de plusieurs exemplaires à l'Ukraine. Les industriels mobilisés travaillent sur des solutions ambitieuses pouvant atteindre une portée jusqu'à 150 km (voire 500 km avec des munitions semblables aux ATACMS) associées à des drones pour saturer les défenses adverses. Ce lanceur devra être capable de tirer des munitions à bas coût susceptibles d'être produites en grand nombre.

Le développement de ce nouveau lance-roquettes continue à faire débat compte tenu du nombre limité d'exemplaires qui seraient commandés et donc d'un coût de développement nécessairement élevé. Le choix du recours à une solution souveraine avait été privilégié compte tenu notamment de l'indisponibilité d'un achat sur étagère, les délais de livraison du HiMARS américain s'avérant particulièrement élevés.

Une autre solution est néanmoins apparue dans le débat ces derniers mois sous la forme du Pinaka indien. Ce matériel présente des différences significatives avec le HiMARS américain et les deux prototypes développés par des industriels français (absence de cabine blindée et de protection antimines et NRBC, absence de guidage de conduite de tir de niveau militaire, absence de compatibilité avec les munitions OTAN). Il serait cependant plus rapidement disponible et à moindre coût et pourrait être pris en compte dans les offsets du programme indien du Rafale.

Les rapporteurs estiment que l'étape de la démonstration des prototypes préparés par les industriels français prévue au printemps 2026 devrait également permettre de comparer en situation identique les performances du Pinaka notamment en termes de portée et de précision avant tout choix définitif, afin de pouvoir garantir une décision éclairée.

b) Le besoin identifié d'une capacité blindée lourde de transition d'ici l'arrivée du MGCS

Le retour de la guerre en Europe comme la menace que fait peser directement la Russie sur les frontières de l'OTAN obligent à remettre à l'ordre du jour la question de l'avenir du format blindé lourd. Même si ce matériel a montré sa vulnérabilité sur la ligne de front, l'état-major estime qu'il a joué un rôle décisif dans la percée vers Koursk opérée par les Ukrainiens en août 2024. Il a également été essentiel à Gaza en permettant l'entrée des forces israéliennes.

Au 31 décembre 2025, l'armée de terre disposera d'un parc de 225 chars Leclerc dont 25% rénovés (XLR). Le projet MGCS a bénéficié d'une relance politique et industrielle en 2023 avec la signature du HLCORD (« High Level Common Operationnal Document ») et la réorganisation en 8 piliers au sein d'une « project company » associant KNDS France, Thales, KNDS Allemagne et Rheinmetall. La notification des premiers contrats aux industriels est prévue fin 2025.

Si le projet est relancé, son calendrier demeure incertain puisque le développement du programme dépend de deux projets de recherche européens à la fois concurrents et complémentaires (MARTE et FMBTech) qui ne rassemblent pas les mêmes acteurs et n'avancent pas à la même vitesse. Un décalage est aujourd'hui acté entre l'intention politique qui prévoyait de premières livraisons du MGCS à partir de 2040 et les projets des industriels qui ont amené l'Allemagne à accélérer son investissement dans une capacité intermédiaire de de chars Léopard de nouvelle génération8(*) qui repousse son besoin du char du futur à l'horizon 2045/2050.

Le risque est que la France connaisse un « trou capacitaire » sur le segment lourd autour de 2037/2047, qui aurait pour conséquence de limiter son influence dans l'organisation de la défense de la frontière terrestre est de l'OTAN. Le constat que les rapporteurs faisaient9(*) dès novembre 2023 à l'occasion de l'examen du PLF 2024 en estimant « essentiel que le Gouvernement examine rigoureusement en 2024 les avantages et les inconvénients des principaux scénarios envisageables (rénovation intégrale du Leclerc ou choix d'un nouveau matériel) pour conserver une capacité blindée souveraine jusqu'en 2050 » est aujourd'hui partagé.

Compte tenu de l'état d'usure des Leclerc, le choix pourrait s'orienter vers un matériel nouveau proposé par KNDS, associant un châssis et un moteur allemands et une tourelle française, doté des dernières technologies (systèmes de protection innovants, LAD, MTO). Afin de pouvoir disposer de ce nouveau matériel à l'horizon 2035/2037, une décision devra être prise autour de 2026/2027. Le besoin estimé pourrait correspondre au nombre de chars nécessaire pour armer une brigade blindée soit un volume supérieur à une centaine d'exemplaires.

Le mercredi 3 décembre 2025, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146 de la mission défense dans le projet de loi de finances pour 2026.


* 7 https://www.ft.com/content/e0cc4893-d1c3-45a4-9e3e-d35cedd4b46d

* 8 L'Allemagne a commandé 123 exemplaires du nouveau standard Léopard 2 A8 pour un montant de 3,4 Mds€ livrés entre 2027 et 2030 et envisage une commande de 75 exemplaires supplémentaires l'année prochaine. Ce nouveau standard est notamment équipé d'un système de protection active anti-drones « Trophy » fourni par l'israélien Rafael et d'un canon de 120 mm fourni par Rheinmetall.

* 9 https://www.senat.fr/rap/a23-130-8/a23-130-8-syn.pdf

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